5
FACTEURS DE LA PERFORMANCE LES FILIÈRES ÉNERGÉTIQUES EN ESCALADE PAR O. GUIDI Il y a plus de 10 ans, paraissait l'une des références incontournables de l'escalade sportive : « Grimper ! ». Dans une partie centrale de cette publication, les auteurs traitaient déjà de la préparation physique en s'appuyant sur le modèle des filières énergétiques pour tenter de décrire l'effort en escalade et en déterminer des pro- cédures d'optimisation. Cette approche sportive a lentement diffusé vers le grim- peur « de base » au travers de canaux multiples : entraîneurs, compétiteurs, for- mation, revues spécialisées. QUOI DE NEUF ? A l'heure actuelle, cette approche sportive justifie scientifiquement nos considérations sur le temps de travail, de répartition et de repos de nos exercices d'entraînement. Notre préoccupation est l'analyse de ce modèle devenu si prégnant que nous assistons à un glissement terminologique gênant, entre d'une part, des qualités physiques clairement définies dans notre discipline (force, résis- tance courte, résistance longue, continuité) et d'autre part un modèle explicatif issu de la biologie et de la physiologie qui tente de décrire, d'expliquer et de prévoir les actions- réactions du métabolisme énergétique lors d'efforts bien caractéristiques dans le temps, l'intensité et la topographie. Les objectifs d'entraînement sont alors spécifiés de la sorte : renforcement de la filière force, de la filière résistance, de la filière continuité (endurance). A partir de là nous extrapolons en proposant des exercices d'entraînement qui renforcent par exemple, la filière résistance avec le pré- supposé que. dans notre discipline, résistance rime avec métabolisme anaérobie lactique. Le mérite d'une telle approche est d'être très claire et de proposer une représentation immé- diate de l'effort. Les valeurs d'intervention des différentes filières sont notifiées en fonction du temps (fig. 1). Les délais d'intervention de chacun des métabolismes énergétiques sont connus depuis de nombreuses années et les recherches dans le domaine de l'athlétisme nous offrent une échelle de temps pour caler chaque exercice sur l'axe pourcentage d'inter- vention des filières aérobie et anaérobie dans l'effort. Concernant l'escalade nous avons établi des moyennes de temps d'effort en entraînement sur des circuits types, caractéri- sés par le nombre de mouvements. Cette réflexion empirique sur l'expression des filières énergétiques correspond à la croyance actuelle dans le milieu. Cependant cette opi- nion largement partagée est contestable sur des nombreux points : il apparaît, comme je le démontrerai, que cette approche n'est pas valide dans notre discipline. Nous n'hésitons pas à affirmer que le schéma présenté est entièrement faux. EPS № 276 - MARS-AVRIL 1999 15 Revue EP.S n°276 Mars-Avril 1999 c. Editions EPS. Tous droits de reproduction réservé

LES FILIÈRES ÉNERGÉTIQUES EN ESCALADE

  • Upload
    others

  • View
    6

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: LES FILIÈRES ÉNERGÉTIQUES EN ESCALADE

FACTEURS DE LA

PERFORMANCE

LES FILIÈRES ÉNERGÉTIQUES EN ESCALADE PAR O. GUIDI

Il y a plus de 10 ans, paraissait l'une des références incontournables de l'escalade sportive : « Grimper ! ». Dans une partie centrale de cette publication, les auteurs traitaient déjà de la préparation physique en s'appuyant sur le modèle des filières énergétiques pour tenter de décrire l'effort en escalade et en déterminer des pro­cédures d'optimisation. Cette approche sportive a lentement diffusé vers le grim­peur « de base » au travers de canaux multiples : entraîneurs, compétiteurs, for­mation, revues spécialisées.

QUOI DE NEUF ?

A l'heure actuelle, cette approche sportive justifie scientifiquement nos considérations sur le temps de travail, de répartition et de repos de nos exercices d'entraînement. Notre préoccupation est l'analyse de ce modèle devenu si prégnant que nous assistons à un glissement terminologique gênant, entre d'une part, des qualités physiques clairement définies dans notre discipline (force, résis­tance courte, résistance longue, continuité) et d'autre part un modèle explicatif issu de la biologie et de la physiologie qui tente de décrire, d'expliquer et de prévoir les actions-réactions du métabolisme énergétique lors d'efforts bien caractéristiques dans le temps, l'intensité et la topographie. Les objectifs d'entraînement sont alors spécifiés de la sorte : renforcement de la filière force, de la filière résistance, de la filière continuité (endurance). A partir de là nous extrapolons en proposant des exercices d'entraînement qui renforcent par exemple, la filière résistance avec le pré­supposé que. dans notre discipline, résistance rime avec métabolisme anaérobie lactique. Le mérite d'une telle approche est d'être très claire et de proposer une représentation immé­diate de l'effort. Les valeurs d'intervention des différentes filières sont notifiées en fonction du temps (fig. 1). Les délais d'intervention de chacun des métabolismes énergétiques sont connus depuis de nombreuses années et les recherches dans le domaine de l'athlétisme nous offrent une échelle de temps pour caler chaque exercice sur l'axe pourcentage d'inter­vention des filières aérobie et anaérobie dans l'effort. Concernant l'escalade nous avons établi des moyennes de temps d'effort en entraînement sur des circuits types, caractéri­sés par le nombre de mouvements. Cette réflexion empirique sur l'expression des filières énergétiques correspond à la croyance actuelle dans le milieu. Cependant cette opi­nion largement partagée est contestable sur des nombreux points : il apparaît, comme je le démontrerai, que cette approche n'est pas valide dans notre discipline. Nous n'hésitons pas à affirmer que le schéma présenté est entièrement faux.

EPS № 276 - MARS-AVRIL 1999 15 Revue EP.S n°276 Mars-Avril 1999 c. Editions EPS. Tous droits de reproduction réservé

Page 2: LES FILIÈRES ÉNERGÉTIQUES EN ESCALADE

LA QUESTION DES QUALITÉS PHYSIQUES L'escalade mérite bien que nous l'abordions au travers des qualités physiques de force, résistance et endurance. Les facteurs influen­çant la force sont subordonnés à de nombreux paramètres qui dépassent la seule référence aux capacités de production d'énergie des cellules musculaires : typologie des fibres, surface de section du muscle, recrutement spatial et temporel, coordination intra et inter­musculaire. Les notions de « résistance » et « d'endu­rance » illustrent avec à propos notre ques­tionnement sur la place des filières énergé­tiques en escalade. Ces deux qualités se définissent comme la capacité à s'opposer à la fatigue. En cela nous comprenons qu'elles puissent s'exprimer au travers de l'ensemble des processus énergétiques. Elles sont clas­sées en deux types : globale ou locale. Cette distinction repose sur l'importance de la masse musculaire utilisée pour l'exercice. La résistance/endurance globale implique l'utilisation prioritaire d'au moins deux tiers des masses musculaires, entraînant par là la mise en jeu prépondérante des systèmes car-dio-vasculaire et respiratoire ainsi que des processus métaboliques. La résistance/endurance locale nécessite la mise en jeu restreinte des masses musculaires (moins d'un tiers), limitant ainsi l'effet des grandes fonctions sur l'organisme au profit d'adaptations principalement de types neuro­musculaires [11]. [9].

Un effort global ou local ? Compte tenu de la verticalité, des contraintes gravitaires du déplacement et de l'organisa­tion des parcours (dévers, surplomb, etc.), l'action de grimper impose à l'organisme une accumulation de fatigue. L'alternative du sommet ou de la chute est dépendante de la capacité physique à maintenir son effort jus­qu'au bout de l'itinéraire. La sollicitation de plus en plus importante des ceintures scapu-laire et pelvienne dans l'escalade actuelle, n'occulte pas que chuter dans une voie se tra­duit toujours par l'incapacité musculaire à tenir une prise pour aller chercher la suivante, même si cela est la résultante de diverses erreurs techniques et/ou tactiques. Le point névralgique se situe donc au niveau des muscles fléchisseurs de l'avant-bras et/ou du

bras et de leur capacité à produire jusqu'au sommet de contractions intenses et répétées. Dans un autre domaine, les études sur les stra­tégies motrices en escalade nous informent indirectement sur le type d'effort. Les travaux sur la prise d'information en escalade [3] ren­dent compte d'une séquencialisation du dépla­cement obligeant le grimpeur à avoir des mou­vements stables d'équilibration pendant lesquels il prend de l'information sur l'itiné­raire (± 70 9c) et des mouvements avec dépla­cement du corps effectif (± 30 %). L'alter­nance de ces deux états, plus la saisie alternative gauche/droite des prises classent incontestablement l'escalade parmi les disci­plines de type effort intermittent. Les caracté­ristiques de notre discipline, effort intermit­tent et fatigue locale, sont à l'opposé des disciplines dites « énergétiques » (athlétisme ou natation) où l'adaptation de l'organisme se réalise sur un mode cyclique pour un effort

global. C'est de fait un champ d'étude et d'ap­plication privilégié pour le modèle des filières énergétiques. A contrario, cela nous interdit d'y trouver une hypothèse explicative de l'ef­fort en escalade. Ces différentes pistes orien­tent notre champ d'investigation vers l'étude de la fatigue musculaire locale comme « amoindrissement de la capacité d'un muscle à générer un niveau de force » [1]. Cette approche offre des outils et des modèles tout à fait transférables à l'escalade.

LA FATIGUE MUSCULAIRE LOCALE

Dans cette optique, nous avons mis en place un protocole expérimental visant à étudier les effets de la fatigue chez des grimpeurs (flé­chisseurs des avant-bras) et à valider des outils d'analyse (électromyographie). Les sujets (n=13) font partie d'une population de volon­taires participant à un stage de l'équipe de France d'escalade. Après un échauffement standardisé sur ergomètre, chaque sujet exerce trois contractions isométriques maximales (FMV) sur la prise de l'ergomètre (prise de main reliée à un capteur de force) (dessin 1) afin de déterminer le 100 % de référence. Le test de fatigabilité consiste en une première traction isométrique sur la prise, à 60 9c de la FMV. et maintenue jusqu'à épuisement. Le sujet se repose 30 secondes et recommence immédiatement une nouvelle contraction iso­métrique à 60 9c de la FMV maintenue jus­qu'à épuisement. L'épuisement se définit comme l'impossibilité à maintenir une tension stable dans la fourchette des 60 %. ± 5 % (tableau 1). Nous constatons une différence significative (p=0.0001) entre le temps du premier effort (55 sec. 7) et le deuxième (32 sec. 9) faisant suite au repos de 30 secondes. L'exercice a bien occasionné une fatigue réduisant le temps d'effort de la deuxième contraction de 40 9c. Grâce aux techniques d'électromyographie (EMG) nous avons analysé l'activité élec­trique des muscles fléchisseurs des doigts, dans cette situation : - par un traitement temporel (RMS. fig. 2). caractéristique d'une augmentation de la solli-

Figure 1. La place des filières énergétiques en escalade

Tableau 1. Résultats au test sur ergomètre. Le 100 % FMV (Max) est en kg ; le temps du pre­mier effort (Ef. 1) et du deuxième effort (Ef. 2) sont en seconde ; le pourcentage de perte (perte) représente le rapport (Ef2-Ef1) / Ef 1 (Guidi. 1994).

16 Revue EP.S n°276 Mars-Avril 1999 c. Editions EPS. Tous droits de reproduction réservé

Page 3: LES FILIÈRES ÉNERGÉTIQUES EN ESCALADE

citation du muscle en vue de maintenir la ten­sion ; - par un traitement fréquentiel (MPF. fig. 3), la fatigue entraînant un glissement du spectre vers les basses fréquences.

Nous ne représenterons pas l'ensemble des résultats ici (1). La simple observation de ces deux tracés met en évidence qu'il y a une dif­férence significative du recrutement muscu­laire (p< 0.05) pour maintenir l'effort. Nous pouvons donc rendre compte et étudier les

processus de fatigue dans le fléchisseur com­mun superficiel des doigts chez le grimpeur. Dans cette condition expérimentale. la seule variable significative entre les individus, dans le maintien du deuxième effort, est la distinc­

tion groupe « entraîné » et groupe « pas entraîné ». La variable indépendante primor­diale dans ce cas. est le laps de temps de récu­pération de 30 secondes. Nous pouvons sup­poser que le test sur ergomètre discrimine majoritairement l'effet des facteurs de récupé­

ration, notion clé dans la préparation physique et extrêmement liée, justement, au niveau d'entraînement des athlètes [4]. Dans le groupe « entraîné » nous observons une corrélation avec les valeurs de force maxi­male. La tendance est la suivante : les sujets avec une FMV élevée, ont des chutes moins conséquentes de MPF dans le deuxième effort et donc souvent, mais non significativement, un temps de contraction plus court. Toutefois, l'effet sur le temps de contraction n'est pas direct car intervient ensuite l'entraînabilité du sujet et le type de travail qu'il favorise dans sa pratique (force/endurance de force). Suite à ces résultats de laboratoire, nous présenterons les résultats (valeurs moyennes) d'une étude de cas conduite sur le terrain (structure artifi­cielle d'escalade ou SAE) avec trois sujets, toujours de haut niveau, où nous avons : enre­gistré l'activité électrique du même groupe musculaire dans un test de force avant et après l'exercice : mesuré la lactatémie ; enregistré l'activité cardiaque. L'objectif était de décrire le processus de fatigue engendré par trois exercices différents, en condition « flash » (description de l'itinéraire pour centrer le pro­tocole sur les qualités physiques) réaliser :

- une voie (2) de 32 mouvements (7c/7c+), - un circuit, exercice continu de 62 mouve­ments (7c). - une série, exercice intermittent de trois répé­titions d'un itinéraire de 27 mouvements, - avant et après chaque exercice une suspen­sion sur une prise test (tableau 2). Sur le terrain, chacun des exercices corres­pond bien à une typologie d'efforts différents de par la qualité de la récupération, le nombre de mouvements à réaliser et le type de dépla­cement (traversée/voie) ; ce qui se traduit notamment par des vitesses d'exécution signi­ficativement différentes. Concernant l'obser­vation des descripteurs indirects du métabo­lisme, les courbes de fréquence cardiaque normalisée, la fréquence cardiaque maximale et moyenne, la lactatémie, il n'existe aucune différence significative entre les trois types d'exercices et les individus. Les exercices sont bien différents en terme d'objectif d'entraîne­ment mais ne produisent pas une réponse métabolique spécifique et observable. L'enregistrement EMG apparaît, quant à lui. comme un outil capable de discriminer plus précisément les effets de chacun des exer­cices. Car le test de suspension n'a également pas apporté de différence de performance significative entre avant et après les exercices (les temps de suspension étaient pratiquement équivalents), avec une présence de lactates toujours plus importante dans le deuxième test. Cependant, dans la condition « voie », avec l'EMG du test de force, nous observons les plus spectaculaires variations d'amplitude du signal EMG (RMS) lors de la suspension après l'exercice. Cela nous indique, que la situation « voie » occasionne une plus grande fatigue musculaire que les deux autres (fig. 4). bien qu'en moyenne ce soit l'exercice le moins producteur de lactates. Notre hypothèse explicative est la suivante : il existe deux para­mètres caractérisant l'exercice « voie » par rapport aux deux autres situations : une trajec­toire plus verticale (moins de déplacement en

Figure 2. Traitement temporel Figure 3. Traitement séquentiel

Tableau 2. Résultats aux trois exercices. Le temps d'escalade est en seconde (Temps/s) : Nb mvts indique le nombre de mouvements réalisés ; la fréquence est donnée par 1 mouvement par n seconde (mvt/s) ; la fréquence cardiaque est normalisée par rapport à la FqC de repos (FCn) ; la lactémie est donnée en mmol.l (lact.Pic) (Guidi, 1994).

EPS N° 276 - MARS-AVRIL 1999 17 Revue EP.S n°276 Mars-Avril 1999 c. Editions EPS. Tous droits de reproduction réservé

Page 4: LES FILIÈRES ÉNERGÉTIQUES EN ESCALADE

traversée et plus en montant) et une fréquence de déplacement plus lente. Ces résultats mettent en évidence que le travail musculaire des avant-bras est plus sollicitant dans la condition « voie » que dans la condition « pan » (3), pour un même niveau de difficulté et ce. quelle que soit l'intensité des circuits sur pan. Cela ne fait que confirmer l'idée qu'un déplacement principalement en traversée, même s'il présente de nombreuses montées et descentes, reste moins sollicitant musculaire-ment qu'un déplacement principalement ascen­dant. En effet, dans des circuits de pan. 50 % au mieux du travail des muscles fléchisseurs des doigts s'exécute en suspension et/ou flexion du bras avec l'épaule au niveau du poignet, contrairement à un déplacement ascendant qui impose par le fait même de monter vers l'autre prise, un travail prédominant de l'épaule, voire du coude, au-dessus de la main. Au-delà du temps de contraction qui est généralement plus long, c'est l'augmentation des tensions muscu­laires par l'accroissement des bras de leviers sur le point d'application de la force (extrémité digitale), déplacement vertical oblige, qui serait l'explication de la différence de sollicitation entre le pan et le mur.

ET MAINTENANT ? L'approche de l'effort en escalade au travers du modèle des filières énergétiques et de ces descripteurs externes (lactates et fréquence cardiaque) n'apparaît pas être valide comme hypothèse explicative des processus de fatigue dans notre discipline. Le recueil d'informations sur la lactatémie sanguine dans divers protocoles escalade non publiés à ce jour donne une fourchette moyenne de 5 mmol/l. Ce qui peut paraître important au regard de la masse musculaire des avant-bras, mais qui semble faible lorsque l'on considère l'inten­sité et le temps des efforts requis (ex : 23 mmol/l pour 1500 m en 3 mn 45 s et 5 mn pour des finales en escalade). N'omettons pas de rappeler le travail important des muscles des ceintures scapulaire et pelvienne qui pro­duisent également du laetate. D'autres limites sont à apporter concernant l'usage des valeurs de la lactatémie : elles sont très sensibles aux conditions d'alimenta­tion, notamment au niveau de la glycémie qui varie énormément dans la journée [6]. Les valeurs lactiques les plus élevées sont tou­jours relevées lors des fins de journées de compétition ou dans les derniers exercices des protocoles expérimentaux. Dans notre condition de test sur SAE. décrite plus haut, les valeurs de laetate ne sont pas liées à l'exercice mais à l'ordre de passage : c'est dans le troisième exercice quel qu'il soit (voie, série ou circuit), que les pics de lactates sont les plus importants. L'augmentation des pics de laetate peut être prioritairement liée à l'accumulation d'une fatigue journalière et à l'alimentation faisant défaut, plus qu'à une sollicitation plus importante du métabolisme anaérobie lactique. Décrire l'effort en escalade nous oblige à nous recentrer sur ce qui est essentiel dans notre discipline : tenir les prises ! Cette action est typiquement une contraction isométrique des fléchisseurs des doigts. Dans ce cas d'exercice local, la capacité de travail est limitée par l'in­suffisance du débit sanguin. En effet, une

contraction isomé­trique produit une ischémie limitant ou bloquant la circula­tion locale. Ce mécanisme abou­tit en fin de compte à une baisse du pH intra cellulaire res­ponsable d'une alté­ration du couplage excitation/contrac­tion de la cellule musculaire |7|. Cette baisse du pH long­temps associée à l'augmentation de la lactatémie. est due en fait, pour une infime partie, à Pari-dose lactique résul­tant de la contraction musculaire, d'autant plus infime, que pour majorité, l'acide lac­tique est tamponné par la cellule muscu­laire [12]. Ce facteur

d'ischémie expliquerait aussi l'augmentation de la puissance du signal EMG que nous avons observé (cf. fig. n° 2 et n° 4), cardans le cas d'un travail isométrique d'un muscle dis-tal (fléchisseurs des doigts), le recrutement de nouvelles fibres ne peut pas expliquer cette augmentation du signal du fait que toutes les fibres sont recrutées à partir de ± 25 % de la FMV. Par son approche expérimentale du maintien d'une force en condition isométrique, le champ de la fatigue locale nous ouvre de nou­velles perspectives. Les notions de force cri­tique, seuil d'apparition de la fatigue, et conditions de circulation sanguine sont au centre du débat. Notons que dans les condi­tions d'activité isométrique intermittentes, la force critique est d'autant plus élevée que la durée des repos intercalaires est grande [2]. Cela va dans le sens de ce que nous avions mis en avant concernant l'intérêt des effets de la récupération comme variable discriminant un groupe « entraîné » et « pas entraîné » lors de notre test sur ergomètre. Concernant notre discipline, le modèle de la fatigue périphérique nous semble être plus heuristique que celui des filières énergétiques. Au sujet des procédures d'entraînement phy­sique nous proposons schématiquement trois axes : - élévation de la force critique, travail à haute intensité, - renforcement des conditions d'ischémie, contrôle de la fréquence de déplacement, - renforcement des facteurs de récupération, continuité et « footing vertical ».

FICHES EXERCICES L'augmentation du seuil de force critique passe par un renforcement musculaire des avant-bras, soit par des exercices spécifiques

Figure 4. Courbe du signal électrique du FCP en valeurs RMSn lors du test avant (Ef1 ) et du test après (Ef2) dans la situation de voie (Guidi. 1994).

18 Revue EP.S n°276 Mars-Avril 1999 c. Editions EPS. Tous droits de reproduction réservé

Page 5: LES FILIÈRES ÉNERGÉTIQUES EN ESCALADE

(blocs intenses de 4 à 6 mouvements), soit par des exercices orientés (poutre de musculation, pan « Gullich »). Nous proposons quelques principes simples sur pan Gullich pour construire des exercices en restant dans la dominante force (tableau 3). Il est classique de déterminer un niveau de force des fléchisseurs des doigts par le contrôle du temps de suspension sur des prises de plus en plus petites. Il est moins courant de tester le niveau résistance à la fatigue ou d'évaluer les capacités de récupération. Pour ce faire, il est bien sûr possible de reproduire le test présenté dans cet article, encore faut-il posséder un capteur de force.

EPILOGUE Fidèles à nos principes sur la préparation spor­tive du grimpeur |7|. nous terminerons cet exposé en recadrant la place de l'énergétique dans tin éclairage général sur l'organisation des structures et des capacités de performance en escalade sportive (fig. 5). La pyramide de la performance se lit de bas en haut : du géné­tique vers ce qui est appris et entraînable : la pratique de l'escalade. Chaque étage est un filtre décisif pour l'étage supérieur, jusqu'à la réussite accomplie et librement choisie (com­pétition, performance en falaise, aventure...). Le mental, les facteurs techniques et lactiques.

interagissent sur les qualités physiques : une performance sportive en escalade n'est jamais l'expression directe du niveau de force et d'endurance.

Olivier Guidi Conseiller technique régional FFME.

Notes (1) Vous trouverez des informations détaillées sur cette élude en consultant le site internet du pôle France escalade à l'adresse suivante : « http://perso.vvanadoo.fr/centre.esca-lade». (2) Voie : structures hautes avec corde. (3) Pan : ministructures d'escalade sans corde. Bibliographie [1] Bigland-Ritchie (B.) and Woods (J.J.). «Changes in muscle contractile properlies and neutral control during human muscular fatigue». Muscle Hervé. nc 7. pp. 691 -699. 1984. |2| Bouissel (S.). Maton (B). Muscles, posture et mouve­ment. Paris. Hermann. 1995. (3] Dupuy (C). Ripoll (H). « Analyse des stratégies visuo-motriecs en escalade sportive ». Revue Sciences et motri­cité. n° 7. pp. 19-26. 1989. [4] Fetrand (A.t. Lemoine (J.) Grimper! Paris. Arthaud. 1985. [51 Fox (E.) et Mathews (D.). Bases physiologiques de l'ac­tivité physique. Montréal. Décarie, 1984. |6| Fréminet (A.), Megau (P.). « Le métabolisme du lae­tate : donnée élémentaire et variations sur le thème ». Sciences et sports, n° 8. pp. 137-162. 1993. |7] Guidi (O.). Finaliser la préparation en escalade, in Revue ERS. n° 240. pp. 27-30. 1993. |8] Guidi (O.). La fatigue musculaire locale en escalade sportive. Mémoire lie DEA. université de Marseille. Luminy. 1994. [9] Manno (R.). « Les bases de l'entraînement sportif », éd. Revue EP.S. Paris. 1992. [10] Nadeau (S.). Bilodeau (M.). Deliste (A.). Chmiele-wiski (W.). Bertrant Arsenal (A.) et Gravel (D.). «The influence of (he type of contraction on the masseter muscle EMG power speclrum ». J Elettnmnographie and kinesio-logy. 3, 4. pp. 205-213. 1993. [11] Pradet (M.). « Les qualités physiques et leur entraîne­ment méthodique ». In M.-H. Brousse, B. During. J.-M. Le Chevalier, M. Pradet (Eds.), Énergie et conduite motrice. pp. 80-113, Paris INSEP. 1989. [12] Perronet (F.). « Signification et limites de la lactatémie dans le contrôle de l'entraînement ». In G. Cazorla et al. Acte du 3ème colloque international de la Guadeloupe : entraînement, surentraînement, désentraînement. pp. 209-226. Cestas : AERAPS. 1994.

Tableau 3. Exercices

Tableau 4. Tests

Figure 5. La pyramide de la performance en escalade (O. Guidi. 1995).

EPS N 276 - MARS-AVRIL 1999 19 Revue EP.S n°276 Mars-Avril 1999 c. Editions EPS. Tous droits de reproduction réservé