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Revue belge de philologie et d'histoire Les Indo-Européens et l'archéologie protohistorique d'après M. Bosch-Gimpera Jean Loicq Citer ce document / Cite this document : Loicq Jean. Les Indo-Européens et l'archéologie protohistorique d'après M. Bosch-Gimpera. In: Revue belge de philologie et d'histoire, tome 41, fasc. 1, 1963. pp. 112-134. doi : 10.3406/rbph.1963.2458 http://www.persee.fr/doc/rbph_0035-0818_1963_num_41_1_2458 Document généré le 27/09/2015

Les Indo-Européens et l'archéologie protohistorique d'après M. Bosch-Gimpera

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Les Indo-Européens et l'archéologie protohistorique d'après M. Bosch-Gimpera

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Revue belge de philologie etd'histoire

Les Indo-Européens et l'archéologie protohistorique d'après M.Bosch-GimperaJean Loicq

Citer ce document / Cite this document :

Loicq Jean. Les Indo-Européens et l'archéologie protohistorique d'après M. Bosch-Gimpera. In: Revue belge de philologie et

d'histoire, tome 41, fasc. 1, 1963. pp. 112-134.

doi : 10.3406/rbph.1963.2458

http://www.persee.fr/doc/rbph_0035-0818_1963_num_41_1_2458

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BIBLIOGRAPHIE — BIBLIOGRAFIE

LES INDO-EUROPÉENS ET L'ARCHÉOLOGIE PROTOHISTORIQUE

D'APRÈS M. BOSCH-GIMPERA

Depuis plus d'un siècle, l'étude systématique des ressemblances qu'offrent entre elles, dans leur vocabulaire et dans leur structure grammaticale, un certain nombre de langues du continent eurasiatique a abouti à la constitution d'une théorie comparative de ces langues fondée sur le principe de leur parenté génétique, c'est-à-dire de leur filiation à une langue commune différenciée au cours de l'histoire: Γ «indo-européen». On s'est interrogé sur la nature précise du phénomène historique que recouvre cette expression, ainsi que sur les conditions dans lesquelles s'est accomplie la diffusion de cette langue commune à travers une aire si vaste qu'elle occupait, dès l'aube des temps historiques, la plus grande partie de l'Europe et une notable partie de l'Asie. Linguistes et historiens n'ont cessé de se préoccuper de ce problème. Y a-t-il eu, à une période de la préhistoire, un peuple, une « nation» indo-européenne et queb pouvaient bien être ses caractères archéologiques et anthropologiques lorsqu'elle s'est fractionnée en unités distinctes ? Il était légitime de poser en termes d'histoire une question suscitée au premier chef par des faits linguistiques. D'une part en effet, les ressemblances de structure entre les différentes langues indo-européennes sont de telle nature qu'il n'est pas possible de les considérer comme fortuites et de les expliquer sans recourir à l'hypothèse d'une langue commune initiale dont elles ne seraient que les transformations diverses ; et c'est là le principe de la parenté génétique — on peut concevoir d'autres types de parenté — des langues, qui, comme les linguistes sociologues de l'école française l'ont affirmé avec force à la suite d'Ant. Meillet, est un fait historique : la continuité d'une tradition. D'autre part, une langue ne se conçoit pas sans un peuple qui la parle, et la diffusion d'une langue suppose nécessairement la diffusion d'une civilisation. Le latin de Rome ne s'est imposé aux diverses nations de l'Italie et, plus tard, de l'Europe occidentale qu'en même temps que s'imposaient à elles, par voie de conquêtes militaires et de colonisation, un certain type d'organisation politique et sociale, des conceptions religieuses, une forme particulière de civilisation matérielle. De quelque manière qu'on se représente la dispersion des langues indo-européennes, il est licite de supposer qu'elle s'est accompagnée de phénomènes historiques. Mais la nature de

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ces phénomènes peut — l'expérience de l'histoire le montre à l'évidence — varier d'une manière considérable.

De multiples efforts ont été faits pour reconstituer, en combinant les résultats de la linguistique, de l'archéologie et de l'anthropologie, la suite des événements qui ont abouti à la formation des peuples connus par l'histoire comme parlant une langue indo-européenne. On a pu écrire en Allemagne des livres entiers sur la civilisation matérielle des Indo-Européens, sur la région d'Europe ou d'Asie où il convenait de placer leur habitat primitif et le centre de leur dispersion : on connaît, pour ne rappeler que ceux-là, les travaux d'O. Schrader, de S. Feist, de H. Hirt. Jamais, on n'a pu aboutir qu'à des hypothèses fragiles, qu'à des résultats contradictoires et constamment sujets à révision, si bien qu'en 1933, dans un article de L'Anthropologie où il définissait les positions respectives des linguistes, des préhistoriens et des anthropologues, A. Meillet faisait cette constatation décevante : « En somme, faute de renseignements utilisables, la linguistique ne rejoint pas les résultats de l'archéologie préhistorique» (*).

Par l'étude attentive des vestiges matériels (usages funéraires, armes et outils, types de céramique et formes du décor, etc.), les préhistoriens étaient parvenus à tracer un tableau riche et complexe des civilisations qui se sont succédé sur le sol de l'Europe et de l'Asie depuis l'époque paléolithique jusqu'au premier âge du Fer. Les linguistes comparatistes étaient, de leur côté, arrivés à certaines conclusions, fragmentaires et schématiques, sur l'état de civilisation supposé par l'indo-européen commun ainsi que sur le sens et l'origine des mouvements qui ont diffusé l'indo-européen en Europe et en Asie. Mais le tableau du passé linguistique de l'Europe restait, pour une très large part, différent de l'image du passé culturel et ethnologique tel que les travaux des préhistoriens et des anthropologues permettaient de se le représenter. En particulier, les grands courants de civilisation qui ont répandu les langues indo-européennes ne se laissaient traduire par aucune donnée archéologique précise : le problème des Indo-Européens tel qu'il se posait aux linguistes restait un problème plus linguistique qu'archéologique et qu'ethnologique.

Il n'y a pourtant qu'une réalité historique. Mais il ne dépendait ni des préhistoriens ni des comparatistes qu'une communauté de langue signifie nécessairement unité de civilisation, qu'une civilisation matérielle coïncide toujours avec une unité anthropologique. Pour arriver à une description précise et complète du passé de l'Europe préhistorique, il fallait que les linguistes revisent leurs schémas à la lumière des faits archéologiques, que les archéologues, préhistoriens et protohistoriens, tiennent compte de leur côté des résultats de l'analyse linguistique. Or, dans les trente dernières années, on le sait, la grammaire comparée des langues indo-européennes a considérablement

(1) A. Meillet, Linguistique et anthropologie, dans L'Anthropologie, XLIII (1933), p. 43, reprod. Linguist, hist, et linguist, gén., IF (Paris, 1938), p. 86.

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assoupli ses conceptions. Elle a bénéficié du magnifique développement de la linguistique générale et de l'expérience acquise dans l'étude des autres langues du Monde. Elle s'est avisée que l'indo-européen théorique des reconstructions devait être envisagé non comme une langue une, mais comme une langue déjà fractionnée en dialectes ; et l'on a ainsi introduit en grammaire comparée la réalité géographique (*). Entre le moment où se sont détachées les langues les plus archaïques du domaine et celui où sont parties les dernières expéditions, ce qui restait de l'indo-européen commun n'a cessé d'évoluer : à la dimension géographique, on a ajouté, parfois substitué, la perspective historique, et M. É. Benveniste a même pu écrire que le problème de la dialectologie de l'indo-européen est avant tout un problème de chronologie (2). La théorie des conservatismes périphériques, signalée par Meillet et J. Vendryes, a été développée et systématisée par M. Bartoli et l'école italienne ; elle conduisait à reporter très loin dans le temps (avant 3000 av. J.-C. ?) la conception d'un indo-européen archaïque unitaire, et précisait certaines modalités historiques de sa diffusion. On a porté l'attention sur des phénomènes particuliers comme les substrats, les développements parallèles, les faits de convergence ; la notion de parenté linguistique s'est assouplie, enrichie, adaptée à des situations historiques singulières (3), et la vision que se font les linguistes du processus de formation des langues indo-européennes s'est trouvée radicalement transformée. Des savants comme C. C. Uhlenbeck ou M. V. Pisani ont même pu soutenir qu'il n'a jamais existé de langue indo-européenne commune, et encore moins d'unité indoeuropéenne de civilisation ; les différents « dialectes» indo-européens n'ayant acquis leurs ressemblances de structure qu'à la suite d'un très long voisinage préhistorique, les différentes isoglosses se seraient propagées de l'un à l'autre de deux groupes limitrophes de parlers sans qu'il faille recourir à l'hypothèse de migrations massives ni même à celle d'une domination de populations allogènes par une « aristocratie » indo-européenne, qui aurait imposé sa langue et un certain nombre de conceptions sociales et religieuses (4).

(1) On rappellera ici les travaux de Meillet, de MM. Bonfante, Porzio, Pisani sur la dialectologie indo-européenne.

(2) É. Benveniste, Tokharien et indo-européen, dans la Festschr. H. Hirt, II (Heidelberg, 1936), p. 228.

(3) Sur la notion de parenté linguistique et la diversité des faits historiques qu'elle recouvre, on relira les pages lumineuses de Meillet, reprod. dans Linguut. hüt. et linguist, gén., t. I et II. — Pour l'orientation plus récente du problème, voir p.ex. V. Pisani, Parenté linguistique, dans Lingua, III (1952), pp. 3-16, et La question de V indo-hittite et le concept de parenté linguistique, dans Arch. Orientâlni, XVII (1949), pp. 251-264; ces deux art. sont repr. dans Saggi di linguist, storica (1959), resp. pp. 29-42 et 43-60 ; É. Benveniste, La classification des langues, dans Conf. de l'Inst. de ling. Univ. Paris, XI (1952- 1953), pp. 33-50.

(4) On trouvera le bilan détaillé des recherches récentes sur le problème indo-euro-

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Thèse radicale qui exclut à peu près entièrement le principe des migrations de peuples. Dans la préhistoire comme aux époques historiques, les mouvements migratoires, les conquêtes militaires et les colonisations ne manquent pourtant pas. Certains peuples, comme les Germains, ont été en mouvement dès le premier âge du Fer et ne se sont stabilisés définitivement qu'à l'époque moderne ; l'histoire elle-même a gardé le souvenir des migrations indo-âryennes vers le bassin de Γ Indus et du Gange, de l'expansion achéenne du IIe millénaire et de la colonisation grecque du Ier millénaire sur tout le pourtour de la Méditerranée ; l'Amérique n'a pas cessé d'être colonisée massivement par l'Europe, depuis le xvne s. jusqu'au milieu du xixe. L'exemple des Turcs montre d'une manière frappante qu'un peuple peut émigrer à des milliers de kilomètres de distance : des Tou-kioue de l'histoire chinoise aux Ottomans de notre histoire moderne, il y a l'immense steppe asiatique ; il s'agit pourtant du même groupe ethnique. Or, précisément, l'étude de la préhistoire et de la protohistoire du continent eurasiatique a fait en une vingtaine d'années d'immenses progrès. Les découvertes archéologiques, les travaux de détail ou de synthèse se sont multipliés. On sait aujourd'hui que l'extraordinaire enchevêtrement des types ethniques, des cultures matérielles, des langues et des religions offert de nos jours par l'ancien monde n'est pas le résultat d'une complication croissante des faits historiques, mais que la même complexité existait déjà à l'époque mésolithique, vers le VIIe millénaire. Le problème des Indo-Européens, qui avait souvent été négligé jusque là par les archéologues, s'est éclairé d'un jour nouveau. Des conceptions nouvelles se sent introduites sur les relations entre l'outillage, les techniques et l'histoire des sociétés. Ainsi, récemment, Mme P. Laviosa Zambotti a montré comment les migrations indo-européennes sont déterminées par l'attraction traditie n- nelle qu'exercent sur les peuples pasteurs, nomades et conquérants, les peuples agriculteurs sédentaires, à civilisation très développée (*). M. A. Va- ragnac a souligné de son côté l'importance du passage brutal d'un statut technique archaïque à un statut de beaucoup supérieur, déterminant chez lesjpopulations qui le détiennent un accroissement démographique rapide qui les voue à l'éclatement et à la dispersion (2). Le problème se trouvai

péen dans le chap, de M. V. Pisani, Indogermanische Sprachwissenschaft, dans V. Pisani et J. Pokorny, Allgem. und vergl. Sprwiss., Indogermanistik, Keltohgie (Berne, 1953), pp. 43 et suiv. ; le problème historique des Indo-Européens est traité pp. 75-88. L'orientation récente de la grammaire comparée a fait l'objet d'un article bref, mais très clair, de M. M. Leroy, Aspects récents de la linguistique indo-europ., dans Phoibos, VIII-IX (1953- 1955), pp. 23-35.

(1) Voir entre autres P. Laviosa Zambotti, L·s origines et la diffusion de la civilisation, tr. fr. (Paris, 1949), pp. 296 et suiv.

(2) A. Varagnac, Les phénomènes techno-biologiques, dans Hommage à L. Fèbvre. Éventail de Vhistoire vivante, I (Paris, 1953), pp. 79-80 ; cf. aussi Id., De la Préhistoire au monde moderne. Essai d'une anthropodynamique (Paris, 1954), pp. 139 et suiv.

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entièrement renouvelé. Mais il attendait un savant assez courageux et assez puissant pour le reprendre dans son ensemble.

M. P. Bosch-Gimpera, aujourd'hui professeur à l'Université de Mexico, a consacré l'essentiel de son activité scientifique à l'étude de la préhistoire et de l'anthropologie de l'Europe occidentale et particulièrement de la péninsule ibérique. Il s'est attaqué notamment au difficile problème des migrations des Celtes, et il a fait connaître le résultat de ses recherches dans une série d'articles parus de 1950 à 1955 (x). En 1960, il a publié à Mexico un ouvrage où il a repris, depuis le début, l'ensemble de la question indoeuropéenne. Ce livre, écrit en espagnol, n'aurait pas eu en Europe et dans les pays de langue française la diffusion qu'il mérite si M. R. Lantier, l'ancien conservateur du Musée de Saint-Germain-en-Laye, n'en avait donné tout récemment une traduction française (P. Bosch-Gimpera, Les Indo-Europêens. Problèmes archéologiques. Préface et traduction de R. Lantier, Paris, Payct, 1961 ; in-8° de 293 pp. et 10 cartes). C'est du livre dans son adaptation française qu'il sera question ici.

M. Bosch-Gimpera a conçu son livre de la manière la plus ample. D'abord, il a tenu grand compte des travaux des linguistes ; mieux, il s'est, corr me l'indique le titre, posé le problème d'ensemble dans les termes où se le posent d'ordinaire les linguistes. Archéologue et préhistorien, M. Bosch-Gimpera aura droit ainsi à la reconnaissance des comparatistes ; mais les préhistoriens ne lui sauront pas moins gré de leur faire connaître, en les plaçant dans une perspective susceptible de les intéresser, les apports de la linguistique. Ensuite, Péminent professeur de Mexico n'a pas cru devoir se limiter aux époques immédiatement protohistoriques — celles auxquelles se réfèrent en principe les reconstructions des linguistes — , mais il a tenu à reprendre les faits là où l'histoire des sociétés humaines de l'Europe et de l'Asie occidentale permet de remonter sans qu'on rencontre une rupture brutale dans )es conditions climatiques, dans le milieu naturel et dans les grands types anthropologiques. Son enquête commence donc au sortir du Paléolithique supérieur, ou, en termes géologiques, dès l'époque postglaciaire (holocène). La position doctrinale de M. Bosch-Gimpera sur la formation des peuples indo-européens n'est ni entièrement radicale ni tout à fait conservatrice, mais souple et nuancée ; c'est celle d'un savant qui a le sens des sociétés et des faits historiques.

Le tableau des faits tel qu'il ressort de l'exposé de M. Bosch-Gimpera est infiniment complexe et, parfois, réellement difficile à saisir parce qu'il n'a rien de dogmatique et demeure très près des données. Il ne tenait pas à

(1) P. Bosch-Gimpera, Les migrations celtiques. Essai de reconstitution, dans Études Celtiques, 1950-1955.

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l'auteur qu'il ne comporte encore une grande part d'hypothèse et qu'il ne soit appelé à être rectifié sur plus d'un point dans les années à venir. Mais on a le sentiment que, grâce à l'ampleur exceptionnelle de son information, à son souci d'éviter tout apriorisme rigide, cet ouvrage est l'essai de synthèse à la fois le plus vigoureux et le plus probe qui ait paru depuis longtemps sur l'ensemble de cet irritant problème.

Le livre s'organise autour de deux articulations majeures. Dans une première partie, l'auteur examine d'abord les grandes données

archéologiques et les interprétations qu'elles ont suscitées : la civilisation mégalithique nordique et les vues de G. Kossinna qui ont longtemps dominé les conceptions allemandes ; les théories danubiennes et centre-européennes (idées de Gordon Childe sur l'identité des Indo-Européens avec les peuples guerriers des sépultures à ocre des steppes russes et de la hache de combat) ; la civilisation des tumulus (Hügelgräber) et la formation des peuples occidentaux (Proto-Celtes de l'âge du Bronze) ; la civilisation des « champs d'urnes» (Urnenfelderkultur), faisant suite à la précédente, et le développement de la civilisation de la Lusace, à la fin de l'âge du Bronze et au début de l'âge du Fer. Le problème est ici de grande importance parce que les civilisations en cause sont tenues depuis longtemps comme appartenant à des populations de langues indo-européennes, et l'auteur, avec raison, le discute longuement. On lira avec intérêt les pages instructives (27 et suiv.) où sont examinées les relations entre les civilisations des champs d'urnes et la civilisation lusacienne et les nombreuses interprétations historiques divergentes dont elles ont été l'objet. On sait que sur ce point l'opinion de l'auteur n'a pas varié : la civilisation des champs d'urnes continue la civilisation des tumulus modifiée par la civilisation lusacienne ; elle serait celtique, non illyrienne comme l'ont soutenu plusieurs savants. Quant à la civilisation de Lusace, qui s'est développée à l'Ouest de la civilisation des urnes, M. Bosch- Gimpera met en doute son caractère illyrien, affirmé entre autres par M. H. Krahe et J. Pokorny, qui y ont cherché le support archéologique d'une civilisation indo-européenne d'Europe centrale établie linguistiquement par la toponymie. L'auteur discute ensuite longuement les vues de MM. K. JazdSewski et T. Lehr-Splavinski, qui ont soutenu récemment l'appartenance aux Proto-Slaves de la civilisation de Lusace, sur la base de certaines ressemblances avec la civilisation matérielle des Slaves historiques. P. 33 et suiv., on trouvera un exposé rapide des théories anthropologiques et racistes sur la «race nordique»; l'auteur rappelle utilement combien ces conceptions néfastes ont inspiré les articles anthropologiques du recueil offert en 1936 à Hermann Hirt.

M. Bosch-Gimpera passe ensuite à l'examen, particulièrement délicat, de l'origine des peuples italiques. Un résumé est donné pp. 39-48 de l'évolution des idées relatives aux peuplements protohistoriques de l'Italie, depuis les théories classiques de L. Pigorini et de F. von Duhn, aujourd'hui aban-

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données, jusqu'à celles, toutes récentes, mais en partie contradictoires, de M. Pallottino et de Mme Laviosa Zambotti ; il intéressera tous les historiens des origines romaines. M. Bosch-Gimpera a eu la patience de s'informer des nombreux systèmes proposés par les protohistoriens et les linguistes italiens, et il s'est efforcé de définir en quelques mots leurs positions. Je dois avouer que ces positions paraissent souvent malaisées à saisir. Mais on saura gré à l'auteur d'avoir consacré plusieurs pages à exposer les vues assez complexes de Mm e Laviosa Zambotti (migrations « italiques » en plusieurs temps) et celles, radicales et révolutionnaires, de M. Pallottino (Italiques venus par mer, progressant en Italie en direction Est-Ouest et porteurs de la civilisation apenni- nienne du Bronze). On regrettera que l'auteur n'ait pu prendre connaissance du livre hardi et discutable, mais suggestif, que M. S. M. Puglisi a consacré en 1959 à l'ensemble de la civilisation apenninienne (x), dans lequel il cherche à établir que cette civilisation a été apportée par des communautés nomades à la fois pastorales et guerrières progressant vers l'Est, à l'époque cuprolithique, et s'infiltrant chez les populations agricoles restées néolithiques.

M. Bosch-Gimpera passe ensuite en revue les positions de quelques grands comparatistes sur le problème historique des Indo-Européens. On verra avec quel soin et avec quelle ampleur de vues l'auteur s'est informé des travaux de linguistes comme S. Feist, comme P. Kretschmer, C. C. Uhlen- beck, A. Meillet, M. H. Krahe. On trouvera aussi quelques pages intéressantes sur les vues actuelles des préhistoriens et des ethnologues soviétiques (comme M. Brjussov), qui mettent les phénomènes migratoires en rapport avec le développement des moyens de production et l'accroissement démographique qui caractérisent les sociétés agricoles passant au stade extensif.

Quelques pages liminaires, débouchant sur la seconde partie de l'ouvrage, définissent en termes excellents les données méthodologiques du problème. M. Bosch-Gimpera déclare franchement que l'étude de la protohistoire indo-européenne traverse une crise (2), bien que les principes comme les résultats de la grammaire comparée, la communauté de certains traits de l'organisation sociale et de l'idéologie religieuse ne puissent être mis en question (3). La position préalable de M. Bosch-Gimpera est saine, on l'a

(1) S. M. Puglisi, La civiltà appenninica. Origine délie communità pastorali in Italia (Pub. de Ylst. di Preist, e di Protost., Florence, 1959).

(2) « Si les langues des peuples dits Indo-Européens ont une parenté effective et si, dans leur organisation familiale, sociale et politique, on peut relever des traits communs, il n'en est pas moins vrai que depuis un certain temps, l'identification anthropologique de ces groupes aussi bien que les essais d'interprétation de ces mêmes affinités traversent une crise» (p. 97).

(3) On regrettera que les données religieuses n'aient pas été utilisées par M. Bosch-

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vu. Elle peut se résumer en quelques lignes : la recherche d'un peuple indoeuropéen primitif (Urvolk), d'un berceau unique (Urheimat) est illusoire ; au fur et à mesure qu'on remonte dans la préhistoire, les peuples et les civilisations présentent toujours la même complexité ; toujours ils apparaissent comme des résultantes de processus historiques singuli ers, souvent compliqués et mettant en cause des composantes ethniques — et linguistiques (x) — d'origines très diverses. Il résulte de là que le véritable problème qui se pose à l'historien comme au linguiste est celui de la formation des groupements ethniques et des groupements linguistiques. Un peuple, une langue ayant toujours derrière soi une tradition, la question de leur origine est sans portée scientifique.

La partie la plus originale du livre de M. Bosch-Gimpera est occupée par le chapitre intitulé Le cadre archéologique et historique de la discussion: essai d'explication du problème indo-européen. Il comporte une série de 10 cartes hors texte montrant la situation de l'Europe et de l'Asie Mineure depuis le Mésolithique II (6500-5000 av. J.-C.) jusqu'au début du deuxième âge du Fer (époque de La Tène, env. 500-400 av. J.-C).

L'auteur décrit d'abord les divers courants de civilisation, de provenance diverse, qui apparaissent dès le Mésolithique et qui donneront à l'Europe sa physionomie néolithique. Sans doute, il ne saurait être question d'attribuer à telle ou telle culture mésolithique un caractère indo-européen ; mais on peut admettre que c'est à partir de groupements qu'on voit s'organiser à cette époque, à travers des vicissitudes de toute sorte, que s'opère une 1er. te gestation qui, à l'époque suivante, donnera naissance aux ethnies asianique et méditerranéenne, sémitique et chamitique, finno-ougrienne et ouralo-

Gimpera. Sans doute, son livre se propose avant tout de reconstituer Yhisto ire des mouvements indo-européens, non la civilisation des Indo-Européens à un moment donné de la préhistoire. Mais certains résultats des recherches qu'a si courageusement menées M. G. Dumézil depuis plus de vingt ans peuvent dès à présent passer pour acquis, et les historiens qui tenteront de reconstituer la préhistoire des peuples italiques, celtiques, germaniques et indo-iraniens ont désormais à en tenir compte comme d'un facteur historique essentiel. Sauf erreur, le nom de M. Dumézil ne figure pas dans le livre de M. Bosch-Gimpera.

(1) Sans doute, mais on fera immédiatement remarquer que le langage, par définition, ne se prête pas à des mélanges, sinon dans des conditions tout à fait particulières. Les types anthropologiques, les groupements ethniques, dans une mesure moindre les civilisations matérielles, les conceptions religieuses peuvent s'interpénétrer et se fondre intimement pour donner naissance, après une période de réélaboration, à des complexes historiques nouveaux. Les langues se substituent les unes aux autres, elles ne s'interpénétrent pas. Ce qu'on a appelé les langues mixtes, comme le sorabe de Lusace ou le tsigane d'Arménie, est limité à des cas historiques ou sociologiques très particuliers. En dépit de ce que pensent aujourd'hui beaucoup de linguistes, l'anglais moderne n'est pas une langue mixte et le problème des substrats est tout autre chose.

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altaïque : les Asianiques (Hourrites, Sumériens) en Mésopotamie, en Syrie du Nord, en Asie Mineure et en Iran, avec des pénétrations dans le Caucase d'où sortirent peut-être les peuples caucasiques historiques, et dans l'Inde où ils ont pu être l'un des composants du complexe dravidien ; les Sémites, sans doute d'abord en Arabie, se répandant vers la Mésopotamie, la Syrie et la Palestine ; les Chamites, descendants de la vieille civilisation atérier ne du Sahara ; les Finno-Ougriens et les peuples ouralo-altaïques, issus de formations ethniques eurasiatiques développées du Nord de la Scandinavie à l'Altaï, se stabilisant sur une région plus vaste encore, en Sibérie du Nord et en Baïkalie, voire sur les terres arctiques du Nord-Est et de l'Amérique (1). En Europe, ce n'est que d'une manière très partielle qu'il est permis de supposer que la propagation de cultures déterminées ait été le fait de mouvements massifs de populations. Souvent, les anciens groupes paléolithiques ont persisté, adaptant leurs modes de vie aux nouvelles conditions climatiques. La formation des ethnies européennes a été beaucoup plus lente (p.ex. en Italie). Çà et là apparaissent pourtant des éléments nouveaux (aboutissant p.ex. à la civilisation maglemosienne du Nord). En conclusion, «l'ensemble des groupes mésolithiques européens représenterait les différentes formations ethniques, diversement métissées, dont certaines seront plus tard appelées à entrer dans la famille des peuples indo-européens, alors que d'autres conserveront leur indépendance» (2). Sur le plan linguistique, M. Bosch-Gimpera admet que, s'il est vrai — mais ceci apparaîtra aventuré à beaucoup de linguistes — que l'indo-européen le plus archaïque était du type « agglutinant » — pour utiliser cette expression assez démodée — , le passage du type agglutinant au type flexionnel aurait eu lieu au Mésolithique, peut-être dans les régions pontiques. On sait en effet que la grammaire comparée permet d'entrevoir, pour l'indo-européen archaïque, un stade préflexionnel. Pour indémontrable qu'elle soit, cette vue, due à Kretschmer, n'est donc pas absurde.

C'est à l'époque néolithique, sans doute au cours du Ve millénaire, que s'opère, peut-être à partir de groupes ethniques de l'Europe centrale (Tchéco-

(1) De ces colonisations ouralo-altaïques de l'Alaska (civilisation de Denbigh) seraient issus les Proto-Eskimo. On sait que des similitudes de structure linguistique et même des ressemblances de civilisation ont été depuis longtemps observées entre les peuples sibériens de l'Est, et même les Ouraliens — surtout les Samoyèdes — avec certains peuples de l'Amérique du Nord, notamment avec le groupe eskimo. Mais l'interprétation historique de ces correspondances a donné lieu à diverses discussions. Voir R.Jakobson dans A. Meillet et M. Cohen, Les langues du monde2 (Paris, 1952), pp. 276- 277 ; cf. aussi P. Rivet, G. Stresser-Péan et C. Loukotka, dans le même ouvr., p. 987.

(2) Pp. 123-124. En somme, il est intéressant de constater avec M. Bosch-Gimpera que c'est à l'époque néolithique que s'organisent et se développent plusieurs des formations ethniques et linguistiques qui apparaîtront plus tard comme les substrats des civilisations historiques.

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Slovaquie, civilisation danubienne), mais aussi d'un groupe polonais en relation avec les régions pontiques, l'agrégation d'éléments ethniques qui provoquera la formation des peuples indo-européens. « On constate, en Europe, une grande multiplicité de cultures néolithiques très tôt énéolithiques, difficiles à réduire à un système cohérent, fluides, à l'intérieur desquelles se croisent les influences et ne parvenant que finalement à une cohésion plus ou moins durable» (x). L'élaboration culturelle et ethnique des groupes porteurs de l'indo-européen aurait duré près de trois mille ans, durée qui correspond très approximativement à celle de l'époque néo-chalcolithi- que (de 4500-4000 à 1800). Le problème est lié à la diffusion du Néolithique que l'auteur suit à travers ses diverses manifestations : Proche-Orient ainsi que l'Europe« marginale» (Crète, Sicile, Espagne et S.-E. de la France ; civilisation de Chassey-Cortaillod et La Lagozza en France, Suisse et Italie, etc.), mais surtout en Europe centrale et septentrionale, dont les civilisations néo-chalcolithiques ont une particulière importance. Ce sont, très brièvement, de 4500 env. à 3000 : la culture danubienne (céramique à décor incisé de spirales et de méandres) en Tchécoslovaquie et en Hongrie ; celle des « vases à entonnoir» dans les régions pontiques, puis en Pologne et dans les pays baltes ; les débuts du nordique mégalithique ; cultures de Pré- Sesklo et de Körös dans les Balkans. De 3000 à 2500 : développement de la culture nordique et des civilisations de la Tisza et de Körös ; civilisation de Vinèa en Bulgarie, de provenance sans doute anatolienne. De 2500 à 2200 : expansion du cuivre par l'influence anatolienne de Vinöa ; expansion de la civilisation de la Tisza en Thessalie (Dimini) ; cultures de Butmir en Bosnie, de Cucuteni-Tripolje en Roumanie et en Ukraine, de Lengyel- Jordansmühl à l'Ouest de la Tisza ; expansion des cultures nordique et alpine ; apparition en Occident et en Allemagne du Sud de la civilisation du «vase campaniforme», que M. Bosch-Gimpera attribue plutôt à une mode, dont la diffusion ne requiert pas l'hypothèse de grandes migrations. De 2200 à 2000 : nouveau changement de civilisation, dû cette fois à des déplacements massifs de populations, telle, de la Pologne à la Poméranie, la civilisation des « amphores globulaires », qu'on sépare aujourd'hui de la culture nordique et qu'on tend à attribuer à une colonisation venue des régions pontiques, ainsi que l'avance des nomades des sépultures à fosses aux squelettes saupoudrés d'ocre, provoquant sans doute sur une vaste région la destruction de civilisations antérieures (p.ex. celles de Cucuteni et de la Tisza) ; apparition de la culture de Ljubljana- Vuèedol. De 2000 à 1800 : déplacements des peuples guerriers porteurs de la céramique cordée et de la hache de combat, dont l'expansion depuis les régions pontiques vers l'Europe centrale, par la Volga, le Dniepr, les vallées du Donetz et du Don inférieur, provoquent l'apparition de cultures d'un type nouveau.

(1) P. 132. Est-ce ce mouvement de relative unification culturelle néolithique qui a coïncidé avec la diffusion de Γ« indo-européen archaïque»?

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En somme, trois groupes culturels d'une réelle importance émergent de l'enchevêtrement confus des civilisations de l'Europe néolithique : une culture centre-européenne dont le noyau est peut-être la Tchécoslovaquie mais qui s'étend aux régions danubiennes et à l'Est des Carpathes jusqu'au Dniepr ; une culture pontico-caucasienne, entre le Dniepr et le Caucase, qui s'assimile, dans une certaine mesure, les groupes de pasteurs nomades des steppes (sépultures à ocre) ; la culture nordique, comportant un fort substrat indigène (Mésolithique Scandinave). A ces trois groupes actifs et dynamiques il convient d'ajouter le peuple voyageur des haches de combat dont l'action conquérante n'a toutefois pas été de longue durée et qui n'a pas dû laisser des masses importantes d'envahisseurs ; il doit être identifié avec les nomades des steppes. Le groupe de l'Europe centrale aurait été celui des porteurs des dialectes « occidentaux» de l'indo-européen, le groupe pontico-caucasien, celui des porteurs des dialectes « orientaux».

Parmi les causes des mouvements de migrations qui caractérisent les derniers siècles du IIIe millénaire et les deux premiers siècles du IIe, M. Bosch-Gimpera attribue une importance décisive à l'action des groupes des steppes ; ces derniers ont exercé à plusieurs reprises des pressions sur la culture pontico-caucasienne au moment de sa grande prospérité : on les voit au Nord de la Mer Noire, en Hongrie, en Volhynie, déterminant partout des déplacements en chaîne. Plus tard, entre 2000 et 1800, au cours d'un second ban d'expéditions, qui aura plus de répercussions encore que le premier, ils apportent la céramique cordée et la hache d'armes. Or, c'est vers cette époque qu'on voit apparaître, à l'horizon anatolien et méso- potamien, les premiers peuples de l'histoire parlant une langue indo-européenne, que des poussées des nomades des steppes sur les groupes pontico- caucasiens auraient portés successivement vers PAzerbaïdjan et de là, à travers le Zagros, vers Babylone : ce sont les Cassites (fin du xvine s.). A peu près vers le même temps, dans la région du bas Danube, la zone méridionale de la culture de Cucuteni-Tripolje aurait subi le choc d'une expédition des peuples de la steppe arrivant jusque sur les côtes de Thrace, et de là seraient sortis deux mouvements, le premier ayant peut-être détruit Troie II (vers 2150?) et donné naissance aux Louvites de l'Anatolie ; le second, vers 1900, aurait conduit les Hittites en Cappadoce. Un peu plus tard arrivent en Grèce les premières pénétrations indo-européennes, d'origine balkanique et, peut-être, en Italie, les « Proto-Latins » d'origine danubienne, porteurs de la hache de combat. La formation ethnique pontico-caucasienne serait à l'origine, vers la fin du IIIe millénaire, de la cristallisation au Nord du Caucase des Indo-Iraniens non encore différenciés, qui se disperseront un peu plus tard dans deux directions distinctes, sans parler de la domination indo-iranienne de Mitanni dont il sera question un peu plus loin.

Vers 1800-1600 commence en Europe l'âge du Bronze, qui inaugure, après la situation troublée des derniers temps du Néo-chalcolithique, une période de relative stabilité. Cette période voit s'étendre la puissance

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achéenne en Grèce et dans le monde égéen (civilisation mycénienne) ; dans la partie orientale des Balkans apparaissent les Thraco- Phrygiens ; dans la zone dinarique et en Slavonie, les anciennes cultures de Ljubljana- Vuöedol et de Butmir constituent le premier noyau des Illyriens et peut-être des Proto-Latins ; la Tchécoslovaquie et la Silésie voient se développer sur des survivances de la culture de la céramique cordée la civilisation d'Uni ti ce, dont l'apogée se place entre 1700 et 1300, formation ethnique appelée à disparaître avec l'expansion, partie de l'Allemagne du Sud, de la « civilisation des tumulus» qui s'impose à une grande partie de l'Europe, de l'Autriche à la Belgique. La civilisation des tumulus, constituée d'éléments divers dont certains d'origine sans doute non indo-européenne, représente une formation ethnique originale, de langue sûrement indo-européenne « occidentale », et que M. Bosch-Gimpera identifie, on l'a vu, avec les Proto- Celtes.

Une autre formation prend naissance, vers 1300, en Saxe, en Silésie et en Lusace, douée d'une grande force d'expansion aux confins de l'âge du Fer (1200-1000) et dont l'interprétation historique a été, ces dernières années, l'objet de vives controverses : la civilisation de Lusace, que M. Bosch- Gimpera identifie pour sa part, au moins partiellement, aux Vénètes. En Scandinavie, sur les assises de la culture nordique, très florissante, s'organisent les peuples qu'on peut, à partir du Bronze II (1500-1300?), qualifier de germaniques.

Dans le Caucase s'épanouissent des Iraniens désormais différenciés, tandis que d'autres peuples indo-européens qui s'y étaient répandus auparavant sont absorbés par les civilisations mésopotamiennes et disparaissent de la scène historique : les Cassites et les Indo-Iraniens du Mitanni. Les futb rs Indo-Âryens sont à la veille de leur pénétration au Panjâb.

Dans les Alpes, en Italie du Nord, s'organise la civilisation des palafittes en relation avec les cultures danubiennes, dont la dernière étape donne sans doute naissance aux terramares de la plaine du Pô. M. Bosch-Gimpera admet, avec d'autres, que la civilisation apenninienne, tout en maintenant ses traditions propres, a reçu des impulsions transadriatiques, d'origine indoeuropéenne. Vers 1200 apparaît en Bohême la « civilisation des champs d'urnes», dont il a déjà été question plus haut, qui se développe à partir de la civilisation des tumulus de manière apparemment pacifique et sans apport démographique appréciable. Civilisation des tumulus et civilisation des urnes forment donc un groupe ethnique déjà fortement agrégé et relativement stable. Or, on sait que M. H. Krahe a établi, en étudiant notamment les plus anciens hydronymes de l'Europe centrale, l'existence d'un indo-européen occidental relativement homogène, commun au pré-germanique, au celtique, à l'italique (y compris le vénète), au bal tique et, dans une moindre mesure, au slave. Ce sont, par exemple, les langues qui ont en commun un nom désignant une étendue d'eau fermée, un lac : germ. comm. *mari-, *môra-, lat. mare, gaul. (Are-)moricï , Mori(-dûnum), illyr. Manu, Μάρι- σος, lit. pi. màrès« baie», v. si. morje« mer», ou le nom *teutâ de la « tribu»,

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de la « communauté politique et sociale», got. piuda, gaul. Teuto-, Touto- osq. touto, illyr. Teuta, messap. gén. taotoras, v. lit. tautà «peuple». Les porteurs de cette langue indo-européenne ancienne auraient constitué, après la séparation des autres groupes (anatolien, indo-iranien, etc.), et avant la formation des langues particulières, une communauté culturelle relative possédant par exemple des éléments propres d'organisation politique et sociale : cette communauté ne peut avoir existé qu'à l'époque du Bronze, à partir du milieu du IIe millénaire i1). M. Bosch-Gimpera serait disposé à identifier cette communauté, vivant dans le centre de l'Europe au Nord des Alpes, avec l'ensemble archéologique formé par les cultures de Lusace et des tumulus et, à l'époque du Fer, des champs d'urnes. Si je comprends bien la pensée de l'auteur, la culture des urnes et ses mouvements correspondraient, sur le plan linguistique, à l'acheminement de 1'« européen» de M. Krahe vers le celtique commun, ou peut-être, la langue des peuples des urnes est-elle déjà le celtique commun.

Le reste du livre est consacré à un examen détaillé et critique des destinées des différents peuples indo-européens au sortir de l'âge du Bronze et pendant les périodes du Fer. Signalons une longue discussion, qu'il n'est pas possif le de reproduire ici, sur l'identification de la civilisation de Lusace et sur l'origine des Vénètes. La conclusion de M. Bosch-Gimpera est que les Vénètes forment un peuple indépendant dont le noyau est à chercher dans la civilisation de Lusace, où ils auraient acquis déjà leur personnalité ; la présence de populations portant le nom de Vénètes parmi les Celtes {Veneti de l'Armorique, Venetus lacus désignant le lac de Constance) serait due au fait que les Vénètes se sont joints aux expéditions des peuples des urnes dont ils ont contribué à répandre la civilisation. On lira aussi (p. 224) comment, la couche de réoccupation de Troie après sa destruction par les Achéens (VII b) ayant révélé de la céramique lusacienne, le siège de Troie se trouverait être lié, en même temps qu'à l'expansion achéenne, à une expansion de peuples lusaciens dont il ne serait pas impossible de retrouver la trace dans le nom des 'Ενετοί de Paphlagonie. Je signale en passant que le nom de cette peuplade figure non seulement chez Strabon, mais aussi dans le Catalogue des vaisseaux de Y Iliade (B 852), et que la légende du héros troyen Anténor conduisant des 'Ενετοί en direction de l'Adriatique, où il aurait fondé Padoue après le siège de Troie (2), pourrait confirmer dans une certaine mesure la pénétration en Asie Mineure des peuples de la civilisation de Lusace.

(1) Les travaux que M. H. Krahe a consacrés à cette question sont nombreux ; on trouvera une bibliographie et les faits commodément réunis dans son petit livre Sprache und Vorzeit (Heidelberg, 1954), pp. 48-71 ; cf. depuis Indogermanisch und Alteuropäisch, dans Saeculum, VIII (1957), pp. 1-16, et Indogerm. Sprachwiss.3, I (Berlin, 1958), pp. 43-46.

(2) Voir surtout Tite Live, I, 1, 1-3 ; Virg., Én., 242 et suiv. ; voir la discussion chez J. Bérard, La colonisation grecque de l'Italie mérid. et de la Sicile2 (Paris, 1957), pp. 366-368.

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Mais dès lors se pose un problème assez grave que M. Bosch-Gimpera n'a pas abordé, ou n'a abordé que d'une manière très incidente. Si l'on a renoncé à faire des Lusaciens les Illyriens de la tradition, c'est, entre autres causes, parce que les Vénètes de l'Adriatique parlent, à l'époque historique, une langue dont le déchiffrement, à présent très avancé, permet d'affirmer qu'elle appartient au groupe italique, et plus précisément, qu'elle doit être rangée à côté du latino-falisque. Or, abstraction faite du problème des Venedi de la Vistule et des Wenden désignant des enclaves slaves en Allemagne, qui est susceptible d'une explication particulière, on admettra qu'il est malaisé de dissocier les Vénètes d'Italie de tous leurs homonymes dispersés un peu partout en Europe ; non moins difficile, d'autre part, et pour des raisons linguistiques évidentes, de séparer la pénétration latino-falisque — qui n'a pas laissé de nom — et la pénétration vénète en Italie. De même que les Vénètes se sont introduits dans les bans des Celtes, ont poursuivi avec eux leur poussée vers l'Ouest et paraissent être assimilés aux Gaulois à l'époque historique (1), n'ont-ils pu se joindre — sur le sol italien, par exemple — à des populations italiques et adopter un parler italique ? On aurait en tout cas aimé voir discuter par M. Bosch-Gimpera les vues, sans doute aventurées, mais suggestives, que M. F. Altheim a émises (2) sur une pression que des Illyriens et des Vénètes auraient exercée sur les mouvements italiques, et connaître son avis sur ce point. Et ce d'autant plus qu'en examinant l'hypothèse émise par les archéologues polonais sur les rapports possibles entre Lusaciens et Proto-Slaves, il conclut que la civilisation lusa- cienne, qui d'ailleurs a subsisté longtemps — jusqu'à l'époque chrétienne — et a comporté des variantes locales, n'a pas eu d'unité linguistique véritable.

On verra dans les pages consacrées aux origines slaves et baltiques qu'il n'est plus question, aujourd'hui, d'admettre une unité de civilisation, une « nation » balto-slave ; il est significatif que M. Bosch-Gimpera n'y fasse pas même allusion. Sans doute, les conditions dans lesquelles s'est accomplie la formation de l'ethnie baltique ont-elles été analogues à celles qui ont vu se constituer les Slaves : il paraît aujourd'hui établi qu'il s'agit de formations assez complexes résultant d'une survivance ou d'une phase tardive de la civilisation de Lusace (3), encore que les Baltes semblent s'être individualisés

(1) Polybe, II, 17, 5; cf. G. Dottin, Manuel p. s. à Vêt. de Vaut, celt? (Paris, 1915), pp. 31-32 et 35 ; Id., Les anc. peuples de l'Eur. (Paris, 1916), p. 154. César ne fait aucune allusion à un parler vénète différent du gaulois.

(2) F. Altheim, La rel. rom. antique, trad. H. del Medico (Paris, 1955), pp. 12 et suiv. ; Id., Gesch. der lat. Sprache (Francf./Main, 1951), pp. 33 et suiv.

(3) La civilisation de Lusace a développé, dans les régions qu'occuperont ensuite les Slaves historiques, des cultures locales dont quelques-unes ont été spécialement vivaces, ainsi le type à sépulture sous cloche {Glockengràber), qui apparaît dès l'époque du Bronze et domine en Pologne centrale et méridionale au Hallstatt Β et à La Tène I, ou le type

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plus tôt (dès le Bronze) que les Slaves (hallstattien final). Mais on sait que, tant sur le plan linguistique que sur le plan religieux, l'unité balto-slave est mal définie dans le détail ; on n'a jamais abouti à rien constituer d'une idéologie religieuse, ni simplement d'un panthéon balto-slave : l'une des rares correspondances onomastiques, entre le vieux dieu russe de la foudre Perun et le dieu Perkunas des Lituaniens se heurte à une difficulté phonétique grave, et le nom slave paraît être refait.

Les historiens de l'Italie ancienne seront heureux de prendre connaissance, pp. 214-217, des vues de M. Bosch-Gimpera sur l'indo-européanisation de l'Italie. L'auteur insiste tout d'abord sur le caractère persistant du faciès méditerranéen indigène. La formation de l'Italie indo-européenne intervient tardivement et le processus en est, aujourd'hui encore et après un demi- siècle de controverse, mal saisissable. M. Bosch-Gimpera admet avec Mme La- viosa Zambotti que, dès le Chalcolithique, il y a eu une pénétration d'éléments indo-européens d'origine danubienne (Ljubljana-Vuf edol ; porteurs de la hache de combat) ; mais ces éléments ont été rapidement assimilés, en Italie du Nord, par les populations indigènes (mouvements à l'origine des Proto-Latins, culture de Cetona-Rinaldone). Dans le Sud on peut admettre une pénétration d'origine égéenne (civilisation de Sesklo), dont la linguistique peut déceler les traces. Ce n'est qu'à l'âge du Bronze que le phénomène se précise, bien qu'on n'en saisisse pas encore le détail : civilisation de caractère alpin (Rhètes?) se prolongeant, dans la plaine du Pô, par les palafittes et par les terramares, dont 'on a renoncé à faire des étapes de la pénétration italique ; poussée d'origine balkanique (régions dinariques) dans la zone apennine (Ombro-Sabelliens) ; puis, à l'époque de transition du Bronze au Fer, pénétration centre-européenne issue de la Lusace et des « champs d'urnes », arrivant par le Nord-Est et pénétrant jusqu'en Sicile. Au début de l'âge du Fer, de nouvelles pénétrations, venues de l'autre côté de l'Adriatique (cf. site proto-villanovien de Pianello di Genga, dans les Marches ?), détermineraient la formation, à Bologne, en Toscane, dans le La- tium, de la civilisation viUanovienne de langue italique (Latino-Falisques).

Le problème des Étrusques est abordé en passant, pp. 216-217. Après un rappel forcément rapide des thèses en présence : celle de l'origine asiatique, celle, aujourd'hui prédominante en Italie et longtemps défendue par M. M. Pallottino (x), de l'indigénat, M. Bosch-Gimpera envisage la possi-

des «tombes à concavités» (Brandschuttengräber), depuis La Tène II (350-150 av. J.-C.) jusqu'au vnie-ixe s. ap. J.-C. Les Slaves historiques apparaissent ainsi dans l'aire de la culture lusacienne, après les grands mouvements scythiques et germaniques du Ier millénaire.

(1) II faut toutefois signaler que, depuis peu, M. Pallottino paraît s'orienter vers une

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bilité d'une explication assez différente. Explication d'un type vers lequel plusieurs étruscologues semblent s'orienter aujourd'hui. M. Bosch-Gimpera suggère qu'à un fonds ethnique identique à celui qui a constitué plus tard le peuplement villanovien — celui-ci, déjà pénétré d'éléments égéo-asianiques comme le prouve l'a rchéologie — seraient venus se joindre, par deux fois, des éléments orientaux, d'abord lors des mouvements des « peuples de la mer», les Tursha de la tradition égyptienne, attestés par des documents des xme et xne s. (*), ensuite au vine s., à la suite des mouvements des peuples cimmériens et scythiques en Asie Mineure (2) : c'est cette dernière invasion qui aurait introduit en Italie la civilisation orientalisante. « On pourrait alors, écrit l'auteur, expliquer la part de vérité que semblent contenir toutes les thèses ». Ceci ne va pas sans susciter quelques réflexions. Jusqu'à preuve du contraire, les éléments à peu près sûrement indo-européens qu'on a relevés en étrusque se limitent au lexique : ils rappellent, parfois, l'italique, mais aussi, comme l'ont montré des recherches récentes de M. Durante, ils se réfèrent aux zones balkaniques des langues indo-européennes. L'opinion la plus sage est d'admettre que ces éléments ont pénétré par voie d'emprunt (superstrat ou substrat). Or, si la civilisation villanovienne est bien indoeuropéenne, elle ne saurait être que de langue italique. Cependant, il n'est pas prouvé que la civilisation villanovienne n'a pas été adoptée par des populations indigènes de langue pré-indo-européenne. Et l'exemple de la civilisation du Fer dans le Picenum, où un dialecte non indo-européen (à Novilara) semble avoir coexisté avec un dialecte de type général ombro- sabellique (dans la région d'Ascoli), semble même indiquer qu'une pareille coexistence est probable dans la civilisation villanovienne. Si les Étrusques représentent un fonds ethnique identique au villanovien, comme l'archéologie pourrait engager à le croire, et que les Orientaux égéo-asianiques ne soient que des marins colonisateurs, on peut s'étonner que l'étrusque ne soit pas, soit une langue italique, soit une langue pré-indo-européenne du type général «ligure», à moins d'admettre que les colonisateurs égéens aient réussi à imposer leur langue comme ils ont imposé une forme orientalisante de civilisation ; car une langue ne saurait être à la fois asianique et indoeuropéenne. D'autre part, il convient de ne pas négliger l'aspect « étrus- coïde» à la fois des inscriptions rhé tiques et de la stèle de Lemnos, qui fait que l'étrusque sort de son isolement tant sur la péninsule italienne — et il s'agit d'une région aussi peu maritime que possible — que dans le monde

solution plus nuancée, d'où un apport oriental, d'origine égéo-méditerranéenne, ne serait pas exclu. Cf. son art. des Studi etruschi de 1961.

(1) Sur ces documents, cf. en dernier lieu P. Mertens, L·s peuples de la mer, dans Chron. d'Egypte, XXXV (1960), p. 72.

(2) Facteur' historique mis en avant par M. A. Piganiol, Les Étrusques, peuple d'Orient, dans Cahiers d'hüt. mondiale, 1953, pp. 328-352. Cf. Id., Hist, de Rome* (Paris, 1954), pp. 526-527.

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méditerranéen. On est donc en droit, semble-t-il, de se demander si les Étrusques de l'histoire ne seraient pas des Pré-Villanoviens —

indo-européens ou indigènes — « tyrrhénisés » peu à peu, à qui des envahisseurs égéo-asianiques appelés * Turs- dans le bassin de la Méditerranée auraient imposé leur langue et des éléments de leur civilisation (car la mention des Tursha des documents égyptiens, entre autres, engage à penser que cette dénomination s'appliquait à un peuple d'origine égéenne).

Dans cette perspective, les éléments indo-européens de l'étrusque pourraient s'expliquer par l'action d'un substrat ou par un voisinage avec des Villanoviens italiques. Et l'on s'expliquerait du même coup les ressemblances constatées entre rhétique et étrusque, les anciens Rhètes continuant à l'âge du Fer la vieille civilisation alpine d'origine néolithique, et parlant encore à l'époque romaine une langue qui devait être du même type que celle des indigènes qu'a gagnés la civilisation villanovienne. D'autre part, M. Pisani a proposé ingénieusement de considérer les éléments indo-européens de l'étrusque — non empruntés à date récente à l'italique — comme apportés par la vague orientale égéoasianique, où ils pouvaient figurer sous forme d'emprunts (1). M. F. Altheim a, de son côté, insisté fortement sur l'hétérogénéité ethnique et linguistique foncière du monde toscan; la «nation» étrusque n'était qu'une fédération de cités dont la langue officielle était l'étrusque mais qui pouvaient adopter le latin sans transition, dès le passage à la fédération romaine ; le cas de Faléries montre d'ailleurs qu'une cité étrusque a pu utiliser concurremment avec la langue officielle un dialecte local. Et l'historiographie comme l'onomastique conduisent à se représenter les cités étrusques comme un agglomérat de populations allogènes : Ligures, Ombriens, Grecs, etc. Ceci amène à envisager dans une perspective particulière les rapports que l'étrusque entretient en même temps avec plusieurs types de langues.

Il sera permis de trouver trop brèves et assez imprécises les pages 217-220 consacrées à la formation des peuples grecs. Si la doctrine archéologique et historique est correcte — réserve faite de la controverse chronologique soulevée récemment par M. Palmer, et que l'auteur ne pouvait connaître, — on mettra le lecteur en garde contre les vues exposées ici, et qui sont dues à Kretschmer, sur la convergence des dialectes grecs. L'auteur admet peur le linéaire Β une langue « à l'état fluide, mais dans laquelle des formations se concrétiseront en dialectes appelés, avec le temps, à s'unifier dans l'ionien, l'achéo-éolien et le dorien jusqu'à donner naissance à une langue commune». Il est douteux que beaucoup d'hellénistes voient ainsi les choses, même si l'on n'est pas arrivé à définir avec précision la situation dialectale

(1) V. Pisani, Zur Sprackgesch. des alten Italien, dans Rhein. Mus., XCVII (1954), reprod. Saggi di ling, stor., pp. 162 et 164.

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du mycénien. Il convient de se souvenir en effet qu'il s'agit d'une langue de chancellerie officielle, sans doute interdialectale, et du reste attestée par des textes de provenances diverses, avec des habitudes graphiques propres à certaines cités ou à certains scribes.

On lira avec un grand intérêt, pp. 223-237, l'essai de solution proposé par M. Bosch-Gimpera sur le problème, si controversé depuis cinquante ans, de l'origine historique des « Tokhariens ». On sait que, par l'analyse des affinités dialectales du tokharien avec d'autres dialectes indo-européens, M. Benveniste avait proposé en 1936 (x) de situer les «Tokhariens» préhistoriques dans une zone comprise entre le baltique et le slave, d'une part, et le grec, l'arménien et le thraco-phrygien de l'autre, soit, approximativemer.it, dans la région située entre le Dniepr et l'Oural. M. Bosch-Gimpera met en rapport, après d'autres, les migrations tokhariennes avec la grande migration pontique de 1000-700 av. J.-C, qui a atteint l'empire chinois des Tcheou (mieux que Chou qu'écrit M. Bosch-Gimpera), dont elle provoque la décadence. Les porteurs des dialectes tokhariens sont donc les peuples connus dans l'histoire chinoise sous le nom de Yue-tche. M. Bosch-Gimpera suit leurs destinées à travers l'histoire de l'Asie et propose de chercher leur origine dans des groupes intermédiaires entre les peuples des steppes pon- tiques (groupe « satem ») et ceux du centre de l'Europe (groupe « centum») et d'établir l'itinéraire de leur progression vers l'Est depuis la Volhynie, par le Sud de la Russie, le bassin de la Volga et la steppe Caspienne.

Pp. 241-248 sont étudiés les mouvements des Celtes, que M. Bosch-Gimpera avait reconstitués au cours de recherches antérieures et dont il fst maintenant le grand spécialiste. On y verra comment, issus du peuple des « champs d'urnes », les Celtes ont essaimé en plusieurs vagues : une première migration apportant, à travers la France et l'Espagne (Catalogne), la civilisation de Hallstatt Β, vers 900 av. J.-C. et, en même temps, les toponymes en -dünum de la Catalogne dont, ajoutons-le en passant, l'étymologie celtique est bien assurée (gaul. dunum glosant montent dans le Glossaire de Vienne, irl. dun « enceinte fortifiée», gall. din). La culture des urnes se transforme et donne naissance, à partir de 800 av. J.-C, à la civilisation de Hallstatt proprement dite (B-C) en Autriche et en Allemagne du Sud, tandis que, sur le Rhin inférieur et en Hollande, la civilisation des urnes persiste sous une forme dégénérée. En Yougoslavie, la civilisation hallstattienne issue de la transformation des civilisations du Bronze balkaniques a ses caractères propres et doit être identifiée aux Illyriens ; c'est une culture balkanique illyrienne qui, répandue en Italie méridionale, donnera naissance aux Iapyges et aux Messapiens, dont la langue présente, en effet, de nettes connexions avec ce qu'on sait de l'illyrien. L'auteur décrit ensuite la série assez complexe des déplacements des peuples celtiques et germaniques en Europe occidentale en insistant sur

(1) Dans un article déjà cité de la Festschr. Hirt, II, pp. 227-240.

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l'importance de la poussée germanique depuis le Jutland jusqu'à la West- phalie et au Rhin, déterminant la formation de cultures mixtes celto- germaniques (x) et les migrations celtiques des vme et vne s. vers la Grande- Bretagne, l'Irlande, la côte atlantique française, etc. C'est au VIe s. (hall- stattien final) que se stabilisent les Celtes, qui reçoivent alors les premières influences méditerranéennes (oppidum de Vix). Les destinées des Celtes pendant le deuxième âge du Fer (civilisation de La Tène), les pénétrations celtiques en Italie du Nord et sur le Danube, qui mèneront les Celtes jusqu'à Delphes (279 av. J.-C.) et en Galatie, sont bien connues et il n'y a pas lieu de s'y étendre.

Enfin, on verra par les pages 248-257 consacrées aux Germains depuis 500 av. l'ère jusqu'aux Grandes Invasions, comment ces dernières ne font que continuer, en les amplifiant, des mouvements migratoires ininterrompus qui, au fond, ne cesseront complètement qu'au début de l'époque moderne, après l'expansion des Allemands en Prusse.

Telle est, rapidement et sans doute imparfaitement esquissée, la matière riche et dense du livre de M. Bosch-Gimpera. On espère que le lecteur mesurera l'ampleur de l'effort de synthèse accompli par l'éminent historien de Mexico.

Devant un sujet aussi difficile, on ne pouvait faire œuvre définitive. Les conclusions de l'auteur ne comportent pas toutes le même degré de vraisemblance ; certaines n'emporteront pas la conviction de tous les spécialistes. D'autres sont présentées sous une forme qu'on aurait désirée plus nette et plus précise — sans doute est-ce un effet difficilement évitable de la traduction — et qui laisse parfois le lecteur perplexe. L'auteur lui-même n'a pas eu la naïveté de présenter son travail comme l'expression d'une doctrine achevée. On est devant un livre écrit par un savant qui ne cesse pas de

(1) C'est par un contact étroit entre Celtes et Germains que s'explique, on le sait, la présence de quelques emprunts celtiques dans le vocabulaire germanique commun ; certains d'entre eux, comme celui du nom du «fer», sont particulièrement significatifs au point de vue de l'histoire de la civilisation. Cf. A. Meillet, Caract. gén. des langues germ.1 (Paris, 1949), p. 208 ; H. Hubert, Les Celtes*, I (Paris, 1950), p. 79 ; T. E. Karsten, Les anc. Germains, tr. F. MossÉ (Paris, 1931), p. 194. Il est moins connu que les chefs de plusieurs nations germaniques portent des noms celtiques, introduits avant la première mutation consonantique, ainsi les chefs des Cimbres et des Teutons. L'onomastique germanique en a conservé un grand nombre : cf. gaul. Teutorix en reg. de v.h.a. Diotrth ; gaul. Celtus, v. noir. run. HelQaR ; gaul. Catuuolcus, v.h.a. Haduwalh, etc. Karsten, pp. 191-192 ; H. Hubert, Us Germains (Paris, 1952), p. 72. Ces faits, qui confirment d'une manière si frappante les données archéologiques, auraient pu être rappelés brièvement par M. Bosch-Gimpera.

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chercher et de réfléchir, et qui a eu la générosité de livrer au public l'état actuel de sa recherche et de sa réflexion. Grâce à lui, on aperçoit dès à présent que le problème des « Indo-Européens» est susceptible d'un certain type de solution et, dans l'ensemble, la voie suivie par M. Bosch-Gimpera paraît être la bonne : archéologue et protohistorien, il a montré comment ont dû se former, à travers les vicissitudes de trois mille ans d'histoire, les peuples qui, au moment où les textes écrits permettent de les saisir, parlent les langues indo-européennes. Il appartient aux linguistes de décider, à la lumière de ce qu'enseigne aujourd'hui l'archéologie, s'il demeure légitime de supposer l'existence d'une langue indo-européenne commune qui, vers la fin de l'époque néo-chalcolithique, aurait eu assez de puissance peur s'imposer à des peuples déjà très divers et si, en se reportant par l'esprit un ou deux millénaires encore en arrière, il est possible d'entrevoir quelque chose de son propre passé.

On exprimera pourtant une réserve de portée générale, sur l'importance que l'auteur semble attacher à la répartition des langues indo-européennes en langues «centum» — c'est-à-dire, qui ont gardé intactes les anciennes occlusives dorsales et conservé l'appendice bilabial des labio-vélaires — et en langues « satem» — qui ont altéré les dorsales en toute position et perdu l'appendice des labio-vélaires. Les comparatistes allemands ont tiré de cette répartition des conséquences exagérées. La coïncidence géographique des langues «centum» avec les peuples indo-européens de l'Ouest, des langues « satem » avec ceux de l'Est du domaine pouvait sembler avoir une certaine valeur historique jusqu'au moment où elle s'est trouvée rompue par la découverte, en Orient, du hittite et du tokharien où le traitement des gutturales est, en gros, du type «occidental». Du reste, l'opposition entre les deux groupes n'est pas aussi nette qu'il y paraît à première vue ; ensuite, l'altération des dorsales et des labio-vélaires observée en indo-iranien, en slave, en baltique, en arménien est un fait assez banal de phonétique générale, et l'innovation a donc pu se produire de manière indépendante dans les diverses langues considérées. On a du reste observé qu'en indo-iranien, p.ex., on entrevoit un moment où les dorsales n'étaient encore que très faiblement altérées : ainsi, le traitement perse de *k et de *g, qui est en vieu x- perse achéménide resp. 0 et d (cf. viB- « maison, palais royal » en reg. de avest. vis- «maison, cour seigneuriale», skr. vie- «demeure, famille, communauté», cf. lat. ulcus, etc.; ardata- «argent» en reg. de avest. arszata-, skr. rajatâm, cf. lat. argentum) (x) indique une fixation à la région alvéolaire d'un mouvement parti de la zone postérieure vers la région antérieure de la cavité buccale : on a dû avoir, à un stade immédiatement antérieur, une occlusive articulée par la partie médiane de la langue appuyée sur le palais,

(1) On trouvera les ex. réunb dans R. G. Kent, Old Persian2 (New Haven, 1953), §§ 57-88, p. 33.

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et c'est sans doute une occlusive de ce genre que devait représenter le j sanskrit (de i.-e. *g, voir ci-dessus) qu'on prend souvent à tort pour une affriquée (1). Les langues « occidentales» ne sont pas exemptes d'altérations de ce genre : le français d'aujourd'hui — et c'est vrai en partie du latin vulgaire dès les premiers siècles de notre ère — , qui n'a conservé les anciens c et g du latin que devant les timbres o et u, qui a perdu l'appendice labial du latin qu, est presque une langue « satem » ; l'ombrien des Tables Eugubines présente un état des dorsales qui est à beaucoup d'égards déjà celui des langues romanes ; en irlandais, l'ancien qw est passé à c (= k) après l'époque ogamique et, depuis une époque très ancienne, les occlusives dorsales devant voyelle antérieure sont fortement altérées, si bien que c'est presque deux consonnes distinctes qu'on entend en irlandais moderne dans des mots comme cath «bataille» et ceann «tête». Il résulte de là qu'il est difficile de n'invoquer que des raisons linguistiques pour attribuer les deux séries de traitements à deux groupes ethniques nettement séparés dès la préhistoire. Tout au plus est-il permis d'affirmer que les peuples du groupe « pon- tico-caucasien » de M. Bosch-Gimpera avaient en commun une tendance à altérer les gutturales, et d'entrevoir que ces peuples ont pu contracter cette tendance par l'action d'un même type de substrat. Mais si l'on n'avait le témoignage de l'archéologie, on n'aurait pas le droit d'affirmer, sur la seule foi du traitement des gutturales, que, par exemple, les Hittites, dont la langue est attestée un millénaire avant les inscriptions achéménides, sortent nécessairement d'un groupe différent — ou éloigné — de celui qui a fourni les Indo-Iraniens.

On regrettera, d'une manière générale, que la liaison des faits linguistiques et religieux avec les faits archéologiques n'apparaissent pas toujours suffisamment. Le livre de M. Bosch-Gimpera est en très grande partie archéologique, comme l'indique d'ailleurs le sous-titre, malgré le soin que l'auteur a mis, on l'a vu, à s'informer des conclusions essentielles de la linguistique comparative. Mais le détail de l'exposé, trop souvent abstrait, aurait gagné à être nourri par les faits de langue et de culture, dont l'absence déconcerte parfois. Ainsi, l'unité indo-iranienne est la seule qui, sur le plan linguistique comme sur le plan religieux, n'ait jamais été contestée : c'est la seule dont les populations se soient donné un nom commun ; la communauté des noms divins et de certains cultes — comme celui d'une plante sacrée appelée dans l'Inde soma — ou de certaines conceptions sociales a été suffisamment mise en lumière, notamment par MM. Dumézil et Benveniste, pour qu'il soit utile d'insister ; la langue de YAvesta et le védique de l'Inde sont semblables jusqu'à la littéralité de certaines formules et jusqu'aux types métriques. Aujourd'hui encore, le domaine indo-iranien est, dialectalement, un domaine continu, et l'on sait, p. ex., que dans les parlers du Nuristân,

(1) C'est, à la sonorité près, la consonne qu'on entend dans la prononciation parisienne populaire de mots comme cinquième, etc.

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se croisent des isoglosses propres à l'iranien et des isoglosses propres à l'indo- âryen (x). M. Bosch-Gimpera n'insiste peut-être pas assez sur l'existence d'une nation indo-iranienne, la seule qui soit assurée au-delà de l'époque historique, et dont l'importance méthodologique est par suite grande.

De même, les Finno-Ougriens, après leur séparation d'avec les Samoyèdes, ont emprunté à l'iranien plusieurs mots, dont le nom de nombre « cent» (finn. sata, mordve s'ada, s'ado, hongr. sâz, etc., de f.-ougr. *s'ata, cf. avest. sat3m (2)), ainsi que, sans doute, l'élève du cheval, comme l'enseigne M. A. Sauvageot (3) : or, rien n'est dit de ces contacts et des localisations géographiques qu'ils impliquent, à la fois pour les Indo-Iraniens et pour les Finno- Ougriens, p.ex. dans le bref paragraphe sur la formation des Finno-Ougriens. Ceux-ci sont identifiés à la culture de Seima en bordure de la civilisation des «charpentes», au Sud de la Russie, elle-même identifiée aux Proto-Scythes de langue iranienne, les autres peuples iraniens se trouvant plus au Sud dans le Caucase : confrontés avec les données archéologiques telles que les présente M. Bosch-Gimpera, les faits linguistiques prennent ici toute leur signification.

Voici, pour finir, quelques observations de détail. Il sera facile de rectifier de menues erreurs lors d'un second tirage, qu'on espère prochain. P. 18, pourquoi les Thraco-Phrygiens et les Arméniens sont-ils rangés parmi les peuples iraniens ? — P. 44, les dialectes du Picenum ne sont pas du messa- pien ; encore faut-il distinguer un groupe N. (stèle de Novilara) et un groupe S. (région d'Ascoli). — P. 49, la conception que le germanique est une langue importée chez des populations indigènes était celle de Meillet bien avant 1917 — date de parution de son livre sur le germanique — et indépendamment de S. Feist ; le mot appauvrissement implique un jugement de valeur qui était bien étranger à la pensée de Meillet : il a eu suffisamment à s'en défendre contre certains savants allemands pour qu'il n'y ait pas lieu de relever ce terme assez malheureux (voir p.ex. B.S.L., XXX [1930], p. 156 et suiv. des c.r.). — P. 109 et passim, il y aurait lieu d'expliquer par une note les indications relatives aux dates obtenues par la méthode du radio-carbone : il doit y avoir une erreur dans les chiffres donnés p. 109. — Même p., le mot concherOy emprunté aux archéologues espagnols, appelle une explication. — P. 163, ce qui est dit des répercussions possibles de l'expansion de la hache de combat en Italie et du mouvement des Proto-Latins suivant Mme Laviosa Zambotti n'est pas suffisamment clair. — P. 177, que penseront les linguistes d'une communauté culturelle, même assez lâche, entre Hittites, Achéens et Italiques? — P. 178, l'auteur admet que le problème de l'indo- européen primitif est obscur. Il dit pourtant : « II semble indubitable que

(1) É. Benveniste, L· Nourislan, dans La Civil, iron. (Paris, 1952), pp. 242-243. (2) A. Sauvageot, Langues ouraliermes dans Meillet-Cohen, L·s Ig. du m? (Paris,

1952), p. 310. (3) Cf. A. Sauvageot, dans B.S.L., LUI (1953), p. 261 c.r.

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l'évolution linguistique indo-européenne part d'une base commune et que celle-ci suit une voie parallèle au développement des cultures néo-énéolithi- ques». L'auteur aurait pu rappeler brièvement pourquoi en faisant appel aux données fournies par le vocabulaire. — P. 201, on aimerait avoir des renseignements, ou une référence, sur la présence d'un substrat finno-ougrien en germanique déjà affirmée p. 131. — P. 222, aux dieux indo-iraniens de Mitanni, il convient d'ajouter Mitra, groupé avec Varuna de la même manière qu'on retrouvera en védique dans le duel juxtaposé Miträvarunä. — P. 228, les données géographiques du Rg-veda prêtent à bien des objections : retrouver le nom des Caspiens dans le n. propre kaéyapa- (lire ainsi l'indication «les Kasjapa», p. 228) qui, dans le RV, désigne un r?i (compositeur d'hymnes védiques) est une hypothèse qui, pour être ancienne, n'en est pas moins dénuée de fondement. De même, on aura de la peine à concevoir que Y άπαξ pärthava- dans l'expression daksinâ pärthavänäm (RV, VI, 27, 8) ait quoi que ce soit à faire avec les Parthes, quand on sait que ce mot, de même que l'adj. p'ârthiva- qui est commun, peut être un dérivé à vrddhi de prthû-, prthivï « la terre» Q).

Ajoutons que le livre se clôt par une bibliographie des travaux modernes auxquels l'ouvrage se réfère : elle sera très précieuse, bien que non exhaustive. P. 279, trois ouvrages sont attribués par erreur à M. Ventris ; l'auteur en est M. J. Whatmough.

Notre dernier mot doit être de reconnaissance envers M. R. Lantier que ses travaux nombreux et absorbants n'ont pas empêché d'assumer la tâche singulièrement difficile d'adapter pour le public français l'ouvrage de M. Bosch-Gimpera et de lui faciliter ainsi la diffusion qu'il mérite. Pensé et écrit par l'un des préhistoriens les plus en vue d'aujourd'hui, présenté en français par un archéologue de grand talent, le livre a devant lui une belle carrière : on la lui souhaite avec enthousiasme (2) .

Décembre 1962. J. Loicq, Aspirant au Fonds national de la Recherche scientifique.

( 1 ) Les fautes d'impression sont relativement peu nombreuses. Signalons pourtant : p. 18, Nâsatya, non Nasatja ; p. 34 Hirt et non Hirth ; p. 46 et passim atestïn et non attestin ; Volques et non Volsques, ce qui est plus grave ; Peucétiens et non Peucéniens ; p. 5 1 dorien et non dovque ; isoglosse et non isoglose ; p. 54 W. Petersen et non Pedersen ; p. 53 comparatiste et non comparatif; p. 174 Cassites et non Bassites ; p. 194 Minoen récent III, plutôt que Minoen final III ; p. 225 Mâmeteya, non Mamateja ; p. 228 saptâ sindhavah et non Saptah Sindhawah ; p. 229 véd. Sindhuh, non shindus ; p. 243, le n. donné par Pomponius Mela au lac de Constance est Venetus lacus, non lacus Veneticum (sic !) ; p. 254 Aesti, non Esti.

(2) II y a quelques mois, M. G. Devoto a fait paraître à Florence, sous le titre Le origini indeuropeee, l'ouvrage de grand ampleur qu'il prépare depuis de longues années Un compte rendu détaillé en paraîtra dans la présente Revue, [note de corr.].