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1 Université Paris I Panthéon-Sorbonne Master Logistique Adeline ROCHE Les MDD : Marques De Distributeurs ou Moyens De Déstabilisation des marques nationales ? Mémoire de fin d’études Maître de Mémoire Mme Régine VAN HEEMS Année Universitaire 2004-2005

Les MDD Marques De Distributeurs ou ·  · 2011-01-181. Les MDD pour l’année 2004 en chiffres _____36 2. Quels sont les moyens mis en œuvre par les distributeurs pour favoriser

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Université Paris I Panthéon-Sorbonne

Master Logistique

Adeline ROCHE

Les MDD : Marques De Distributeurs ou

Moyens De Déstabilisation des marques

nationales ?

Mémoire de fin d’études

Maître de Mémoire

Mme Régine VAN HEEMS

Année Universitaire 2004-2005

2

REMERCIEMENTS

Je tenais à remercier tout particulièrement Madame Van Heems pour m’avoir aidée et

soutenue dans la réalisation de ce travail. Monsieur Lehu, pour ses informations précieuses

concernant ce sujet, pour sa disponibilité et sa gentillesse. Toute l’équipe logistique de Barilla

France, Monsieur Didier Roy, responsable approvisionnements des enseignes Monoprix,

Marie-Noëlle Gratta, responsable approvisionnements Casino et Thierry Garnier, responsable

point de vente Shopi, Villepreux.

3

INTRODUCTION_________________________________________________________________ 5

I. La relation Producteur-Distributeur : Conflit ou Coopération ? _______________________ 10

A. L’avancée de la Grande Distribution en France _________________________________________10 1. Une progression rapide _____________________________________________________________________ 10 2. La loi Royer : un frein à cette puissante évolution ? ______________________________________________ 12

B. La « Belle Epoque » pour les industriels … _____________________________________________16 1. Par la marque, ____________________________________________________________________________ 16 2. Légalement parlant… ______________________________________________________________________ 19 3. Un contrôle logistique total__________________________________________________________________ 20

C. Les Marques Nationales perdent leur situation de force __________________________________25 1. La naissance des MDD _____________________________________________________________________ 25 2. 1975-1985 La révolution des produits libres, l’exemple Carrefour. __________________________________ 28 3. 1985-1995 : La restauration des marges ________________________________________________________ 30 4. 1995-2003 : L’explosion des marques transversales et des filières.___________________________________ 31 5. 2003 à aujourd’hui : Le dur retour au prix ______________________________________________________ 32

II. Les MDD peuvent-elles se suffire a elles-mêmes ? ________________________________ 35

A. Etats de Lieux de la MDD aujourd’hui dans l’hexagone… ________________________________35 1. Les MDD pour l’année 2004 en chiffres _______________________________________________________ 36 2. Quels sont les moyens mis en œuvre par les distributeurs pour favoriser le développement élevé des MDD ? _ 38

B. Une Fidélisation par les MDD qui reste toutefois difficile _________________________________42 1. Les consommateurs sont-ils fidèles à leur Distributeur ? ___________________________________________ 42 2. Objectif : Optimiser la satisfaction client _______________________________________________________ 45

C. Quelques marques nationales difficile à détrôner ________________________________________48 1. Les marques nationales vraiment menacées par les MDD __________________________________________ 48 2. Des produits que rien ne peut remplacer________________________________________________________ 53

III. Vers une redéfinition des règles du jeux entre fournisseurs et distributeurs ____________ 63

A. Une relance économique des PME ?___________________________________________________63 1. Un profil rigoureux pour être un producteur de MDD… ___________________________________________ 63 2. Les MDD, une solution pour la survie des PME en France ?________________________________________ 66

a) Une source de volume et de marge _________________________________________________________ 67 b) Une place prépondérante des PME dans les MDD _____________________________________________ 68

3. Quel avenir pour les PME ? _________________________________________________________________ 71

4

B. La production des MDD par les grand industriels _______________________________________76 1. Rentabiliser sa capacité de production _________________________________________________________ 76 2. Les enjeux économiques des MDD ___________________________________________________________ 77

CONCLUSION __________________________________________________________________ 79

ANNEXES______________________________________________________________________ 83

BIBLIOGRAPHIE _______________________________________________________________ 95

5

INTRODUCTION

La marque… «Un nom, un terme, un signe, un symbole un dessin ou toute combinaison de

ces éléments servant à identifier les biens ou services d’un vendeur ou d’un groupe de

vendeurs et à la différencier d’un concurrent.»

Sujet brûlant de notre société et outre le fait qu’elles restent un des thèmes préférés de

nombreux économistes d’hier et d’aujourd’hui, les marques sont également le quotidien de

chacun d’entre nous. En France pour la grande majorité, il a été plusieurs fois expliqué que

les adolescents et même les enfants, préfèrent aller à l’école avec des baskets Nike et en ce qui

concerne les Adultes, ils ont quasiment tous dans leur salle de Bain un des produits de la

fameuse marque L’Oréal…

La marque est un gage de qualité, une sorte de garantie donnée par l'entreprise des

caractéristiques de son produit. Acheter un produit de marque est un moyen pour le

consommateur de se protéger contre le risque et de réduire son incertitude. Elle garantie la

fiabilité, la qualité et l'origine de produits ainsi que la compétence de ces concepteurs et de

ces fabricants. Elle facilite et guide le choix des consommateurs grâce à ce qui peut apparaître

par exemple sur l'emballage, ce qui active la mémoire du consommateur au moment où celui-

ci effectue un achat et lui permet de fonder sa décision sur une expérience passée personnelle

ou non. C’est un instrument de ralliement et de fidélisation de la clientèle aux produits de

l'entreprise.

Oui, les marques envahissent notre quotidien dans de nombreux secteurs : l’automobile, le

textile, les cosmétiques ou encore l’alimentaire. Elles aident à augmenter la consommation et

la fidélité des consommateurs, en d’autres terme la valeur du produit qui pourra par la suite

être vendu à un prix bien plus attractif pour les fabricants…

Mais intéressons nous plus particulièrement à un marché tous simplement colossal : le milieu

de l’agro-alimentaire. Il reste le domaine où les consommateurs dépensent le plus et sont les

6

plus vigilants quant aux choix de leurs marques. En effet, notre organisme en dépend et par

conséquent notre bien-être, notre équilibre et notre santé. Ce n’est pas comme s’acheter une

jolie veste ou une raquette de tennis, non ce sont les produits dont nous avons besoin pour

s’alimenter, en d’autres termes des produits pour survivre.

Le consommateur est donc prêt à mettre le prix pour obtenir ses marques préférées, celles

qu’il connaît bien et qui ne sont pas forcément les moins chères…Et bien peut-être pas ! Car il

semblerait que la tendance aujourd’hui soit toute autre...

En effet, actuellement pour certains piliers de nos frigidaires la concurrence est là, et nos

grandes marques perdent petit à petit leur équilibre face à des concurrents plutôt

inattendus… des Marques de Distributeurs : Les MDD.

En réalité, depuis quelques années, Nos distributeurs, Nos magasins et donc Nos fournisseurs

de marques préférées, ont décidé de commercialiser leurs propres produits… Oui, notre

magasin Carrefour, Monoprix ou Casino est devenu un « vendeur-producteur », ce qui a

quelque peu changé l’évolution des « producteurs-producteurs ».

La naissance des MDD sera une révolution du marché alimentaire en France et à l’étranger,

une activité économique à part entière qu’il me semble capitale de distinguer et d’analyser.

Car les MDD ont une particularité évidente… elles sont particulièrement moins chères que les

marques nationales pour une qualité bel et bien comparable..

Mais essayons d’analyser plus en profondeur les grandes lignes de cette étude :

Les MDD, aussi appelées Marques Propres ou Marques de Distribution sont les produits

commercialisés sous le logo d'une enseigne. Il s'agit par exemple des produits "Auchan",

"Carrefour", "Monoprix", etc. Certains produits ne portent pas le nom de l'enseigne : c'est le

cas pour Intermarché, Leclerc, et d'autres, mais la marque commercialisée ne se trouve

pourtant que chez l'enseigne qui en est propriétaire (Monique Ranou pour le jambon des

magasins Intermarché, la "Marque Repère" pour Leclerc, Reflet de France pour le groupe

7

Carrefour ... ). Nous analyserons tous ces détails dans une première partie, consacrée à

l’historique de la naissance des MDD.

Plusieurs subtilités d'appellation ont donc été données aux MDD suivant qu'elles affichent ou

non, le nom, le logo de l'enseigne et suivant qu'elles soient déclinées par gamme ou pas :

marque ombrelle, marque propre, marque réservée, etc. .

Les marques d’enseignes où le nom de l’enseigne apparaît :

- la marque ombrelle, déclinée sur l’ensemble de l’assortiment1,

- la marque de gamme, déclinée sur une ligne de produit2,

- la marque-caution3, avec la signature spécifique et la caution de l’enseigne (comme son

logo).

Les marques réservées où le nom de l’enseigne n’apparaît pas :

- la marque ombrelle, déclinée sur l’ensemble de l’assortiment,

- la marque de gamme, déclinée sur une ligne de produit,

- la marque produit, avec une signature propre au produit.

La définition juridique des MDD est donnée par la Loi du 15 mai 2001 (Nouvelles Régulations

Économiques) :

"Est considéré comme produit vendu sous marque de distributeur le produit dont les caractéristiques ont été définies par l'entreprise, ou le groupe d'entreprises, qui en assure la vente au détail et qui est le propriétaire de la marque sous laquelle il est vendu".

On oppose donc les MDD aux Marques Nationales (MN). Les MN sont les produits des

grands producteurs (Nestlé, Danone, ... ) qui sont disponibles dans la plupart des enseignes.

Comme ces produits ne dépendent pas du distributeur et sont vendus en même temps dans

plusieurs circuits des la Grande Distribution (GD) : Carrefour, Leclerc ou Auchan, ils sont

1 Annexe 1, p 82. 2 Annexe 2, p 83. 3 Annexe 3, p 84.

8

donc appelés "Nationaux". Ce n'est pas le cas des MDD, les produits "Carrefour" n'étant, par

définition, vendus que chez Carrefour.

Tout au long de ce travail de recherche, par grands producteurs ou industriels, je fais allusion

à les fabricants de grandes marques nationales. Notamment les grands groupes connus pour

leur notoriété et dont la renommée n’est plus à faire. Il est évident que des industriels

peuvent être également des PME mais ce n’est pas dans ce sens qu’ils seront définis. Ici, les

PME représenteront plus les petites structures restant un peu dans l’ombre. Car en effet, toute

une partie de ce travail de recherche concernant la production des MDD démontre que

plusieurs types d’entreprises en sont les fabricants et il est important de bien comprendre les

termes employés à cet effet.

L’arrivée des MDD a complètement bouleversé le marché de la Grande Distribution et non

sans conséquences. Pour mieux les comprendre, ce travail répondra à une question qui

devient alors fondamentale :

Quel est l’impact de la montée en puissance des MDD sur les Marques Nationales ?

Dans une première partie nous comprendrons comment le pouvoir de la Grande Distribution

française a pris une telle ampleur. Comment ont évolué les rapports entre fournisseurs et

distributeurs? L’impact de la loi Galland, l’apparition des Hard-Discounters… Comprendre

comment les rôles se sont peu à peu inversé… Au départ doté d’un pouvoir inégalable, les

distributeurs vivaient purement et uniquement grâce aux grandes marques, comment est née

l’idée de créer des MDD? Quel bouleversement économique ont pu rencontrer les industriels

mais aussi les distributeurs ?

Puis, nous étudierons l’états des lieux des MDD aujourd’hui. Comprendre exactement ce

qu’elles représentent en terme de coûts, de volume, pourront-elles un jour véritablement se

suffire à elle-même. N’est-il pas un peu exagéré de penser qu’elles peuvent remplacer les

marques nationales, car comme nous le verrons, la fidélisation par les MDD reste difficile et

9

l’impact sur les consommateurs n’est pas toujours évident. Indubitablement, certaines

grandes marques ne pourront jamais être ni remplacées ni même égalées par des MDD et

nous le prouverons avec des exemples concrets. Mais le sort de bien d’autres semble, il est

vrai, bien moins sûr…

Pour finir, nous suivrons l’évolution concrète des rapports entre fournisseurs et distributeurs

face aux MDD. Elles représentent certes, une concurrence sévère pour les grands groupes

mais sont peut-être la solution d’une relance économique des PME en France, spécifiquement

en terme d’emplois. Le plus étonnant c’est que certains fabricants de grandes marques

participent à la production des MDD. Alors dans quel but ? Pourquoi produire des marques

qui vont concurrencer nos propres produits dans les linéaires ? Mais cette stratégie sera de

toute évidence bien réfléchie car si des groupes comme Nestlé ou Danone fabriquent des

MDD, la raison doit être forcément judicieuse. Mais n’est-ce pas jouer à un jouer dangereux

quant à la crédibilité de leur image de marque ?

10

I. La relation Producteur-Distributeur : Conflit ou Coopération ?

A. L’avancée de la Grande Distribution en France

Depuis son émergence au milieu des années 50 en France, la Grande Distribution a joué un

rôle capital dans l’accroissement de l’offre de produits, ainsi que dans la réduction des coûts

logistiques et commerciaux. Cette forme de distribution est ainsi la clé d’une généralisation

d’offre de produits variée et largement accessible. L’environnement économique et social de

l’époque est à l’origine de cette flambée de la GD, un concept alors inconnu de tous… alors

quelles sont ses origines et comment s’est-elle implantée de façon capillaire en si peu de

temps…

1. Une progression rapide

Au début des années 60, le système économique fordien fait son apparition en France,

notamment grâce aux prises de pouvoir de multinationales américaines dans les entreprises

françaises et à l'effort de reconstruction d'après guerre4. Le marché est alors immense ( seuls

35% des français disposent d'une automobile en 1963, 40% d'une machine à laver ). Le

développement de la GD est alors indissociable de l'essor de la société de consommation. Le

commerce organisé et concentré est présent dès 1960 à travers différents succursalistes

(casino, la ruche picarde, guyenne et gascogne... ) mais c’est l’enseigne Carrefour qui sera le

premier hypermarché implanté en France.

En effet, Marcel Fournier et Louis Defforey (fondateurs de Carrefour) crée le 15 juin 1963 à

Sainte-Geneviève des Bois, dans l'Essonne, le premier hypermarché français (le terme

« hypermarché » sera inventé en 1966) 5. Le magasin fait plus de 2600 m2 et compte 400 places

de parking, une pompe à essence et de grands chariots à roulettes. C'est aussi la première fois

4 P. MOATI, L’Avenir de la Grande Distribution, Editions Odile Jacobs, Paris, 2001, p 130.

5 www.linternautedusavoir.com [réf décembre 2004]

11

qu'un magasin propose un aussi large assortiment et offre une politique du « Tout sous le

même toit » : des produits frais, de l'épicerie, du bazar, du textile et de l'électroménager.

Le succès est alors immédiat : plus de 5000 clients se sont précipités dans le magasin dès le

premier samedi d'ouverture6.

Cependant, le petit commerce de détail indépendant ( sédentaires et itinérants ) représente

toujours près de 65% des échanges. Philippe Moati résume parfaitement dans son ouvrage

L’Avenir de la Grande Consommation, la philosophie du petit commerce au sujet de la GD : "que

sert de produire au rythme de la locomotive si l'on distribue au rythme de la brouette ? "

L'État lui-même a donné un coup de pouce à la GD par la circulaire Fontanet de mars 1960

qui interdit les pratiques restreignant la concurrence ( en effet les producteurs privilégient

toujours les petits commerçants qui représentent encore le gros de leurs ventes ).

« Convention liant le fournisseur à un nombre limité de commerçants auxquels il réserve la vente d’un produit sous condition qu’ils satisfassent à certaines obligations (…) Le fournisseur, ou concédant, distribue ces produits en exclusivité au concessionnaire. Celui-ci est un commerçant indépendant qui va acheter les biens du fabriquant pour les revendre. Sa rémunération sera à hauteur de la marge commerciale qu'il effectue sur les produits revendus (…)contrat impliquant une activité d’achat et de vente ; exclusivité de fourniture ; exclusivité d’approvisionnement.»7.

Le pouvoir des « GROS » industriels se trouve ainsi réduit. Un autre bouleversement et non

des moindres, l’apparition des média et de la publicité.

Le budget publicité a été quintuplé entre 1952 et 1972 en francs constants. Ainsi la relation

producteur/consommateur, totalement dépersonnalisée auparavant, retrouve une forme en

la marque. Le libre service est alors lancé. Le produit devient standardisé " pré-vendu " par la

communication de l'industriel.

6 P. MOATI, L’Avenir de la Grande Distribution, Editions Odile Jacobs, Paris, 2001, p 131.

7 www.lexinter.net. Le Droit sur Internet. [réf Janv 2005]

12

La conjugaison de la mobilité, l'exode rural, et de l'explosion des naissances ( 1960 - 1970 )

favorise la création de zones de chalandise. Les gens travaillent loin de chez eux, d'où l'achat

d'un véhicule qui permet accessoirement de faire ses courses, de prospecter (on parle de

couple réfrigérateur/véhicule). Cet environnement favorise l'essor de la GD ; c'est la course

aux prix et aux ouvertures de nouveaux points de vente. Le parc croit d'environ 10% par

décennie pour arriver à 64% du poids total de la distribution8. Le ticket d'entrée à la

construction de points de vente est faible ; d'où l'explosion tant alimentaire que spécialisée (

sport, bricolage etc… ).

2. La loi Royer : un frein à cette puissante évolution ?

Pour être plus précis, jusqu’en 1968, le nombre d’ouverture reste assez modeste mais en 1969

il a triplé pour 45 inaugurations seulement pour l’enseigne Carrefour9. Cet essor s’est

poursuivi à un rythme très soutenu pendant les 5 années suivantes puis s’est

considérablement ralenti sous l’effet de la loi Royer, notamment en 1974 et 1975.

Promulguée le 27 décembre 1973, la « loi Royer », du nom de son auteur, Jean Royer, alors

maire de Tours, précise notamment :

« Les implantations, extensions, transferts d’activités existantes doivent répondre aux exigences de l’aménagement du territoire, de la protection de l’environnement et de la qualité de l’urbanisme. Ils doivent en particulier contribuer au maintien des activités dans les zones rurales et de montagne, ainsi qu’au rééquilibrage des agglomérations par le développement des centres-villes et dans les zones de redynamisation urbaine. »

Ce texte régulateur posait qu’au-delà de 1 500 m2 dans les villes de plus de 40 000 habitants et

de 1 000 m2 dans les autres, tout commerce devait obtenir une autorisation pour s’installer. Le

créateur devait déposer un dossier devant une Commission Départementale d’Urbanisme

8 Philippe MOATI, L’Avenir de la Grande Distribution, op.cit, p 139. 9 Enrico COLLA, La Grande Distribution Européenne, Nouvelles Stratégies de différenciation et de croissance internationale, Edition Vuibert, Paris 2002 p 106.

13

Commercial (CDUC). Mais cette législation unique au monde de la libre entreprise, montra

ses limites au cours des années suivantes. Elle ne freina en rien l’essor de la grande

distribution et n’empêcha pas le commerce de proximité de disparaître.

Tout au long des années 80, d’immenses zones commerciales (et même parfois plutôt bas de

gamme se sont déployées) aux entrées des villes, plantant d’innombrables « paradis des

produits » dans nos merveilleux paysages français10. En effet, en plus de nos hypermarchés

viennent s’ajouter des centaines de Supermarchés, Les Grandes Surfaces Spécialisées (GSS) ou

encore les Hard-Discounter.

Quelques explications : Les supermarchés sont en quelques sortes « les petits frères des

hypers », ils ont exactement les mêmes fonctions mais avec une surface comprise entre 400 et

2500 m2. Les GSS, elles, sont d’une surface équivalente aux hypermarchés mais sont

concentrées sur la vente de produit à thème unique, plus précisément sur des familles de

produits (Darty en est un très bon exemple, et est apparu en 196811). Enfin les Hard

Discounts, un concept allemand qui est caractérisé par une compression radicale des coûts

avec des prix inférieurs de 15 à 30% à ceux des principales chaînes de supermarchés et de

magasins de 350 à 800 m212 qui viendra bouleverser le marché de la GD en France.

L’évolution de tous ces magasins devint donc totalement capillaire et quasiment anarchique.

En 1996, la loi Royer est définitivement débordée par la prolifération de surfaces

commerciales tout juste inférieures aux limites fixées. Six mois de moratoire, puis une autre

loi vint abaisser les seuils d’autorisation à 300 mètres carrés en imposant la réalisation

d’études d’impact détaillées sur l’environnement et sur l’emploi. Le premier de ces textes,

relatif « au développement et à la promotion du commerce et de l'artisanat », est la loi

10 Ibid. 11 Source Dess Logistique La Sorbonne Cours de Madame VAN HEEMS, Les Processus de la Grande Distribution, Novembre 2004. 12 Enrico COLLA, La Grande Distribution Européenne, Nouvelles op.cit., p 89.

14

Raffarin (1996), qui vise à limiter l'implantation des grandes surfaces commerciales, dont

l’évolution comme nous l’avons vu précédemment, est jugé préoccupant.

Renforçant la loi de 1973 sur l'urbanisme commercial, elle soumet à autorisation préalable la

création, transformation ou extension de tout point de vente d'une surface supérieure à 300

m2. Initialement fixé à 1.000 ou 1.500 m2 selon la taille des communes concernées, ce seuil a

été abaissé à 300 m2 afin de freiner le développement des hard-discounters à qui une surface

moyenne de 600 m2 permettait jusqu'à présent d'échapper à ce contrôle, contrairement aux

hypermarchés (surface moyenne de 6.000 m2) ou à de nombreux supermarchés (surface

moyenne de 1.000 m2).

Pour nous donner une petit idée : Au 1er janvier 1999, on recensait en France 1.126

hypermarchés et 7.999 supermarchés dont 2.150 hard-discounts13.

Les premiers emploient 227.500 salariés et totalisent une surface de 6,4 millions de m2 tandis

que les seconds regroupent 163.300 salariés et 7,8 m2.

Les GSS ne sont pas non plus en reste avec, en 1997, 2.489 points de vente pour le bricolage,

1.033 pour le jardinage ou encore 955 pour l'électroménager.

13 Les echos.fr [réf Décembre 2004].

15

Les principales enseignes d’Hypermarché et de Supermarchés en

France en 200014

GROUPES ENSEIGNES Nombres de magasins

Hypermarchés :

Leclerc

Carrefour

Auchan

Casino

Cora

Leclerc

Carrefour

Auchan

Géant

Cora

408

218

120

108

57

Supermarchés :

Intermarché

Carrefour

Système U

Casino

Auchan

Intermarché

Champion

Super U

Casino

Atac

1 541

965

523

399

321

Autant de chiffres qui veulent souligner les capacités commerciales exceptionnelles des

grandes surfaces, capacités qu'elles ont su utiliser pour conquérir plus de 60 % des dépenses

alimentaires des Français et environ 40 % de leurs dépenses non alimentaires. La puissance de

14 Enrico COLLA, La Grande Distribution Européenne, Nouvelles op.cit., p 91.

16

ce secteur peut tout aussi bien se lire au niveau de chacune de ces entités comme cherchant à

l'illustrer les moyennes suivantes concernant l'exemple de l'hypermarché.

Aujourd’hui par exemple sur une surface d'environ 6.000 m2 gérée par une équipe

d'approximativement 200 personnes, l'hypermarché génère ainsi un chiffre d'affaires annuel

de l'ordre de 440 millions de francs ; celui-ci s'avère même, pour les très grands hypermarchés

comme de nombreux Auchan ou Carrefour, supérieur au milliard de francs15.

Le résultat est là ! Le petit commerce lui, survit difficilement et ne trouve malheureusement

pas beaucoup d’atout concurrentiel. Mais l’évolution de cette grande puissance économique

ravit les producteurs et les industriels qui voient se présenter une opportunité incroyable et

unique. Un Eldorado pour les marques nationales qui auront bien plus d’espace pour « se

faire connaître… »

B. La « Belle Epoque » pour les industriels …

1. Par la marque,

Comme nous l’avons vu précédemment, grâce à une évolution spectaculaire de la publicité et

de l’impact de la marque, le producteur trouve dans la GD un moyen plus qu’efficace pour

faciliter le développement de sa notoriété et augmenter ses parts de marché. Et en

contrepartie, les campagnes publicitaires des producteurs nationaux rendent les

consommateurs plus fidèles et plus sensibles aux grandes marques qu'ils recherchent en

priorité dans le point de vente16.

15 Les Echos.fr 16 Il est bien évident que la marque touche également bien d’autres secteurs que la Grande Consommation, mais ce travail de recherche étant orienté tout particulièrement sur ce sujet, c’est donc à ce type de marques/produits que s’orienteront mes recherches.

17

Mais avant d’aller plus loin faisons un petit rappel de la définition de marque et de ce qu’elle

représente pour les consommateurs :

« Elément sémantique de désignation distinctive des produits offerts sur un marché par un producteur ou un distributeur. Il peut s’agir d’un nom, simple ou composé, géographique ou non, d’un patronyme, d’un pseudonyme, d’un nom utilisé en extension ou sous la forme d’une abréviation, auquel peut-être associé un symbole, une couleur, une police et une taille de caractères (…) au-delà du nom et/ou du signe qu’elle utilise, la marque exprime une valeur, un savoir-faire, une expertise, une histoire, un engagement, une caution qui contribuent à aider le consommateur dans son choix 17»

Pour une explication un peu plus détaillée, la marque peut également être comparée à un être

humain dans le sens ou tout comme nous, elle a un cycle de vie. Elle naît, grandit (période de

croissance) devient plus mure (phase de maturité) et meurt (le déclin). Dans son ouvrage « Le

Marketing » de la collection Idées reçues, Brice Auckenthaler fait une comparaison encore

plus poussée et très intéressante puisqu’il parle même d’un « corps » de la marque18.

En effet, l’auteur explique que tout comme un individu, une marque est un « corps » animé

par deux « jambes » :

- La jambe d’appui, celle de la mission, du combat, spécifique qu’elle propose à ses clients.

Pour la marque Spécial K de Kellogs, c’est une mission pour combattre les calories, lutter

contre les matières grasses par exemple), c’est ce que constitue sa jambe d’appui…

- La jambe dynamique, celle qui fait avancer, celle de l’innovation… Toujours pour reprendre

l’exemple des Spécial K, le nouveau produit des Barres de Céréales, constituer de nouveaux

parfums (poire-pomme, chocolat noire…).

Une marque a également une personnalité, un caractère (toutes les valeurs qu’elle représente,

pour Nivea , douceur, santé, fraîcheur …) et elle peut éventuellement se marier, c’est ce que

nous appelons le Co-branding.

17 Jean-Marc LEHU, L’Encyclopédie du Marketing, Editions d’Organisation, Paris, 2004, p 477. 18 Brice Auckenthaler, Le Marketing, Collection Idées reçues, Editions le Cavalier Bleu, 2004, p 77.

18

Toutes ces comparaisons pour dire que la marque a sa propre logique. Sa force se mesure à sa

capacité de fidéliser les consommateurs, c’est-à-dire à établir des prévisions de ventes

régulières. Le capital-client est naturellement le « capital » le plus important d’une marque et

son développement s’exprime en parts de marché (en volume ou en valeur) que vont gagner

ses produits par rapport aux produits concurrents.

En France, on compte plus d’un million de marques. Environ 6 000 sont enregistrées chaque

jour par l’Institut National de la Propriété Intellectuelle (INPI) et dans le même temps, 4 000

disparaissent19. Le solde reste donc largement positif ! Comme toute valeur de l’entreprise, il

convient de gérer sa marque de la meilleure façon afin de développer sa place sur le marché

ou à tout le moins, la conserver. Ainsi, on peut élargir sa zone de chalandise, étendre sa

gamme de production ou encore élargir sa cible et c’est l’objectif de tous producteurs avec la

GD.

En effet, grâce aux marques Marques Nationales (MN) les GMS (Grandes et Moyennes

Surfaces) gagnent elles aussi par la même occasion en image de marque.

Les grandes marques investissent dans la recherche et l'innovation pour le plus grand

bénéfice du consommateur et sont indispensables dans l'offre des distributeurs. Les G.M.S. en

assurant une collaboration avec les producteurs de marques nationales, comme Coca Cola,

Kleenex, Nivea, Danone, Buitoni, Kellog's ou Nutella, savent pertinemment que le

consommateur est très attaché à "ses références" et que s'il ne les trouve pas, il ira sûrement

les chercher ailleurs.

En effet, la marque, avec le développement du libre-service, est devenue un critère de choix

très important pour le client potentiel. L'intérêt du consommateur face à la marque se mesure

par deux critères la sensibilité et la fidélité qu'il ne faut surtout pas confondre.

Oui car certaines marques sont très anciennes et le consommateur aujourd’hui a instauré un

rapport de confiance et en quelque sorte d’engagement. 19 J.N KAPFERER, Les marques : Capital de l’entreprise, édition d’Organisations, 2003, p166.

19

2. Légalement parlant…

Au niveau juridique, les rapports entre les industrielles et le grand commerce sont encore

plus étudiés avec l’arrivée de la Loi Galland en 1996.

La loi Galland a pour but de rééquilibrer les négociations entre fournisseurs et distributeurs,

et comme objectif un peu moins clair de limiter la guerre des prix entre grandes surfaces et

petits détaillants. Pour ce faire, la loi comporte trois dispositions principales :

Le seuil de revente à perte (la revente à perte est interdite depuis 1963) ne pourra prendre en

compte que les "réductions acquises à la date de la vente ou de la prestation de service et

directement liées à cette opération de vente ou de prestation de service, à l’exclusion des

escomptes non prévus sur la facture". La pratique était en effet de répercuter par avance les

rabais qu’allaient consentir les fournisseurs pour écouler leurs stocks en fin de période.

Par exemple, lorsqu’une grande surface achète de la lessive à 10 euros le baril, et sait qu’à la

fin de l’année, le fabriquant la lui vendra 8 euros pour écouler ses stocks invendus, la loi

Galland lui interdit de la mettre au prix de 9 euros pour toute l’année.

Toute prime de référencement doit être assortie d’un engagement écrit, précisant la

contrepartie offerte par le distributeur. Par "prime de référencement", cela signifie le prix

qu’un producteur paye pour avoir son produit commercialisé par les grands distributeurs.

Cette disposition les oblige à préciser par écrit quelle type de service sera rendu (simple mise

en linéaire, tête de gondole, catalogue,...).

Toute rupture brutale est sanctionnée, même partielle, d’une relation commerciale établie

sans préavis écrit. Il s’agit de encore une fois de protéger les fournisseurs. Imaginons qu’un

fournisseur approvisionne depuis trois ans les magasins Leclerc de la région parisienne. Il

aura prévu des capacités en conséquence, dont il ne saurait plus que faire si Leclerc cessait de

les lui acheter du jour au lendemain. La loi vise à donner au fournisseur le temps de réajuster

ses capacités.

20

Cette loi permet donc de bout en bout de protéger les fournisseurs, nombreux et disposant

d’un pouvoir de négociation individuel qui est devenu de plus en plus faible, contre les

distributeurs, peu nombreux et au pouvoir fort (que l’on pourrait appeler un monopsone20).

Pour information, il est vrai que les inspirateurs de cette loi étaient pourtant les industriels de

l’agro-alimentaire, qui s’abritaient derrière la défense des agriculteurs (alors que des

industriels sont à bien des égards eux aussi un monopsone face aux agriculteurs individuels).

Mais est-ce vraiment facile pour un distributeur de dépendre totalement de son fournisseur ?

Les inconvénients sont en effet nombreux et particulièrement au niveau logistique, là où un

bon nombres d’entreprises n’ont pas le droit à l’erreur …

3. Un contrôle logistique total

La logistique reste un domaine « sacré » pour les producteurs… C’est le devenir de leur

production, de la qualité de leur produit et par conséquent de leur notoriété et de l’entreprise

toute entière qui est en jeux lorsque par exemple, un camion transporte la marchandise

jusqu’à l’entrepôt de son client final. C’est également le devenir de la société de gérer au

mieux les capacités de production, la gestion des lignes de l’usine et d’orienter ses prévisions

avec des systèmes performants tels que l’MRP21, ou maintenant même avec une gestion en

Just in Time (Juste à temps), une approche qui vise à réduire au strict minimum les stockes

voire à les supprimer et/ou transférer la charge chez les fournisseurs qui doivent alors

approvisionner en flux continu (tendu) le process de l’entreprise client. Cette méthode a été

initiée dans les années 50 par Toyota Motor Corporation au Japon22.

20 Caractéristique d’un marché sur le quel on trouve une multitude d’offreurs face à un demandeur inique. Il est assez rare. 21 Manufacturing Resources Planning. Sigle désignant aujourd’hui la gestion optimisée de type M.R.P II. En fonction des besoins et des contraintes, les procédures M.R.P peuvent donner lieu à des calculs prévisionnels mensuels, hebdomadaires et quotidiens ou d’un laps de temps inférieur dans certains cas. Le premier programme MRP serait le système PICS développé par la société IBM en 1965. J.M LEHU, L’Encyclopédie du Marketing, éditions d’Organisation, Paris 2004, p 542. 22 Ibid, p 411.

21

Mais en ce qui concerne les biens de grandes consommations, la gestion de production reste

plus orientée vers les prévisions…

Pour ce qui concerne la logistique orientée transport, la grande distribution dépend

totalement de son fournisseur et ce dernier contrôle ainsi une grande part des

approvisionnements de son client.

En effet, les industriels travaillent avec leur propre prestataire logistique, ou différentes

compagnies de transports et prévoient en fonction de la demande du client, un jour X de

chargement et un jour Y de livraison…

Mais essayons de mieux comprendre ce processus par un schéma…

Réception et Saisie de

la Commande par le

fournisseur Contact avec le

prestataire pour définir

un jour de chargement et

de livraison

Contact avec l’entrepôt du

client pour savoir à quelle

heure pourra être déchargé

le camion du fournisseur

Confirmation Fournisseur

de la date et heure de

livraison au

Transporteur/Prestataire

Livraison

Choix du Transporteur

selon la région à livrer

et ses disponibilités Commande

du Client

22

Le processus semble simple rapide et logique mais il demande une participation efficace de la

part de tous les partenaires : le client, le fournisseur, les transporteurs, la réception des

entrepôts...

Toute cette organisation pour chaque commande. Alors lorsque tout le processus se déroule

comme prévu et que tout le monde est en parfaite interaction, le résultat est une logistique de

rêve… mais existe-t-elle vraiment ? En effet, de nombreux problèmes peuvent

malheureusement venir s’ajouter à cette organisation et la faire devenir le pire cauchemar de

l’entreprise… aussi bien pour le producteur mais aussi et surtout pour les clients…

Essayons de suivre les étapes présentées par le schémas pour analyser les problèmes.

Tout d’abord la commande, il faut savoir que le système EDI23 (échanges de données

informatisées) ou même le système informatique ont été utilisé assez tard par la majorité des

clients donc parfois il faut être capable de déchiffrer une commande, ce qui peut paraître

ridicule aujourd’hui mais qui il n’y a pas si longtemps restait un véritable problème. Le

résultat : des erreurs clients, produits ou quantités.

Pour les clients de la GD française, la commande doit aussi respecter les contraintes

Transport, c’est-à-dire un poids et un nombre de palettes précis (pour la majorité des camions

en France, 25 tonnes ou 33 palettes sol), ce qui n’est pas toujours le cas, du a des erreurs (ou

encore aujourd’hui tout simplement du à des systèmes d’informations différents…) de la part

des approvisionneurs.

Une fois le « challenge » de la commande réussi, les aléas du transport arrivent, et ne sont pas

des moindres… Je fais références notamment aux problèmes rencontrés sur la route qui peut

comprendre les intempéries, les grèves, le trafic… La qualité du produit à son arrivée dans

l’entrepôt dépend principalement de ses conditions de trajet effectué quelques heures

auparavant, car avec les problèmes rencontrés, la marchandise peut-être abîmées, mouillées,

d’où l’importance d’une qualité irréprochable par le fournisseur de son service logistique.

23 Electronic Data Interchange, Système électronique de gestion et de télétransmission de l’information sans papier devant permettre de rationaliser la gestion des flux, notamment la logistique (…). J.M LEHU, L’Encyclopédie Marketing, op.cit., p 291.

23

Le produit peut également avoir été mal stocké chez le fabricant, en quelques sortes oubliés et

au moment ou il arrive dans l’entrepôt se faire refuser par le client car sa date de péremption

n’est plus légale.

C’est ce qui est arrivé aux produits de la marque Wasa pour le client Carrefour. Une fois

déchargés chez le client le 14 avril 2005, les produits avaient comme date de péremption le 31

mai24… donc impossible et illégale de la part du client de pouvoir les stocker et les vendre. Le

client refuse les marchandises, demande à ce qu’on traite ses cartons manquants en reliquat

(nomination des commandes qui n’ont pu arriver chez le client soit pour rupture de

production ou à cause de problèmes comme nous venons de le voir…). D’où l’importance

pour le client d’avoir un œil sur la production de son fournisseur et même en faisant parti des

clients en GPA25 (Gestion partagée des approvisionnement…), nous ne sommes pas à l’abri

des aléas de la production de son fournisseur.

Alors est-ce vraiment toujours avantageux ? N’est-ce pas à cause de ces « surprises » répétées

que la distribution française a voulu mettre un frein à cette dépendance qui ne pouvait plus

durer. Avec tous ses moyens et ses fonds, elle décidera rapidement de s’occuper elle-même

de sa production pour ses propres marques.

La forte concentration des enseignes (9 d'entre elles détiennent 95 % de la surface totale des

hypermarchés, et 4 enseignes 52 % de celle des supermarchés) a changé la donne du jeu de

négociation dans la structure verticale entre producteurs et distributeurs, et ces derniers

affichent désormais clairement leur souveraineté grâce à une totale maîtrise des Marques de

Distributeurs - MDD (qui représentent en moyenne 20,3 % des ventes sur les hypers et

supermarchés)26.

24 Source, service logistique Barilla France. 25 Système logistique pour lequel un distributeur confie à une entreprise (le plus souvent producteur fournisseur) la gestion de ses approvisionnements. Le fournisseur ainsi associé a donc la charge d’estimer en permanence le niveau des stocks afin de décider du moment et sous quelle forme, il convient de réapprovisionner (…). J.M LEHU, L’encyclopédie Marketing, op.cit., p 370-371. 26 Etude Interactis Consultant, Impact des MDD sur la structure de l’exploitation des entreprises agricoles et alimentaires, Décembre 2003.

24

Aujourd’hui, des conflits successifs opposent producteurs et distributeurs : la grande

distribution se trouve régulièrement placée au coeur des débats publics et accusée par les

producteurs de facturer abusivement ses services.

Le rapport du Député Jean-Paul Charié (Rapport 2595 - 13 mars 1996) ayant précédé le vote

de la Loi sur les Nouvelles Régulations Économiques (NRE) est très révélateur sur certaines

de ces pratiques commerciales27.

Par exemple, sous la dénomination de «coopération commerciale», les distributeurs facturent

parfois aux producteurs des services qui n’ont pas lieu d’être : la publicité de leurs marques

sur les prospectus promotionnels est facturée aux producteurs sans avoir pour autant

l’assentiment de ces derniers.

De même, les rénovations et agrandissements de magasins donnent parfois lieu à des

participations imposées aux fournisseurs (pratiques souvent connues sous l’appellation «

Corbeille de la mariée »)28. Il faut savoir également que le groupe Gallec ou Lucie (c’est-à-dire

tous les groupes Leclerc) font payer à leur fournisseur environ 60% de la commande en

pénalité29, ce qui est totalement démesuré pour des groupes qui auraient déjà du mal à s’en

sortir…

Certes, les fournisseurs en France ont une notoriété inégalable et un savoir-faire bien à eux…

mais la GD ne s’est pas vue continuer à servir « d’intermédiaire » très longtemps. Les grandes

marques lui apporte une fréquentation capitale des points de vente, oui, mais pas assez de

profits et de marge. Alors comment a-t-elle organisé sa stratégie ?

27 F.BERGES SENNOU et S. CAPRICE, Les rapports producteurs-distributeurs, Fondements et implications de la puissance d’achat, INRA-ESR, Toulouse, 2004. 28 Ibid. 29 Source du producteur Barilla.

25

C. Les Marques Nationales perdent leur situation de force

La situation de domination actuelle peut s’expliquer par le développement de la grande

distribution alimentaire. Ainsi, en 2001, elle représente 35 % des produits commercialisés, 20

% des produits non-alimentaires et 66 % des produits alimentaires (contre respectivement,

31,5 %, 18% et 60 % en 1993)30.

Dans le même temps, le secteur de la grande distribution alimentaire connaissait des

concentrations successives et des rapprochements entre distributeurs par la création de

centrales d’achat communes. Les grands distributeurs sont donc devenus de plus en plus

incontournables s’agissant des débouchés pour les producteurs.

En effet, les cinq premiers groupes de la grande distribution alimentaire concentrent

aujourd’hui 64 % des débouchés de la distribution alimentaire contre 33,5 % en 1993. Les

MDD n’ont fait que renforcer cette puissance d’achat. Pendant longtemps, les producteurs ont

quasiment maîtrisé l'intégralité de la structure verticale agro-alimentaire à cause de la forte

parcellisation du commerce de détail. Depuis quelques années, les distributeurs commencent

à remonter plus largement la ligne verticale grâce aux marques de distributeurs notamment

en s'appropriant des tâches (conception de produits, promotions, etc. ) habituellement du

ressort des fabricants31.

1. La naissance des MDD

Le naissance de la MDD eut pour berceau la Grande-Bretagne avec Sainsbury en 186932, puis

Saint Michael en 1929, devenu depuis la référence mondiale en matière de MDD33. Pour

30 Enrico COLLA, La Grande Distribution Europeenne, Nouvelles Strategies de différenciation et de croissance internationale, op.cit., p 210. 31 ANNEXE 8. 32 ANNEXE 4, p 85.

26

Simon Marks, jeune émigrant polonais maîtrisant plutôt mal la langue de Shakespeare, il était

déjà indispensable de simplifier la relation avec le client : « Don’t ask the price, it’s a penny »

avait-il écrit sur son étal au marché de Leeds. Pour parvenir à ce prix unique, Marks devait

sélectionner des produits et trouver des fournisseurs capables de les fabriquer. Il ne s’agissait

pas de distribuer les produits des industriels mais de construire une offre pertinente pour ses

clients en impliquant les fournisseurs dans sa démarche. Chacun y trouvait son compte : le

volume pour l’industriel et des prix attractifs pour le consommateur.

Toutefois, pour être certain d’écouler ces grandes séries, encore fallait-il au préalable s’être

assuré que les produits étaient bien ceux attendus par les consommateurs. Loin du rôle de

sélectionneur qui achètent au fabricant et négocie les meilleures conditions par la biais de ses

acheteurs, Mark & Spencer disait « faire fabriquer sous sa marque les produits qu’il voulait

vendre »34.

Les MDD sont également nées du refus des industriels de collaborer avec des commerçants

qui remettaient en cause l’ordre établi avec de nouveau modes d’approvisionnements. La

suppression des intermédiaires permettait de proposer aux consommateurs des prix plus

compétitifs. Les fabricants ayant préféré privilégier et protéger leurs grossistes. Casino fut

ainsi contraint d’investir dans des usines pour pouvoir approvisionner ses succursales de

vente.

Ces démarches de bon sens fondés sur le service rendu aux clients pouvaient aussi

s’accompagner de prises de position plus idéalistes comme celle de Gotlieb Duttweiler en

1925. Il s’agissait à cette époque pour le fondateur de Migros de mobiliser les consommateurs

en les rapprochant des producteurs et en les rendant conscients de leur réel pouvoir

33 P. BRETON, Les marques de Distributeurs, Les MDD ne sont pas que des copies, Editions Dunod, Paris 2004, p18 34 Ibid

27

économique. En France, la démarche des Coopérateurs s’inscrivait dans le même esprit.

Coop fut d’ailleurs la première marque de distributeur déposée en 1929 à l’INPI35.

Il est intéressant d’observer que le développement de ces MDD chez nos voisins s’est produit

à des périodes économiquement difficiles comme celles des années 20, des périodes après-

guerre. Les MDD participaient alors au combat engagé par des visionnaires du commerce

dont la mission consistait à proposer à leur concitoyens des produits simples de qualité à des

prix compétitifs quitte à devoir pour cela imaginer de nouveaux modes de collaboration avec

les fabricants. Le premier service rendu par ces MDD était bien d’améliorer leur pouvoir

d’achat quotidien. Le lancement d’Aldi par les frères Albretch dans l’Allemagne sinistrée

d’après-guerre relève de la même logique et s’inscrit dans la même vision.

Le client et la personne, plus que le consommateur, se situent bien à l’origine des MDD au

cœur de la démarche et de la philosophie. La relation créée avec le client grâce au produit

devient plus importante que le produit lui-même. L’objectif est d’abord de conquérir de

nouveaux clients avec un concept original et créatif puis de les fidéliser.

En ce qui concerne la France, Les MDD jusque dans les années 70 étaient essentiellement des

succursalistes comme Casino, Coop et Codec ou encore les magasins populaires, Prisunic et

Monoprix avec leurs marques Forza et Beaumont en alimentaire. Les MDD étaient avant tout

défensives et engageaient peu l’image de l’enseigne36.

Mais voyons un peu l’évolution du marché de la MDD en France et essayons de mieux le

comprendre.

35 Ibid. 36ANNEXE 5, p86.

28

2. 1975-1985 La révolution des produits libres, l’exemple Carrefour.

L’arrivée des produits libres en 1976 marque l’apparition d’une nouvelle forme de MDD avec

les « produits drapeaux »37. Les produits libres visent à redonner un second souffle à

Carrefour après le coup de frein à l’expansion provoquée par la loi Royer en 1973 (comme

nous l’avons vu précédemment).

Carrefour veut reprendre le Leadership de la distribution tout en restant fidèle à son concept

fondateurs de discounter. La démarche sera initiée par deux cadres de la région Alpes, René

Bouchet et André Jourdain38. Constatant l’importance des frais de commercialisation pour les

produits de marque, ils pensent qu’ils doit être possible de faire chuter les prix de vente en

faisant l’économie de ces coûts.

Les industriels contactés confirment la faisabilité économique de leur hypothèse à condition

que les volumes suivent. Cela suppose que tous les magasins commandent ensemble, ce qui

est loin d’être le cas dans une société totalement décentralisée. Il va donc déjà falloir

convaincre les magasins en interne avant de convaincre les clients. C’est là qu’intervient le

rôle majeur de la communication qui va donner tout son sens à cette opération en proposant

une vision innovante aux consommateurs.

En effet, Carrefour ne veut pas entendre parler de marques de distribution « synonymes de

qualité passable et de marges élevées ». L’objectif de la campagne était de rajeunir l’image de

Carrefour. Il s’agit d’utiliser son imagination et son organisation pour créer une nouvelle

gamme de produits correspondant aux nouveaux besoins des clients exprimés au travers des

organisations de consommateurs : plus de simplicité et de sincérité avec moins de publicité et

plus d’informations.

Ces produits doivent aider l’enseigne à se différencier des marques nationales vendues chez

tous les concurrents et des marques de distributeurs existantes. « Cinquante produits simples,

37 www.lesechos.fr/formations/ marketing/articles/article_2_9.htm [ref janvier 2004] 38 Ibid.

29

sincères,nus, candides et blancs comme autrefois » sont élaborés sous la houlette de Jacques

Estienne convaincu de l’intérêt du concept pour les consommateurs. Au-delà des produits, les

dirigeants Carrefour se souviennent des échanges qu’ils avaient eus, en 1972, avec Esther

Peterson, spécialiste écoutée aux Etats-Unis sur tous les problèmes de consommation qui

exprimait une vision originale des rapports industrie/commerce :

« Les distributeurs ont longtemps joué, explique-t-elle, un rôle passif, parfois complice, en se contentant d’être des agents des fabricants. Une nouvelle voie leur est offerte en devenant les avocats des consommateurs auprès des fabricants »

Le succès des produits libres est tel qu’il suscite rapidement des vocations. Le plus réactif sera

Continent avec les « produits blancs », dès juillet 1976 rapidement suivi l’année suivante par

une série de copies dont les « produits oranges » chez Euromarchés ou les « produits grande

confiance » chez Casino. Sur ces produits drapeaux, les distributeurs n’engagent pas le nom

de l’enseigne se contentant d’apposer discrètement leur sigle sur un emballage dépouillé à

l’extrême.

Avec le recul il semble toutefois que le succès de Carrefour est, en un sens, un échec » comme

l’avoue Etienne Thil : « La révolution s’est arrêté en route ». Faute d’effectifs, l’assortiment

basique et limité n’a pas évolué avec le marché et l’attitude de Carrefour s’avèrera plus

fugitive que résolue sur la partie marketing. La confusion s’est ensuite accentuée avec

l’apparition des « produits élémentaires » chez Intermarché, des « produits génériques » chez

Champion, produits moins chers et moins bons.

Faute d’avoir pu se différencier avec les « produits libres » et face à l’amalgame des clients

sur l’ensemble des produits drapeaux, Carrefour décide alors en 1984 de les arrêter et de les

remplacer par des produits signés du nom de l’enseigne39.

39 P. BRETON, Les marques de Distributeurs, Les MDD ne sont pas que des copies, Editions Dunod, Paris 2004, p22

30

3. 1985-1995 : La restauration des marges

En collaboration avec Carré noir, l’un des grands noms du design, douze produits

alimentaires sont développés fin 1985 chez Carrefour. Des équipes totalement dédiées à la

marque d’enseigne sont constituées. L’ordre de mission est explicite : il faut enrayer la perte

de marge sur tous les produits vendus à perte plus de huit cents références en produit grande

consommation (PGC) sont concernées sur un total de 250040.

Plusieurs années d’inflation à deux chiffres et l’absence de structure pour gérer les produits

libres ont eu pour conséquence de décaler les prix d’achat par rapport aux coûts réels de

production : En remettant tous les coûts à plat, il devient tout à fait possible d’améliorer la

qualité des produits et des emballages sans augmenter les prix de vente avec des marges sur

l’épicerie légèrement supérieures à 10%. La marge n’est d’ailleurs pas à l’origine une fin en

soi puisque selon la « politique » de l’enseigne, le profit est généré par le volume des

marchandises vendues.

L’objectif est donc d’avoir les produits les plus compétitifs possibles sur le marché afin de

développer la part de marché de la famille de produits tout en réduisant celles des marques

vendues à perte comme la café, les céréales et le pet-food. Effet collatéral inattendu du

lancement des gammes MDD, les budgets promotionnels des leaders retrouvent

miraculeusement le chemin de l’enseigne pour défendre leur part de marché menacée.

Au 1er janvier 1987, les derniers produits libres avaient disparu41. Cette décision, qui semblait

alors toute naturelle dans l’euphorie du démarrage, s’avérera en fait prématurée deux ans

plus tard lorsqu’Aldi ouvrira son premier magasin hard-discount à Croix. Jean Baud, alors

patron de franprix aura l’intelligence de les ressusciter en 2000 en installant leader price

40 Ibid.

41 www.sales-france.com/catmantrade.htm [réf Mars 2005]

31

« première marque européenne » à la fois sur ses produits et au fronton de ses magasins avec

le succès que l’on connaît et qui ne se démentira plus. Les MDD vont alors se généraliser42.

Rapidement la plupart des enseignes des GMS se lancent donc dans la marque d’enseigne à

l’exception d’Auchan qui résistera jusqu’en 1997 et de Leclerc qui ne succombera qu’en 1999

au charme des MDD avec la marque Repère43. L’enseigne Jean Pierre Le Roch, Intermarché

résiste également et préfère investir massivement dans les usines et dans des marques

propres non signées par l’enseigne (2 800 références réparties sur plus de 120 marques

propres en 2002 pour un total de 280). L’une des raisons invoquées pour expliquer le refus de

la marque d’enseigne tenait alors à la trop grande hétérogénéité du parc de magasin qui

pénalisait l’image globale de l’enseigne.

Ce qui n’était pas cité, c’est le nombre très élevé de références qui aurait pu heurter le client

en réduisant son choix aux seuls de marques du magasin…

4. 1995-2003 : L’explosion des marques transversales et des filières.

Alors que la marque Continent se traîne en queue de peloton des MDD, Philippe Lauthier,

directeur des achats de Promodès, émet l’idée géniale de développer avec Alain Fretellière

une gamme transversale positionnée sur la valorisation des savoir-faire régionaux : c’est la

naissance des marques Reflets de France44. Après une courte période d’observation, la

marque fait coup double en réussissant l’exploit de séduire à la fois les seniors nostalgiques et

les jeunes à la recherche de leurs racines. Seul inconvénient, l’extraordinaire capital d’image

généré par ce concept unique et innovant n’est pas attribué à ses géniteurs.

Quel dommage, pour une fois que les MDD pouvaient ne pas être accusées de plagiat !

42 Ibid. 43 P. BRETON, Les marques de Distributeurs, Les MDD ne sont pas que des copies, op.cit, p23 44 Ibid.

32

Stimulé par le succès spectaculaire de Reflets de France, Carrefour tentera en vain de

répondre avec sa marque Escapades Gourmandes positionnée sur l’épicerie fine et Promodès

tentera dans la foulée de rééditer l’opération avec Destination Saveurs pour les produits

exotiques. Le concept des gammes dites transverses, de troisième génération, ou encore

positionnantes est nés. Elles vont au fil des années se multiplier dans le Bio, l’environnement,

la forme, les enfants, la santé…

Ce bref rappel historique serait toutefois incomplet si nous occultions le travail original

effectué simultanément par les filières pour organiser et valoriser la commercialisation des

produits frais non transformés (viandes, légumes, fruits, poissons, vins…). Il s’agit de piloter

toute une filière depuis l’aval, le marché jusqu’à l’amont, la production. Cette réorganisation

est censée mieux rémunérer la qualité et la régularité du travail effectué par les producteurs.

L’atomisation des producteurs et l’absence de marque forte fragilisent en effet les marchés

agricole soumis à la concurrence internationale et aux aléas climatiques.

Il suffit en effet d’un écart de production très faible pour déstabiliser l’ensemble d’un

marché. Les filières ont repris les points forts de la démarches des MDD au niveau de

l’analyse du marché, de la définition des cahiers des charges, du choix des partenaires sans

être influencées par le marketing et la segmentation des marques leaders des produits de

grande consommation.

5. 2003 à aujourd’hui : Le dur retour au prix

La multiplication des gammes et l’inflation des références ont accentué l’opacité et la

confusion qui entourent les MDD. En emboîtant le pas des industriels dans une course

insensée à la sursegmentation, les MDD se sont peu à peu sophistiquées et embourgeoisées45.

45 P. BRETON, Les marques de Distributeurs, Les MDD ne sont pas que des copies, op.cit.., p26

33

Encouragées par les sirènes médiatiques qui assimilaient marketing et sophistication, les

MDD ont subi l’influence des forces centrifuges et se sont peu à peu éloignées de leur cœur

de métier.

Au lieu de simplifier le choix du client comme le comme le hard-discounter ont su si bien le

faire, les MDD ont au contraire rajouté de la complexité. Détail agaçant pour les grands

groupes, Leader Price, qui ne vend que des MDD, dégage l’une des meilleures rentabilité de

la distribution alimentaire pour le plus grand bonheur du groupe Casino auquel il appartient

depuis 199746. Encore mieux, les clients et les fournisseurs de Leader Price se déclarent

satisfaits, preuve qu’il est possible de développer une stratégie gagnant/gagnant.

Sentant venir le danger, les hypermarchés et les supermarchés veulent à présent revenir dans

la course et retrouver leur vocation de discounter.

Leclerc a logiquement été le premier à réagir : en l’an 2000, la gamme Eco+ apparaît dans les

rayons de l’enseigne. Puis c’est au tour, début 2002, des gammes « Pouce » et « Top Budget »

qui débarquent respectivement chez Auchan et Intermarché. Exhumée des cartons de

Carrefour-Promodès, l’ancienne marque n°1 fait son grand retour au premier semestre 2002

moyennant un lifting de l’emballage : 200 produits au prix les plus bas envahissent les

gondoles et les catalogues des hypermarchés de l’enseigne. La bataille est engagée et ne fait

que commencer47.

Ces pare-feux, initialement destinés à contenir la poussée des hard-discount, s’accompagnent

dans les états majors de la grande distribution d’une réflexion de fond beaucoup plus

stratégique sur le positionnement des MDD.

Ne serait-il pas possible de faire cohabiter des marques dites transverses à fort pouvoir

d’image et à forte marge avec des produits plus basiques positionnés au niveau MDD des

hard-discounters ? Selon les choix des enseignes, le monde de la MDD pourrait donc bien 46 www.groupe-casino.fr [réf Février 2005] 47 P. BRETON, Les marques de Distributeurs, Les MDD ne sont pas que des copies, Editions Dunod, Paris 2004, p26

34

connaître dans les années à venir un séisme de magnitude élevée, notamment pour les

fournisseurs de MDD.

Alors lequel des deux discours, celui du marketing exacerbé au cours de ces dernières années

ou celui du discours prix initial, va prendre le dessus ? La pérennité des marques nationales

est-elle en danger ? Les MDD pourraient-elles réellement un jour prendre leur place ?

35

II. Les MDD peuvent-elles se suffire a elles-mêmes ?

A. Etats de Lieux de la MDD aujourd’hui dans l’hexagone…

Maintenant que nous en savons un peu plus sur les véritables rapports Producteurs-

Distributeurs, et que nous avons abordé l’historique et le développement des MDD sur le

marché français, faisons le point sur ce qu’elles représentent réellement en France

aujourd’hui, pour le consommateur et en terme de volume.

La Loi du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques (NRE) qui définit

précisément la marque de distributeur dans son article 6248 :

"Est considéré comme produit vendu sous marque de distributeur le produit dont les caractéristiques ont été définies par l'entreprise ou le groupe d'entreprises qui en assure la vente au détail et qui est le propriétaire de la marque sous laquelle il est vendu".

Il s'agit donc de marques appartenant à une entreprise commerciale de vente au détail, ou en

gros, pour une ligne de produit distribuée exclusivement par cette dernière ou sous son

contrôle49.

On distingue traditionnellement marque d'enseigne et marque propre50. La première affiche

clairement sur le produit le nom et/ou le logo de l'enseigne tandis que la seconde décline un

nom de marque (souvent différent par gamme de produit) qui n'est commercialisé que par le

distributeur qui en est propriétaire.

48 www.etudes.ccip.fr 49 ANNEXE 6 p87. 50 J.M LEHU, L’encyclopédie Marketing, op.cit., p 482 et 489..

36

1. Les MDD pour l’année 2004 en chiffres51

• En 2004, 91 % des consommateurs sondés connaissent une MDD (ils étaient 83% en 2003)

• 48 % des consommateurs du baromètre considèrent que la MDD est une marque de premier

prix

•En hypermarché, 96 % des sondés ont acheté au moins un produit sous marque d'enseigne

(MDD) et 36 % un produit sous marque économique (marque premier prix)

•En supermarché, 99 % des personnes interrogées ont acheté un produit MDD, et 44 % un

produit de marque économique.

La perception des prix est homogène selon les clients qui fréquentent un hypermarché ou un

supermarché, et par ailleurs, selon les enseignes.

Les raisons d’achat des MDD52 :

64%

39%

27%

5%

4%

55%

13%

6%

20%

38%

Prix

Qualité

Rapport Qualité/Prix

Par habitude

Réduction Prix aveccarte/points fidélité

Hypermarchés Supermarchés

51 LSA n°1883, novembre 2004 52 Ibid.

37

EVOLUTION DES MDD EN FRANCE PAR MILLIERS DE PRODUITS EN 200353.

1988 1994 1999 2001 2002 2003

- Hygiène-Beauté 3,9% 4,8% 5.7% 5.8 % 5.9 % 5.8 %

- Entretien 7,7 10,9 13,9 16,9 17,3 18,1

- Liquides 16,6 13,9 12,9 15,6 15,7 15,5

- Epicerie - 16,3 18,7 18,3 19,6 18

- Produits frais LS - - 26,4 28,8 29,3 18,7

- Crèmerie - 21,2 23,3 23,7 23,8 24,6

- Surgelés - 24,5 31,3 Nc 32,8 36,7

- Papier - 28,7 33,8 37,3 37,6 40,8

EVOLUTION DES MDD PAR ENSEIGNES54

1995 2001 2002 2003 2004

- Auchan Nc 21,6 % 24,2 % 25,1 % 25,7 %

- Carrefour 16% 25,2 25,7 26,6 28,6

- Casino 19 21,1 21,5 22,4 23,5

- Champion Nc 22,8 23,2 23,2 25,2

- Cora Nc 18,4 19,9 20,7 21,3

- Intermarché Nc 33,1 32,8 30,8 33,7

- Leclerc Nc 20,6 20,8 21 27,6

- Système U 10 23,6 23,7 23,9 24,2

53 Ibid. 54 AC Nielsen, 2004, 1er trimestre (en valeur)

38

Mais devant ce développement plutôt spectaculaire, une question se pose,

2. Quels sont les moyens mis en œuvre par les distributeurs pour

favoriser le développement élevé des MDD ?

Une gestion de la marque de distributeur spécifique à l'enseigne :

Contrairement à ce que l'on pourrait penser, la gestion de la MDD n'est pas identique d'une

enseigne à l'autre.

Qu'il s'agisse de la stratégie des achats ou de celle du label, Carrefour n'a pas les mêmes

politiques qu'Intermarché par exemple. En effet, en termes d'approvisionnement, certaines

enseignes, comme Cora, Leclerc, Carrefour ou Auchan ont choisi de déléguer entièrement les

achats de MDD à une cellule spécifique, tandis que d'autres (Stoc, Super U et Intermarché)

ont laissé ensemble les achats de MDD et ceux des marques nationales.

Dédier les achats MDD à une cellule spécifique peut se révéler dangereux dans le sens où,

coupés du contact avec les acheteurs de MN, les gestionnaires de la MDD peuvent avoir une

réactivité moindre, notamment devant des problèmes de substitution de produits ou l'arrivée

de nouveaux produits.

Concernant la politique de packaging des produits, certaines enseignes apposent

systématiquement leur logotype sur les biens (Carrefour, Casino) alors que d'autres n'y

mettent qu'un logo qui leur est réservé (Leclerc avec "la marque repère", Auchan avec

"l'oiseau"). Pour le nom des gammes, seul Intermarché décline un nom par gamme.

Ces différentes stratégies reflètent un arbitrage pour le distributeur entre capitalisation de

l'image de l'enseigne (le nom ou le logo de l'enseigne est un élément de reconnaissance fort

39

pour le consommateur) et degré de variété de l'offre de produits (décliner des noms de

gamme donne au consommateur l'illusion de plus de produits offerts).

La tendance actuelle est toutefois à une capitalisation claire de l'image de l'enseigne. Les

politiques en prix des enseignes sont uniformes, les prix des MDD étant, en moyenne, de 20

% inférieurs à ceux des MN comparables sur les boissons, l'épicerie, les produits frais et les

surgelés55.

Les principaux facteurs qui favorisent un développement élevé des MDD sur un marché sont

donc principalement les suivants :

Une qualité élevée par rapport à celle des MN

Une variabilité faible de la qualité entre les différentes MDD pour une même catégorie de

produits ;

Une catégorie de produits qui a un chiffre d’affaires important;

Des marges brutes relatives élevées ;

Un nombre limité de producteurs nationaux (ce qui prouve que la part de marché des

MDD augmente quand le nombre de MN diminue) ;

Des dépenses de publicité faibles.

Les 6 facteurs précédents expliquent 70% de la variance des parts de marché des MDD dans

un échantillon de 185 produits56.

Les principales variables qui influent sur les parts de marché des MDD chez les différents

distributeurs sont les suivantes :

55 LSA n°1883, novembre 2004 56 Ibid.

40

Le nombre de MN présentes chez le distributeur a un effet négatif important. Moins il y a

de marques nationales plus la MDD peut se développer. L’explication serait simplement liée

à une répartition possible des ventes dans un contexte de capacité de distribution fixée. Plus il

y a de références, moins une référence obtient de part de marché.

L’hétérogénéité entre les parts de marchés des MN (mesurées chez chaque distributeur) a

un effet positif important. Une des explications est liée au fait qu’à une dissymétrie forte dans

les parts de marché des MN (un petit nombre dominant le marché) peuvent être associés à

des prix plus élevés laissant alors la possibilité d’un développement des MDD.

Les promotions sur la MDD et l’écart de prix avec la MN ont un rôle positif. De même, les

promotions sur les MN ont quant à elles un effet négatif même si leur impact est plus limité

que celui des promotions sur les MDD.

Les politiques mises en oeuvre par les différentes enseignes (politique qualité, nom du

distributeur, existence d’une MDD en haut de gamme) ont un effet positif sur le

développement des MDD.

Le niveau de richesse des consommateurs a un effet négatif sur le développement des

MDD.

Enfin, selon une enquête LSA/Fournier, les principales motivations des distributeurs à

l’égard des MDD étaient déjà en 1996 : Proposer des prix bas (33%), Améliorer les marges

(25%), Renforcer l’image (18%), Fidéliser la clientèle (16%). Ce qui reste toujours d’actualité

aujourd’hui en 2005.

Ces motivations renvoient à deux types d’arguments économiques : un argument de

concurrence entre distributeurs d’une part et à un argument de coordination verticale entre

producteurs et distributeurs d’autre part.

41

Dans le premier cas, les MDD, sont considérées comme un élément supplémentaire de

différenciation entre les distributeurs. En effet, étant par définition des produits spécifiques

aux enseignes, l’offre de produits ne sera pas identique entre les différentes enseignes.

En l’absence de MDD, dans l’agroalimentaire où les accords d’exclusivité sont rares, les

distributeurs vendent souvent les mêmes marques. De ce point de vue, ils ne sont pas

différenciés. L’introduction des MDD ajoute alors un élément de différenciation puisque ces

produits sont spécifiques à chaque distributeur. Ceci permet donc de relâcher la concurrence

entre distributeurs.

Dans le deuxième cas, l’idée centrale est que le distributeur en introduisant une MDD devient

concurrent de son fournisseur. La conséquence en est que le distributeur renforce son pouvoir

de négociation dans sa relation avec le producteur que nous développerons plus dans la

troisième partie.

Ces deux éléments sont reliés car le niveau de concurrence en aval a des répercussions

importantes sur le partage des profits au sein des filières verticales.

Ainsi pour Steiner (1985), le pouvoir relatif entre producteurs et distributeurs est

directement lié à l’attachement des consommateurs aux produits ou aux magasins57:

“If consumers are more disposed to switch brands within store than stores within brand, retailers dominate manufacturers. Retails margins will be relatively high and those of manufactures relatively low. When consumers are more disposed to switch stores within brand than brands within store, the above market power and margin are reversed” (Steiner, 1985, 157-158).

57 F.Berges-Sennou, Rapport de l’Impact économique du développement des marques distributeurs,INRA, Juin 2003.

42

Le développement d’une MDD en incitant des consommateurs à ne pas changer de magasin

pour trouver ailleurs leur marque ‘préférée’ est donc susceptible de renforcer le pouvoir de

négociation du distributeur et il faut donc les fidéliser…

Mais est-ce vraiment possible pour les distributeurs d’avoir un pouvoir de fidélisation avec

leur(s) MDD ? Peut-on vraiment obtenir en quelques années ce que des marques comme

Danone ou Coca-cola ont mis presque un siècle à obtenir ?

B. Une Fidélisation par les MDD qui reste toutefois difficile

Je commencerai cette analyse avec une citation de Olivier Geradon de Vera, Directeur Général

adjoint d’Iri-Secodip, lors d’une conférence organisée par LSA et KCA en 1994. Même si

depuis, plus de 10 ans se sont écoulées, je trouve qu’elle reste absolument d’actualité :

« L’objectif majeur de chaque distributeur est de fidéliser sa clientèle. Or la marque nationale ne fidélise pas puisqu’on la trouve dans tous les magasins. En revanche, la MDD fidélise si elle est une vraie marque, c’est-à-dire un support d’image de l’enseigne comme Sainsbury en Grande Bretagne, ou synonyme d’enseigne comme Aldi en Allemagne. Enfin et surtout le premier prix ne fidélise pas parce qu’il n’a pas d’autres arguments que le prix 58»

1. Les consommateurs sont-ils fidèles à leur Distributeur ?

La fidélisation est devenue essentielle compte tenu de la taille des forces en présence. Tous

les concurrents investissent des budgets considérables sous forme de promotion pour essayer

de débaucher les clients du concurrent. De source distributeur, TNS média Intelligence estime

58 LSA, n°1883, op.cit.

43

les dépenses publicitaires des enseignes sur le premier trimestre 2003 à 184 millions d’euros

en hausse de 25%59.

L’étude Sofres de distribution apporte la confirmation que tous les clients ne sont pas égaux.

Les clients fidèles dépensent trois fois plus que les clients occasionnels en hypermarchés.

L’objectif est donc de garder ses clients fidèles en leur prouvant à chaque visite que leur

enseigne fait plus que ses concurrents et de faire basculer les clients secondaires en clients

fidèles. La tentation est toujours grande de vouloir conquérir les clients des autres, mais

comme le dit le proverbe « Un tien vaut mieux que deux tu l’auras »

La fidélité des clients selon les circuits de distribution60

Hypermarché Supermarché Hard-Discount

Débits CA

Dépenses

Mois

Débits CA

Dépenses

Mois

Débits CA

Dépenses

Mois

Clients Fidèles

36% 76 %

327 euros

32% 72%

302 euros

16,5% 41%

224 euros

Clients Fidèles

26,5% 18%

104 euros

30,5% 22%

117 euros

33% 46%

126 euros

Clients Fidèles

37,5% 6%

28 euros

37,5% 6%

22 euros

50,5% 13%

23 euros

Fidéliser les clients est également important en terme de rentabilité. Une étude de Price

Waterhouse Coopers révélait ainsi que 4% des clients réalisaient 20% des ventes et 29% des

59 www.tns-sofres.com [réf mars 2005] 60 Linéaires, n°156, février 2001.

44

profits tandis que Paul Louis Halley, président de Promodès, déclarait en 1996 lors des

journées IFM qu’une hausse de 5 points du taux de fidélisation augmenterait la rentabilité de

l’enseigne de 50%61.

Cependant cet objectif Fidélisation reste difficile, l’enquête réalisée par l’INSEE en avril 1998

indique que 29% des clients effectuent régulièrement leurs courses dans une seule grande

surface, 36% en fréquentent deux et 20% trois et plus62.

Cette multi fréquentation en hausse régulière est sensiblement influencée par la taille des

ménages.

Parmi les critères avancés ci-dessous, la praticité apparaît de loin comme le premier critère

de choix du magasin devançant largement le prix, le choix et la qualité.

Les critères de choix d’une grande Surface63

Fréquentation

Praticité Prix Choix Qualité

1 magasins 77% 11% 8% 3%

2 magasins 66% 17% 12% 5%

3 magasins et + 54% 22% 16% 7%

Ensemble 67% 16% 11% 5%

61 www.pwcglobal.com [réf Mars 2005] 62 P. BRETON, Les marques de Distributeurs, Les MDD ne sont pas que des copies, op.cit.., p 40. 63 Ibid

45

On peut toutefois observer que la fréquentation de plusieurs magasins accroît le niveau

d’exigence des clients. Ainsi, le développement des Grandes Surfaces Spécialisées pour le

choix et celui des magasins hard-discount pour le prix exercent une pression supplémentaire

sur les hypermarchés et les supermarchés.

Une étude réalisée aux Etats-Unis64, met en évidence le processus d’amélioration de la

rentabilité des clients au fil des années. Comme le bon vin, le client se bonifie et se rentabilise

dans le temps. A la rentabilité initiale du client conquis viennent s’ajouter dans le temps le

profit généré par l’augmentation du volume d’achats et de la fréquentation du magasins.

Les effets positifs de la fidélisation s’accompagnent d’une démarche volontaire de parrainage

des clients et d’une moindre sensibilité aux prix.

L’Observateur Cetelem réalise chaque année des analyses remarquables qui présentent le

grand avantage d’anticiper les évolutions qualitatives de la consommation65.

En 1999, le thème retenu portait précisément sur la fidélisation. Il ressortait de cette enquête

que si 68% des clients (26% « beaucoup » et 42% un « peu ») se disaient concernés par la

fidélité, la perception des consommateurs sur son évolution apparaît plus partagée : 44%

considèrent qu’elle était plus importante qu’auparavant et 39% sont de l’avis contraire. Les

performances notoires de Leclerc et des nouveaux commerçants sur la fidélisation tiennent

probablement au profil plus modeste de leur clientèle.

2. Objectif : Optimiser la satisfaction client

En fait, derrière la problématique de la fidélisation, se pose le problème de la satisfaction du

client.

64 LSA, n°1381, 20 Janvier 1994. 65 www.observateur-cetelem.com/ obs/observateur/2004/home.htm [réf mars 2005]

46

Les clients sont fidèles tant qu’ils sont satisfaits. Il y a rarement de grosses insatisfactions

subites mais une succession de petites insatisfactions qui s’accumulent. D’où le conseil donné

aux enseignes de bien surveiller les signes de mécontentement, de favoriser leur expression et

de les traiter avec la plus grande attention. Le souci de tout bon commerçant est donc de

veiller en permanence à satisfaire au mieux son client en sachant que ce dernier est fortement

sollicité par la concurrence pour aller voir ailleurs si il y a mieux.

La marque n’est plus perçue en relief à partir des avantages qu’elle apporte mais en creux sur

le vécu des insatisfactions qu’elle crée. Le niveau d’exigence étant proportionnel au choix, les

clients exigent à la fois, la qualité, le prix, le confort d’achat et la considération.

L’Observatoire de la relation client en hypermarché révèle un consensus mou quant au degré

de satisfaction des clients. Si les clients ne manifestent pas une forte hostilité, ils n’expriment

pas non plus un fort attachement. Deux choses sont à privilégier pour améliorer cette relation

avec les clients et l’assortiment et le magasin.

L’inconvénient de l’axe magasin est de mobiliser des investissements dont le retour n’est pas

garanti en terme de chiffre d’affaires additionnel. Les fortes velléités observées dans les

années 90 sur le déploiement des univers ont été rapidement refrénées au vu des résultats

mitigés. De même, les investissements dans le circuit hard-discount s’avèrent bien supérieurs

à ceux du circuit traditionnel comme viennent de le confirmer les derniers résultats du

groupe Casino66.

La contribution de la performance des produits et services apparaît dans le tableau trois fois

plus forte que celle de l’image.

66 P. BRETON, Les marques de Distributeurs, Les MDD ne sont pas que des copies, op.cit.., p 40.

47

Facteurs Explicatifs de la Satisfaction Globale67

Contribution de

l’image

28%

Contribution de la

performance des produits et

services

72%

Réputation/Confiance

Autorité de la marque

Proximité

10%

9%

9%

Prix

Qualité des produits

Qualité de l’information

Qualité du relationnel

Temps d’attente

23%

18%

14%

10%

7%

Le tableau ci-dessus confirme cette l’importance des critères prix et de la qualité de l’offre qui

apparaissent aujourd’hui davantage comme une dette à l’égard du client que comme

avantage différenciateur durable.

Tous les concurrents qui restent en lice ont en effet acquis un niveau de professionnalisme

sensiblement équivalent. Même si les MDD peuvent améliorer la pertinence de l’offre

qualité/prix d’une enseigne, la qualité de l’information et du relationnel est aussi appelée à

exercer un rôle croissant dans l’amélioration de cette satisfaction.

L’une des raisons du succès des hard-discounters tient vraisemblablement à la simplification

appréciée par les clients certes désireux d’optimiser leur pouvoir d’achat mais aussi leur

temps.

Avec ses 2 500 références, Leader Price offre ainsi un choix de produit tout à fait conséquent à

défaut d’offrir un choix de marques qui devient aussi parfois une source de tension, voire

d’hypertension pour le client qui appréhende toujours de ne pas faire le bon choix. 67 Observatoire de la Relation cliente t Research International, 2001.

48

La MDD est donc appelée à jouer un rôle majeur dans la construction de l’offre à la condition

de bien connaître les besoins réels des clients et assumer des choix catégorie par catégorie.

Cette catégorie définie ECR Europe « est un ensemble de produits et/ou services perçus par

le consommateur comme satisfaisant son attente ».

C. Quelques marques nationales difficile à détrôner

Certes les professionnels des grandes marques n’ont jamais été aussi inquiets. Entre autre,

Dominique de Gramont, délégué général de L’Ilec, un lobby de 120 industriels, où l’on trouve

aussi bien Coca-Cola que l’Oréal, Danone ou Nestlé.

Cela représente plus d’un millier de marques, qui pèsent au total près de 40 milliards d’euros

en France. Seulement depuis quelques mois, des doutes sont là. « La situation n’a jamais été

aussi préoccupante » s’alarme t-il en observant l’évolution des ventes de grandes marques

depuis quelques mois : elles ont plongé de 2,7% en 2004, tandis que celles des produits des

distributeurs comme Leclerc, Cora, Auchan, Casino ou Système U s’envolaient de 4% : « Du

jamais vu, commente Gramont. Les marques nationales sont menacées68 ».

1. Les marques nationales vraiment menacées par les MDD

Comme nous l’avons vu dans le précédent chapitre, près de trente ans après l’apparition des

premiers produits libres de Carrefour, une percée s’est vraiment accélérée et certains se

demandent même si elles ne vont pas finir par tuer les marques nationales.

68Capital, J. Botella, Les marques de Distributeurs valent-elles les grandes marques ? Mars 2005, p 50.

49

Discours excessif ? Et bien peut-être pas tant que ça car oui aujourd’hui nous savons que des

millions de consommateurs ont troqué leur hachis parmentier Maggi ou leur Paic Citron

contre les clones fabriqués spécialement pour Cora, Leclerc ou Intermarché69.

Mais est-ce vraiment le cas pour toutes les marques ? Existe-t-il des produits de grandes

marques tout simplement irremplaçables ?

Mais analysons plutôt la situation avec des exemples concrets de grandes marques sur le

point d’être dépassées par les MDD et les stratégies utilisées par les industriels pour leur

échapper .

Prenons l’exemple du produit liquide Vaisselle de la marque Paic. Il est vrai que l’américain

Colgate, leader historique du secteur, dont les marques Paic et Palmolive, vendues entre 1,60

euros et 2 euros, peinent à tenir le rang vit un vrai cauchemar. Certes, le Paic reste numéro 1

en France (25 millions de litres l’an passé) et assure une bonne moitié des revenus de la

multinationale sur ce créneau70.

Mais la chute de ses ventes a commencé a baissé sérieusement depuis 5 ans et elle s’accélère

en 2004 (-6,5%) face à l’offensive de sa vingtaine de clones produit par le groupe Britannique

dans l’usine Mc Bride. Elle compte 777 millions d’euros de chiffre d’affaires annuel et

Auchan, Leader Price, Carrefour, Cora ou Leclerc : tous se fournissent chez lui71.

Alors le paic citron à 1,85% récure-t-il vraiment mieux que le produit Cora vendu à 1,10 euro

et produit par Mc Bride?

Après des tests réalisés par des professionnels la célèbre marque remporte mais de peu. Les

deux produits sont par exemple à égalité pour le Ph, qui mesure l’acidité : celui de Paic est à

6, celui de Cora à 5,5. L’un comme l’autre sont inoffensifs pour la peau. Deuxième test : 44 69 Ibid 70 Capital, E. Wattez, Paic récure un peu mieux que ses clones, Mars 2005, p 58-59. 71 Ibid.

50

assiettes ont pu être lavées avant que la mousse générée par une goutte de Paic ne

disparaissent. Contre 40 assiettes pour Cora.

EN règle générale, le plus du produits Paic apparaît dans des conditions d’extrême saleté,

mais le rapport qualité prix de la MDD est globalement supérieur.

Le directeur commercial de Mc Bride explique :

« A la différence des lessives ou les grandes marques innovent et sortent de nouvelles molécules, les recettes de base liquide vaisselle n’évoluent plus ce qui les rend très facile à imiter ».

La seul façon pour Colgate ou le groupe Henkel, propriétaire de Mir, de se distinguer consiste

donc à introduire des parfums inédits, comme le savon de Marseille, la pêche ou la pomme…

Mais quelques mois suffisent en général aux MDD pour les copier. Le processus est toujours

le même : à chaque nouveau « hit », les distributeurs lancent un appel d’offres pour créer un

produit équivalent et à leur nom. En général il suffit de seulement 2 semaines pour concocter

les copies… Pas étonnant que Paic ait du mal à tenir la distance…

Concernant les produits surgelés, faisons une étude approfondis sur le « hachis Parmentier »,

exemple de produit très apprécié des MDD.

Grande savoir du terroir français, c’est un produit extrêmement vendu dans l’hexagone.

Difficile d’en trouver un vraiment bon et raffiné car généralement il fini en bouilli de purée et

de viande dans l’assiette… mais les français l’adorent…Des testeurs ont pourtant trouvé un

gagnant qui se détachent du lot. Non, contre toute attente, ce n’est pas le produit Maggi mais

celui de Système U…

Comme cela arrive de plus en plus souvent lors des tests à l’aveugle, une MDD a encore une

fois nargué la grande marque. Et pas des moindres, puisque Maggi, qui appartient au groupe

Nestlé, est le leader du Hachis Parmentier surgelé dans les hypers. Sur ce marché, dont le

51

chiffre d’affaires annuel est d’environ 30 millions d’euros, l’industriel se taille une part de

48% contre 43% pour les MDD72.

Mais la vrai raison s’explique par le fait que le Hachis Parmentier reste un produit très simple

où les grandes marques ont de plus en plus de mal à se différencier de leurs concurrents

distributeurs. Malgré un écart de prix important : 4 à 5 euros la barquette Maggi de 1 kilo ; à

peine 3 pour la marque U.

Comme les grands noms de l’agroalimentaire, les distributeurs imposent en effet à leurs

fournisseurs des cahiers des charges draconiens. Celui du hachis U (90 pages) détaille, par

exemple , la durée de la cuisson, la température au degré près et jusqu’au calibrage des

carottes : 4 millimètres sur 4.

Mais pour qu’il soit suivi à la lettre (le coût imbattable du produit en dépend) , encore faut-il

mettre la main sur le bon sous-traitant, ou « faiseur » comme disent les professionnels.

Derrière la Hachis U se cache ainsi, Charal le leader français des produits à base de bœufs.

Comme Nestlé il emploie de vrais cuisiniers pour préparer et affiner les plats. Charal a planté

son usine géante près de Lisieux, dans le Calvados ; 120 personnes au total y mitonnent 2000

tonnes de hachis par an pour système U mais aussi pour Carrefour73.

Alors comparons concrètement les 2 produits, Maggi et Système U.

Viande : Maggi et Système U utilisent les mêmes morceaux dits « avant » du bœuf, non

consommables en boucherie. Le premier achète sa viande en Amérique Latine et en Europe,

72 Capital, J. Botella, La magie de Maggi reste à demontrer… Mars 2005, p 62-63.. 73 Ibid.

VS

52

le second seulement France. Maggi reçoit une viande déjà cuite, alors que Charal fournisseur

de U, la mitonne avec des légumes.

Légumes : Oignons de Pologne, carottes de France et de Belgique… Préparés

industriellement, les légumes arrivent le plus souvent précuits dans les usines.

Purée : Les deux concurrents ont recours à la meme variété de pommes de terre, la bintje de

Hollande et de Picardie. Mais le groupe Maggi à un léger avantage, puisqu’il utilise des

flocons préparés dans les usines de Mousline, grand spécialiste en la matière, qui fait aussi

partie du groupe Nestlé.

Fromage : Chez Maggi, c’est de l’édam74. Chez les « Nouveaux commerçants » de

l’emmental. Dans les deux cas, les quantités sont minimes (environ 2% pour une barquette de

1 kilo). Il faut en effet que le goût ne soit pas prononcé pour plaire au plus grand nombre

d’entre nous.

Graisses : Le rapport de protéines sur lipides, qui sert à évaluer l’équilibre d’un plat, montre

que le hachis MDD est un peu plus gras que le Maggi. Explication : ce dernier comprend 15%

de viande (déjà cuite lorsqu’elle arrive à l’usine) contre 28% (cuisinée sur place, elle dégage

plus de graisses) chez Système U75.

Emballage : ça différence la plus notable entre la marque nationale et la MDD réside

finalement dans l’emballage. Maggi a investi dans une très pratique barquette micro-ondable

tandis que le produit U doit cuire deux fois plus longtemps au four traditionnel.

74 www.maggi.ch/fr/recette [réf mars 2005] 75 Capital, J. Botella, La magie de Maggi reste à demontrer… op.cit.

53

Dans ces conditions que reste-t-il a Maggi pour justifier un prix si élevé ? Le marketing bien

sur.

Son emballage comme nous venons de le voir est plus travaillé, les informations sont claires

et les couleurs soigneusement choisies pour évoquer les recettes de nos grands-mères. Et puis

il a cette barquette « micro-ondable ». Mise au point il y a deux ans, elle permet de préparer

le plat en seulement dix-sept minutes, contre quarante minutes pour le hachis U au four

traditionnel. Son coût assure t-on chez Nestlé est 50% plus élevé que celui d’une boite en

aluminium.

Mais cet avantage n’a été que de courte durée. Carrefour a récemment sorti le même type de

conditionnement et Système U y réfléchit. Bref une question reste à se poser, dans ces

conditions, quel avantage va-t-il rester pour la marque Maggi ?

Alors les marques nationales sont-elles toutes si faciles à détrôner ? Peut-on trouver des

exemples qui restent difficile à imiter et dont le consommateur ne pourra jamais se passer ?

La réponse est Oui ! Les grands groupes ont des stratégies bien à eux : La recherche et

l’innovation restent les clés miracles pour ne pas se faire distancer par les MDD.

2. Des produits que rien ne peut remplacer

Pour contrer l’offensive des distributeurs, les industriels n’ont pas le choix. Il leur faut

redoubler d’efforts en matière d’innovation. Comme le fait Procter avec sa nouvelle lessive

Mr Propre, dopée aux enzymes. Ou Danone dont les chercheurs dotés d’un budget annuel de

130 millions d’euros, viennent de mettre au point un yaourt anti-cholestérol et un autre pour

lutter contre le stress quotidien. Une course sans fin contre les distributeurs car eux aussi se

sont mis à innover76.

76 Capital,J. Botella, Les grandes marques valent-elles leur prix, op.cit, p 51.

54

Etudions la tactique de Jocker… En effet le numéro 1 du secteur tient les MDD à distance en

dopant ses jus avec des vitamines et de la pulpe.

Dans la principale usine française d’Eckes-Granini près de 18 000 palettes de jus d’orange,

d’ananas ou de pomme sont empilés sur 12 mètres de haut dans ce hangar de 1,2 hectar. Sur

le étiquettes on trouve toutes les grandes marques, on peut lire Joker, Réa, Granini…mais

aussi Auchan, Champion ou Carrefour. Eckes- Granini numéro 1 européen des jus de fruit, ce

groupe Allemand détient près de 15% du marché français grâce notamment à sa marque

vedette, Jocker, qui est bien loin de devant Tropicana (6,1%) et Pampryl (3,7%)77.

Mais il est aussi un important fournisseur de MDD, ainsi en 2004, Eckes-Granini a ainsi

embouteillé 74,5 millions de litres de jus de fruit pour les chaînes d’hypermarchés et de

supermarchés, ce qui représente près de 30% de sa production.

D’où ce soupçon : le pur jus d’orange Jocker (1.90 euro le litre environ en magasin) ne serait-il

pas strictement identique à ses clones de Leclerc ou d’Auchan (1,50 euro) ? Le directeur

d’Exckes-Granini France, Sylvain Jungfer :

« Disons que ce sont deux produits de qualité qui répondent à des attentes différentes des consommateurs »

Pour en avoir le cœur net, une équipe de la revue Capital a remonté les filières

d’approvisionnement et demandé à un jury de goûter en aveugle plusieurs jus d’Orange et

les a également faut analyser part un laboratoire indépendant.

Premier verdict : tous les jus de fruits de cet entrepôt vendus en France sont de très bonne

qualité. Et pour les analyses faites en Laboratoire que ce soit pour les MDD ou Jocker, il n’y a

aucune trace d’eau ou de sucre ajouté. « Les fraudes sont très rares » confirme-t-on chez

77 Capital, C. Pietralunga, Joker fait la différence avec ses vitamines, Mars 2005, p 54-55.

55

Unijus, l’organisme professionnel chargé de contrôler les embouteilleurs. En ce qui concerne

le panel de testeur de Capital, c’est même Auchan qui a décroché la meilleure note, mais il

reste talonné par Système U et Jocker.

Difficile du coup de s’y retrouver… Alors comment faire la différence, le produit en

lui-même de quoi est-il composé ? Voyons un peu la différence et notons ce qui fait

vraiment la différence :

JOKER

Ajout de Pulpe de Qualité : Les français appréciant les jus un peu épais, Joker ajoute donc 3%

de pulpe. Il s’agit souvent de cellules, ces membranes qui contiennent le jus des oranges et

donnent un goût frais.

Ajout de minéraux et de vitamines : Vitamines C, E, B3, B5, Pro-A, Calcium, fer, zinc… Pour

se distinguer des MDD, Joker a mis le paquet sur son jus appelé « Orange Plus » : pas moins

de 9 vitamines et six minéraux ont été ajoutés.

Mention sans signification : L’indication « sans sucre ajouté » n’est qu’une astuce marketing.

La réglementation interdit en effet aux industriels d’ajouter du sucre dans un pur jus.

AUCHAN Ajout de pulpe basique : Comme Joker, Auchan ajoute 3% de pulpe dans son

jus pour l’épaissir. Mais il s’agit souvent de fibres et non de cellules.

Faible teneur en vitamine C : l’indication « naturellement riche en Vitamine

C » veut dire que l’industriel n’a rien ajouté au jus pasteurisé. Le pus jus

Auchan contient deux fois et demis moins de vitamine C que Joker, qui, lui,

affiche les mêmes taux qu’une orange fraîche.

56

Mention sans signification : L’indication « 100% pur jus pressé » n’assure pas que le jus

Auchan est meilleur. Elle veut simplement dire qu’il n’y pas d’eau ajoutée et on la trouve sur

tous les purs jus.

Il est vrai que la plupart des vitamines sont détruites lorsque le jus est pasteurisé. Eckes-

Granini en ajoute donc pour que ses jus soient aussi vitaminés qu’une orange fraîche. Ce qui

lui permet d’afficher la mention « A teneur garantie en vitamines ».

Les MDD , elles indiquent sur leurs bouteilles « Naturellement riche en vitamine C »,

traduction : il n’y a que celles de oranges utilisées… c’est-à-dire très peu… Environ deux fois

et demie moins que dans un fruit pressé.

Pour autant impossible de connaître les doses de vitamines ou de pulpe ajoutée par Eckes-

Granini car « cela fait partie de nos secrets industriels… ». Seule certitude : si les vitamines

ou les minéraux améliorent bien le produit, cela ne justifie pas un écart de prix de 20 à 30%.

La raison : ajouter des pulpes ou des arômes ne coûte pas très cher. Mais c’est suffisant pour

que les MDD ne suivent pas. Le patron d’une PME du Sud de la France spécialisé dans le jus

de pomme explique en effet que les MDD restent obsédées par les prix. Tout est bon pour

gagner le moindre centimes. La qualité est là certes mais elle reste minime78.

Autre exemple significatif : Danone.

Depuis quelques années, la recherche est devenu une obsession chez le géant français de

l‘agro-alimentaire. Faute de pouvoir réaliser avec les prix cassés des hypermarchés et des

hards-discounters, Danone qui ne fabrique pas de MDD (à vrai dire hormis quelques

desserts, mais nous développerons plus dans le détail ce phénomène dans la troisième

partie), a décidé de mettre le paquet sur l’innovation. Et non sans succès.

La firme dirigée par Franck Riboud détient à elle seule 37% du marché de l’ultra-frais

(yaourts, desserts lactés et fromage frais), contre « seulement « 24% pour les MDD79.

78 P. BRETON, Les marques de Distributeurs, op.cit., p77. 79 C. Pietralunga, Capital, Mars 2005, Danone garde plusieurs innovations d’avance, p 66.

57

Danone a en effet investi dans un immense centre de R&D inauguré il y a deux ans près de la

fameuse école Polytechnique à Palaiseau (dans le département de l’Essone). Au milieu des

champs de blé, 600 chercheurs et ingénieurs travaillent dans ce monstre de bois et d’acier de

30 000 mètres carrés, baptisé Vitapole80.

On y trouve plusieurs labos de pointe mais aussi des mini-usines pour tester les nouveaux

produits. Le budget annuel est tenu secret mais approcherait, selon la revue capital, les 100

millions d’euros.

Cet argent est d’abord destiné à trouver de nouvelles bactéries, matières premières

essentielles du yaourt. Danone en possède une collection unique au monde : 3500 souches,

conservées sous forme de granules dans des frigos à -80°C, alignés dans une salle du

Vitapole, dont l’accès est protégé par des cartes à puce. Ce sont ces bactéries qui, en se

multipliant, transforme le lait, en yaourt par fermentation. Mais chacune a des effets

différent : « certaine agissent sur la texture et d’autres sur le goût, l’acidité, ou l’arôme,

explique Steven Thormahlen, patron du centre de R&D. Les possibilités sont infinies si on les

associe. » Et comme Danone n’en utilise pour l’instant qu’une cinquantaine on peut imaginer

la valeur de ce trésor. ..

Danone est le seul groupe en France a investir autant dans ce domaine. En effet, les

industriels Senoble, Lactalis ou Novandie (filiale d’Andros) qui fournissent les MDD, se

contentent souvent d’acheter leurs souches sur catalogue auprès des firmes danoises comme

par exemple Danisco ou Chr. Hansen, leaders mondiaux du secteur. A l’inverse, Danone en

découvre plusieurs dizaines par an et dépose un brevet pour les plus prometteuses. Trente

d’entre elles sont ainsi protégées. Impossible, par exemple, de copier son Best-seller Bio : Le

Bifidobacterium animalis qu’il contient lui appartient sous le code DN-173010, juste pour

information.

80 Ibid.

58

Pour faire la différence avec les MDD, Danone a dû aller encore plus loin. Une cinquantaine

de chercheurs maison, spécialisés dans la nutrition se concentrent sur l’amélioration et la

création de nouveaux produits. On leur doit ainsi Danacol, un yaourt enrichi en phytostérols

(une molécule végétale), censé diminuer le taux de cholestérol de 15% lorsqu’on en

consomme deux par jour. Ou encore Zen, lancé l’été dernier en Belgique, une sorte d’Actimel

du soir bourré de magnésium, qui aide à lutter contre le stress. Leur objectif étant d’avoir

toujours une longueur d’avance. Il y a un an, Danone a transformé son classique yaourt aux

fruits en un produit beaucoup plus sophistiqué, Crok’Fruits avec deux souches de Bactéries

top secret81 !

Alors voilà peut-être la clé du succès pour les marques nationales. Garder leur recette secrète

en investissant le maximum dans le secteur R&D. Car en effet, les marques nationales qui

n’ont pas subi la concurrence des MDD sont celles qui n’ont jamais divulgué leur recette et

tiennent encore le secret de tous les ingrédients que comporte le produit. Je pense notamment

à une grande marque : Nutella.

Il est vrai que c’est un cas rare dans l’agro-alimentaire : la célibrissime marque italienne n’a

aucunement peur des copies de la grande distribution. Son système ? Une méthode jamais

égalée depuis son invention en 1949, des ingrédients sélectionnés parmi les meilleurs et un

procédé industriel exclusif…

Cette marque fétiche de petits et des grands, du groupe italien Ferrero, quatrième confiseur

mondial (Tic Tac, Kinder, Ferrero Rocher…) va pouvoir fêter dignement ses 40 ans : son

81 www.danone.com [réf avril 2005]

59

concentré de noisettes de lait et de cacao détient 84% du marché français soit 176 millions

d’euros de chiffre d’affaires, 25% de plus qu’au début des années 9082. Les rares marques

concurrentes (Poulain ou encore Milky Way) ont depuis longtemps jeté l’éponge. Quant aux

MDD, elles ne cessent de perdre du terrain. Ce qui aujourd’hui relève de l’incroyable.

Elles sont pourtant 30% à 40% moins chères, tout en affichant la même composition : 13% de

noisettes (2% pour les premiers prix), 7% de cacao et entre 5 et 6% de lait écrémé83. Mais tout

n’est que peine perdue. Les fabricants de MDD ont tous lâché prise, même Cémoi, deuxième

chocolatier européen. Ce qui contraint les distributeurs à se fournir ailleurs en Europe,

notamment chez le belge All Crump (Auchan, Carrefour, Aldi).

De quoi s’interroger sur le secret que semble renfermer le produit mythique (même les sites

Internet de fans-clubs se comptent par dizaines). C’est en Normandie que se trouve la plus

grosse usine Nutella du monde, avec une production de 600 000 pots par jour. La directeur

du site, Jean-Michel Olivier est formel84 :

« Nous utilisons les meilleurs ingrédients du monde et on les transforme suivant un process exclusif de Ferrero »

Les noisettes, viennent de Turquie, premier producteur mondial, dont Ferrero achète 15% de

la récolte annuelle, soit 60 000 tonnes. Une force de frappe qui lui permet de faire main basse

sur la meilleure variété, au nom tenu secret, et sur les plus gros calibres, plus fruités : 15

millimètres, à 5 dollars le Kilo. Les MDD se contentent des 11 millimètres, à 3 dollars85.

Les autres ingrédients sont aussi sélectionnés et transformés avec un soin maniaque. La

matière grasse ? Un mélange d’huiles de palme, achetées sur le marché mondial de

Rotterdam mais assemblées et désodorisées à l’usine mère d’Alba en Italie.

82 N.Villard, Capital Mars 2005, Nutella toujours inimitable, p 60-61. 83 Ibid. 84 Documentaire, l’empire de Michele Ferrero, Janvier 2005, France 5. 85 N.Villard, Nutella toujours inimitable, op.cit.

60

Le cacao ? Lui aussi est fait maison. Les fèves sont achetées au Ghana et en Côte d’Ivoire puis

torréfiés et pressées à Alba, alors que la plupart des fabricants achètent de la poudre de Cacao

déjà toute faite.

Unique propriétaire, avec ses deux fils Giovanni et Pietro, de son empire du chocolat, le très

secret Michele Ferrero (qui aura bientôt 80 ans et qui contrôle toujours vivement son

entreprise) aime répéter que la recette de « la Nutella » comme le disent les italiens, est un

« puzzle de 10 000 pièces » et que, quand bien même quelqu’un les aurait toutes, rares ceux

qui seraient capables de les rassembler.

Chez Ferrero, ils ne seraient que d’ailleurs une dizaine de salariés, sur les 15 000 que compte

le groupe, à connaître la recette en détail. Et comme si ça ne suffisait pas à garantir son

invincibilité, la notoriété de la marque est soutenue par des investissements publicitaires

massifs : 12 millions d’euros par an depuis 10 ans, essentiellement en spot télé. Avec un

objectif clair : élargir la consommation du goûter au petit déjeuner, un marché à 3,3 millions

milliards d’euros (hors jus de fruit et yaourts) et un des rares de l’agroalimentaire à

augmenter86.

En France, le réflexe tartines reste prédominant, environ 30% des volumes de Nutella sont

consommés le matin. Le groupe vise aujourd’hui les 50%. Et sans changer une seule ligne de

sa recette, ni une seule virgule sur son étiquette (oui, car effectivement c’est la même depuis

40 ans), Nutella entend pousser son avantage encore plus loin et faire grimper sa production

dans l’hexagone de 46 à 55 millions de tonnes par an. Ce qui peut vraiment effrayer les

MDD87.

86 Documentaire, l’empire de Michele Ferrero, op.cit. 87 Ibid.

61

Alors à la réponse les MDD vont-elles un jour remplacées nos grande marque ? La réponse

est certainement OUI ! Certaines marques nationales sont sûrement amenées à disparaître

dans les années à venir.

De nombreuses marques, qui se trouvent dans la même impasse que les surgelés Maggi ou

les produits vaisselles sont réellement en danger. Il est évident que dans ce chapitre tous les

exemples n’ont pu être cité mais ces deux cas reflètent le problème rencontré aujourd’hui par

les grandes marques, dépassées par leurs concurrents MDD88. Elles n’ont pas d’impact assez

fort sur le consommateur et leur qualité est à grand pas rattrapée par les MDD qui sont de

plus en plus inventives, proches voire au même niveau concernant tous les critères qui rend

le consommateur fidèle à sa marque. La qualité des ingrédients, l’emballage etc…

Cependant, ce n’est pas le cas pour tout le monde. Comme nous l’avons vu, plusieurs grands

groupes ne seront jamais dépassées par la distribution. Leur notoriété, leur qualité ou leurs

investissements en terme d’innovation ne peut-être égalés. Oui c’est sûrement en partie grâce

aux secrets de leur recette mais je pense qu’il est important de se rappeler que,

« Le destin d’une marque est d’abord dans les mains d’un homme89 »,

et cette force la marque de Distributeur ne peut l’avoir ou du moins même si un seul homme

se cache derrière toute la stratégie, elle n’est pas reflétée pour le consommateur et cela fait

toute la différence en terme d’image…

Tout au long de ce chapitre nous avons étudié la question des « producteurs » de MDD, car

effectivement les distributeurs gardent leur fonction de base c’est-à-dire de distribuer, de

vendre, même leur propre produit.

88 ANNEXE 7, p88. 89 J.M Lehu et A. Bonjour, Lifting de marque, 2002.

62

Donc qui fabrique les MDD ? Des indépendants ? C’est-à-dire des PME qui ne vivent que des

MDD. Ou des grands industriels ? C’est-à-dire des producteurs de grandes marques qui en

parallèle produisent également des MDD et des Marques Nationales ? Et dans ce cas là,

pourquoi toute cette concurrence ? Ne peut-on pas les considérés comme partenaires ?

Alors essayons de comprendre cette démarche…

63

III. Vers une redéfinition des règles du jeux entre fournisseurs et

distributeurs

A. Une relance économique des PME ?

1. Un profil rigoureux pour être un producteur de MDD…

L’entreprise spécialisée en MDD sont un peu à l’alimentaire ce que les équipementiers à

l’automobile… Ils acquièrent un savoir faire d’ensemblier de compétences qui les rend

progressivement indispensables à une clientèle professionnelle dont ils dépendent

totalement. A côté des spécialistes on trouve aussi des fabricants à marque qui valorisent leur

courbe d’expérience et saturent leurs usines grâce à un métier complémentaire. L’impact des

MDD est tellement fort qu’il crée un ensemble de savoir-faire propre qui s’agrège pour

constituer un véritable métier de fournisseurs de produits destinées à des professionnels. Une

sorte de Business-to-Business alimentaire.

On peut alors imaginer le profil type de l’entreprise spécialisée des MDD qui se caractérise :

Une organisation centrée sur la gestion des fonctionnalités du produit (produits neutres et

produits différenciés) et sur la gestion des marges.

Des savoir-faire qui touchent :

- La production de masse située en cœur de marché,

- La gestion de rapport qualité/prix,

- La maîtrise de la logistique (le commercial et l’innovation ne prenant pas une place

prépondérante).

64

Une gestion qui privilégie :

- Le marketing industriel (c'est-à-dire le Trade Marketing90),

- La souplesse des usines.

Une philosophie qui repose sur :

- La maîtrise de l’information vis-à-vis du partenaire distributeur,

- Une stratégie défensive qui privilégie les choix tactiques plutôt que les options à terme,

- Une prime à l’efficacité et à la réactivité plutôt qu’à l’efficience.

Pour ce faire, l’entreprise développe un certain nombre d’atouts, tout d’abord un service

Recherche et Développement performant, susceptible de servir de technico-commercial et

entraîné à l’adaptation des produits aux fonctions de marché recherchées, plus qu’à celles

d’innovations importantes. Un service qualité capable de garantir le respect des cahiers des

charges et de le justifier, à tout moment, à ses homologues de la grande distribution, une

logistique intégrant l’aval, l’amont et les flux internes, capable de piloter la production et

totalement l’orientée vers le client en bref, une gestion optimale de la Supply Chain

Management.

Un système informatique fonctionnant en temps réel et parfaitement efficace tant pour la

gestion de la production et de sa logistique que pour celle de ses clients, les deux étant

idéalement (ou du moins partiellement) intégrées.

Une usine totalement aux normes : la distribution n’hésitant pas à imposer les

investissements qu’elle juge nécessaires à la sécurité alimentaire surtout aujourd’hui avec

toutes les règles en vigueur et les normes européennes. Une capacité à saturer cette usine,

90 Marketing de la Distribution. Toutes les applications du marketing visant à maximiser l’efficacité des relations et des négociations entre un producteur et son/ses distributeurs, tous deux étant désormais convaincus que les enjeux leur sont communs. Leurs actions de partenariat reposent au départ sur un échange de données, le plus souvent aujourd’hui par le biais de l’informatique. (E.D.I/Electronic Data Interchange).(…) J.M LEHU, L’encyclopédie Marketing, op.cit., p 788..

65

grâce à une bonne gestion de portefeuille client-produit en jouant éventuellement, sur les

produits à marque propre.

Et pour les fabricants qui ne vivent que de la MDD, une usine souple et flexible afin de

pouvoir arbitrer rapidement et recomposer une gamme au besoin en recherchant des clients

alternatifs si un marché s’avèrent déficient par rapport aux prévisions du client distributeur.

En ce qui concerne la gestion des moyens de production, elle doit être efficace plutôt

qu’efficience. Efficace pour répondre aux exigences très élevées de la grande distribution mais

sans prétendre à l’efficience (adapter au mieux ses moyens aux résultats escomptés) car le

fabricant de MDD n’est pas maître du cahier des charges.

Une organisation adaptée au dialogue avec le distributeur, centrée autour de la gestion des

produits et des fonctions-services qui lui sont associés, ainsi qu’à la gestion des marges.

Une très bonne cellule de Trade marketing qui est le savoir-faire clé du spécialiste et sa

capacité à répondre simultanément aux besoins spécifiques du distributeur et à ceux de ses

clients : seul moyen de conserver une capacité de négociation avec la distribution et donc un

niveau de marge raisonnable et enfin une gestion discrète de l’information, car un producteur

trop transparent se fragilise.

Tout les éléments sont réunis pour que l’on puisse parler d’un véritable métier de fabricant de

MDD. Une preuve en est, les principaux concurrents, sur le marché des MDD d’un segment

stratégique donné, ne sont pas les mêmes que ce d’un non spécialiste de ce même segment.

Alors les grandes marques sont-elles finalement des sortes de « partenaires » des MDD ? dans

le sens ou des industriels reconnus pour la notoriété de leur marque fabriquent sur les mêmes

lignes de production des Marques destinées à leur propre client ? Ou les métiers de la MDD

sont-ils destinées en majorité a des indépendants, des PME qui en tant que sous traitants de la

Grande Distribution, vivent de cette activité ? Les MDD seraient-elles une sorte de solution

pour la survie économique des PME en France ?

66

2. Les MDD, une solution pour la survie des PME en France ?

Les Pme ont toujours été pour des raisons historiques, étroitement associées à la fabrication

des MDD, ne serait-ce que parce qu’aucune grande marque ne voulait les fabriquer lors du

lancement. En effet, il fallut beaucoup de courage à Jean Huck, alors directeur des papiers

Lotus, pour braver le lobby des grandes marques en participant en 1976 à l’aventure des

produits libres91.

Si Jacques Vabre est devenu la grande marque mondiale que nous connaissons tous, ce n’était

en 1976 qu’une petite usine de torréfaction de Lavérune dans les faubourgs de Montpellier

qui souhaitait également se lancer dans l’aventure.

La relation entre les MDD et les PME a fait l’objet d’une grande longévité puisque la quasi-

totalité des entreprises qui s’étaient lancées dans l’aventure des produits libres a été

reconduite lors du lancement des produits Carrefour. Deux entreprises seulement (bonbons

et huile) ont été écartées dans le secteur épicerie pour absence d’investissement dans l’outil

industriel qui aurait été préjudiciable à la qualité et à la compétitivité des gammes.

Ces PME ont démontré d’une part leur capacité à fabriquer de bons produits et, d’autre part

leur aptitude à évoluer pour coller aux exigences croissantes des distributeurs en matière de

qualité, ou de logistique. Qu’elles en soient ici remerciées car il n’existe pas de bonnes MDD

sans un bon fabricant derrière.

Des petites entreprises régionales se sont ainsi trouvées propulsées au niveau national et

parfois international grâce à la fabrication des MDD. Un bon exemple de collaboration

fructueuse celle de Lamy Lutti installée à Bondues prés de Lille. La société avait été choisie

pour fabriquer l’une des toutes premières gammes Carrefour en 1985, celle des bonbons

gélifiés. Pressentie pour fabriquer des rochers dans une ligne de production totalement

91 P. BRETON, Les marques de Distributeurs, Les MDD ne sont pas que des copies, op.cit.., p 70.

67

dédiée à la MDD alors qu’elle n’en fabriquait pas. Lamy Lutti est en 2003 le n°1 du rocher en

France devant Suchard92.

A la différence du marché britannique, le marché des MDD n’est pas dominé en France par

des grands groupes industriels comme Northern Food ou Hazlewood qui peuvent intervenir

dans une multitude de catégories. Les PME en France sont davantage spécialisées sur une

catégorie comme le Saumon pour Armoric ou le Biscuit pour Biscuiterie Bouvard. Par contre,

dans chacune de ces catégorie, les PME font état d’un savoir faire exceptionnel qui en fait le

référent du marché93.

Une grande majorité de ces industriels reconnaît que les exigences des distributeurs tant

français que britanniques dans le domaine de la qualité ou dans celui de la logistique les ont

fait progresser et leur ont permis d’optimiser leurs processus de fabrication et leur

compétitivité globale. Cette expertise permet à certaine d’entre elles comme Madrange à

Limoges ou Florette d’être retenues par les grands noms de la MDD comme Marks & Spencer

pour leur capacité à apporter une différenciation perceptible par les clients et pour leur

contribution à la création de valeur…

a) Une source de volume et de marge

Toutefois, le poids croissant des MDD en volume d’une part et l’évolution du mode de

fonctionnement des centrales d’achat européennes d’autre part commencent à intéresser les

grands groupes industriels soucieux d’optimiser leurs lignes de production ou d’améliorer

leur compte d’exploitation. La fabrication des MDD peut en effet s’avérer financièrement

intéressante à condition de ne pas perturber les chaînes de production par de petites séries ou

des demandes spécifiques. Car en effet, la fabrication de MDD peut effectivement être une

opportunité conjoncturelle pour optimiser les capacités de remplissage d’une usine.

92 F. BERGES SENNOU et S. CAPRICE, Les rapports « producteurs-distributeurs » :Fondements et implications de la puissance d’achat, Novembre 2003, INRA Toulouse. 93 Ibid

68

Une autre possibilité s’ouvre aux grands groupes industriels, celle de successeurs préfèrent

vendre leur entreprise et assurer ainsi la pérennité de l’usine ainsi que des emplois. C’est par

exemple le cas de Boin, spécialiste de la fabrication de confitures passé dans le giron du

groupe Materne, de Lamy Lutti dans un groupe international.

Les MDD constitue également une voie idéale pour pénétrer de nouveaux pays : c’est la cas

d’industriels étrangers qui n’ont pas une connaissance suffisante des arcanes de la

distribution française pour développer leur propre marque et souhaitent néanmoins faire

profiter les enseignes de la compétitivité de leurs produits, démarche plus facile dans les

produits non-alimentaires moins influencés par les spécificités locales.

La MDD permet d’élargir son marché, à l’occasion d’une réunion traitant des motivations des

industriels à fabriquer ou à ne pas fabriquer les MDD, Marc Reidenger, DG chez Beierdor,

affirmait que s’il était naturellement hors de question de fabriquer dans ses usines des MDD

concurrents de la marque Nivea, reconnue pour l’excellence de son rapport qualité-prix, il

n’était pas hostile au développement conjoint de produits distribués dans le circuit hospitalier

et susceptible de rendre service au consommateur dans la vie quotidienne.

Voilà une approche judicieuse et constructive qui crée de la valeur et ne vient pas cannibaliser

les références déjà sur place. On pourrait même penser que si cela devenait la règle, la

perception de la MDD en serait certainement modifié…

b) Une place prépondérante des PME dans les MDD

Une étude effectuée en 1999 a objectivement confirmé la place prépondérante des PME dans

la fabrication des MDD en PGC (Produits de Grande Consommation)94. 73% des références

MDD provenaient des PME françaises et 18% de PME étrangères. Les 9% restants se

94 P. BRETON, Les marques de Distributeurs, Les MDD ne sont pas que des copies, op.cit.., p 72.

69

répartissant de manière à peu près équilibrée entre grands groupes français et étrangers. Les

données communiquées par les services internes des enseignes se répartissent globalement

autour de ce chiffre et ne révèlent pas de gros écarts entre les enseignes. Mais la pénétration

des PME et coopératives (PMEC) restent très variables selon les rayons…

Pour nous donner une petite idées95 :

PMEC

FRANCE

PMEC

ETRANGER

GRANDS

GROUPES

Total 73% 18% 9%

Epicerie 77% 18% 5%

Liquides 91% 5% 4%

Droguerie/Parfumerie/Hygiène 65% 34% 1%

Frais Libre Service 72% 8% 20%

Bazar Courant 55% 35% 10%

La part des PME est sensiblement plus importante dans l’alimentaire du fait des spécificités

locales que dans le non-alimentaire ou les PME étrangères atteignent leur taux maximal à

35%.

Le déficit d’image de la MDD laisse à penser que leur fabrication ne relève pas d’une stratégie

et d’un choix mais d’une nécessité qui nuit à sa profitabilité. On trouve très peu d’information

sur le niveau de marge des fournisseurs du fait de leur disparité économique et du poids

variable des MDD dans leur activité : de plus, reconnaître que cette activité est rentable

risquerait de donner de mauvaises idées aux acheteurs pour baisser les prix ou améliorer leur

marge.

95 Ibid.

70

Mais un étude menée il y a plus de 10 ans, en 1994, par la Fondation HEC et de la Chambre

d’Industrie et de Commerce parvenait à une conclusion plutôt surprenante, en effet la

fabrication de MDD était plus rentable (4,7% en moyenne) que l’activité à marque de

l’entreprise (moyenne de 3,5%)96.

Cette étude a également identifié deux variables significatives qui expliquent la performance

économique de l’entreprise : la stratégie de l’entreprise et la diversification des circuits de

distribution. La performance repose moins sur des critères quantitatifs que qualitatifs…

Le poids des MDD dans l’activité de l’entreprise, la taille ou l’intensité capitalistique exercent

en fait peu d’influence. Par contre, les stratégies gagnantes veillent à bien différencier le

positionnement des MDD et des marques propres lorsqu’elles existent, et sont totalement

impliquées dans le développement de la part de marché de la MDD. Le fait de travailler avec

des enseignes plus orientées vers la qualité améliore certes la performance de l’entreprise

mais le critère essentiel consiste à bien diversifier les circuits de distribution.

Moins l’entreprise est liée aux grandes enseignes alimentaires, plus la performance de

l’entreprise est forte. La diversité des clients, distributeurs ou industriels, français ou

étrangers, renforce l’expertise de l’entreprise et lui permet de devenir une force de

proposition…

La grande distribution insiste régulièrement sur les possibilités d’exportation en utilisant

l’image du porte-avion qui emmène les PME sur le lieu des opérations stratégiques.

A l’image des hommes politiques, des voyages sont organisés pour faire découvrir de

nouveaux horizons aux PME françaises mais le résultat des courses est souvent bien

mince…Des efforts de communication existent pourtant pour mieux faire connaître les PME

lors de rassemblement comme les Journées du Patrimoine ou dans les journaux internes

d’entreprises mais ces opérations de relations publiques servent en priorité a redorer le

blason des enseignes. 96 Ibid.

71

Les PME ne disposent pas des mêmes ressources financières et humaines que les grands

groupes en matière de marketing. Du fait de l’absence de notoriété ou de campagnes à la

télévision, les marques propres des PME sont rapidement évincées des linéaires faute de

résultats. La place y est tellement qu’elles n’ont pas le temps de faire leurs preuves. La MDD

bénéficie par contre de la notoriété de l’enseigne et d’un accès plus durable pour au linéaire.

La MDD peut alors dès lors constituer un formidable marché test pour les PME dans une

approche gagnant-gagnant.

3. Quel avenir pour les PME ?

L’environnement de la GD devient cependant de plus en plus aléatoire du fait de la taille et

de l’organisation de leurs interlocuteurs de la distribution. La limitation des surfaces de vente

introduite par la loi Raffarin en 1996 rend encore plus difficile l’accès des référencements des

PME au linéaire97.

97 F. BERGES SENNOU et S. CAPRICE, Les rapports « producteurs-distributeurs » :Fondements et implications de la puissance d’achat, op.cit.

72

CA

Annuel

(Milliards

euros)

GMS

Evolutio

n du CA

Mètres

linéaires

moyens

%

évolution

annuelle

Nombre

de

références

moyennes

%

évolution

annuelle

Epicerie 17,4 +3,3% 1302 -1,1% 3509 +5,5%

Liquides 9,1 +2,6% 543 +0.6% 1078 +6,6%

Frais Libre

Service

17,6 +5,7% 642 +1,6% 1381 +8,1%

DPH 10,5 +5,5% 773 +2,0% 2212 +9,2%

Bazar 10,5 +1,5% 709 +0,3% 2871 +7,0%

Total PGC 65,1 +4,0% 3969 +0,4% 11051 +7,1%

Les PGC représentent un peu plus de 60% du chiffre d’affaires total des GMS, mais le poids

des marques et la fréquence des achats en font l’un des moteurs essentiels de la fréquentation

des GMS. Le tableau illustre très bien le décalage, quel que soit le rayon, entre l’évolution du

nombre de références PGC, en hausse de 7,1% et celui du linéaire qui ne progresse que de

0,4%. Comme il devient extrêmement difficile de repousser les murs après avoir

pratiquement fait disparaître les réserves des magasins grâce aux progrès de la livraison en

flux tendus, la place en linéaire est rare, donc chère et hors de portée de bourse des PME.

Nous pouvons en conclure que dans les faits, les MDD constituent pour les PME une

opportunité d’être présentes sous les couleurs de la distribution en linéaires.

Les coûts de lancement de la gamme ne sont pas anodins…A cette difficulté physique due à

l’absence de place en linéaire se rajoute une difficulté matérielle liée au coût de référencement

souvent corrélé à une action publicitaire et à l’investissement dans une force de vente chargée

de vérifier la disponibilité des produits dans le point de vente. Le coût de lancement d’une

73

gamme pour un industriel avoisine approximativement les 10 millions d’euros hors de portée

des bourses des PME98. Pour ces multiples raisons, la MDD permet de simplifier la

commercialisation de produit en lui permettant de se concentrer sur son cœur de métier, celui

de fabricant. Quand les grandes marques se dégagent de la production, quitte parfois à sous-

traiter la fabrication y compris celles des références leaders, pour investir massivement dans

la communication et valoriser ainsi leur capital de marque, les PME doivent s’investir sur un

autre territoire que celui de la communication grand public.

Les dangers à contourner sont également nombreux. Les MDD ont pu contribuer à la création

de la valeur, mais la situation est en train d’évoluer défavorablement en raison de la

complexité de la distribution.

Au niveau de la production, la MDD aide de moins en moins les PME à optimiser leurs

capacités industrielles et à lisser leur activité en l’absence d’engagement ferme des enseignes.

La distribution aurait même parfois tendance à désorganiser la production en raison d’un

manque d’anticipation lors du renouvellement d’emballages ou d’actions promotionnelles

mal planifiées. Par contre, la plupart des PME reconnaissent que l’audit industriel les a fait

progresser et leur a permis d’améliorer la régularité de la qualité. Il ne reste plus qu’à

mutualiser les audits comme cela existe en Grande-Bretagne pour éviter des surenchères

inefficaces entre les enseignes99.

On aurait pu s’attendre à ce que la MDD participe à la diminution des frais commerciaux et

favorise la pénétration de la marque propre du fabricant. C’est généralement l’inverse qui se

produit. La centralisation des enseignes s’accompagne souvent d’une démobilisation des

responsables de magasins qui subissent plus la MDD qu’ils ne la réclament. Il devient donc

98 F. BERGÈS-SENNOU, Rapport « Les Marques de Distributeurs État des lieux en France et réflexions économiques » Institut National de la Recherche Agronomique Mars 2002 99 P. BRETON, Les marques de Distributeurs, Les MDD ne sont pas que des copies, op.cit.., p 74..

74

nécessaire de contrôler leur détention et leur disponibilité, a confiance n’excluant pas le

contrôle.

Il est vrai que la loi Galland, en encourageant la hausse des marges arrières des leaders, n’a

pas vraiment contribué à renforcer la rentabilité des MDD par rapport à celle des grandes

marques. Sa révision par la ministre des Finances et de l’industrie, Monsieur Sarkozy, ne fera

qu’accentuer ce phénomène. Le magasin est peut-être moins motivé pour promouvoir la

vente des MDD qu’à leur origine. Par ailleurs, les magasins pressentent bien que les coûts de

fonctionnement internes grèvent cette profitabilité.

De même, la pression des grandes marques sur le linéaire est telle que les PME méritantes de

la MDD ne bénéficient pas d’un traitement de faveur de la part des acheteurs.

Les MDD ne constituent une alternative crédible qu’à la condition que les enseignes sachent

les valoriser auprès des consommateurs en leur apportant du sens et en ne se contentant pas

de négocier les prix à la baisse pour maintenir l’écart devenu dogmatique de 20% par rapport

aux marques nationales100. De même, cette réelle opportunité de création de valeur ne doit

pas être balayée par une complexification inutile et inefficace des procédures et des

réglementations.

On peut re-citer d’un caractère paradoxal de la loi des Nouvelles Régulations Economiques

(NRE). En effet, en légiférant sur le risque de dépendance économique, les pouvoirs publics

ne facilitent pas l’accès des PME aux linéaires de la GD. La loi NRE adoptée le 2 mai 2001101

dissuade les acheteurs à travailler avec des petites entreprises chez lesquelles ils pourraient

peser un poids trop important dont ils pourraient abuser pour faire pression sur les prix.

100 Ibid. 101 LSA, n°1722, 10 mai 2001.

75

Autre danger : la sophistication du cahier des charges de la distribution. Un des reproches

fréquemment adressé par les industriels aux enseignes touche à la sophistication excessive de

leur cahier des charges comparé à ceux des hard-discounters.

Initialement, la fiche technique précisait les niveaux de qualité minimale et égale requis pour

la fabrication des produits. La procédure est dynamique mais les procédures deviennent vite

coercitives. Au nom de la qualité, les cahiers des charges se sont alourdis au risque de devenir

ingérables au niveau de la production. Souvent établis par les responsables qualité des

enseignes ou par des laboratoires mandatés par celle-ci, les cahiers des charges ne font plus

office de juge de paix mais de pompes à finances pour la multiplication des pénalités aussi

extravagantes qu’irréalistes.

Car une chose très importante, il ne faut pas confondre qualité et sécurité. La sécurité n’est

pas négociable et ne doit pas constituer un facteur concurrentiel ou de surenchère. En

ignorant leurs contraintes de production, les distributeurs obligent parfois leurs fournisseurs

à s’engager sur des niveaux de performances qualitatives, coûteuses pour le fabricant mais

imperceptibles par les consommateurs et en conséquence non répercutées dans les prix

d’achat.

Partenaires historiques des MDD, quand les entreprises de distribution étaient encore à taille

humaine, les PME n’ont plus aujourd’hui les organisations et les ressources exigées par les

grands groupes de distribution. La pérennité de cette relation suppose une adaptation des

distributeurs aux spécificités et aux contraintes des PME et une redéfinition des rôles fondés

sur leurs compétences mutuelles.

76

B. La production des MDD par les grand industriels

1. Rentabiliser sa capacité de production

Et oui, contre toute attente, les MDD peuvent s’avérer économiquement intéressante pour les

grande marques. Lorsque Jacques Vabre a accepté de fabriquer et de développer des

exclusivités comme le café de Colombie pour Carrefour ce n’était pas seulement pour lui faire

plaisir en souvenir de l’apogée des produits libres qui avait propulsé le torréfacteur régional

au rang national, mais pour des raisons bassement industriel. Comme l’expliquait Jacques

Vabre102 :

« Faire 5% de la production Carrefour en MDD permettait bien sur d’utiliser les capacités de production du site mais surtout d’optimiser les coûts de production des 95% restants sous nos marques grâce à un meilleur lissage de production »

Cet aspect souvent négligé ne se vérifie cependant que dans des séries longues, ce qui est

actuellement le cas des enseignes hard-discount mais moins celui des GMS. Produire des

petites séries a nécessairement un coût que les distributeurs, déformés par les économies

d’échelles ne perçoivent pas toujours.

Une moyenne entreprise peut s’avérer très compétitive pour produire 1000 tonnes à la

marque X lorsque ses capacités de production sont utilisées à 100%. Par contre, si X lui

demande de produire 1500 tonnes, l’entreprise va devoir investir pour l’avenir elle sera tentée

de porter sa capacité à 2000 tonnes sans aucune garantie de volumes à moyen terme103.

102 P.BRETON, Les Marques de Distributeurs, op.cit, p 70. 103 A.GRATACAP,P.MEDAN, Management de la production, Editions Dunod, Paris, 2001, p98

77

Il n’est pas certain que dans ce nouveau contexte les gains de compétitivité soient

spectaculaires. L’idéal pour les grands groupes est de monter progressivement en charge

comme cela a pu être dans les années 80. Il faut rappeler qu’en 1976, il n’y avait que 36

hypermarchés Carrefour en France, 75 en 1985 et plus de 400 actuellement rien qu’en Europe.

Alors comment dans des conditions pareilles, une entreprise peut-elle encore prendre le train

en marche en dehors des produits de niche comme ceux de Reflets de France qui apportent

une certes l’image à l’enseigne mais peu de volume au fabricant ?

Les informations restent toujours très secrètes car il est vrai que les grands groupes ne veulent

surtout pas perdre leur image de marque. Mais il est bien connu que des groupes comme

Nestlé, Danone produisent des MDD. Dans un premier temps il est vrai pour rentabiliser

leurs capacités de productions mais aussi peut-être pour pouvoir être sur de « garder » un

bon contact avec son distributeur pour avoir moins de problèmes « relationnels… ».

2. Les enjeux économiques des MDD

Il est capital d’ajouter que les enjeux économiques liés aux MDD sont gigantesques en terme

d’emploi.

Les MDD ont généré en 2002 dans les PGC un chiffre d’affaires de 14,4 milliards d’euros

auxquelles il faut rajouter les 7 milliards d’euros vendus par le circuit hard-discount soit au

total près de 21 milliards d’euros de ventes104.

On peut estimer sommairement le chiffre d’affaires pour les fabricants sortie usine à 15

milliards d’euros. Comme par ailleurs les MDD sont fabriquées à hauteur de 75% par des

PME, estimation validée par les principales enseignes, le chiffre d’affaire MDD fabriqué par

les PME se monte approximativement à 11 milliards d’euros. En s’appuyant sur le ratio de la

commission européenne (150 000 euros égal un emploi) on peut donc chiffrer à plus de 70 000

104 ANNEXE 9 p 90.

78

les emplois directement concernés en France par la MDD. Mais le raisonnement ne s’arrête

pas là. Car si on considère que la MDD pèse en moyenne 30% de l’activité total du fabricant,

ce sont au total 210 000 emplois qui sont en jeu avec les MDD.

79

CONCLUSION

Nous pouvons affirmer qu’aujourd’hui La Grande Distribution en France ne laisse aucune

chance aux plus faibles. La preuve en est : un produit dont le prix de base est de 15 euros ne

rapportera en fait que 6,5 euros à son fournisseur105. Ce qui ne lui laisse guère de quoi

respirer.

La machine infernale s'est mise en route en 1993, avec l'irruption du hard discount qui a

réussi à fuir pour un temps suffisant la loi Royer, mais depuis, les négociations entre

fournisseurs et Distributeurs se sont fait de plus en plus difficiles… Les grandes enseignes ont

eu très peur de se voir prendre des parts de marché. Elles se sont alors fixé un but: gagner le

maximum du producteur. Aujourd'hui, leur objectif paraît atteint. Au-delà de toutes leurs

espérances.

Au départ pourtant, les producteurs avaient un contrôle vertical particulièrement puissant.

C’est eux qui supervisait l’ensemble du process de production : de la conception du produit,

au monitoring logistique pour arriver jusqu’au consommateur final. En effet, la renommée de

leur marque, l’influence des médias, et tous les investissements en R&D rendaient leur

produit indispensable sur les linéaires. Protégés par la Loi Galland en 1996 et afin d’éviter

tout abus concernant la revente à perte, les primes de référencement ou encore toutes les

ruptures commerciales brutales, les producteurs ont pensé à une évolution optimale de

coopération avec leurs distributeurs… mais le résultat n’a pas été celui attendu.

Sûrement agacé de dépendre totalement de leur fournisseur, la GD a décidé de réagir. Les

distributeurs commencent donc à remonter plus largement la ligne verticale grâce aux MDD

notamment en s'appropriant des tâches (conception de produits, promotions... ) 105 G.DUPUY, Les Hypers écrasent les fournisseurs, l’express, 7 octobre 2004.

80

habituellement du ressort des fabricants. C’est la naissance des « produits libres » de

Carrefour, des « produits blancs de Continent » ou des produits « grande confiance » de

Casino. Rapidement ils laisseront à la place aux marques d’enseignes qui révolutionneront les

linéaires de nos magasins préférés.

Et les consommateurs n’ont pas l’air d’y voir beaucoup d’inconvénients, bien au contraire.

Comme nous avons pu le constater dans ce mémoire, les chiffres parlent d’eux-mêmes et les

MDD pour la plupart n’ont rien à envier aux grandes marques en terme d’évolution. Leur

développement ces dernières années est assez spectaculaire et pour les années avenir cela

s’annonce plutôt encourageant. L’impact des MDD sur les marques nationales est

considérable et effectivement peut-être que certaines grandes marques seront amenées à

disparaître dans quelques années, comme nous avons pu le voir dans différents exemples…

Mais malgré ce développement spectaculaire, la fidélisation reste difficile. Car il est rare que

lorsqu’un consommateur n’a pas la possibilité d’aller dans son magasin Carrefour préféré, il

aille directement dans un autre magasin Carrefour… Non ce sera l’enseigne la plus proche

qui sera choisie dans 80% des cas et donc d’autres MDD achetées106… Par contre si le

consommateur ne trouve pas sa bouteille de Coca-cola, son pot de Nutella ou son jus de fruit

Jocker, là il est hors de question d’acheter un autre produit.

Certaines marques nationales sont tout simplement irremplaçables et ils seraient même

exagéré de penser qu’un jour une MDD puisse leur faire de l’ombre. Les grands groupes ont

un savoir faire, des techniques, des recettes qui datent parfois de plus d’un siècle et il est

extrêmement difficile voire impossible de pouvoir rivaliser. Leur force : un pouvoir

d’innovation incomparable. L’investissement en R&D par les industriels est considérable et

c’est grâce à ces innovations de produit qui les rendent plus compliqués, plus recherchés et

plus sophistiqués que les MDD ne font pas le poids.

106 P. BRETON, Les marques de Distributeurs, Les MDD ne sont pas que des copies op.cit., p 44.

81

Effectivement les marques d’enseigne restent des produits simples, n’ayant pas besoin d’un

grand savoir faire… Les distributeurs veulent gagner en marge grâce a leur marque et cela se

joue au centime près...donc hors de question de se laisser trop aller sur les coûts de

productions, ce ne serait plus rentable.

Être plus rentable sur ses coûts de production… mais comment ? La GD a du redéfinir les

règles avec ses fournisseurs, car pour gérer au mieux ses marques il faut être sûr de leur

fiabilité. Ce sont les PME qui majoritairement fabriquent les MDD, tout simplement car les

coûts de lancement d’une gamme ne sont pas anodins…A cette difficulté physique due à

l’absence de place en linéaire se rajoute une difficulté matérielle liée au coût de référencement

souvent corrélé à une action publicitaire et à l’investissement dans une force de vente chargée

de vérifier la disponibilité des produits dans le point de vente. Et cela coûte trop cher, une

PME ne peut survivre…

Les MDD constituent donc pour les PME une opportunité d’être présentes sous les couleurs

de la distribution en linéaires sans avoir à prendre de gros risques. La situation des PME en

France n’est pas excellente et une relance économique grâce à la GD peut-être une solution.

Les produits dits « terroirs » fabriqués par les PME connaissent un succès remarquable

(notamment la marque Reflets de France qui pour beaucoup ne serait même plus considérée

comme une MDD mais comme une marque à part entière…) et il est évident que les

retombés en terme de profits et d’emplois sont extrêmement positifs.

Il n’est pas non plus très surprenant que les grands groupes participent également à la

production des marques d’enseignes. Produire des petites séries a nécessairement un coût

que les distributeurs, déformés par les économies d’échelles ne perçoivent pas toujours. Et

même si l’on s’appelle Nestlé ou Danone, il faut rentabiliser ses capacités de production et les

MDD sont la solution. Il est vrai que cette fabrication en collaboration étroite fournisseur-

distributeur pourrait également permettre « d’améliorer » les rapports commerciaux et

82

d’accorder des traitements particuliers pour leur propres marques… Mais les grands groupes

restent très discrets… par crainte de l’impact sur leur image de marques.

Pour conclure, il est intéressant de se demander qu’en réalité économiquement parlant cela ne

poserait peut-être pas tant de problème que ça en à l’air… Alors imaginons, par exemple

Auchan, qui ne vendrait que des produits Auchan mais ce serait des groupes comme Danone

qui s’occuperait de la production des Yaourts, Maggi des Surgelés et Coca cola des Sodas…

Les MDD remplacerait définitivement nos marques nationales avec une qualité identique.

Mais nous n’aurions plus le choix. Une seule marque serait vendue, nous pourrions nous pas

le vivre comme une sorte de Dictature des enseignes ? Non, le consommateur ne pourra pas

se passer de Ses marques préférées, il veut continuer à avoir le choix… Acheter des MDD ou

des grandes marques, l’important c’est pouvoir compter sur une alternative…

Ce n’est donc peut-être pas tant un problème économique mais tout simplement une

question d’Ethique…

83

ANNEXES

Annexe 1: Le rôle de la marque Ombrelle p 82

Annexe 2 : Le rôle de la marque Gamme p 83

Annexe 3 : La marque caution et la marque produit p 84

Annexe 4 : Sainsbury : Linéaire de Pâtes MDD. Londres, Novembre 2004. p 85

Annexe 5 : Historique des MDD en France p 86

Annexe 6 : Liste des enseignes et de leurs marques p 87

Annexe 7 : Quelques exemples de produits MDD p 88

Annexe 8 : Comparaison du CA par mètre linéaire et marge entre MDD et MN p 89

Annexe 9 : Schématisation du rayon yaourts dans les hypermarchés p 90

Annexe 10 : Entretien avec Didier Roy, responsable approvisionnements Monoprix p 91.

84

ANNEXE 1

85

ANNEXE 2

86

ANNEXE 3

87

ANNEXE 4

Sainsbury : Linéaire de Pâtes MDD. Londres,

Novembre 2004.

Aucune autres marques n’étaient présentes en linéaires, la France y viendra-t-elle ?

88

ANNEXE 5

Historique des MDD en France.

1901 Casino, propriétaire d’usines, appose sa marque sur des produits d’épicerie-confiserie,

de charcuterie, de parfumerie, de droguerie ou encore de liqueurs, sirops et limonade ;

affirmation de la politique de qualité.

1976 Produits génériques : Carrefour lance sa campagne des « produits libres », une sélection

de « 50 articles aussi bons, moins chers » sans marque, (ils seront arrêtés en 1985) : pas de

coûts de publicité et d’emballage.

1978 Cora lance 70 produits-ombrelle dits «simples».

1979 Disco lance 80 produits « Dix-Dix », .

1982 Carrefour lance sa marque propre textile « Tex ».

1985 Carrefour, Continent et Euromarché apposent le nom de leur enseigne sur les produits,

1990 Monoprix lance sa gamme de produits « Monoprix vert ».

1990 Leclerc lance sa marque propre textile « Tissaïa ».

1996 Lancement de gammes de produits du terroir : Promodès avec « Reflets de France »,

Carrefour avec « Escapades gourmandes ».

1999 Leclerc lance sa marque premier prix « Eco + ».

1999 Système U lance « Savoir des Saveurs ».

2000 « Tradition traiteur » devient la MDD bio de Monoprix.

2002 Lancement de « J’aime » par Carrefour : 71 références alimentaires dédiées à la

protection du capital-santé

2003 Lancement de « Tout simplement », marque textile du groupe Casino

Carrefour propose 37 références biologique sous marque propre, « Grand Jury », dans ses

1620 magasins de proximité

89

Auchan

Auchan Rik & Rok (Boissons pour enfants) In Extenso (Textile) Captain Sea (Traiteur de la mer)

Carrefour

Carrefour Carrefour Bio (Alimentaire biologique) Escapades Gourmandes (Alimentaire "haut de gamme") Firstline (Electro-ménager) Tex (textile)

Continent / Champion (Groupe Promodès)

Reflets de France (Alimentaire "haut de gamme", produits du terroir) Destination Saveurs (Alimentaire)

Géant / Casino

Casino Saveurs d'Ailleurs (Alimentaire, produits exotiques) Saveurs d'Autrefois (Alimentaire, produits du terroir)

Intermarché

Tumador (Produits pour enfants) Pâturages de France (Laitages) Via (Hygiène-beauté) Luchon (Eau) Paquito (Jus de fruits) Chabrior (Pâtisseries) Capitaine Cook (Conserves de la mer)

Leclerc

Marque Repère Délisse (Laitages) Nos régions ont du talent (Alimentaire, produits du terroir) Le manège à bijoux (Bijouterie) Jafaden (Jus de fruits)

Monoprix

Monoprix Gournet (Alimentaire) Monoprix Bio (Alimentaire biologique) Lafayette Gourmet (Alimentaire) Monoprix Exotique (Alimentaire, produits exotiques)

ANNEXE 6

LISTE DES ENSEIGNES ET DE LEURS MARQUES

90

ANNEXE 7

QUELQUES EXEMPLES DE MDD

91

ANNEXE 8

Source Cabinet Deloitte, 2003.

92

ANNEXE 9

Schématisation du rayon yaourts tel qu’il est aménagé dans l’un des

hypermarchés

Gervais 2.17 euros

Pâturage de France 1.65 euros Mamie Nova Pâturage de France

1.65 euros

Pâturage de France

1.90 euros

Nestlé 2.30 euros

Pâturage de France 1.86 euros

Gervais 2.20 euros

Pâturage de France

1.23 euros

Nestlé 3.34 euros

Profiteroles

Pâturage de France

Profiteroles1.76 euros

Gervais Nestlé 2.45 euros

Pâturage de France « mousse »

Nestlé « mousse »

Pâturage de

France Liégeois

1.29 euros

Nestlé Liégeois

1.52 euros

Pâturage de France

Liégeois 1.21 euros

Gervais Nestlé 2.45 euros

Pâturage de France

1.58 euros

Yoplait 3.08 euros

Pâturage de

France 2.45 euros

Nestlé 2.99 euros

Pâturage de France

Liégeois 1.29 euros

Danone

Pâturage de France

Top Budget Liégeois

Pâturage de France

2.87 euros

Danette3.25 euros

Top Budget

1.84 euros

Nestlé 2.36 euros

Pâturage de France

2.05 euros

Top Budget

1.23 euros

Pâturage de France

2.35 euros

MAGASINS INTERMARCHES

93

ANNEXE 10

Entretien avec M. Didier ROY,

Responsable Approvisionnements MONOPRIX Peut on parler d’un bouleversement total sur le marché de la Grande Consommation par les MDD aujourd’hui ? Ou selon vous ce phénomène n’est pas nouveau ? C’est un phénomène qui depuis 5 ans progresse sensiblement et bouleverse il faut le dire le marché. Nous avons eu beaucoup plus de demande de ce que nous pensions. Ce n’est pas un phénomène nouveau mais disons qu’il n’a jamais eu une telle ampleur. Selon vous quels sont les véritables avantages concurrentiels de la MDD aujourd’hui ? Il y en a un en particulier, et l’objectif capital de l’enseigne Monoprix, celui de proposer de bons produits à un tarif raisonnable pour les clients. Avez-vous remarquez un changement du comportement achat de vos clients vers les MDD? Oui, surtout ces 5 dernières années, les chiffres le prouvent de plus en plus de clients font confiance aux produits MMD. Il nous arrive même d’être en rupture de linéaires de temps en temps et les gens nous demandent quand arriveront les produits ce qui est encourageant pour une MDD. Pensez-vous qu’un consommateur peut-être « fidèle » à sa MDD ou cette attitude reste réservée aux grandes marques ? Oui tant que la qualité et les prix se tiennent les clients resteront fidèles. Pouvez-vous me citer quelques exemples de grandes marques qu’une MDD ne peut remplacer ? Ma réponse serait : Aucune ! La MDD à prouvé à plusieurs reprises qu’elle était capable de s’installer dans des domaines ou on ne l’attendait pas. Donc il me semble impossible d’affirmer qu’aucune marque ne peut être remplacée.

94

Les producteurs de vos MDD sont-elles en majorité des PME ou vous préférez travailler « parallèlement » avec vos fournisseurs habituels ? Les deux ; il est vrai que les PME garantissent la qualité. Nous leur confions des produits plutôt dits « terroirs ». Des spécialités, des plats typiques Français sont touours traités pqr des PME. Pour ce qui est des produits qui n’ont pas besoin de « savoir-faire spécialisé » nous avons souvent à faire aux grands groupes. Grâce à l’activité des MDD pouvez-vous affirmer que vous avez crée des emplois ou permis une relance économique de certaines PME ? Je n’aurai pas cette prétention mais je l’espère en effet certain fournisseur ont complètement basculé leur activité grâce à la MDD. Pensez-vous qu’un jour dans la Grande Distribution on pourra se passer des marques nationales ? Non, elles sont avant très inventives et la MDD ne fait que reprendre ce qui existe. Chacun son métier.

95

BIBLIOGRAPHIE

Ouvrages Brice AUCKENTHALER, Le Marketing, Collection Idées reçues, Editions le Cavalier Bleu, Paris. Philippe BRETON, Les marques de Distributeurs, Les MDD ne sont pas que des copies, Editions Dunod, Paris 2004. Enrico COLLA, La Grande Distribution Européenne, Nouvelles Stratégies de différenciation et de croissance internationale, Edition Vuibert, Paris 2002. Anne GRATACAP,Pierre MEDAN, Management de la production, Editions Dunod, Paris, 2001. J.N KAPFERER, Les marques : Capital de l’entreprise, Editions d’Organisations,Paris, 2003.

Jean-Marc LEHU, L’Encyclopédie du Marketing, Editions d’Organisation, Paris, 2004. Philippe. MOATI, L’Avenir de la Grande Distribution, Editions Odile Jacobs, Paris, 2001.

Articles, Revues CAPITAL mars 2005 : J. BOTELLA, Les marques de Distributeurs valent-elles les grandes marques ? J. BOTELLA, La magie de Maggi reste à demontrer J. BOTELLA, Les grandes marques valent-elles leur prix. C. PIETRALUNGA, Joker fait la différence avec ses vitamines, C. PIETRALUNGA, Danone garde plusieurs innovations d’avance. N.VILLARD, Nutella toujours inimitable. E. WATTER, Paic récure un peu mieux que ses clones, LSA, n°1381, 20 Janvier 1994. LSA, n°1722, 10 mai 2001. LSA n°1883, novembre 2004 Linéaires, n°156, février 2001. G.DUPUY, Les Hypers écrasent les fournisseurs, l’express, 7 octobre 2004.

96

Rapports

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F.BERGES SENNOU, Rapport de l’Impact économique du développement des marques distributeurs,INRA, Toulouse, Juin 2003. F. BERGÈS-SENNOU, Rapport « Les Marques de Distributeurs État des lieux en France et réflexions économiques » Institut National de la Recherche Agronomique Mars 2002

Documentaire, L’Empire de Michele Ferrero, Janvier 2005, France 5.

Sites Internet

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