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Les médias ne comprennent rien à “Occupy Wall Street” Les journalistes jettent un regard hautain sur les “indignés” de New York. Preuve qu’ils sont passés à côté de l’époque, estime un théoricien des médias. 13.10.2011 | Douglas Rushkoff | CNN Depuis le début [le 17 septembre] du mouvement d’occupation de Liberty Plaza, à proximité de Wall Street, les journalistes de télévisio n semblent déterminés à présenter le phénomène comme le fait d’une génération de “cinglés paresseux incapables de tenir un discours cohérent”. Pensez par exemple à la présentatrice de CNN, Erin Burnett, qui a diffusé un reportage sur les militants installés dans Zuccotti Park, à Manhattan, dans une rubrique intitulée Seriously ? [“Sérieusement ?”]. “Contre quoi manifestent- ils ?” s’est-elle demandée tout haut. “Personne n’a l’air de bien le savoir.” Des propos aussi condescendants que réducteurs. Pour être honnête, si certains journalistes des grands médias jugent incohérentle mouvement “Occupy Wall Street”, c’est parce que la presse est ce qu’elle est : difficile de comprendre un mouvement du XXIe siècle en se fondant sur les schémas de pensée du politique et de la presse hérités du XXe. Car, de fait, nous assistons là au premier mouvement populaire né sur Internet aux Etats-Unis, un mouvement qui, contrairement à la lutte pour les droits civiques, aux manifestations syndicales ou à la campagne de Barack Obama, n’est pas inspiré par un leader charismatique, ne peut pas résumer ses aspirations à quelques slogans accrocheurs et n’est pas fédéré par un objectif précis. C’est vrai, les dénonciations, les exigences et les objectifs des manifestants de Wall Street sont multiples : la protection de l’environnement, un remède contre la corruption du gouvernement, le chômage, les écarts de richesse grandissants, etc. Mais “Occupy Wall Street” rassemble des individus provenant d’horizons variés, qui pâtissent de différents aspects d’un seul et même système, aspects qui sont à leurs yeux les divers symptômes d’un même problème de fond. Sont-ils en mesure aujourd’hui de définir avec précision la nature de ce problème et les moyens de le résoudre ? Pas encore. En tout cas pas plus ou pas moins que le Congrès ou le président de ce pays, qui vivent sous l’emprise des milieux d’affaires. Ce mouvement n’a pas connu une genèse traditionnelle. Il est le produit de la culture décentralisée propre à cette ère des réseaux et, ainsi, cherche moins à triompher qu’à durer. Il ne s’agit pas de militer pour un seul homme, mais de rassembler les énergies et de chercher, à tâtons, le consensus. Ce mouvement ressemble à Internet. Il s’inspire d’un nouveau collectivisme et du grand village des manifestants égyptiens [sur la place Tahrir au Caire] . A travers leur mobilisation, les manifestants d’“Occupy Wall Street” nous montrent la voie vers une organisation aux antipodes du système actuel qui favorise les investisseurs et les grands médias et leur permet de dicter leur loi d’en haut.

Les médias ne comprennent rien aux indignés newyorkais

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Les médias ne comprennent rien à “Occupy Wall Street”Les journalistes jettent un regard hautain sur les “indignés” de New York. Preuve qu’ils sont passés à côté de l’époque, estime un théoricien des médias.13.10.2011 | Douglas Rushkoff | CNN

Depuis le début [le 17 septembre] du mouvement d’occupation de Liberty Plaza, à proximité de Wall Street, les journalistes de télévision semblent déterminés à présenter le phénomène comme le fait d’une génération de “cinglés paresseux incapables de tenir un discours cohérent”. 

Pensez par exemple à la présentatrice de CNN, Erin Burnett, qui a diffusé un reportage sur les militants installés dans Zuccotti Park, à Manhattan, dans une rubrique intitulée Seriously ? [“Sérieusement ?”].“Contre quoi manifestent-ils ?” s’est-elle demandée tout haut. “Personne n’a l’air de bien le savoir.” 

Des propos aussi condescendants que réducteurs. Pour être honnête, si certains journalistes des grands médias jugent incohérentle mouvement “Occupy Wall Street”, c’est parce que la presse est ce qu’elle est : difficile de comprendre un mouvement du XXIe siècle en se fondant sur les schémas de pensée du politique et de la presse hérités du XXe. Car, de fait, nous assistons là au premier mouvement populaire né sur Internet aux Etats-Unis, un mouvement qui, contrairement à la lutte pour les droits civiques, aux manifestations syndicales ou à la campagne de Barack Obama, n’est pas inspiré par un leader charismatique, ne peut pas résumer ses aspirations à quelques slogans accrocheurs et n’est pas fédéré par un objectif précis. C’est vrai, les dénonciations, les exigences et les objectifs des manifestants de Wall Street sont multiples : la protection de l’environnement, un remède contre la corruption du gouvernement, le chômage, les écarts de richesse grandissants, etc. Mais “Occupy Wall Street” rassemble des individus provenant d’horizons variés, qui pâtissent de différents aspects d’un seul et même système, aspects qui sont à leurs yeux les divers symptômes d’un même problème de fond.

Sont-ils en mesure aujourd’hui de définir avec précision la nature de ce problème et les moyens de le résoudre ? Pas encore. En tout cas pas plus ou pas moins que le Congrès ou le président de ce pays, qui vivent sous l’emprise des milieux d’affaires. Ce mouvement n’a pas connu une genèse traditionnelle. Il est le produit de la culture décentralisée propre à cette ère des réseaux et, ainsi, cherche moins à triompher qu’à durer. Il ne s’agit pas de militer pour un seul homme, mais de rassembler les énergies et de chercher, à tâtons, le consensus. Ce mouvement ressemble à Internet. Il s’inspire d’un nouveau collectivisme et du grand village des manifestants égyptiens [sur la place Tahrir au Caire] . A travers leur mobilisation, les manifestants d’“Occupy Wall Street” nous montrent la voie vers une organisation aux antipodes du système actuel qui favorise les investisseurs et les grands médias et leur permet de dicter leur loi d’en haut.