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Les nouveaux anticoagulants oraux dans le traitement de la fibrillation atriale

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Page 1: Les nouveaux anticoagulants oraux dans le traitement de la fibrillation atriale

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© 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés 9AMC pratique � n°219 � juin 2013

MISE AU POINT

Les données épidémiologiques récentes sur la fibrillation atriale montrent une croissance très rapide de son

incidence et de sa prévalence dans les pays industrialisés. Cette tendance forte se retrouve également dans l’hexagone au travers des données PMSI d’hospitalisation [1]. On sait qu’elle survient principalement chez les sujets âgés voire très âgés et que son risque principal est constitué par l’ac-cident vasculaire cérébral, environ 15 % des accidents vasculaires cérébraux étant dus à la fibrillation atriale. On sait mainte-nant de mieux en mieux évaluer le risque thromboembolique des patients atteints de fibrillation atriale grâce à des scores

de risque qui permettent d’ef-fectuer le choix du traitement à prescrire. Les nouveaux anticoagulants oraux (NACO) dont on dispose actuellement constituent des alternatives

au classique traitement par les antivita-mines K, traitement qui garde bien sûr une place chez certains de ces patients.

Pour quels patients ?

Il est question ici de la fibrillation atriale non valvulaire, c’est-à-dire que l’on exclut les patients atteints de valvulopathie rhu-matismale significative et responsable de la fibrillation atriale ainsi que les patients por-teurs de prothèse valvulaire. Chez ceux là, le traitement par antivitamines K garde toute sa place, d’autant qu’une étude récente faite avec le dabigatran chez des porteurs de prothèses valvulaires (RE-ALIGN) a dû être interrompue, le traitement par antivi-

tamines K s’étant avéré supérieur. On sait depuis plus de 15 ans maintenant que les antivitamines K sont capables de diminuer significativement le risque d’accident vas-culaire cérébral chez les patients ayant été victimes de fibrillation atriale. Une série d’études [2], toutes concordantes, avait été faite à l’époque (AFASAK, SPAF, BAATAF, CAFA, SPINAF, EAFT) montrant que les anti-vitamines K étaient capables de diminuer ce risque de l’ordre de 60 %. Toutes ces études comportaient un groupe placebo car, à l’époque, on doutait de l’intérêt de cette anticoagulation, qui a donc été largement démontrée par ces études. En revanche, on n’en doutait pas chez les patients ayant des valvulopathies évoluées ou une prothèse valvulaire et ils ont donc été exclus de ces essais. Par la suite, lorsqu’on a voulu com-parer les nouveaux anticoagulants aux anti-vitamines K, il était logique d’éliminer les fibrillations dites « valvulaires » des études. La définition exacte de la fibrillation atriale « valvulaire » est difficile à donner avec une précision absolue, le caractère emboligène des valvulopathies étant variable. Elle com-prend certainement les sténoses mitrales, les prothèses valvulaires mécaniques et les val-vulopathies entrainant une stase sanguine significative. Par prudence, il vaut mieux évi-ter également les nouveaux anticoagulants chez les porteurs de bioprothèse, certains ayant été inclus dans l’étude RE-ALIGN. L’aspirine, dans ces essais anciens chez ces patients ayant une fibrillation atriale dite « non valvulaire », avait été trouvée très peu active avec une diminution de l’ordre de 20 % tout au plus. A partir de cette date, il a été envisagé, contrairement à ce que l’on pensait auparavant, de traiter surtout les

J.-Y. Le HeuzeyService de cardiologie et rythmologie, Hôpital européen Georges-Pompidou, Université René-Descartes, [email protected]

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Ne pas prescrire aux patients avec valvulopathie rhumatismale ou prothèse valvulaire.

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sujets les plus âgés par des antivitamines K car ce sont eux qui ont le risque le plus élevé et qui ont donc toutes les chances de béné-ficier le plus du traitement. Ce traitement anticoagulant entraîne bien entendu des risques d’hémorragie mais il est capital pour le prescripteur d’arriver à faire comprendre à son patient que le nombre d’hémorragies graves induites est nettement inférieur au nombre d’embolies sévères évitées.

Quels nouveaux anticoagulants ?

Dans les 5 dernières années, ont été publiés trois essais de grande envergure testant de nouveaux anticoagulants contre la warfa-rine, antivitamine K le plus utilisé. Il s’agit du dabigatran (antithrombine), du rivaroxa-ban et de l’apixaban (antiXa). Le but de ces essais était de montrer une non infériorité. L’intérêt principal de ces médicaments est de pouvoir être utilisés à des doses identiques (ou avec peu de modification) chez tous les patients contrairement aux antivitamines K qui nécessitaient une prescription qui peut varier en quantité de 1 à 16 (exemple 1/4 tous les 2 jours ou 2 par jour). Cette très grande variabilité inter individuelle et intra individuelle (avec la nourriture, les associa-tions médicamenteuses, etc.) implique la nécessité de surveiller par un test de coagu-lation l’effet du traitement. Avec les nou-veaux anticoagulants, cette variabilité est moindre et il n’y a donc plus de nécessité de contrôle de routine. Le premier à avoir démontré cette non infériorité est le dabiga-tran qui a prouvé dans l’étude RE-LY [3], une non infériorité à la dose de 2 fois 110 mg par jour et une supériorité à la dose de 2 fois 150 mg par jour. Chronologiquement, la deuxième étude à avoir été publiée est l’étude ROCKET-AF testant cette fois ci le rivaroxaban. L’étude ROCKET-AF a égale-ment atteint son but, c’est-à-dire la démons-tration d’une non infériorité par rapport à la warfarine donnée dans le but d’avoir un INR cible entre 2 et 3. La particularité de l’étude ROCKET-AF [4], par rapport à l’étude RE-LY, était d’avoir inclus environ la moitié des patients en prévention secondaire, c’est-

à-dire des patients ayant déjà eu un accident vasculaire cérébral ou un accident isché-mique transitoire auparavant. Enfin, une troisième étude a été publiée avec un autre antiXa, l’apixaban. Il s’agissait de l’étude ARISTOTLE [5] qui, elle aussi, a atteint son but. Par rapport à la warfarine, il y avait une diminution de 21 % du critère primaire de jugement, c’est-à-dire accidents vasculaires cérébraux et embolies systémiques, de 31 % des accidents hémorragiques graves et de 11 % de la mortalité. Un dernier antiXa est également en phase de développement, il s’agit de l’edoxaban pour lequel est réali-sée actuellement l’étude ENGAGE AF TIMI 48. A noter que pour l’apixaban, une autre étude contre aspirine a été faite, l’étude AVERROES, qui a montré une supériorité de l’apixaban ayant nécessité l’arrêt prématuré de l’étude. Ces médicaments peuvent donc s’utiliser sans contrôle de l’INR. Ils sont tous éliminés par le rein, à des degrés divers (dabigatran > rivaroxaban > apixaban) et il est indis-pensable d’être certain de la normalité de la fonction rénale avant de les prescrire à la dose habituelle. Le dabigatran se donne à 110 ou 150 mg 2 fois par jour, le riva-roxaban à 15 ou 20 mg une fois par jour et l’apixaban à 2,5 ou 5 mg 2 fois par jour. Les doses habituelles sont de 2 fois 150 mg pour le dabigatran, une fois 20 mg pour le riva-roxaban et 2 fois 5 mg pour l’apixaban. Si la clearance de la créatinine mesurée selon la méthode de Cockroft (celle qui a été utilisée dans les études) est normale, on peut don-ner la pleine dose ; si elle est entre 30 et 50, il faut préférer les plus faibles doses et si elle est inférieure à 30, ces médicaments sont à éviter. Leurs intérêts sont donc l’absence de nécessité de surveillance de l’INR et égale-ment le fait que dans toutes ces études, le taux d’hémorragies intracrâniennes ait été retrouvé plus bas avec ces nouveaux anti-coagulants qu’avec la warfarine, alors que les taux d’hémorragies digestives étaient plus élevés. On peut aussi en conclure que les antivitamines K sont des médicaments qui font particulièrement saigner dans le cerveau ! Les inconvénients sont, outre le fait qu’il s’agit de médicaments nouveaux, l’absence d’antidote spécifique que l’on

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peut donner en cas de saignement, d’où une gestion plus complexe des hémorragies et des traumatismes et leur coût plus élevé en termes de traitement journalier. Par ailleurs, ils ne sont pas dénués d’interaction avec d’autres médicaments, principalement ceux agissant sur la P glycoprotéine pour le dabi-gatran et ceux agissant sur le cytochrome P 450 pour les antiXa.

Quelles recommandations ?

Des recommandations de la Société euro-péenne de cardiologie sur la prise en charge de la fibrillation atriale avaient été publiées en septembre 2010 [6], elles ont été mises à jour en septembre 2012 (figure 1) car lors de la première rédaction, aucun des trois nouveaux anticoagulants cités précédem-ment n’avait obtenu d’autorisation de mise sur le marché européenne. Ces nouvelles

recommandations [7] précisent clairement la façon dont l’anticoagulation doit être pres-crite chez ces patients en fibrillation atriale. La recommandation principale qu’il convient de retenir est que l’anticoagulation doit être prescrite chez tous les patients en fibrillation atriale à l’exception des patients, quel que soit leur sexe, de moins de 65 ans et ayant une fibrillation atriale isolée. Pour tous les autres patients, le choix de l’anticoagulation est basé sur une évaluation faite grâce à un score de risque, le score CHA2DS2-VASc pour lequel le C représente l’insuffisance cardiaque (1 point), le H l’hypertension (1 point), le A l’âge (1 point entre 65 et 75 ans et 2 points à plus de 75 ans), le D le diabète (1 point), le S stroke, c’est-à-dire les antécédents d’accident vasculaire céré-bral ou d’accident ischémique transitoire (2 points) et VASc, la présence d’une maladie vasculaire c’est-à-dire coronaropathie, arté-rite des membres inférieurs, sténose caro-

Figure 1. Algorithme de choix du traitement anticoagulant selon les recommandations européennes [7].

Fibrillation atriale

Oui

Oui

FA valvulaire

< 65 ans, FA isolée (femmes comprises)

CalculerCHA2DS2-VASc

0 1 ��2

Anticoagulants oraux (ACO)

Calculer HAS-BLED Interroger le patient sur ses préférences

Pas de traitement antithrombotique

Nouveaux ACO AVK

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décision d’anticoagulation, il convient de préférer les nouveaux anticoagulants oraux aux antivitamines K, du fait de leur meilleur rapport bénéfice/risque dans les études citées plus haut. Les autorités de santé fran-çaises recommandent cependant, chez les patients qui étaient auparavant sous anti-vitamines K, qui n’ont présenté ni accident hémorragique majeur, ni accident embo-lique et qui ont un INR stable, le maintien de l’antivitamine K. La logique veut, chez les patients n’ayant jamais été anticoagulés et pour lesquels on découvre la fibrillation atriale (patients « naïfs ») que l’on choisisse plutôt un nouvel anticoagulant. Il est égale-ment logique de les utiliser en cas d’instabi-lité de l’INR chez un patient précédemment traité mais il ne convient pas de forcément remplacer un antivitamine K par un nouvel anticoagulant dans le cas cité précédem-ment du patient sans événement préalable et avec un INR stable.

Conflits d’intérêt : l’auteur a participé au dévelop-pement de ces nouveaux anticoagulants oraux avec les laboratoires Boehringer-Ingelheim, Bayer, BMS/Pfizer et Daïchi-Sankyo

tide (1 point). Si le score de CHA2DS2-VASc est supérieur ou égal à 2, l’anticoagulation est recommandée. S’il est égal à 1, le choix doit être discuté au cas par cas en appré-ciant le risque de saignement évalué par un autre score, le score HAS-BLED, coté comme le score CHA2DS2-VASc sur 9 points (H hyper-tension : 1 point, A abnormal renal or liver function, c’est-à-dire anomalies des fonc-tions rénale ou hépatique 1 point chacune, S stroke c’est-à-dire antécédent d’accident vasculaire cérébral : 1 point, B bleeding, c’est-à-dire saignement :1 point, L labilité de l’INR : 1 point, E elderly, c’est-à-dire âge supérieur à 65 ans : 1 point et D absorption de médicaments pouvant favoriser le saigne-ment comme les antiagrégants plaquettaires ou les anti-inflammatoires non stéroïdiens : 1 point). Pour des patients avec un CHA2DS2-VASc à 1, l’anticoagulation reste cependant recommandée dans la majorité des cas, sauf risque majeur de saignement. Le niveau de cette recommandation est un peu plus faible (IIa au lieu de I pour les scores supérieurs ou égaux à 2). Une autre recommandation, qui est éga-lement de niveau IIa, précise qu’en cas de

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En pratique : Meilleur rapport bénéfice-risque, en particulier moins d’hémorragies intracrâniennes

Références[1] Charlemagne A, Blacher J, Cohen A, et al. Epidemiology of

atrial fibrillation in France : extrapolation of international epidemiological data and analysis of French hospitalization data. Arch Cardiovasc Dis 2011; 104:115-24.

[2] Le Heuzey JY. Antithrombotic treatment of atrial fibrillation: new insights. Thromb Res 2012; 130:S59-60.

[3] Connolly S, Ezekowitz MD, Yusuf S, et al. Dabigatran versus Warfarine in patients with atrial fibrillation. N Engl J Med 2006; 361:1139-51.

[4] Patel MR, Mahaffey KW, Garg J, et al. Rivaroxaban versus Warfarine in non valvular atrial fibrillation. N Engl J Med 2011; 36:883-91.

[5] Granger CB, Alexander JH, Mc Murray JJ, et al. Apixaban versus Warfarine in patients with atrial fibrillation. N Engl J Med 2011; 365:981-92.

[6] Camm AJ, Kirchhof P, Lip GY et al. Guidelines for the manage-ment of atrial fibrillation: the task force for the management of atrial fibrillation of the European Society of Cardiology. Eur Heart J 2010; 19:2369-429.

[7] Camm AJ, Lip GY, De Caterina R, et al. 2012 focused update of the ESC guidelines for the management of atrial fibrillation. An update of 2010 ESC guidelines for the management of atrial fibrillation, developed with the special contribution of the European Heart Rhythm Association. Eur Heart J 2012; 33:2719-47.