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Les Nouvelles Règles de Traduction Du Vatican

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    Jean DelisleMeta: journal des traducteurs/ Meta: Translators' Journal, vol. 50, n 3, 2005, p. 831-850.

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    Les nouvelles rgles de traduction du Vatican

  • Les nouvelles rgles de traduction du Vatican1

    jean delisleUniversit dOttawa, Ottawa, [email protected]

    RSUM

    Aprs avoir rappel brivement lattitude de lglise catholique lgard des traductionset des traducteurs au cours de son histoire et en particulier aux ive et xvie sicles, nousexaminons les principaux documents manant du Vatican depuis 1943 afin de dgager laconception de lglise lgard de la traduction. Nous analysons en dtail la cinquimeinstruction post-conciliaire, Liturgiam authenticam (2001), vritable trait de traduc-tion dans lequel Rome dicte des rgles prcises et contraignantes pour la traductionde la Bible et des textes liturgiques. En conclusion, nous portons un jugement critiquesur la vision de la traduction qui se dgage de ce trait.

    ABSTRACT

    After a brief look at the attitude of the Catholic Church towards translation andtranslators throughout history, and particularly in the 4th and 16th centuries, we willexamine the key Vatican documents published since 1943, with the intention of showingthe Churchs notions of translation. Particular attention will be given to the fifth post-Vatican II instruction, Liturgiam authenticam (2001), which is actually a treatise on trans-lation, in which Rome has laid down precise and stringent rules for translating the Bibleand liturgical texts. We will conclude by casting a critical eye on the conceptions (ormisconceptions) of translation found in the treatise.

    MOTS-CLS/KEYWORDS

    histoire de la traduction, rgles de traduction, glise catholique, Vatican, instructionspost-conciliaires

    La Bible a t et demeure lambassadrice auprs des nations occi-dentales de la sagesse orientale. Les ambassadeurs qui restent troplongtemps loin de leur patrie risquent, on le sait, den oublier levrai visage. Ainsi en a-t-il t de la Bible.

    (Andr Chouraqui, Lamour fort comme la mort, 1990)

    Rappel historique

    Depuis ses origines, lglise catholique a partie lie avec la traduction, tel point quelon a pu crire que traduire est le mouvement originel du christianisme (Boyer2002 : 120), que traduire la Bible cest toujours traduire de la traduction (ibid. :69) et que la traduction de la Bible est une activit typiquement chrtienne2 (Rabin 1972 : 16). Les textes fondamentaux du christianisme publis en langues verna-culaires sont, on le sait, des traductions de traductions dont loriginal nexiste plus.Donc des traductions de copies de copies. On comprend ds lors que lglise catho-lique ait toujours fait preuve de vigilance et de prudence, voire dune certaine mfiance lgard des traductions, pourtant indispensables sa mission : pas dvanglisation

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    sans traduction. On se souvient quau ive sicle circulaient dans la chrtient plu-sieurs traductions en langues syriaque, armnienne, thiopienne, grecque et latine,dont la Vetus latina. Cette traduction, la plus ancienne en cette langue, fut raliseentre 200 et 250 en Afrique proconsulaire par des communauts chrtiennes qui necomprenaient pas le grec, langue de lglise primitive. Comme ces versions diver-geaient entre elles et renfermaient de nombreuses erreurs, un travail de rvision sim-posait. Le pape Damase Ier (v. 305-384) confia alors Eusebius Hieronymus (Jrme,v. 347-420), la redoutable tche de rviser la Bible. Son travail, ralis Bethlem,aboutit la Vulgate3. Le docteur de Stridon tait lhomme de la situation ; il runis-sait toutes les comptences linguistiques et philologiques ncessaires pour accomplircette rvision. la fois philosophe, rhteur, grammairien, dialecticien et traducteur,Jrme avait une connaissance approfondie de lhbreu, du grec et du latin. Il est nonseulement le premier traducteur-rviseur de la Bible, mais aussi le premier vritablethoricien de la traduction. Ses nombreux crits renferment une conception coh-rente de la traduction (Kelly 1975 : 162-163 ; Kelly 1976). Dans les sicles qui ontsuivi, lglise fit de sa Vulgate un livre canonique.

    Au xvie sicle, les rformistes protestants en Europe multiplient les traductionsen langues vulgaires pour que les fidles puissent lire et interprter la Bible par eux-mmes, sapant par le fait mme le monopole de linterprtation des critures quelglise romaine stait arrog4. La contre-rforme et lInquisition furent les manifes-tations de la raction de Rome, qui sopposait farouchement cette prolifration detraductions, considre comme source derreurs et de division. Au plus fort de laRforme5, lglise a jug ncessaire, lors du concile de Trente (1545-1563) au coursduquel furent examins tous les points fondamentaux de la doctrine catholique, deproclamer officiellement ldition de la Vulgate comme la seule version authentiquedes Saintes critures, dclaration qui du coup discrditait aux yeux des catholiquestoutes les versions en langues vulgaires et les rendaient nulles et non avenues. Lors desa sance du 8 avril 1546, le Concile

    a considr quil pourrait tre dune grande utilit pour lglise de Dieu de savoir,parmi toutes les ditions latines des livres saints qui sont en circulation, celle que londoit tenir pour authentique : aussi statue-t-il et dclare-t-il que la vieille dition de laVulgate, approuve dans lglise mme par un long usage de tant de sicles, doit tretenue pour authentique dans les leons publiques, les discussions, les prdications et lesexplications, et que personne nait laudace ou la prsomption de la rejeter sous quel-que prtexte que ce soit (Denzinger 2001 : no 1506).

    Lglise ne tolra que les traductions accompagnes dannotations fiables tires descrits des pres et docteurs de lglise catholique.

    Si elle se montrait mfiante lgard des traductions, Rome, jalouse de son pri-vilge exclusif dinterprtation des critures, ne voyait pas dun bon il non plus queles fidles, le commun ignorant selon lexpression de Pie VII, sadonnent la librelecture des Saintes critures. En 1816, ce souverain pontife crivait : Si la sainteBible est admise en langue vulgaire en tous lieux, sans discrimination, il en rsulteplus de dommage que dutilit (Pie VII 1816). Les traductions en langues vernacu-laires tant forcment diffrentes les unes des autres il est dans la nature mme dela traduction de faire diffrent , les chefs de lglise ont toujours craint que cesmultiples traductions branlent limmutabilit du tmoignage divin et fassent chanceler la foi (ibid.). Plus que toute autre institution, lglise catholique souffre

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  • de la maldiction de Babel. Cest pourquoi elle a toujours entretenu une relationambivalente lgard de la traduction et a souvent tenu les traducteurs pour hr-tiques . Elle a tendance les souponner de vouloir propager insidieusement deserreurs doctrinales en ditant la Bible dans des langues que les fidles peuvent lire etcomprendre, ce qui a pour effet de saper son pouvoir. Sans tre dpositaire des livresoriginaux (la Bible hbraque est antrieure au christianisme), lglise sestime nan-moins dpositaire de plein droit de lorthodoxie chrtienne. Aussi traduire la Biblepeut-il devenir un acte prilleux, une activit subversive. Les censeurs ecclsiastiquesse tiennent aux aguets pour traquer les traducteurs qui osent dfier lautorit romaineen proposant de nouvelles versions des critures. Plusieurs de ces traducteurs coura-geux ont pri sur le bcher (Dolet, Tyndale, Hus), dautres ont t emprisonns (FrayLuis de Len), perscuts ou contraints de sexpatrier (Calvin, Lefvre dtaples,Marot, Robert Estienne), dclars hrtiques et excommunis (Wyclif, Luther), mis lindex (Littr, Renan et combien dautres), ou encore ont vu leurs crits subir unautodaf ou tre abondamment caviards (rasme). Les moyens de rpression dontdispose lglise et dont les traducteurs ont t victimes au cours de lhistoire sontnombreux. Si un traducteur doit payer son travail de sa vie ou de sa libert, cest queles enjeux de son activit sont parfois plus levs quon ne le croit (Pym 1997 : 12).

    On peut dire que lglise catholique na jamais t tendre envers les traducteurs,pourtant indispensables son rayonnement universel. En 1844, le pape Grgoire XVIporte un jugement svre sur eux et rappelle les dangers que reprsentent les traduc-tions en langues vulgaires quand elles ne portent pas le sceau de Rome :

    Vous nignorez pas, crit-il, quelle diligence et quelle sagesse sont requises pour traduirefidlement dans notre langue les paroles du Seigneur, puisque aussi bien rien ne seproduit plus facilement que ces erreurs trs graves introduites dans les traductionsmultiplies par les socits bibliques, et qui proviennent de la sottise et de la tromperiede tant de traducteurs ; et ces erreurs, le grand nombre mme et la diversit de cestraductions les occultent pendant longtemps au dtriment de beaucoup. ces socitselles-mmes il importe peu ou pas du tout quen lisant ces bibles traduites en languevulgaire les hommes tombent dans telles erreurs plutt que dans dautres, pourvu quilssaccoutument peu peu revendiquer pour eux- mmes un libre jugement concer-nant le sens des critures, mpriser les traditions divines gardes dans lglise sur labase de la doctrine des Pres, et rejeter le magistre de lglise elle-mme (GrgoireXVI 1844).

    Deux ans plus tard, Pie IX revient la charge et accuse les perfides socitsbibliques de renouveler les artifices odieux des anciens hrtiques et de produire contre les rgles si sages de lglise, les livres des saintes critures traduits en touteespce de langues vulgaires, et souvent expliques [sic] dans un sens pervers , et deles rpandre parmi les fidles les moins instruits (Pie IX 1846). Le point de vue ex-prim par les trois papes susmentionns correspond assez bien lattitude historiquede lglise lgard de la traduction et des traducteurs.

    Depuis 1943, le Vatican a t amen, par la force des circonstances, prciser defaon plus nuance sa position en ce qui concerne la traduction de la Bible et des textesliturgiques. Un certain nombre de documents officiels manant de Rome traitent, eneffet, de traduction et tmoignent de limportance cruciale que lglise accorde cettequestion :

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    1943 Divino Afflante Spiritu (Pie XII) Lettre encyclique sur les tudes bibliques

    1963 Sacrosanctum Concilium Constitution conciliaire sur la sainte liturgie

    1964 Inter cumenici Premire instruction. Principes pour lapplication de la constitu-tion sur la liturgie

    1967 Tres abhinc annos Deuxime instruction. Nouvelles adaptations des rites de lamesse

    1970 Liturgicae instaurationes Troisime instruction. Directives sur le rle de lvquepour le renouveau liturgique

    1979 Nova Vulgata Promulgation par Jean-Paul II de la No-Vulgate (dition typique6

    latine)

    1988 Vicesimus Quintus Annus Lettre apostolique de Jean-Paul II, publie loccasion du25e anniversaire de la promulgation de la Constitution Sacrosanctum Concilium

    1994 Varietates legitimae Quatrime instruction. Sur linculturation et la liturgie romaine

    2001 Liturgiam authenticam Cinquime instruction. De lusage des langues vernaculairesdans ldition des livres de la liturgie romaine

    Dans la suite du prsent article, nous tcherons de cerner lvolution de la pense delglise en matire de traduction au cours des quelque soixante dernires annes.

    La traduction-inculturation

    Le coup denvoi est donn en 1943 par Pie XII, qui publie sa lettre encyclique DivinoAfflante Spiritu. Ce document marque une volution par rapport la position tradi-tionnelle de lglise, qui souvre davantage aux tudes bibliques et aux traductions. propos de la rvision des livres sacrs, le pape affirme que sils renferment deserreurs, les seuls responsables en sont les copistes (et les traducteurs), car ces livressont dinspiration divine et linspiration divine exclut toute erreur (art. 6). Lestudes exgtiques peuvent bnficier des progrs raliss dans plusieurs sciencesauxiliaires, dont lhistoire, larchologie, lethnologie et la philologie. Lexgte con-temporain est ainsi mieux arm pour chercher saisir religieusement et avec le plusgrand soin les moindres dtails sortis de la plume de lhagiographe sous lEsprit Divin (art. 20). Il peut donc semployer purifier de ses altrations le texte primitif critpar lauteur sacr lui-mme et le dlivrer des gloses, lacunes, inversions de mots,rptitions et des fautes de tout genre qui ont coutume de se glisser dans tous lescrits transmis travers plusieurs sicles (art. 21). Dans cette encyclique, le papesouhaite galement dissiper [le] prjug selon lequel lglise voit dun mauvais ilet entrave la lecture de lcriture7 (art. 13). Il se montre favorable la publicationde nouvelles traductions de la Bible en langues vernaculaires8, condition que cestraductions soient faites partir des langues originales9 et de la Vulgate, qui estabsolument exempte de toute erreur en ce qui concerne la foi et les murs (art. 26).Pie XII prcise que les traducteurs-exgtes doivent mettre le plus grand soin dcouvrir [le] sens littral des mots10 (art. 27). Sil reste des obscurits, cest quellessont voulues par lauteur divin : Dieu a parsem dessein de difficults les LivresSaints quil a inspirs lui-mme, afin de nous inciter les lire et les scruter avecdautant plus dattention et pour nous exercer lhumilit par la constatation salu-taire de la capacit limite de notre intelligence (art. 41). Il faut la foi pour croirecela Lencyclique Divino Afflante Spiritu reconnat, en somme, que les livres sacrs

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  • peuvent tre rviss et quil est possible den proposer de nouvelles traductions. Cenest pas un hasard si elle fut promulgue un 30 septembre, jour anniversaire de lamort de saint Jrme, qui a consacr la moiti de sa vie prcisment ce travail.

    Le Concile Vatican II (1962-1966) ouvre encore davantage la porte la traduction.En 1963, Paul VI promulgue la Constitution sur la sainte liturgie, SacrosanctumConcilium, afin de faciliter lapplication du renouveau liturgique souhait par les presconciliaires. Dans ce document important, puisquil incarne lesprit de renouveauqui souffle alors sur lglise, Rome autorise ( concde est le mot employ dans laversion franaise de la Constitution) lusage dautres langues que le latin pour lamesse, ladministration des sacrements, les prires et autres actes rituels. Toute nou-velle traduction des textes bibliques ou liturgiques doit toutefois recevoir laval duSige apostolique. Depuis la publication de ce document, le Saint-Sige a rendu pu-bliques cinq Instructions pour la bonne application de la Constitution sur la sainteLiturgie du Concile Vatican II : Inter cumenici (1964), Tres abhinc annos (1967),Liturgicae instaurationes (1970), Varietates legitimae (1994), Liturgiam authenticam(2001). Toutes ces instructions comportent des dispositions concernant la traduc-tion. Les deux dernires portent plus spcifiquement sur la rvision des livres liturgi-ques en langue latine et sur leur traduction dans les diffrentes langues modernes.

    Varietates legitimae traite de la dlicate question de linculturation. On entendpar ce terme la prsentation et la rexpression de la bonne parole dans des formes etdes termes propres une culture. Linculturation est indissociable de la dmarchevanglisatrice de lglise, puisque la culture est un aspect essentiel de la personnehumaine. Elle est le prisme par lequel ltre humain fait lexprience du monde, ycompris lexprience spirituelle. Avec la publication de Sacrosanctum Concilium,Rome accepte que le rite romain sassouplisse quelque peu et adopte diverses autresformes11, lintrieur de certaines limites, bien entendu.

    Plus intressant encore, de notre point de vue : linstruction Liturgiam authen-ticam, la dernire en date, porte exclusivement sur la traduction en langues vernacu-laires. Sans doute pour la premire fois de sa longue histoire, Rome y expose endtail, sous forme de rgles prcises, sa conception de la traduction et ses exigencesparticulires pour la traduction des textes bibliques et liturgiques. Vritable trait detraduction , ce document, qui remplace toutes les normes et directives prcdentes lexception de celles figurant dans Varietates legitimae, pose des balises destines encadrer le travail des traducteurs. En fait, il sagit davantage dun rglement , carcet ensemble de prescriptions est coercitif. Ces rgles ne sont pas donnes simplement titre indicatif. Elles dcoulent directement de lexprience acquise au cours des trentedernires annes, caractrises par ladaptation des textes bibliques et liturgiquesdans diverses langues et cultures.

    Il importe de prciser que, dans le sillage de laggiornamento que les vquesconciliaires appellent de leurs vux, le successeur de Jean XXIII, Paul VI, cre unecommission spciale ds 1965 et lui confie le mandat de rviser la Vulgate, la lumiredes progrs modernes raliss par lrudition biblique12. Une version prliminaire dece quil est convenu dappeler la Nova Vulgata ou No-Vulgate parat en 1970. Laversion finale est promulgue par Jean-Paul II en 1979, mais le Vatican ne ferme paspour autant la porte toute amlioration de ce texte canonique13. dition typique, laNo-Vulgate ne remplace pas les textes en langues originales, mais constitue un docu-ment de rfrence auxiliaire pour la traduction en langues vernaculaires. Cette dition

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    offre lavantage, selon Rome, de maintenir la tradition en matire dinterprtationdes textes fondateurs. Certains livres de la Bible, dont ceux de Samuel, nous ont ttransmis en plusieurs versions hbraques et grecques divergentes. Quelle traditionchoisir lorsquil faut les traduire ? Dsormais le traducteur naura plus le choix : il luifaudra suivre linterprtation retenue dans la No-Vulgate. Dans ce contexte bienparticulier, la traduction sert de point de rfrence doctrinal.

    Depuis Vatican II, on peut dire quen matire de traduction Rome ntait pasoppose en principe aux traductions qui appliquaient la technique de ladaptation etdes quivalences dynamiques , ce qui allait tout fait dans le sens de lincultura-tion et facilitait la comprhension des textes par les fidles. Le latin, langue officielledes affaires de lglise, tait, hors des officines de la hirarchie catholique, une languemorte, incomprise de la masse des croyants. Dans la liturgie, aprs deux mille ans dergne sans partage, le latin cdait enfin la place aux langues vivantes ; le clbrant netournait plus le dos au peuple, mais lui faisait face. Ce retournement est symbolique.

    Le retour du balancier

    Vingt-cinq ans peine aprs la promulgation de la Constitution Sacrosanctum Conci-lium (1963), Jean-Paul II publie en 1988 une lettre apostolique, Vicesimus QuintusAnnus, dans laquelle transparat son inquitude au sujet de lvolution des rformesen matire de liturgie et de traduction :

    Les Confrences piscopales ont eu la lourde charge de prparer les traductions deslivres liturgiques. Les ncessits du moment ont parfois conduit utiliser des traduc-tions provisoires, qui ont t approuves ad interim.

    Mais le temps est venu de rflchir certaines difficults prouves depuis, de rem-dier certaines faiblesses ou inexactitudes, de complter les traductions partielles, decrer ou dapprouver les chants utiliser dans la liturgie, de veiller au respect des textesapprouvs, de publier enfin des livres liturgiques dans un tat quon peut considrercomme acquis durablement et dans une prsentation qui soit digne des mystres cl-brs. Pour le travail de traduction, mais aussi pour une concertation plus large lchelle du pays entier, les Confrences piscopales devaient constituer une Commis-sion nationale et sassurer le concours de personnes expertes dans les diffrents secteursde la science et de lapostolat liturgique. Il convient de sinterroger sur le bilan, positifou ngatif, de cette Commission, sur les orientations et sur laide quelle a reues de laConfrence des vques dans sa composition ou son activit. Le rle de cette Commis-sion est beaucoup plus dlicat quand la Confrence veut traiter de certaines mesuresdadaptation ou dinculturation plus profondes : cest une raison de plus pour veiller y placer des personnes vraiment expertes (Jean-Paul II 1988, art. 20).

    Pourquoi ce temps darrt et de rflexion ? Que sest-il pass en vingt-cinq ans ? Doprovient linquitude du souverain pontife ? La hirarchie romaine, dpositaire etgardienne de la Vrit rvle, a-t-elle jug quil y a eu dbordement, drapage dogma-tique, non-respect de la tradition ? Tout porte croire que cette manire de traduirequi fait place une forme de crativit contenue na pas produit les rsultats escomp-ts. Certaines initiatives dinculturation (donc de traduction) ne semblent pas avoireu lheur de plaire au Sige apostolique. On peut facilement imaginer que cest le casdes nouvelles traductions qui associent des spcialistes des critures bibliques (pourle fond) et des crivains contemporains (pour la forme), des traductions o Dieuest prsent sous les traits dune femme, o la Vierge Marie est de race noire, aux

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  • traductions en langue basique, familire, argotique14, aux versions idologiques,fministes15, potises, paraphrases (Living Bible), aux traductions-calques ruditeset autres productions similaires. Cette prolifration quelque peu anarchique de ver-sions tendancieuses qui malmnent, aux yeux de lautorit romaine, la doctrinetraditionnelle nest pas sans rappeler la situation qui rgnait au temps de Jrme etplus encore lpoque de la Rforme, comme nous lavons voqu prcdemment.Chaque fois quil y a pril en la demeure, Rome ragit. Cette fois, ce nest pas encrant des tribunaux dInquisition ni en rigeant des bchers quelle neutralisera les traducteurs hrtiques . Sa stratgie consiste agir de lintrieur en tablissant descritres svres de slection des traducteurs, en promulguant des rgles coercitives detraduction et en mettant en place des procdures rigoureuses dapprobation des seu-les traductions sur lesquelles elle peut apposer son estampille d authenticit .Rome reprend donc linitiative et redfinit unilatralement les rgles du jeu. Une foisde plus la bataille se dplace sur le champ de la traduction, une fois de plus les tra-ducteurs sont dans la mire de lglise. Ltau se resserre sur eux. Comme sur tous cescroyants de bonne volont qui, par conviction, rcrivent la Bible, en tout ou en partie,dans un langage accessible au commun ignorant .

    La traduction-tradition

    En vingt-cinq ans, lglise et la socit ont connu des mutations profondes et rapides.Le phnomne dinculturation de mme que les traductions en langues vernaculairesqui lont accompagn ont soulev de nouveaux problmes, imprvus lorigine. Lesnouvelles rgles de traduction rendues publiques par le Vatican visent remdier lasituation.

    En gnral, la traduction supporte mal la camisole de force quimposent desrgles contraignantes. Le traducteur voudrait-il les appliquer la lettre que les parti-cularits et subtilits des textes len empcheraient. Il ne peut exercer convenable-ment son art sans une certaine libert de rexpression, sans faire appel auxindispensables ressources de la recration. Traduire na rien dun banal processus desubstitution. Le travail traductif requiert un sujet libre, libre dans son choix fonda-mental de traduction, libre dans ses choix ponctuels, libre dans la matrise de cettechane de coup par coup (J.-R. Ladmiral) quest le traduire dans sa pratique ras detexte. Cette libert-l se confond avec la fidlit, et il appartient chaque traducteur,non sans risque, de dlimiter lespace de jeu de cette libert-fidle16 (Berman 1995 :42). Cest pourquoi, de toutes les rgles consignes dans les traits et les arts de tra-duire, bien peu, vrai dire, ont eu une relle utilit pratique. Aucun traducteur, notre connaissance, na jamais indiqu avoir appliqu dans son travail lensemble desrgles dun trait de traduction. Une rgle de traduction ne sera jamais une rgle degrammaire ; un trait de traduction ne sera jamais un manuel dinstructions. Latraduction est une activit o lon suit des rgles sans disposer de rgles pour appli-quer les rgles , a crit fort pertinemment Christian Berner (1999 : 18). Les rglesqui composent ces traits sont nonces a posteriori et tmoignent dune conceptionparfois trs personnelle de la manire de traduire, quand elles ne codifient pas toutsimplement des gnralits ou des pratiques tablies.

    Il en va tout autrement des rgles contenues dans linstruction Liturgiam authen-ticam, qui porte en sous-titre : De lusage des langues vernaculaires dans ldition

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    des livres de la liturgie romaine. Ces directives sont dictes par une institutionpuissante, autocratique, qui est en mesure dimposer dautorit ses traducteurs desnormes et des pratiques de traduction rigoureuses. Faute de les appliquer, les tra-ducteurs verront leur traduction refuse par le Saint-Sige, qui naccordera pas sonimprimatur17. Nous sommes aux antipodes de la libert cratrice dont jouissent lestraducteurs littraires. De ce point de vue, on aurait tort dassimiler la traductionreligieuse, telle que la conoit le Vatican, la traduction littraire, du seul fait ducaractre profondment littraire des livres qui composent la Bible. Ses rgles, commenous le verrons, faussent la donne. On peut traduire une uvre littraire en la pri-vant de sa littrarit. Que vaut, par exemple, un pome dpouill de son rythme, desa musicalit, de sa signifiance ? Cest un corps sans vie.

    Examinons de plus prs les principes qui devront tre suivis dsormais dans lesfutures traductions (art. 71) pour que ces versions puissent tre certifies confor-mes la doctrine de lglise. Linstruction Liturgiam authenticam18 comporte cinqgrandes subdivisions :

    I Le choix des langues vernaculaires en vue de leur introduction dans la liturgieII La traduction de textes liturgiques dans les langues vernaculairesIII La prparation des traductions et ltablissement des commissionsIV La publication des livres liturgiquesV La traduction des textes liturgiques propres19.

    Lobjet de linstruction est clairement expos : Rflchir de nouveau sur la notionjuste de traduction liturgique, de telle sorte que les traductions de la sainte Liturgieen langue vernaculaire soient dune manire certaine la voix authentique de lglisede Dieu (art. 7).

    Le texte original latin renferme une note de bas de page trs significative. On yindique que le latin possde plusieurs mots pour dsigner lacte de traduire, notam-ment versio, conversio, interpretatio, redditio, mutatio, transductio. Ces termes syno-nymes sont couramment employs dans la Constitution Sacrosanctum Concilium etdans de nombreux autres documents contemporains. Mais les auteurs de linstruc-tion les cartent demble au profit de translatio et des mots de la mme famille, mme si lusage de ces mots est un peu dur quant au style en latin, et entre dans lacatgorie des nologismes (art. 2, note 2). Ce qui peut sembler une banale simpli-fication terminologique est en fait lindice dun parti pris thorique sur la manire detraduire. Toutes les autres expressions sont cartes, car elles comportent la notiondune divergence ou variation du texte nouveau par rapport au sens du texte original (ibid.). Elles laissent croire que des modifications porteuses dventuelles erreursdoctrinales ont t apportes aux textes. Ainsi, ds le dpart, les auteurs annoncentleurs couleurs : ils se dclarent adeptes de la traduction littrale, et entretiennent lillu-sion quil est possible, en passant dune langue une autre, de raliser des copiesconformes , sans gauchissement, sans changement, sans transformation aucune. Ilsconoivent la translatio plus ou moins comme un acte de report non dformant.La rflexion thorique moderne nous a appris que cela est un mythe. Le report, telque nous avons dfini ce concept20, porte uniquement sur certains lments dun textede dpart et il nest pas applicable indistinctement toutes les parties du discours.Le processus de la traduction implique linterprtation du sens, et la rexpression dece sens apprhend se fait soit par le rappel de formules plus ou moins consacres,donnes davance dans la langue darrive (cest la remmoration ), soit par la

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  • postulation dune quivalence lexicale, syntagmatique ou mme phrastique, imprvi-sible hors discours (cest la cration discursive ). Concevoir la traduction commeune opration assimilable un transvasement garant dexactitude, cest avoir uneconception rductrice et errone de cette activit complexe. Les littralistes purs etdurs, les Chateaubriand21, Nabokov, Newmark22 et autres, manifestent une vritableobsession lgard de lexactitude ; leur erreur est de chercher cette exactitude dansles mots, alors que le sens mane du discours. Traduire, ce nest pas singer, ce nestpas une opration de clonage de mots. Lexactitude nest que du sens. Cest--direseulement une partie du sens. Puisquelle oublie que le sens na lui-mme quunepart dans le mode de signifier (Meschonnic 2004 : 173). En traduction, et a fortiorien traduction biblique, on ne peut pas faire lconomie de la potique des textes si onveut rellement les traduire. Une traduction est un acte de langage spcifique. Elle nepeut pas se nier elle-mme, se prsenter comme si elle nexistait pas et prtendredonner directement lire le texte quelle traduit, comme la bien vu Arno Renken : Un texte bien traduit est un texte qui serait identique loriginal, ce qui nest passeulement une impossibilit pratique, mais encore une aberration thorique puisquecela implique une alination de la traduction au moment mme de sa ralisation (Renken 2002 : 17).

    Toutes les langues naturelles du monde se valent en droit et en dignit. Toutes,cependant, ne psent pas du mme poids quant leur pouvoir de communication etde diffusion. De ce point de vue, il y a une hirarchie des langues. Linstruction limitele nombre de celles quil est licite dadmettre dans les clbrations liturgiques, doncde traduire. Sont exclues les langues qui demeurent seulement un objet dintrtculturel (art. 10) et dont les chances de survie sont minces. Il se fera donc dorna-vant moins de traduction dans des dialectes ou des parlers locaux vous disparatre.Les auteurs du document reconnaissent et lhistoire leur donne raison quelintroduction, par lglise, des langues vernaculaires dans la liturgie peut avoir uneffet dterminant sur le sort de ces langues. Il nempche que le choix des languesdans lesquelles se feront les traductions est un choix idologique.

    Rome raffirme haut et fort les vertus du littralisme. Dsormais, ce sera au lecteur faire leffort de comprendre loriginal. Alors que les pres conciliaires prnaient unelangue simple, concise, claire et exempte de rptitions inutiles, linstruction Liturgiamauthenticam bannit toute forme de crativit (art. 20) et impose la traduction la pluslittrale possible, mme si les mots utiliss traditionnellement sont obsoltes, archa-ques ou obscurs. Les articles 19 69 de linstruction noncent en dtail les rgles etcontraintes diverses auxquelles les traducteurs devront se soumettre pour traduire le texte original ou primitif [] intgralement et trs prcisment (art. 20), sansomissions, ajouts, paraphrases ou gloses. Quelques brefs exemples serviront illus-trer le genre de littralisme que les auteurs de linstruction prconisent. la formulecourante de salutation Dominus vobiscum traduite en anglais par The Lord be withyou, les fidles avaient lhabitude de rpondre par And also with you. Dsormais, illeur faudra dire (comme en franais) : And with your spirit, car cette formule calquele latin Et cum spirito tuo. Autres exemples : le Credo doit tre traduit obligatoirement la premire personne du singulier, et les mots rsurrection de la chair , traduitslittralement (art. 65). Est bannie la formulation : la rsurrection des morts .

    On ne veut plus dun style trop simplifi do sont limines les subordonnes, lesfigures de rhtorique et les rptitions. La langue sacre et solennelle doit maintenant

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    reprendre ses droits et se substituer la langue courante que parle la masse des fid-les. Pourtant, dans lhistoire, la Bible a t le creuset dune intense crativit linguis-tique et littraire, de jeux de langage rendus ncessaires par la tche complexe de latransmission des crits polyphoniques, vritables millefeuilles dexpressions religieu-ses et culturelles, dexpriences de sens. Vouloir aujourdhui arrter cette crativit,dnoncer le travail de translation, cest en ralit se faire les embaumeurs hypocritesde ce que lon prtend admirer et vouloir continuer transmettre (Boyer 2002 : 41).Une langue qui refuse de se renouveler sopacifie, se fige, se dsincarne. Les mots dela Bible finissent par devenir des coquilles creuses, par ressembler dimprenablesforteresses vides (ibid. : 46) et paraissent, aux yeux de certains, insubstituables, in-traduisibles. Fixisme asphyxiant. Les mots pch, grce, foi, rsurrection ne supporte-raient pas dautres traductions quelles-mmes (ibid.). Ces mots portent le sceaudun hritage et dune tradition, celle de la langue du religieux chrtien.

    Sil faut crer des termes nouveaux ou largir laire smantique de mots dj enusage dans les langues vernaculaires, ces nouveauts doivent rpondre aux vraies exi-gences culturelles et pastorales et ne pas tre introduites simplement pour faire neufou diffrent (art. 21, 22). On retiendra de prfrence les termes traditionnels de laNo-Vulgate, tels que Alleluia, Amen, Kyrie eleison. Seraient rejetes par les censeursecclsiastiques des quivalences revisites telles que veiller (Cor. 15,4) au lieude ressusciter (Boyer 2001), Les Psaumes rendus par Gloires , Amen explicitet paraphras en Cest ma foi , pch et pcheur par garement et gar (Meschonnic 2001) ; les anges renomms griffons , messagers ou kroubim ou encore Le Nouveau Testament rebaptis Un Pacte neuf (Chouraqui 1989).Les traducteurs travaillant au service du Vatican doivent sen tenir le plus possible la langue chrtienne de transmission des critures, au vocabulaire du religieux chr-tien traditionnel, tout comme les traducteurs dune grande entreprise sont tenusdutiliser la terminologie maison de lentreprise. De ce point de vue, lglise catholique,une et universelle, ne diffre gure des grandes multinationales aux ramificationstentaculaires et au sein desquelles luniformisation de la terminologie en usage dansles communications crites et la description des produits et procds de fabricationsont une proccupation constante. De toute vidence, en dictant cette cinquimeinstruction, Rome na aucunement lintention de dcaper le langage de la Bible, de lerajeunir, de le nettoyer des couches culturelles qui sy sont superposes au fil dessicles. Et pourtant, ny a-t-il pas dchristianiser, dshellniser, dlatiniser, dbondieuser [], dfranciser ce quon nous donne lire comme des traductionsen franais de la Bible (Meschonnic 2004 : 149) ? Il faut rhbraser la Bible. Enfranais. Et dans toutes les langues o on la traduit. O on traduit. Aprs des sicles la fois ddulcoration et dannexion langagire, mais aussi de perversion idologique (ibid. : 151). Rhbraser, certes, mais en faisant en sorte que le message biblique neperde pas sa signification ni sa pertinence pour ceux qui il sadresse. Toutes lestraductions franaises de la Bible me font mal au cur, crivait Paul Claudel (1966 :13). Mais Rome reste obstinment attache la langue du discours chrtien qui sestforme au cours des sicles et sa dernire instruction ne va aucunement dans le sensdun renouvellement de cette langue.

    Il est dsormais interdit de faire des traductions partir dautres traductions, cequi est une rgle dthique tout fait valable et qui figure galement dans les codes dedontologie des associations de traducteurs professionnels23. Compte tenu du contexte

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  • gnral dans lequel linstruction a t labore, il est permis de penser que lobjectifnon avou de cette rgle vise aussi rduire le nombre de traductions en circulation.Les traductions des textes liturgiques seront dornavant effectues uniquement partir des versions officielles latines, tandis que les Saintes critures seront traduites partir de lhbreu, de laramen ou du grec, tout en tenant compte, pour les usagesliturgiques, de lincontournable No-Vulgate, tmoin privilgi de la tradition delglise (art. 24).

    Les mots employs dans les traductions doivent respecter la dignit et la beautdu contenu doctrinal exact des textes. Ces termes, prcise-t-on, doivent tre libresde toute adhsion trop troite des modes dexpression du moment (art. 27). Soi-gneusement choisis, ils doivent contribuer la formation dun style sacr de cettelangue du religieux chrtien voque plus haut : Une traduction liturgique quitransmet lautorit et lintgrit du sens des textes originaux sert former une languesacre vernaculaire, dont le vocabulaire, la syntaxe et la grammaire sont approprisau culte divin, sans pour autant perdre la force et lautorit quont ces lments dansle langage quotidien, comme cela fut le cas dans les langues des peuples dantiquevanglisation (art. 47). Les expressions obsoltes ou inlgantes en usage danscertains passages de la Bible seront conserves. Cette rgle implique, semble-t-il, danslesprit de ses auteurs que la stabilit du vocabulaire reflte la stabilit et, partant, lacrdibilit de linstitution et de sa doctrine. Il en va de mme pour les symboles, lesimages et les actes rituels qui doivent parler deux-mmes . On vitera d explicitergrossirement toutes les subtilits des allusions bibliques (art. 49). Les archasmes etles mots vieillis seront prfrs aux nologismes au destin incertain et parfois ph-mre. Finies donc les traductions rapprochantes, explicatives ou ethnocentriques. Lamme rgle sapplique aux mots concrets qui dcrivent les actions des tres clestesreprsents sous des traits humains, tels que marcher, bras, doigt, main, visage deDieu, chair, corne, bouche, germe, visites, etc. Tous ces mots relevant de lanthropo-morphisme, il est prfrable de ne pas les aplatir, ni de les rendre dans les languesvernaculaires par des termes plus abstraits ou vagues (art. 43). Toujours ce mmeculte idoltre rendu aux mots traditionnels de lexpression de la foi chrtienne.Sacralisation, en fait, de traductions anciennes dont le vocabulaire sest sdiment,ptrifi. Glorification dun tat de langue pass. Refus de croire aux possibilits expres-sives des langues modernes pour faire entendre le message divin. Refus des risquesque comporte le travail sur la langue.

    Deux articles, 30 et 31, portent sur la dlicate question du genre grammatical desnoms et des pronoms. Faut-il reprsenter Dieu comme un homme ou une femme ?Le mot homme peut-il dsigner le genre humain ? Quel est le sexe des anges ? Lesauteurs de linstruction tranchent : [] si le texte originel emploie un mot uniquepour exprimer le lien entre un seul homme et lunit, ainsi que luniversalit de lafamille ou la communaut humaine (comme les mots hbreu adam, grec anthropos,latin homo), il faut conserver cette manire de sexprimer (art. 30). Nen dplaiseaux fministes : le mot homme est inclusif et continuera dsigner lensemble destres humains. Larticle suivant (32) renferme les consignes dordre grammatical :

    a) Dieu et les membres de la Sainte Trinit sont de sexe masculin, leur genre grammaticaltant masculin.

    b) La locution compose Filius hominis, en raison de son importance christologique, seratraduite obligatoirement par une locution similaire (Fils de lhomme).

    les nouvelles rgles de traduction du vatican 841

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    c) Le mot Patres (Pres) sera toujours rendu par un mot masculin.d) Lglise sera toujours dsigne par un pronom fminin (cf. notre Sainte Mre lglise).e) Ce sera le genre grammatical du mot du texte original qui dterminera en langues ver-

    naculaires le genre des anges, des dmons, des desses et des dieux paens.

    Cette dernire consigne est une autre preuve de la force dattraction quexercent lestextes originaux. Cela sapplique mme aux majuscules, dont lemploi en languedarrive se modlera sur ldition typique en langue latine.

    Afin dassurer uniformit et stabilit (art. 36), une seule traduction approuvesera autorise sur un mme territoire. Il est demand aussi aux traducteurs dviterdemployer un vocabulaire ou un style que les catholiques pourraient confondre avecdes manires de sexprimer dautres communauts religieuses non catholiques. LeVatican souhaite galement, dans un souci vident de prserver la cohrence, luni-formit et lharmonisation de lensemble du corpus doctrinal, quil y ait une concor-dance troite entre les textes des prires, des lectionnaires24 et de la liturgie romaine,et le texte de la No-Vulgate. Les traducteurs feront en sorte que leur manire detraduire favorise cette correspondance (art. 49), ce qui est une contrainte suppl-mentaire venant sajouter celle-ci : veiller ce que la traduction exprime le senstraditionnel christologique, typologique ou spirituel, et que soient manifests lunitet le lien entre lAncien et le Nouveau Testament (art. 41). On demande ni plus nimoins aux traducteurs de christianiser lAncien Testament en montrant quil pr-figure le Nouveau. En histoire, cela sappelle un anachronisme ; en sciences sociales,une idologie.

    Ce mme article propose une rgle dinterprtation lorsquun texte donne lieu des interprtations multiples : le sens du passage difficile traduire sera lucid,notamment, la lumire de la No-Vulgate, de la tradition, des crits des pres delglise et, ce qui tonne, des anciennes traductions des Saintes critures, dont laSeptante ou Bible dAlexandrie25. On sait que la Septante est une mauvaise traduction-calque maille derreurs grossires et coule dans un grec trs hbras. On peutpenser quelle figure dans cette rgle dinterprtation surtout en raison de son littra-lisme excessif qui la rapprocherait des textes primitifs, de cette veritas hebraica queprnait saint Jrme. En traduction religieuse, plus on est littral, plus on est, croit-on,prs de la vrit scripturaire , plus on a limpression dtre le fidle porte-parolede lauteur initial. Indracinable mythe ! quoi quen pense le littraliste bon teintVladimir Nabokov pour qui lexpression traduction littrale est tautologique, carune traduction qui nest pas littrale nest pas une vritable traduction, mais uneimitation, une adaptation ou une parodie (Nabokov 1955 : 504 ; notre traduction).Cest faire bien peu de cas de toute la dimension discursive et potique des textes.Cest thoriser la traduction en termes de langue et de signifiants en oubliant quuntexte a aussi une signifiance. Le traducteur nest pas un eunuque qui lon confie lagarde des mots.

    Les auteurs de Liturgiam authenticam, document dans lequel sont abords laplupart des aspects fondamentaux de la traduction, nont pas jug bon dutiliser lemtalangage moderne servant dcrire les concepts et les oprations de la traduc-tion. Ils nemploient aucune expression spcialise telle que langue de dpart , langue darrive , texte cible , texte source , procd de traduction , strat-gie de traduction , intertextualit , etc. Ils y traitent, nanmoins, de dnotation etde connotation, de lattitude adopter lgard des termes latins difficiles traduire,

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  • des cas o lemprunt se justifie et o la cration nologique est licite, des registres dediscours et des multiples niveaux de signification des textes. Les articles 57, 58 et 59portent sur la syntaxe, les procds de style et les genres littraires.

    Aux nombreuses contraintes imposes aux traducteurs sen ajoutent deuxautres : traduire le texte pour quil puisse tre mis en musique (art. 60) et tenircompte du temps ncessaire pour prononcer le texte, soit en le rcitant, soit en lechantant (art. 62). Enfin, les dernires sections de linstruction (70 130) concernentles aspects dordre technique et juridique entourant la prparation des traductions, lademande de recognitio (approbation) pour garantir leur authenticit, la compositiondes commissions charges des traductions et la publication des livres liturgiques.

    La traduction de la Bible et des documents liturgiques selon le Vatican requiertdes qualits et des comptences trs particulires. On exige beaucoup du traducteur.Outre la connaissance de lhbreu, du grec et du latin, il lui faut avoir un esprit deprire et la confiance en laide de Dieu (art. 75) ; tre profondment croyant, docileet soumis au Magistre de lglise ; avoir la conviction que les textes sacrs ontt composs sous linspiration divine et quils cachent la rvlation du mystre dusalut ; adhrer pleinement aux dogmes catholiques ; croire aux miracles ; accepterde traduire littralement certains passages sans les comprendre, car les paroles dela Sainte criture [] expriment des vrits qui dpassent les limites imposes parle temps et le lieu (art. 19) ; croire que les obscurits dans les textes sont voulues parDieu (art. 41) ; tre conscient de contribuer la propagation de la doctrine catholique ;traduire le plus littralement possible et en fonction de la tradition multisculaire delglise ; accepter que son travail soit rvis (art. 75) par des personnes verses dansles questions de doctrine, mais qui ne connaissent pas forcment les arcanes de latraduction.

    Avant dtre admis dans une commission, les traducteurs devront montrer patteblanche et obtenir au pralable le Nihil obstat de la Congrgation pour le culte divinet la discipline des sacrements, qui considrera leur formation, leur comptence et lalettre de recommandation de leur vque diocsain. Qui plus est, ils devront accepterdaccomplir leur travail confidentiellement et dans le plus strict anonymat. Il semblebien rvolu le temps o lon dsignait les Bibles du nom de leur traducteur : Bible deWyclif, de Luther, de Tyndale, dOlivtan, de Crampon, de Chouraqui, etc. La traduc-tion ntant pas perue comme un acte de cration, contrairement lopinion admisedans les milieux traductologiques, le traducteur doit seffacer devant le texte sacr.Comment dailleurs pourrait-il faire acte de prsence dans un texte entirement investide la prsence divine ? Il y a une certaine logique dans cette exigence danonymatpour ceux qui croient la thse de linspiration. La traduction sera donc collective etanonyme ou elle ne sera pas.

    Conclusion

    Depuis lAntiquit, chaque tentative de nouvelle traduction de la Bible suscite descritiques. Mme la Vulgate fut critique par saint Augustin qui mit en doute lautoritde Jrme. Pour lglise catholique, les textes bibliques et liturgiques ne constituent pasdes documents dintrt purement historique ou culturel. Dinspiration divine, ilsrenferment le mystre du salut . La nature trs particulire de ce corpus doctrinalexigeait donc llaboration dun ensemble de rgles de traduction appropries. Ces

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    rgles, qui tmoignent de la nostalgie dun texte unique, immuable et intemporel,nont pas t conues en fonction de normes rgissant la traduction de textes littrairesou pragmatiques, ni la lumire de la rflexion moderne en traductologie, tant senfaut, mais en fonction de la mission traditionnelle de lglise catholique et dans unsouci vident de prserver intacte la doctrine, menace par la multiplication de tra-ductions juges tendancieuses et non conformes lenseignement officiel de lglise.Les comptences exiges des traducteurs sont de nature refroidir lardeur des plusfervents adeptes du proslytisme. Tout un chacun ne pourra pas simproviser traduc-teur pour se faire ouvrier dans la vigne du Seigneur Il faudra ni plus ni moinsrunir les qualits dun saint Jrme pour se faire agrer comme traducteur par leVatican.

    Quelle conception de la traduction et du traducteur se dgage de cette cinquimeinstruction post-conciliaire ? En plus de leurs dictionnaires et de leurs ressourcesinformatiques, les traducteurs de textes religieux peuvent-ils rellement compter surlaide de lEsprit Saint pour accomplir leur travail, comme lont t, croit-on, lesauteurs des textes sacrs ? Les deux cosignataires de linstruction en ont la fermeconviction : La traduction des livres liturgiques requiert [] un esprit de prire etla confiance en laide de Dieu, qui nest pas accorde seulement aux traducteurs, mais lglise elle-mme, durant tout le processus qui conduit lapprobation dun textestable et dfinitif (art. 75 ; cest nous qui soulignons). Le scepticisme est de miseToute doctrine religieuse entretient une croyance en lexistence dtres surnaturels, etles traducteurs des commissions de traduction cres par les vques sont certainementanims dune foi profonde qui les porte croire sans doute cette inspiration divine.Se pose alors le problme des erreurs qui maillent les traductions des traducteursinspirs . Mme le vnr saint Jrme na-t-il pas commis plusieurs contresens danssa Vulgate ? Par exemple, lorsque Mose descend du Sina, ne la-t-il pas affubl de cor-nes, alors quil aurait d crire que la peau de son visage rayonnait (Ex 34,29) ?Jrme ntait-il pas guid par lEsprit ? Le grand rhabilitateur du travail des traduc-teurs que fut Didier rasme (1467-1536) avait combattu en son temps cette ide,sans grand succs, semble-t-il, car ce mythe sest maintenu jusquau xxe sicle sous laplume de papes, dvques et darchevques : Pourquoi Jrme aurait-il eu besoindenseigner la mthode de traduire les saintes lettres, crit lhumaniste lucide, si ledon en est accord par inspiration divine ? Allons-nous faire remonter nos erreurs auSaint-Esprit et dire quil en est lauteur ? (rasme 1967, t. I : 385-386). rasme deRotterdam est demeur croyant jusqu la fin de sa vie, sans jamais abdiquer pourautant son jugement critique ; il savait distinguer croyance, crdulit et mythe.

    Ce quon demande en fait aux traducteurs ce nest pas de rexprimer dans unelangue moderne le sens purement conceptuel ou culturel des textes bibliques ouliturgiques, mais leur sens doctrinal et thologique (art. 50), leur sens religieux telque lenseigne lglise catholique. Cest pourquoi, par exemple, seuls des croyantssont en mesure dexprimer une vraie notion thologique de causalit divine (art.54), l o des non-croyants seraient tents demployer des mots qui rendraient lidedune aide purement extrieure ou profane. Il nest pas donn tout le monde decroire aux miracles et aux interventions divines dans les affaires de la vie couranteQuoi quil en soit, dornavant, seuls des croyants convaincus et reconnus tels par lahirarchie ecclsiastique pourront participer aux projets de traduction dont les vquesprendront linitiative.

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  • Les rgles qui composent linstruction Liturgiam authenticam reprsentent lor-thodoxie catholique en matire de traduction. Ce dcalogue destin aux traducteursrepose sur un certain nombre de prsupposs :

    les textes bibliques et doctrinaux sont dinspiration divine ; ils renferment une Vrit ternelle et immuable ; lglise a la mission de garder intact le message divin ; elle est la seule comptente pour interprter les textes de sa doctrine ; elle a reu la mission de les faire connatre tous les peuples de la Terre ; la traduction est un mal ncessaire ; elle est dangereuse, car elle altre les textes ; elle risque de falsifier la doctrine en pervertissant le sens des textes ; les quivalences dynamiques de la traduction libre (cratrice) dforment le sens des

    textes ; lglise doit donc encadrer troitement le travail des traducteurs ; elle seule peut juger de la validit doctrinale dune traduction ; le traducteur lesprit critique est un hrtique en puissance ; le traducteur croyant, docile et soumis au Magistre de lglise peut, lui, compter sur

    laide de lEsprit Saint ; il est possible de traduire le sens exact et authentique des textes bibliques et doctri-

    naux ; la traduction est une translatio, une forme de report non dformant ; les obscurits des textes sont voulues par Dieu ; il ne faut pas chercher les claircir ; la traduction littrale est la seule stratgie apte rendre lauthenticit des textes ; il existe une langue du religieux chrtien distincte du langage commun ; il est impratif de respecter cette langue particulire ; ce faisant, on maintient la doctrine, la tradition et la crdibilit de lglise ; il est plus important dtre fidle la tradition que de renouveler la langue du religieux

    chrtien ; lobjet de la traduction est le sens doctrinal des textes ; la traduction doit tre une uvre collective ; le traducteur peut et doit tre absent de ses traductions ; seul un croyant convaincu peut traduire la Bible et les textes liturgiques comme

    lentend lglise catholique.

    En y regardant de plus prs, on constate que bon nombre de ces prsupposs sont desdogmes (ou croyances institutionnalises non fondes), des prjugs lgard destraducteurs, des ides reues (fausses) sur la nature de la traduction, ou des mythes.Cette mthode idoine dnote dans lensemble une mconnaissance des vritablesenjeux de la traduction ou, si lon prfre, des enjeux de la vritable traduction.Lattachement obstin que ses auteurs portent la langue du religieux chrtien estcontraire lessence mme de la dmarche de traduction qui est, pour une bonnepart, rinvention dans la langue daccueil et non mimtisme de la langue dorigine. trop vouloir dfendre les formes figes du langage de la tradition, les mots de nospres, nous ninventons plus les conditions dune transmission possible (Boyer2002 : 124) du vritable message chrtien. Ce conservatisme est contre-productif.

    Par ailleurs, bien que les auteurs de linstruction insistent sur le fait que les traduc-tions doivent tre exemptes de toute arrire-pense idologique (art. 3, 32), il nendemeure pas moins quils demandent explicitement aux traducteurs de christianiserlAncien Testament en montrant que le Nouveau donne un sens lAncien. Cela est

    les nouvelles rgles de traduction du vatican 845

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    en soi une distorsion idologique. Dire, par exemple, dans Isae que cest une vierge qui a enfant pour faire davance allusion la Vierge mre du Christ estabusif, car le texte original dit alma (une jeune femme) et non betoula (une vierge).De mme, vox clamantis in deserto : Une voix parle dans le dsert / ouvrez un che-min au Seigneur est une formulation qui fausse le sens rel de ce passage dont lasignification exacte est : Une voix appelle / dans le dsert ouvrez le chemin (Isae40,3)26. Nous avons vu, galement, que le choix des langues dans lesquelles pourrontse faire les traductions est aussi dordre idologique.

    La cinquime instruction expose on ne peut plus clairement les nouvelles dis-positions adoptes par lglise en matire de traduction. Si lencyclique de Pie XIIet plus encore la Constitution conciliaire manifestaient une ouverture lgard destraductions, que lon souhaitait adaptes aux fidles daujourdhui (traductions-inculturation), force est de constater, un demi-sicle plus tard, un retour du balancierdu ct du traditionalisme et du conservatisme (traductions-tradition). Le littralismepeut tre vu comme une forme dexpression du conservatisme, voire un dsir dimmo-bilisme, une idalisation du pass. Dans Liturgiam authenticam, les qualificatifs authentique , exacte , fidle , intgrale , juste , prcise , sre appli-qus la traduction sont autant de synonymes de lexpression traduction-littrale-conforme--la-doctrine-et--la-tradition . Rome a, semble-t-il, mis un frein aumouvement dinculturation, ce que beaucoup de croyants actifs dans lglise dplo-rent. Son nouveau trait de traduction porte lempreinte de ce revirement. Ce traitconservateur bride les traducteurs et leur impose un ensemble de rgles rigides. Lacrativit inhrente au processus de traduction est crase sous la chape de plomb dudogmatisme catholique et de la tradition. Faut-il sen tonner quand on sait que leprfet de la Congrgation pour le culte divin et la discipline des sacrements, cosigna-taire de linstruction, le cardinal Jorge A. Medina Estvez, dorigine chilienne, est unultraconservateur ? Personne ne contestera non plus que le pontificat de Jean-Paul IIse caractrisait par un retour aux valeurs dfendues bec et ongles par la droite catho-lique, attitude qui contraste singulirement avec le vent de renouveau que Jean XXIIIavait fait entrer dans lglise en convoquant Vatican II. Cela prouve une fois de plusque la manire de traduire suit de prs lvolution des mentalits, des socits, desinstitutions et des idologies. Les rgles de la traduction religieuse ne font pas excep-tion cette loi universelle de lart de traduire. Elles changent elles aussi au gr descirconstances, des ralits nouvelles, des virages idologiques ou des courants de pensequi dominent un moment donn au sein dune institution religieuse. La traductionsera toujours un bon baromtre du changement. De ce point de vue, elle ne trahitjamais.

    NOTES

    1. Lauteur tient remercier Sybil Brake (Ottawa), Carmen Gloria Garbarini (Temuco, Chili), PaulHorguelin (Roxton Falls, Qubec) et Christiane Lafond (Gatineau, Qubec) pour avoir relu son texteet lui avoir fait part de leurs judicieux commentaires.

    2. Bible translation is a typical Christian activity. 3. Ce nest quau xiiie sicle que lon a commenc dsigner la traduction latine de Jrme sous le

    nom de Vulgate , cest--dire texte commun , texte populaire .4. En fait, en Angleterre deux sicles plus tt, le thologien John Wyclif (v.1320-1384), en prnant la

    sparation de lglise et de ltat, en sattaquant au pape et en faisant de la Bible la base de la foi, faitfigure de prcurseur de la Rforme. On la dailleurs surnomm le premier des protestants . Sa

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  • traduction de la Bible publie en 1382 est probablement la plus importante uvre traduite en anglaisau xive sicle.

    5. La Rforme [na-t-elle] pas t avant tout une querelle de traducteurs ? (Cary 1963 : 7).6. On appelle dition typique un livre publi en vertu dun dcret de la Congrgation pour le culte

    divin et la discipline des sacrements. Les ditions typiques publies avant la cinquime instruction(2001) taient diffuses par lImprimerie Polyglotte Vaticane ou par la Libreria Editrice Vaticana ; lavenir, elles seront normalement imprimes par lImprimerie vaticane et leur diffusion sera rser-ve de droit la Libreria Editrice Vaticana (Liturgiam authenticam, 2001, art. 109).

    7. Voir plus haut lopinion contraire exprime par ses prdcesseurs.8. Ses prdcesseurs, Pie X et Pie XI, ne staient pas opposs la rvision de la version latine de la

    Vulgate, mais sans aller jusqu recommander sa traduction en dautres langues.9. Strictement parlant, on ne peut gure parler de textes originaux dans le cas des textes bibliques,

    car seules des copies des textes primitifs sont parvenues jusqu nous. Les textes les plus traduits aumonde demeurent toujours sans originaux.

    10. Lauteur de cette encyclique est conscient que lopration de traduction exige du traducteur quilconnaisse le caractre particulier de lcrivain sacr et ses conditions de vie, lpoque laquelle il avcu, les sources crites ou orales quil a employes [et] sa manire dcrire (art. 34), afin de mieuxconnatre le sens rel de ce que lhagiographe a voulu exprimer. Cest l un point de vue trs moderne.Les thoriciens actuels prnent aussi la connaissance des complments cognitifs : auteurs, style, con-texte social, influences, etc.

    11. On peut considrer que la traduction de lAncien Testament en grec, la Septante, ralise au iiie

    sicle av. J.-C., est, dun point de vue historique, la premire forme dinculturation subie par lestextes bibliques.

    12. Cette commission est prside par lvque de Fulda (Allemagne), Edward Schick.13. La preuve en est que cette editio typica connatra pas moins de quatre rditions et rvisions entre

    1984 et 1992. Comme quoi il ny a jamais de traduction dfinitive. Compagnons dinfortune deSisyphe, les traducteurs sont condamns rviser sans fin leurs propres traductions et refaire cellesde leurs prdcesseurs.

    14. ou, au Qubec, en joual , comme il sen est publi dans les annes 1990. Voir ce propos Lvangile selon Ti-Marc ! (Anonyme 1991), Le mpris du peuple (Gagnon 1991) et La Bibletraduite ou labrutissement la qubcoise (Martin 1991).

    15. Peu de femmes ont traduit la Bible. Au xixe sicle, lAmricaine Julia E. Smith (1792-1886) est, notre connaissance, lunique femme lavoir fait, seule, partir du grec et de lhbreu. Sa traductiontrs littrale, Holy Bible Containing the Old and New Testaments ; Translated Literally from the Origi-nal Tongues, fut publie en 1876. Sa compatriote Elizabeth Cady Stanton (1815-1902), fougueuseactiviste, publia en 1895, sous le titre The Womans Bible, une relecture fministe des passages de laBible faisant rfrence aux femmes. Voir Von Flotow 2002.

    16. Samuel Butler (1835-1902) avait exprim une opinion similaire, lui qui fait dire lun de ses per-sonnages : Je traduirai tout avec cette libert sans laquelle aucune traduction ne slve au-dessusdu mot mot (Butler 1924 : 56. Traduction : Valery Larbaud).

    17. Cela sest produit rcemment. La version anglaise ralise grands frais pour le compte dvques deonze pays anglophones dans les annes 1980 et soumise pour approbation en 1996, fut rejete par leVatican qui a estim que cette traduction ne transmettait pas fidlement certains points importantsde la doctrine catholique. Roma locuta, causa finita (Lavis de Rome prvaut toujours).

    18. Cosigne par le cardinal Jorge A. Medina Estvez, prfet de la Congrgation pour le culte divin et ladiscipline des sacrements, et par larchevque secrtaire, Francesco Pio Tamburrino.

    19. lment de clbration qui est propre un saint, un temps, un lieu, et ne fait partie ni de lordi-naire ni du commun (Le Petit Robert, 2000).

    20. Dans notre manuel dinitiation la traduction, La Traduction raisonne (Delisle 2003 : 165-172),nous utilisons ce terme pour dcrire le premier des trois niveaux dinterprtation de loprationtraduisante, les deux autres tant la remmoration et la cration discursive . Le report estl opration du processus de la traduction par laquelle certains lments dinformation du texte dedpart qui ne ncessitent pas une analyse interprtative sont transcods tels quels ou non dans letexte darrive (Delisle, Cormier, Lee-Jahnke 1999 : 68).

    21. Lauteur du Gnie du christianisme ne cache pas sa prdilection pour le littralisme dans son Essaisur la littrature angloise : La traduction littrale me parat toujours la meilleure : une traductioninterlinaire serait la perfection du genre, si on lui pouvait ter ce quelle a de sauvage (Chateau-briand 1837 : 4), et dans ses Remarques qui prcdent sa traduction du Paradis perdu de Milton :

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    Cest une traduction littrale dans toute la force du terme que jai entreprise, une traduction quunenfant et un pote pourront suivre sur le texte, ligne ligne, mot mot, comme un dictionnaireouvert sous leurs yeux (Chateaubriand 1871 : ix) ; Jai calqu le pome de Milton la vitre, peut-tre en rsultera-t-il cette conviction que la version littrale est ce quil y a de mieux pour faireconnatre un auteur tel que Milton (ibid. : xi).

    22. I am somewhat of a literalist, because I am for truth and accuracy (Newmark 1988 : ix). [] wedo translate words because there is nothing else to translate ; there are only the words on the page ; thereis nothing else there (ibid. : 73).

    23. Cest le cas notamment de lAssociation des Traducteurs Littraires de France (ATLF) : Le traduc-teur sabstient de traduire une uvre partir dune autre traduction en langue trangre, dite tra-duction-relais, moins que lauteur ne ly autorise (art. 3).

    24. Livre dans lequel se trouvent les textes de la Bible (lectionnaire proprement dit) ou des Pres(lectionnaire patristique, ou autrefois sermonnaire ou homliaire) qui doivent tre lus la messe et loffice (Le Grand dictionnaire terminologique de lOffice qubcois de la langue franaise ).

    25. Bible des communauts juives dgypte, elle fut aussi la Bible des pres de lglise et la seule Bibledes chrtiens pendant des sicles (Cousin 1990 : 5).

    26. Ces deux exemples sont emprunts Henri Meschonnic (2001 : 13 ; 2004 : 157).

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