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LES ORIGINES SACRÉES DE LA

ROYAUTÉ FRANÇAISE

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SCRIPTORIA

I

Christian JACQ - Patrice DE LA PERRIÈRE

LES ORDIGINES SACRÉES DE LA

ROYAUTÉ FRANÇAISE Préface de Jean-Pierre BAYARD

Photos de René-Jean FRANCE

Dessins et maquette de Françoise GUILLAUME

Léopard d'Or 11, rue du 4 Septembre

75002 Paris

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Copyright « Le Léopard d'Or » ISBN 2-86377-011-X

Achevé d'imprimer sur les presses du Léopard d'Or. 11. rue du 4 Septembre - 75002 Paris

Dépôt légal 4 trimestre 1981

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PRÉFACE

Bien que notre époque se tourne délibérément vers les recherches scientifiques, nous savons encore rêver. Le pas de géant que nous avons fait en marchant sur la lune ne nous empêche pas de constater que nos savoirs restent limités. Malgré nos découvertes de plus en plus audacieuses, des réalisations que nos parents n'osaient pas imaginer, ce confort matériel donné à chacun, l'homme reste inquiet Il scrute son passé, analyse ses gestes, ses réflexions et constate son incapacité à cerner les phénomènes qui le marquent, l'orientent et par là-même, le hantent

Cette connaissance des lois mécaniques ne lui apporte pas toutes les satisfactions désirées. Tributaire des forces qu'il met en action, l'homme constate qu'il n'est pas plus heureux qu'autrefois; son évolution, qui n'est qu'apparente, ne lui apporte pas la quiétude espérée. Il regarde autour de lui, considère le passé et s'aperçoit que les gestes de ses ancêtres n'étaient pas dépourvus de valeur.

Ainsi, dans notre siècle aux recherches rigoureuses et réputées exactes, l'être veut se rattacher à un monde qui le dépasse et dont il pressent l'importance. Il met alors tout son espoir dans l'inconnu, dans l'abstraction et même dans le surnaturel. Surgissent brusque- ment ces forces magiques situées en dehors du temps, en dehors de nos concepts actuels et qui communiquent l'espérance, celle d'un équilibre salutaire, d'un bonheur ressenti sans le secours de notre vision matérialiste.

Au temps de la fusée nous rêvons encore à la panoplie des chevaliers du Temple, aux héros mythiques, à tous ces hommes de la Quête initiatique, qu'ils se nomment Faust Don Quichotte, Lancelot du Lac ou le Juif Errant De plus en plus, nous ressentons la nostalgie

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des sciencse secrètes et sommes sensibles à la force des nombres, à la valeur des noms, aux rythmes qui nous entourent Nous recherchons aussi le témoignage d'une expérience religieuse avec des structures initiatiques dont les gestes et les paroles signifient En effet, sous les apparentes évidences, se cachent bien des messages, bien des significations profondes.

Les historiens, les critiques, les psychologues, les symbolistes tournent leurs regards vers certaines oeuvres littéraires, scrutent les actes de la vie, les cérémonies, et découvrent qu'effectivement, les intentions des hommes d'autrefois dépassent de beaucoup la simple matérialisation, la simple formulation d'un fait apparemment quel- conque.

La royauté, avec la pompe de ses institutions et la rigueur profonde de ses symboles, nous fascine, car le roi est le premier des chevaliers.

Lorsqu'on analyse cette cérémonie qu'est le rituel du Sacre, nous découvrons non seulement son importance dramaturgique, mais surtout nous nous trouvons devant une certaine manifestation du Grand-Œuvre Alchimique, qui tend à transmuter le roi individu en Roi-Fonction. Ce monarque qui va changer de nom en naissant une deuxième fois, a été un prince élevé dans des conditions bien définies lui permettant de traverser avec succès certaines épreuves. Ce héros, visité par les dieux symbolise son peuple grâce à une mort symbo- lique suivie d'une régénération, d'une renaissance. Les forces vives de la Création sont ainsi exaltées. Apportant la fertilité et la prospérité à son peuple, le roi s'intègre dans la chaîne ininterrompue de tous les rois qui l'ont précédé. Il perpétue l'intemporalité de cette fonction qui fait du roi le lieutenant de Dieu sur la Terre.

Christian Jacq et Patrice De La Perrière, conquis par ce caractère sacré du roi de France se sont penchés sur le rôle magique et initiatique de la fonction royale. Commentant le sacre du roi, les auteurs nous montrent que par le rituel dont les 9 onctions repré- sentent certainement la clef de voûte de ce drame liturgique, l'individu se transfigure pour devenir un homme communautaire qui regroupe en son sein tous les sujets du royaume.

Le Sacre des rois, bien mis au point en France, recopié par les autres cours d'Europe et plus spécialement par la branche française régnant sur l'Angleterre, appartient à la Tradition. Son rituel transmet magiquement des pouvoirs, et grâce à ses symboles, aux regalia, la vie du peuple se trouve liée aux lois cosmiques : le roi devient le

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médiateur entre le visible et l'invisible, entre le temporel et l'intem- porel. Le monarque, oint du seigneur, se réalise par les rites qui le marquent et lui confèrent sa nouvelle vie ; il est alors l'organisateur, celui dont le rôle est de faire triompher l'harmonie et d'ordonner le chaos. Il est, pour reprendre une image employée au moyen-âge, celui qui unit les contraires, troisième terme indispensable pour sublimer la dualité.

Nous savons que le dernier sacre français fut celui de Charles X ; mais la Révolution française, par son rationalisme, a écarté les formules ayant trait au sacré. Mais Patrice De La Perrière et Christian Jacq ont voulu revenir aux sources en commentant le premier formulaire complet attribué au roi Louis VII, et qui aurait été rédigé en 1179, pour servir au sacre de Philippe-Auguste (bien que certaines querelles d'érudits se soient produites autour de la datation de ce texte). En fait, ce rituel semble fort peu altéré par rapport à la pensée de la royauté primitive.

Après les interprétations judicieuses des auteurs, nous compre- nons mieux pourquoi le prince qui vit ce baptême supérieur, est investi de cette puissance éternelle, qui l'auréole et lui font acquérir une dimension cosmique au service de son pays. Grâce aux efforts conjugués de tous les participants, archevêques, évêques, prêtres, grands seigneurs, représentants des corporations et du peuple, grâce à cette extraordinaire concentration d'énergie, le roi est élevé et peut se dépasser lui- même. Victor- Émile Michelet, dans son livre intitulé le Secret de la Chevalerie, écrit : « Les symboles ont une force intérieure qui prend possession de ceux qui croient se les appro- prier ».

Mais laissons la parole à Christian Jacq et à Patrice De La Perrière qui évoquent la puissance d'un sentiment sublimé, d'une investiture sacrée, d'une initiation supérieure ; en fait, un modèle du monde...

Jean-Pierre BAYARD

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INTRODUCTION

« Le roi est mort, vive le Roi !» : la célèbre formule est le fil conducteur de l'étude proposée dans cet ouvrage dont le but est de faire connaître un des plus beaux et des plus profonds textes du Moyen-Age occidental. Le rituel du sacre des Rois de France a surtout retenu notre attention en raison de ses qualités dramatur- giques et symboliques. Avec un tel texte, nous entrons au cœur de l'histoire et de la pensée du Moyen-Age. « Faire le Roi », le créer, c'est façonner les clefs de voûte d'une société dont on s'aperçoit chaque jour davantage qu'elle n'était ni puérile ni archaïque.

Nous avons encore beaucoup à apprendre de notre Moyen-Age. Maître Eckhart, le grand théologien rhénan, n'écrivait-il pas : « L'œuvre et le temps ont beau être passés, l'esprit dans lequel les œuvres ont été opérées continue à vivre » ? Aussi nous attacherons- nous, dans la lecture du texte du rituel à ses significations et à ses implications philosophiques et symboliques. C'est précisément l' esprit d' une époque ou l' on créait un roi de meme que l' on engeait une cathédrale.

Le rituel du sacre est sans doute le dernier vestige de l'immense architecture, au sens large du terme, qu'avaient conçue les anciennes civilisations traditionnelles. Il convient à cet égard, de parler de l'« ancienne royauté» et non point de l'« ancien régime ». Cette dernière expression recouvre une période historique trop restrictive pour rendre compte des réalités de tous ordres incluses dans la notion même de sacre d'un roi et de son expression rituelle. L'histoire oppose volontiers les structures politiques de l'ancien régime à celle de la République. On a souvent tenté d'analyser les critères de ces

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deux types de société en montrant leurs points forts et leurs points faibles. Telle ne sera pas notre intention. Nous considérons le rituel du sacre comme un « fait » symbolique en lui-même, comme un texte qui mérite d'être connu pour sa valeur intrinsèque, à l'instar de l'Odyssée, d 'une pièce dite « historique » de Shakespeare ou d'une épopée chevaleresque.

Le sacre nous entraîne vers l'une des cîmes de la civilisation médiévale, vers l'une de ses « lignes de faîte », comme l'écrivait l'historien Louis Génicot Par l'étude d'un tel document, nous sommes conviés à sortir du monde clos des événements et des conflits temporels pour entrer dans celui de la foi profonde d'une époque. Lorsque Gilles de Rome disait : « Ce que nous voyons dans l'ordre et le gouvernement de l'univers, nous devons le réaliser dans le gouvernement de l'État », il indiquait avec beaucoup de précision la fonction d'une monarchie sacrée. Or, le rituel du sacre des rois de France est précisément le « programme » qui nous fait assister à la naissance du monarque. Par le rite, le Moyen-Age tente d'incarner le gouvernement céleste, de le rendre présent sur cette terre. A notre sens, il serait d'ailleurs intéressant de reprendre l'étude des souve- rainetés médiévales en fonction de la spiritualité du sacre. On s'apercevrait, par exemple, que de nombreux monarques ont essayé d 'adapter leur mode de gouvernement à l 'enseignement reçu lors du rituel de couronnement Le roi du Moyen-Age, nous le verrons, ne se considéra pas exclusivement comme un administrateur ou un politicien. Ces offices étaient remplis par des membres de sa cour. Le monarque, pour sa part, devait s'élever au-dessus des contingences sans pour autant les ignorer. Il était un modèle, lui-même héritier de modèles très anciens, notamment proche-orientaux.

Le roi médiéval se souvient de la déclaration de Dieu à Salomon (II livre des chroniques, 1, 11-12) : « Puisque tu n'as demandé ni richesse, ni trésors, ni gloire, ni la vie de tes ennemis, puisque tu n'as pas même demandé de longs jours, mais sagesse et savoir pour gouverner mon peuple dont je t'ai établi roi, la sagesse et le savoir te sont donnés ». Cet idéal de sagesse fut un élément de gouvernement non négligeable. Un roi comme Charlemagne était un fidèle lecteur de La cité de Dieu de Saint-Augustin. Il tenta de concilier le spirituel et le temporel, étant à la fois le premier parmi les hommes composant son peuple et le serviteur le plus humble devant Dieu.

Comment un roi était-il choisi ? A dire vrai, nous ne le savons pas avec certitude, dans la plupart des cas. Les lois de filiation et

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d'hérédité ont souvent été utilisées à titre d'explication, mais on a également mis en relief des procédés d'élection et de cooptation. La valeur individuelle des monarques fut certainement inégale, mais ce n'était pas le point-clé de la structure monarchique. Le rituel du sacre demeurait. les hommes intronisés grâce à lui passaient.

Dans la société pré-chrétienne, la figure centrale du gouver- nement est un roi-prêtre même si. à certaines périodes, une sépara- tion du pouvoir fut effectuée sous la pression d 'événements sociaux. Dans la société chrétienne du Moyen-Age. le pouvoir est séparé entre un roi et un pape. Malgré les efforts de Byzance pour maintenir l'unité du pouvoir religieux et du pouvoir temporel, c'est la doctrine de la scission qui l 'emporta et qui continue à influencer notre vie quoti- dienne, même si les papes et les chefs du gouvernement du X X siècle n'ont plus que de lointains rapports avec leurs homo- logues du Moyen-Age. Dès l 'époque médiévale, les attributs royaux traditionnels ne sont plus l 'apanage d'un seul souverain. Le roi de France détient le sceptre et la main de justice. l 'empereur du Saint- Empire romain germanique le globe du monde, le pape la triple tiare. On assiste à une sorte d'« éclatement » d 'une figure primitive en plusieurs aspects, tantôt complémentaires, tantôt opposés.

Un texte central comme le rituel du sacre plonge ses racines dans une tradition qui mérite d'être abordée. Nous avons montré, dans de précédents o u v r a g e s que l'étude de la symbolique médiévale ne pouvait être dissociée de celle du Proche-Orient et. plus particuliè- rement de l'Égypte ancienne.

Si la filiation biblique du rituel du sacre des Rois de France est évidente, elle ne doit pas masquer pour autant ses liens avec des civilisations qui eurent autant d'influence sur le Moyen-Age que la Grèce et Rome. Le Moyen-Age a eu le souci de préserver ses sources, comme l'illustre bien la magnifique image de Bernard de Chartres : que les nains, les hommes du moment présent montent sur les épaules des géants, les ancêtres créateurs. Nous ferons souvent appel, dans nos commentaires du texte, à la symbolique proche- orientale qui est fort souvent à l'origine de la formulation biblique dont dérive directement l'expression médiévale.

(1) Voir notamment C. JACQ et F. BRUNIER. Le message des bâtisseurs de cathédrales. Plon et C. JACQ, Le message des constructeurs de cathédrales, Éditions du Rocher.

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« Les origines de la royauté mystique, écrit Marc Bloch, l'auteur des Rois thaumaturges, échappent à l'historien. Seule l'ethnographie comparée semble capable d'apporter sur elle une quelconque lumière ». Avec le rituel du sacre, nous sommes dans le domaine du plus « archaïque », du plus fondamental en ce qui concerne la structure même de la royauté. De fait, le texte a des résonances qui dépassent une période historique déterminée. Il est l'axe autour duquel la vie du roi s'organise. Tout roi, par définition, siège au pôle du monde, au centre des choses, à la source de la vie, au point immatériel d 'où naît le mouvement Fidèle aux enseignements des Pères de l'Église, il n'est soumis ni à la « bonne fortune », ni à la « mauvaise fortune ». Il ne se laisse ni exalter par l'une ni abattre par l'autre.

Le rituel de couronnement le façonne de telle manière qu'il ne soit pas soumis aux fluctuations de la fatalité. Outrepassant les limites naturelles de l'individu, il représente l 'Homme communautaire à travers lequel et dans lequel chacun trouve la possibilité de s'accom- plir.

Suger, le génial Abbé de Saint-Denis, l'un des fondateurs de l'art gothique, explique que le roi porte la vivante image de Dieu en lui- même. « Le roi symbolise dans le royaume l'image du Père », ajoute Hugues de Fleury. Loin de se présenter comme un froid despote, le souverain est non seulement l'image du Père céleste mais aussi celle, plus proche des hommes, du père de famille dont l'attention est amour. « Qui gouverne les hommes avec justice, chantait David, et qui gouverne dans la crainte de Dieu, est comme la lumière du matin au lever du soleil, faisant étinceler après la pluie le gazon de la terre » (II Samuel, 23, 3-4).

Le sacre confère au monarque une réalité d'un type particulier: il s'agit d 'une authentique initiation, à savoir d 'une entrée dans le sacré, d'un sacrifice visible ancré dans l'invisible. « Le sacrifice visible, écrivait Saint-Augustin, est donc le sacrement, c'est-à-dire le signe sacré, du sacrifice invisible... Il y a un sacrifice véritable en toute œuvre qui nous unira à Dieu dans une sainte société » (Cité de Dieu, livre X, chapitre 5). Le rituel du couronnement est bien une admirable tentative de création d'une « sainte société », un sacrifice commu- nautaire. Les hommes, par une telle célébration, placent leur confiance dans un monarque qui, selon le Sermon au Roi de Gerson, écrit en 1390, « n'est pas une personne privée, mais une personne publique, instituée pour le bien de la communauté toute entière ».

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Le Christ-Roi trône dans les cieux, au milieu de la cour des élus. Couronné et doté du sceptre, le Christ est le Roi par excellence, celui que Maître Eckhart qualifiait de « modèle de toute créature, modèle où l'essence de toutes les créatures est en suspension, Lui en qui toutes choses sont Unité ». La cour royale du Christ, où chaque être occupe sa juste place et remplit sa juste fonction, est le chef-d'œuvre dont s'inspirent les monarchies terrestres ; tout au long de la tradition occidentale, le gouvernement royal est conçu en fonction du gouvernement céleste. (d'après le Manuscrit 20 du Corpus Christi, Collège de Cambridge).

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P a r le sacre, o n fait un roi. o n le façonne , c o m m e un scu lp teu r sa statue. A ce titre, d 'ail leurs. la c o n n a i s s a n c e d ' u n tel texte est

p a r t i c u l i è r e m e n t i m p o r t a n t e p o u r n ' impor t e que l c r é a t e u r c a p a b l e d 'y t r o u v e r u n e « m é t h o d e » p o u r pa rven i r à me t t r e a u jour ce qu'il y a d e p lus p r o f o n d e n l ' h o m m e . Il s ' ag i t en e f f e t de r e n d r e visible l'invisible, d e l ' in tégrer d a n s le co rps social afin q u e celui-ci vive en r é s o n a n c e a v e c les lois célestes , d e magni f ie r d e s devoi r s et n o n d e s droits. C 'es t b ien d e la mise a u j o u r d ' u n c h e f - d ' œ u v r e , la p e r s o n n e royale e l l e -même , d o n t il es t ques t ion .

Le roi, ainsi conçu , fut ass imilé à un pr inc ipe r a y o n n a n t qui i l lumine le c œ u r et les yeux. a u feu c réa teur , a u vent vivifiant L ' é tymolog ie e l l e - m ê m e se révèle significative : le m o t roi vient d u latin rex, issu l u i - m ê m e d u gaulo is rix qui se r a t t a c h e au sanskr i t rajan. Le s e n s d e la r ac ine la p lus a n c i e n n e est « va i l lan t l u m i n e u x » le t e r m e « r iche » e n é t an t un dérivé. Le roi n 'es t d o n c pas. d a n s le p r inc ipe p remie r , un individu qui r é g e n t e o u impose, mais qui p ro je t t e un r e g a r d solai re su r le m o n d e afin d e lui d o n n e r la lumière. Aussi la r i chesse spir i tuel le et maté r ie l l e du r o y a u m e dépend - t - e l l e é t r o i t e m e n t d e la qua l i t é d e r e g a r d d e son roi.

Le roi d e F r a n c e est roi p a r c e qu'il par t ic ipe à la r o y a u t é universe l le d u C h r i s t Les t h é o l o g i e n s m é d i é v a u x d o n n è r e n t leur a c c o r d à u n e f o r m e d e g o u v e r n e m e n t qui, a u lieu de s ' eng lue r d a n s u n e po l i t i que a u j o u r le jour, s ' e n g a g e a i t r é s o l u m e n t su r la voie d e la c o m m u n i o n avec le divin. C e t t e idée n 'é ta i t p a s nouvel le , t an t s 'en f a u t Elle r e d o n n a i t fo rce et v i g u e u r à d e s p r inc ipes qui, p e n d a n t q u a t r e mil lénaires , a v a i e n t a n i m é les soc ié tés t h é o c r a t i q u e s d e l ' anc ien m o n d e .

Il es t é t r a n g e d e c o n s t a t e r q u e les p r e m i e r s ch ré t i ens furen t p e r s é c u t é s p o u r u n e ra i son p réc i se : leur a thé i sme , c 'es t -à-dire leur refus d e r e c o n n a î t r e la divinité d u m o n a r q u e romain . En dép i t d e ses a b e r r a t i o n s d é t ous ordres , la R o m e d é c a d e n t e tena i t e n c o r e

v i s c é r a l e m e n t a u p r inc ipe royal, m ê m e s o u s u n e f o r m e d é g r a d é e . T o u t se passa i t c o m m e si la m é m o i r e d e l 'humanité p r é s e r v e r ce c o n c e p t à n ' i m p o r t e q u e l prix. Mais l 'esprit avai t fui R o m e et l 'État n e t r o u v a p a s d ' a r g u m e n t s cohé ren t s , face a u mys t ic i sme chrét ien, p o u r d é t e n d r e l e s v a l e u r s t r a d i t i o n n e l l e s . D a n s c e t t e c a r e n c e s e

trouve l'origine des persécutions qui, par un choc en retour, fournirent au christianisme ses meilleurs arguments de propagande.

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Le plus surprenant est que l'idée de royauté ne disparut pas pour autant Elle se métamorphosa et se transféra, dans les premières communautés chrétiennes. sur la personne du chef sacré. le presbuteros, l'Ancien. Terminologie symbolique s'il en fût, puisque certains « Anciens » avaient moins de trente ans. L'âge, la « quantité d 'années », n'étaient donc pas des critères de choix déterminants. De la royauté exercée dans le cadre d 'une nation ou d 'une cité, on passait de la sorte à une royauté exercée dans une communauté restreinte. La doctrine chrétienne, plaquée sur les principes monar- chiques, forgea de nouveaux instruments de domination au fur et à mesure de la propagation de sa doctrine.

En 325, au concile de Nicée, un quart du corps épiscopal seulement prit des décisions qui engageaient l'église temporelle dans des directions sensiblement différentes de celles enseignées par le Christ et les premières communautés. Rome, la ville des juristes, devenait le centre administratif de la chrétienté, commençant à trahir l'esprit au profit de la lettre.

Loin de Rome, dans des contrées dominées par l'esprit des Celtes et des civilisations de l 'Europe du Nord, la notion de royauté sacrée continuait à vivre. Les « Barbares », comme on les a longtemps nommés, continuaient à vivre selon leurs traditions propres. Pendant que le christianisme remplaçait les dieux par les saints, les temples par les églises, les ritualistes par les prêtres, les civilisations germa- niques et nordiques accueillaient la symbolique du Moyen Orient et forgeaient de micro-sociétés chevaleresques d 'où allait bientôt naître la féodalité. A l'aube du X siècle, les corporations de constructeurs commencent à sortir des ténèbres. Rassemblant des hommes venant d'horizons culturels et sociaux très différents, elles passent de la création de petits objets à celle de premiers grands édifices. Le langage iconographique se forme, la symbolique des chapiteaux s'affirme. Tout cela n'était possible qu'avec l'accord de la monarchie.

Jusqu 'à la fin du XIII siècle, l'Occident poursuit un rêve difficile à réaliser : retrouver la vérité et la sagesse des Anciens, recréer une royauté terrestre à l'image de la royauté céleste. Mais la séparation de la personne royale, fondamentalement unitaire, en « roi » d 'un côté et en « pape » de l'autre, se révélera être une difficulté insurmontable qui, à la longue, rongera les bases de l'édifice monarchique. Le texte du sacre est d'ailleurs révélateur de cette entrave : le futur souverain est considéré non seulement comme le détenteur de l'autorité temporelle mais aussi comme un personnage religieux. Il y a une

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tentative des concepteurs de ce rituel pour réintégrer à l'intérieur du même cadre royal le double aspect temporel et spirituel.

Ce que l'on peut nommer la « réussite » du Moyen-Age reposa donc sur une construction sociale fragile, avec comme personnages- clefs le roi, les chefs religieux, les Maîtres des métiers et les chevaliers. Dès que l'une de ces fonctions majeures se trouvait mal remplie, le déséquilibre s 'annonçait L'esprit du Moyen-Age fut gravement trahi avec la montée sur le trône de Philippe le Bel. L'Ordre du Temple n'accepta pas de considérer Philippe le Bel comme une incarnation temporelle de la royauté et refusa de l'initier. De cette scission entre les chevaliers et le pouvoir temporel découla une série de drames qui mirent fin à la civilisation des cathédrales. En raison de la dégradation de l'idéal monarchique, le Temple tenta d'instituer un gouvernement synarchique qui aurait dirigé l'État en fonction d'un conseil de responsables. En 1314, le roi de France, oublieux des devoirs enseignés par le rituel du sacre, n'était plus qu'un homme d'affaires incapable d'assumer les charges réelles de la couronne. Le mythe de création, les idées généreuses transmises par le couronnement, devenaient lettre morte. L'Ordre du Temple paya de sa vie cette analyse. Le Bel le détruisit car les chevaliers pouvaient se dresser en travers de sa route en s 'opposant à son goût effréné du pouvoir.

Notre compréhension actuelle de l'ancienne royauté, fondée essentiellement sur des descriptions historiques, nous semble trop limitée. La publication du rituel du sacre permettra de mieux percevoir la manière dont un roi envisageait sa fonction. Philippe le Bel marque la fin d'une époque, il inaugure une nouvelle ère dont les critères de gouvernement seront différents. Ce n'est pas au Moyen- Age finissant qu'il faut s'adresser pour comprendre l'exercice de la royauté, mais bien au rituel de création des rois.

Comme L'Orange l'a démontré, on doit situer la royauté sacrée de la tradition occidentale dans une perspective cosmique si l'on désire en percevoir le sens et l'importance. Nombreux sont les textes et les oeuvres d'art qui le prouvent Citons simplement la miniature du manuscrit Vaticanus Graecus 752 Fol. 82, Psaume 26 qui repré- sente David sur un bouclier orné d'étoiles que soutiennent deux officiants. Dieu oint le nouveau roi, déjà porteur de la couronne. Le monarque est indissolublement lié au cosmos. Le bouclier est une figuration classique de l'univers ordonné selon des lois d'harmonie. L'onction reçue par le roi est un véritable influx cosmique, l'énergie de l'univers passant à travers lui pour féconder la terre des hommes.

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Une autre miniature publiée par le même L'Orange montre le roi saxon Khusrah assis à l'intérieur du cercle étoilé du cosmos. Il écoute attentivement le message que lui apporte un oiseau perché sur son épaule gauche. Nous retrouvons là l'un des plus anciens thèmes mythiques de l'humanité, à savoir le don du « langage des oiseaux » au monarque de devoir divin. Installé au cœur du ciel, le roi apprend la langue universelle qui lui permettra de communiquer avec tout ce qui est, de ressentir l 'importance de chaque parcelle de vie. N'oublions pas que le roi doit « rectifier les dénominations », parler un langage juste, veiller à la permanence d'une langue sacrée qui soit le véhicule de l'amour. Les mots ne sont souvent que des foyers de discorde, l'expression de l 'amour du roi pour le ciel comme pour la terre forme un réseau de correspondances entre les hommes et leur Principe.

Selon l'expression de Du Fraisne, le roi est la lumière des dieux. Cette formule surprenante recouvre un certain nombre de réalités symboliques. On a pris l 'habitude d 'opposer la lumière du bien aux ténèbres du mal. Une telle dualité doit précisément être résolue dans la personne royale créée par le sacre. En elle se résolvent les contraires. Lumière et ténèbres manifestées ne sont que deux aspects complémentaires d'une même Lumière, celle diffusée par la couronne du roi des cieux. Au roi d'être « l'instrument » qui per- mettra à chacun de ses sujets de faire la lumière en lui.

Maury, analysant des représentations figurées de la divinité, constate que l'on plaça sur la tête du Père éternel, une couronne royale ou impériale, qu'on le revêtit d'insignes royaux, qu'on lui mit dans la main le Globe et le sceptre. Il conclut donc à un « anthropo- morphisme grossier », faisant, comme beaucoup d'autres analystes, une erreur fondamentale. Il n'y a point, dans cette iconographie symbolique du Père-Roi, une projection de données humaines sur la divinité. En réalité, cette manière de s'exprimer, autrement dit la pensée symbolique, est la seule qui puisse nous donner une approximation correcte de l'invisible. Quant au symbole, pensait Isidore, évêque de Séville mort en 636, c'est un signe donnant accès à une connaissance. Le mot grec sumbolon désigne la tessère partagée en deux : on fait symbole lorsqu'on réunit les deux parties, lorsque les êtres se reconnaissent dans l'unité. Signe de référence, signe de reconnaissance, contrat fondamental, le symbole est appel à l'Unité de l'origine. Or le rituel du sacre est tout entier fondé sur des symboles. Pour le lire, nous devons tenir compte de la mise en garde

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formulée par Mircea Éliade dans son Traité d'histoire des religions : « On a trop souvent oublié que le fonctionnement de la pensée

archaïque (nous dirions plutôt : spirituelle) n'utilise pas exclusi- vement des concepts ou des éléments conceptuels mais aussi et en premier lieu des symboles... Style de penser nettement différent du « style » moderne fondé sur les efforts de la spéculation hellène ». Avec Marie-Madeleine Davy, nous pensons que le symbole se place au-delà de l'histoire, « parce qu'il est le lot de l 'homme délié de sa situation historique ». Est-il un homme davantage placé au-dessus des événements que le roi sacralisé par un rituel ?

Coomaraswamy a souvent indiqué que nous ne disposons d'aucun autre langage que le symbole pour parler de l'ultime réalité. Jean Servier, dans Les portes de l'année, a montré que la pensée symbolique de l 'homme n'était modifiée ni par la géographie ni par l'histoire locale. Le rituel du sacre, tout en étant enraciné dans une période historique précise que nous nommons le Moyen-Age, est en réalité un texte fondamental né d'une expérience humaine qui n'a rien perdu de son actualité.

Une gravure conservée au musée de Gotha nous offre une image étonnante de la société médiévale : l'aigle à deux têtes domine trois cercles dont le sommet est occupé par Dieu. Au-dessous, le roi et sa cour, l'ordre chevaleresque, les artisans. L'ensemble est installé sur une ville. On nous enseigne ainsi que les hiérarchies composant le corps social se compénètrent dans une communauté sacralisée.

Le roi est l'intermédiaire entre Dieu et les hommes. L'individu, prisonnier de ses limites naturelles, n'a qu'une communion impar- faite avec les puissances célestes dont il est issu. Les tendances mystiques apparaissaient suspectes aux Anciens, car elles visent souvent à une satisfaction égocentrique au détriment du bien communautaire. Le roi, servant de pont entre le ciel et la terre, offre à chacun l'itinéraire privilégié qui. lui permettra de s'accomplir.

A la lumière de cette introduction, on comprendra aisément que notre propos n'est nullement de faire l'apologie d'un passé révolu ou d'un quelconque système politique. Le roi qui est au centre de ce livre est l 'Homme universel de la tradition symbolique, l 'homme commu- nautaire qui rassemble en lui les expressions créatrices de sa société. Le Roi-Dieu n'était pas un individu, un homme « particulier », mais la synthèse des potentialités humaines. Esprit de vie, il est ce qui permet à chacun d'exister en esprit et en vérité. Ces t lui qui fait, chaque

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