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Les paradoxes de la notion de compétence en GRH

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Les Cahiers de la Recherche

LES PARADOXES DE LA NOTION DECOMPETENCE EN GESTION DES

RESSOURCES HUMAINES

par Anne DIETRICH*

CLAREECentre Lillois d'Analyse et de Recherche sur l'Evolution des

EntreprisesUPRES-A CNRS 8020

* Maître de Conférences à l’IAE de Lille

Responsable de la publication :Christophe BENAVENTProfesseur à l'Université

des Sciences et Technologies de Lille

IAE de Lille , mars 2000

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LES PARADOXES DE LA NOTION DE COMPÉTENCE EN GESTION DESRESSOURCES HUMAINES

Anne Dietrich

Maître de Conférences I.A.E. de Lille104 avenue du Peuple Belge

59043 Lille CedexTel. 03 20 12 34 88

GRAPHE-CLAREE UPRES-A CNRS 8020

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LES PARADOXES DE LA NOTION DE COMPÉTENCE EN GESTION DESRESSOURCES HUMAINES

RESUME

Cet article est tiré d'une recherche sur la notion de compétence et son instrumentationgestionnaire. Il met en évidence les paradoxes de son utilisation en gestion desressources humaines et formule des propositions visant à faire de la gestion descompétences un dispositif d'apprentissage de nouvelles règles et de nouvellesprofessionnalités. Sa démarche est la suivante : procédant à l’analyse critique duconcept et de l’utilisation qui en est faite, il cherche à comprendre les enjeux de sonémergence et met en évidence la logique managériale à laquelle il répond. Formalisantles résultats d’une analyse inductive de pratiques de gestion des compétences en milieuindustriel, il identifie les conditions dans laquelle la ‘compétence’ peut être uninstrument de régulation du travail humain.

This article is drawn from a research on the concept of competence and its managerialimplementation as it results in various sets of tools and techniques. It underlines thezparadoxes of its utilization in HRM and it puts forward proposals aimed at making themanagement of competences a framework for learning new rules and professionalidentities. The paper proceeds as follows: it starts from a critical analysis of theconcept and its utilization and seeks to understand the stakes its emergence serves; thenit clarifies the managerial rationality it responds to. It formalizes the results drawnfrom an inductive analysis of practices of competence management in manufacturingorganizations and it eventually identifies the conditions under which competence can bemade an instrument for regulating human work.

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LES PARADOXES DE LA NOTION DE COMPÉTENCE EN GESTION DESRESSOURCES HUMAINES

Introduction : la rhétorique de la compétence

La notion de compétence émerge dans de multiples discours en France : ceux desdirections et des gestionnaires d'entreprise qui "désignent l'adaptation des compétencescomme l'objectif clé pour la fonction RH des années 90" (Bournois, Derr, 1994). Ceuxdes consultants et des praticiens d'entreprise qui construisent les instruments de lagestion de cette adaptation. Ceux des chercheurs qui questionnent les effets idéologiqueset les enjeux sociaux de ces nouvelles pratiques de gestion des personnels etd'organisation du travail fondées sur la notion de compétence. Ceux des chercheursencore, qui, suivant l’évolution des entreprises, analysent quasiment en temps réel lesinnovations qui s’y déroulent, pour déceler les signes et les caractéristiques de nouveauxmodèles d'organisation. Zarifian (1988) voit ainsi dans la "compétence" l'émergence d'unnouveau modèle d'organisation et de gestion de la main-d'oeuvre, en rupture avec celuide la qualification. De fait, la "gestion des compétences" est apparue dès le premiersemestre 1992, dans de nombreux accords d'entreprise traitant des classifications(Besucco et al. 1993).

L'engouement suscité par la notion de compétence illustre l'intérêt d'approfondir cettenotion et de questionner son usage en gestion des ressources humaines (GRH). Et celad'autant plus qu'elle semble faire l'objet d'un certain consensus. Ce consensus porterait àla fois sur le caractère incontournable de son usage en gestion et sur l'indéniablechangement organisationnel qu'elle symbolise. Les propos suivants de Boyer (1989) enoffrent une reformulation synthétique : “à la fin des années 80, les principes de base d’unnouveau modèle semblent avoir émergé d’une période d’essai, celle des années 70 et 80.Sur le plan des visions et des principes managériaux, un large consensus caractérise lesprincipes fondamentaux du nouveau modèle, fondé sur la reconnaissance descompétences et de l’implication des exécutants, sur la décentralisation du managementainsi que des accords contractuels avec les fournisseurs”.

Pour comprendre l'engouement et le consensus suscités par la notion de compétence,nous nous attachons à la fonction discursive de la “ compétence ”. La multiplication desouvrages et des articles où se côtoient usages savants et usages sociaux d'une notiondont le flou le dispute à l'ambiguïté, la prolifération des batteries d’outils et desméthodologies offrent en effet un matériau d'analyse très riche pour mettre en évidencele caractère construit et symbolique de la "compétence" et la logique managériale àlaquelle elle répond.

Partant du "rôle crucial des faits de langue dans la vie sociale" (Girin, 1990b), nousidentifions les systèmes de représentation des acteurs et des organisations véhiculés parla notion de compétence, pour les replacer dans leur contexte. Notre analyse de lacompétence croise ainsi une perspective diachronique, celle des raisons de sonémergence et une perspective synchronique, celle des significations et des modalités deson utilisation en GRH. Pour comprendre et évaluer les transformations qu'introduit lanotion de compétence dans les systèmes de gestion et d'organisation du travail, nous

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abordons la "gestion des compétences" comme une pratique contextualisée de GRH,qu'il importe de resituer dans l’histoire des processus de gestion et d'organisation dutravail et celle des systèmes conceptuels qui l'accompagnent. Croiser ces deuxperspectives nous permet de mettre en évidence certains des paradoxes de l’utilisation dela notion de compétence en gestion, afin de clarifier les conditions de son instrumentationgestionnaire et les modalités de son opérationnalisation.

Dans une première partie, nous abordons la “ compétence ” comme une inventionmanagériale et soulignons les enjeux liés à son émergence. Dans une seconde partie,nous nous attachons aux dérives d’une “ instrumentalisation ” excessive de cette notion.Dans une troisième partie, nous en faisons le champ d'une problématique de régulationde l'action organisée. Nous montrons qu’elle constitue une pratique de gestion deshommes participant d'un processus plus global de redéfinition des règlesorganisationnelles et de mise en cohérence des rationalités technico-économiques etsocio-politiques (Louart, 1995).

I. Une invention managériale

Le premier de ces paradoxes concerne l'ancrage historique et culturel du système degestion et d'organisation fondé sur la compétence et son articulation à une problématiquede changement. A ce titre, nous voyons dans la "compétence" une "inventionmanagériale", par analogie avec l'analyse que fait Sievers (1990) de la motivation. Celle-ci “ n’est devenue une question importante pour les sciences sociales et l’organisation dutravail que lorsque le sens du travail a disparu ”, avec la spécialisation et la parcellisationdes tâches (Sievers, 1990). La “ compétence ” apparaît, elle, dans un contexte dont lesmutations rendent contre-productive la spécialisation des tâches. L’ombre du taylorismese profile dans les deux cas. Notre approche vise à expliquer la contingence et ladimension idéologique de ce concept à la fois émergent et prégnant dans les discours etles pratiques managériales.

Une problématique de changement

L'émergence de "la compétence" dans le champ gestionnaire répond à une problématiquede changement, celui que conduisent les entreprises pour maintenir leur compétitivité.L’automatisation et l’informatisation des systèmes productifs ont en effet transformé lanature et la distribution du travail, favorisé la compression de la composante salarialedans le coût du produit, et renouvelé les formes de rationalisation de la production. Ladiversification des produits et le raccourcissement des séries et des délais de production,liés à la versatilité des marchés et à l’incertitude environnementale s’accompagnent denouvelles méthodes de gestion de la production. Ces transformations affectentl’organisation du travail et font émerger de nouveaux principes structurants. La"compétence" répond alors à un besoin conceptuel du gestionnaire pour signifier lechangement dans un contexte où “ l’articulation homme-emploi se fait mal ” (Thomas,1991) et pour élaborer de nouveaux repères sur lesquels puissent se construire denouvelles représentations de l'homme au travail.

La compétence constitue une catégorie conceptuelle nouvelle pour appréhender, décrireet représenter la réalité sociale des organisations. Elle permet de repenser aussi bien les

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termes de la réponse aux contraintes économiques de l’environnement que ceux de ladynamique sociale ; elle permet également sur un plan opératoire d’instrumenter unsystème de règles articulant règles organisationnelles et règles de gestion. En ce sens, ellerelève de la logique de la mode managériale telle que l’analyse Midler (1986). La"compétence" fonde en effet un système de communication et d'action qui met encohérence : un discours sur le contexte industriel et ses mutations, un discours surl'entreprise et sa "détaylorisation", un discours sur un dispositif pratique de gestion et sonappropriation aux transformations réelles ou souhaitées des acteurs. La gestion descompétences, en tant que pratique managériale, constituerait “ une opération de coupureet de clôture ” (Midler, 1986) avec une logique d’organisation et de gestion fondée surla notion de poste et la vision mutilante et mutilée de l’homo oeconomicus taylorien.

Un artefact au service d'une “ philosophie gestionnaire ”

L'émergence de la "compétence" nous semble en effet liée à la crise structurelle dumodèle taylorien-fordien dont elle cherche à pallier certaines insuffisances. Elle endénonce la monovalence, liée à la parcellisation et à la spécialisation des tâches au profitde l'enrichissement des tâches ou de la polyvalence. Elle est présentée dans le discoursmanagérial comme répondant aux besoins des salariés en matière d'autonomie, deresponsabilité et de reconnaissance ; en tant qu’outil de gestion, elle permet de valoriserl'implication individuelle et favorise la mobilité professionnelle. Elle dénonce les rigiditésdes qualifications et des classifications et leurs difficultés à prendre en compte lesnouvelles exigences des systèmes productifs. Elle révèle ainsi la contingence et l'ancragehistorique des modes de repérage, de définition et d'évaluation des emplois. La"compétence" sert à remettre en question les pratiques de gestion de personnelstructurées par les repères et les acquis issus des régulations d’une période de croissance.L'analyse des discours managériaux montre qu'en elle se sédimentent et se cristallisentcertaines incohérences des systèmes de gestion et d'organisation en place.

En assimilant la compétence à un artefact, nous soulignons la dimension abstraite et lafonction symbolique de ce concept. Nous nous référons à la définition que donneFavereau (1989) de l’artefact, comme “ stricto sensu, tout système conçu ou fabriquépar l’homme pour remplir une fonction ou atteindre un but ”. C’est tout un ensemblestructuré de significations, de démarches opérationnelles et d’instrumentation techniqueque recouvre ce concept. Qu’on l’analyse comme une construction sociale ou uneconvention (Eymard-Duvernay, Marchal, 1997), la compétence sert à définir denouvelles formes d’appropriation de l’homme à l’emploi. Selon nous, elle décritessentiellement une relation de convenance, à la manière d’une clé qui ouvre une serrure,pour reprendre l’image par laquelle von Glaserfeld (1988) explique la relation deconvenance. Est compétent celui qui convient. Les nouvelles formes de l’adéquation del’homme à l’emploi sont celles qui répondent aux besoins de flexibilité et de réactivitédes entreprises.

En ce sens, la “ compétence ” nous apparaît fondamentalement structurée par d’autresconcepts, d’autres mots d’ordre organisationnels qui comme la Qualité, la Participation,la Certification ou la Normalisation sont autant d’opérateurs socio-techniquesdéterminants. Elle devient à son tour un concept structurant en les concrétisant dans dessavoir-faire et des comportements requis. Elle donne ainsi forme aux impératifsgestionnaires de flexibilité qui requièrent la despécialisation des opérateurs et leur

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multifonctionnalité (Coriat, 1991). A ce niveau, les variables contextuelles des stratégieséconomiques et des politiques de l’emploi, en période de crise, fonctionnent pour legestionnaire comme des variables structurantes.

Nous empruntons à Hatchuel (1992) l’expression de “ philosophie gestionnaire ”. Il ladéfinit comme “ le système de concepts qui désigne les objets et les objectifs formant lescibles d’une rationalisation ”. La "compétence" fait de la ressource humaine un objet degestion, au même titre que la ressource matérielle et la transforme en champ derationalisation. En tant qu’outil de gestion, elle assure une cohérence et une cohésionentre les différents actes et moments de la gestion des personnels (du recrutement àl’évaluation en passant par la formation et la définition des emplois). Elle favorise ainsiune utilisation et un développement plus rationnels de la ressource humaine. Ceux-citendraient à valoriser les composants humains que l’organisation taylorienne oufordienne mutilait ou niait. De “ composant du système ”, l’opérateur deviendrait“ acteur du système ” (de Montmollin, 1990). La "compétence" offre une catégorie dereprésentation de l'homme au travail qui articule logique économique et logique sociale.

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Un système de gestion néo-taylorien.

Il n'en apparaît pas moins qu'elle le fait dans des formes tendant à reproduire la logiquetaylorienne. Cette filiation est sans aucun doute paradoxale. Comme à l’époque deTaylor, le travail humain reste une source essentielle de richesse, même s'il ne s'agit plusde décomposer les gestes mais au contraire de les recomposer. La polyvalence contribueindéniablement à une intensification du travail. Si d’importants investissements sontconsentis dans le domaine de la formation, leur finalité reste souvent l'adaptation à lasituation de travail (Jobert, 1993). L'appel à l’autonomie et à la responsabilité sert unepolitique de réduction des effectifs. Les gains de productivité passent par la réduction ducoût du travail humain dans le coût du produit et l’optimisation de la ressource humaine.

La productivité reste prisonnière des normes tayloriennes même si elle déplace son pointd’application du travail humain, en tant qu’habiletés gestuelles, à l'optimisation du tempsd'exploitation des machines. Car le taylorisme ne se réduit pas à une simple techniqued’organisation du travail. C’est aussi un ensemble de méthodes de gestion, d’analyse etde contrôle des coûts qui gouvernent encore les pratiques de gestion des entreprises.L'individualisation des salaires, ou plus généralement dans les entreprises, laflexibilisation à la marge d’une part de salaire (Najman, Reynaud, 1995) favorise unegestion différenciée de la main-d'oeuvre et renoue d’une certaine manière avec lespréceptes tayloriens : l’individualisation des salaires doit favoriser un meilleur rendementet reconnaître les qualités particulières des salariés et leur engagement auprès de ladirection. De fait, l’instauration d’une incitation financière reste taylorienne dans lamesure où elle fait dépendre les comportements de performance des salariés du systèmede gestion qui les influence (Bournois, Brabet, 1993).

C’est au niveau des modes de contrôle du travail que s’affirme sans doute le plus “ lavoie d’une retaylorisation ” (Zarifian, 1993). Le contrôle s’obtient désormais parl’autonomie ; il implique “ un engagement subjectif qui n’existait pas dans le taylorismeclassique ” et “ une intériorisation par le personnel de production des exigences derationalisation et de la logique méthodes ” (Zarifian,1993). Il s’en trouve ainsi renforcéau sens où la contrainte est aujourd’hui intériorisée. La participation et l’initiativedeviennent incontournables et plus rationnelles que le taylorisme (Alter, 1987). En sedécentralisant le management de la ressource humaine emprunte aux procédures degestion des cadres, dans des proportions certes variables (Stroobants,1993). Mais ils'accompagne d'un obscurcissement des processus de contrôle (Brabet, Bournois, 1993).Le groupe de travail devient son propre régulateur : il gère les rythmes de travail et leursvariations selon les individus ; il est responsable des résultats. Lorsqu’à l’interne règne lalogique client-fournisseur, les services gèrent entre eux les conflits issus des contraintesquotidiennes de la production au risque d’entrer dans une logique systématique deconcurrence voire d’opposition latente (Sueur, Cadet, 1991). La qualité du produit finine semble pas de fait suffire à rendre compte du professionnalisme des salariés. Pourtant“ chacun sait que le comportement des opérateurs est largement fiable... ” (deMontmollin, 1994). Quelles sont alors les formes du professionnalime que la compétencesert à pointer ?

II. La professionnalité comme enjeu.

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Le deuxième paradoxe que nous développons concerne le projet de modélisation del'interaction homme-travail, attaché au concept de compétence. Il a pour enjeu essentiella professionnalisation des acteurs de l'exécution et la définition de nouvellesprofessionnalités. Par "professionnalisation", nous désignons le processus d'adaptationdes acteurs de l'exécution aux mutations technico-organisationnelles. Par"professionnalités", nous entendons la définition de nouveaux métiers ou latransformation des métiers existants sous la pression de ces mutations. Dans les deuxcas, il s'agit de favoriser l'émergence et la construction de “ nouvelles figures d'acteurs ”(Hatchuel, 1992) et de nouveaux ensembles professionnels (Courpasson, Livian, 1991).Nous montrons que la gestion instrumentale qui est faite de la compétence vise àobjectiver le travail mais que du même coup, elle tend à le ‘réifier’, négligeant le poidsdes savoirs informels des exécutants.

L'instrument d'une codification du social

La compétence est l'instrument d'un processus de codification qui met à jour, met enforme et en ordre la réalité sociale du travail (de Terssac, Dubois, 1992). Il s'agittoujours finalement “de prévoir, de prescrire, de standardiser et de contrôler” (deTerssac, Dubois, 1992) le rapport homme-machine, la nature de l’équipe de travail, lesrapports entre travail prescrit et travail réel (Hatchuel 1992). Les démarches formellesde certification et de normalisation requièrent une normalisation implicite descomportements (Courpasson, 1996). Les procédures de travail sont étroitement définies ;leur standardisation inscrit en elle-même une forme de contrôle. Dans certains cas, lesméthodes de raisonnement intellectuel sont pré-définies pour normer et rendre plusrapide la réalisation des opérations (Zarifian, 1990). Qu’en est-il alors de cette fameuseautonomie si réclamée ? Le professionnalisme désigné par la compétence recèle demultiples ambiguïtés.

Gérer les compétences c'est agir sur le couple comportements-performances de deuxfaçons :- en adaptant les comportements, moteurs mais aussi et surtout cognitifs, à des systèmestechniques de plus en plus complexes ; cette adaptation passe par l’applicationrigoureuse de procédures étroitement formalisées ; elle s’accommode d’une hausse desniveaux de formation générale;- en changeant les mentalités, par l'intériorisation des normes de qualité, des modes decontrôle et des exigences de l’entreprise.Le professionnalisme auquel aspirent les directions d'entreprises indique clairement unélargissement des compétences de base et un débordement du périmètre de lacompétence sur celui de l'emploi (Bruhnes, 1994), en tout cas de l'emploi tel que l'adéterminé l'organisation taylorienne du travail. La compétence sert une logiqueutilitariste d’adaptation des hommes aux données technico-économiques en remodelantles emplois. Elle constitue le plus petit dénominateur commun, permettant de conduireun diagnostic de l'existant et d'anticiper une organisation-cible, de traiter aussi bien desréquisits des emplois que des potentialités individuelles. Elle sert aussi bien à définir lemétier de l'entreprise, qu'à redistribuer les activités et les responsabilités.

Elle est l'instrument d'une mobilité accrue des acteurs et d'une hiérarchisation des stadesd’apprentissage, des emplois et des seuils d’employabilité. Cette hiérarchisation estinextricablement cognitive et sociale. Dans un certain nombre des projets de re-

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classification des emplois ouvriers que nous avons analysés, nous retrouvons lahiérarchie en trois niveaux des compétences, mise en évidence par la psychologie etl’ergonomie cognitives (Falzon, 1989 ; Brien, 1994) : les emplois d’opérateur 1er niveaucorrespondent à des emplois où domine l’acquisition de routines comportementales.Ceux de niveau 2 impliquent la gestion d’un problème et requièrent une actualisation dusavoir à partir de l’expérience passée. Ceux de 3ème niveau implique une “ penséeproductive ”, quand, face un problème nouveau, de nouvelles méthodes sont à abstrairedes anciennes. D’Iribarne (1989) les appelle respectivement compétences d’imitation,compétences de reproduction et compétences d’innovation.

L’écrit est l’instrument de cette codification. “Outil de l’investigation, de l’inscription etde l’assignation” (Pène, 1994), il fait en quelque sorte à l’extérieur, office de garantiecontractuelle : il met en carte un territoire dont il manifeste la maîtrise et assure lalisibilité; il atteste, certifie pourrait-on dire, la fiabilité de l’entreprise. A l’interne, ilrenouvelle l'image du "contrat" de travail en faisant de l'implication et de la compétenceles déterminants de l’offre d’engagement et de réciprocité. Celle-ci ne se situe pas tant auniveau institutionnel qu'au niveau interpersonnel de l’encadrant direct et de sonsubordonné. Pène (1994) montre ainsi comment la description de poste promeut unaccord entre employeur et employé, là où le contrat de travail inscrit inévitablement uneprise de risque. Cette individualisation de la relation favorise une forme de contrôlesocial "appréciée par la théorie des incitations comme spécialement "économique"(Coriat, 1991). La "compétence" apparaît ainsi comme un outil efficace pour définir etmettre en cohérence de nouvelles règles d'organisation et de gestion des hommes,adaptées aux normes de l'efficacité économique.

Une notion instrumentalisée

Mais la manière dont la "compétence" pose la question de l'identité professionnelle estparadoxale. Elle efface les frontières de l'emploi dans un double mouvementd'élargissement des activités et de décomposition des tâches. Plus les savoirs et savoir-faire mobilisés par l’exercice du travail sont décomposés, plus les contours de l’emploideviennent flous (Stroobants, 1993). C'est cette extension potentielle de l'emploi qui estaujourd'hui source de débat. Nos études de terrain montrent que c'est finalement pourmieux s'accommoder d'une logique de poste élargie, qui dilue les repères et les savoirsspécifiques des métiers issus de l'organisation taylorienne. Il y a ainsi tension entre unprocessus pointilleux de décomposition du travail et la modélisation relativement large etextensive des emplois et des métiers de demain.

Les repères identitaires oscillent alors entre la référence au métier telle qu'elle subsistedans les représentations des acteurs, comme symbole d’une communauté de travail et laréférence à l'organisation, plus circonscrite, moins institutionnalisée et souvent moinsmonnayable sur le marché du travail. C’est cette dernière que privilégient les modèles dela compétence, rompant avec les principes d’une reconnaissance et d’une solidaritécollectives. Gautrat (1989) va plus loin encore dans la dénonciation des effets socio-politiques des formes de gestion et d’organisation associées au management participatif :“ ainsi le participatif en ouvrant sur la compétence, légitime les différences de statut,érode les arguments de contestation de l’inégalité sociale et renvoie la frustration dustatut souvent hors de l’entreprise. ”

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Mais entre un excès de signification1 et ce "blanc conceptuel" dont parle Michel (1993),la compétence débouche sur une logique de classement (Revuz, 1994 ; Sonntag, 1994).Elle-même se décline et s'atomise en autant de classifications et de rubriques qu'il estnécessaire pour rationaliser la gestion des hommes. L'individu et l'emploi s'accolent ainsidans des séries rassurantes et standardisées "d'être capable" et de règles d'action. Celles-ci se concrétisent dans des référentiels de compétences, des nomenclatures d'emplois, desgrilles d'entretiens, des bilans d'évaluation et des programmes de formation quiconviennent aux procédures de normalisation et à la procéduralisation des activités quil'accompagne. La compétence se substitue à l'homme pour en offrir une image subliméeet rationnelle. Elle permet de rompre avec une histoire conflictuelle des collectifs detravail ; elle en efface toute trace d’origine et tout signe de fracture. La substitution duterme d’opérateur à celui d’ouvrier en est un signe ; à une logique de fabrication sesubstitue, par la magie des mots, une logique de manipulation : l’OS disparaît avec leperfectionnement des machines ; tandis que, pour certains directeurs d’usine rencontrés,le perfectionnement des machines fait apparaître “ le technicien presse-bouton ” qui tendà réduire le faire au dit de la procédure, comme si le faire pouvait tout entier s’apprécierdans le dire.

Par ailleurs, là où les facteurs de performance deviennent moins visibles et la maîtrisecognitive de l’action prééminente sur l’action elle-même, la “ compétence ” outille unereprésentation de l’homme au travail qui en permet la maîtrise et le contrôle.L'instrumentalisation de la compétence se fonde en effet sur le postulat d'une visibilitétotale et d'une objectivation possible de la réalité du travail et de l'homme. Bibard etThévenet (1993) voient dans le recours gestionnaire à la "compétence" une logique desystématisation, caractéristique des principes du rationalisme moderne. Si elle suppose lamaîtrise de toutes les variables humaines et de leurs interactions, elle présuppose aussi"l’omnipotence" c’est-à-dire “le sentiment de pouvoir agir sur ces variables pertinentes.On peut augmenter les compétences avec la formation, la motivation avec le salaire, laparticipation avec la délégation,... la paix sociale avec la promotion interne et l'offre despostes en interne, l'efficacité avec de la gestion prévisionnelle" (Bibard, Thévenet,1993).C’est par ce tour de passe-passe et cette magie de l'outil (Galambaud, 1991) que l’onpeut atteindre à la rationalité de sa connaissance et à la rationalisation de sa gestion.

Une technique managériale

En tant qu'outil de gestion, la "compétence" introduit de nouvelles règles du jeu. Enanalysant la gestion des compétences comme une “ technique managériale ” au serviced'objectifs de rationalisation (Hatchuel, Weil, 1992), nous soulignons l'articulation entreun système conceptuel et un système d'action. Elle affiche en effet une dimensionstratégique, celle de choix socio-politiques de gestion des personnels : politiquesd'emploi, de rémunération, voire de négociation. Elle comporte une dimensioninstrumentale : celle des actes de gestion qui évaluent les besoins de l'entreprise encompétences et procèdent à leur sélection, leur développement et leur maintien dansl'entreprise. Elle implique une dimension idéologique, celle de la justification et de la

1 Cette sur-signification est générée par une pléthore de distinguos (entre compétence requise etcompétence acquise, individuelle, collective et stratégique, transversale, générale, relationnelle ettechnique, capacité, aptitude et potentiel, savoir-faire, savoir et savoir-être, habileté et résolution deproblèmes, etc.)

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normalisation de la réalité socio-organisationnelle qu'elle contribue à construire. “ Quandà ‘la logique du produire directement, plus, à un moindre coût’ se substitue celle du‘produire adapté, produire nouveau’ par l’intermédiaire de systèmes complexes ; quands’ajoute à la logique quantitative, une logique plus qualitative, liée aux problèmes de laflexibilité et de la compétence, apparaissent dans le domaine de la GRH l’axe‘organisation du travail’ et l’axe ‘formation - carrières - emplois - gestion descompétences ” (Bournois, Brabet, 1993).

Mais l'instrumentalisation dont la compétence fait l'objet offre une vision réductrice desrelations organisationnelles. Elle postule implicitement que "les règles suffisent à définirles joueurs!" (Hatchuel, 1992). Nombre d'auteurs dénoncent ainsi dans le raffinement desméthodes, ce que Aubret et al. (1993) appellent un outil de type "pince universelle", unone best way retrouvé, c'est-à-dire une solution standard et complète à des problèmescomplexes qui impliquent l'individu (son identité sociale et professionnelle, saformation), l'organisation (la division sociale du travail et le rapport salarial qu'elleinstaure), et les institutions étatiques (dans leur rôle de réglementation et de régulation).L'instrumentation de la "compétence" n'y échappe pas et s'inscrit dans ces pratiques deGRH qui ont "consisté parfois à substituer symboliquement à la recherche de dispositifsnégociables dans un univers complexe et conflictuel, celle d'outils universellementefficaces dans un contexte consensuel" (Bournois, Brabet, 1993). Nous avons alorscherché sur le terrain à appréhender la réalité des processus de régulation liés à l'exerciceet au développement des compétences.

III. Une forme instrumentée de régulation

La légitimité des pratiques de gestion fondées sur la compétence est contestée par lasociologie du travail. Celle-ci dénonce en effet le glissement idéologique de laqualification, expression négociée et conventionnée d'un rapport social, à la compétence,expression protéiforme d'un rapport de convenance aux attentes de l'entreprise. Ladéfinition d'une qualification adhoc, visant à fidéliser un noyau d'acteurs nes'accompagne pas toujours dans les faits, d'une réelle montée en compétences, ni d'uneréelle clarification des territoires et des savoirs dans le cadre d'une fonction deproduction recomposée. Elle permet surtout de concilier l'extrême contingence del'espace d'application de la compétence (à la situation de travail, de l'entreprise) et sonuniversalité comme instrument de gestion (Keravel, Charles, 1993), fondée sur laréglementation et la “standardisation volontariste de règles de recrutement et depromotion” (Courpasson, Livian, 1991).

Avec l'analyse inductive d'instrumentations concrètes en milieu industriel, nous avonscherché à repérer les conditions dans lesquelles la compétence peut être un instrument derégulation de l'action organisée. Outil de la flexibilité et la réactivité de l’entreprise par lamobilité des acteurs, elle a en effet pour objectif la régulation des transformations quiaffectent les logiques fonctionnelles de distribution des savoirs et qui modifient lesrepères sociaux du travail.

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Une gestion des paradoxes

Pour être un opérateur socio-politique efficace, la "compétence" a besoin d'être floue.Ce ‘flou’ est nécessaire à l’évocation d’un nouveau profil de salarié, adaptable,employable, flexible, c’est-à-dire dont on a du mal à définir les contours. Il est aussinécessaire à l’adhésion qu’on souhaite susciter. La “ compétence ” peut ainsi intégrerune pluralité de sens et concilier la contingence des normes, les représentations descomportements attendus et les mutations en cours. Les entretiens menés révèlent desperceptions et des définitions différentes de la compétence, fonction des attentes dessupérieurs hiérarchiques à l’égard de leurs subordonnés : prise de décision pour lesdirecteurs, professionnalisme pour les responsables de production, autonomie pour lesencadrants opérationnels, conscience professionnelle pour les opérateurs. Seuls, lesacteurs des ressources humaines la réfèrent aux savoirs. Mais tous s’accordent sur unecertaine évidence de son sens, inscrite dans le fait même d’être associé à la production derésultats ou encore d’être impliqué dans “ une situation de gestion ” au sens de Girin(1990a). Toute situation de travail constitue en effet une situation de gestion en ce sensqu’elle fait interagir des acteurs dans des contextes et des cadres d’action déterminés,intégrant aléa, incertitudes, routines et ajustements permanents.

Mais dans la mesure où elle se heurte aux mêmes difficultés que la qualification, la“ compétence ” a besoin d'être précise pour être contractualisée. “ Le fait que le résultatne s’impose pas aux participants comme objectif unique ou ultime implique que lamanière d’y parvenir soit toujours un compromis, plus explicitement négocié ” (Girin,1990a). La négociation, en tant que processus de règles élaborées à plusieurs, apparaîtindissociable de la codification du travail évoquée précédemment. Concernant lacompétence, elle doit permettre un accord sur l’offre d’engagement et de réciprocité quilie employeur et employé. Pour être l'instrument d'un changement de règles, lacompétence requiert la stabilisation d'un certain nombre de repères admis pour fonder,sur une représentation partagée, des accords de coopération durable. Cela signifie quedans un système qui a fondé sa stabilité sociale et son efficacité économique sur "lacontractualisation explicite et quasi systématique des rapports de travail" (Coriat, 1991)on ne peut obtenir de l'implicite sans contrepartie explicite. L'adhésion à un projet restesubordonnée à son acceptabilité, c'est-à-dire au réalisme et à la précision de ses règles.Cette acceptabilité ne signifie pas que les acteurs soient entièrement d'accord, mais qu'ilsy trouvent le moyen de négocier un compromis : celui-ci permet un accord expliciteentre acteurs aux intérêts divergents, sur des bases clairement définies.

Une gestion de l'équilibration

Pour tous les personnels d'atelier que nous avons rencontrés, il n'y a pas de"compétence" sans investissement énergétique. Sans cet effort physique ou mental quivient à bout de la contrainte. Sans cette relation intime avec la machine ou la matière quivient à bout de sa résistance, selon une double logique d’accommodation etd’assimilation (Piaget, 1970). Mais c'est le sens que l'individu donne à son travail quipermet l'énergie. Piaget (1967) montre en effet que la conduite conçue en termesd’échanges fonctionnels suppose deux aspects essentiels interdépendants : un aspectcognitif ou structural et un aspect affectif ou énergétique. En gestion, Girin (1990a)établit une distinction entre les motifs (intentions d’actions), objets de négociation et decomromis tacites, et les contextes de signification et d’action (les cadres qui déterminent

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les choix qui sont faits). Ceux-ci constituent des principes d’interprétation permettantaux acteurs de donner un sens aux événements, messages et actes et de fairel’apprentissage de règles structurées ou de normes, peu structurées mais contraignantes,de contextes et de collectifs donnés déterminant des comportements individuels.

Nous proposons de désigner d’une manière générique par compétence le processusd’équilibration par lequel l’homme s’adapte à l’environnement, c’est-à-dire s’appropriedes savoirs et une situation de travail, au point d’atteindre à cette conscience d’être enbonne relation avec son environnement.

La sociologie des organisations montre l'incidence des choix d'organisation et celle deleurs irréductibles déficits de rationalité, d'interdépendance, de légitimité et d'efficacitésur la capacité d'action stratégique et la rationalité de l'acteur, entendue comme principed'organisation cognitive à l'oeuvre dans le décodage des situations (Giraud, 1993).L'analyse stratégique des jeux de pouvoir autour du contrôle des zones d'incertitude(Crozier, Frieberg, 1977; Friedberg, 1993), l'analyse du travail comme "processus deproduction de règles" (de Terssac, Reynaud, 1992) et celle des processusd’apprentissage (Charue, Midler, 1994) permettent de dénoncer une approchesubstantialiste de la compétence pour souligner le rôle déterminant des choixorganisationnels et techniques sur la structuration des compétences. Celle-ci estinséparable de l'expérimentation de la règle et du pouvoir que font les acteurs del'exécution.

Un certain nombre de conséquences opératoires en découlent. Pour dépasser uneapproche trop “ analytique et cartésienne de l’acquisition des connaissances et dessituations de travail qui ‘divise’ le problème en autant de parties qu’il est nécessaire pourbien l’étudier ” (Sonntag, 1994), nous proposons une approche globale des situations detravail. Celle-ci prendrait en compte la multiplicité des variables en jeu et leursinteractions pour les mettre en cohérence, avec le réalisme requis. A une gestionnormative des écarts se substituerait une gestion de l’équilibration. Celle-ci vise àconstruire des équilibres, toujours précaires, entre intérêts de l’organisation et ceux desindividus, entre les contraintes des dispositifs en place et les exigences de sens et dereconnaissance des individus, entre l'espace de la tâche et l'espace de recherche requispar la résolution d'un problème, entre les règles prescrites et le processus de régulationpar lequel les membres d’une équipe négocient entre eux le partage du travail et gèrentleur coordination.

La gestion des règles

Parler d'équilibration à propos de la gestion des compétences, c'est encore prendre encompte l'activité régulatrice de l'opérateur : c'est-à-dire aussi bien l'application de la règleque la production de règles visant à pallier l'insuffisance des règles prescrites. Ces règlesinformelles sont autant de solutions d'organisation (de Terssac, Reynaud, 1992). Mêmesi leur reconnaissance est loin d'être acquise dans les faits, elles font aujourd'hui l’objetd’une rationalisation : qu'il s'agisse de les codifier ou de les inscrire comme une propriétédes ensembles productifs complexes (de Terssac, Dubois, 1992). “Est compétent celuiqui, au-delà de toute prescription de son travail saura maîtriser une situation soitimprévue dans sa production, soit nouvelle dans son contenu.” (Zarifian, 1994). Sur leplan opératoire, cette approche part de l'analyse de la manière dont les acteurs agissent.

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Elle fait de la règle un dispositif d’apprentissage : celui-ci permet le développement et lepositionnement des compétences nécessaires à la gestion des situations de travail. Pourmontrer que la règle peut être un instrument de la gestion des compétences, nous nousréférons à la définition qu'en donne O. Favereau (1989). Il définit la règle comme uneréponse à une question pratique portant sur le comment, comme un modèle auquel laconformité n’est jamais mécanique et comme un outil qui augmente la capacité d’actionindividuelle. Elle constitue une classe limitée de “comment” dispensant d’un savoirexhaustif sur le “pourquoi”. En analysant les règles comme des dispositifs cognitifscollectifs, Favereau offre une méthode pour finaliser et organiser le savoir de l’action quinous semble plus simple et plus opérationnelle que les classifications en savoirs et savoir-faire des référentiels de compétences qui ont du mal à trouver leur concrétisation. Ilmontre en effet qu’elles “sont là pour permettre un apprentissage c’est-à-direl’acquisition de savoirs nouveaux (...) ou pour résumer un apprentissage c’est-à-direl’acquisition de savoirs antérieurs” (Favereau, 1989). En retour, la nécessité de finaliserl’action retentit sur la sélection des comment et des pourquoi.

La gestion des savoirs

En obligeant à un retour sur la règle, la compétence "permet de réintroduire la différencequi sépare le réussir du comprendre" (Koenig, 1994). Celle-ci est sur un plan opératoireessentielle à la distribution et à la hiérarchisation des savoirs et des emplois. Dans cecadre, la compétence requise définit une convention : celle-ci prescrit les conduitesattendues et guide l'expérience individuelle ; elle oriente aussi le jugement qu'on endonne. La compétence constitue une forme instrumentée de régulation en permettantd'articuler règles de GRH et règles d'organisation. La gestion des compétences peut êtrel'instrument d'une économie du savoir et de l'apprentissage si elle prend en compte leslogiques d'action qui interagissent au sein d'un système d'action concret et favorise laconfrontation des savoirs construits autour de la règle.

Le rapport de prescription (Hatchuel, 1994) peut ainsi favoriser un apprentissageorganisationnel s'il conduit le concepteur et l'exécutant à un apprentissage croisé, car leurapproche des phénomènes n'est pas la même. La règle permet à l’opérateur d’explorer lecontexte d’action qui est le sien. Elle reste une hypothèse tant que l’opérateur ne lavalide pas en savoir, c’est-à-dire y découvre ce que la prescription ne contient pas. S’ilproduit un nouveau savoir, à charge du concepteur de le valider ou de l’intégrer à sontour. A l'inverse, les apprentissages restent distincts lorsque l'établissement d'une normestandard est compensée par un système d'incitation (Hatchuel, 1994).

Nous proposons de faire de l'identification de la ‘connaissance utile’, celle qui est requisepar le réussir et/ou le comprendre, dans une situation donnée, l'instrument d'une gestiondes savoirs préalable à l'identification des compétences. Elle permettrait de hiérarchiserles savoirs requis par l'action et de les distribuer au sein d'un collectif. La distinctionqu’établissent ainsi Hatchuel et Weil (1992) entre savoir-faire et savoir-comprendrepermet une gestion opérationnelle des savoirs répondant aux comment et aux pourquoide l’action. Elle permet en outre de prendre en compte le contexte social et technique del’action organisée et d'agir sur les groupes eux-mêmes. Nombre de changements nedépassent pas l'effet d'annonce dans les entreprises, car ils ne s'inscrivent pas dans lescomportements profonds. Ce n’est pas l’innovation qui change les acteurs mais la

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transformation des acteurs qui entraîne de nouveaux comportements (Hatchuel, Weil,1992). De nouvelles normes professionnelles et gestionnaires sont alors possibles.

Conclusion

La notion de compétence est à la confluence de différentes techniques de rationalisationvisant à construire une configuration socio-technique plus rationnelle et plus viable. Elleapparaît ainsi comme un concept opératoire pour définir de nouvelles règlesd’organisation et de gestion des hommes, adaptées aux normes de l’efficacitééconomique. En décelant dans la gestion des compétences une technique managériale,nous montrons comment la “ compétence ” articule et met en cohérence un systèmeconceptuel et un système d’action.

Elle est pour le chercheur qui analyse les modalités de son instrumentation, le creusetd'une approche pluri-disciplinaire riche de sens et de potentialités:elle permet la confrontation d'approches psychologiques et sociologiques des interactionshomme-travail-organisation. Cette confrontation souligne les dérives et les effets contre-productifs d’une instrumentalisation excessive et rappelle le rôle et le poids des modesd’organisation et de division du travail sur la structuration et la modélisation descompétences. Celles-ci sont indissociables de l’expérimentation du pouvoir et de la règleque font les acteurs de l’exécution.

Nous avons montré que la “ compétence ” peut être un instrument de régulation del’action organisé. Au-delà des effets de mode managériale, la “ compétence ” peutfavoriser un apprentissage organisationnel et l’émergence de nouvelles professionnalitésen offrant des opportunités de négociation autour des règle ; la confrontation des savoirset des représentations de l’action autour de ces règles, en tant qu’elles constituent desguides d’action et des principes organisateurs devrait permettre la construction decompromis dans lesquels les acteurs trouvent à satisfaire leurs intérêts mutuels, àmaîtriser leurs contextes de travail et à mieux situer les contributions de chacun àl’action commune.

Nous avons proposé de faire de l’identification de la connaissance utile le principedirecteur de la répartition des savoirs et des tâches de manière à permettre laconstruction de “ stratégies de connaissances ” individuelles et d’espaces collectifs degestion des problèmes. C’est dans l’expérimentation de situations nouvelles que lesacteurs se confrontent à leurs connaissances, produisent un savoir sur leur savoir,capitalisent leur expérience et accroissent leurs compétences.

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