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Philippe Hugon Les petites activités marchandes dans les espaces urbains africains (essai de typologie) In: Tiers-Monde. 1980, tome 21 n°82. pp. 405-426. Citer ce document / Cite this document : Hugon Philippe. Les petites activités marchandes dans les espaces urbains africains (essai de typologie). In: Tiers-Monde. 1980, tome 21 n°82. pp. 405-426. doi : 10.3406/tiers.1980.4231 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/tiers_0040-7356_1980_num_21_82_4231

Les petites activités marchandes dans les espaces … · ou par statuts dans la profession, ce qui impliquerait une correspondance ... les facteurs de production rendent des services

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Philippe Hugon

Les petites activités marchandes dans les espaces urbainsafricains (essai de typologie)In: Tiers-Monde. 1980, tome 21 n°82. pp. 405-426.

Citer ce document / Cite this document :

Hugon Philippe. Les petites activités marchandes dans les espaces urbains africains (essai de typologie). In: Tiers-Monde.1980, tome 21 n°82. pp. 405-426.

doi : 10.3406/tiers.1980.4231

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/tiers_0040-7356_1980_num_21_82_4231

LES PETITES ACTIVITÉS MARCHANDES

DANS LES ESPACES URBAINS AFRICAINS

(ESSAI DE TYPOLOGIE)

par Philippe Hugon

Les espaces sous-développés sont caractérisés à la fois par la dominance des structures capitalistes et le maintien, voire le renforcement, des structures cocapitalistes, celles-ci devant apparaître comme étant non des survivances mais des créations modernes ; on ne peut dès lors : — ni poser comme postulat qu'il existe un secteur informel, ce qui supposerait

que les comportements et les processus trouvent leurs significations au niveau de ce secteur « fourre-tout » ;

— ni partir d'une décomposition des activités par branches, par professions, ou par statuts dans la profession, ce qui impliquerait une correspondance biunivoque entre branche, profession et produit alors qu'il y a plusieurs formes d'organisation du travail à l'intérieur de la même branche. Les nomenclatures de type citp ou citi sont inadaptées par rapport à l'objet1;

— ni prendre pour hypothèse que la dynamique du système productif est externe et correspond à la « délocalisation » de branches ou de segments de branches s'expliquant par le besoin de trouver des marchés extérieurs ou de relever le taux de profit du capital, ce qui renvoie l'analyse à l'extérieur des sociétés et leur compréhension aux seules structures capitalistes;

— ni supposer enfin qu'il y a sous emploi ou chômage visible ou déguisé ce qui implique, soit une référence à une norme de plein emploi soit l'hypothèse que les travailleurs ont une productivité marginale en valeur nulle ou inférieure au minimum de subsistance.

i. La citi distingue 9 branches : les branches, 3. Industries manufacturières, 5. Bâtiment et Tp, 6. Commerces, hôtels, 7. Transports, entrepôts et communications, 9. Services fournis à la collectivité, services sociaux et personnels concernent les petites activités mais le plus souvent dans les rubriques non classées ailleurs.

La citp distingue 10 groupes : font partie des petits métiers les groupes 1. Professions scientifiques, techniques et libérales, 4. Commerce et valeurs, 5. Travailleurs spécialisés dans les services, 7, 8, 9. Ouvriers et manœuvres non agricoles et conducteurs d'engins et transports. Revue Tiers Monde, t. XXI, n° 82, Avril-Juin 1980

PHILIPPE HUGON

La question pertinente est davantage celle de l'allocation du temps de travail entre les diverses activités domestiques et marchandes, qu'elles soient artisanales, capitalistes ou autres, et de la coexistence de plusieurs systèmes de production. Il y a moins deux pôles formel et informel que continuum qui va des unités les moins capitalistiques jusqu'aux firmes monopolistiques.

En nous intéressant dans cet article aux seules activités de petite échelle, où le salariat est quasiment inexistant, où l'investissement est très réduit et où il n'y a pas d'appel au crédit institutionnalisé, nous pouvons noter une très grande hétérogénéité des formes de production, que nous présenterons de manière taxonomique.

Toute typologie repose sur une batterie de critères permettant de décomposer analytiquement le réel. Nous procéderons : — à une décomposition analytique du « secteur informel » en distinguant

plusieurs sous-ensembles homogènes; — à une reconstruction synthétique qui replace ces activités par rapport à

l'ensemble de l'économie nationale; les petites activités trouvant leur unité dans leur intégration dans l'économie marchande et leurs relations avec d'autres ensembles socio-économiques.

Nous prendrons comme champ de référence concrète l'Afrique au sud du Sahara.

A) L'hétérogénéité des activités collectives AU SEIN DU « SECTEUR INFORMEL »

Au-delà d'une certaine unité apparente du « secteur informel », quant aux critères d'organisation non capitaliste du travail, à l'échelle des activités ou la monétarisation des biens et services, la grande diversité des activités peut être décomposée en distinguant les prestations de services, la production des таг- cbandises, les activités de commerce et de transport*.

Cette distinction est selon nous pertinente selon le double critère de la production et du marché : — d'un côté, selon les activités, l'argent avancé et l'intensité capitalistique

diffèrent (capital fixe, capital circulant, rémunération du travail); il y a dès lors distinction dans les barrières à l'entrée et dans les organisations du travail;

2. La distinction que nous faisons renvoie à une conception objective de l'économie et non pas subjective. Selon l'école néo-classique, tout travail est assimilé à un service, la valeur d'échange s'explique par la valeur d'usage; les facteurs de production rendent des services dont le prix est déterminé par leur utilité et leur rareté; les biens finals rendent des services; la destruction du bien pouvant être assimilée au service rendu par le bien; c'est l'utilité finale ou les services rendus par les biens qui commandent en aval les prix des services productifs. Un domestique, un métallurgiste, un chanteur ou une prostituée rendent des services ayant un prix fonction de l'utilité du service. L'étude des combinaisons de facteurs de production est faite indépendamment des rapports de production ou des classes sociales.

Selon la conception objective de l'économie, c'est au contraire la répartition des revenus entre les groupes sociaux et le travail qui détermine en aval les prix des biens, la valeur d'usage étant la sanction de la nécessité sociale du travail effectué. On ne peut dissocier la fixation des prix de la question des répartitions des revenus.

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— d'un autre côté, les pouvoirs d'achat et les modes de consommation divergent selon les groupes sociaux; il y a segmentation des marchés des biens de consommation selon les types d'activités et plus ou moins grande dépendance vis-à-vis des circuits de commercialisation.

a) Les prestations de service Le service, prestation de travail direct, est un échange de travail contre

de l'argent; il peut être rendu à des personnes (services personnels) ou à des choses (services matériels).

1) Dans le cas des services personnels3 1 il n'y a pas de cristallisation du travail dans la matière; l'acte de consommation n'est pas séparé de la production; le travail et non le produit est consommé par l'acheteur en fonction de sa valeur d'usage; la rémunération du travail est proche du prix du service. Les services personnels peuvent certes être orgamsés selon des méthodes plus ou moins capitalistiques, toutefois dans les villes du Tiers Monde, le matériel d'exploitation est infime.

Les services personnels sont multiformes; on peut ainsi différencier selon des critères multiples les services : — rendus à une cellule domestique (employé de maison) ou à une clientèle

(services de clientèle) ; — fournis sans instrument de travail (prostituée) ou réclamant des instruments

de travail plus sophistiqués (coiffeur) ; — n'impliquant aucune qualification spécifique (employé de maison, pros

tituée, cireur) ou au contraire nécessitant une qualification acquise par tradition (guérisseur, voyant) ou par apprentissage (écrivain public, détective, coiffeur, sorcier);

— légaux et illégaux (prostitution).

Les services peuvent être fournis dans une relation soit de dépendance patriarcale (prestation de travail gratuit s'expliquant dans le cadre de rapports sociaux traditionnels, exemple : des serviteurs); soit de salariat (exemple : des employés de maison) ; soit dans une relation d'échanges marchands.

Au-delà de ces traits différentiels, les services personnels jouent des rôles spécifiques dans les villes des pays sous-développés ; ils pourraient être remplacés dans la cellule familiale par un travail domestique direct (prostitution, écrivain, coiffeur, répétiteur) ou par un bien durable de substitution (moyen de transport, machine à laver, appareil de photo), ou bien être pris en charge par les services sociaux de type collectif (guérisseurs, écrivains publics). Leur importance s'explique à la fois par le poids des rapports de parenté (au sens large) et par quatre traits du sous-développement économique : l'inégale répartition des revenus, la faible rémunération du travail, le caractère onéreux des biens durables et l'absence de prise en charge par l'Etat ou par les collectivités publiques des services sociaux : — du fait du très bas prix des services, comparé à celui des biens durables,

il y a substitution du travail direct aux marchandises ou utilisation des services onéreux et non du travail domestique (exemple : employés de

3. Il s'agit de services à usage personnel rendus pour satisfaire un besoin.

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maison, jardiniers, gardiens, cireurs de chaussures, coiffeurs, porteurs...). De très nombreux services qui seraient domestiques dans les pays développés sont marchands dans les villes du Tiers Monde;

— du fait de leur très bas niveau de revenu et de leur faible patrimoine, certains groupes n'ayant pas les moyens d'acheter un bien durable de substitution (exemple : appareil de photographie remplaçant le photographe) ou ne pouvant, faute de formation, les assurer eux-mêmes, doivent faire appel à des services personnels;

— en raison de la non-prise en charge par l'Etat, certains services sont privés (exemple : guérisseurs, écrivains publics, détectives...).

Les services personnels sont ainsi très liés au sous-développement économique; un changement dans le niveau de vie ou une augmentation de la rémunération des prestations de travail serait un élément de réduction, voire de disparition, des services personnels qui seraient concurrencés par le travail domestique ou par la marchandise, ou qui seraient remplacés par des services collectifs.

Ces services personnels sont rendus dans le cadre d'une relation personnelle par paiement d'un revenu; il y a absence de capital circulant, le capital fixe est faible ou nul; la plupart de ces services ne nécessitent pas d'emplacement fixe; l'absence ou la faiblesse du capital avancé conduit à une absence de barrière à l'entrée; des règles juridiques ou sociales pouvant toutefois limiter la concurrence (exemple : des lois de la rue ou des exclusivités ethniques). On peut prendre pour hypothèse que les services personnels sont caractérisés par une offre de travail infiniment élastique à un taux de revenu égal au minimum de subsistance (2) :

Dépenses de services "Revenu de subsistance du travailleur

2) Les services matériels d'entretien, de réparation ou de maintenance sont liés aux stocks de biens de consommation durables usagés ou de biens d'équipement; à la différence des services personnels, ils sont des compléments et non des substituts des biens.

Les conditions de la production, comparées à celles des services personnels, sont caractérisées par une technicité, une qualification et une utilisation de capital fixe et circulant supérieures. La barrière à l'entrée tient soit au capital nécessaire soit à la qualification requise.

— Au niveau du marché, les services de réparation et d'entretien, liés à l'importance du stock des biens durables ou d'équipement, supposent un revenu suffisant de la part des utilisateurs; ils sont d'autant plus importants que les biens durables ou d'équipement sont nombreux et peu obsolètes et que le prix des services matériels est faible comparé au caractère onéreux des biens neufs. Les prestations de travail, compléments du travail cristallisé dans les biens, sont le signe d'un accroissement des marchandises et d'un processus urbain évolutif. Nous pouvons différencier trois types d'organisation de la production selon les groupes destinataires : — certains services matériels concernent de nombreux urbains (exemple :

cordonniers, réparateurs de radio, horlogers). Les petits réparateurs ont des outils simples, travaillent seuls ou avec des aides en nombre limité,

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achètent en petite quantité les pièces de rechange à des prix onéreux. Selon le type de clientèle, l'avance de l'argent ou des pièces de rechange par les clients est plus ou moins généralisée.

— les services du bâtiment (plombiers, électriciens) ne concernent que la population disposant de logements modernes; de même des réparateurs mécaniques concernent les titulaires de revenu fixe : réparateurs de vélos ou vélomoteurs, de machines à coudre, vulcanisateurs ; l'organisation de type artisanal y est plus développée que pour les services précédents ;

— d'autres services matériels ne concernent que les urbains à revenu élevé ou des professions spécifiques; par exemple les garagistes dont les organisations peuvent être artisanales ou non.

— Enfin les services de maintenance des biens d'équipement sont liés à l'importance des investissements et à l'appel à des unités de production non intégrée dans la division du travail de la firme. Les organisations différentes du travail correspondent dans l'ensemble à une segmentation du marché de consommation; les services matériels peuvent être fournis de manière très « informelle » ou selon une organisation artisanale.

Le volume maximum de l'emploi (L) est défini par trois variables : L_A-C

r — la dépense consécutive à l'amortissement du stock des biens durables (A) ; — le niveau capitalistique du service matériel : coût du capital circulant (C) ; — le revenu de subsistance des travailleurs (r).

A la différence des services personnels, ces services matériels sont induits par le développement économique; les réparateurs sont dépendants en amont des marchandises capitalistes et en aval en partie de la demande des agents intégrés dans le secteur capitaliste4.

Les services personnels et matériels ont ainsi certains traits communs; la relation vis-à-vis du client est directe; les prix peuvent faire l'objet d'un marchandage fonction des rapports de force respectifs; la subjectivité des relations économiques se traduit par des prix qui varient dans le temps et l'espace5. Toutefois ces services ne répondent pas aux mêmes lois. Les premiers répondent à un processus involutif qui tient au très bas prix des services liés au faible développement des marchandises; toute politique de réduction des inégalités et d'amélioration du niveau de vie global conduit à terme à diminuer leur importance. Par contre, les seconds sont liés à l'élargissement du marché et à l'augmentation de stocks de biens durables ou d'équipement; ils répondent à un processus évolutif.

4. Ainsi à Abidjan, où le degré de motarisation est plus développé, les réparateurs sont relativement plus nombreux que dans les autres villes d'Afrique noire.

5. A un niveau phénoménal, tout observateur de la ville africaine sait que les prix des services sont fonction du pouvoir d'achat du client et des besoins des prestataires des services. Les services ne peuvent obéir à la loi de la valeur qui suppose le statut de marchandise : travail objectivé ou cristallisé, règle sociale de reconnaissance d'un temps de travail nécessaire.

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b) La petite production de marchandises

Dans le cas de production de biens, il y a cristallisation du travail dans la matière et transformation des matières premières en biens finals. La production de marchandises suppose un travail qui à l'aide d'outils ou de machines transforme les produits intermédiaires en produits finals vendus directement à l'acheteur-consommateur ou à un intermédiaire.

On peut distinguer à l'intérieur de la petite production marchande trois formes d'organisation différentes de la production :

i ) L.a transformation de produits de récupération. — Producteurs de matelas, outils, ustensiles, vêtements, matériaux de construction, jouets, fabriqués à partir des déchets du monde moderne, boîtes, caisses, bidons, tissus, pneus, conserves, achetés sur des marchés d'occasion, volés ou fournis sur les marchés de recel. L'avance d'argent est limitée; la vente de ces produits à bas prix sur des marchés spécifiques concerne les infra-urbains à faible revenu; dans certains cas, ces produits peuvent concurrencer les produits industriels (exemple des thongs faites avec des pneus concurrençant les chaussures en plastique).

Les producteurs de récupération ont des organisations du travail spécifiques : très peu dépendants en amont des grandes unités ou des circuits de commercialisation8, leur organisation du travail repose sur des règles sociales où les liens familiaux et ethniques semblent déterminants, par contre, l'apprentissage ou le salariat sont peu développés. Ces activités fonctionnent généralement en marge des lois et des normes sociales; les producteurs échappent à la patente et aux déclarations administratives. Les conditions de travail se rapprochent de celles des prestataires de services personnels; les barrières à l'entrée sont très faibles; le développement des activités de récupération est lié, comme celui des services personnels, au sous-développement économique; il résulte d'un très bas niveau de revenu pour la majorité de la population qui ne peut accéder aux produits industriels importés ou locaux et correspond à un processus involutif.

2) U artisanat de fabrication. — L'artisan de fabrication dispose d'un local fixe, d'un capital minimum et d'une qualification professionnelle. Il peut selon les situations être le fruit d'une longue tradition ou une réinvention historique en milieu urbain; le travail artisanal peut transformer :

— les métaux (menuiserie métallique, charpente, tôlerie, ferblanterie, serrurerie, fonderie...);

— le bois (menuiserie, ébénisterie, sculpture, charpente); — le textile et du cuir (tailleur, brodeur, couturier, tisserand, cordonnier); — les matériaux de construction (briquetier, mouleur, maçon) ; — les produits chimiques (fabricant de savon) ; — les produits minéraux non métalliques (potier) ; — les produits agricoles et alimentaires (fabricant de boissons, d'aliments).

6. Bisbuk, dans son étude des métiers marginaux de Cali, analyse au contraire l'organisation hiérarchique des marchés de récupération des déchets industriels et domestiques. Nous n'avons pas assez d'informations pour savoir si cette organisation se retrouve dans des villes africaines.

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Malgré les difficultés inhérentes à toute généralisation sur les artisanats de fabrication, multiformes, exercés dans des lieux différents, il est possible de dégager d'après les enquêtes les traits principaux suivants :

— L'artisanat se caractérise par une avance ď argent limitée et une absence de recours aux crédits officiels; dans l'ensemble, l'essentiel des fonds sont propres (salaires, épargne sur prêts ou dons du milieu familial), proviennent du monde rural ou d'une avance des clients (pour le capital circulant). Cette faible mise de fonds conduit à la création permanente de nouvelles activités, notamment de la part des apprentis et des anciens salariés du secteur industriel, mais également à des disparitions fréquentes; toutefois les barrières à l'entrée peuvent tenir à des règles comparatives ou autres. Par contre, les relations entre l'artisanat ancien (exemple, forgeron ou tisserand) et l'artisanat récent (menuiserie métallique, confection) semblent réduites.

— L'essentiel des inputs provient du secteur industriel et des circuits commerciaux (nationaux ou internationaux) ; les achats se faisant à des grossistes ou à des détaillants ou dans certains cas sur des marchés d'occasion; seul le travail de produits agricoles, minéraux non métalliques ou matériaux de construction induit certaines relations avec le monde rural.

— Les débouchés sont à la fois spécifiques selon les clientèles, limités et fluctuants. Le monde rural semble ne constituer qu'un débouché très réduit; certains artisanats d'art touchent les marchés internationaux ou les touristes; ils sont souvent contrôlés par des réseaux de commercialisation structurés (exemple de la Confrérie des Mourides au Sénégal).

— Les prix couvrent généralement juste les coûts de production, plus la rémunération du « patron » située autour du salaire minimum; il existe souvent un travail gratuit, ou du moins peu rémunéré en argent, permettant d'assurer la survie des petits artisans. Dans certains cas, le taux de profit est nul, voire négatif; l'amortissement du capital fixe n'étant pas pris en compte. Les prix de vente sont parfois nettement inférieurs à ceux des produits importés ou fournis par ces industries nationales, ils concernent généralement une clientèle spécifique et des produits de qualité inférieure.

— Le travail salarié est peu développé; l'artisan emploie des compagnons, des apprentis et aides familiaux en s 'appuyant souvent sur les anciennes relations de parenté; il peut également utiliser des cadets liés par des liens de parenté ou de castes ou des aides salariés. L'apprentissage est essentiel dans sa double fonction de production et de formation.

A la différence des prestataires de services qui ne sont pas concurrencés par les produits industriels, les artisans de fabrication subissent une forte concurrence internationale et interne. Leur survie est subordonnée à certaines conditions; soit une spécialisation sur des marchés spécifiques (exemple, infra-urbains ou catégories à revenus élevés), soit une très faible rémunération du travail permettant le maintien d'unités à faible productivité, soit l'existence de mesures protectionnistes (droits de douane, marchés garantis...).

La dynamique de l'artisanat de fabrication renvoie aux relations de concurrence et de complémentarité avec le secteur industriel. D'un côté, l'artisanat est très dépendant en amont de ce secteur pour sa fourniture en matières premières et en équipement et il subit directement les effets inflationnistes; en aval, il se heurte à la concurrence des produits des secteurs à forte produc-

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tivité; mais d'un autre côté, l'existence de travailleurs très peu rémunérés, la segmentation des marchés de consommation et une grande souplesse d'adaptation sont des facteurs d'expansion. Dans l'ensemble, la faiblesse des barrières à l'entrée se traduit par une extension quantitative du nombre de producteurs et par des effets de concurrence empêchant ou limitant le dégagement d'un surplus interne. L'élimination de l'artisanat de fabrication peut conduire à une reconversion vers des activités de services d'entretien ou de réparation (exemple des cordonniers) ou de sous-traitance.

3) L.a sous-traitance et le tâcheronage. — Les producteurs « indépendants » placés au cours ou à la fin d'une filière de production se trouvent dans la situation de sous-traitance; sont dans ce cas les travailleurs à domicile produisant les éléments d'un produit qui rentrent dans la composition du produit fini (sous-traitance industrielle), les tâcherons rémunérés à la tâche (exemple, bâtiment), les producteurs recevant l'avance des matières premières fournissant un produit fini commercialisé par celui qui a fait l'avance, exemple tapissiers, menuisiers (sous-traitance commerciale) ou les travailleurs placés à la fin d'une filière et commercialisant le produit fini (tailleurs, brodeurs, couturiers). Ces producteurs « indépendants » sont dans la situation de quasi-salariés. Leur développement est lié à une décomposition des tâches à l'intérieur de la grande industrie.

c) Les petits commerçants et transporteurs de marchandises

Les commerçants et les transporteurs font circuler des produits finis qu'ils acheminent jusqu'aux acheteurs. Leur avance en argent se limite au stockage et au conditionnement des produits, et à l'acheminement des marchandises jusqu'au destinataire final.

1) Le commerce de microdétail est l'activité qui a connu l'extension la plus forte; les petits commerçants sont les intermédiaires entre les consommateurs et le milieu rural, les artisants urbains ou les circuits de commercialisation constitués par les firmes import-export et leurs ramifications.

On peut distinguer selon l'intensité plus ou moins capitalistique des activités : — les colporteurs, vendeurs ambulants, marchands à la sauvette, démarcheurs...

vendent et commercialisent des produits en petites unités; ne disposant pas de local, ils contournent les circuits officiels de commercialisation, échappent au contrôle du fisc, distribuent des produits qui peuvent provenir de la contrebande, du vol ou du recel. Ils peuvent au-delà de leur indépendance apparente être organisés en réseaux structurés;

— les « tabliers » ou vendeurs à l'étal, microdétaillants et vendeurs des marchés . périodiques ou permanents', disposant d'un emplacement déterminé, ces ven

deurs sont, soit des producteurs directs (exemple, vendeurs de beignets ou de brochettes), soit des intermédiaires des maisons de gros, soit des revendeurs de produits de première, de deuxième ou de troisième main. Les marchés élémentaires, lieux d'affrontement d'offre et de demande, assurent la circulation de marchandises dont la provenance vient de l'étranger, des industries nationales, des petits producteurs ou du milieu rural; ces marchands sont les derniers maillons d'une chaîne de distribution ou des travailleurs indépendants;

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— les boutiquiers ont un local fixe, ils peuvent soit être producteurs, soit des simples intermédiaires vendant des marchandises de provenance multiple. Selon l'importance du marché, les boutiquiers sont plus ou moins spécialisés; dans les grands centres urbains on trouve des boutiques spécialisées (épiciers, quincailliers, fripiers...); dans les centres secondaires, les boutiques « vendent un peu de tout ». Le petit boutiquier peut ne disposer que d'un local sommaire (baraque); il travaille généralement avec une aide familial. On peut ainsi étudier les structures complexes des réseaux commerciaux

urbains selon un continuum qui dépend de plusieurs facteurs : échelle de la vente, importance du stock, degré de spécialisation et localisation; les barrières à l'entrée résultent du financement du stock, des loyers et des patentes.

Comme pour les autres activités précédentes, la prolifération des petits intermédiaires résulte de facteurs différents. La première catégorie est un signe spécifique du sous-développement économique et résulte du niveau de misère urbaine alors que les petits commerces les plus spécialisés tiennent au contraire à l'existence de catégories sociales ayant un niveau de revenu élevé et un type de consommation de luxe. Ces petits commerçants créent de la divisibilité, c'est-à-dire assurent la gestion d'un stock et la fragmentation du produit (revendeurs de cigarettes à l'unité, vendeurs « au compte goutte » d'huile et de coupons de tissu, ou de tas de légumes ou fruits) ; ils permettent une division du travail, en économisant du temps pour des producteurs ou acheteurs et en mettant en contact dans des temps et des espaces différents acheteurs et vendeurs.

L'organisation des circuits de commercialisation varie selon les produits et les villes ; elle peut aller de la vente directe par le producteur jusqu'au petit vendeur qui n'est que le dernier maillon d'une chaîne moderne de distribution. Dans l'ensemble, une cascade de petits intermédiaires prélèvent des marges très réduites à chaque stade de la circulation des marchandises.

2) Les villes connaissent une grande expansion de petits transporteurs, porteurs (depuis les porteurs d'eau jusqu'aux dockers des ports), tireurs de pousse, taxis, vélomoteurs, conducteurs de chars à bras, de charrettes à chevaux ou à bœufs dont les prix inférieurs à ceux des transports mécanisés permettent l'acheminement de produits fractionnés de petite dimension7. La prolifération des transports non mécanisés est une réponse au développement de la circulation urbaine liée à la densité de population, à l'élargissement du marché et au caractère peu onéreux de ces transports comparé aux transports mécanisés. Ils peuvent ainsi concurrencer les transports « officiels ».

Les petits commerçants et transporteurs constituaient traditionnellement les derniers rouages d'une chaîne dominée par les compagnies import-export allant jusqu'au producteur de brousse. Le processus actuel répond à une logique différente. Il s'agit d'un phénomène nouveau qui témoigne de l'augmentation des marchés urbains et de leur segmentation et des liens entre le monde rural, les petits producteurs urbains et les grandes unités avec ces marchés.

Les petits intermédiaires travaillent pour des clientèles généralement

7. Par exemple, à Tananarive en 1977, les prix de la course en calèche Gallieni était de 5 Fmg, en pousse de 20 à 50 Fmg et en taxi de 100 Fmg, la concurrence étant très forte à l'intérieur de chaque mode de transport et entre ceux-ci.

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spécifiques; alors que la bourgeoisie urbaine utilise des moyens de transport modernes ou s'approvisionne dans les supermarchés, les autres catégories utilisent des circuits spécifiques.

En décrivant les diverses activités regroupées sous le chapeau de secteur informel urbain (faible intensité capitalistique, petite échelle, salariat réduit, échange marchand), nous n'avons trouvé aucune unité ni dans les déterminants ni dans les lois de fonctionnement internes, ni dans les dynamiques évolutives ou involutives. Certaines sont induites par le développement capitaliste et d'autres sont des inventions de nouveaux rapports sociaux non capitalistes. Les unes correspondent à une division du travail et à une décomposition des tâches caractéristiques d'un développement économique, les autres tiennent à une parcellisation des marchés, signe d'une paupérisation urbaine.

A l'intérieur des unités, les organisations du travail vont de la dépendance personnelle à l'artisanat le plus structuré. De même il n'y a pas d'unités des petites activités ni en aval au niveau des groupes sociaux destinataires, ni en amont au niveau de la « soumission au capital »; les petits métiers produisent des biens et des services pour l'ensemble des groupes sociaux, allant du sous- prolétariat aux consommateurs des marchés internationaux; les petits producteurs apparemment indépendants vont des formes intégrées au capital aux indépendances réelles.

Les lois d'évolution et de fonctionnement sont enfin opposées; ainsi le développement des services personnels, des activités de récupération, du colportage ou des transports non mécanisés sont des réponses à des processus de pauvreté urbaine; au contraire les services matériels, la sous-traitance commerciale ou industrielle, la prolifération de certains artisanats de fabrication ou commerces spécialisés sont liés à un élargissement du marché et à une augmentation du niveau de vie. On peut ainsi distinguer à l'intérieur du « secteur » un pôle involutif et un pôle évolutif dont les logiques sont spécifiques sans être nécessairement complémentaires.

B) La place des petites activités dans l'économie de marché

La décomposition analytique du secteur informel que nous venons de faire en utilisant les nomenclatures traditionnelles présente une triple insuffisance : — la même personne peut rendre des services, avoir des activités de fabri

cation, transporter et vendre des marchandises (exemple des cordonniers, fabricants, réparateurs et vendeurs). La caractéristique des petites activités est justement la faible division du travail; à côté de l'optique activité collective, il faut tenir compte de l'optique individuelle; — la distinction n'est pertinente que s'u existe une relation entre la nature des activités et les formes d'organisation sociale; or à la limite les services personnels peuvent être organisés selon le mode capitaliste (exemple des eros centers ou des services d'entretien);

— enfin, nous nous sommes placés au niveau concret, résultant de diverses déterminations, que l'on ne peut saisir qu'à un niveau plus théorique, celui de l'analyse de la place des petites activités dans l'économie de marché.

Il y a constitution dans les villes du Tiers Monde de marchés, lieux d'échange et d'accumulation des richesses, de réseaux de communication et de

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transport, de circulation de l'argent, des marchandises ou des informations. Le développement des petites activités urbaines est le signe de cette constitution de marchés de capitaux, de travail ou de biens et services. C'est dans leurs relations avec les différents marchés que l'on peut comprendre les lois de fonctionnement et d'évolution des diverses activités.

a) Les relations vis-à-vis des marchés des capitaux ou des circuits financiers

Les petites activités urbaines sont indépendantes vis-à-vis des systèmes de crédit institutionnalisés et des sources de financement officielles, on ne peut toutefois supposer, sauf pour les plus marginales d'entre elles, une absence de capital avancé; celui-ci est nécessité par : — les loyers payés aux propriétaires fonciers (rente); — les patentes et impôts versés à l'Etat; — le financement du capital circulant ou du capital fixe (dépendance vis-à-vis

du secteur capitaliste); — le paiement des revenus aux travailleurs.

Pour financer ces coûts de production, il y a appel à plusieurs marchés de capitaux compartimentés dont le loyer de l'argent peut varier de о à 100 % ainsi peut-on distinguer à côté des fonds propres : — l'autofinancement familial; — le financement par des coopératives (exemple tontines); — l'avance faite par le client; — la dépendance vis-à-vis de l'Etat (fonctionnaires); — la dépendance vis-à-vis du capital commercial et usuraire; — la dépendance vis-à-vis du capital industriel.

Les activités peuvent être regroupées selon leur plus ou moins grande intensité capitalistique et la plus ou moins grande dépendance vis-à-vis des marchés ou des circuits financiers. Les services personnels n'entraînent guère d'avance d'argent de la part des fournisseurs de services. Les services d'entretien nécessitent l'avance d'outils ou de matières ainsi que de pièces de rechange ; cette avance pouvant être faite par les prestataires de services ou par le client. L'artisanat de production nécessite une avance d'argent pour les matières premières et les outils. Selon la plus ou moins grande intensité capitalistique, il y a dépendance vis-à-vis des clients, financement sur épargne personnelle, appel à clés fonds familiaux, dépendance vis-à-vis des usuriers ou des commerçants ou appel aux sources de financement officielles (crédit artisanal).

L'étude concrète montre qu'il n'y a pas simple opposition entre ceux qui disposent d'un capital et ceux qui sont salariés mais continuum selon le détour productif et le niveau plus ou moins capitalistique des activités ; les enquêtes révèlent une bonne corrélation entre : — le capital avancé; — l'échelle de la production; — les barrières à l'entrée; — la productivité du travail social; — la qualification du travail.

PHILIPPE HUGON

Sources de financ.

Clients

Groupements par coopératives

Fonds personnels ou

familiaux

Crédit artisanal

Capital commercial industriel

Capital avancé

Travail non qualifié

Services personnels

Commerce détail

Activités de récupéi

Services matériels

Artisanat de fabrica

Sous-traitance comn

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b) Relations vis-à-vis du marché du travail et des circuits de fournisseurs de travailleurs

Dans les petites activités urbaines, le fonctionnement des marchés et les conditions de travail échappent au contrôle des organisations syndicales, à l'Inspection du Travail ou au respect du Code du Travail. Les marchés du travail sont constitués en plusieurs segments : — les marchés élémentaires voient s'affronter les offreurs qui vendent au jour

le jour ou à la petite semaine leur énergie physique ou leur savoir faire et les acheteurs qui ont besoin de porteurs, manœuvres, aides temporaires divers. On observe sur ces marchés élémentaires de grandes fluctuations des rémunérations dans le temps et de grandes disparités selon les espaces8;

8. Ainsi, à Tananarive, le toby est le lieu où les travailleurs se réunissent pour offrir leurs bras; les salariés prennent à leur charge le logement et le trajet; ils reçoivent la nourriture. Les embaucheurs sont des épiciers, commerçants, artisans, marchands ambulants, fonctionnaires, cultivateurs.

LES ESPACES URBAINS AFRICAINS 417

— les circuits familiaux; l'accueil des ruraux, les utilisations d'anciens captifs, cadets ou divers aides familiaux passent par des marchés cloisonnés qui ne peuvent être analysés indépendamment des structures de parenté et des relations ethniques ou de castes. La différenciation des rémunérations du travail peut aller jusqu'au travail gratuit avec seule prise en charge des frais de nourriture et de logement;

— le marché du travail artisanal, traditionnellement très organisé, répond à des règles déterminées d'apprentissage et de rémunération. Dans la pratique, l'apprentissage peut être moins l'acquisition d'un « capital humain » permettant d'entrer dans la profession qu'un marché de fourniture de main- d'œuvre gratuite plus ou moins définitive. L'apprenti pouvant être fourni, soit par les réseaux familiaux, soit par les marchés élémentaires, soit par des circuits d'entremetteurs plus organisés qui louent de la main-d'œuvre juvénile et sont les intermédiaires entre les familles les plus démunies et les diverses unités productives.

Selon les activités définies précédemment, il y a relations spécifiques vis-à-vis des divers segments de « marché du travail ». Dans l'atelier artisanal ou les services de réparation, il y a différenciation du patron, des compagnons et des apprentis, utilisation de travailleurs qualifiés, organisation du travail réglementée.

Dans les services personnels, le commerce de microdétail ou des activités de récupération, le travail n'est pas qualifié, l'organisation du travail est très rudimentaire. Il y a utilisation de main-d'œuvre juvénile ou temporaire; le travail fonctionne en marge des réglementations sociales ou des codes de travail.

A l'intérieur des petites unités, les ouvriers salariés, les compagnons constituent une main-d'œuvre relativement stabilisée; d'un autre côté, un volant de travailleurs peu rémunérés employés à la journée ou à la petite semaine, en fonction des commandes plus ou moins aléatoires, constitue une main- d'œuvre flottante.

Les statuts du travail permettent de différencier : — les petits patrons utilisant quelques travailleurs; — les travailleurs indépendants sans dépendants; — les salariés ou travailleurs stabilisés des petites unités de production; — les travailleurs à la tâche, à la journée ou intermittents qui constituent

une main-d'œuvre flottante; — les « dépendants familiaux », travailleurs non rémunérés monétairement qui

sont dans une relation de dépendance sociale; — les apprentis qui sont payés ou non et acquièrent une formation pro

fessionnelle; — les « sans travail » : jeunes n'ayant jamais travaillé, autres sans travail.

L'hétérogénéité des statuts du travail révèle que sont entremêlés des rapports lignagers, ethniques, serviles et que les relations sociales de production peuvent difficilement être traitées comme des relations purement marchandes. La relation entre la nature des activités, l'organisation du travail et les divers segments du marché du travail peut être ainsi illustrée

TM — 14

4i8 PHILIPPE HUGON

Dépendants familiaux gratuits

Travailleurs intermittents à la tâche

Dépendants familiaux payés

Apprentis Salariés

Services personnels

Commerce microdétail

Activités de récupération

Services matériels

Artisanat de production

c) Les relations vis-à-vis du marché des biens et services

1) Les petits producteurs sont plus ou moins dépendants en aval vis-à-vis des circuits de commercialisation; certains sont en relation directe avec les clients (exemple : services personnels ou d'artisans travaillant à la commande), d'autres vendent à des commerçants de détail ou de gros (artisanat de production); les uns sont des sous-traitants commerciaux et d'autres sont des sous-ttaitants industriels.

2) Les groupes sociaux destinataires. — Sauf cas exceptionnels, tels les services de maintenance, les petites activités urbaines fournissent exclusivement des biens et services de consommation sur des marchés segmentés. L'analyse de la structure des marchés, liée à celle de la répartition des revenus entre les catégories sociales, permet à titre simplificateur de distinguer : — les catégories à revenus élevés : étrangers, cadres supérieurs, bourgeoisie locale,

qui font appel aux services domestiques, aux services de réparation ou aux artisans d'art;

— les catégories à revenus fixes : fonctionnaires, salariés stables, employés, qui utilisent des employés de maison, des services de réparation et certains artisanats de fabrication;

— les catégories à revenus faibles et instables qui constituent l'essentiel des utilisateurs des petites activités et qui utilisent les services personnels, les produits de récupération ou qui font appel au commerce de microdétail et aux transports non mécanisés.

LES ESPACES URBAINS AFRICAINS 419

C) La place de la petite production marchande DANS LA REPRODUCTION DES SOCIÉTÉS

L'unité relative des petites activités urbaines peut être regroupée sous le terme de petite production marchande; elle tient aux « jeux de l'échange » et au fonctionnement des marchés de capitaux, du travail ou des biens et services, même s'il y a compartiment, segment ou fragment à l'intérieur et entre ces marchés peu communicants, c'est elle qui justifie les catégories économiques. Toutefois l'analyse des marchés n'est pas suffisante pour comprendre les niveaux de détermination et la dynamique du « secteur informel » : celle-ci ne peut se comprendre à son propre niveau. Les enquêtes disponibles permettent de formuler quelques hypothèses quant aux relations existant entre les petites activités urbaines et les autres ensembles socio-économiques : — le monde rural est un faible consommateur de biens et services urbains ; il

est par contre fournisseur de travailleurs et de surplus (par le jeu des prix); — le secteur capitaliste ne consomme guère à? inputs provenant des petites unités

privées; par contre il fournit l'essentiel des inputs (matières premières, produits semi-finis, équipement);

— les cellules familiales ont des stratégies d'allocation du temps de travail entre les activités marchandes et les activités domestiques ;

— l'Etat est une instance de concentration de richesse et de puissance; il joue un rôle déterminant dans la constitution de l'espace économique urbain et dans le contrôle des petites activités.

Pour progresser dans la compréhension des petites activités urbaines, les hypothèses suivantes peuvent être proposées :

L'accumulation de capital est pour l'essentiel extérieure aux sociétés africaines; celles-ci ont acquis, depuis la seconde guerre mondiale, des segments de branches, notamment de biens de consommation mais produisent peu de biens intermédiaires ou de biens d'équipement. La dynamique externe s'explique par le rôle du commerce import-export, des flux des investissements extérieurs même si on peut considérer que notamment dans certains pays il y a tendance à un processus interne d'accumulation du capital. Cette structure particulière induit des distributions de revenus entre groupes sociaux et des comportements spécifiques de dépense.

Les petites activités urbaines trouvent leurs significations dans quatre types de liaisons :

1) Les relations avec le secteur capitaliste concernent essentiellement : — les inputs fournis aux petites activités. L'essentiel du capital fixe et du

capital circulant étant fourni par les importations ou la production nationale;

— les débouchés. Si très peu dfoutputs sont vendus au secteur capitaliste, par contre, une grande partie des biens et services fournis concernent les titulaires de revenus générés à l'intérieur du secteur capitaliste : profits, intérêts, salaires. Il y a conversion de ceux-ci en biens et services de luxe ou en biens et services salariaux dans la mesure où la logique du capitalisme périphérique peut conduire à une utilisation improductive du profit et où l'essentiel des biens salariaux ne proviennent pas du secteur capitaliste.

4-2О PHILIPPE HUGON

Pour une large part, les petites activités urbaines se développent dans le sillage du capitalisme soit par relations de complémentarité (services d'entretien ou commerce), soit par induction de la demande (accroissement du marché des biens et services), soit en réaction à la concurrence capitaliste (nécessité de trouver pour les travailleurs éliminés par la concurrence des activités de service).

Soit Y le revenu du secteur capitaliste P le revenu des petites productions marchandes (ppm) à la propension marginale à consommer des biens et services

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La connaissance des liaisons entre le secteur capitaliste et les petites activités urbaines suppose des enquêtes soit se plaçant au niveau des filières, soit étudiant les concurrence et complémentarité à l'intérieur de la même branche.

2) II y a dans l'ensemble peu de relations intersectorielles entre le monde rural et la petite production marchande. On peut prendre comme hypothèse très globale qu'il y a une mobilisation des surplus agricoles par le biais des fixations de prix (exemple des prix vivriers et du rôle des caisses de stabilisation); de plus, la croissance démographique exerce généralement des pressions en milieu rural. Face à cette paupérisation du monde rural, les familles ou ethnies ont des stratégies de survie ou d'adaptation, notamment par des migrations urbaines. L'extorsion globale du surplus agricole a pour contrepartie des transferts positifs de revenus privés de la ville vers la campagne qui s'expliquent dans le cadre des réseaux familiaux et ethniques. Le migrant demeure dans un réseau de relations qui le lie à sa communauté d'origine (financement de l'exode par prise en charge des frais de scolarité, coût de migration, revenus transférés, migrations tournantes).

D'une certaine manière la ville africaine demeure un prolongement du milieu rural dans un espace urbain. Elément libérateur des anciennes relations sociales de rupture des liens d'allégeance ou de relâchement des règles de parenté, elle est aussi reconstitution et résurgence des relations ethniques. Encore faut-il distinguer plusieurs couches de population plus ou moins éloignées du monde rural. Les ruraux urbanisés ont des systèmes de représentation et de valeur liés à l'univers villageois, alors que les citadins déruralisés ont des niveaux de conscience différents.

Une partie des revenus générés en ville par les transferts de la campagne vers la ville permettent d'élargir la sphère productive et d'accueillir des migrants par des réseaux où s'intermêlent des rapports de parenté et d'ethnie. Il importe de lier des études macro-économiques se situant notamment au niveau des prix agricoles et urbains et des enquêtes micro-économiques étudiant les réseaux villes/campagnes.

3) Les rapports avec les cellules familiales. — Les familles urbaines (nucléaires, segments de lignage, sibling...) ont des stratégies d'acquisition des revenus, de dépenses, d'affectation du travail familial selon les âges et les sexes entre les activités domestiques et marchandes, entre le salariat temporaire et permanent.

L'apprentissage ou l'aide familiale ne peut être compris indépendamment de

LES ESPACES URBAINS AFRICAINS 42 1

ces stratégies; il y a souvent identité familiale entre patron et apprenti. Les formes d'association ou de coopératives permettent la mobilisation d'argent (exemple : tontines^ « entraide familiale »). Certains métiers sont castes, ou sont réservés à des cadets. La logique des petites activités ne peut se comprendre indépendamment de la réinterprétation des relations familiales; toutefois, à côté du maintien des rapports de parenté, il y a également désagrégation des structures familiales en ville; les enfants sans attaches familiales reconstituent des bandes et des réseaux et constituent des « enfants prolétaires » des bidonvilles.

Le rôle joué par des cellules familiales implique la prise en compte des structures de la parenté et, sur un plan empirique, un lien entre les enquêtes budget et les enquêtes unités de production.

4) Enfin, la compréhension de la petite production marchande implique l'étude de ces relations avec l'Etat.

Л priori, la plupart des petites activités ne sont pas soumises à l'Etat et à son contrôle; elles sont out law en échappant au fisc, aux patentes, aux recensements statistiques et aux réglementations. En réalité, elles entretiennent au moins quatre types de relations avec l'Etat : — par les formes de contrôle politique ou policier qui s'exercent sur elles :

le vol, le recel sont souvent des formes tolérées ; la police contrôle ou fait payer les droits d'exercice des activités dites illégales;

— par les politiques économiques qui favorisent ou défavorisent différentes activités : protection douanière, politique des prix ou accès au crédit...;

— par le rôle direct que jouent les fonctionnaires dans le financement des petites unités ou les dépenses en biens et services ou dans l'obtention de marchés publics;

— par la constitution des espaces urbains et des marchés sous l'action de l'Etat, pôle d'accumulation des richesses et des pouvoirs.

L'Etat est un lieu d'alliance entre différents groupes (ethniques, régionaux, familiaux) qui constituent une technobureaucratie contrôlant les relations avec l'extérieur, investissant dans les secteurs à haute rentabilité : — il dispose d'un arsenal (politique des prix, zones franches, gestion de la

force de travail, politique fiscale...) permettant la génération d'un surplus au niveau du secteur capitaliste;

— il est un facteur essentiel de la mobilisation du surplus agricole (par le biais de la fixation des prix des produits vivriers ou des prélèvements sur les produits d'exportation par l'intermédiaire des caisses de stabilisation) ;

— il prélève au niveau de la circulation des marchandises des impôts (droits de douane, taxes de consommation);

— il a une politique de promotion foncière et immobilière tendant à transformer l'espace urbain en capital.

Ainsi une partie essentielle du surplus transite par l'Etat et conduit à une affectation servant à des fins d'accumulation ou étant dépensée de manière improductive. La petite production marchande se développe également dans le sillage du renforcement de l'Etat.

Le détour que nous venons de faire pour analyser des activités qui concer-

422 PHILIPPE HUGON

nent des centaines de milliers d'agents qui vivent et survivent dans les villes nous semble infirmer les thèses qui : — voient dans la petite production marchande une survivance historique qui

sera un jour dépassée par le développement du secteur moderne; — y voient un secteur transitionnel devant conduire au développement du

secteur moderne; — considèrent que le secteur informel est profitable pour le capital direc

tement, car il permet la valorisation du capital et indirectement car il réduit des coûts de reproduction de la force de travail.

La compréhension des petites activités urbaines ne peut être envisagée à leur propre niveau; il faut au contraire étudier comment les diverses formes de production s'articulent avec l'ensemble de l'économie nationale (production, distribution de revenus et types de consommation par groupes sociaux). Il s'agit alors d'un processus spécifique à la reproduction des sociétés sous- développées.

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