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8/18/2019 Les Produits Financiers Alternatifs
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La Revue des Sciences de Gestion, Direction et Gestion n° 255-256 – Finance
mai-août 2012
153
Dossier I
Les produits financiers alternatifs
au Maroc :
Pratique et perspectives
par Bouchra Radi et Imane Bari
Bouchra RADI
Enseignante de comptabilité, de contrôle de gestionet d’audit à l’École Nationale du Commerce et de
Gestion (ENCG), Université Ibn Zohr, Agadir. Maroc.Professeur habilitée à diriger les recherches en « Économieet Gestion », spécialité : Gestion. Chercheur en gestion,finances, développement durable et responsabilité sociale
des entreprises. Membre du laboratoire Entreprenariat
Finance et Audit, École Nationale de Commerce et deGestion, Université Ibn Zohr, Agadir Maroc.
Imane BARI
Enseignante de comptabilité, mathématiques financièreset stratégie des entreprises à l’École Supérieure de
Technologie d’Agadir (ESTA), Département Techniquesde Management, Université Ibn Zohr, Maroc. Doctorante
en Sciences et Techniques de Gestion, Labo. :Entrepreneuriat Finance et Audit, École Nationale de
Commerce et de Gestion, Université Ibn Zohr, AgadirMaroc.
Le nombre d’institutions financières islamiques dans lemonde est passé d’une seule en 1975 à plus de 300dans plus de 75 pays. Elles se sont concentrées dans
le Moyen-Orient et l’Asie du Sud-Est (le Bahreïn et la Malaisie
sont les principaux centres), mais apparaissent aussi en Europeet aux États-Unis. Le total de leurs avoirs dans le monde est
estimé à 1 000 milliards de dollars US et il augmente d’environ15 % à 20 % par an.
Cet essor peut être expliqué par trois raisons : la forte demande
du grand nombre de musulmans, qui recherchent des services
financiers conformes à la Charia ; l’augmentation de la manne
pétrolière, qui fait exploser la demande d’investissements accep-tables dans la région du Golfe et la compétitivité des produits
de la finance islamique, qui attire les investisseurs, musulmans
ou non. (M. Qorchi, 2005)
Toutefois, Les banques islamiques ne sont pas encore autoriséesà opérer directement sur le territoire marocain, malgré leursmaintes tentatives.
La banque centrale (Bank Al Maghrib - BAM) a néanmoins cédéaux pressions internes, en élaborant, en octobre 2006, le cadreréglementaire pour trois produits conformes à la Charia islamique :Ijara, Mourabaha et Moucharaka.
L’objet de notre article est d’étudier l’expérience marocaine en
la matière, notamment en analysant les contraintes de commer-
cialisation des trois produits à travers la synthèse des études
réalisées et le recueil des avis des gestionnaires bancaires et
des conseillers et spécialistes en finance islamique.
À ce titre, nous allons commencer par examiner le secteur bancairemarocain, les principes et avantages du banking islamique et la
situation marocaine avant d’analyser les risques et les difficultésde mise en place ainsi que l’adaptation progressive du contexte.
1. Physionomie du secteur bancairemarocain
Aucune économie ne peut véritablement se développer sans êtresoutenue par un secteur financier jouant pleinement et effica-
cement son rôle, particulièrement en tant qu’accompagnateur
de l’entreprise et du secteur privé.
Au Maroc, le législateur a voulu doter le système bancaire etfinancier d’un cadre juridique moderne, ouvert, évolutif et adapté
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Dossier III mai-août 2012
aux différentes mutations. L’objectif est de renforcer son rôle
dans la collecte des dépôts et le f inancement de l’économie, et
d’appuyer les efforts d’investissements dans le secteur privé.
Cependant, ces aspirations restent encore insatisfaites en raison
des facteurs intrinsèques à ce système.
1.1. Historique du système bancairemarocain
La libéralisation du système bancaire a été entamée en 1991 à
travers diverses mesures, dont :
– la levée de l’encadrement du crédit et le remplacement du
contrôle quantitatif direct par des mesures qualitatives indirectes
(réserve monétaire, ratio de solvabilité, de liquidité et de division
de risque…) ;
– la libéralisation des taux d’intérêt créditeurs et la libéralisation
progressive des taux d’intérêt débiteurs, avec institution d’un
taux de référence variable mensuellement pour les crédits à longterme et annuellement pour les crédits à moyen et long termes ;
– la suppression des emplois obligataires, exception faite pour
certains qui sont destinés à disparaître progressivement, et la
permission donnée aux établissements bancaires d’émettre
des certificats de dépôts – titres dont la maturité varie de 10
jours à 7 ans –, qui devrait renforcer leurs ressources longues.
La déréglementation bancaire avait pour but l’accroissement de
l’efficience, en assurant une meilleure allocation des ressources,
en réduisant le coût de l’intermédiation et en renforçant le rôle
du système bancaire dans la collecte des dépôts ; ceci af in de
soutenir la croissance économique, notamment par le dévelop-
pement des crédits d’investissements.La loi bancaire de 1993, qui est survenue dans ce contexte, visait
la promotion du développement économique par le biais de la
mobilisation de l’épargne et de la bancarisation de l’économie.
Après l’achèvement de la suppression des emplois des banques
en juin 1998, l’effort des autorités monétaires s’est orienté
vers le renforcement de la concurrence entre les banques, ce
qui s’est traduit par un renforcement de la solidité du système
bancaire et une décrue significative des taux d’intérêt débiteurs
(F. Oualalou, 2002).
La loi n° 34-03, a été adoptée afin de remédier aux lacunes
de la loi de 1993, notamment en ce qui concerne le rôle des
commissaires aux comptes qui se trouve raffermi et étendu à la
vérification du respect des dispositions comptables et pruden-
tielles et à l’évaluation de l’adéquation du système de contrôle
interne des établissements concernés.
Les différentes réformes du système bancaire avaient comme
objectif d’accroître l’efficience du secteur financier. Elles
comptaient tirer un ensemble d’avantages, tels que l’améliora-
tion des circuits de financement suite à un accroissement de la
concurrence et une affectation optimale des ressources ; l’aug-
mentation des gains de productivité grâce à une rationalisation
de l’activité bancaire et financière ; la baisse consécutive des
coûts d’intermédiation et la diversification de l’offre. Les effets
escomptés peuvent être divisés en deux catégories : les effets
liés à la modification des taux d’intérêt et ceux liés à l’allocation
des ressources. Grâce à l’effet marge, il est possible d’assister
à une diminution des taux d’intérêt réels avec des conséquences
favorables sur l’investissement ; en même temps, l’amélioration
des circuits de financement de l’économie devrait permettre une
meilleure exploitation des avantages comparatifs en favorisant
l’affectation des ressources dans les emplois les plus intéres-
sants, les plus rentables et, par conséquent, améliorer l’efficacité
économique nationale (Centre Marocain de Conjoncture, 2002).
1.2. Caractéristiques de l’environnementbancaire marocain
Actuellement, le système bancaire marocain est diversifié en
termes d’actionnariat, incluant des participations étrangères très
significatives. Il est aussi caractérisé par un niveau de concentra-
tion assez relatif
(les quatre premières banques contrôlent plusde 50 % du marché). Les entrées et les sorties dans le secteur
sont peu nombreuses et la distribution des parts de marché est
relativement stable. En effet, celles-ci sont dominées par peu
de banques et la compétition en matière de prix est très faible.
L’existence d’un certain contrôle sur le taux et la déficience du
marché financier crée un environnement dans lequel les banques
n’ont pas de concurrence avec d’autres sources de financement.
La supervision des banques est assez forte, que ce soit au
niveau du système global (par la banque centrale) ou au niveau
de chaque banque. De ce fait, l’organisation interne des établis-
sements de crédit souffre d’un excès de centralisation. En effet,
les décisions importantes, notamment celles relatives au crédit,sont traités par les services centraux, ce qui réduit les agences
régionales à de simples collecteurs de dépôts, alourdit les
circuits d’octroi de crédit et désharmonise la redistribution des
ressources issues du système. Ceci peut s’expliquer notamment
par le fait que les meilleures compétences en matière d’analyse
de risques relèvent des sièges, alors que dans les agences il
y a un manque de compétences. Ce qui réduit les analyses de
risque, lors de la demande d’un crédit, à des procédures de
pure forme dont les erreurs éventuelles seront couvertes par
une prise de garantie (Conjoncture, 2005).
La concentration du système et la faiblesse de concurrence
faussent donc le jeu d’un marché libéral et permet de procurer
des avantages consistants à certaines entreprises et d’en
désavantager d’autres, spécialement les PME. Ces dernières
ont des diff icultés importantes d’accès au crédit bancaire, elles
voient leurs demandes de crédit refusées, principalement à cause
du manque ou d’insuffisance de garanties (estimées lourdes),
et accessoirement par manque de confiance, soit vis-à-vis de
l’activité de l’entreprise, soit vis-à-vis de l’entrepreneur lui-même
(F. Mourji, A. Mourji & A. El Gourch, 2001). Par conséquent, elles
ne peuvent pas accéder au financement de leurs activités et de
leurs investissements.
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Dossier Imai-août 2012
Plus encore, les PME ont encore un accès très limité aux finan-
cements spécialisés (crédit-bail, factoring…) et le capital-risque
reste jusqu’à maintenant peu développé et élitiste.
D’un autre côté, les banques ont affiché une forte liquidité, (le
rapport liquidité/total des actifs a pratiquement doublé entre 1998
et 2004, passant de 62.7 % à 120.8 %). Au lieu d’être drainée
vers les investissements du secteur productif, sous forme des
emprunts à long terme, cette forte liquidité a profité plutôt aux
ménages.
Le marché monétaire marocain se caractérise actuellement
par une sous-liquidité bancaire de 22,3 milliards de dirhams1.
Laquelle reflète un déséquilibre persistant sur le marché du
crédit depuis 2007.
Au titre de l’année 2009, le résultat net des établissements
de crédit s’est apprécié de 5 % pour atteindre 10,5 milliards
de dirhams, compte tenu de l’évolution notable du produit net
bancaire. Un PNB tiré par la performance de la marge d’intérêt
et, dans de moindres mesures, de la hausse du résultat des
activités de marché. Après la hausse de 22 % en 2008, le totaldes concours des établissements de crédit a enregistré en
2009 une progression de 10,7 %. Le taux moyen des créances
en souffrance du secteur est resté globalement stable à près
de 6 %. (BAM, 2010).
D’ailleurs, les établissements bancaires marocains sont faible-
ment exposés à la crise financière, en raison principalement d’un
système de régulation et de contrôle strict qui limite étroitement
l’accès direct des institutions financières aux financements en
monnaies étrangères. En effet, seuls 3 à 4 % des actifs et des
dettes du système bancaire sont libellés en monnaie étrangère.
En majeure partie, ces actifs prennent la forme de dépôts auprès
de banques étrangères, françaises principalement. Une partieplus faible est investie en bons du Trésor, tandis qu’une part plus
modeste encore est liée à des investissements dans des f iliales
créées en relation avec les stratégies d’expansion régionale des
banques marocaines.
Au chapitre des dettes, les dépôts des non-résidents repré-
sentent seulement 1 % du total des dépôts des clients. Sur le
marché interbancaire domestique, les besoins des banques en
monnaies étrangères sont satisfaits par la BAM. Les prêts à
moyen terme accordés par des banques étrangères sont très
rares. Les nouveaux produits financiers, notamment les produits
proposés aux fonds de pension marocains, qui étaient développés
timidement en 2007, ont été stoppés net avec l’apparition de la
crise. (L. Tayebi 2009)
Les principaux bénéficiaires du concours bancaire sont les crédits
à l’habitat et les crédits à la consommation, ces derniers peuvent
certes augmenter la consommation, mais généralement des
produits importés, ce qui ne joue pas en faveur des entreprises
nationales et ne fait qu’aggraver le déficit commercial.
Ceci dit, la majorité de la population (environ 80 %, exception faite
des personnes ayant des comptes postaux), n’ont pas recours
1. 1 euro est équivalent à 11 dirhams environ.
aux services bancaires à cause de leur pauvreté, leur métier (les
établissement bancaires ciblent surtout les employés) ou leurs
convictions religieuses.
Cependant, si l’on utilise le taux de bancarisation usuellement
appliqué par Bank Al-Maghrib et qui correspond au rapport
entre le nombre de comptes (y compris les comptes : Comptes
Chèques Postaux et Caisse d’épargne nationale ouverts chez
Barid Al-Maghrib) et le total de la population, il a atteint 40 % de
la population en 2007, soit un niveau comparable à celui af fiché
par les pays de standing similaire, mais toutefois inférieur par
rapport à celui des pays développés.
Afin d’augmenter le taux de bancarisation, les banques marocaines
doivent notamment renforcer et diversifier l’offre commerciale.
L’accord signé par les membres de l’OMC en décembre 1997 sur
la libéralisation des services financiers prévoyait la libéralisation,
à partir de mars 1999, des activités internationales des diverses
sociétés financières dans 95 % du marché mondial.
Au Maroc, bien que la présence indépendante des sociétés finan-
cières étrangères soit encore très timide, cet accord constitueun signal en direction des établissements bancaires pour se
préparer à affronter, dans l’avenir, la concurrence internationale
et à adapter leurs structures aux nouvelles contraintes de la
globalisation des marchés financiers.
2. Principes et avantagesdu Banking Islamique
Le principe fondamental du Banking Islamique repose sur l’inter-
vention directe de la banque dans les transactions financées
par elle. La rémunération qu’elle perçoit se justifie : soit par saqualité de copropriétaire, aux résultats du projet financé (pertes
ou profits) dans le cas d’une Moudharaba ou d’une Moucharaka ;
soit par la prestation de commercialisation ou de location de biens
préalablement acquis par elle, dans le cas d’une Mourabaha,
d’un Ijara (Leasing/Location-vente) ou d’un Salam ; soit enfin, par
la fabrication/construction de biens meubles ou immeubles par
ses soins ou par des tiers, dans le cas d’un Istsina‘a.
La règle générale est que la monnaie n’est, du point de vue
islamique, qu’un simple intermédiaire et un instrument de mesure
dans les échanges de produits. Même si, en parallèle, elle assure
une fonction de réserve de valeur, elle ne peut produire de surplus
que dans la mesure où elle est transformée préalablement en
bien réel.
(Albaraka-bank, 2007)
Néanmoins, la Finance Islamique a une vision particulière sur le
partage des risques et des profits entre les différentes parties
prenantes dans une transaction financière. La Charia préconise
un partage « équitable » des gains et des risques entre l’inves-
tisseur (le prêteur) et l’entrepreneur (l’emprunteur), quelle que
soit la forme de financement utilisée. Une transaction finan-
cière, qui transfère l’ensemble des risques associés à un projet
d’investissement sur une seule des parties prenantes, est donc
contraire aux principes de la Charia. Ainsi, certaines formes de
financement issues du système financier conventionnel sont tout
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à fait conformes à l’esprit de la Charia et transposables dans un
système financier islamique alors que, d’autres, et notamment
le contrat de dette classique, en sont automatiquement exclues.
(E. Jouini et O. Pastré, 2008)
La participation aux risques de l’entreprise va conduire les
banques à adopter certains rapports banques – entreprises
différents de ceux existant dans les banques classiques. Du
fait de leur participation aux projets, les banques islamiques
adopteront vis-à-vis de l’entreprise un rapport de partenariat.
Elles se soucient de sa rentabilité future, de sa compétitivité
ainsi que de sa performance. Pour ce faire, elles jouent le rôle
du conseiller, allant même parfois jusqu’à déléguer certains de
leurs cadres pour participer directement à la gestion de l’entre-
prise (M. Zein, 1992).
Par ailleurs, la demande de financement des PME naissantes
nécessite des crédits à long et moyen termes, le développement
des PME ne peut donc se faire qu’avec une politique basée sur
des ressources longues. Malheureusement, les banques commer-
ciales ont toujours privilégié le financement à court terme oucontinuent d’exiger des garanties importantes parce que leurs
principales ressources proviennent des dépôts à vue ou à terme.
Toutefois, il ressort que les produits offerts par les banques
islamiques pourraient être particulièrement adaptés aux besoins
des PME et ce, pour quatre raisons :
– La faiblesse des PME en fonds propres est bien connue
et constitue, en effet, un obstacle majeur à l’accès au crédit
bancaire ; or, le financement islamique n’exige pas d’apport en
fonds propres et moins de garanties par rapport aux banques
classiques. L’endettement excessif résultant de cette faiblesse
en fonds propres entraîne des frais financiers importants et met
en péril l’équilibre financier de la PME tout entière ; or le finan-cement islamique ne permet pas l’imposition d’intérêts fixes,
il est basé sur le principe du partage des pertes et des profits.
– La banque peut faire jouer son poids et ses relations, alors
qu’une PME seule ne fait pas le poids sur les marchés et doit
souvent subir des fluctuations importantes dans l’approvision-
nement des inputs.
– La gestion de bon nombre de PME est loin de créer la confiance
dans une banque ; or, le financement islamique privilégie la
relation Banque - PME plutôt à long terme, dans un partenariat
avec notamment un rôle actif de la banque dans la gestion de
l’affaire (voir la Musharakah). (I. BA, 2006)
3. Situation marocaine
Actuellement, un grand nombre de Marocains considère les
établissements bancaires non conformes aux préceptes de
l’islam et ne traite avec eux qu’en cas de besoin extrême. Quitte
à recourir aux circuits parallèles, proposant des prêts exempts
d’intérêts, en particulier pour le financement immobilier. L’attrait
de ce type de f inancement réside dans le fait qu’il se revendique
charia compliant, la Charia interdisant toute transaction financière
porteuse d’intérêts. Mais de telles pratiques existant en-dehors
de tout contrôle par les autorités financières présentent des
risques de fraude, de blanchiment d’argent ou de financement
d’activités criminelles ou terroristes (E. Jouini et O. Pastré, 2008).
Cependant, le Maroc a refusé de nombreuses demandes (notam-
ment celles de Qatar International Islamic Bank et de Noor Islamic
Bank), contrairement à ses voisins maghrébins qui ont autorisé
l’introduction des banques islamiques.
En fait, le Maroc souffre de l’absence de législation adaptée,
puisque le droit des contrats en vigueur (inspiré en grande partie
du droit français) ne réglemente pas les contrats basés sur le
droit musulman, de même que le droit des sociétés.
Les banques marocaines se sont organisées en lobby afin
d’empêcher la création ou l’émergence du système bancaire
islamique, car elles ont peur que ce système réalise un succès
comme cela s’est produit dans d’autres pays musulmans.
Le gouvernement marocain n’est pas favorable à la création
d’un système bancaire islamique car celui-ci, en apportant une
dimension éthique et morale à la gestion de l’argent, risque de
conduire à une islamisation des af faires, de la société et ausside la politique (H. Zaouali, 2005).
En octobre 2006, BAM a cédé aux pressions des banques et du
marché, en élaborant, un cadre réglementaire pour trois produits
conformes à la Charia islamique, dénommés produits alternatifs
(afin d’éviter l’adjectif « islamiques »), il s’agit de Ijara, Mourabaha et
Moucharaka. Le but est d’élargir la gamme de services bancaires
et de contribuer à une meilleure bancarisation de l’économie.
Ceci dit, les nouveaux produits financiers autorisés concernaient
uniquement le financement, et non les dépôts, puisque, selon
BAM, les citoyens marocains, préférant conduire des transactions
sans intérêt, peuvent déposer leur argent auprès des banques
traditionnelles sous la forme de dépôts non productifs, ce quiest d’ailleurs le cas, car ils représentent actuellement 53 % des
dépôts en espèces dans les banques marocaines. D’ailleurs, les
dépôts à vue auprès des banques ne cessent d’augmenter, ils
ont enregistré, en juin 2010, une variation positive de 7 % par
rapport à la même date de l’année précédente. Alors que, au
cours de la même période, les dépôts à terme ont connu une
variation négative de 8,6 %. (BAM, 2010)
Ces produits sont alignés sur les règles prudentielles et
comptables de BAM. Les mesures de gestion des risques sont
les mêmes que pour les produits conventionnels.
Plus encore, afin qu’elle s’aligne sur les standards internationaux,
l’offre de ces produits a donné lieu à la signature de contrats
établis sur la base des règles édictées par l’AAOFI - The Accounting
and Auditing Organization for Islamic Financial Institutions ».
4. Risques, difficultés de mise enplace et adaptation progressivedu contexte
Le succès des produits islamiques dépend des facteurs intrin-
sèques aux établissements bancaires. La banque supporte des
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Dossier Imai-août 2012
risques inhabituels pour une banque commerciale en tant que
cocontractante aux termes du contrat de vente. L’ensemble
des risques attachés à ce transfert de propriété et à la position
de revendeur que prend ainsi le banquier, n’entre évidemment
pas dans des schémas traditionnels. Sur le plan juridique, cela
comporte un certain nombre de conséquences non négligeables.
Ainsi, le banquier supporte-t-il nécessairement la garantie des
vices cachés. Cette situation se traduit par un risque que le
banquier conventionnel ne peut ni ne sait prendre. (A. El Akhdari,
2008).
La multiplication des transactions d’achat, de vente et de location
accumule les risques de documentation. Les risques opérationnels
s’en trouvent augmentés, d’autant plus qu’ils sont nourris par
les risques juridiques qui découlent de l’inflation contractuelle.
De surcroît, les risques d’exécution des contrats sont plus élevés
que pour de simples opérations de débours de liquidité.
Enfin, les effets de viscosité organisationnelle induits par l’insuffi-
sance de flexibilité des process peut dilater le temps de réaction
des banques islamiques, qui constitue aujourd’hui un avantageconcurrentiel : les risques stratégiques s’en trouvent accrus.
(A. Hassoune, 2008)
La finance islamique est un compartiment de la finance éthique.
Religieux, ses ressorts sont aussi d’ordres psychologiques et
sociaux. Par conséquent, son capital « réputationnel », son image,
sa crédibilité sont autant d’actifs intangibles mais puissants ;
ils sont aussi source de risques. Les risques de réputation
sont difficiles à identifier, à cerner, à quantifier et à réduire. (A.
Hassoune, 2008)
Un système financier islamique doit faire face aussi bien aux
risques communs encourus par les banques traditionnelles en
tant qu’intermédiaires financiers (de crédit, de marché, d’illi-quidité, opérationnel, etc.), qu’aux risques qui lui sont propres.
En effet, la rémunération des dépôts d’investissement par une
ponction des bénéfices induit un risque de retrait, un risque
fiduciaire et des risques commerciaux déplacés. (T. Khan et H.
Ahmed, 2002)
Les banques marocaines ont commencé à commercialiser les
produits islamiques en octobre 2007. Les lancements succes-
sifs de ces produits dits alternatifs se sont toutefois effectués
discrètement, ce qui est largement justifié.
En effet, les montages de financements islamiques sont généra-
lement structurés de telle manière que plusieurs transferts
de propriété sont nécessaires, chaque transfert de propriété
supposant un droit de mutation (une taxation).
Lors de leur lancement, et malgré l’intérêt manifesté par les
clients, les produits islamiques ont eu du mal à décoller car ils
coûtent plus cher que les produits classiques.
D’une part, le taux de rentabilité exigé par la banque est au
maximum car le prix fixé est définitif et ne peut donner lieu à
aucune révision par opposition au taux d’intérêt. Ce qui génère
des marges à supporter par le client plus importantes que les
intérêts supportés dans le cadre d’un financement conventionnel.
D’autre part, le cadre juridique marocain n’était pas encore adapté
aux montages de la finance islamique, ce qui a posé le problème
de la double taxation qui peut se traduire concrètement soit par
le paiement double de la TVA (vente de biens), ou des droits de
mutation (foncier) ou encore des droits d’enregistrement dans
le cas de cession de parts. Les frais supplémentaires ont alors
pesé lourd sur le coût de ces produits, ils les ont pénalisés sur
le plan concurrentiel. (A. El Akhdari, 2008).
C’était le cas de Mourabaha, produit-phare du package alter-
natif car il consiste en un double transfert de propriété. Il a été
assujetti, jusqu’à 2008, à une double imposition au titre des
droits d’enregistrement, d’abord lors de l’acquisition du bien par
l’établissement de crédit, ensuite lors de la revente au client final
qui devait supporter la charge fiscale accumulée du début jusqu’à
la fin. La loi de finances 2009 a pallié ce dysfonctionnement
en appliquant le droit d’enregistrement à la seule première opération
d’acquisition qui est réalisée par la banque. Ainsi, l’acquéreur n’est plus
tenu de payer des droits d’enregistrement.
Ce produit ainsi que les autres (notamment Ijara) ont été assujettis
à une surtaxation en matière de TVA, en appliquant le taux de
20 % (taux appliqué sur les opérations commerciales), aussibien sur le remboursement du capital principal que sur la marge
de la banque.
Ce n’est qu’en 2010, que la loi de finances a réduit la TVA de
20 à 10 %, taux en vigueur pour les opérations bancaires. Il
s’appliquera sur la marge bénéficiaire de la banque sans toucher
le montant « principal » de l’emprunt, comme dans le cas d’un
emprunt avec intérêts. La taxation des produits alternatifs s’ali-
gnera sur celle des produits classiques.
D’ailleurs, la loi de finance 2010 a instauré d’autres réformes
fiscales favorisant les produits alternatifs. Ainsi, dans le cadre
d’un contrat Mourabaha, la rémunération convenue d’avance
avec la banque sera déduite dans la limite de 10 % du revenuglobal imposable du salarié.
Aussi, le traitement des acquisitions par contrat de crédit-bail
immobilier a été harmonisé avec les autres modes de financement
en ce qui concerne les droits d’enregistrement.
Concernant les établissements bancaires, les produits islamiques
étaient ressentis comme une menace pour les produits conven-
tionnels. De plus, les ressources humaines manquent de compé-
tences en ce domaine.
D’un autre côté, les banques et sociétés de financement sont
obligées de se procurer de l’argent à prêter sur le marché inter-
bancaire existant. Ainsi, le produit lui-même est conforme à la
Charia, mais le système est mixte. C’est pourquoi les oulémas
(savants dans la Charia) marocains sont toujours divisés sur le
caractère licite ou non de cette famille de produits.
Afin d’éviter une remise en question de leur conformité, certaines
banques de la place ont entamé leurs préparatifs pour ouvrir des
structures spécialisées exclusivement dédiées à la commercia-
lisation des produits dits alternatifs. Ces dernières disposeront
de leurs propres capitaux et pourront prouver que leurs fonds
proviennent de produits à marge conforme à la charia. Cette
option est également utile sur le plan technique, car elle permet
le regroupement des produits bancaires alternatifs d’un établis-
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Dossier III mai-août 2012
sement dans une seule filiale, ce qui facilitera l’établissement
des comptes sans intérêt, la spécialisation, etc.
Conclusion
Malgré leur coût élevé, le manque de communication sur les
produits islamiques et la faible formation des cadres bancaires,
ces produits ont connu un grand succès auprès des Marocains.
En effet, le nombre des dossiers du produit Mourabaha a
presque doublé entre 2008 et 2009, en passant de 2 768 (soit
un encours de 344 millions de dirhams) à 4 081 dossiers (soit
457 millions de dirhams).
Signalons que, outre des trois produits islamiques actuellement
commercialisés que sont Mourabaha, Ijara et Moucharaka, BAM
et le Groupement professionnel des banques du Maroc ont décidé
de mettre deux nouveaux produits destinés aux entreprises, sur
le marché. Il s’agit du contrat Salam, qui convient parfaitement
au financement des artisans et agriculteurs, et du contrat AlIstisnaâ, qui ressemble au leasing réservé aux professionnels
et qui peut concerner autant les biens meubles que les biens
immeubles.
Le lancement des deux nouveaux produits ne peut être opéré
avant de parfaire leur traitement fiscal en collaboration avec
la
Direction générale des impôts.
Toutefois, le Maroc doit fournir plus d’effor ts en matière de forma-
tion dans la finance islamique, la réforme fiscale et juridique.
Certes, l’ouverture des structures spécialisées dans les produits
islamiques ne peut que favoriser leur commercialisation et
augmenter le taux de bancarisation de l’économie. Cependant, le
Maroc doit revoir sa politique envers les banques islamiques. Enfait, les filiales des banques traditionnelles ne peuvent remplacer
les banques islamiques au sens propre du terme, parce qu’elles se
limiteront à commercialiser 5 produits au plus (Mourabaha, Ijara,
Moucharaka, Salam, Istina’a), alors que la gamme des produits
offerts par les banques islamiques est plus large. Aussi, il y aura
toujours une partie de la population qui refusera de recourir à
ces filiales en raison de la mixité du système.
Enfin, les banques islamiques permettront l’entrée des fonds
importants entraînant l’accroissement des investissements et
l’amélioration du niveau du développement du pays. Une évolution
qui ne peut être réalisée par les banques en place actuellement.
Glossaire
AAOIFI - The Accounting and Auditing Organization for Islamic
Financial Institutions : c’est un organisme international basé à
Bahreïn et spécialisé dans la conformité des produits financiers
à la Charia, il compte 130 membres, représentant 29 pays.
Charia : Loi canonique musulmane régissant la vie religieuse,
politique, sociale et individuelle.
Ijara : c’est un contrat de location de biens assorti d’une promesse
de vente au profit du locataire. Il s’agit d’une technique de
financement relativement récente qui fait intervenir trois acteurs
principaux :
– le fournisseur (fabricant ou vendeur) du bien,
– le bailleur (en l’occurrence la banque qui achète le bien pour
le louer à son client),
– le locataire qui loue le bien en se réservant l’option de l’acquérir
définitivement au terme du contrat de location.
De la définition précédente, il découle que le droit de propriété
du bien revient à la banque durant toute la période du contrat,
tandis que le droit de jouissance revient au locataire.
Istisna’a : c’est un contrat d’entreprise en vertu duquel une
partie (MOUSTASNI’I) demande à une autre (SANI’I) de lui fabri-
quer ou construire un ouvrage moyennant une rémunération
payable d’avance, de manière fractionnée ou à terme. Il s’agit
d’une variante qui s’apparente au contrat Salam, à la différence
que l’objet de la transaction porte sur la livraison, non pas de
marchandises achetées en l’état, mais de produits finis ayant
subi un processus de transformation.
Moucharaka : c’est une association entre deux par ties (ou plus)
dans le capital d’une entreprise, projet ou opération moyennant
une répartition des résultats (pertes ou profits) dans des propor-
tions convenues. Elle est basée sur la moralité du client, la
relation de confiance et la rentabilité du projet ou de l’opération.
Mourabaha : c’est un contrat de vente au prix de revient majoré
d’une marge bénéficiaire connue et convenue entre l’acheteur et
le vendeur. La Mourabaha peut revêtir deux aspects :
transaction directe entre un vendeur et un acheteur,
transaction tripartite entre un acheteur final (ou donneur d’ordre
d’achat), un premier vendeur (le fournisseur) et un vendeur inter-
médiaire (exécutant de l’ordre d’achat).
Salam : peut être défini comme un contrat de vente avec livraison
différée de la marchandise. Ainsi, contrairement à la Mourabaha, la
banque n’intervient pas comme vendeur à crédit de la marchandise
acquise sur commande de sa relation, mais comme acquéreur,
avec paiement comptant d’une marchandise qui lui sera livrée
à terme par son partenaire.
Bibliographie
Albaraka Bank, Les instruments de la banque islamique, www.
albaraka-bank.com
d’Andria Aude « Existe-t-il des alternatives aux banques capita-
listes ? » Un éclairage sur d’autres pratiques financières (re)créant
du lien social », La Revue des Sciences de Gestion 2011/3-4
(n° 249-250) 176 pages. I.S.B.N. 9782916490298
Ba Ibrahima, « PME et institutions financières islamiques »,
Synthèse de Bérangère Delatte, site/annuaire horizon local de
Globenet.org, 2006, version archivée en ligne sur :
http://www.globenet.org/horizon-local/ada/2596pme.html -
consultée le 25 avril 2012
8/18/2019 Les Produits Financiers Alternatifs
http://slidepdf.com/reader/full/les-produits-financiers-alternatifs 7/8
8/18/2019 Les Produits Financiers Alternatifs
http://slidepdf.com/reader/full/les-produits-financiers-alternatifs 8/8
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