Les professeurs du Muséum et l’organisation de l’enseignement des sciences

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    Les professeurs du Muséum et

    l’organisation de l’enseignement des sciences Nicole HulinCentre Alexandre Koyré

     IntroductionAu XIXe  siècle un dialogue s’est instauré entre le pouvoir politique et le monde

    scientifique. En centrant l’intérêt sur les domaines d’intervention des professeurs on aborde

    des aspects variés de l’organisation de l’enseignement scientifique. Ici l’intérêt se porte sur

    les professeurs titulaires d’une chaire au Muséum d’histoire naturelle ou autres scientifiques

    qui ont eu un lien avec cette institution.

    Dans une première partie nous abordons les lignes générales de l’évolution de

    l’enseignement scientifique, puis dans une deuxième partie nous traitons de questions liées à

    la pédagogie des sciences naturelles.

     Première partie

    1. Plaidoyer pour les sciences [2] [7]

    Au XIXe  siècle un premier objectif est de convaincre de développer l’enseignement

    scientifique, ce qui implique de convaincre d’abord de l’utilité générale des sciences. Georges

    Cuvier (1769-1832) [chaire 1802] s’y emploie en profitant d’un article, publié dans le

     Moniteur  en 1807, où il analyse le Traité élémentaire de minéralogie  qu’Alexandre

    Brongniart (1770-1813) avait été chargé de rédiger par le Gouvernement pour l’enseignement

    dans les lycées (créés en 1802). En introduction Cuvier traite de la part à faire aux sciences et

    aux lettres dans l’instruction en présentant un plaidoyer pour les sciences dont il souligne

    l’utilité. Sous le Consulat, conjointement avec Jean-Baptiste Delambre, il avait conseillé

    Pierre-Louis Roeder, directeur de l’Instruction publique, pour un projet d’organisation

    établissant le triple enseignement des sciences mathématiques et des sciences de la nature –

    sciences physiques et naturelles.

    Les lignes du plaidoyer de Cuvier publié en 1807 seront reprises par Hippolyte

    Fortoul, sous le Second Empire, pour conclure les instructions de 1854 qui accompagnent le

    nouveau plan d’études établi par le décret d’avril 1852. Juste après la promulgation de ce

    décret, un discours prononcé par Armand Quatrefages de Bréau (1810-1892) [chaire 1855]

    fait écho aux propos de Cuvier tout en insistant sur les bienfaits des applications de la science.

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    2. Place des sciences naturelles [6]

    Le début du XIXe siècle est marqué par la prééminence accordée à la culture littéraire

    et la place réduite accordée aux sciences de la nature, l’histoire naturelle occupant une place

    modeste et indécise. Sous la Monarchie de Juillet pendant le premier ministère (1837-1839)

    d’Achille de Salvandy, le Conseil Royal, abordant la question de l’enseignement scientifique,

    s’interroge sur les modifications à apporter à l’enseignement de l’histoire naturelle et décide

    de le laisser dans les classes inférieures tout en réformant les programmes. Cette question

    avait été abordée par Frédéric Cuvier (1773-1838) [responsable  de la Ménagerie du

     Muséum], dans un article de janvier 1838 dans le Journal des savants, expliquant :

    « Il existe deux manières d’enseigner : empiriquement et scientifiquement. La

    première excite la curiosité et conduit à la connaissance de faits et de généralités

    sans exiger d’effort sérieux de raisonnement. Elle convient à tous les âges, donc

    aux classes de 6e et de 5e. La seconde instruit par un travail méthodique, elle exige

    le concours des autres sciences pour comprendre la plupart des phénomènes

    naturels : elle ne convient qu’aux classes supérieures. »

    En 1840, sous le ministère de Victor Cousin, l’enseignement scientifique est reporté en classe

    de philosophie et, pour l’histoire naturelle, il est recommandé de faire les liaisons avec les

    enseignements de physique et de chimie ainsi que de philosophie.

    L’organisation de l’agrégation des lycées est caractéristique de la situation faite à

    l’histoire naturelle. Celle-ci ne comporte pas d’histoire naturelle jusqu’à l’instauration, en

    1840 par Victor Cousin, d’une double spécialisation (mathématiques, sciences physiques et

    naturelles) [épreuves composition, argumentation, leçon] avec, dans cette dernière, trois

    compositions dont une d’histoire naturelle. Toujours en 1840 est créée l’agrégation des

    facultés pour recruter les suppléants des professeurs de facultés, agrégation complètement

    spécialisée, ce concours exigeant des candidats le doctorat dans la discipline. Au jury du

    concours de 1840 pour les sciences naturelles, on trouve le botaniste Charles-François deMirbel (1776-1854) [aide naturaliste au Muséum 1796 ], les zoologistes Isidore Geoffroy

    Saint-Hilaire (1805-1861) [chaire 1841], Henri Milne Edwards (1805-1885) [chaire 1841],

    Jean-Victor Audouin (1797-1841) [chaire 1833]. Pour l’épreuve d’argumentation (une des trois

    épreuves avec la composition et les leçons) une liste de questions est établie avec la collaboration des

    zoologistes Isidore Geoffroy Saint-Hilaire et Achille Valenciennes (1794-1865) [chaire

    1832]. Un second concours sera organisé en 1847. Les questions retenues pour

    l’argumentation sont plus nombreuses qu’en 1840, 26 au lieu de 16 précédemment ; desquestions de 1840 sont reprises ou éclatées en deux mais un renouvellement important est

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    opéré. La notion de classification, présente trois fois en 1840, disparaît en 1847 et des

    questions nouvelles sont introduites comme celle sur « l’influence de la méthode

    expérimentale sur les progrès de la physiologie ». Des changements apparaissent liés à

    l’évolution de la science.

    3. Plan d’études des collèges [1]

    S’agissant des études dans les collèges royaux, la nécessité va apparaître de les

    diversifier et de constituer un enseignement distinct de l’enseignement classique. Sous le

    deuxième ministère (1845-1848) Salvandy est constituée, en novembre 1846, une

    Commission pour examiner les développements à donner aux enseignements scientifiques.

    Henri Milne Edwards (1800-1885) [chaire 1841] est membre de cette Commission dont Jean-

    Baptiste Dumas est le président et le rapporteur. En janvier 1847 sont publiées dans La Presse 

    des lettres sur l’organisation de l’enseignement scientifique dont une de Milne Edwards. Le

    rapport sera remis par Dumas en avril 1847. Dans le plan d’études proposé, à l’issue de la

    classe de 4e, l’élève peut poursuivre son cursus au sein du « collège littéraire » ou entrer au

    « collège scientifique », cette deuxième voie est plus courte d’une année que la première et est

    sanctionné par un diplôme de bachelier. Ces propositions ont reçu un début d’application par

    le statut de mars 1847, avec l’instauration à partir de la 3e, à côté du « cours régulier des

    études classiques » d’un « enseignement spécial ». Toutefois cette voie n’est pas sanctionnée

    par un diplôme. Dans une lettre adressée au Ministre et contresignée par Milne Edwards,

    Dumas laisse percevoir sa déception :

    « Le plan d’études scientifiques que le Conseil royal a adopté diffère à peine  de

    celui que la Commission avait élaboré. Bien organisé, […] consacré par la sanction

    définitive et officielle d’un grade universitaire son succès n’est pas douteux. »

    Les idées, exposées par Dumas dans le rapport de 1847, vont trouver un nouveau champ

    d’application avec la réforme de la « bifurcation des études » mise en place par le ministre

    Hippolyte Fortoul sous le Second Empire. Dumas dira alors que tous ses efforts antérieurs ontété « entravés par des lenteurs calculées, rendus stériles au moment même de l’exécution par

    des déviations habiles ». Avec la réforme Fortoul (décret d’avril 1852), après la classe de 4 e 

    sont établies deux sections – lettres et sciences – équivalentes par la durée et la sanction des

    études, le baccalauréat ès sciences étant désormais indépendant du baccalauréat ès lettres. Une

    Commission (« commission mixte ») est constituée en juin 1852, à laquelle appartient

    Adolphe Brongniart (1801-1876) [chaire 1833] ; elle remet son rapport en juillet et les

    programmes sont publiés en août.

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    4. Agrégation des lycées [6]

    Conjointement avec la réforme de la « bifurcation des études » l’agrégation des lycées

    est profondément modifiée : unicité de l’agrégation associée à un souci d’équilibre entre les

    disciplines, suppression de l’argumentation et instauration d’épreuves pratiques, Trois

    compositions constituent les épreuves préparatoires, et les épreuves définitives comprennent :

    les épreuves pratiques constituées de deux opérations, deux leçons la « grande » [sujet 24 h à

    l’avance], qui porte sur la partie des sciences non retenue dans les épreuves pratiques, et la

    « petite » [improvisée], appréciation des 2 leçons d’un autre candidat. Le jury (pléthorique) se

    répartit la correction des compositions suivant les spécialités ; ainsi en 1853 pour les sciences

    naturelles ce sont Adolphe Brongniart, Gabriel Delafosse (1796-1878) [chaire 1857 ],

    Armand de Quatrefages de Bréau qui s’en chargent. Confiée au chimiste Dumas en 1853, au

    mathématicien Urbain Le Verrier en 1854, la présidence du jury revient à Adolphe Brongniart

    en 1855 ; celui-ci rédigera deux rapports à l’issue du concours.

    Le premier rapport porte sur les résultats du concours de 1855 avec un commentaire

    sur les différentes épreuves, et dans le deuxième rapport il formule des critiques sur

    l’organisation du concours dont il a constaté certains défauts après trois années de

    participation, puis il fait des propositions pour sa réorganisation. Brongniart explique que

    l’appréciation des leçons par un autre candidat est difficile à juger par le jury, et que seule une

    des épreuves pratiques et la leçon improvisée « épreuves qui sont réellement en rapport avec

    la nature des études et de l’enseignement du candidat » ont une vraie valeur. Il écrit :

    « Il me paraît qu’à vouloir trop généraliser les connaissances des candidats, on

    abaisse leur niveau dans la spécialité d’enseignement dont ils sont chargés dans les

    lycées et on rend l’appréciation de leur mérite réel très difficile par le jury. »

    Le règlement de 1855 apportent des modifications qui répondent aux critiques formulées par

    Brongniart : suppression de l’appréciation des leçons d’un autre candidat, une seule épreuve

    pratique au choix et la leçon improvisée au choix, deux leçons indiqués 24h à l’avance(géométrie élémentaire et physique élémentaire). Dumas, qui préside le jury en 1856, apprécie

    la nouvelle forme de l’examen. (jury de 9 membres : 4 en mathématiques, 3 en sciences physiques, 2 en

    sciences naturelles dont Armand de Quatrefages).

    La double spécialisation sera rétablie en 1858 (ministère Rouland), puis la triple

    spécialisation instaurée en 1869 (ministère Duruy) ; mais le premier concours spécialisé de

    sciences naturelles ne sera organisé qu’en 1881. Dans cette période intermédiaire les sciences

    naturelles restent présentes à l’agrégation de sciences physiques ; de 1869 à 1878 PaulGervais (1816-1879) [chaire 1868] fait partie du jury ; il y est remplacé par Edmond Perrier

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    (1844-1921) [chaire 1876, directeur 1900] en 1879 et 1880, qui passe au jury de l’agrégation

    de sciences naturelles en 1881.

    Pour se présenter à l’agrégation une condition est imposée au niveau de la licence.

    Lorsqu’en 1896 la licence est définie par des certificats (trois), quatre sont requis pour

    l’agrégation ; en sciences naturelles sont exigés : zoologie ou physiologie générale, botanique,

    géologie, physique générale ou chimie générale. Louis Mangin (1852-1937) [chaire 1904,

    directeur 1919], qui préside le jury de 1924 à 1931, dans son rapport sur le concours 1926,

    émet des critiques sur ce mode de groupement après avoir constaté que les épreuves de

    zoologie sont les plus faibles de toutes :

    « Cette faiblesse est la conséquence du groupement des certificats exigés […] les

    candidats ont le choix entre le certificat de zoologie et celui de physiologie […]

    Comme le certificat de zoologie exige pour sa préparation un temps beaucoup plus

    long que celui de physiologie, les candidats choisissent ce dernier de préférence. En

    conséquence ils sont d’une grande faiblesse en zoologie. »

    5. Le baccalauréat [1] [6] [7] 

    En 1808 lors de la création du baccalauréat, pour obtenir le baccalauréat ès sciences il

    faut avoir d’abord le baccalauréat ès lettres. En 1821 sont distingués le baccalauréat ès

    sciences mathématiques et le baccalauréat ès sciences physiques pour ceux qui se destinent

    aux sciences naturelles et à la médecine. En 1852 le baccalauréat ès sciences devient

    indépendant du baccalauréat ès lettres. En 1858 est créé le baccalauréat ès sciences « restreint

    pour la partie mathématique » à l’intention des étudiants en médecine.

    Mais jugeant que le baccalauréat – régime 1852 « imposait à tous les candidats

    l’obligation de consacrer une partie notable de leur temps à l’acquisition de certaines

    connaissances spéciales dont ils devaient ne tirer que peu de profit et les empêchait par

    conséquent d’approfondir d’autres sciences », Henri Milne Edwards remet en 1877 un projet

    de décret rétablissant le baccalauréat ès sciences mathématiques. Henri de Lacaze Duthier(1821-1901) [chaire 1865] formule des critiques à son tour sur ce baccalauréat unique (1882,

    1885) et il propose d’établir deux baccalauréats spéciaux : « ès sciences mathématiques et

    physiques » et « ès sciences physiques et naturelles », expliquant :

    « Sans doute on ne peut étudier à fond la physique sans avoir une instruction solide

    en mathématiques. Mais la physique et la chimie, nécessaires au naturaliste et au

    médecin, ne demandent pas les connaissances étendues de mathématiques exigées et

    exigibles avec raison pour la licence ès sciences physiques. »

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    Finalement en 1890 à ces divers baccalauréats (ès lettres, ès sciences et ès sciences restreint

    pour la partie mathématique) va être substitué un baccalauréat unique de l’enseignement

    secondaire classique en deux parties passées à un an d’intervalle.

     Deuxième partie

    1. L’enseignement féminin [5] [6]

    Perrier et l’enseignement de la zoologie 

    ()*+,-. /.+ /012.+ +)nt créés en 1802 ils ne concernent que les seuls garçons.

    L’enseignement secondaire féminin ne sera fondé que huit décennies plus tard, à l’initiative

    du député républicain Camille Sée. Toutefois des cours secondaires de jeunes filles seront

    établis sous le ministère Duruy, mais leur organisation, laissée aux pouvoirs locaux, n’est pas

    uniforme sur tout le territoire.

    Dès son arrivée au ministère de l’Instruction publique Victor Duruy note la nécessité

    d’« organiser l’éducation des filles ». Répondant à l’appel du ministre, formulé dans la

    circulaire du 30 octobre 1867, se crée alors une Association pour l’enseignement secondaire

    des jeunes filles où figurent d’éminents professeurs et dont Henri Milne Edwards est le

    président.

    En décembre 1867 commence la première année des cours à la Sorbonne, comprenant

    des enseignements littéraires et scientifiques. Pour la deuxième année du fonctionnement, les

    cours vont comprendre deux niveaux, chacun étant réparti sur deux trimestres. Paul Bert

    (1833-1886), qui est alors chargé de cours en physiologie comparée au Muséum (comme

    suppléant de Pierre Flourens), enseigne la zoologie au premier trimestre dans les cours des

    deux niveaux. Il va assurer cet enseignement pendant dix ans, et, quand il publie ses leçons en

    1881, il en souligne la réussite prouvée par les « excellentes compositions » remises en

    correction par ses élèves. L’enseignement d’histoire naturelle comprend aussi un cours de

    botanique au deuxième trimestre, assuré au premier niveau par Philippe Van Tieghem (1839-

    1914) [chaire 1878].

    C’est en octobre 1878 que Camille Sée (1847-1919) dépose un projet de loi

    concernant l’enseignement secondaire des jeunes filles. La loi est votée le 21 décembre 1880.

    Après le vote de la loi, la mise en œuvre va relever du Conseil supérieur de l’Instruction

    publique. Le décret du 14 janvier 1882 définit un cursus de cinq années, Il s’agit donc d’un

    cursus plus court que celui des garçons, ne conduisant pas au baccalauréat et, par conséquent,

    n’ouvrant pas l’accès des facultés.

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    [Cette barrière vers l’enseignement supérieur n’est pas antinomique avec la position exprimée par Camille Sée

    dans une intervention à la Chambre des députés en janvier 1880 :

    « Je ne dis pas qu’il faille comme aux États-Unis, organiser l’enseignement supérieur des femmes.

    L’enseignement supérieur s’adresse à des jeunes gens qui en général veulent embrasser une carrière

    [...] Je sais qu’il est des jeunes filles qui ont leur diplôme de docteur en médecine ; mais ce sont derares exceptions, et s’il faut dire toute ma pensée, je crois que nous aurons toujours trop peu de sages-

    femmes et assez de docteurs femelles. »]

    Les programmes sont fixés par l’arrêté du 28 juillet 1882. Notons que, pour les cours de 1re et

    2e années, Louis Mangin (1852-1937) [chaire 1904] publie en 1884 un manuel  Éléments de

    botanique chez Hachette et qu’Edmond Perrier publie en 1885, chez le même éditeur, un

    Précis de physiologie animale pour l’enseignement de 3e et 4e années.

    Ces programmes établis pour l’enseignement féminin, Edmond Perrier (1844-1921)

    [chaire 1876 ] les analyse dans deux longs articles abordant les questions de la distribution des

    matières, des contenus et de la méthode d’enseignement. Dans le premier article publié en

    1883, il s’intéresse à l’enseignement de la première période (3 ans) en botanique, zoologie et

    géologie ; le second article, paru en 1884, est consacré à la physiologie animale, et Perrier en

    profite pour répondre point par point aux différentes objections faites à son introduction.

    En première année du cursus, où il convient de fixer l’attention des élèves, « la mise

    en scène matérielle est tout indiquée dans le programme » explique Perrier qui résume lesprescriptions faites aux professeurs par le Conseil supérieur :

    « Enseignez aussi simplement que possible ; allez du connu à l’inconnu, de

    l’observation vulgaire à l’observation plus difficile ; mettez vos élèves en présence

    des faits ; faites naître chez eux des idées et épargnez-leur les mots inutiles [...]

    laissez à la fin de cette 1re année une idée nette des grands types généraux auxquels

    peuvent être ramenés les animaux et les plantes [...] »

    Puis il commente. Dans l’enseignement de 1re

     année il convient de fixer l’attention des élèveset « la mise en scène matérielle est tout indiquée dans les programmes » : « les grands dessins

    imprimés disposés pour l’exposition murale, rendront de réels services » ; il en est de même

    de l’usage fréquent du microscope, indiqué par le programme, bien qu’il puisse paraître

    excessif ; l’emploi des animaux ou des végétaux vivants, surtout s’ils ont été recueillis par les

    élèves elles-mêmes retiendra mieux l’intérêt que l’utilisation des échantillons de collection ;

    les excursions bien préparées et conduites par le professeur seront profitables. S’il est

    intéressant de faire connaître l’exacte signification des mots, « ce n’est pas une raison nonplus, ajoute Edmond Perrier, pour exagérer dans ce sens et bourrer la tête des enfants de tout

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    le vocabulaire zoologique ou botanique ». [Ce verbalisme est dénoncée par Louis Liard en 1904 en

    utilisant une image : « ce n’est pas faire œuvre d’éducateur que de piquer des étiquettes dans les cerveaux ».]

    En 2e  année, après l’étude de la géologie, le second semestre est consacré aux

    applications de la zoologie et de la botanique. Edmond Perrier se dit ici « tenté de chercher

    une petite querelle aux programmes officiels » et exprime le regret que, pour la rédaction du

    programme, on ait adopté le point de vue pratique de l’enseignement spécial  des lycées de

    garçons :

    « [...] pourquoi s’être placé au point de vue tout pratique de l’enseignement spécial,

    dans les lycées de garçons, pour la rédaction de ces programmes ? Pourquoi s’être

    exposé, en restreignant le programme à l’étude des animaux et des plantes utiles ou

    nuisibles, à laisser croire aux jeunes filles qui seront obligées de quitter le lycée à

    l’âge de quinze ans, qu’il y a des animaux et des plantes créés tout exprès pour les

    besoins de l’homme, d’autres qui ont été imaginés pour exercer sa patience ou le

    punir de ses méfaits ? »

    Edmond Perrier propose une présentation plus conforme à l’esprit de l’enseignement

    secondaire, visant « à faire l’éducation de l’esprit, bien plus qu’à armer la mémoire pour les

    besoins le plus immédiats de la vie ». Il suggère un programme contenant toute l’histoire des

    classifications jusqu’aux ordres inclusivement, dans lequel « les animaux utiles et les plantes

    utiles arriveraient naturellement à leur rang ». Et avant de développer l’idée il explique :« Considérons plus particulièrement les animaux : ces êtres, de type différent, sont

    variés dans chaque type de toutes les manières possibles ; mais les variations, et

    notamment celles qui caractérisent les grandes divisions du règne animal, se lient

    étroitement, pour chaque type, aux diverses modifications que peut présenter le

    milieu ambiant. »

    et développe son propos :

    « Il y a deux milieux où la respiration est possible, l’air et l’eau ; dans ces milieux lalocomotion peut s’effectuer, soit en se servant du sol comme point d’appui, soit en

    prenant pour point d’appui le fluide même dans lequel la respiration, s’accomplit ;

    quels que soient leur mode de respiration et leur mode de locomotion, les animaux

    sont entourés de matières alimentaires de nature végétale et de nature animale ; ils

    peuvent choisir l’un de ces deux régimes ou s’accommoder indifféremment de l’un et

    de l’autre. Tout cela peut également avoir lieu sous un climat chaud et sous un climat

    froid ; certains animaux préfèrent les régions torrides de l’équateur, d’autres les

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    rigueurs des pôles ; quelques-uns passent par dessus toutes les questions de

    température et savent vivre en tous pays. »

    Dans cette présentation, animaux et plantes utiles arriveraient à leur rang, l’enfant étant bien

    pénétré de l’idée que les animaux et les plantes sont faits pour eux-mêmes et non pour nous.

    Avant d’aborder l’enseignement de la physiologie Edmond Perrier répond aux

    différentes objections qui ont été faites à son introduction : la physiologie est une préface de la

    médecine et doit être laissée aux médecins, elle est compliquée, elle a recours à la vivisection, elle peut nuire au

    développement de l’imagination, elle « touche de trop près à des problèmes qu’il convient d’écarter

    complètement de l’esprit des jeunes filles ». Puis, centrant son intérêt sur la physiologie animale, il

    indique la direction à donner à l’enseignement. En 3e année, « tout doit se borner à constituer

    une préface au cours d’hygiène » : description succincte des divers appareils organiques,

    exposé des rapports réciproques des organes, indication des fonctions importantes queremplissent les organes dans un même appareil. Le cours de 4 e  année est destiné à faire

    comprendre comment fonctionne un être vivant, ainsi le programme est structuré en deux

    parties : les fonctions de nutrition (digestion, circulation, respiration) et les fonctions de

    relation (mouvements, voix, organes des sens).

    Abordant ensuite le programme de la cinquième année, il explique encore :

    « [...] il faut se pénétrer de l’idée que l’étude d’un être vivant ne saurait être séparée

    de celle du milieu dans lequel il vit. À ce point qu’on pourrait définir l’histoire d’ungroupe zoologique : l’histoire des modifications qu’un organisme de type déterminé

    doit subir, pour se mettre en harmonie avec les différents milieux dans lesquels il

    peut être placé. »

    Et, sur l’exemple des vertébrés, il montre qu’« à chaque façon possible de vivre correspondra

    une forme organique particulière » Il conclut :

    « La zoologie devient ainsi, en quelque sorte, l’art de lire les mœurs d’un animal

    dans son organisation ; elle saisit l’animal en pleine vie, et nous le montre agissant aulieu de ne nous dépeindre que des cadavres ou des peaux bourrées. »

    Cet enseignement, dirigé dans un sens évolutionniste, consistant à suivre « les modifications

    d’un même type organique parallèlement aux modifications du milieu », sera plus vivant,

    plus instructif, plus philosophique, plus fécond.

    Quand Edmond Perrier publie en 1885 des leçons sur la physiologie animale pour

    l’enseignement féminin, il rassemble les enseignements de troisième et quatrième années. Son

    cours se termine par l’étude de la fonction de locomotion, l’examen du squelette des vertébrés

    le conduisant à introduire l’idée d’adaptation :

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    « Ainsi de simples modifications de détail d’un même type nous ont permis de passer

    du Reptile à l’Oiseau, d’une classe de Vertébrés à une autre [...] Il est du plus haut

    intérêt de suivre ces modifications non seulement dans une catégorie d’organes

    comme les organes locomoteurs, mais dans toutes les catégories d’organes. »

    Et Edmond Perrier conclut :

    « [...] cette étude qui nous montre l’organisme animal fonctionnant dans les

    conditions si variées que présente notre globe et se prêtant à toutes les modifications

    exigées par ces conditions d’existence, cette étude c’est la  Zoologie, dans le sens le

    plus large qu’on puisse donner à ce mot. »

    Ainsi Edmond Perrier explicite sa conception de la zoologie.

    Au Congrès international de l’enseignement de 1889 Edmond Perrier présente deux

    rapports, l’un sur les sciences physiques, l’autre sur les sciences naturelles. Dans ce dernier ;

    il revient sur la question de la conception de la zoologie et explique :

    « [...] depuis une trentaine d’années, la façon dont on envisage les animaux, ou

    même les êtres vivants en général, a sensiblement changé. Sous l’influence des

    classificateurs, on s’était habitué à ne les considérer qu’en eux-mêmes. On s’efforce

    aujourd’hui de les placer dans le milieu où ils vivent qui est, en grande partie, la

    raison d’être de leur organisation. »

    « L’étude des êtres vivants prendrait ainsi une importance philosophique », conclut-il.

    2. Les conceptions pédagogiques de Mangin [3] [4]

    Louis Mangin, membre du Conseil supérieur de l’Instruction publique, établit

    un rapport qu’il présente en 1898. Le Conseil avait été sollicité, explique Mangin, « à

    plusieurs reprises, par les géologues les plus éminents, d’intervenir en faveur d’un

    enseignement entièrement sacrifié dans les plans d’études de l’enseignement secondaire. Le

    projet est formulé classe par classe.

    Dans la classe de cinquième l’enseignement de la géologie doit être consacré àl’examen des phénomènes géologiques actuels. Le rapport précise :

    « Par des descriptions toujours accompagnées de dessins ou de photographies, au

    moyen de pierres ou de fossiles mis entre les mains des élèves, ceux-ci acquerront la

    connaissance des modifications lentes mais continues du sol. »

    Dans la classe de seconde le projet introduit des conférences d’une heure,

    spécialement employées à l’étude de la formation du sol. Le rapport insiste sur leur

    importance au point de vue de la culture générale et explique :

  • 8/18/2019 Les professeurs du Muséum et l’organisation de l’enseignement des sciences

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    « Ces conférences ne porteraient aucun fruit si elles étaient dépourvues de tout

    caractère pratique. Non seulement le professeur devra utiliser en classe tous les

    matériaux : roches, fossiles, planches murales, etc. ; mais il est indispensable qu’il

    conduise ses élèves sur le terrain. »

    Ainsi l’insistance est mise sur la nécessité des promenades géologiques.

    Dans la classe de philosophie  quatre ou cinq leçons d’une heure seront consacrées à

    des notions très sommaires de paléontologie. Le rapport explique :

    « Tandis que dans la classe de seconde, on étudie surtout la formation du sol, les

    formes vivantes servant seulement à établir la chronologie des périodes, dans la

    classe de philosophie, le professeur reprend une à une les principales formes

    vivantes, il les compare de manière à mettre en relief les perfectionnements

    progressifs dus à l’adaptation. »

    Il est désormais possible « en se restreignant à quelques types bien connus, de donner aux

    élèves de philosophie des idées nettes sur l’évolution et de montrer que, dans la suite des

    temps le transformisme règle la succession des êtres ».

    Et le rapport conclut, avant de proposer un programme, qu’en adoptant ces

    propositions, sera réalisé, « sous une forme modeste, un enseignement concret, approprié à

    chaque âge des élèves, qui ouvre à leur esprit des horizons nouveaux et les invite à penser »,

    ce projet conciliant « les exigences de la culture générale et le désir plusieurs fois exprimé par

    les géologues ».

    Lors de son audition en 1899 pour l’enquête parlementaire menée par la

    « Commission de l’enseignement » présidée par Alexandre Ribot, Louis Mangin expose sa

    conception des programmes d’études de l’enseignement secondaire :

    « L'ensemble des matières par lesquelles le professeur, dans les différentes branches,

    forme l’esprit de l’enfant, lui apprend à raisonner, à juger, à observer. Le but que le

    professeur doit d’abord se proposer n’est pas d’entasser les connaissances dans lamémoire de l’enfant, c’est la formation de l’esprit. Les programmes d’études ne sont

    qu’un moyen de développement et nous n’avons pas à nous inquiéter de leur

    rédaction. Ils devraient être très courts et accompagnés d’instructions détaillées. »

    À l’issue de l’enquête va être élaboré une réforme du plan d’études : cette réforme de

    1902 unifie l’enseignement secondaire, en supprimant le dualisme enseignement classique –

    enseignement moderne (ce dernier s’étant constitué à partir de l’enseignement secondaire

    spécial fondé par Duruy), et conjointement établit une diversité  dans les voies proposées. UneCommission de révision des programmes, nommée en 1901, est constituée de trois sous-

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    commissions. Louis Mangin, qui est alors professeur au lycée Louis-le-Grand et président de

    la Société pour l’étude des questions d’enseignement secondaire, est, comme Edmond Perrier

    (alors directeur du Muséum) membre de la sous-commission de sciences naturelles.

    Un cycle de conférences disciplinaires sur les méthodes d’enseignement va être

    organisé au Musée pédagogique, les sciences naturelles sont au programme de 1905. Louis

    Mangin, alors professeur au Muséum, intervient sur les programmes du second cycle.

    Il insiste, dès son introduction, sur la nécessité, « trop longtemps méconnue, de faire,

    dans l’enseignement, la part qui revient à chacune des formes fondamentales de l’activité

    humaine et d’introduire les sciences physiques et naturelles dans les plans d’études surannés

    fondés exclusivement sur l’enseignement des lettres et des mathématiques », ajoutant que ce

    n’est pas à cause de l’utilité des connaissances « qu’elles donnent aux élèves que les sciences

    naturelles ont conquis péniblement la place modeste, mais nécessaire, qui leur est dévolue

    dans les cadres de l’enseignement ; c’est à cause de leur valeur éducative ».

    Et Louis Mangin se propose d’examiner comment il convient à ce point de vue

    d’orienter cet enseignement, expliquant « qu’on méconnaît le rôle de l’enseignement des

    sciences naturelles, l’un des plus vivants, en le réduisant à de fastidieux exercices de mémoire

    où l’éducation des sens n’a aucune part ». Et il ajoute, soulignant ainsi l’importance du

    concours d’agrégation de sciences naturelles :

    « On a dressé, en 1880, le plan d’un édifice très logique, mais les ouvriers capables

    de l’exécuter manquaient […] Les cadres de l’enseignement des sciences naturelles

    étaient vides en 1880 […]. Peu à peu ces cadres ont été constitués et tout un

    personnel de professeurs existe aujourd’hui et ne le cède en valeur et en zèle à

    aucun des autres ordres d’agrégation. »

    Il dénonce alors des programmes touffus et un enseignement devenu un véritable gavage.

    Pour lui :

    « Les expériences du cours, les exercices pratiques constituent le fond de

    l’enseignement ; ils sont destinés à substituer à la mémoire visuelle des livres et des

     figures qui les illustrent la mémoire des choses elles-mêmes. »

    Quant aux expériences de cours,  « il n’est pas mauvais, explique-t-il, il me paraît

    nécessaire même que les élèves assistent aux phases préparatoires de l’expérience, à la cuisine

    en quelque sorte ; cela est d’autant plus utile maintenant qu’ils devront eux-mêmes réaliser

    quelques-unes de ces expériences. [instauration des exercices pratiques pour les élèves dans la

    réforme de 1902]. Il est même parfois utile de leur montrer comment une expérience estmanquée. Il ajoute :

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    « Avant tout, le professeur doit exercer les élèves à bien observer en proportionnant

    les moyens d’investigation à la grandeur des objets qu’il s’agit d’observer. […] On

    devra donc montrer d’abord tout ce qui peut être observé à la vue simple, puis

    progressivement exercer les élèves au maniement de la loupe, instrument un peu trop

    délaissé aujourd’hui qui a suffi aux anciens anatomistes pour faire des découvertes

    qui nous étonnent encore aujourd’hui ; c’est seulement dans quelques cas qu’on

    pourra employer le microscope en employant toujours les plus faibles

    grossissements. »

    Et Mangin précise :

    « Nécessité d’un certain nombre de leçons concernant ce que j’appellerai les idées

    directrices du cours. La genèse des découvertes fondamentales ; les exemples de

    substitution de la méthode expérimentale à l’empirisme ; l’examen, à la lumière des

    faits, des hypothèses concernant l’origine des êtres, leur filiation, l’étude des

    phénomènes de la vie, etc., toutes ces questions élargissent le cadre de

    l’enseignement et relient en un corps les idées émises et les faits observés.

    Nombreux sont les exemples qui nous permettent […] d’initier les élèves à la

    connaissance d’idées générales d’une haute portée philosophique. »

    Puis il aborde la question du transformisme :

    « C’est […] par une série de leçons bien ordonnées [que le transformisme] apparaîtra

    aux élèves comme la conclusion fatale des faits observés par eux ou exposés en

    classe.

    D’abord nous tirons le principe : la fonction crée l’organe avec ses conséquences :

    tout organe qui ne fonctionne pas s’atrophie ; s’il est sans cesse exercé, sa masse

    augmente ; l’étude des muscles, celle du squelette et des articulations nous fourniront

    tous les documents nécessaires pour établir solidement ce principe.

    L’examen du squelette dans la série des vertébrés nous amène à faire connaître les faits d’adaptation. L’étude de quelques animaux domestiques, d’un certain nombre

    de plantes de grande culture, permet de donner l’idée de la sélection artificielle : un

    pas de plus et nous arrivons à la sélection naturelle.  Peu à peu l’hypothèse du

    transformisme s’ébauche, se dessine et s’affirme. Quelques indications sur les

    données paléontologiques : vertébrés du tertiaire ; sur les données embryogéniques :

    développement de l’appareil nerveux, de l’appareil circulatoire, complètent et

    précisent l’idée du transformisme » Mais il ajoute qu’on ne doit pas oublier que ce n’est qu’une hypothèse

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    D’autres leçons ne sont pas moins intéressantes par leur valeur éducative. Et il fait

    référence à l’histoire des sciences pour la classe de philosophie, avec les travaux de Claude

    Bernard par exemple :

    « L’indifférence pour les travaux des anciens qu’affectent aujourd’hui les

    générations d’étudiants est fâcheuse. Il appartient aux professeurs de l’enseignement

    secondaire de réagir contre cette tendance et, à propos de certaines questions, de

    retracer l’histoire des étapes si laborieusement conquises par la science sur

    l’ignorance ou le fanatisme. »

    À côté de ces chapitres il en est d’autres qui « sont des modèles de méthode

    expérimentale et dont l’importance dépasse le sujet auquel elles ont été appliquées ». Et

    Mangin donne l’exemple de la maladie du charbon qu’il développe.

    Puis il conclut qu’il appartient aux professeurs « d’enseigner aux élèves par ces

    illustres exemples le respect des convictions d’autrui, de leur faire comprendre qu’avant de

    condamner les idées nouvelles qui heurtent nos préjugés ou nos conceptions, il faut les

    soumettre au contrôle de l’observation ou de l’expérimentation. »

    Conclusion 

    Ces professeurs du Muséum ont aussi apporté leur contribution à l’enseignement des

    sciences naturelles en publiant des manuels pour l’enseignement secondaire (y compris

    l’enseignement spécial et l’enseignement féminin), comme Edmond Perrier ou Louis Mangin.

    Mais on ne peut négliger le rôle de Paul Bert qui a publié des manuels pour

    l’enseignement primaire. De plus il s’est plusieurs fois exprimé sur l’importance des sciences

    naturelles pour « l’éducation de l’esprit » et s’est employé à justifier la place qui leur est faite

    dans le plan d’études de 1880, montrant avec des exemples qu’on peut insister sur le rapport

    entre l’organe et la fonction ou encore sur les transformations que subit l’organisme pour

    s’adapter à son milieu. Justifiant en 1881 l’importance accordée aux sciences naturelles, Paul

    Bert met au premier plan leur rôle pour apprendre à voir :

    « Apprendre à voir, à voir juste, à ne voir que ce qui est, et à voir tout ce qui est n’est

    pas chose facile ; or, c’est là ce qu’enseignent les sciences d’observation. Mettre de

    l’ordre dans les idées, placer chaque chose selon sa valeur, dans sa perspective vraie,

    n’est pas chose facile non plus ; or, la méthode des sciences naturelles y habituera

    l’enfant. »

    Et Paul Bert explique :

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    « […] en plaçant l’étude des sciences naturelles et expérimentales au début de

    l’enseignement secondaire, […] ce que nous avons voulu [pour les enfants], c’est

    perfectionner leurs sens, discipliner leur esprit, exercer leur raison. »

    Puis il ajoute qu’il ne s’agit pas d’en faire « des compteurs d’étamines, de pattes ou

    d’antennes, des nomenclateurs de réactions chimiques ; il s’agit de leur donner, si l’on peut

    ainsi parler, un instinct intellectuel particulier. »

    Ministre de l’Instruction publique de novembre 1881 à janvier 1882, il s’intéresse aux

    diplômes exigés des candidats à l’agrégation de sciences naturelles qui vient d’être organisée :

    licence ès sciences physiques et licence ès sciences naturelles. Il propose de « faire équivaloir

    la licence ès sciences physiques, le doctorat en médecine et le diplôme des études supérieures

    de pharmacie ». La proposition est rejetée pour éviter des spécialisations prématurées, les

    sciences physiques étant nécessaires pour les études physiologiques. On juge que les diplômes

    énumérés seraient plus adaptés à une équivalence avec la licence ès sciences naturelles ; cet

    argument l’emporta et le statut du 15 août 1885 indique :

    « Les docteurs en médecine pourvus de la licence ès sciences physiques, les

    pharmaciens pourvus du diplôme supérieur et de la licence ès sciences physiques

    peuvent prendre part au concours d’agrégation de sciences naturelles. »

    Dans tout ceci apparaît le double rôle d’un enseignement de sciences naturelles :

    -  but instructif : développer les connaissances ;

    -  but éducatif : développer l’intelligence.

     Références bibliographiques

    [1] Hulin-Jung N.,  L’Organisation de l’enseignement des sciences. La voie ouverte par leSecond Empire, Paris, CTHS, 1989, téléchargeable sur http://www.aseiste.org (voir p. 88-

    89, 97, 118, 280).[2] Hulin N. (éd.), Cahiers d’histoire et philosophie des sciences n°49, 2001,  Études sur

    l’histoire de l’enseignement des sciences physiques et naturelles, (voir p. 197-221).

    [3] Hulin N. (dir.) Sciences naturelles et formation de l’esprit. Autour de la réforme del’enseignement de 1902, Villeneuve d’Ascq, Septentrion, 2002, (voir p. 273-285, 372-375).

    [4] Gispert H., Hulin N. et Robic M.-C., Science et enseignement, Paris, Vuibert et INRP,2007, (voir p. 133-148, 227-228, 232, 235).

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    16/19

     

    [5] Hulin N.,  Les Femmes, l’enseignement et les sciences. Un long cheminement XIX e - XX e siècle, Paris, L’Harmattan, 2008, (voir p. 19-20, 27-28, 43-47).

    [6] Hulin N.,  Les Sciences naturelles. Histoire d’une discipline du XIX e au XX e siècle, Paris,L’Harmattan, 2014, (voir p. 38, 53-54, 58-59, 86-89, 96-99, 112-118, 127-129, 189-194).

    [7] Hulin N., Culture scientifique et humanisme. Un siècle et demi d’engagement sur le rôle etla place des sciences, Paris, L’Harmattan, 2011, (voir p. 20-27, 47-51).

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    Au sujet du nombre de places à l’agrégation de sciences naturelles  

    Dans Sciences naturelles et formation de l’esprit (Septentrion 2002) p.63

    « Mais on peut noter qu’entre 1881 et 1906 le nombre de places mises au concours est faible (entre 2

    et 5) et que les candidats se font rares (cf. tableau III). Le rapport de Théodore Steeg, cité par Armand

    Démousseau 64, résume en une phrase la situation : « On peut se demander si, pour l’agrégation des

    sciences naturelles, le nombre de places mises au concours ne finira point par être plus élevé que celui

    des candidats ».

    Tableau III 

    agrégation de sciences naturelles agrégation de sciences physiques

    nombre d’inscrits  nombre de reçus nombre

    d’admissibles 

    nombre de reçus

    1889 21 5 21 11

    1890 23 4 23 10

    1906 10 5 22 15

    Armand Démousseau, professeur au lycée de Lille, justifie cette situation en décrivant les

    difficultés rencontrées par un professeur de sciences naturelles et en soulignant que la « rémunération

    ne répond pas à l’effort produit. »

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    Sur les raisons avancées pour développer l’enseignement des sciences

    sous le Second Empire

    Dans L’Organisation de l’enseignement des sciences (CTHS 1989) p.158, 154 (la concurrence duclergé, les « déclassés)

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