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Images en Dermatologie • Vol. VIII • n o 2 • mars-avril 2015 72 Littérature L’ eau tonique (tonic water) est une boisson gazeuse conte- nant de la quinine, un alcaloïde naturel qui lui confère son goût amer caractéristique. Elle est par exemple commercialisée sous le nom de Schweppes ® ou de Canada Dry ® . Elle est aussi utilisée dans des cocktails à base de gin, d’où le nom de gin tonic. Un litre de Schweppes ® contient 80 mg de quinine (1). Depuis 2003, une dizaine de cas d’érythème pigmenté fixe (EPF) ont été rapportés dans la littérature médicale (1-8). L’EPF débute dans les heures – 48 au maximum – suivant la prise du médicament inducteur, sous la forme de plaques uniques ou multiples érythémateuses arrondies, de quelques centimètres de diamètre, souvent douloureuses et infiltrées. Les lésions inflammatoires disparaissent rapidement en laissant des taches pigmentées, brunes ou ardoisées. Elles touchent préférentiellement les muqueuses génitales où l’atteinte muqueuse est rarement multifocale. Cependant, l’EPF peut être déclenché par un aliment (fraise, asperge ou fromage), mais aussi par une boisson, comme ici l’eau tonique et le gin tonic. L’EPF induit par l’eau tonique touche le plus souvent des sujets jeunes (moyenne d’âge de 30 ans) sans prédominance de sexe. Les sujets présentent une atteinte cutanée, notamment des extrémités et/ou des muqueuses, qui peut parfois être pluri- orificielle en imposant pour une infection sexuellement trans- missible (IST), notamment de type herpès (7), un érythème polymorphe ou une maladie de Behçet, par exemple (8). La recherche d’une prise médicamenteuse est négative, et les lésions régressent en une semaine. L’interrogatoire permet de retrouver la consommation d’un cocktail à base de gin tonic (8) ou bien simplement de Schweppes ® (1). Le diagnostic peut être plus difficile si la consommation est irrégulière au cours de l’année. Les réactions cutanées au Schweppes® et autres boissons toniques Cutaneous reactions to Schweppes® and other tonic water drinks N. Kluger (Departments of dermatology, allergology and venereology, Institute of clinical medicine, Skin and Allergy Hospital, Helsinki University Central Hospital, Finlande) Des tests épicutanés par patch tests sur peau saine ou peau lésée (4) avec de l’eau tonique, la boisson elle-même et la quinine (chlorhydrate, sulfate) peuvent être réalisés et posi- tifs (1), mais, s’ils se révèlent négatifs, une épreuve de réintro- duction par consommation est réalisée. La quinine contenue dans l’eau tonique est la responsable de la réaction cutanée. En cas de poussée, des antihistaminiques et une cortico- thérapie locale peuvent être proposés. Il est important de reconnaître ce type d’EPF car la simple éviction de la consom- mation d’eau tonique suffit à guérir le patient définitivement. Certains auteurs contre-indiquent également la chloroquine comme traitement antipaludéen chez ces patients (1), mais d’autres n’ont pas retrouvé de réactions croisées avec la chloroquine ou la quinidine lors d’une épreuve de réintroduc- tion orale (5). D’autres complications dermatologiques ont été décrites, comme une urticaire généralisée après l’ingestion d’un demi- verre d’eau tonique induite avec prick-test positif au 1 :10 pour l’eau tonique et le sulfate de quinine (9). Une lettre publiée dans les Archives of Dermatology relate le cas d’un homme de 55 ans ayant développé un syndrome de Lyell après la consommation d’un mélange (accidentel) de scotch et de gin tonic (10). Les autres complications rapportées à la consommation d’eau tonique sont la thrombopénie avec possible purpura et bulles hémorragiques (11, 12), et la toxicité rétinienne avec baisse d’acuité visuelle (consommation de 4 litres d’eau tonique par jour) [13]. II II Références bibliographiques 1. Bel B, Jeudy G, Bouilly D, Dalac S, Vabres P, Collet E. Fixed eruption due to quinine contained in tonic water: positive patch-testing. Contact Dermatitis 2009;61(4):242-4. 2. Kubota Y. A case of fixed eruption due to tonic water. Arerugi 2003;52(4):447-9. 3. Asero R. Fixed drug eruption caused by tonic water. J Allergy Clin Immunol 2003;111(1):198-9. 4. Muso Y, Kentarou O, Itami S, Yoshikawa K. Fixed eruption due to quinine: report of two cases. J Dermatol 2007;34(6):385-6. Mots-clés : Toxidermie • Érythème polymorphe • Quinine • Boisson • Alcool. Keywords: Toidermia • Erythema multiformis • Quinine • Drinks • Alcohol.

Les réactions cutanées au Schweppes® et autres boissons ... · Images en Dermatologie • Vol. VIII • no 2 • mars-avril 2015 72 Littérature L’ eau tonique (tonic water)

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Images en Dermatologie • Vol. VIII • no 2 • mars-avril 201572

Littérature

L’ eau tonique (tonic water) est une boisson gazeuse conte-nant de la quinine, un alcaloïde naturel qui lui confère son goût amer caractéristique. Elle est par exemple

commercialisée sous le nom de Schweppes® ou de Canada Dry®. Elle est aussi utilisée dans des cocktails à base de gin, d’où le nom de gin tonic. Un litre de Schweppes® contient 80 mg de quinine (1).

Depuis 2003, une dizaine de cas d’érythème pigmenté fi xe (EPF) ont été rapportés dans la littérature médicale (1-8).

L’EPF débute dans les heures – 48 au maximum – suivant la prise du médicament inducteur, sous la forme de plaques uniques ou multiples érythémateuses arrondies, de quelques centimètres de diamètre, souvent douloureuses et infi ltrées. Les lésions inflammatoires disparaissent rapidement en laissant des taches pigmentées, brunes ou ardoisées. Elles touchent préférentiellement les muqueuses génitales où l’atteinte muqueuse est rarement multifocale. Cependant, l’EPF peut être déclenché par un aliment (fraise, asperge ou fromage), mais aussi par une boisson, comme ici l’eau tonique et le gin tonic.

L’EPF induit par l’eau tonique touche le plus souvent des sujets jeunes (moyenne d’âge de 30 ans) sans prédominance de sexe. Les sujets présentent une atteinte cutanée, notamment des extrémités et/ou des muqueuses, qui peut parfois être pluri-orifi cielle en imposant pour une infection sexuellement trans-missible (IST), notamment de type herpès (7), un érythème polymorphe ou une maladie de Behçet, par exemple (8). La recherche d’une prise médicamenteuse est négative, et les lésions régressent en une semaine. L’interrogatoire permet de retrouver la consommation d’un cocktail à base de gin tonic (8) ou bien simplement de Schweppes® (1). Le diagnostic peut être plus diffi cile si la consommation est irrégulière au cours de l’année.

Les réactions cutanées au Schweppes®et autres boissons toniques Cutaneous reactions to Schweppes® and other tonic water drinksN. Kluger (Departments of dermatology, allergology and venereology, Institute of clinical medicine, Skin and Allergy Hospital, Helsinki University Central Hospital, Finlande)

Des tests épicutanés par patch tests sur peau saine ou peau lésée (4) avec de l’eau tonique, la boisson elle-même et la quinine (chlorhydrate, sulfate) peuvent être réalisés et posi-tifs (1), mais, s’ils se révèlent négatifs, une épreuve de réintro-duction par consommation est réalisée. La quinine contenue dans l’eau tonique est la responsable de la réaction cutanée.

En cas de poussée, des antihistaminiques et une cortico-thérapie locale peuvent être proposés. Il est important de reconnaître ce type d’EPF car la simple éviction de la consom-mation d’eau tonique suffi t à guérir le patient défi nitivement.

Certains auteurs contre-indiquent également la chloroquine comme traitement antipaludéen chez ces patients (1), mais d’autres n’ont pas retrouvé de réactions croisées avec la chloro quine ou la quinidine lors d’une épreuve de réintroduc-tion orale (5).

D’autres complications dermatologiques ont été décrites, comme une urticaire généralisée après l’ingestion d’un demi-verre d’eau tonique induite avec prick-test positif au 1 :10 pour l’eau tonique et le sulfate de quinine (9). Une lettre publiée dans les Archives of Dermatology relate le cas d’un homme de 55 ans ayant développé un syndrome de Lyell après la consommation d’un mélange (accidentel) de scotch et de gin tonic (10).

Les autres complications rapportées à la consommation d’eau tonique sont la thrombopénie avec possible purpura et bulles hémorragiques (11, 12), et la toxicité rétinienne avec baisse d’acuité visuelle (consommation de 4 litres d’eau tonique par jour) [13]. IIII

Références bibliographiques1. Bel B, Jeudy G, Bouilly D, Dalac S, Vabres P, Collet E. Fixed eruption due to quinine contained in tonic water: positive patch-testing. Contact Dermatitis 2009;61(4):242-4.

2. Kubota Y. A case of fi xed eruption due to tonic water. Arerugi 2003;52(4):447-9.

3. Asero R. Fixed drug eruption caused by tonic water. J Allergy Clin Immunol 2003;111(1):198-9.

4. Muso Y, Kentarou O, Itami S, Yoshikawa K. Fixed eruption due to quinine: report of two cases. J Dermatol 2007;34(6):385-6.

Mots-clés : Toxidermie • Érythème polymorphe • Quinine • Boisson • Alcool.

Keywords: Toidermia • Erythema multiformis • Quinine • Drinks • Alcohol.

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Images en Dermatologie • Vol. VIII • no 2 • mars-avril 201573

Littérature

5. Gonzalo-Garijo MA, Zambonino MA, Pérez-Calderón R, Pérez-Rangel I, Sánchez-Vega S. Fixed drug eruption due to quinine in tonic water: study of cross-reactions. Dermatitis 2012;23(1):51.6. Ohira A, Yamaguchi S, Miyagi T et al. Fixed eruption due to quinine in tonic water: a case report with high-performance liquid chromatography and ultra-violet A analyses. J Dermatol 2013;40(8):629-31. 7. Lonsdale-Eccles E, Wallett A, Ward AM. A case of fi xed drug eruption secondary to quinine in tonic water presenting to a sexual health clinic. Sex Transm Infect 2014;90(5):356-7. 8. Kaku Y, Ito T, Wada M, Nozaki Y, Kido-Nakahara M, Furue M. Tonic water-induced generalized bullous fi xed eruption. Acta Derm Venereol 2014 [Epub ahead of print]. 9. González R, Merchán R, Crespo JF, Rodríguez J. Allergic urticaria from tonic water. Allergy 2002;57(1):52.

10. Callaway JL, Tate WE. Letter: Toxic epidermal necrolysis caused by “gin and tonic”. Arch Dermatol 1974;109(6):909. 11. Belkin GA. Cocktail purpura. An unusual case of quinine sensitivity. Ann Intern Med 1967;66(3):583-6.12. Brasić JR. Quinine-induced thrombocytopenia in a 64-year-old man who consumed tonic water to relieve nocturnal leg cramps. Mayo Clin Proc 2001;76(8):863-4. 13. Horgan SE, Williams RW. Chronic retinal toxicity due to quinine in Indian tonic water. Eye (Lond) 1995;9:637-8.

Philippe Abastado est cardiologue, clinicien et directeur de recherche à l’Université Paris VII en épistémologie appliquée à la médecine. À côté des publications scientifiques, d’un ouvrage de vulgarisation (Maladies cardio-vasculaires pour les Nuls, First Edition 2010), il a déjà publié deux ouvrages d’épistémologie (Cholestérol, maladie réelle et malade imaginaire, collection Les Empêcheurs de penser en rond, 1998 et Le Savoir impossible, Médecine/Science,

2007).

L’ histoire du corps humain est récente. Elle s’intéresse aux

mœurs, aux maladies, à des données démographiques, mais elle peine à explorer la matière vivante de ces corps. L’outil le plus immédiat serait de suivre sa représentation picturale. Le portrait, art fécond de l’Europe occidentale, se révèle un instrument médiocre. Le peintre d’hier ne partageait pas nos préoccupations. Ses intérêts se portaient sur la beauté, sur la puissance, sur la personnalité du sujet. Ils racontaient une histoire. En revanche, l’autoportrait exploité non comme œuvre mais comme avatar du peintre se révèle un outil efficace.L’auteur est médecin, il lui faut un patient pour soutenir ses propos : Rembrandt sera l’illustration ultime de la richesse de cette approche.

Naissance de l’humain en peinturePhilippe AbastadoÉditions l’Âge d’Homme

N. Kluger déclare ne pas avoir de liens d’intérêts.