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Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France Les romantiques / Marc de Montifaud ; avec un portr. de Victor Hugo datant de l'époque romantique gravé par Hanriot

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Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France

Les romantiques / Marc deMontifaud ; avec un portr. de

Victor Hugo datant del'époque romantique gravé

par Hanriot

Montifaud, Marc de (1849-1912). Auteur du texte. Lesromantiques / Marc de Montifaud ; avec un portr. de Victor Hugodatant de l'époque romantique gravé par Hanriot. 1878.

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c~f~~C 'DE c~O~vr/Fc~f/T)

LES

ROMANTIQUES

AVEC

UN PORTRAIT DE ~/cro~GODATANT DE L'ÉPOQUE ROMANTIQUE

Gravé par Hanriot

Vous dont les censures s'étendentDessus iesouvrages de tousCe livre se moque de vous.

MALHERBE.

Tc~S.'878

Tous droits réserves.

ROMANTIQUESLES

Il a été tiré de cet ouvrage cent exemplairesnumérotés sur grand papier de Hollande.

PARIS. IMPRIMERIEADOLPHE REIFF, M, PLACE CAMBRAI.

\!C FOR H) en

ROMANTIQUESET

INTRANSIGEANTS

Dessus les ouvrages de tous,Ce livre se moque de vous.

MALESHERBE.

Lespuissants, les fortunés, les légistes obè-ses et les bourgeoistremblaient. Les clochesde la Notre-dame d'Hugo, avaient sonné àtoute volée l'appel aux armes. Chaque réu-nion devenait unebataille. Des hiérarchies lit-térairesjusqu'aux corps d'état, la ligue défen-sive s'organisait. La résistanceau romantismese composait des mêmes adversairesque ceuxqui préconisaient l'ordre établi en politique:les chauves de toutes lès catégories, les cuis-tres du professorat, avant tout; les hommesqui passaient de l'exercice du prétoire à

l'épicerie et auxquels est familière cette posequi consiste à croiser ses mains sur l'abdo-men et à tourner ses pouces; tous ces pru-dhommes au ventre' tendu comme destambours et aux membres cartilagineux etflasques, tous ces gluants de nuance indé-cise, au masque gras et rasé reposantleur 'menton sur un col triangulaire, trou-vaient le secret de prolonger la bataille..Ils mettaient la même emphase à porterla queue de .la tragédie qu'on en met aujour.-d'hui à porter la queue des ordres mora-liens alors comme à présent c'étaient bienles mêmes têtes qu'on aurait dû servir surdu papier découpé comme on sert la tête del'animal aux longues soies qui les symboliseen politique et en'httérature.

Les victoires de Casimir Delavigne nelaissaient pas alors beaucoup de vaincusderrière eux; <x il a eu son heure, il a eu sonjour, écrit .Arsène Houssaye, mais ce fut unjour sans lendemain. N'a pas d'ailleurs quiveut, parmi les mieux doués, le rayon d'unjour. C'est moins le rayon de l'invention quiaura manqué à Casimir Delavigne, que lascience du style qui donne le sceau de l'im-mortalité. Il avait fini par s'imprégner dusentiment romantique mais l'opinion estune grande dédaigneuse qui ne revient pas.sur ses premiers jugements; chez CasimirDelavigne le passé a tué l'avénir. Shakes-peare et Hugo ont eu beau lui donner lesadmirables leçons de la grandeur, de la

beauté, du pittoresque il n'écoutait qued'une oreille, tant il entendait encore leschansons de Ducis et de Colin d'Harleville. »-Aujourd'hui, les Ducis de la littérature re-prennent le terrain qu'ils ont cédé et encom-brent les vitrines des libraires, ils re-poussent aussi féconds que des betteravesdans un champ vrais ressemeleurs des idéesd'autrui, leur littérature est une orgied'eau claire où transpare mieux encorela pauvreté, la débilité de l'oeuvre, lasentimentalité bête. Les femmes y ressem-blent aux figures orthopédiques dont on rec-tifie les~ défauts de taille ou de hancheal'aide d'un appareil; cela s'appelle la vertu,l'honneur, le dévouement, voire'mêmel'amour, quand par hasard le romancier ypense.. Seuls, les derniers romantiques éclai-rent.encore le,sommet de la montagne graviautrefois, Hugo en tête. La chaleur du rayon-nement est restée si forte, qu'elle passe surles paupières de ceux qui dorment et les ré-veille. Qu'était-ce donc à son aube?

1Le style, le craquantdu modelé, le velourset la rugosité des termes, le scintillant dumot, l'art de chromatise~ des périodes, defaire mordre la chute d'une phrase, et de ba-fouer la méthode, la pratique de l'onomato-pée, la recherchedans la brisure des phrasesde l'effet rêvé .par le peintre, lorsqu'il fait re-bondir son rayon sur l'angle d'unmeuble: cesont là les aspects de forme les plus ache-vés du romantisme.-Dans cette vaste com-

binaison de vocables; le coloris artistiqueatteignit des intensités si vives qu'elles-pa-raissent encore imprévues. Ce fut un éblouis-sèment. Il y en. eut Loüis Bertrand parexemples–qui taillaient le mot comme unefacette, et lui donnaient des évidences, desrondeurs de -relief inouïes; une seulephrase enfermait un tableau, dans sa briè-veté qui possédait sa perspective, ses notes,ses tons et .ses valeurs; le muscle anato-miqué de la charpente s'y faisait sentir sousla coloration; ce n'était pas la phrase faitede vapeurs tissées; sous le dessin gramma-tical de l'enveloppe pleine et charnue, on

.sentait affluer le sang, la vie. La divinité duromantisme semblait, d'après les ..préceptesde la nouvelle génèse du beau, répandre laforme par la nature pour se réjouir; le styleétait devenu un art de lapidaire; on ciselaitdes joyaux gothiques et des joyaux renais-sance. La langue étaih découpée, fouilléeen arabesques qui se chantournaientavec uncaprice infini, et une puissance souveraine.Beaucoup de titres d'ouvrages qui n'ont ja-

mais- paru, sont toute une révélation Pâ-<Hz'es a .HseHrs, '.Fa;M< dauphin de France,Aventures de deux greB~'&Aommesjoer~onr-dins, Fumée de ma pipe, CAosesyue~co~yHe~,Co~es~H~roc et de'la CayoH/e. Lecajoj-'laine Fracasse, qui fut seul publié, avait étérêvé à cette même heure où l'exaspérationdu bo.urge6is hurlant d'horreur était la plushaute récompense d'une veille d'écrivain,

comme elle l'est restée aujourd'hui. Quelcontraste que cette filière du XVI* siècle, enregard de sa solidité, l'ancienne école, hauteen dignité et en ampleur, pétrie d'arroganceet d'immobilité! La victoire fut loin de de-meurer facile. Les vieux troncs superbes dusiècle monarchique étendaient leur solennelfeuillage sur le monde littéraire, abritantquelques vieillards augustes ou dignes del'être. Ces illustres lisaient Shakespearedans la traduction de Ducis, comme on litHomère dans Bitaubé; traduction après .la-quelle on était tenté, afin d'échapper à l'ab-surde, de parler quelque temps auvergnat.Tout ce qui reflétait l'ardeur des sens étaitcondamné sans merci. La passion devait de-mander cinq actes lamentables pour exposersa flamme, sous peine d'être expulsée duthéâtre. 'On n'était pas plus engoué de Pra-don. En politique, on déracine des principeset des gouvernements; en littérature cela nese peut; il faut vivre à côté les uns desautres, mais ce choc continuel est un élémentde force.

Or, le romantisme, sur lequel pesaient tantde sourdes haines, avait des délicatesses etdes minuties de touche qui relevaient unpeu de l'art flamand, mais, rompant avecl'ennui dogmatique, poussant son hour-rah sous les vieux cloitres abandonnés,allégeant la poésie de ses dictionnaires, et lapeinture de ses perpétuels fonds de fabrique,il devait compter avec les fidèles de l'ancien

1.

temple. Tout ce qui dormait dans l'officia-,lité du style fut réveillé bon gré mal gré.Les nouveaux profanateurs de tombes seplurent à évoquer les légendes, comme lejeune moine. d'Henri Heine qui évoquait àl'aide dè la « clef d'enfer s la pauvre beautémorte enveloppée de ses blancs tissus.. Onse passionnait pour ces figures'qui sentaientleur damnation. L'architecture monastiqueservait de cadre à des fictions amoureusesterribles; le donjon relevait son pennon, ou-vrait ses trappes, ses oublièttes; le drameparcourait des cercles doubles plus nom-breux que ceux du Dante; le chef de bande,Hernani, avait crié holà! à tous, barons,proscrits, moines, bacheliers, qui se ré-veillaient étonnés de se retrouver chez eux, etrecommençaient à gravir les escaliers desvieilles tours.. On dérangeait les chouettes,et on entendait la retombée des chaînesavant minuit; un cliquetis de ferraille battaitles pages du roman, et le critique tenait pourcontrepoids de, sa plume une lanterne sourde,afin de ne pas perdre l'équilibre.

C'était bien l'amour de la ligne pour laligne, qui consiste à mettre dans une créationlittéraire autantde galbe et de dessinqu'il y ena dans un marbre,' autant de charpente quedans l'architecture, à faire de l'émail dans le.jeu des idées, comme on en fait dans le sens.pictural, à étreindre l'océan des choses s.éparses dans la création, afin de. les styliseren une enveloppe qui leur. communique la.

force, la -tournure, le mouvement. C'étaitbien en un mot, s'assumer toutes les ivressesde la-matière; car, dans le mot, dans laplastique de la prose, on s'enivre à la fois duson, de la coupe; de la couleur; quelquesécrivains, ne donnèrent jamais que de lafresque, comme d'autres accusèrent lesobjets par la fameuse tache des impres-sionnalistes mais le procédé est le mêmec'est toujours la recherche très-positive duvrai.

On a appelé le romantisme « littératuredes sens. » Soit; mais, en littérature, l'inspi-ration est souvent une chose banale en sonuniversalité; tout le monde peut être émupar un coucher de soleil, mais ce qui n'ap-partient pas à tout le monde, c'est d'enfer-mer ce qui a été vivant et colore, dans .uneoeuvre écrite ou sculptée, dans la facturetoute charnelle de l'art. Ce qu'il y a de justeen littérature, c'est le métier. Gautier l'aproclamé'et prouvé. La forme dans l'art estcomme Hélène; « le poëte la crée à sa fan-taisie elle ne sera jamais majeure, jamaisvieille; elle a toujours l'aspect séduisant quiéveille le désir. » Ainsi donc, hors du sensi-ble, du j eu de la vie, il est douteux defaire ré-gnèr le beau. La langue abstraite des idéesqui, sans cesse agrandit le domaine du rêve,ne saurait lutter avec l'expression des faitsextérieurs. C'est l'expression qui coordonnejusqu'aux ombres et les rend malléables,comme l'argile sousjes doigts du modeleur~

L'expression est la clef magique que Mé-phisto" remet à son disciple, clef servant àrendre palpables les fantômes dupasse: Elle,m'a guidé, dit Faust, à travers l'épouvanteet le flot et la vague des espaces solitaires,et m'a ramené sur ce terrain solide. Ici jeprends'pied, ici est le d'osM~e du ree7..D

~11 n'y a que les affolés du.contour énergique'auxquels il soit donné de comprendre que labeauté absolue ne~prendra jamais pied horsde ce domaine du réel x.

.Et voilà pourquoi Arsène'Houssaye apu dire en sens contraire Enfin, Hugo vint,comme Boileau avait dit Enfin, Malherbevint. C'était la vie qui revenait sur le néant.

Mais citons la page de l'auteur du 4:/° /au-teuil « Cè que Malherbe avait ôté à la glo-rieuse Renaissance, il nous le rendit; il fitmieux, il nous donna Victor Hugo. Ce futcomme un éblouissement. Les Rhéteurs fu-

.rent aveuglés, mais toute la jeunesse baigna.ses yeux dans cette lumière inattendue.Victor Hugo, dieu du jour, conduisait le chardu soleil. Bienheureux surtout ceux quiavaient alors vingt ans, car tous, Alfred deMusset comme Théophile Gautier; Alfred deVigny'comme Auguste Barbier, tous se je-tèrent en cette autre Renaissance, qui faisaitla nuit sur les vieilles écoles. La poésie fran-çaise avait désormais un maître Lamartinefut l'aurore, Victor Hugo fut le.soleil.

a Au théâtre, chacune des heures deVictor Hugo fut une bataille et un.triomphe.

Ces jours-là, Paris avait la fièvre, on sentaitque l'esprit Humain était en jeu. C'était envain que toutes les intelligences qui retar-dent assemblaient les nuages sur la lumière,la lumière resplendissait.

Les victoires de Victor Hugo ont étéd'autant ~plus belles qu'elles ont été rudes;la France est ainsi faite que tout emmaillotéedans la tradition, elle ne veut admirer queles morts. On n'apas oublié encore la guerreaveugle de la critique; Gustave Planche, en-tre autres, y a cassé ses dents. Ce qu'il y ade plus étrange, c'est que les fils de la Ré-'volution étaient les plus acharnés à combat-tre ce révolutionnairede la poésie, de l'ima-gination et de la langue. Armand Carreln'a-t-il pas dit que Victor Hugo passeraitcomme le café! »

Ce grand nom de Victor Hugo part del'aurore du romantisme dont il est le soleillevant, .ponr protéger encore à son couchantl'école de la vérité. Cela nous ramènedirectement à la question si actuelle et sivivante de l'impressionnalismeen littérature,et c'est en quoi ce livre sur les romantiquesn'est pas isolé de certaines créations con-temporaines.

En principe, nous croyons, que l'on doit ar-borer ce point de départ des littératures mo-dernes c'est que s'il convient à quelqu'undans une oeuvre d'imagination d'exprimerl'équivalent du veau à deux têtes ou de lafemme à barbe, toute liberté d'exhibition

doit lui être laissée. La critique opèreson scal-page, et elle l'accomplit avec d'autant plus desévérité que l'auteur a été maître de réaliserce,qu'il voulait. «La moralité d'un livre a ditun des maîtres impeccables de l'esthétique,-n'est pas dans la nature des.événements dontil se compose. Elle est dans la vérité et dànsla beauté. » Et si les odeurs de 7'~4ssoB27Ho/r,si le VM<re de Paris ont pu semblerparfoisirrespirables, comment nier que la forme soitaussi saisissante de vie par tous ses aspects,qu'un amas de vers grouillants dans unmorceau de viande gâtée? S'il est des esto-macs qui peuvent' absorber ces aliments tra-vaillés de putréfaction, pourquoi les empê-.cher de s'en nourrir? L'art doit tout tenter,tout oser. S'il lui plaît d'aller jusqu'à l'ex-trême limite du dégoût s'il a le don d'exci-ter les.nausées, c'est au lecteur d'éviter defrôler la muraille sur laquelle on n'aura pasplacé l'inscription de.raase de déposer desordures le /oay de ce .a?~ c'est a l'odoratde nous garder dans le détour à .faire, dansle chemin à prendre. Une des plus grandeserreurs est de prétendre que. la secte des im-pressionnalistes'a l'ordure en prédilection.Elle ne l'exclut pas lorsqu'elle la rencontre;.elle ne se promène pas dans les quartiersneufs, mais elle ne cherche point commeparti pris lé nauséabond, et ne s'englue pasexprès dans toutes les boues. 'Ce qui faitune conception, ce n'est ni la localité, d'unepeinture, ni le morceau isolé, c'est l'ensem-.

blé, c'est l'abject à côté du beau relatif.Voilà pourquoi les intransigeants nouveauxqui ont entrepris de regarder toutes les hi-deur's, toutes les plaies, à côté de ceux qui nerêvent qu'aux épanouissements et aux auro-res blondes de l'humanité; voilà disons nous

'pourquoi, les intransigeants lancent aussibien leur projectiledans l'arène littéraire quise compose des uns et des autres, impres-siônnalistes, puristes, sous l'uniqueconditiond'être sincère. Regardez les paysages hol-

-landais il en est auxquels on devrait met-tre trois signatures. Celui qui a touché ceciel, ce buisson, ne s'est point occupé depeindre les petites vaches rousses qui mor-dillent l'herbe du pré; la main qui a frisécette longue plume sur un chapeau de feu-tre rompu, coiffant quelque digne person-nage, est étrangère aux autres parties de lacomposition. Cependant la scène n'en estpas moins merveilleuse, trempée de lumièreet d'esprit dans tous les coins.

Le même fait se présente ailleurs, et l'in-transigeant, le paroxyste qui éprouve le' be-soin de protester contre l'annihilation com-plète des Ingristes et des Ponsards bourgeoi sbornant à eux seuls l'horizon romanesque,celui-là possède sa résonnance voulue etnécessaire, qui s'impose à l'oreille, commesa note s'impose à l'œil. Les tomber, commeon dit en style professionnel, est aussi ab-surde qu'illusoire. Balzacsdebarrière, le nezplongé dans toutes les fétidités, leur mission

,ést aussi importante que celle de l'auteur dela comédie humaine.

La 7~77e Elisa, qu'il a été question depoursuivre, en ce qu'elle éraillait certainsamours-propres auxquels il n'est pas bon detoucher, si l'on. veut dormir tranquille, la

Fille Elisa entendit longtemps réitérer surelle la fameuse sentence de mort qui, aucommencement de l'ouvrage, est « sortie dela bouche édentée du président comme d'un-trou noir. » Mieux eût valu. être atteint etconvaincu.de vol, que d'être surpris sympa-thisant au sentiment profondément philan-thropique qui avait dicté le livre à un hommede coeur. On passait bien à regret à M. Zolales tripailleries enchassées dans une langued'une autorité d'image coulée dans lemoule le plus énergique qui soit aumonde mais les révélations de- torturesd'une maison centrale, mais la honte infligéeaux équarnsseurs de bêtes humaines, cela nese pouvait. L'auteur eut certes, pendant unmoment, la crainte d'aller occuper le banc oùnous avons eu l'avantage d'entendre accu-muler deux fois sur notre personne uneheure et demie d'injures. Comme revancheon poursuivit le Tintamarre, et, disons-leune fois pour toutes, nous plaindrons tou-jours, de quelque parti qu'il relève, l'hommecondamné à voir amasser sur sa tête enquelques heures, plus de fange qu'il.n'auraitpu en accumulerdans ses écrits. L'écrivain'est traité avec une violence de haine que le

forçat ne connaît pas car les instrumentistescriminels ne sauraient avoir de haine contrele forçat dont ils se débarrassent, tandisqu'ils sont obligés de rendre l'écrivainà la société. Ils le suivent, par la pensée,sortant de l'audience, rentrant chez lui,s'épongeant le front, retrouvant un petit-très-petitcercle de fidèles, qui le réconci-lient avec le travail, et voilà ce qui les remplitd'une sourde rage. Ils ne pardonneront ja-mais à un homme de lettres de ne pas sesuicider en sortant du palais.

'L'intransigeant ou l'impressionnalistedoivent se considérer d'avance comme desgibiers judiciaires. Tôt ou tard, deux outrois membres de l'école, peut-être mêmetoute l'école, y passeront. Ce ne sont pour-tant que des questions purement littéraires;mais qu'importe, il faudra bien qu'ils y pas-sent, qu'ils soient attachés à tous les poteauxd'infamie la vérité dans l'esthétique déplaîtautant qu'en politique.

Il y a donc un double mérite aux intran-sigeants à continuer leur œuvre, car il yva de leur tranquillité, de leur fortune, deleur existence. On poursuivrait jus-qu'aux arrière-neveux d'un intransigeant.Si quelqu'un se dispose dans un roman queje ne saurais prévoir, à faire la moindre allu-sion à ce que j'appellerai a la partie senso-rielle de l'humanité x, c'est grave, très-grave,tout ce qu'il y a de plus grave. L'Evangilel'a condamné, les multitudes l'ont lapidé

C)

d'avance; l'arbre en zinc du boulevard sedépouillera tout exprès de ses feuilles pour.ne point l'abriter; les fontaines publiquesdistilleront du poison à son usage; légiti-mistes, orléanistes, jésuites, libres penseurs,fonctionnaires départementaux, nécroman-ciens, employés des -pompes -funèbres,banquiers, mères de famille au corset, cra-quant sous l'obésité, industriels, philantro-pes,'membres des comices agricoles, sport-

mens, spéculateurs, hommes politiques etprivés, se souvenantqu'ils sont abrités par legouvernement, sentiront leur colère tournerà l'apoplexie. II y aura toujours bien dansle code, à. l',usage de l'incriminé, quelquestraits concernant l'empalement, et ces mê-mes cuistres, qui se figurent entendre quel-que chose au métier, parce qu'ils ont donné àdiner.à un homme de lettres, savoureront, àun repas bien pensant, avec. l'expression in-telligente d'une carpe, l'écho du journal an-nonçant la'condamnation du susdit persôn-nage. Les mieux disposés réclameront pourlui le choix entre l'exil et le droit de s'ouvrirle ventre. « Il faut véritablement, disaitquelqu'un qui ne peut plus être cité auparquet parce qu'il est mort, que la Francesoit douée d'un bien joli tempéramentpour continuer comme elle le fait, àenfanter chaque jour, malgré les gens enplace, de nouveaux artistes. On se targuebeaucoup en France d'encourager les arts etles beaux-arts. C'est la plus abominable

hâblerie qui ait jamais été débitée sous leciel. »

Tout ce qui ne répond pas au convenu,tout ce qui se meut en dehors, est donc plusque jamais destiné à faire acte d'offusca-tion tout ce qui étend la couleur par la mé-taphore sera consacré comme illusoire.Aujourd'hui, l'épithète qu'on clouait dansla phrase comme l'ailé d'un papillon contreun mur, est regardée avec horreur et, deplus, condamnée par la loi.

Mais qu'ai-je nommé, grand Dieu! si je.t'oublie.jamais ô épithète trop adjectiviale,toi et le rôle que tu peux jouer dans un ca-sier judiciaire, puisse ma langue se coller àmon palais, mes doigts se. dessécher, mesgenoux être meurtris, mes cheveux et mesongles pousser comme ceux de Nabuchd-donosor pour les archéologues Nabou-choudouroussour puissé-je, si je com-mets la faute de t'accrocher. encore au boutd'une phrase, ô syllabe maudite, être con-damné à parcourir comme une âme en peine,les toits d'ardoise sous lesquels reposent tespersécuteurs, ou les épouvanter de mes hur-lements, ainsi qu'une bête nocturne.

Donc ce qu'on devrait appeler le « gueu-loir » moderne des impressionnalistes litté-raires, représente la situation, en 1830. C'estun effort vers l'afiranchissement perpétuelde la langue, en dépit des grammairiens deThémis, de la critique littéraire qui devraitêtre un atelieroù chacun vînt réaliser sa toile

pour les concours, et non une tribune péda-gogique.Mais l'infection présente des gouverne-

ments, s'attache à tout ce qui n'est pas l'in-dustrialisme du livre. Vous choquez, onvous dévore. C'est pourquoi nous faisons unretour vers l'âge d'or du rythme, où lescenseurs aussi âpres et moins puissants ne

parvenaient plus à empêcher. ce grandrégal du,beau plastique, dont la magistra-ture maintenue dans son prétoire, ne pou-vait; malgré ses efforts, entraver l'évolution.Nous l'étudieronsdans les derniersfeuilletonsde Janin, de Gautier, de S~ Beuve, qu'on nepourra point dénoncer, où nous retrouverons.Gautier aux prises contre Paul Delaroche,Delavigne et Ponsard. Tous ne s'attaquent-ils pas aux mêmes antagonistes que nous,à ceux qui font métier de flatter les pas-sions puériles d'un public qui persiste à secroire né malin?

Et quelle jouissance pour ceux qui sontcondamnés .a se taire, de voir la horde ro-mantique s'en prendre aux mêmes plaies quinous dévorent tout vifs, en 1878, cribler lasoi-disant école « dite du bon sens. » Quelplaisir de contempler dans une béatitudeparfaite, nos oppresseurslittéraires, fouailléspar eux comme des manants, sans qu'ilspuissent s'en prendre à nous. Nous nousestimons alors bien vengé de ce pionicat, deces gardes-chiourmes sous lesquels nousrampons. « Oh les bonnes fanfaronnades

disait quelqu'un qui n'était pas du clan de1830, mais qui les connaissait, et commesouvent ils ont dû rire entre eux, les bonsapôtres! heureux temps! heureuses gens!Ceux-là, certes, ont eu leur jeunesse, ils ontappris l'art dans la liberté et dans la joie;en un mot ils ont fait tout ce qu'ils ont voulugaiement; c'est encore le meilleur moyend'arriver à faire quelque chose dé bon. Aussis'en sont-ils donné de tout leur cœur, ilsont couru de toutes leurs jambes, crié detous leurs poumons, et c'est pourquoi ilssont restés bons marcheurs et bons parleurs.Et, généralement,c'est parce que le siècle afait CAamjoave/'< et Feu et Flamme, qu'il aproduit dans sa vigueur les œuvres saineset robustes qui l'honorent. Le mouvementétait donné, tout le monde marchait. »

EUGÈNE DELACROIX

E ce rayonnant tableau, déta-chons d'abord la figure de cefoudre de couleur qui s'ap-pelle Eugène Delacroix.

C'est à travers le saisisse-ment, l'effroi, l'emportement, le surhumainde l'expression qu'il se révèle. Son génie estune explosion de lumière et d'effet, qui s'im-pose encore plus par la véhémence, la pàs-sion que par la couleur. La physionomie,hautement mélancolisée sous la brosse deGéricault, reflète le fier et immense essor del'esprit. Un de ceux qui l'ont bien connu àl'époque de ce portrait, en 1822, dit que lanature altière de Delacroix plane audessus'de la haine ou de la critique « comme cette

fulgurante figure d'Apollon qu'il a jetée auxvoûtes du Louvre, oublie, dans la splendeurdes cieux, les chimères qu'il vient de ter-rasser, s»

Le portrait que nous avons sous les yeuxest une des dernières œuvres de Géricault,il date par conséquent de l'époque où Dela-croix venaitde faire 7)a~e et Virgile.L'auteurdu Radeau de la-Méduse ne supposait guère,sans doute, que cette toile dépasseraitl'atelier;car il n'a pas jugé à propos de revenir pardes retouches ou des glacis, comme lorsqu'ils'agit de terminer une œuvre pour les expo-sitions il s'est contenté d'exprimer dans unfaire large et vivant, la virilité de conception,la puissance créatrice de, ce jeune hommedont on aurait pu dire comme d'Hugo

Lui dont la main fermée est pleine de tonnerres.

Le sourcil est arqué, peu prolongé; l'ceilgris bien fendu; les cheveux ont des refletsfauves; la barbe a des tons roussâtres~surune lèvre bien ondulée; la bouche, par lavigueur et l'énergie du dessin, accuse lapression ~autoritaire de l'esprit, qui. sauramettre en ses paroles l'empreinte d'une su-perbe rébellion contre les coteries systéma-

tiques. C'est bien cette bouche qui devaitclouer, par sa fière réponse, l'objection deM. de la Rochefoucauld,intendant desBeaux-Arts., tentant de ramener le peintre dans lesvoies classiques « Qui prouve que ce n'estpas moi qui vois juste? –Tout le monde!Eh.bien! tout le monde voit faux. n

La figure de Delacroix est osseuse, commecelle d'un homme que la penséeabsorbe, lementon fortement prononcé par un large mé-plat. Pour costume, un paletot.marron;au cou,une cravate noire, nouée à la marinière, lais-sant à peinedistinguer un soupçon de chemise.

Telle est cette physionomie de peintre oude poëte, réapparaissant avec sa suprêmeélégance sur cette toile inédite. Aujourd'hui,le fond bitumeux en est un peu poussé aunoir; mais on y peut suivre les contourséclairésde la chevelure qui, chez les hommesd'inspiration, semble soulevée par une sortede flamme intérieure qui circulerait entre lesréseaux du front. Le peintre du Massacre deScio, de T'ree des Croisés a Co~s~aa-

-<~op7e, du ;S'aM<-<Së2)as<M72,necherche qu'àprouver cette théorie, que la ligne n'existepas, que le rayonnement lumineux donneseul le contour, la vie, la forme, le mouve-

ment, l'âme en un mot. De même que Victor

Hugo tranche le nœud gordien des trois uni-

tés, ce grand oseur, ce demi-dieu, fait unetrouée dans les nuées classiques et les en-fièvre de~ sa sauvagerie,' de sa rudesse ar-dente. Inquiet, bouillant, opiniâtre, il poussela couleur jusqu'au paroxysme; Gœthiste etShakespearien,créant, ainsi que Rembrandt,

:-comme par une sorte de vision intérieure

qu'ils ont le don de rendre sensible avec les

moyens .qu'ils possèdent, et non par l'étude

immédiate du sujet, » cachant sous une froi.

deur apparente « une âme battue par les pas-sions du génie, selon le mot d'ArsèneHoussaye~qui a suspendu, dans les galeries

modernes un portrait de Delacroixplus vivant

que tout autre. « Ingres est parti du bas-

relief antique » écrit l'historien de Léonard

de Vinci, « Delacroix est parti,de la passion

moderne. C'est l'homme'destemps nouveaux.S'il a vécu dans l'antiquité par des exis-

tences antérieures, il ne veut pas que son-

souvenir s'y attarde trop longtemps. Quand

il est obligé d'être mythologique, il l'est avec

tant de liberté qu'il transfigure l'Olympe

dans l'esprit moderne. Les. dieux de la fable

deviennent nos dieux; ils symbolisent nos

rêves, nos .idées, nos sentiments. 11 fatt desdéesses les Muses nouvelles. Pour lui, Mi-nerve est la sagesse, mais c'est aussi la pen-sée. Sa .Vénus n'est pas copiée d'après lesstatues antiques; c'est la volupté inquiètequi .à traversé les vagues furieuses. Ainsides autres. Les grandespersonnalités ré-forment le monde à l'image de leur âme. »Et plus loin, l'écrivain ajoute ce trait magis-tral «On peut dire que pour lui l'ordre,c'est le désordre, parce que le désordre c'estla vie. II ne mesure pas les~ ténèbres avec uncompas, mais avec une torche enflammée. »

De semblables individualités ont derrièreelles Homère, Dante, Milton. L'expressiondans son caractère~ héroïque, c'est là pourle peintre d'Hamlet le but que vient heurtersans cesse son poing de titan: force imprévueet rayonnante par la simplicité du jeu quin'éparpille pas les effets, mais les concentreen une rapidité d'action soudaine et foudro-yante, comme si la formule la plus directedu beau venait de jaillir à l'improviste sur latoile ainsi qu'un coup de tonnerre. On se de-mande après cela quelle grammaire est faitepour imposer ses lois aux adeptes de la phi-losophie ou de l'art; quel dogme absolu peut

enfanter l'esthétique; quels effarements decoloris miroitent, encore pour nous dans l'in-connu ? La figure de Delacroixévoquel'imagede je ne sais quel nerveux athlète qui con-duirait le char de l'idéal, dont les chevauxfantastiques se cabreraient avec des bondsprodigieux de la terre au ciel, comme sousla morsure d'un aiguillon invisible.

VICTOR HUGO

OMMEpendantàDelacroix,quipeut mieux venir que VictorHugo la couleur en poésie? 'If

Cette tète césarienne portele caractère de l'autorité qui,

armée du vers « dru et spacieux », a sapéle trône de la vieille poésie classique.Le signe de la souveraineté absolue l'amarqué. Ces cheveux chatain-clair, sou-yent labourés par les doigts, retombent,irréguliers, de chaque côté 'des tempesdessinées presque durement. Les jouessont pétries d'un modelé serré, sur le-quel la flamme du regard semble prêteà épancher l'ardent rayonnement de deux

prunelles magnétiques et brillantes. Laprojection de ces prunelles rappelle le -re-gard des religieux du moyen âge, entrevudans les trous de la bure monacale percéeseulement à l'endroit des yeux. Le nez estd'une ligne tranquille, aux narines dilatées,aspirant avec dédain les grandements du« perriquinismeaux abois. La bouche, lementon dépourvude barbe, indiquent la déci-sion par un trait précis. Pour costume, uneredingote noire, et le fameux col de chemiserabattu sur la cravatte, que les disciplesdéploraient comme une concession à Joseph

~Prudhomme.

Haine et enthousiasme de la foule, siffle-ments orageux, éclairs et foudre faisant ir-ruption dans le nuage de bêtise aveuglantedes bourgeois: voilà ce qui constitue l'avéne-ment du romantisme dans la personne deVictor Hugo; C'est au milieu des élémentsclassiques déchaînés, qu'il apparaît commeun dieu dans une majesté olympienne.Au sondu cor d'Hernani, au mot d'ordre de la de-vise espagnole ~'er/'o fer tous se sontralliés à lui et l'ont proclamé roi. Ce membrede la république de Platno est un chefde dy-

3

nastie. Il porte les colonnes d'Hercule du ro-mantisme sur ses épaules; il en est le Michel-Ange. Comme Buonarotti, il a 'l'exécutiontourmentée, raboteuse. Dans son vers ou saprose, on sent les muscles dessiner leur os-sature puissante. C'est 'lui qui, dans l'ordrephilosophique, s'est aventuré le plus témé-rairement sur ce cap de l'esprit qui s'avancedans l'illimité. Il navigue plus loin que lesautres sur cette mer du possible; maissouvent la pensée, d'une puissance de con-texture étrange, reculera indéfiniment lesfrontières de la langue ou du verbe humain,dont la configuration est trop étroite pour lacontenir. L'idée est alors contrainte de sebriser, pleine d'éclairs, contre les mots,et souvent nous ne percevons que la silhoh-ette gigantesque de sa formefuyanteet vague.Différent en cela de Balzac, désespéranttoute sa vie de franchir l'abîme qui séparela pensée de l'expression, il dit hautement

« Je ne sais pas l'art de souder une beautéà la placé d'un défaut, et je me corrige dansun autre ouvrage. » L'alexandrin drama-tique, comme le désigneGautier, prend chezlui une ampleur de registre, une force in-tensive* saisissante, et roule avec sa fougue

altière, ses allures léonines, sur les lèvresde. Mlle Mars ou de M"" Dorval. Espagnolpour le coloris, ivre'de cette lumière qu'il'faitjaillir par les accidents de la coupe, la vio-lence" des pensées rebelles à toute pression

se trahit sous les mâles brisures de son versgrandes, tirades pleines de ressentiments,montées de ton, sculptées comme une frise,où la pensée revêtue d'ùne forme vraimentsouveraine bondit, éclate, riche, colorée,verveuse. En scindant le mètre, comme dansle Pas e~rœas du roi Jean, la Chasse du~Hr~T'a~, -on dirait que la rime se dresse,fragmentant les images et la couleur, ainsique dans les panneaux d'une verrière go-thique.

Grand, parce qu'il a souffert, il a le criterrassant de la douleur, le cri de l'angoissemoderne. Qu'un type riche, pauvre ou abjectse présente, il lui donnera la profondeur etl'étendue. Que l'homme s'àppelle chez luiCharles-Quint ou Didier, il le rend avec songeste éternellement vrai, invariablement su-blime. Et c'est en cela qu'il égale Homère, engardant le rire rabelaisien. La prose hugo-tique de Notre-Dameest une iliade entrevuedans le clair-obscur du moyen âge.

Ce qui apparaît en lui dès qu'on l'aborde,c'est le principe de l'exagération de l'oeuvre.Dans cette concentration de l'idée et cettesolidité dû moule, a la forme, arrachée à lacréation sous sa plus -nerveuse enveloppe, »palpite avec une inflexibilité de dessin su-perbe. Victor Hugo reste obsédé de là con-ception épique ou surnaturelle, quelle quesoit la figure'qu'il interprète. Mais, ainsique dans les taureaux ailés et les kéroubsde l'art assyrien, on retrouve toujours, àtravers son rêve de l'énorme et du colossal,« les traits de feu de la.face humaine. »

3.

il 1 1ALEXANDREDUMAS

E frère d'armes de VictorHugo pendant toute une pé-riode fut Alexandre Dumas.,

A-t-il revêtu. le fameuxhabit. vert déchiré sur son

dos à la première d'Antony, par des admi-rateurs effrénés qui s'en disputaient lesmorceaux comme des reliques? Sous cethabit, mille et une organisations de roman-cier se sont dressées tumultueuses.

Lorsqu'on regarde ce front fièrementjeté en arrière, portant ceint le mot univer-salité, au-dessus duquel bouillonne unechevelure crépue, énorme bouquet d'un noirmat, tranchant sur l'ardente coloration car-

.3.

néenne; cette coupe oblongue du crâne etces angles immenses des tempes où la mé-moire creuse les avenues babyloniennes del'histoire lorsqu'on regarde ces paupièresbattues par la pensée, ces larges lèvres em-pourprées par le. sang créole, surmontéesalors de quelques poils de barbe rude; unmenton grassement rattaché à de robustesmâchoires;'ce col de taureau, ces mainsépaisses et courtes, cette taille prédisposée'à un embonpoint précoce, on croirait voir leMirabeau du drame et du roman. Les sour-cils font un léger écart et s'abaissent à 'lapointe sur l'œil au globe saillant, pu sebaigne la prunelle noire et chaude, faitepourdompter avec le vol du regard. Le nez,très-ouvert aux narines, se relie solide-ment aux muscles-charnus des joues vasteset rebondies.

C'est bien l'ample et puissant caractère del'improvisateur, dont la plume devance lesheures par sa vitesse, chez lequel l'inventionbondit sans jamais vider ses tiroirs, créantainsi « le'train express de la littérature e etdes « hommes d'esprit à -toute vapeur, »C'est en courant à toutes jambes qu'il attrapele trait, la répartie saillante, l'esquisse libre,

où, si la vérité historiqueest parfoissuspecte,l'accent humain est toujours vrai.

Comme-Voltaire, auquel l'épilogage mo-derne reprochait d'avoir fait d'Orosmane unpetit maître de Versailles, il répondra quel'habit n'est rien que le grand art est celuiqui, se souciant peu du temps, s'en va cher-chersous la friperie du costume « ce coquinde moi-même et, lorsqu'on l'a rencontré,chez le prince ou le roturier, vous tient enhaleine pendant dix ou douze volumes; carl'on y reconnaît quelque chose de soi pétridans l'argile des autres.

Dans son œuvre, on ne retrouve pluscette peinture à modelé précis, où la pâte estcernée par le contour'avec une vigueur d'é-treinted'un dessin infrangibleque Balzac seul

a possédé. Mais c'es t la prestance ondoyantedela phrase caressée par l'esprit, qui enveloppeles physionomies sans les serrer de trop près.L'encre de sa plume infuse sa vie personnelle

aux personnages du passé il ne médite pasleurs contours, il souffle sur eux tout d'un

coup en leur criant Levez-vous et marchez.Il les jette, nouveaux argonautes, dans undédale d'évènements, d'intrigues, s'inquié-tant peu de les faire ou non mentir à la tra-

dition, pourvu qu'ils décrochent la fameusetoison d'or du succès. En retournant lemot édicté sur Balzac, on aurait pu direque, quoique son œuvre conserve le souffleencore moderne, les ombres du passé au-raient obéi à son appel car il pourrait commeGœthe, évoquer du fond de l'antiquité labelle Hélène, et lui faire habiter le manoirgothique de Faust. » Il se démène avec un

entrain de diable au corps dans ce. monde dejeunes gens à moustaches en croc et àroyale, à pourpoints tailladés et à feutresornés de plumes féroces, héroïques, mar-tyrs et vengeurs, rusés, amoureux, fana-tiques,' ambitieux, rêvant la conquête dumonde, fous comme la passion, se grisantsans faire rire, avec de grands sentiments,et d'une popularité qui leur donne aujour-d'hui les proportions et la réalité de l'his-toire. C'est qu'aussi, c'est dans l'oeuvre deDumas que le peuple l'apprend, l'histoire!1Qu'on aille lui dire. que tel ou tel personnagen'a point existé, que tel .autre n'a pointvendu sa conscience, il se contentera de.rire; car ce public-là le reçoit, toujourscomme-à la première d'Antony, en 1831.Adèle cf~fervey et A.n<o.ny, deux noms qui

évoquaient une salle en délire. <[L'amour mo-derne, rappelait à ce sujet un critique qui

en a été aussi spectateur, se trouvait admi-rablement figuré par ce groupe auquelM°" Dorval et Bocage donnaient une inten-sité de vie extraordinaire. » Comme tout yest éperdu, fatal comme on y respire l'il-limité de l'amour! comme la femme yapparaît brisée avec des accablements natu-rels, et succombe sous l'empire de la mysté-rieuse inspiration infernale qui mord lesplus rebelles !'Avant Dumas, l'intrigue d'unroman ou d'une pièce, divague dans lecreux abstrait de certaines sphères très-,idéales, où les héroïnes se gardent bien defroisser leur blanche robe par des étrein-tes trop vives où les amants se parlenten gens quintessenciés d'élégance oùles maîtresses ne trouvent rien de mieux àfaire que d'improviser de longues tiradesbien académiques, en face d'un Oswaldganté et toujours correct. Soudain « ce fai-seur de drame en trois journées fait irrup-tion. Pendant qu'avec Hugo la- vieille tragé-die s'enfuit essoufflée, en mordillant les.derniers anneaux de sa queue classique, cedémon s'élance à son tour, Arioste'du xix°

siècle, haletant, dévorant l'espace, emportépar cette cavale écumante le génie, qui fait

que chacune de ses œuvres renferme unmonde lui dont le moi fut immense, sansqu'il ait cru devoir s'en défendre, et qu'uneparole sortie de sa bouche à proposdu poëtede la cour d'Élisabeth, peindrait tout entier

« Shakespeare! » a-t-il dit quelque part« l'homme qui a le plus créé après Dieu. »

THÉOPHILE GAUTIER

HÉOPHILE Gauler à été

un maître parmi les disciplesde Hugo.Théophile Gautier, ou plutôt

Théo, comme l'appellent sesamis, porte un front haut, large, vrai mor-ceau de marbre surmontant l'élégant édificede la stature. L'épaisse chevelure, aux bou-'des légèrement fuselées, en projetant unedemi-teinte sur les tempes, fait encore ressor-tir la douceur de son éclat marmoréen. Labouche d'un dessin ferme, volontaire, est voi-

lée par les velours sombres de la barbe quis'accusera un jour au menton en une masseonduleuse et carrée. Un trait énergique,arrêté, borde la paupière; au-dessus, le

noble étage des sourcils relève d'une sorted'âpreté d'accent toute cette pâleur domi-natrice. Le nez est terminé par deux ailesdont le renflement met une pointe de dédainélevé, caractéristique, dans l'expression.-A travers ce masque, on remarque quelquechose d'intrépide qui retourne -sans dire gareles lieux communs des jugements reçus, uneffréné joûteur qui percera d'outre en outrela grasse imbécillité, un appétit qui mange-rait du «chiffreurs, une-insolence sincèrepour la sottise, un inventeur'qui frôle legénie, comme l'a déclaré Janin.

L'espritou lacritiquese traduisent chez luisous l'évolution d'une sorte d'ironie divine~ sil'on peut exprimerainsi la façon dont il saitacé-rer'la vérité, et la faire jaillir en traits d'uneirrévérence malicieuse. Au contraire de cetécrivain qui s'estappelé Saint-Marc-Girardin,et quiavouait emphatiquement: a Les sentiersbattus, je les adore, D il a une crainte invin-cible d'embourgeoiser l'idée, de l'empri-sonner dans une robe qui ait servi seulementune fois aux fripiers littéraires. Ses imagesont souvent, aux yeux du lecteur, a l'attraitprovocant dés gracieuses succubes, e onne peut les coudoyer sans se sentir monter

4

au cerveau des bouffées d'une ivresse capi-teuse. 'Chaque pensée reste une figure douéede vie~ dé mouvement; d'action, qui se meutà travers le style revêtue d'un air de beautésouveraine; On dirait un personnagesemblable à une statue antique, que l'onverrait tout à coup, selon l'expression em-ployée à propos d'un grand peintre, « des-cendre de son'piédestal, et parcourir le'monde avec grâce. »

Ce poète est un métrique qui a battu le

vers et soudé la rime, à l'aide du marteaudu travailleur opiniâtre. Il l'assouplit, et broieau besoin les termes les plus insolites;il façonne a pas.sM7!.na<o la forme agres-sive, et de ces éléments en apparence irré-ductibles au verbe, on.voit sortir lé bloc de.métal dans lequel il réveillera « quelqueVénus dormant encore, x et où l'on retrou-vera les traces vives de la râpe et du ciseau.

'Ce lion du romantisme qui a tressaillicomme un cheval de bataille à l'écho du cord'Hernani, a gardé au fond du cœur le cultedes olympiens.. Il est païen pour le contour,mais il sait relever aussi la pâleur desmarbres par des tons d'une puissance et d'unéclat plus modernes. C'est à lui que cette

parole de. Joubert convient surtout « Lesmots s'illuminent quand les doigts du poëtey font passer leur phosphore. »

Gautier avait-il conscience qu'il n'appar-tenait guère à ce. siècle où il vivait? Égaré

un instant au camp des Philistins du xix",

se sentait-il solidaire d'une autre époquedont la figure avait déjà pris possession del'histoire, il y a deux mille ans? l'on estbien tenté de le croire, et ce n'est certes pointà son insu que sa conscience d'écrivain leramène vers la Grèce. Il semble que c'est ûneâme qui n'a pas été trempée assez fortementdans les eaux du Léthé avant de s'incarner,et qui a gardé impérissable, le souvenir de lapremière patrie. Ceux-là qui ont comme luila date du ve siècle avant Jésus-Christ à ins-crire sur leur registre de naissance, en vainon les emboîte dans l'étroitesse du vêtementparisien sur leurs épaules a flotté là chla-myde l'asphalte leur brûle les pieds; ondirait qu'ils marchaientà l'ombredu portique.L'entretien qu'ils ontcommencé chez d'autresque leurs. contemporains, ils le poursuiventtdans le silence intérieur. C'est la pensée qui

converse avec la pensée à travers les dis-tances. Jamais, croyez-le, ils ne s'acclima-

teront au milieu de nous. Ce qu'on prend ici.pour du dédain, n'est que l'expression decette nostalgie mystérieuse de la contrée d'oùle sort les exila. Seuls de tous ceux de leurgénération, lorsqu'ils passent en face d'unedes ruines architecturales de ce pays dont

ils,ont le reflet dans l'esprit, lorsqu'on évoquedevant'eux les scènes qui s'y sont déroulées,ils répondraient volontiers J'étais là.

MADAME DORVAL

T maintenant que.nous avonspeint Hugo et Dumas, voicila vraie femme de leur théâ-tre Marie Dorval.

« Lorsque de cette boucheaimées'envolentlespensées secrètes de votrecœur avec les vers du maîtreadmiré quevousrécitez en même temps qu'elle, il vous sem-ble que c'est pour vous seul qu'elle parleainsi, pour vous seul qu'elle trouve ces ac-cents qui remuent toute une salle, pour vousseul qu'elle a mis cette rose dans ses cheveux,ce velours noir à son bras réalisant le rêvedes ppëtes, elle devient pour la critique uneespèce de maîtresse idéale, la seule peut-être qu'il puisse aimer. »

Ainsi la critique, dans un des feuilletonsde la Presse de 1849, dessinait la vivante

esquisse de Marie Dorval; esquisse oùtoutes les impressions que faisait naître

sa présence à la scène reviennent en foule.L'ovale du visage amaigri se. modelaitdans. la demi-teinte frappée sur les joues pardeux bandeaux plats et lisses qui descen-daient très-bas. Les lèvres s'abaissaientfacilement aux coins, sous le pli de la souf-.france,'lorsqu'il s'agissait d'exprimer Marie-Jeanne, la pauvre femme du peuple, meur-trie et vaincue: Le dessin allongé des pau-pières accentuait encore le jeu de remuantetristesse qu'elle rendait chaque fois d'unefaçon plus inédite, comme si l'on n'avaitpointinterprété la résignation avant elle. Danscette poitrine grondaient les sanglots del'amour fort et vrai, quand, remplissantle rôle de Marion, Dorval se traînait auxgenoux de Didier, à la fameuse scène dupardon. « Ce n'était pas une figure, c'étaitune physionomie, une âme, » écrivait d'elleGeorgesSand, qui, à ce qu'il paraît, a vécu silongtemps en son intimité, « elle était mince,et sa taille, un souple roseau, qui semblaittoujours balancé par quelque souffle mysté-

rieux sensible pour lui'seul. )) Jules Sandëaula compara à la plume qui ornaitson chapeau,d'une-aile si brisée, si flexible, qu'on l'auraitcrueintrouvable. <tJe suissûr, disait-il, qu'onchercherait vainement dans l'univers uneplume aussi légère et aussi molle .que cellequ'elle a trouvée; cette plumeunique et mer-veilleuse a volé vers elle par la loi des affi-nités. » Parmi les poses plastiques, certainesattitudes inclinées révélant l'accablement,seront pour elle l'objet de longues médita-tions. La ligne souple et si romantique de laMàgdeleine de Canova était aussi la sourcede ses études profondes.

Lorsque ce n'est pas -la pose qui la pré-occupe, c'est l'énigme historique de l'amante,de cette, galiléenne qui emporte son amourau désert afin de ne point le profanerparmi leshommes. xJe passe des heures à regardercette femme qui pleure, si c'est du repentird'avoir vécu ou du regret de ne plus vivre.A présent, je l'interroge comme une idée.Tantôt elle m'impatiente et je voudrais lapousser pour la forcer de se-relever, tantôtelle m'épouvante et j'ai peur d'être briséeaussi sans retour. Cette Magdeleine-! ellel'a vu, elle l'a touché son beau rêve elle a

pleure à ses pieds, elle les à essuyés de sescheveux! Où peut-on rencontrer encore unefois le divin Jésus? si quelqu'un lésait, qu'ilme le dise, j'y courrai. Croit-on que si jel'avais connu, j'aurais-été une pécheresse?Est-ce que ce. sont les sens qui entraînent?Non, c'est la soif de toute autre chose c'estla' rage de trouver l'amour vrai qui appelleet fuit toujours. Que l'on nous envoie dessaints et nous serons bien vite des saintes.Qu'on me donne un souvenir comme celuique cette pleureuse emporta au désert, je vi-vrai au désert "comme elle,-je pleurerai monbiën-aiméetjenem'ennuierai.pas.

C'est dans ce langage de feu que se révèleMarie Dorval, «âme troublée et toujours ar-dente~ dont les effusions mystiques cachaientl'étoffe d'une sainte, trouvant dans son cœur,et son organisation si fortement individuelle,si originale, de quoi sortir du fictif et du con-'venu. Elle enfante des personnalités d'unsentimenttoutmoderne où l'âme a le véritabledon créateur ~efePe, Marguerite, JeanneVaubernier, Marion Delorme. Iinaginationactive qui se torture parfois elle-même etdévore la distance pour aller au devant desévènements qui peuvent ~atteindre, plaçant

toute chose au niveau de la passion: lesacrifice, l'amitié, le travail et la souffrance,le plaisir et le désespoir, ne sachant riendompter, nature faite pour être vingt foisabattue et se relever au lendemain d'une crisepoignante encore plus verte et plus altière. Ily, a en elle l'étoffe de dix existences elle metpartout la griffe de son esprit inquiet et insa-tiable quand le geste souligne encore saparole, elle trouve des accents de maternité,des cris d'une sauvagerie éloquente et jeune,d'une sincérité à faire crever l'enveloppe hu-maine sous la force de l'explosion; elle gardejusque dans les expansions impétueuses desa gaieté quelque chose de fatal. «On n'auraitjamais pu, dit George Sand, lui faire le rôleoù elle se fût manifestée et révélée tout entièreavec sa verve sans fiel, sa tendresse immen-se, ses colères enfantines, son audace splen-dide, sa poésie sans art et ses rires naïfset sympathiques, soulagement momentanéqu'elle semblait vouloir donner à l'émotionde son auditeur accablé.

D

FREDERICK LEMAITRE

<-

N ne peut évoquer la mémoirede Mme' Dorva! sans parler.de Frederick Lemaître.

Le' dressemerit fougueuxde sa chevelure, hautain,

furieux, couronne'son front comme uneflamme. La volonté a marqué cette phy-sionomie du sceau de la nerté, de l'iro-nie, de la souffrance, de l'amour et de lahaine, de~ l'astuce et du dédain. Le nez unpeu.proéminent, "se relève à l'extrémité.La bouche abaissée aux coins, railleùsementsceptique,est prête à lancer l'apostropheyiolente, implacable, qui faisait reculer Lu-crèce Borgia, lorsqu'à l'apparition des sixcercueils, Frédérick lui jetait d'une voixcreuse: cllen manque unseptième, madame.D

Les tourmentesdramatiques ont grondé dans

ce front ample, étincelant, sans en affaiblirles lignes si richement remuées de millecréations. Sous les sourcils cintrés, l'oeil secontracte ou se dilate par l'effet de la fureurou de la moquerie, et brûle plein de lueursd'irisations étranges, entre des paupièreslargement ouvertes et commetaillées en pleinmarbre. Tête se modelant à volonté, facé-tieuse et lugubre, et dont l'argile apparaîttantôt travaillée par les tortures de l'âme, oureprenant les traits grandis et reposes quila feront ressembler à un bronze romain.

«Vous vous le rappelez, n'est-ce pas,écrivait Dumas, ce jeune homme, élégant,au visage pâle, au cœur de fer, cet Edgardde Ravenswpod, si brave, si loyal, si infor-tuné ? Vous vous le rappelez, lorsque tournantlentement la tête, il acceptait par-dessus sonépaule dédaigneuse, le défi de son rival, lors-qu'il arrachait convulsivement de sa poitrinecette chaîne que sa maîtresse lui avait donnéedans un moment d'amour, et qu'il lui rendaitdans une heure de colère ? Oh qu'il avait defatalité sur son front, cet homme, et qu'ilétait bien né pour être malheureux, et pourmourir,de mort violente j Vous vous le rap-,

pelez, car c'était une de ces figures puissan-.tes, larges et vivaçes, qui se mettent enrapport avec toutes nos sympathies, quientrent violemment dans notre mémoire, etqu'on revoit toute sa vie avec les yeux del'imagination, lorsqu'on les a vues une foisseulement avec les yeux du corps, t

Veut-on un contrastesaisissant cette phy-sionomie ? Regardez.Frederick entrant comi-quement dans la.peau du fameux Raymondde l'j4Hj6er~8 ~es~e~re. Quelle écrasantefacétie Quel interminable éclat de rire pen-dant deux cents représentations, qui enfoncedu même coup la caverne et les voleurs dudrame <tà forçats sérieuxJD Le voici, avecson pantalon jaune collant, sa cravate rougedésourlée, son castor, ses coudes percés, etsa fàmeuse tabatière longue à charnièresgrinçantes, usé, râpé, rapiécé. Cetincroyablede la misère, au geste prétentieux ce bandit

'fashiona.ble, dont le rôle, accusé jusqu'à l'ex-travagance, poussa l'ivresse de la gaietéjusqu'au délire, dans une pièce où l'auteurvoulait faire pleurer.

Cent drames ont palpité de son souffleRobert-Macaire l'a vu débordant de fielRuy-Blas, arrachant' un cri terrible, un

cri plein de délire et de vengeance

Je crois que vous venez d'insulter votre reine

Paillasse, mettre l'empreinte du génie même'dans la trivialité.

<tIl saura, dit un critique,

jeter sa femme par'la fenêtre avec la mêmeaisance qu'il cuisine la soupe aux choux dusaltimbanque D. Il a le pouvoir dé descendrejusqu'à la farce et de monter jusqu'à la poésie-la plus sublime. C'est dans l'expression do-minatrice de ses yeux que l'on retrouve lereflet « du regard, de l'aigle, ce feu hardi quipeut se confondre dans la lumière homogènedu soleil, s L'oeil de Kean, cet éclair magi-que, cette flamme enchantée. x Henri Heinel'a reconnu dans l'œil de Frederick, commeon reconnaît chez lui la déclamation, le débitsaccadéducomédienanglais,Protéedu drame,ayant l'étincelance de geste etdevoix.etl'au-torité physidnomique, aussi morne que ladouleur, plus amer que Méphisto, sinistrecomme ce pâle soleil éclairant la scènedes Folies dramatiques, où Robert Macairomontait chaque soir vidant les derniers éclairsd'une prunelle sarcastique sur le parterrehaletant.

ALFRED DE MUSSET.

LFRED ~de MUSSET fut aussidisciple de Hugo, mais ilfit de suite l'école buisson-nière. L'ironie le laissa, raiLleur impitoyable, bafouer ce

qu'il aimait, à force d'en avoir~soun'ert.0, désespoir, divinité descendue des cer-

cles du vieux Dante parmi les drames du ro-mantisme puissance,incalculablequi donne atous le droit de maudire élan profond quicentuple les forces,, et nous communiquecette vigueur de haine envers Dieu, quidevrait au moins obliger à la colère le dé-daigneux arbitre de la vie; de quelle liqueuramère tu nous abreuves, lorsqu'avec Byron,Lamartine, Hugo, Musset, tu joues de ton ar-chet sur les cordes de l'âme! On dirait que tubrises tous les vieux moules de la poésie, et

que, du déchirementde toutes les harmoniesen déroute, tu tiresdes effets inattendus, desvibrationsd'une tonalité étrange. Nous te sa-luons, hymne acerbe de la douleur, novissi-ma verba, quijiousvengesdu destin, «commed'un coup de poignard, s On t'a proclamémaître, car tu as donné les accents qui aidentl'hommé à braver ce qui est plus fort que lui.Comme ces Indiens qui insultent leurs vain-queurs en chantant au milieu des supplices,tu lui fais trouver l'accent de défi qui lui per-met au moins de mourir avec quelque gran-deur

Ainsi nous songeons devant'le nom de cepoëte disparu sitôt. Mort après avoir parcourule clavier des notes aigües de la souffrance,son nom a été Rolla, lorsqu'il vivait parminous. Sil'on se reporte à l'époque où ce por-trait est le sien, la physionomie semble faitepour soulever tous les problèmes phrénolo-giques. La chevelure blonde recouvre uncerveau où vient se loger une ardeur dévo-rante, une volonté sans frein et peut-êtresans direction. Jamais cette boite caractéris-tique du crâne, qui dérobe tant de forceslatentes, ne cacha plus d'élans aveuglés,plus d'aspirations eSrénées vers le bonheur,

Le voici tel qu'il était alors à la Sorbonne,dans les allées du Luxembourg, «la taillesvelte, serrée dans une redingote brune, etparaissant, à vrai dire, plus occupé de toiletteque de poésie, » Sous la barbe pâle et fine, lesmuscles durs et solides du menton accusentl'énergie. Dans cette figure chevaline, d'ungalbe mince, élégant, au nez long, étroit, auxlèvres sensuelles; se lèvent les orbes d'un re-gard tantôt terne, tantôt fiévreux. On voit sedessiner, à travers le masqueamaigri, toutesces cavités éloquentes d'où jaillissent lamémoire, la force créatrice de l'esprit, lapassion dans la douleur, le rire dans l'amour.

Acharné à poursuivre la vérité comme àl'attaque d'une redoute, il garde la person-nalité inquiète d'une jeunesse irritable; Allerde Hugo ou de Lamartine à Musset, c'estpasser d'une statue eu face d'un buste: il y aentre leur individualité morale, la même dis-tance qu'entre leur type physique. Chez Mus-set, le profil est affiné par l'esprit. Du largecourant'où l'on navigue chez les uns, on setrouve en présence d'une organisation plusmobile, que l'aile du caprice enlève et reposeà terre. La conception jaillit de moins hautla surface du style n'est plus un bloc de

marbre dans lequel on taillera à grands traits,mais un' joyauserti avec l'éléganced'un spiri-tuel ouvrier, et dont les miroitementsvibrent

comme les biseaux de l'acier.Mais ce négateur a le moi humain, le moi

vivant, le cri de l'âme ulcérée qui percesous les a gamineries poétiques, le dan-dysme byronien,D les négligences volontaireset tout affectées, de donner un croc-en-jambe à la'forme dont l'école romantique semontre cependant si sévère. Rétif au plaisir,il poursuit l'expression d'un certain idéal device. Son doute se change en aspiration;son amertume appelle la croyance; surcette tristesse, l'or du, sourire resplenditquelquefois: c'est Forage aperçu entre lesrayuresprismatiques du soleil. Ainsi, que cesp.oëtes qui déposent .la douleur qui lesaccable dans leurs vers, et s'envolént après,soulagés, comme Gœthe, il ne peutécrire que, pour lui, a poésie est déli-vrance»; car il meurt de ce spleen; car, tout enl'interprétant dans son œuvre, il ne s'en séparepoint ainsique d'un fardeau; car, selon l'ex-pression d'un commentateur, il garde jusqu'àla fin. xson cœur brûlant et ennuyé.N EtVOilà pourquoi tu es grand, ô Musset et

5.

non pouravoirose secouerla statuede Voltairede tes faibles mains, comme si un seul deses débris titanesques n'eût pas suffi pour't'écraser, « enfant superbe D

En son vers d'un jet altier, le rhythmebondit avec un mouvementqui le fixe à jamais =~

dans la mémoire; la chanson vole alerte etcavalièresur ses lèvres, de même que le sondu cor- à une heure .matinale, et la rime piaffeen évolutions brillantes. Tantôt il semble quel'amour éventre l'enveloppe d'un seul trait,et projette sur les ~Hj<s son rapide éclair,pour enfanter.après, comédies <: aux ailesd'abeilles, a poëmes battus de mille vents

contraires. Rolla, Mona Belcolore, Franck,Hassan, Namouna, spectres tragiques de sesveilles, peut-être vous penchez-vous à sonoreille pour lui murmurer à votre tour dansle silence du tombeau:¡

Dors-tu content, Musset?.

Mais, plutôt, éveillez-le de votre plus douxsouffle, faites flotter sous sa paupière lesvisions de cette jeunesse à laquelle il nevoulut pas survivre, car aucun autre ne per-sonnifia mieux parmi nous cette « chose légèreet sacrée,)) cet être fragile, ni dieu, ni mortel,

dont parle un ancien, et qui s'appelle unpoëte, dont l'existence aura été encadrée,pour Musset, entre ces deux vers; l'un quicaractérise le matin de la .vie

Franck, une ambition terrible te dévore..

Et celui-là que le pressentiment d'uneagonie en détresse, d'un affaissement précocelui a fait lancer pareil à une flèche, sur sondrap mortuaire

La poussière est à Dieu. Le reste est au hasard.

GEORGE SAND,

OUS sommesenprésenced'unportrait acquis à l'histoire, decelle qui fut si impétueuse-ment aiméeet anathèmisée parMusset. `

George, ou plutôt Indiana, car ce nomconvientmieux à la rêveuse physionomie que

nous interrogeons, a toujours gardé cjmmele trait le plus frappant, l'énergie deslignes jusque dans les courbes les plusdélicates. Dans l'encadrementde la chevelurecourte et bouclée, d'un noir chaud, l'œ.ilbombé s'allume et scintillé doucement, douéd'un caractère qui vous enveloppe en sesattirances; le visage se colore, les contoursprennent de l'accentuation; le nez est long,-mince, serré à l'extrémité, et la bouche, qui

devint si proéminente, indique la fermeté,la décision.

A cette période de sa vie, après Lélia,après les Lettres d'un voyageur, on se la

représente sous les traits 'd'un jeunegarçon, d'un poëte enfant, qui vous charmepar son ardeur et son étourderie. Le vêtementmasculin qu'elle prend pour ses courses,aide encore à l'illusion. Ce qui lui fait aimerle bien, c'est le sublime instinct d'artiste quivous met au coeur une vague inquiétude de

ce qu'on sent plus haut que soi. Mais ellene le rêvera que comme un des 'effets duparachèvement de. l'ordre social. Elle al'inquiétude du vrai plutôt que la passion;la curiosité du beau, plutôt que l'amour;l'attrait du' mouvement qui fait que l'ons'y précipite tête baissée, et non le sen-timent d'harmonie qui rétablit l'accord oul'équilibre entre les hommes et les choseslorsqu'il est rompu. L'inconnu exerce sur elleune fascination continuelle; mais ce n'est plusavec la certitudeque l'inconnu lui cacheune loiou un secret, c'est sous l'attraction que levide exerce sur l'esprit du penseur,

Dans ses paysanneries et ses romans,George Sand a-t-elle vu dans la nature autrechose que ce qu'on y peut voir; c'est-à-direla splendide enveloppe mortuaire de l'hom-me ? Non sans doute; les étoiles ne sont queles clous scintillants qui servent à murer les

parois du brillant cercueil où nous naissons,où nous nous dissoIvons.T~ouveauFaust, elledirait volontiers au principe qui préside à ladestruction des choses de l'univers

<:En

m'accordant de regarder dans son sein pro-fond, comme dans~ le sein d'un ami, tu asamené devant moi la longue chaîne desvivants, et tu m'as instruit à. reconnaîtremesfrères dans-le buisson tranquille, dans l'air,dans les eaux.B Peut-être cette conceptionpanthéiste apparait-elle privée de. ce verbedivin que Dante appelle il primo amor

peut-être laisse-t-elleà l'âme un effroi incons-cient mais si l'on y réfléchit, c'est une façonà ellede spirituàliserla nature, comme Byroh,et non de l'anéantir, 'Ce n'est certes pas,.selon son expression, en s'annihilant au ni-veau de la matière ce n'est pas non plus «enabjurant l'immortalité de- sa pensée, pourfraterniser, dans un désespoir résigné, aveclés éléments grossiers de la vie physique;»c'est plutôt en prêtant une existence d'unordre perfectible à ce qui sera. Qu'importe

que le mot «Dieu» ne soit que la signification.allégorique prise en sens caractéristique du~beau. Comme l'a écrit un penseur chacunporte en soi son Montaigne, sa nature un peu

païenne, son moi naturel où le christianismen'apointpassé.

Ainsi que Lamartine, le don naturel de laparole l'emporte à imposer, elle aussi, à ceuxqui l'écoutent en proie à l'ivresse, des véritésdont la forme les fera toujours accepter sansdiscussion. S'il lui plait de faire aimer l'athé-isme, on cherchera en vain à s'en défendre,on l'aimera; car il y aura dans la statue.du dieu certains airs de grandeur qui domi-neront. Quoique née de Rousseau et ap-partenant dès son début au mouvement ro-mantique, George Sand ne s'est enrôlée sousaucun maître contemporain, ne s'est pointrompue au système d'une coterie. Elle a dutrappu dans le style, sans avoir jamais riende besoigneux dans l'esprit; sa prose selaisse palper les reins tant elle est musclée,ce qui ne l'empêche point par instant defrapper la terre d'un coup d'aile, et de sebalancer majestueuse, majtresse'de son volet de sa chûte.

ARSENE HOUSSAYE

'Y méprendra-t-oh ? Celui-là,ainsi que Musset, est un filsde Byron

Son regard a tantôt le bleu-scintillement de l'acier; tantôt

la ftamme qui encercle, d'un seul jet unecréation artistique. On devine que l'effetde ce coup d'oeil direct' exact, tombantd'aplomb sur ce qu'il vise, est de -graverimmédiatement l'enveloppe des objets dansla mémoire; la ûiscussion modifiera ouadoucira l'impression reçue; mais' l'em-preinte, ou si l'on veut, la première esquisse

.des choses, restera ineffaçable dans cette glaceintérieure de l'esprit où se répercute l'image.des lignes et des couleurs.

Le front haut, droit, dont les angles s'élan-cent dans un mouvement hardi, s'enlève d'unefaçon impérieuse sur les tempes aux réseauxfins et nerveux, contre lesauelles viennent

battre tous les rhythmes et toutes les so-norités. Le nez se termine en une courberailleuse; la bouche, dont le demi-souriré,est doucement désabusé, s'éveille entre lesfilets d'or de la barbe et s'arque aux lèvresaccusant une subtile ironie. Derrière .cesourire, on sent naître ce désir de l'esprit,cette volition ailée pour toutes les,figurescaptivantes de l'art insatiabilité du cher-cheur dont le rêve est de mettre son moiincisif à travers les régions tourmentéesde la poésie, du roman, de la critique, de laphilosophie et de l'histoire. La chevelure'blonde est bouclée comme celle des têtesdouées d'une jeunesse impérissable. La tailleélevée, d'un grand air, se stylise encore sousun pourpointde veloursnoir coupé droitainsique celui d'un peintre des temps anciens.Ce costume sombré fait ressortir le masquedéjà très-accentué par sa pâlehr, qui feraitvolontiers penser que chez Arsène Houssaye,comme chez René, ttout a été passion enattendant la passion même.sn

Revenu de tout, mais toujours jeune,-amoureux du faste, mains pleines de rosés etpleines d'or, cœur qui met de l'ivresse jusquedans le désenchantement, divination intui-

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tive qui ferait dire que pour lui a inventerc'est se ressouvenir, » rapide comme la fan-taisie, et marquant d'un cachet indélébileles traces de sa personnalité, trouvant l'ori-ginalité aux sources intimes de l'âme, parce

que, comme Chateaubriand, il est a éga-ré et possédé du démon de son cœur; B Qui

à mieux peint l'esprit du xviii~ siècle et lapassion du xix% que ce grec du temps dePhidias et d'Aspasie, égaré parmi nous, ceromantiqueéchappé des vignes et des forêts?

Arsène Houssaye est une physionomie in-dividuelle entre toutes; chacun de ses romansfait songer qu'àcôté de celui qui a dit: <fJe

pense, donc je suis, »il ajouterait volontiers:

a J'aime, donc je crois. B En critique, ilinaugure une phase nouvelle. Il prend à songré la touche du peintre, le fondu et la ten-dresse du pastel, le tour voltigeur et capri-çant. toutes les figures de l'histoire, refrap-pées par lui, ainsi que des médailles,restent comme brillantées sous le rayon-nement'féerique échappé de sa. plume. Ilest le seul auquel l'apparition d'un nomnouveau n'inspire pas un muet dédain; aussicelui qu'il a distingué dans la plèbe littérairese sent le courage de déner le silence, la haine,

l'insouciance du critique à coups de pioche.Tout en restant aujourd'hui, avec Hugo et

Banville, le répresentant du romantisme, samuse est hellénique. Il n'est besoin d'autrepreuve que ce petit monument architecturaldes Cent et un Sonnets, édifie~ de lamain délicate d'un robuste ouvrier. Daphné,Cybèle, une fresque de Pompéi, Orphée,Diane chasseresse, les dieux d'Homère,Amphitrite, sont des~ poèmes d'une saveurforte et. nourrissante comme le miel; au-tant de bas-reliefs faits pour courir surle socle d'une statue. Son nom, -à jamaislié, chez les parnassiens, à celui de Gautier,'éveillera toujours l'idée de la ligne sculptu-rale et voluptueuse sentiment impérissabledu monde païen, entrevu à travers l'art et àtravers la nature. Il a la sérénité, la grâceaérienne, et son vers est contourné, travaillé,.fourbi..Tantôt le poète n'offre qu'une esquissetoute sobre, tantôt le fond de sa toile estnourri, chargé de couleur, prêt à recevoir lahanche ployante d'une Antiope. Cela nerelève-t-ilpas immédiatement de l'antique,surtout dans cette évolution, du style quifait d'Arsène Houssaye le Praxitèle de lapoésie?

Mais d'où vient que, par instant, une forcequ'il ne peut maitriser !ë contraint à s'arrêterému,'pensif?.Est-ce que cette lumière qui acommencé à se lever pour lui sur les sur-.faces des marbres, éclaire subitement àsesyeux l'orbe d'une planète inconnue? Est-ceque l'esprit de Dieu l'effleure de -trop prèsde ses ailes de feu, et trace en son espritmille cercles nouveaux? Et comment ceuxqui l'écoutaient se demandent-ils tout à coupsurpris: Quel est donc ce poëte, cet athéniendes anciens jours qui chantait hier dans lerite'ionien, et qui nous apporte à présentl'écho d'une sphère étrange, innommée, quenous ne connaissons pas? Quelle attractionl'éloigne de nous? Quel accent plus impérieuxet plus tendre a fait ployer sa fierté superbe?S'est-il blessé comme Eros en jouant avecses flèches d'or? Sa voix est de la terre, etpourtant résonne grave et mélodieuse; ondirait, à l'entendre, le fugitif d'en ne saitquelle âpre et lointaine patrie ?

Son démon, car il a son démon, n'en dou-tons pas, esten train delui souffler mille et unecréations: « le caprice, l'inattendu de. Sterne,dans la tristesse et la passion de Rousseau. »Mais nous avons songé souvent qu'il a aussi

son « Egérie voilée qui ne le visite quelorsqu'il est seul; personnalité disparue de cemonde où. il l'a aimée, et qui le forcerait àcroire à l'amour alors qu'il ne croirait plus àla femme. Si Arsène Houssaye n'appartenaità l'histoire, on n'oserait lire ces feuilletsintimes; mais pourquoi n'avouerions-nouspoint quenousnous sommesimaginé voir sou-vent au déclin du jour, dans une longue ga-

-lerie de. l'avenue Friediand, certains profilsde mortes glisser et lui sourire dans lesglaces rembrunies

Une surtout, un ange. une jeune Artésienne.

Savez-vous où l'on trouve encore laplus réelle expression physique d'ArsèneHoussaye? C'est dans la physionomie de sonfils aîné, M. Henry Houssaye, ce jeune hom-me qui à déjà franchi le seuil de l'Académiepour y être couronné. Il y a entre leurs deuxpersonnalités la même différence. qu'entre.leur caractère d'écrivain. Ce qu'onrencontrede flottant et de fantaisiste chez l'un, se régu-larise, se fait plus classique,chez l'autre, parles points de repère de l'historien d'Alcibiadeavec la Grèce, par sa tendance austère à6.

poursuivre dansla netteté et la logiquedes faitsdupassé,cequi peut établir la philosophie del'avenir, et par son inquiétude toute ardentede l'exactitude locale.

Théodore de Banville l'a gravé à la pointe'sèche dans un deses camées parisiens. aN'est-ce-pas, écrivait-il à -propos de la préparationdè l'histoire d'Alcibiade, le seul écrivain au-jourd'hui vivant qui ait pu se proposer de'peindre un pareil héros, sans avoir rien à en-vier à sonmodèle? Sa mère, si admirablementbelle, et qui, si prématurément, disparut d'unmonde où elle régnait par la toute-puissancede la grâce, eut sans doute les meilleuresfées pour amies car elles étaient présentesautour du berceau d'Henry Houssaye, et ellesse sont plu à lui donner la beauté, l'esprit, etle reste. Aujourd'hui,ses cheveux, si dorésalors, sont devenus chatairis.etlaissent débor-der du front leurs touffes annelées, abon-dantes disposées pour la .statuaire. Ce blondduvet naissant au-dessus des lèvres, forme àprésent une moustache qui se fond dans lesmasses serrées de labarbe soyeuse et épaissetaillée en pointe. Le dessin de la boucheest plus viril; la vie de soldat a imprimé àcette tendressejuvénile des traits.j l'énergie,

la résolution; la voix résonne plus mâle etla taille, mince, élégante, qui fait encoreressortir la correction du costume civil oumilitaire, révèle dans la souplesse du mou-vement un habitué des assauts d'armes. Al'adolescent un peu rêveur que nous voyionsarriver le soir aux réunions du palais pom-'péien, succède maintenantl'officier qui a jouésesjourspour le pays. Est-ce doncenmenantl'existence des camps qu'il doit d'avoir affer-mi cette sévérité de jugement si absolu, quile défend de certains écarts d'imagination,où il brillerait aux dépens du vrai, et qui per-çait déjà dans l'introduction de son Histoired'Apelles: 7'Ar< et les re7~jMS? Sa person-nalité morale transparaît ~toute entière dansces paroles empruntées à sa préface d'Alci-A/a~e

<f L'histoire des peuplesmorts a de grandsenseignementspour les peuplesvivants, maisà la condition qu'elle soit un tableau fidèle etimmuable, aux lignes précises, aux couleursexactes de l'époque évanouie, qu'elle ne soitpas un miroir d'acier bruni changeant et ser-vile,marqué de traits vagues et de hachuresindécises, où chaque siècle puisse à son grése reconnaître.

D

JULES JANIN

OUT à côté du-.scepticismemondain d'Arsène Houssaye,voici la sérénité païenne.

Le rayon qui traversa l'âmed'Horace l'avait effleuré aussi.

Ce front blanc comme le vélin où s'écrivent,les livres rarissimes, et dont les temporauxlumineux semblent réfracter çà et là les jetsrapides de la pensée, s'arrondit sous le. noiréclat des cheveux éparpilés en boucles lissesl'œil regarde, interroge, avec une fixitédouce et paresseuse le nez descendcharnu, sur la lèvre rouge et forte, vague-ment creusée aux coins, s'entr'ouvant pourrire sur une. rangée de dents blanches; lesjoues <f pleines et vermeilles, sont enferméesdans le gras contour qui encadre le menton, etrebondissent puissamment hors du collierdecrins luisantsfrisottés de la barbe. Ce colliers'enlève en vigueur sur le jabot de batiste de

la chemiseemprisonnée dans le gilet blancdontles revers s'ébattent entre le large écart dupaletot. La figure qui couronne cette robustecharpente laisse resplendir la santé, la bellehumeur de l'imagination, la chaude -malice.

<tJe taillais les hautes futaies de ma fenêtre

en lisant quelque chef-d'œuvre des anciensjours. x Cette parole caractérise la physiô-nomie intellectuelle de Jules Jahin.

Dans la pointilleuse ironie de Janin re-vivent surtout cette souplesse et cet enjoue-ment de la plume, cachant parfois l'insultepoliepourcequin'est point l'art, ce caractèred'esprit que les Grecs appelaient~u~rape~a.S'ilseprosternedevantlapléiaderomantique,il le fait avec une «

nuance 'd'indiscipline quiraille tout en admirant s et, peut-être, ajouteun des deuxou trois impeccables du feuilleton,

a préférait-il Diderot à Shakespeare et lisait-il plus volontiers le Neveu de Rameau queComme il vous plaira, ou le Songe d'unenuit d'J?<e. x La langue d'Ovide est pour luila treille pourpréedans laquelle il se promèneen vendangeurivre. Le style se découpe dansson œuvre en lianes nerveuses, flexibles, oùles images's'accrochent ainsi que des-fruitsd'or, et se festonnent au-dessus des portiques

où il fait entrer l'idée. Le poëte qui a dit:

a Méfions-nous d'un empressement stérile ettracassier, surtout quand il parle en vers j<,

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aurait admiré en lui cette abondance de laphrase qui se préoccupe peu du chemin,sûre de frapper lebut; architectedelaforme,il abhorre le sentier direct aux allées droitesde Versailles, il substitue les sinuosités desjardins anglais ici une ruine, là une statue,un rocher; plus loin, une masure, un tom-beau ne lui faut-il pas s'arrêter quelquesminutes, écarter une branche, passer dans

un taillis, traverser une avenue qui 'coupe lechemin?. Lorsque il est au terme de sa

course, il se rappelle tout à coup le motifqui Ta fait mettre en route. Quoi d'étonnants'il arrive trop tard? Cette colonne lui a rap-pelé les Thermopyles, et cette fontaine, lasource de Bandusie; mais on n'y a rienperdu, au contraire, car l'écrivain nous faitparticiperà quelque riche trouvaille la piochedu fouilleur n'a pas été. sans mettre à décou-vert pendant le trajet on ne sait quel frag-ment de sculpture,. ou quelle médaille déjààrongée. Le temps perdu est soudain convertien monnaie et, lorsqu'il se décide enfin àparler de ce qui l'amène, il le fait en quelques

touches énergiques/regarde la création qu'ildoit juger, l'analyse d'un coup d'œil dansses détails et son ensemble, en dresse uneesquisse rapide; avec son crayon, il en aviveencore les traits de force dans l'anatomie desprofils, y met des rehauts, en indique les défec-tuosités, comme le peintre qui trace avec unbout de fusain une ligne parallèle lafiguredel'oeuvre qu'il reconstruit. C'en est fait, l'édi-fice est debout; quelques gouttes d'encreont fait .cé miracle. C'est qu'aussi, Janin atoujours eu l'attention de se tenir'à distancedu conseil de Boileau:

Faites choix d'un sujet.

Comme si on choisissait son sujet, ettcomme si le sujet n'était pas partout, enquelque endroit qu'on se trouve.

Ce n'est point un amuseur dans le sensbourgeois du mot; mais avec quel appétit onmord à sa critique du lundi Les ruches videsdu feuilleton se remplissent de. miel: le mielde l'Hymette car, pour lui, tout ce qui nérelève pas de l'antiquité, comme l'a dit Gau-tier, n'appelle pas sa dévotion. Il eût inspiréà la timide T~r/e~e, de Molière, le désird'apprendre le grec.

Pareille aux toiles titianesques auxquellesle temps donne « unepatine d'or », son œuvrerevêt une plus haute solidité, lorsqu'on re-monte aujourd'hui à cette vivante époquede 1834; ilyporte la pensée avec une aisance,un atticisme qui ne l'empêche pas d'imprimerà ce qu'il toucheun cachet de personnalitépro-fond. Mais c'est toujours en puisant

<fà la

source vive, à la langue d'Athènes :<, que lecritique garde son originalité d'un reflet siintime. Son esprit est tout près de son cœur.En lisant, l'écrivain on -se sent près del'homme. On est loinde ces praticiens du stylequi n'excellentquedanslabeautédumorceau:-a Celui-ci est un Phidias dans l'art d'in-diquer un ,ongle; celui-là onde d'une fa-çon exquise les cheveux d'une'tête; ilssuivent un détail, ils n'entendent rien àl'ensemble, Au contraire, chez Janin, l'ins-piration échauffe et remue toutes les parties'Ce marteaude bronze frappe en tous les coinsà la fois, et fait résonner la page entière sichaude et si mouvementée. Chez lui, laprose est « ce fleuve inondé de soleil dontparle Horace. Leste, fringant, joûtant armédu mot, là il arrondit un contour, ici entrec les crochets d'une parenthèse » il jette un

pont entre deux idées, opposées, et le voilàpassant sur ce pont suspendu qui s'appellele paradoxe, avec la plus singulière assu-'

j'ance. Il rentre dans l'arène le front si réjoui,qu'il paraît toujours sûr de la victoire, soutenud'un escadron de pointes ironiques; il n'arrivelà que pour faire luire la logique du vraicar il est vrai en restant passionné.–Et toutcela, dans ce rhythme enchanté qui, pareil au

rhythme des poëtes latins, semble fait pourbercer les soucis en enchaînant la raisonindulgente et moqueuse; avec cette paroled'un tour ailé, dont la circonvolution fait son-

ger parfois à un sylphe que son caprice sou-lèverait doucement de terre afin d'atteindrequelque chose qui court dans l'espace.

-1BALZAC

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01 je ne devais être que lesecrétaire, la société allaitêtre l'historien; en dressantl'inventaire des vices et des

vertus, en rassemblant les.principaux faits des passions, en pei-gnant.les caractères, en choisissant lés évé-nements principaux der la société,.en com-posant des types par la réunion des traits

-de plusieurs caractères homogènes, peut-être pouvais-je arriver à écrire l'histoire,oubliée par tant -d'historiens, celle desmœurs. Avec beaucoup de patience et de

courage je réaliserais, sur la France auxix° siècle, ce livre que nous regrettonstous, que Rome, Athènes, Tyr, Memphis,la Perse, l'Inde, ne nous ont malheureu-

sèment pas laissé sur leur civilisation. »Ainsi, Balzac disposait le programme de savie d'écrivain, lorsqu'il habitait sa mansardede la rue Lesdiguières.

La mansarde? « une chambre qui avaitvue sur la cour des maisons voisines, parles fenêtres desquelles passaient de longuesperches chargées de linge. Rien n'était plushorrible que cette mansarde aux mursjaunes et sales, qui sentait la misère etappelait son savant; la toiture s'y abaissaitrégulièrement, et les tuiles disjointes lais-

saient voir le ciel il y avait place pour unlit, une table, quelques chaises. x C'est là

que l'ancien élève du collège de Vendôme senourrissait en futur grand homme, c'est-à-dire avec trois sous de charcuterie, troissous de pain, et deux sous de lait. Dans celogement il ne porte pas encore le fameuxfroc de'laine blanche dans lequel il a passéune bonne partie de sa vie. Le voici tel qu'ons'en souvient, assis à sa table, la tête coifféed'une calotte coupée peut-être dans un pande rideau en brocatelle, la poitrine envelop-pée d'un châle, les jambes couvertes d'unvêtement rapiécé, ayant d'un côté une cafe-tière à laquelle il doit recourir souvent pour

surexciter son cerveau, de l'autre son en-crier s'escrimant avec l'acharnement,.d'uncheyal de labour à creuser te-sillon, à dévo-rer le champ philosophique qu'il s'est tracé

son front fume, il reste chancelant sous lepoids de l'idée qu'il ne parvient pas àincarner tout d'un coup dans le -verbe desmots, martyr de l'enfantement littéraire de-puis le soir où il commence, jusqu'au matinoù il tombe épuisé.

Le vrai Balzac reste toujours doublé del'étudiant de la rue Lesdigui.ères. Il conservejusqu'à la fin ce douloureux travail de lacréation laborieuse. Ce génie, qui avait unesi haute puissance de divinisation, qui con-cevait un livre avec un sentiment et un ins--tinct physiologiques si profonds, que tous lescaractères s'y déroulent d'après une logiqueécrasante, fatale, ne possédait pas le don dustyle et cependant son style défie la'dialec-tique là plus serrée, et cette forme où lapensée entré dans la phrase comme un poin-çon, est si captivante pour nous et fascinenotre esprit de telle façon, qu'on ne s'aperçoitpas de la lenteur de l'action.

Lire Balzac, c'est prendre un décalque detoutes les ambitions, regarder à la loupe les

verrues grossissantes de.Ia société, entrerdansla minutie deségoïsmes,etconnaître à quelles'lois pathologiquesse raccordent tes instincts,les fautes qu'ils-feront commettre il y a unetelle certitude en son œuvre, on y est sur unterrain si solide et les individualités qui s'ypromènent y sont si durement implantées,qu'il n'y a pas de danger qu'elles perdentpied et,que leurs contours s'effacent dans un.dénoûment chimérique, ainsi que cela sevoit dans beaucoup .de romans .modernes.Tout vice y croîtra jusqu'à la férocité, et,vers la fin, se dessinera hideux jusqu'à l'exa-gérationgigantesque,dépouilléde l'habit souslequel il cachait sa tortuosité. Ainsi Balzacarrive à une subtilité d'analyse de la person-nalité humaine si étrange, qu'on sent courirchez l'individu le souffle de la vie, physiqueet intellectuelle à fleur de peau, et cela par« d'incessantes projections de ce fluide pluspuissant que l'électricité x et qui s'appelle lavolonté, la volonté qui emporte' cet athlèteà travers tous les calvaires, qui le condamne à.surchauffersa copie à perpétuité, etiedominejusqu'à la souffrance; la volonté qui. lesurmène dans le travail, au ..point d'enfaire un noctambule littéraire sur les pages

7.

duquel « le soleil ne se couche pas. xUne des distractions qu'il se permet, c'est

d'aller contempler Paris du haut de la col-'line du Père-Lachaise, ce Paris où il n'estguère d'artiste ou d'écrivain jeune et pauvrequi n'ait fait le rêve inavoué de le dominer

un jour par un peu de popularité. AussiBalzac s'attaque-t-il surtout à peindrel'homme ardemment trempé, marchant lespieds dans la boue, les coudes percés, l'ha-bit couturé, les semelles gluantes; c'est aupoint qu'on s'assoiffe d'or à force de côtoyercette pauvreté ruisselante de pluie qui s'ap-pelle tantôt Rastignac, Lucien de Rubempré,d'Arthez, Bianchon, Lousteau.

Dans Balzac, sous les dégradations duvice, perce le sentiment grandiose dela nature humaine le vice n'y obéit pointà des considérations d'un ordre vulgaire, etle crime y prend des proportionsplus élevéesqu'en cette littérature dramaturgique qui,depuis si longtemps a fait irruption, dansl'art. Ainsi, regardons par exemple Herrera,l'ancien forçat Vautrin dit Trompe-la-Mort,

parvenu à se substituer à un chanoine deTolède envoyé secret du roi d'Espagne,Ferdinand VII. A travers l'inspiration fatale

qui dirige les actes de ce sombre personnage,on reconnaît comme un vague désir de re-naissance morale, comme une aspiration ir-réfléchie de reconquérir une existence quel-conque qui le préserve de la dernière abjec-tion. Herrera, tout en vouant une haine invé-térée a l'humanité, s'est fait cependant le pro-tecteur de Lucien de Rubempré sauvé par luidu suicide; il met toutes les ruses de songénie,, toutes les forces de son audace, tousles travaux d'une vaste intelligenceà déjouerles obstacles qui s'opposent à l'accomplisse-ment de cette destinée de jeune homme.Chose étrange, ce personnage rivé à l'infa-mie se croit encore assez fort pour dirigertous les fils d'une autre existence. Lucien,c'est son autre moi, ce moi où il a réussi às'introniser et avec lequel il est rentré dansce monde qui l'a banni. Ce moi si bril-lant, si beau, il l'a revêtu d'une livréede grandeur, d'une casaque de gentilhomme,d'une auréole de gloire naissante assez so-lide pour que toutes les rivalités se soientsenties devancées, et, par ce pacte.infernal,Herrera agit seul, comme Méphisto auprèsde Faust.. A lui de briser l'obstacle, de mi-ner la montagne, en laissant son compagnon

?

pur de toute participation à ses ténébreuxdesseins, a Je suis l'auteur, tu-sera le drame

si je ne réussis pas, c'est moi qui serai sif-flé, lui a-t-il dit. x En un mot, comme le dé-crit admirablement Balzac, Lucien c'est lasplendeur'.sociale, à l'ombre de laquelle ilprétend vivre.

Lorsque l'écrivain touche à des créationsd'une autre' caste, lorsqu'il lui arrive deprendre une figure de courtisane, c'est leprofil de la jeune Esther qui jaillit de saplume, incarnation de la grâce et de la puretendresse. Balzac en s'attaquant à cette racejuive intensifie d'un trait toujours plus éner-gique la beauté caméenne de ses types. Qui

ne conviendra que la courtisane, placée

comme l'artiste, aujourd'hui, au ban de l'in-famie' moderne, mais qui ne saurait,.àà sonexemple, se glorifier du mépris des hommes,n'a guère été épargnée en ce temps-ci que parquelques écrivains ? Pourun grandnombre, çaété le personnage prédestiné à subir les im-précations des alarmistes de la pudeur, legâteau savoureu-xdevant assouvir la faim dudragonqui garde les pommes d'or de la vertu.S'agit-il d'expliquer la ruine de la famille,l'abaissement d'une maison illustre flétrie

dans son dernier rejeton? on s'empresse desaisir toutes les ficelles du roman bourgeois,et la courtisane est là, qu'on chargera de cefardeaud'iniquité.A l'égard d'un petitnombreseulement, elle exprime encore le bilan desenthousiasmes pour l'art païen.

« Il ne faut point ~'imaginer que l'auteurde la Comédie humaine copiait toujours d'a-près nature. Tout objet rendu par le moyende l'art contient forcément une part de con-vention. Faites-la aussi petite que possible,elle existe toujours, ensevelie la plupart dutemps dans les fouilles de ses travaux.Balzac n'a pas matériellement observé lesdeux mille .personnages qui jouent un rôledans sa comédie aux cent actes mais touthomme, quand il a l'œil intérieur, contientl'humanité c'est un microscome où rien nemanque. »

Si nous empruntons cette attestation, c'estqu'elle a une telle valeur historique qu'onne peut parler de l'auteur du Père Goriotsans évoquer la plume autoritairedes Jeune-France, de celui qui à vécu si près de lui.II a vu la copie sortir toute fraîche desdoitgs de Balzac, copie toute zébrée de ra-tures, surajoutée d'innombrables renvois

auxquels venaient s'arc-bouter d'autres va-riantes effacées puis reprises, collées avecdes pains à cacheter et faites pour corres-pondre à des chiffres grecs ou romains, àdes signes typographiques reliés à d'autressignes encore, enfouissement, chaos, pêle-mêle, babyloneinextricable où se perdaient lescompositeurs, et pareille à des conjurationsabracadabrantes et, de ces retouches, de cescorrectionsfaitessur d'autres corrections, sur-gissait alors la forme parachevée, élégante,noble, si serrée dans le contour, si savantedans tes proportions, où le point lumineux,'l'effet, venaient toujours rayonner à l'endroitprécis; la pensée se nouait dans-la phrase,au point qu'on n'aurait pu l'en retirer sans.l'en arracher par lambeaux tant elle s'y em-boîtait solidement. On voyait apparaître cesfigures de la princesse de Cadignan et deDelphine de Nucingen avec quelque chose,d'implacable dans la vérité du dessin, quiles force encore aujourd'hui à se lever, s'as-seoir, marcher, nous saluer, si bien quel'écrivain nous fait sucer sur leurs lèvres lefiel qu'elles ont au coeur. Celles-là sontpeintes en pleine lumière, d'autres en clair-obscur les fissures de la peau, les mar-

brures du front, le nez piqueté de pointsnoirs, la décrépitude naissante qui se voiledans les demi-teintesdu boudoir, le sourirese fixant un instant sur une lèvre fanée etqui arrive juste au moment où il faut qu'ilparte comme une dernière fusée vers celuiqu'on veut séduire, ce sont là de. ces traitsd'un réalisme inquiétant. Les types s'in-stallent dans la mémoire pleins de menace etd'autorité, non servilementmouléssur nature,mais francs, cruels même, et si l'on semet pour tout de bon à vivre avec ces hé-roïnes, on éprouve l'hallucination de leurcontact, on s'habitue à leur geste, on distinguele bruit de reloue de laine ou de soiede leur robe par la porte où elles s'en vont

on a dans l'odorat les papiers huileux contrelesquels Rastignac s'est tant de fois appuyé.

La stature de Balzac, telle que nous latrouvons représentée dans une gravurede 1833, est assez riche, assez florissantepour supporter ce bloc de l'idée, plus lourd,assure-t-on, que 'le rocher de Sisyphe. Cetteligure large, aux joues rebondissantespétriesde santé, est éclairée par deux yeux pétillantsde verve et de puissance. Une forte mousta-che ombre la lèvre supérieure, sensuelle,

charnue, gouailleuse: Le front contient centarpents de terrain littéraire à défricher; lenez, coupé au milieu, se relève aux narinestrès-ouvertes faites pour aspirer énergi-quement, et porter une dose considérabled'air dans .les cavités du cerveau où lesujet bout comme un métal en fusion. Lescheveux épais, irréguliers, vraies fibres vi-vantes, poussent une crête ici, une touffe là,crépitent aux tempes, enveloppent un boutd'oreille et font comme mille caprices etsournoiseries d'allure autour de cette face demoine tourangeau, qui a l'air de s'esbaudirgrandement en accusant par le sourire ledouble contour du menton. La robe de cham-bre, très-échancrée, laisseà découvertun coude taureau, les bras nerveux sont croiséssur lapoitrine. Est-il rien dé plus vaste, de plussolidement campé que cet homme, compa-triote de Rabelais, que. ce bœuf de la con-ception qui, debout dans son froc blancserré à la taille d'une cordelière, a l'aird'avoir déjà confessé toutes les consciences,et tenant en guise de bréviaire ses glorieuxcontes drolatiques, criera tout à l'heure<f Arrière mastins sonnez les musicquessilence cagots! hors d'ici les ignares! advan-

cez MM. les ribaulds! mes mignons paigesbaillez votre doulce main aux dames, grattezla leur au mitan de la gentille fasson. Après,vous leur direz quelque aultre mot plusplaisant, pour les faire esclater, veu quequand sont rieuses, elles ont les lèvres des-closes et sont de petite résistance à l'amour.s

GÉRARD DE NERVAL

ELUI-LÀ, s'est élancé unjour « hors du solide, hors dufini, on pourrait même direhors du temps. JI

Comme Euphorion uneforce secrète précipitait Nerval' en dehorsdes limites de ce monde ses sensportaient au-delà des nôtres, il voyait et ilentendait plus haut et plus loin et, jusqu'àprésent, la science n'a pas trouvé un autremot que celui de folie afin de caractériser cetétat d'âme. Et cependant, jamais plus richeéclosion de facultés n'éclaira un cerveauhumain et n'en disposa plus harmonieuse-

-ment toutes les cases, sans les confondre,

sans les heurter. Il était né pour tenir enmain tous les fils analytiques des philosophies

comparées, pour pénétrer par la structure deslangues selon leur forme désinentielle, sil'imagination du peuple qui les créait avaitdes tendances à la synthèse, à l'analyse, à lapoésie. Lui seul est parvenu à édifier lefameux système panthéiste de Gœthe, quiprétend n'avoir goûté l.e poëme de Faust quedepuis la traduction de Gérard, en un mouleplus approprié à l'intelligence, dans cettelangue qui ne fait qu'un avec le génie deVoltaire. Et, par un singulierrenvoi, s'il fautouvrir les œuvres de Gérard dans ie but decomprendre Gœthe, c'est Gœthe lui-mêmequi se chargera de prononcer sur Gérard lejugement de la postérité. «Je n'aime pas àlire le Faust en allemand,.disait-il; mais danscette traduction française, tout agit de nou-veau avec fraîcheur et vivacité. Le Faustpourtant est quelque chose de tout à faitincommensurable. s Comparons à cet accueilcelui de Byron lisant, plein d'une réserve hau-taine, le nom du jeune français'qui lui adressaitune de ses premières méditations: 7'07Hme.Et celui-là était Lamartine.

Un fait à observer toutefois. Si Gérardest si profond gœthiste, c'est qu'il por-tait peut-être en lui l'innéité d'un système

qu'il n'a si bien interprété que parce qu'ilflottait à l'état d'embryon dans son esprit. Ilavait sans doute, en s'appuyant sur les mo-nades de Leibnitz, greffé un système de dou-ble vue conçu par le magnétisme, qui luipermettait de supposer après la décompositionde la matière animale, ce quelque chose sansnom, sans structure, souffle, ou vapeur, sonou lumière, pouvant, selon lui,. survivre àl'anéantissement. Pour nous, qui repoussonsun semblable système et qui 'n'en parlonsqu'à titre de curiosité scientifique, nouscroyons que < ce choc de Gérard de Ner-val contre la sombre personnalitéde Faust x

presque sur les bancs du collége, a dûjeter sur toute sa vie la préoccupationconstante qui lui 'nt abandonner la sériedes faits positifs pour l'hypothèse psy-chologique. Gérard aussi s'est écrié dans unardent, transport <t

Je ne cherche point àm'aider de l'indifférence la meilleure partiede l'homme est ce qui tressaille et vibre enlui. Si-cher que le monde lui vende le droitde sentir, il a besoin de s'émouvoir et desentir profondément l'immensité. Echappedonc à ce qui est, en te lançant dans lesvagues régions des images, lui murmure

une voix intérieure, réjouis-toi au spectacledu monde qui depuis longtemps n'estplus.!) »

Il se laisse emporter « par dessus lesépaulesdes maîtres dont les autres ne fontque suivre la. trace; c'est-à-dire, qu'au lieude se contenter de les traduire dans leursens absolu, précis, il leur imprime unefougue, une passion originale qui mêlent sonimprovisation créatrice à leur génie; sespensées se métallisent danS le même creu-set que celles qu'il interprète, mais il segrise à leur flamme, et, pris d'un accèsde témérité, à son tour, il écrit à côté d'èuxce qu'ils n'ont pas songé à écrire. Sil'on peut établir cette comparaison, ondirait qu'après les avoir regardé, il lesdevance dans leur allure au lieu de seconformer tout à fait à la gravité de leurmarche.

Tous ces problèmes, en effleurant Gérardau début de l'existence, n'empêchent pas dejoyeuses rimes de siffler sur ses lèvres, etl'une de ses premières odes, celle à Tyndaris,est adressée à la brodeuse de son voisinage,qu'on appelle la Créole. Dans cette ode, lajeune femme est pour fort peu de chose, c'est

8.

tout simplement l'amour que le poëte chante

Dis-moi, jeune utte d'Athènes,Pourquoi m'as-tu ravi mon cceur?

Quelques années plus tard, ces vers deve-naient une réalité; une femme lui avait eneffet ravi son cœur, et si bien ravi qu'il ne-le reprit jamais. Il entrait dans sa destinéed'en vivre et d'en mourir. C'est ArsèneHoussaye qui a écrit: « Les grandes passionsprennent leur source dans l'amour etse jèttentdans la mbrt.x) En attendant, ce jeune hommedontlessonnetsavaient été imprimés pendantqu'il était encore sur les bancs de Charlema-

gne, commence gaiement la vie, hugolâtrefougueux et fredonnant les vers de Ronsard

Allons de nos voixEt de nos luths d'ivoireRavir'Ies'esprits!

Il en construit sur tous les rhythmes, maisprincipalementsur les coupes des vieuxpoëtesde la pléiade; ce n'.est pas qu'il cherche a enfaire des pastiches comme il l'a expliquéeleur caractèrel'impressionnaitmalgrélui: < En

ce temps-là je ronsardinisais, '» raconte-t-il.~~7,~a/2<a~e, le Point noir, Pensée dej~y~o/2, une strophe sur les papillons, sont un

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groupe d'odelettes rhythmiques et lyriquesqui reportent au temps où l'on disait àGérard:<x

Montrez-nous ces juvénilia, sonnez-nousces sonnets, ;)

temps où remonte cette petitepièce des Cydalises:

Où.sont nos amoureuses?Elles sont au tombeau.Elles sont plus heureusesEn un séjour plus beau.0 blanche fiancée0 jeune vierge en fleurAmante délaisséeQueftétrittadouleur!L'éternité profondeSouriait dans vos yeux.Flambeaux éteints du monde,Rallumez-vous aux cieux

Lorsqu'il eut d'autres soucis que le refusdes directeurs de théâtre, lorsqu'il aima d'unamour immense, une actrice dont le nom estencore voilé tant il évitait de le faire connaî-tre, son esprit, déjà fort enclin à l'illuminis-me, s'écarta soudain des milieux terrestres:Les <SopMe<s ..mj~ayoy~e.s naissaient decette imagination troublée. Il revint de ses.voyages du Caire et de Constantinople avecdes plans de drames effarants. La Reine de~)a, dont le scénario mélangé de Kabbale,

d'initiations magiques, a paru sous le titreZesAMsdu T~a/Hac~, appartient à cette pé-riode de son existence où le rêve incessantprimait l'action. en lui, où son sommeil luidessinait les aspects étranges d'une' visionqui venait sans cesse s'asseoir à son chevetet qu'il appelle Capharnaüm.: « Des corri-dors, des corridors sans fin. Des escaliers–desescaliers oùl'on monte, où l'ondescend,où l'on remonte, et dont le bas trempe tou-joursdans une eau noire agitée par des roues,sous d'immenses arches de pont, à travers.des charpentes inextricables Monter,descendre, ou parcourir les corridors, etcela pendant plusieurs éternités. B Commetousies penseurs, il ajoutait un cercle àl'enferdantesque. Cet esprit qui se sent plein d'ob-jectivité, «

où le moi et le non-moi se livrentun terrible combat, c s'est maintes fois per-suadé, sans doute, être en proie au travaild'esprits qui lui dévissaient la tête à petits.coups de marteau, pour la lui desceller, etlui remettre, en place les parois de son crânephilosophique. Lorsqu'il se réveille brisé parce somnambulisme, il recommence la viecomme si rien ne l'eût fait dévier, et il se

consolé.de. ce mélange de rêve et de réaUt.é

-qui l'a absorbé, en disant comme Pascal:e Les hommes sont fous, si nécessairementfous, que ce serait être fou par une autresorte que de n'être pas fou, » et en ajoutantaprès la Rochefoucauld « C'est une grandefolie de vouloir être sage tout seul. »

Un fait à remarquer, c'est que cette surex-citation intérieure ne se refléta point dans

ce qu'il écrivait. Sa plume s'est toujoursimprégnée de cette teinte discrète et mesuréequi ne tenta jamais de s'abandonner auxvéhémencesde la diction. Il vise à l'économiede la phrase, à la période sobre, tranquille;il conserve partout ce caractère dans sesfantaisies, drames, courriers de théatre,premiers-Paris, descriptions de l'Allemagneet de l'Orient, critique musicale, car il a tou-ché à toute chose, même aux imitateurs de laKabbale. Son coloris aime les harmoniespâles, les gris bleutés, fuyants, les tons desable fins nuancés, et, pour lui prendre unecomparaison, son style ressemble à la largecoupe de ces fleurs monopétales, au tissuaussi ferme que moelleux, aux rainures ac-centuées.

Ce rare et pénétrant esprit, où il fait chaudet clair, ce Gérard tant regretté est .d'une

singulière simplicité~d'apparence. Sa têtedéjà dénudée porte les-traces du travailprécoce, et ses rares cheveux blonds flottentlégers sur ce crâne, laissant à découvert

une structure phrénologiqued'un dessin très-pur la figure se rétrécit vers le menton ets'enferme dans un trait oblong; l'œil scin-tille sous un sourcil peu prononcé entre )esdeux bourrelets des paupières à peine om-

_brées de'quelques cils. Le nez arrive toutdroit sans aucune- déviation sur une bouchedont la moustache enroule lalèvre supérieure;quelques légers poils se tordent sous la lèvreinférieure, un collier de favoris projette uneombre sur les joues. Autour du cou, unecravate nouée sous un col de chemise rabattu.Ses vêtements sont les moins accentués possi-bles. En été, il a une redingote d'Orléansnoir; en hiver, un paletot bleu foncé à largespoches, où il enferme presque une-bibliothè-

que chaque fois qu'il sort. Lorsqu'on l'aper-cevait ainsi de loin, il avait l'air, assure-t-on,de paraitrè absent de l'endroit où il était.N'est-ce pas dans un de-ces moments, oùpersonne ne se trouvait présent pour l'aiderà reprendre pied, qu'il subit l'obsessiondouloureuse de son délire et voulut se

débarrasser de l'horrible aspect des hom-mes, ne. supportant pas non plus leur apa-thique indifférence? Peut-être croyait-il sen-tir surson front a la main chaude de colère dela destinée » qui dérange souvent les facultésles mieux équilibrées. Peut-être ce cauche-mar de l'escalier à longues spirales s'était-ilmontré tout à coup pour l'entraîner au pieddes arches souterraines d'où l'on ne remonteplus. Il ne pouvait, par un suprême effortphilosophique, pousuivre ce travail de l'hal-lucination s'analysant elle-même.

L'Artiste de 1859, en donnant la des-cription de la rue de la Vieille-Lanterne,

où s'est passé ce drame du suicide deGérard de Nerval, mentionne le détailsinistre d'un corbeau privé sautillant surles marches de l'escalier, dont l'aile avaitdû effleurer la bouche convulsée de Gérard,dont le cri avait dû monter à son oreille dansla dernière vague de l'agonie. « Qui sait,ajoute Z;r</s<e,.si le noir plumage de l'oi-seau, son cri funèbre, le nom patibulaire dela rue, l'aspect épouvantable du lieu, neparurent pas à cet esprit depuis si longtempsen proie au rêve, former des concordancescabalistiques et déterminantes, et si, dans

l'âpre sifflement de'Ia bise d'hiver, ilne crut pas entendre une voix chuchoter:c'estlà!!)

p

v LAMARTINE

UI aussia porté sa tête commeun Saint Sacrement; il s'estcru beau comme Raphaël:il l'a été.

La délicatesse de la peaulaissé transparer l'azur des veines, entre lesyeux a imbibés de lumière jusqu'au fond, »qui ont la couleur du ciel des Apennins; lenez est busqué, pareil à celui d'un jeuneaiglon; les joues sont un peu plombées par.le soleil de Rome, la bouche, d'une courbeassez romanesque, trahit la contention pré-coce de l'esprit; le menton, <f

traçant un sillonblanc,

D est fait pour s'appuyer sur la paumede la main comme dans ce portraitdu Sanzio,coiffé d'un petit bonnet plat en velours noir;les tempes sont bleuâtres, l'oreille appelle la

tendressedes sons, le cintre naissantdu frontaccuse le génie dans toute cette langueur souf-

frante les cheveux sont massés inégalement« Accentuezces traits, hâlez ce teint, attristezces lèvres, grandissez la taille, donnez durelief à ces muscles, x et vous aurez le por-trait de l'amant de Graziella à vingt-cinqans.S'il a porté son âme au dehors, s'il a éparpilléça et là les élans d'une organisation tropexpansive, c'est qu'il.est de ces natures quele bruit de leurs sanglots asssoupit et qui sechantent à elles-mêmes leur douleur person-nelle. Ses vers, si larges, ontl'allure des hautspeupliers, faciles à céder à la violence duvent, mais qui se relèvent toujours majestu-eux. Ceux qui ont représenté Lamartine lalyre entré ,les mains, le manteau fouetté parl'orage, ont exprimé cette hautaine indivi-dualité dédaigneuse de la foule et pourtant

"faite pour là dominer, marchant sur cetteboue humaine, sans se salir.

Comme Chateaubriand, son scepticisme esttrempé dans les eaux du. Jourdain: c'est unpénitent mondain,un chérubinblessé dont lesfemmes ont toutes rêvé d'essuyer les pleurs.Celles qui disent adieu au monde n'oublientpoint d'ameneravec elles au désert le crucifix;

ce joyau funèbre réalisé par l'amant d'El-vire. Les strophes .sont faites pour s'ex-haler en gémissements sur leurs lèvres,comme celles du Lac, pour être enveloppées,emportées dans la grande plainte musicalede Niedermeyer, qui en jette le mâle récitatifà touslesventsde l'ouragan intime. Quelle quesoit la souffrance du poëte, le vers à toujoursla. même ampleur de jet, le même roulementsonore et lent, ne possédant rien de brisé oude saccadé dans la forme. Lorsque l'orageintérieur en précipite 'le flot jusqu'au ciel,ce n'est qu'avec un air de souverainetéqui sait que, comme l'Océan, il a l'étenduepour dérouler ses colères. «Je suis le premier,

a dit le chantre des Méditations, qui ait faitdescendre la poésie du Parnasse et lui aitdonné, au lieu des cordes de la lyre,:les cordesmêmes du cœur de l'hommetouchées et émues

par les innombrables frissons de l'art et de la*nature.

), A ceux qui l'accusent de n'avoirtdéifié que ses extases et buriné que sestristesses, il peut répondre par cette pro-fonde exclamation de Hugo «0 insensé qui.crois que je ne suis pas toi'D

D

Un mariage contracté à Naples lui.permetd'aller enfouir en Orient les revenus d'une

fortune princière; sur sa route, il prodigueles piastres, les armes, les chevaux, traitantde pair a pair avec Ibrahim et les émirs; iltraîne après lui une suite fastueuse qui te faitdésigner sous )e nom de prince franc. Il des-cend au désert au fond duquel il apparaîtcomme dans un cadre fantastique.

Les amoncellements de rocs s'étendaientàperte de vue, hauts, droits ou couchés commedes lépreux. On pensaitàunedesvallées chao-tiques du monde. La matière restait là en-core imparticulée, c'est-à-dire, sans division-précise ou arrêtée de- ses formes, attendantles premières oscillations qui allaient la fairedévier de ses assises. Derrière l'apparentesérénité du ciel, se préparaient les tempê-tes latentes et les jeunes orbes solaires sedébrouillaient confusément dans la neutra-lité* blauche des nuées. Encore un peude temps et les teintes vont s'insinuer

.d'abord, s'outrancier ensuite sur cette « noncouleur des choses. » Tel est un des aspectsdu désert. Est-ce un commencement ou unefin ? Souvent ses cubes monumentaux, sesterres imbibées de désolation semblent révé-ler la trace d'une secrète épouvante dontl'expression se serait incrustée dans ces ar-

giles malléables, avant leur complète soli-dification. w

Continuons à marcher derrière la ca-ravane. Tantôt le désert conserve les mar-ques d'une résistance comme la queue d'unmétéore dont la pétrification aurait frappétout d'un coup les anneaux convulsés,sorte -de monstruosité céleste figée dansl'infini; tantôt il a des airs d'un impas-sible dédain qui regarderait à deux foisavant de lâcher le rouge dévoiement de sessables. Il .est facile de dire du désert cequ'on a dit de l'éther lumineux c'est

<t quenous sentons une presque irrésistible tenta-tion de le classer avec l'esprit ou avec lenéant, s On croirait qu'il est la résultanted'une fonction cérébrale quelconque, tant il

a de passion, de souffle, de MOMuaHcë, d'in-dividualité, de volonté impérieuse. Ne se-rait-ce pas lui l'aïeul, l'ancêtre primitif,portant les germes dé vie physique? Cettepoussière qu'il soulève est faite de la tritu-ration matérielle des races qui ont vécuet sont mortes en lui, et ses masses glissan-tes, couleur de' suie. s'élevant en trom-bes, sont les cendres tamisées par letemps, des premiers mâles velus auxquels

9.

s'adjoignirent des pourritures de saints.Si l'on en arrive à cette conclusion que le

désert,.plusque toute autre solitude terrestre,contient des atomes, des infiniments petitsdes premières essences corporelles, qu'il ena bu les os et les liquides, le désert est uneportion, une sorte de revêtementde l'homme.Il l'a désagrégé parcelle par parcelle, il afilé toutes les ténuités de son être, il lui apris même ce qu'il a d'imperceptibleaux sens,il l'a digéré ainsi que la création~Ie digère,mais en le perdant moins dans l'espace; ilsemble, en un mot, en avoir gardé quelquechose d'humain.Quand nous entrons dans ledésert, nous respirons comme l'odeur de cequi a vécu on se figure que du sang circuledans les fibres de ces immenses tiges bul-beuses. Les dunes ont aussi une teintede chair, et les racines dont se nourrissaientles premiers anachrorètes n'étaient-elles pasnées des dépouilles de leurs devanciers?Jamais nature n'a mieux revêtu un cachetd'anthropophagie sacrée.

Lorsqu'on lit ces deux volumes du Voyage

en Orient, l'on conçoit, à l'ébranlement des

pages, que la terre de l'Islam dut apparaître à

Lamartine avec sa grandeur épique et sembler

traversée de ces personnages de la Bible,taillés, comme ceux d'Homère, dans le gi-gantesque et le formidable.

Mais il revient dé la colline de Gethse-mani frappé à mort de la perte de sonenfant, dont il remporte les restes en Occi-dent il revient, courbé comme un vieillard,ayant vu « des tombeaux, des ruines sansnom certain, une terre nue et sombre, éclai-rée confusément par des astres immortels.

La vie active le prend à son retour la po-litique fait de sa vie quotidienne une impro-visation permanente à la Chambre.

« Laissant les invariables rhythmes carrésde la prose, » il brise ou augmente sa pé-riode à volonté chaque idée devient chezlui une figure qui se dresse toute pantelante,fixe l'interlocuteur l'interroge le scruteet ne le quitte que pour aller s'installer auxcîmes ,d'une politique idéale, en regardantde haut en bas la foule que l'aimantqui ruis-selle des paroles et du geste de l'orateuraterrassée. C'est ainsi, le jour où il repoussele ..drapeau sinistre. Quelquefois la périodes'allonge et vient se coucher languissam-ment au pied de l'auditeur fasciné, commeces beaux lévriers au corps si svelte qu'il

aimait tant. Ce'qu'on écrit de Listz n'est-il pas tout à fait identique à ce qui déter-mine l'art oratoire chez Lamartine ?

<fIl lui.

fallait, aurait-on pu diré, conserver un ca-ractère d'unité au milieu d'une grande diver-sité de motifs, ne point s'éloignef de la ma-jesté et de la plasticité antiques; donner uncorps et une vie à des idées abstraites;formuler en plus des sentiments profondset violents, sans l'aide. de l'intrigue, sansle secours de.la curiosité qui s'attache à lasuccession des incidents ou des épisodes; »

souvent les parties sont si doucement ar-ticulées, si savamment aboutées les unesaux autres, qu'un calme imposant paraîtouvrir le discours mais .un thème fu-gué apparaît tout à coup, et .l'homme quidogmatisait tout à l'heure n'est plus qu'untribun j'ouguëux..Il l'a été surtout le jour où,débordé par -sa rhétorique, il n'a pas craintde se retournervers cette princesse qui n'es-pérait plus qu'en son aide, et de lui jeter cettesentence en face: «Madame, il est trop tard.v

Trop tard! ce mot a un écho prolongé pourlui, car, unjour, il est trop tard aussi lorsqu'ils'agit de sauver sa popularité, et la detteétreint le grand homme et le rive à la

chaîne de la copie. Si vous l'eussiez vu ensesderniers jours, avec sa redingote boutonnéehaute et droite sous le menton, sa taille fière,qui n'avait point encore appris-à se courberenpassantsous les voûtes basses de la gêne,enfermé dans le petit immeuble du ministèrede l'intérieur, vous eussiez compris qu'ilétait trop tard pour le. sauver du dégoûtqu'il éprouvait de ses contemporains, quandcette parole sortait de.la plume du vitrioliqueVeuillot qui parlait de Karr et de Lamartineen disant « les deux Alphonse, » cettebouche révérende du directeur de 1 Univers,si empâtée dans les muscles, essayant debroyer un génie avec sa lourde mâchoire

A physionomie porte le re-ilet robuste et tranché dela nature agreste. La barbeépaisse et longue aujour-d'hui enveloppe solidement

leâ contours du menton, poussant ses brin-dilles à droite et à gauche, et grimpantaux joues ainsi qu'une feuillée de* chêne.Sous les cheveux coupés ras et « couchés àplat, » le front forme un étage de quatrelignes carrées; c'est bien lé vaste plafond del'esprit. Le nez, un peu tourmenté de dessin,s'accuse de face avec deux ailes saillantes,détachées, mobiles. Les yeux, largementouverts par la piqûre agressive de l'expres-sion, soulignent l'essor .d'une plaisanterieaudacieuse; mais ce qu'il y a de si flottant

dans le regard, ce cristallin où nage la pru-nelle, paraît durement arrêté entre les cavi-tés de l'œil en sorte qu'aucune vapeur n'endépasse les contours pour les embrumer,les adoucir. Les épaules sont larges, ner-veuses, et la stature découpe ses profils d'ath-lète comme celle d'un dieu teutonique, sousle veston de velours noir au-dessus duquels'enlève le nœud de cravate de soie blanche.

Vous le nieriez en vain, il.s'appelle -Ste-phen. Il a été l'amant inconsolable de Made-leine, il l'est encore. S'il se fait siffler parles merles de son jardin, c'est qu'il a aimé.Jamais souffle si personnel et si brûlantn'effleura une œuvre, que celui qui court surles pages écrites Sous les tilleuls. Ce qu'il estvenu chercher dans la vie mortelle de la na-ture, ce n'est point l'oubli ni l'apaisement;mais on dirait que c'est l'étreinte plus vraied'un souvenir de femme. La solitude permet àla mémoire de sculpter les formes de cequ'on a aimé, d'en reconstituer le typequi s'avancera toujours au-devant de

nous, le soir ou le matin. Aussi ne faut-ilpas s'étonner s'il est des organisationsqui peuvent toujours garder un sou-venir, là où le feu sacré s'éteint chez

d'autres, à propos d'une personne disparue.Dans ce roman de vingt ans où nous dé-

fions le lecteur de ne voir,qu'une œuvre ima-

-ginaire, l'homme s'anatomise derrière l'écri-vain. A travers cette fantasia du style serévèlent les blessures cuisantes de l'amourméconnu. La force créatrice de son orga-nisation lui fait retrouver un contact avecla femme qu'il n'a pu river à lui. H enserrece délicieux fantôme qui n'est-pas une con-ception idéale, mais qui existe pour lui et loinde lui, et son enveloppe « jeune, ferme etrose, » il la contemple, il la respire. « Vousêtes à moi, lui crie-t-il, dans la demi-con-fidence du dernier chapitre où il consent àse laisser deviner, et tout en parlant comme's'il était Stephen: « Vous êtes a moi, tristeou heureuse, pensant à moi ou m'oubliantdans les bras d'un autre. La mousse desbois nous avons marché dessus ensemble.

Les fleurs d'églantier: ensemble, le soir,nous les avons respirées. L'aubépine deshaies: je l'ai enlacée dans vos cheveux.Les liserons il y en avait dans le jardin destilleuls. L'ombre et le silence des boisje les ai désirés, pour cacher notre vie quidevait être si heureuse! Le vent: je l'ai

vu soufiler dans v6~ cheveux. Vous êtes àmoi Je suis à vous et votre nom sera entête de tous mes ouvrages bons ou mau-vais, loués ou Namés,. comme il a étéau fond de toutes mes actions, de tous mesdésirs, de toutes mes craintes, quand j'avaisdes craintes, quand j'avais la force d'agir. »

Ennemi juré de l'emphase, il a horreurde l'idée reçue il préférerait caresser unechose à rebrousse-poil, plutôt que d'enparler comme tout le monde. La netteté cou-pante de son jugement bouleverse souventd'un trait certaines théories qui ont primél'opinion, et ce mélange .perpétuel de la pen-sée de l'auteur avec l'action du roman, faitpartir de temps à autre une fusée aux oreillesdu lecteur. Ainsi, par exemple, le suicide quela majorité bourgeoise déclare une lâcheté,est rétabli par l'écrivain à son plan exactdans l'ordre social.' L'homme n'aurait-il pasplus le droit de mourir qu'une seritinellè dequitter son poste ? Nous répondrons avecAlphonse Karr que ce raisonnement fait deDieu un caporal et d'ailleurs, nous pensonsque Dieu, -en admettant qu'il soit, ce qui n'apas encore été prouvé,–s'occupe fort peu denous; <!qu'ilyabiendelavanitéànous,petits,

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de croire que nouspouvonsl'offenseret qu'il ne'prend la peine ni de nous récompenser ni denous punir, laissant au hasard et au savoir-faire de chacun le soin d'arranger et de con-duire sa vie. On dit encore qu'il y a plus decourage à supporter le malheur qu'à se tuer,que l'on se tue par lâcheté, ce qui n'est.p'asvrai, et ceux qui, dans la vie ont eu enviede se tuer savent, s'il faut un vrai courage.Nous pensons, au contraire, qu'il n'y a riende si raisonnable que de quitter un liabit quinous gêne, un lieu où nous sommes mal, dedéposer un fardeau trop lourd pour nosépaules. s

Pourquoi le suicide semble-t-il parfoisadmissible à Alphonse Karr? C'est quele malheur lui est apparu comme un campretranché dont les adeptes constituent laperpétuelle .léproserie humaine; il voit unesociété qui fonde des comités de secours.pourrepêcher un homme des flots, les lui. refusela veille du jour où il veut s'y jeter, et dontle raisonnement à l'égard de l'individu estidentique à celui-ci le malheur domineta destinée; la loi t'interdit le suicide nousne pouvons rien à des maux dont nous pros-crivons la victime mais si tu meurs, nouss

paierons les frais de l'enterrement. Vivant,le monde ne t'accordera pas de quoi subsis-ter mort, les caisses, de nos institutionss'ouvriront pour toi. L'argent que nous re-fusons de verser pour les souffrances de tonestomac, nous l'accorderons à cette pous-sière qui aura été ton corps.

La fiction si naturelle qui fait, en gé-nérât, le fond d'un roman d'Alphonse Karr,et qui, de l'aveu d'un critique, réduite à saplus simple expression,ne tiendrait pas deuxpages, à laquelle s'accrochent les milleet un 'incidents de la digression, au pointde couvrir les deux tiers d'un livre, nesaurait être taillée en plus nombreuses facet-tes. Ce style à courants chauds et magnéti-ques, vous réveillerait s'il était nécessaire,

-quand l'action se ralentit. Quelquefois on di-rait que l'auteur laisse tomber sa plume,pose ses coudes sur la table et sa tète entreses mains, et qu'il se met à rêver tout hautcomme s'il n'avait jamais commencéd'écrire.Cette rêverie qui vient soudain se couchersur son papier, amène des chapitres de demi-teinte et donne du clair-obscur à l'ouvrage.Tbut en faisant de la campagne le cadre deses nouvelles, il jette dans ce milieu un peu

immobile des bois et des champs, la vie, lemouvement, le positif de l'égoïsme humainil entend le paysage à la façon d'un peintred'histoire, à la condition d'ajouter l'hommeà la création .Homo at7/'u~c<us /!a<Hrœ.

Mais c'est surtout à son cœur qu'il 'em-prunte le coloris tendre-ou triste des scènesoù il esquisse ses figures. C'est son cœurqu'il veut distraire ou réveiller, soit qu'ilcommence une lettre amoureuse, soit que,dans un transport furieux, il foule aux piedsce qu'il aime le mieux au monde, la passionqui éclate, toujours violente et insubjugable,dans sa férocité ou dans ses larmes.

THÉODORE DE BANVILLE

'INSPIRATION a Marqué sonbattement d'aile sur ce frontverni comme l'ivoire, sur cestempes aujourd'hui dégarniesde cheveux et presque dia-

phanes. Le nez étroit, effilé, descendaitalors comme une lance sur la vague mous-tache dessinant la lèvre mince. L'oreilleau fond de laquelle est écrit te façonnementdu mètre, était faite pour scander le vers. Ala fossette malicieuse du menton, la lumièresemble se réfracter pour illuminer les joues,et se répandre, ainsi qu'une vapeur, danslesyeux,qui aiment à reconnaîtreà traverslesneiges d'antan, sous le masque des Cydalises,les traits de la beauté plus moderne. Aussi,Banville a-t-il écrit les-Camées joar~'epM.

10.

Dans un portrait du temps, le petit col de che-mise est rabattu sur la cravate nouée lâcheles vêtements ne révèlent dans la coupe m ledandysme de deVigny, ni la prétention un peucavalière de Lamartine. « Mon souci estailleurs, B aurait pu dire, à l'imitation d'Ho-race, l'auteur des Ballades joyeuses.

Chez lui le style, dans sa forme lapidaire,a la recherche voulue des~perles exotiques dela langue, laissant deviner un caractèred'écri-vain qui s'en ira déorocher'ies éléments lesmoins'faits en apparence pour's'associer, etqui, du rapprochement des mots, fera jaillirsous ses doigts 'des effets hardis, .étranges,parfois aigus comme lueur, mais toujoursriches de trouvaille. Ce que trahissent lesplans de cette figure, c'est l'esprit enivré parle rhythme, qui, pour lui, est à la fois son,couleur, vérité, puissance, incarnation detoutes les évolutions artistiques du beau. Lerhythme est la coupe au bord de .laquelleBanville vient'savourer avec plus d'engoue-ment qu'un autre la rime ambroisienne

Vierges, dit-elle, enfants baignés de tresses blondes,Vous dont la lèvre encor n'est pas désattér.ée,Le Rhythme,est tout; c'est lui qui soulève les mondesEt les porte on chantant dans la plaine 6ther6e.

~Poétesses, qu'il soit pour vous comme l'écorceÉtroitement unie autroncmCme de l'arbre,Ou comme la ceinture éprise de sa forceQui dans sonmince anneau tient notre hanc de marbre

Qu'il soit aussi pour vous la coupe souveraineOù, pour garder l'esprit vivant do l'ancien rite,Le vin, libre pourtant, prend la formé sereineMoulée aux siècles d'or sur le sein d'Aphrodite!

Le cercle où,, par les lois saintes d'e ta Musique,Les constellations demeurent suspendues,N'affaiblit pas l'essor de leur vol magnifique,Et dans l'immensité les caresse éperdues.

Tel est le Rhythme. Enfants suivez son culte aride,Livrez-lui le génie en esclaves fidèles,Car il n'offense pas l'auguste Piéride,En entravant ses pieds il l'enveloppe d'ailes!

Dans lavieille forêt armoricaine, Théodorede Banville a ramené les dieux détrônés il

leur a inspiré le plus noble chant d'exil qu'ilsoit donné à l'homme de faire retentir;l'homme qui est aussi un Grec détrôné del'Olympe idéal. Mais le parfum farouche del'art archaïque, le. sauvage parfum mêlé desang et d'ambre qu'on respire dans les sa-crifices antiques, il le laisse à son amiLeconte de Lisie: celui-làaime le monstrueux,l'autre jette dans le port de ses déesses lagrâce'attendrie, l'attitude fléchissante. L'un

sculpterait Ekhidnamontrant x à l'entréede sagrotte pour attirer les hommes, sa tête à labeauté fascinante, ses bras plus blancs queceux d'Hère, et sa gorge semblable à dumarbre de Paros, tandis que dans l'ombrede la caverne elle traîne son ventre squam-meux sur les ossements polis comme de l'i-voire des amants délaissés, x

Lé second, sans viser à une allure walky-rienne, réalise, à la façon d'un Italien duxvj"' siècle, Pasiphaè, O~pAa/e, ~v'~a~e,Médée, ~~bjoe, ~~romë~e, Hélène, laReine de Saba, Cléopâtre, /~e?'o~a~e; ondirait des nymphes dont les jambes effilées

se contournent au bord des'vases d'or pouren former les anses, pendant qu'elles ren-versent leurs têtes en arrière et qu'ellesprésentent leurs ventres polis, d'.un renfle-ment radieux, aux baisers des buveurs.

Dans ses Exilés surtout, Théodore deBanville s'enveloppede fluctuations sonoresil se meut à travers ces scintillements demots, ces éclairs qui jaillissent des strophes,cet ondoiement de flammes qui courent aufront de ses figures. Les vieux granits scul-ptés des bois redeviennent des dieux char-nels, des dieux pleins de jeunesse et de pas-

sion, comme au temps, où ils se couchaientau bord des sources la statue a dormi centans, mais la voici qui s'éveille de sa lé-thargie

Dans les chemins foulés par la chasse maudite,Un doux gazon fleuri caresse Hermaphrodite.Tandis que, ralliant les meutes de la voix,Artémis court auprès de ses guerrières, vois

Le bel Etre est assis auprès d'une fontaine.H tressaille à demi dans sa pose incertaine,En écoutant au loin mourir le son du corD'ivoire. Quand le, bruit cesse, il écoute encor.Il songe tristement aux nymphes et soupire,Et, retenant un cri qui sur sa lèvre expire,Se penche vers la source où dans un clair bassinSon torse de jeune homme héroïque, et son seinDe vierge pâlissante au flot pur se reflète,Et des pleurs font briUer ses yeux de vio)ette.

Reprenant les notations abandonnées de lafameuse ballade de Villon; Théodore deBanville a renfermé dans le cadre ancien, lesentiment tout moderne; il y a enchâssé lerire, la mélodie, la naïve familiarité sa bal-lade à lui, il l'a fait sortir toute juteuse enpressant les raisins du cru gaulois. Chacunede- ses -trente-six joyeusetés ballàdantes arésolu le fin et adorable mérite de la balladebien faite de Villon, « qui semble au'lecteur

n'avoir coûté aucun effort et avoir jaillicomme une fleur.

Il l'a donc rimée malgré Molière, et fière-ment répétée comme Vadius

Hum c'est une ballade, et je veux que tout netVous m'en

Aussi, dans cette recherche des rhythmesoubliés, comme les Améthystes viennentgaiement chanter et danser sur de vieillesassonnances construites sous l'inspiration deRonsard! Comme le poëte fait résonner lescordes anciennes et crée par des stances derimes féminines et des rencontres de rimesdiverses du même-sexe, des vibrations ex-quises de tendresse! Il ajoute des grains bé-nis aux chapelets d'odelettes amoureusesquepressent entre leurs doigts blancs toutes teshéroïnes de beauté, depuis la noble fileusede laine du donjon, jusqu'à la Parisienne quiboit sur ses lèvres le sonnet d'Arsène Hous-saye. L'auteur des Poëmes antiques et l'au-teur des Exilés ont réponduplus que jamaisvictorieusement à cette inscription trouvéesur une stèle: «Zeus ne tonnera plus; il estmort depuis longtemps. » Zeus est toujoursdebout cependant, réuéchissantdansses «va-

gues prunelles toutes les mornes sérénitésde l'espace, debout dans les peintures deBaudry, debout dans les poëmes de Lecontede Lisle, d'une orthodoxie plus rigide que nel'a jamais été peut-être-un initié d'Eleusis,d'un caractère aussi accusé que les cannelu-res du vêtement de l'Athèné Eginétique. Etsi les dieux sont encore debout avec tout ceque nous avons fait pour les proscrire, c'estque ce qui touche au monde païen est invio-lable, puisque c'est vers lui qu'on va toujourschercher celte que Banville a nommée:

Monstre inspiration, dédaigneuse chimère.

Le côté démoniaque de l'humanité, le côtédésespéré, l'ultra-souffrance, c'est ce que leromantisme a rendu dans les teintes les plushautes. Chacun porte en soi son instinct dia-bolique qui lui grossit sa part de damnation;le pervertissement naturel qu'on a dans l'âmeremue chez l'artiste des mondes d'une im-pression troublante: la haine des hommes enest un des incidents. La mélancolie, le dé-couragement sont d'ailleurs des sentimentstout modernes dont l'expression poussée envéhémence, atteint le suprême de l'ironieet les sifflements aigus de la douleur. De

même que dans la nature la désharmoniedes éléments en déroute, crée des effets dedissonance merveilleux; la partie blasphé-matoire de la vie humaine se trouve inter-prétée dans le déchirement, dans les impré-.cations dont l'écrivain charge ses tableaux;c'est ce cri des affolés qui se vengent commeils peuvent en nous montrant les bancs depourriture contre lesquels nous sommesdestinés à sombrer; c'est ce même~cri qui aédifié le pamphlétarisme littéraire à côté dubénissage des plumassiers bourgeois, en-chantés de peindre le monde des heureux.Sans ce curagedes latrines socialesqueles na-turalistes se décident à inaugurer, nous au-rions à nous promener dans la douce idéalitédu roman à la Feuillet. Mais entre ces deuxoppositions de genre, il existe des organisa-tions qui savent n'emprunter à l'art que « cequi est beau, grand, rhythmique; » s'ils en-treprenaient d'exprimer à leur tour l'affolanteénergie de la passion contemporaine, ilsl'enfermeraient dans une ampleur de ligne,dans une puissance, et une richesse de plas-ticisme qui entraîneraient par la largeur ducourant et l'effective attraction de la forme.

Tel se montre Théodore de Banville, 'dès

l'apparitiondes Ca~a~as.Aussi, l'auteur desFleurs du Bja7, a-t-il pu dire dans la noticequ'il lui a consacrée « que, dans ses vers, touta un air de fête, d'innocence et même de vo-lupté. Sa poésie n'est pas seulement un re-gret, une nostalgie, elle est même un retourtrès volontaire, vers l'état paradisiaque. Ace point de vue, ajoute-t-il, nous pouvons leconsidérer comme un original de la naturela plus courageuse. En pleine atmosphère sa-tanique, il a l'audace de chanter la bonté desdieux et d'être un parfait classique. Je veuxque ce mot soit entendu dans le sens le plusnoble, dans le sens vraiment historique. e

C'estpourquoi, à ces impeccables qui, trou-vant la poésie épuisée par sa longue route, luidisent:-Voyons, fais-toi libérale: habille-toid'une robe plus moderne ta nudité nousefïraie, ma chère; célèbreen mêmetemps celuiqui a fui à Pharsale et la religion qui a sacréCésar; laisse là ton cothurne et ton~rêve, si,pendant quelques jours, tu veux te nourrirde pain blanc. -Elle répond, la fière domi-natrice du monde -Gardez vos conseils, jen'ai pas besoin d'être entretenue aux frais del'État, ce qui me donnerait quelque chose decommun avec les oies du Capitole; je ne puis

11

exhaler mes dithyrambes sur un christ tou-jours sanglant dontma lèvre de marbre-seretire avec dégout.Mon dieu, c'estPhoïbos àl'arc d'argent;ma vierge, c'est Artémis quirugit d'amour sous sa cuirasse de virginité;mon larcin, c'est,d'aller quelquefois sous laconduited'Hermès, ravir.– pour les offrir en-suite à vos yeux éblouis, les trésors sacrés,les statues divines du temple de Delphes.

LES PEINTRES DE LA COULEURET DU SENTIMENT

'est à l'époque romantiqueque nous le devons, si nousconservons encore un peud'énergie et de fulgurancedans les luttes artistiques

ARY SCHEFFER, DEVERIA, BOULANGER,

DECAMPS, .MARILHAT, DIAZ, THÉODORE

ROUSSEAU, JULES DUPRÉ, COROT.

si nous donnons à l'apparition d'un nomnouveau en face d'un nom ancien, lavigueur et les proportions d'un antago-nisme ? En peinture et en poésie, elle

nous a repétri sur toutes les faces avec septpoignées de limon: l'audace des pensées, la

haine du gris, la furie du mouvement, leretour à la renaissance et au moyen âge, lechoc des effets, la reeherche, la passion dela personnalité, la brutalité des moyens à laplace de la correction froide. Et, s'il faut tou-jours remonter à cette époque, "c'est que,sans elle, nous serions aujourd'hui des êtresatones nageant péniblement dans les tonsd'asphalte, teinte cho'colatouvertgrishuileux,qui viendraient s'étaler sur des toiles d'unreflet phthisique de bon ton, là où réappa-raissent effrontément chaque année au Salonle jaune et le rouge. Le romantisme a pourjamais partagé le monde en deux parties: lesflamboyants et les grisâtres. La séparationest faite et il n'y a plus à y revenir.

<t Ces boeufs verront du rouge et entendrontdes vers d'Hugo, clamait-on au temps deDelacroix et d'Hernani. Ces bœufs ont'con-tinué de mugir en face de la couleur, maisles chefs de file ont engagé le feu et le terrainleur. est resté.

Deveria, Delacroix, Boulanger, Decamps,Roqueplan, Paul Huet, Théodore Rousseau,Diaz, entraient alors dans la lice, emmenantavec eux ce poëte, ce chercheur qui nous aquittés trop tôt, Ary Scheffer, qui réalisait

avec l'oeuvre byromenn'ë ce que Delacroixinterprétait d'après Dante et Gœthe. Ce quine nous surprend plus, aujourd'hui que noussommes habitués à voir naître en couleur ladécomposition des éléments en furie, terri-fiait à l'époque où apparaissait le Giaour,d'Ary Scheffer, selon cette description dupoëme dont on doit se souvenir: «Enveloppéde sa robe flottante, il s'avance lentement lelong des piliers de la nef: on le regarde avecterreur, et lui, il contemple d'un air sombreles rites sacrés; mais quand l'hymne pieuxébranle le chœur, voyez-le sous ce porchequ'éclaire une torche lugubre et vacillante;là il s'arrête jusqu'à ce que les chants aientcessé, il entend la prière, mais sans y prendrepart; voyez-le près de cette muraille à demiéclairée~ il a rejeté son capuchon-enarrière;les boucles de sa noire chevelure retombenten désordre sur son front pâle qu'on diraitentouré des serpents les plus noirs dont laGorgone ait jamais ceint sa tête,'car il a re-fusé; dé prononcer les vœux du couvent etlaisse croître ses cheveux mondains. x

La grâce altière de Delacroix, la soudainetédu geste dans ses personnages se révélaient,chez Ary Scheffer, par une allure plus poé-

H.

tique, un sentiment plus suave et plus tendre,plus de mystère dans l'expression; 2?AerAar</e Z,ar7Ho~eHr appartient à sa première ma-nière, celle où il ne se préoccupe pas d'arrê-ter, de préciser le dessin au point'd'être secet anguleux.

A cette première époque remonte le fameuxtableau des femmes <S'ou/M<es, qui trahissaitles aspirations d'un coloriste, quoique ce fûtcependant une pure imitation de Delacroix,amoindrie et amollie. Avant Delacroix, Schef-fer avait imité Géricault et Vernet. Plus tard,il n'est guère possible de discuter technique-ment des créations où l'anatomie disparaîtsous les vêtements à longs plis droits; lestêtes seules, comme dans le groupe de saint-Augustin et de sainte Monique, ont uneexpression de grandeur nostalgique, de séré-nité contemplative, où le peintre s'entête sibien à quintessencier, à idéaliser la forme,qu'il ne lui en restera bientôt presque plus.Les figures sont empreintes' d'un caractèrede beauté languissante, où se réftéte tout legénie mélancolique de Scheffer il méditeson œuvreplutôt qu'il ne t'écrit texturalementsur la toile c'est un penseur chez lequel laméditation a tué la fougue de la brosse. Quand

il peint le-.Lar.moyeHr, il prodigue les bitu-mes, il revient sur les plans déjà superposésavec une couleur très-compacte, et très-nour-rie, il arrive à la solidité et à l'épaisseurmais au lendemain de cette courte période,il transforme ses types et il est difficile dè lereconnaître. Il mérite l'apostrophe de Bau-delaire, qui prétend que ses tableaux con-~viennent aux femmes ascétiques qui se ven-gent de leurs flueurs blanchesen.faisant de lamusiqued'église.A cemoment, chercher dansses figures une réalité absolue serait un tort.On dirait qu'elles ne sont éclairées que par lalampe intérieure de l'esprit, qui, de l'imagi-nation du peintre, se refléterait sur elles;là vie matérielle recule en quelque sortedevant la vie de l'âme. Il n'en reste pas moins.un romantique à outrance, dans la véritableacception dumot. Jamais pensée plus intimene rayonna dans une conception sous les

suaves pâleurs, les lumières savamment bri-sées dans lesquelles il noie les physionomiesde ses Marguerite et de ses Mignon. «Ce quile distinguait de ses rivaux, plus exclusi-ve-ment peintres que lui, dit un de ceux quil'ont le mieux connu, c'est qu'il ne prenaitpas la palette, excité d'une façon directe par

le spectacle des choses; il semblaits'échaufferpar la lecture des poëtes et chercher ensuitedes formes pour exprimer son impressionlittéraire au lieu de regarder la nature'enface, il la contemplait réfléchie dans un chef-d'œuvre. Il voyait avec l'œil de la visionintérieure, Marguerite passer à travers ledrame de Faust il ne l'eût peut-être pasremarquée au détour d'une rue ce défaut,si c'en est un, concordait trop avec la pas-sion d'un jeune public ivre.de la lecture despoëtes, pour ne pas avoir été compté commeun mérite à l'artiste qui réalisait des typeschers à tous. a C'était, a-t-on dit de sa Mar-guerite, a l'ombre d'une ombre.Les lignesagrandies, simplifiées, plus allongées que ne

.le comporte la réalité, n'indiquent qu'unepréoccupation unique l'idée, ce qui laissedeviner parfois en lui de l'indécision; et,malgré soi on pense à ce que Gœthe appellaitles couleurs psychologiques, quand il écrivait:« Notre œil a ses couleurs comme le mondeextérieur. » En effet, le CAr~< co7Mo7a<eurd'Ary Scheuer, est d'un cachet métaphysique,où, selon les analystesdes tableauxde 1837, lemanque de clarté et d'accent ne résultait quede l'ordre des pensées dont il était difficile de

rendre les nuances si complexes et si indé-terminées,avec des surfaces et des couleurs.

Au salon de 1827, Devéria donnait saNaissance de TZe~ IV, qui révélait, uneimitation de Véronèse Louis Boulanger, sonMazeppa. Boulanger se montrait plus mou-vementé et plus inspiré d'un souffle original.Devéria,il faut l'avouer, pastichaitDelacroix,

comme Scheffer,-nousle rappelons-l'avaitpastiché aussi avec ses SoH//o<es qui n'étaientqu'un reflet du Massacre de Scio. Tous copi-aient plus ou moins celui qui traduisait l'an-tique a la façon de Shakespeare ou de Byronen créant des personnages « de la race desstatues antiques, mais dérangées de leursposes et de leurs plis,. jetées du piédestaldans la vie, agitées de notre sang et de nos'émotions. »

La crise se dessinait très-tranchante entreles deux partis; les uns ne craignaientpas deflétrirdunomde<aWom'~a~e les compositionsdes nouveaux venus qui entraient franche-ment dans la voie passionnée de l'auteurde Dante et Virgile, et finissaient par adopterun genre' de sujets anecdotiques qui,peu à peu; les entraînait à n'offrir que destoiles faites pour se prêter à la lithographie,

dont on abusait, et à la gravure anglaise. Il

y en avait qui se croyaient, originaux parcequ'ils allaient aux mêmes sources, et deman-daient aux sujets modernes qui se compre-naient plus facilement, de quoi captiver lesacheteurs. Ceux-là sont' restés. Les autresdoutèrentd'eux-mêmes.Boulanger, après sonMazeppa, sa Ronde du Sabbat, sa Saint-~a~~e/emy, son Triomphe de Pétrarque,son jRepMHc/ans les jardins <f./tr.m~e semit à chercher le style,

<t cette maladie quiprend les'peintres à l'âge critique, et les faitrougir des audaces de la jeunesse. )) Devérias'abandonna à la lithographie. Ary Schefferse perdit dans un spiritualismenuageux ton.jours hésitant entre l'idée et l'expression.Paul Delaroche, qui, n'a été que le CasimirDelavigne du romantisme, un vulgarisateur,un des mille et un Timothée Trimm de lapeinture,.survécut.

A qui devons-nous de posséder aujour-d'hui Dubuffe, Pommayrac, Pérignon et tousces portraitistes bons à imaginer des dessusde boite chez Siraudin? A qui devons-nouscette propreté minutieuse de la palette, cettesérie de portraits et de compositions biennets et bien luisants où les vernis col-

lent les accessoires comme du cosméti-

que, épreuves photographiques à forced'être exactes .dans les détails, peinturehonnête, laborieuse, faite pour l'édificationdes mères de familles et des pensionnats dejeunes (femo2'se77es, à qui si ce n'est à PaulDelaroche, venu juste à son heure pourrassurer la bourgeoisie effarée du progrèsdes hordes romantiques? Delaroche remplità l'égard du romantisme le même rôle quesainte Geneviève,la patronnedeParis, auprèsdu terrible Attila. Il le contraignit à suspen-dre sa marche révolutionnaire, émoussa sesgriffes léonines, lui donna une allure tranquil-le, flatta ses aspirations au pittoresque pourmieux le dompter; on avait crié au barbaris-me en face de ces touches heurtées, de cetteincohérence de teintes, de cette sauvagerietonale qui allait hardiment au but, dédaignaitte trait net et pur, et toutes les flagorneriesque les peintresdechevalet prodiguent à leurstoiles Paul Delaroches'empressa de prendredes sujets bien équilibrés, asorte de pontneuf, rhythmé comme une contredanse."Lesamoureux du léché et du fignolé tressaillirentd'aise lorsque vinrent Ies.E'.n/a.n~<f.E'cfoua.r<la ~or< J'.E'saAc~, Lord S/r.t/Tbrd mar-

chant au su~o~'c~ les Joies d'une mère, laReine Marie-Antoinette à la Conciergerie,et tout ce qui constitue aujourd'hui un deséléments de vente les plus importants desmarchands d'estampes.

Qu'est-ce donc qui fit le succès de Delà-roche ? C'est qu'en France le sentimentplastique n'existe presque pas, «le beau parlui-même y'intéressepeu, assurait Gautier.« Devant un torse grec, sans tête, sans bras etsans jambes, qui chante l'hymne de la formepure dans sa muette langue de marbre, lafoule passe froide et distraite, pour s'amasserdevant une toile dont l'explication tient unepage de petit texte dans la brochuredu Salon.Au fond, ajoute-t-il, la ligne de Ingresdéplait autant que la couleur de Delacroix, aDelaroche, en entassant toutes ces décapita-tions, tous ces incidents funèbres, tous ceseffets de cinquième acte, costumes, décors,faisait frissonner son public en lui bâtissantundrame dans chacune de ses compositions ilétait le Walter Scott de la peinture et s'em-parait de toutes les têtes. Impossible, dansson Napoléon à Fontainebleau, de résister àla séduction qu'exerçaientles bottes maculéesde bouc de l'empereur. Le billot que Jeanne

Grey cherche à toucher de ses mains trem-blantes causait du délire; jamais succès de

.mise en scène ne fut porté plus haut; jamaisla chute du rideau de la Porte-Saint-Martinne vit demander l'auteur avec plus de trépi-gnements, par ce même public qui applauditTWoMeur et l'argent pour siffler les jE'ry?!-nies. Sortez des toiles de Delarocheles objets qui ont frappé la fibre philistine,et vous y trouverezd'abord ceux qui sont faits

en trompe-l'oeil la hache destinée à trancherdans un instante la tête de Jeanne Grey, lesatin de sa robe, le maillot violet du bour-_reau, lapaiiïeamoncelée surl'échafaud, d'uneréalité à fairepâmerd'aise,l'oreillerrecouvertde fine batiste sur lequel se détache la figuremoribonde d'Elisabeth, les vêtements per-pétuellement neufs; en un mot, tout ce quiaide à couvrir la pauvreté de l'idée, tout ce quijustifie cette parole que rappelait GustavePlanche: «Ce qu'il faut à la multitude, c'estla médiocrité de premier ordre. » Ce n'estpoint en habillant de petites maquettes, enles ajustantà chaque coin d'une toile, enles groupant 'dans l'expression d'un fait anec-dptique, que Delaroche pouvait dépasser lesqualités d'un amuseur ordinaire. A tenter de

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pacifier ou de fondre les doctrines opposéesdans l'esthétique, on n'arrive qu'à un compro-mis qui l'abaisse. L'éclectisme est une paresseou une lâcheté; mieux vaut se cramponner

en désespéré à la tradition ou se décider àl'interprétation robuste de la passion et dumouvement. La beauté conventionnelle de laforme maintient le peintre près de l'idéal; ledéchirement des vieux moules l'entraîne àchercher avant tout la vérité, la puissancede l'expression dans l'art; mais au moinschacune de.ces deux causes a sa grandeur;elles se combattront au nom d'un principe,pendant qu'à vouloir les concilier on n'estqu'un transfuge.

Réchauffons-nousavec la verve et la cou-leur de Decamps.

Dès ses débuts, il s'était éloigné fran-chement des poncifs académiques; son Ho-pital des galeux, l'Ane et les chiens savants,sa Patrouille turque, avaient révélé unevigueur d'exécution, une profondeur de

.trait d'où ressortait une originalité pleine depénétration malicieuse. -Nous n'aurions pasbesoin d'autre preuve que cette compositionintitulée: les Experts, qui représente deschiens poussifs habillés de défroques bour-

geoises, regardant, scrutant un tableau

comme on étudie un cas de criminalité. Sesscènes orientales, d'une transparence etd'une harmonie qu'on n'avait jusque-làcherché que dans l'interprétation de lacampagne.romaine, se trouvaient transpor-tées dans une nature souvent énigmatique

pour les peintres. Son Joseph vendu parsesfrères n'avait été que l'occasion de jeterquelques figures dans ce cadre d'une pro-fondeur si lumineuse qu'elle paraît prolongerl'étendue de la scène, au point que le ressortde l'action humaine n'a plus qu'un intérêtsecondaire en face de la grandiosité du

paysage syrien.Chacun des romantiques avait alors une

patrie intellectuelle, comme l'a remarquéGautier, qu'aucun ne peut nier aujour-d'hui. Lamartine, Alfred de Musset et deVigny 'étaient Anglais, comme DelacroixAnglo-Hindou; Ingres relevait de l'Italie,de Rome ou de Florence; Pradier, de laGrèce Dumas montrait le créole; Chasseriau,ajoutait-il, était un Pélasge du temps d'Or-phée Diaz devait être, ainsi que Marilhat,un Arabe syrien, ce qui ne l'empêchait pasd'imiter, aux salons de 1831 et 1846, Pru-

dhon, Corrége ou le Parmesan. Chez De-

camps se dévoilait le Turc de l'Asie-Mineure,mais Decamps était aussi un Français parl'esprit. et par le.tour, il ne copiait aucun deses contemporains; en soulignant l'accentdans le, geste,, il touchait parfois aucaricatural; mais cette bizarrerie forçait lemouvement afin de l'accuser davantage.Gustave Planche, qui l'aimait, se contentaitde lui objecter que, « avec l'habitude desilhouetterses acteurssur une muraille blan-che ou un terrain clair, on anéantit l'espaceoù ils se meuvent, on ôte l'air qu'ils respi-rent. »

Cependant l'effet était en vain amenésans cause logique la réalisation n'enétait pas moins saisissante, et, dans la Ba-taille des Cimbres, l'armée des critiques, sidivergente lorsqu'il s'agissait de la nouvelleécole, à propos de l'absencedu premier plan,prétendait qu'il n'y avait qu'à approuverla disposition de la scène en tous points,

« parce que, dans la toile de Decamps, le hé-

ros ne s'appelle ni Marius ni le chef desCim-bres le héros c'est la foule, et-pour la,fouleil n'y a pas de premier plan. » Avec son DonQuichotte, Decamps pousse plus loin l'indi-vidualisme du genre la grande figureôssorale.

légendaire se découpe sur le fond des rochersblanchâtres, mélange du fantastique et duréel; il y a là une soudaineté de jeu, une vi-bration qui atteint aux œuvres les plusrobustes qu'on puisse trouver chez les Espa-gnols ou chez les Flamands. Le Rêve des?~c.s, cette page de l'Orient moderne, où,dans leur voluptueuselangueur, se modèlentlestêtesenivréesde haschich, estplusprécise,plus vivante, en son interprétation, que lesscènes bibliques, pour lesquelles Decampsn'avait qu'un gôut médiocre, et où il tra-duisait surtout les moeurs arabes actuelles,non l'existence patriarcale. Et comme lesombres portées dorment paresseuses entreles plis mous des burnous et des turbans 1

comme les noirs sont brillants et enveloppentles personnages dans leur transparenteacuité

L'Italie était donc restée à Léopold Ro-bert, à l'égard duquel les romantiquesressentaient une certaine froideur, préten-dant que sa composition des Moissonneursaffectait trop la superposition pyramidale,que cela rappelait encore de loin la ré-cente convention, le théâtral, quoiquecependant les types n'y étaient plus copiés

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d'après le marbre, mais réellement d'aprèsles paysans romains. On ne se rendaitalors pas très-bien compte, que ces canta-Clins errants dans les campagnes de .Rome,portaient en eux la correction des lignes, lamâle simplicitédugeste,etqu'en en exprimantl'impérieuse allure on n'était point pour celadans les voies académiques. L'Italie, qu'Ale-xandre Dumas '<a vu en romancier, Gautier,

en peintre, Arsène Houssaye en poëte, Alfredde Musset en amoureuxqui chante des balla-des, » allait céder le pas à l'Orient, peut-êtreunpeuparcequ'elleétaitle cadre nécessaire,inévitabledupaysage historique qu'on fuyait.Les lettres de Marilhat dévoilent ce .mou-vement, cette nostalgie qui, s'emparantde la jeune génération, avait entraînéDecamps et plus tard Fromentin vers cettecontrée dont 1' éblouissement ne cessait jjamais

pour eux. «Ici toutest grand,.haut, sublime,»s'écriait l'auteur de la place de l'Esbekiehau Ca~'re, « mais tout est aride c'est dénudéde végétation, encore plus pelé et plus mo-notone que les vastes bruyères de nos mon-tagnes. Ici toute la végétation semble avoirété comme brûlée et réduite en cendres, sans.perdre sa forme, par le souffle empesté d'un

mauvais génie. La seule variation montredes chemins étroits et tortueux, taillés surune base de craie blanche ou quelques ébou-lements de terrain, comme si la nature n'yétait pas encore assez nue et qu'on ait voulului arracher par force son dernier vêtementen lambeaux. Partouttamêmemisère. Quand

ce ne sont pas des bruyères, des chardons,ce sont des pierres tombées comme la grèleet qui ont sablé ces vastes contrées d'uneteinte uniformément gris-noir, comme la

peau raboteuse d'un crapaud; toujours uneligne droite ou régulièrement ondulée decollines arides; quelquefois dans te lointainles pins majestueux et nus du Liban, commeun gigantesque squelette qui paraîtrait àl'horizon; toujours un ciel pur et d'un azurfoncé vers le haut; vers le bas, d'un ton lourdet écrasant, plus terreux et plus livide à me-sure qu'on approche davantage du désert.Qu'on se figure, au milieu de cette désolation,trois ou quatre mille chameaux blancs, rouxet noirs, mangeant gravement les herbessèches, et dispersés dans la plaine commeautant de petites taches; un camp de bédouinscomposé de vingt ou trente tentes noires,toutes noires, en poil de chameau, agglomé-

rées sans ordre; quelques femmes ayant pourtout vêtement une chemise bleue et uneceinture en cuir, recouvertes d'un manteauen laine à trois larges raies bleues du hauten bas, la tête enveloppée d'un mouchoir desoie jaune et entourée d'une corde en poil dechameau. C'est là l'habitant de la partie dé"serte de la Syrie et de la Judée, e

Celui qui écrivait ces pages et qui possédaitselon ses confrères, des prunelles d'éper-vier tant elles paraissaientprofondes, une phy-sionomie « d'icoglan ou de zebek », apparte-nait à cette légion des robustes et des intran-sigeants qui avaient dans leurs veines, ra-conte. Théophile Gautier, « du sang de cesSarrasins que Charles Martel n'a pas toustués. »

C'est dans cette bande de forcenés qui segrisaient avec du clair-obscur qu'apparaissaitNarcisse. Ruy de la Pena, qui a signé sousle nom de Diaz des œuvres d'une originahtési intense.~ Cette syllabe tracée au bas d'unetoile, miroite à l'imagination comme une to-paze ou une émeraude. Les mots n'ont-ilspas leur contexture, leur fantasmagorie? Les~oAem~Ms se rendant a u~e fête, le //are?N,ia Léda, les Délaissées enlevèrent avec rapi-.

dité cette réputation d'un artiste qui débutaitcomme fantaisiste, et chez lequel le JpM\na7des Débats reconnaissait, par l'organe deDelécluze, « que ces bohémiens, hommes,femmes, enfants, bêtes et gens étaient sibrillants de couleur qu'on croyait,voir coulerau fond de ce ravin obscur un ruisseau dediamants et de rubis. » C'est l'Arioste pourl'imprévu et le caprice de la forme. Il écritle roman vénitien, ce qui ne l'empêche pointd'être français quand il peint la forêt deFontainebleau. D'où naît la lumière dans cesfeuillées? Qui est-ce qui parsème l'air d'unepoussière nacrée? Qui est-ce qui met à lafois l'invention et la réalité sur la toile? Peuimporte; mais cela chante, bruit, palpite,siffle, frémit, craque cela est prêt à blémirsous le vent. Quel que soit le procédé quiprolonge les échos de soleil moelleux et'dorés sur les chemins, le renduy est irrésisti-ble de justesse et de magie les figures sontplutôt faites pour être devinées, achevées parle sentiment, qu'elles ne sont dessinées; cettepoésie devientvéritéà force de précisiondansles tons. Si Diaz arrêtait davantage ses con-tours, s'il sacrifiait plus à l'étude et à la tour-nure de la composition, ce ne serait'point le

même peintre que celui qui nous a )égué lesGorges <f~re/HO??<, où les ombres portéesarrivent on ne sait d'où, mais où le fondu etle fuyant viennent jouer dans l'embrasementde sa palette méridiona)e.

En même temps que Diaz descendait versle bas préau, Théodore Rousseau, Jules Du-pré, Corot, partaientdansla forêt deFontaine-bleau et poussaient jusqu'en Normandie.Mais il fallait être doué d'un tempérament degranit pour résister aux exécutions du juryqui n'entendait rien à cette campagne d'unrendu âpre, à ces terrains culottés, à cettefameuse Allée de Châtaigniers, dont le ta-bleau fut acheté par Kalil Bey. Lejuryrecu-laitd'horreurtousies ansenprésence de cettetenacité à donner de la peinturesolide commedes chênes, imprégnéede la montante odeurdes vaches, plate ou accidentée, naïve danssa force ou majesteuse, mais d'une sincéritédébordant d'effort, d'une véhémence, d'unetémérité de brosse qui mettait le classicismehors de lui.

Théodore Rousseau n'adoptait pas enchacune de ses toiles cette uniformité deréalisation qui consiste àintroduirepartoutlemême faire. Tantôt il indiquait par des frot-

tis, tantôt il employait les surabondances depâte; aujourd'hui, lorsqu'on observe l'en-semble de ses études, certains paysages sontfinis, d'autres accusent, en une simple.esquisse traitée largement, l'énergie de lavolonté. Dans un but unique, il a une variétéd'allure pleine de charme, mais où le culte desa forêt survit à tout autre. Le chêne de Fon-tainebleau est celui dont il a fait son observa-tion dominante, qui lui a tout révélé commeattitude, lumière, foyer, et qu'il institue lenœud central de ses tableaux. La recherchede la localité, de l'expression juste pourchacune des parties constituant une œuvre,restait sa préoccupationconstante; aussi était-il parvenu, à se rendre complètement maîtrede sa main, à donner à toute chose, mousse,rocher, champ ou forêt, son cachet derace, sa physionomie à part, ne permet-'tant pas à un objet fait pour n'occuperqu'un rang secondaire de l'emporter surun autre. Mais il se présenta chez lui alors

un phénomène, comme chez tous les poëteshabitués à vivre intimement de la vie rustiqueau point de communiquer à la matière

un rôle raisonné; < il semble regarder lacréation, dit un de ses commentateurs,

comme une àme agissante, souffrante etconsciente d'elle-même, animée de senti-ments et de passions qui se manifestentaussi bien dans la moindre parcelle que dansl'universalité des choses, dans la plus petiteplante que dans le chêne le plus gigantesque,dans le plus insaisissable grain de sable quedans la roche la plus colossale. Convaincu'

que rien dans la nature n'est inutile ou indif-férent, que tout y a sa raison d'être, ouexerce une action, il crut que chaque chose,si infime soit-elle, a une signification parti-culière, pittoresque ou esthétique, il s'ap-pliqua à découvrir celle-ci, il s'efforça de lamettre en évidence, et plus d'une fois il ou-blia qu'on doit en art se résoudre à quelquessacrifices quand'on veut charmer ou émou-voir. II en vint même à penser que tous lesspectacles offerts par la nature sont du do-maine de l'art, et dans son respect quasireligieux pour tout ce qui émane de cettepuissancemystérieuse,il tenta de représenterà la fois sur une même toile et l'infinimentpetit et l'infiniment grand. Son entreprise,conçue en dehors des vraies conditions de lapeinture, était chimérique.Malgré son goût del'exactitude, qui était presque dégénéré en

manie, malgré sa rare habileté technique, iléchoua. )) Et cependant l'Inondation à Saint-Cloud, le Bois de la Haye, les Rùines duchâteau de Pierrefonds sont les traits sail-lants d'un groupe où Rousseau s'est renfer-mé avec plus de grandeur et de supérioritéqu'il n'en eût eu jamais jusque-là.

Jules Dupré ne possédait pas cette puis-sance mais, élève de Flers, auquel il avaitdemandé le charme, la délicatesse, la grâce,la finesseet l'élégance, il jetait une poésie mer-veilleuse sur ce qu'il touchait moins magis-tral que Rousseau, il était plus tendre, plusintime, et son coloris vibrait sous des cieuxclairs à travers des massifs découpés.-Un deses paysages de Normandie, que nous avonssous les yeux, reflètesur les plans secondairesun mirage de clarté qui remplit les fondsd'une éblouissante profondeur. Il n'est guèrepossible d'avoir plus de dilatation lumineusedans la perspective aérienne.

Craignant toujours de viser à l'effetou de paraître' faire la moindre conces-sion au jury, ou de se laisser influencerpar les colorations à la Poussin, l'en-semble des jeunes paysagistes exagérésdans un parti-pris à leur manière, affec-

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tait ~de rester en France et même des'éloigner des contrées méridionales. Corot,cependant, avait emporté d'Italie des es-quisses qui ne sont plus maintenan!. quedans le souvenir des romantiques ayanthabité l'appartement de la rue du Doyenné,qu'Arsène Houssaye a consacré

.Théo, te souviens-tu de ces vertes saisons,Qui s'effeuillaient si vite en ces vieilles maisonsDont le front s'abritait sous une aile du Louvre ?Levons avec Rogier la voile qui les couvre,Reprenons dans nos coeurs les trésors enfouis,Plongeons dans le passé nos regards éblouis.

Replaçons le sofa sous les tableaux flamandsDispersons à nos pieds gazettes et romansOrnons le vieux bahut de vieilles porcelaines,Et faisons refleurir roses et marjolaines;Qu'un rideau de lampas ombrage encor ces litsOù nos jeunes amours se sont ensevelis.

Appendons au beau jour le miroir de Venise:Ne te somble-t-il point y voir la Cydalise,Respirant un lilas qui jouait dans sa main,Et pressentant déjà le triste lendemain ?Entr'ouvrons la fenêtre où fleurit la jacinthe,!I m'en reste une encor, relique trois fois sainte

Ne respires-tu pas dans ces vagues parfumsLes doux ressouvenirs de nos amours défu~s?Retournons un instant à la plus belle année,

Tramons le sofa vert devant la cheminéePrenons un manuscrit pour rallumer le feu,Appelons nos deux chats et devisons un peu

Ourliac, gai convive, arrivait en chantantCes chansons de Bagdad que Beauvoir aimait tant.Tu t'écoutais, l'esprit perdu dans les ténèbres,Cherchant à ressaisir les images funèbresDe celle que la mort sur son pâle cheval,Emporta dans la tombe un soir de carnaval,

Voici l'heure où venaient reprendre leur paletteNos peintres, pinceaux. d'or, mais touche violette,Delacroix, Boulanger, Deveria, Roqueplan,Marilhat et Nanteuil. Le salon or et blancFut bientôt illustré des œuvres romantiques.Nous avions des beautés de vingt ans pour antiques.

« Nous étions jeunes, toujours gais quel-quefois riches, < s'écriait Gérard, qui, unjour, avait pu arracher aux démolisseursde l'hôtel les boiseries du salon, peintespar des camarades, et dans lesquelles setrouvaient ces mêmes panneaux longs deCorot, accompagnes « des dessus de por-tes de Nanteuil, du Watteau de Vattier, duMo/~e roHgre de Chatillon lisant la 'bible

sur la hanche cambrée d'une femme nue quidort, des Z~ccAa~es de Chasseriau, quitiennent des tigres en laisse comme deschiens, des deux trumeaux de Rogier, où la

Cydalise en costume régence– en robe detaffetas feuille morte, triste présage,sourit de-ses yeux chinois, en respirant une

rose, en face du portrait en pied de Théophile,vêtu à l'espagnole. `

Où sont maintenant les panneaux dontil est question? Corot est parti le der-nier, il est parti vers le sentier où Dantes'engage avec Virgile pour aller au paysd'où l'on ne revient pas. Ce crépusculequ'il a répandu sur la création nous apparaîtaujoùrd'hui semblable au prélude de l'éter-nelle nuit où il est descendu. L'ombre qui,dans ses paysages, dessine un ourlet funèbreau bord des bleus du ciel, il aimait à en lais-ser deviner la présence mystérieuse, commequelque chose qui avertit que la mort n'estpas loin. Les figures qu'il fait intervenir. dansses compositions légères, telles qu'une feuilleque le vent emporte, rappellent ce que Paulde Saint-Victordisait des héroïnes de Gérardde Nerval: « l'impondérable légèreté de leurdémarche trahit leur surnaturelle origine,Elles vous apparaissent baignées et flottantesdans le fluide diaphane de l'évocation magné-tique. Chez Corot, ces nymphes, forméesde tièdes vapeurs condensées, s'enlaçant de

leurs bras d'ombre, ne sont-elles pas devagues réminiscencesdes bois sacrés ? C'estsurtout à propos de lui qu'il était absurde deprétendre que les romantiques s'écartaientde-l'antiquité en ce qu'ils rompaient avec lestraditions académiques l'idylle grecque estreparue dans les'oeuvres de ce peintre sortide la phalange de 1830, qui fut aussi un olym-pien, tout en offrant le point de départ leplus opposé au contour accusé et à la préci-sion poussinesque.Les dieux exilés, chantéspar Banville, sont revenus hanter les soirsmystiques réalisés de la main de Corot, etil semble qu'on respire sur ses toiles le par-fum de l'ambroisie

Un grand souffle éperdu murmure dans les airs;Une lueur'vermeille au fond de ces désertsGrandit, mystérieuse et sainte avant-courrière,0 vastes cieux et là, marchant dans la clairière,Luttant de clarté sombre avec le jour douteux,Meurtris, blessés, mourants, sublimes, ce sont eux,Eux, les grands exilés, les dieux.

Est-ce à l'Italie que Corot a empruntél'élévation de style qui caractérise la sincé-rité, d'expression avec laquelle il interprètele moindre sentier ? Sans doute ce voyagede jeunesse eut une énergique influence sur

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lui, en ce qu'il en remporta l'élégance,l'harmonie dans la disposition des terrainsmais cela ne lui donna pas l'idée de simplifierles lignes ni d'agrandir les masses~; il ne re-nia point le feuillet révolutionnaire de l'écolenouvelle, mais il mit une intention, un sen-timent si personnel dans ses effets, qu'il futgoûté malgré les mécont'entements qu'ex-citaient chez les romantiques plusieurs deses pastorales. Thoré appela le Jeune Bergerjouant avec sa chèvre « une idylle un peublême, » Cependant Corot s'approchait de lanature il trouvait la note juste, tout en en-veloppant ce qu'il touchait, d'un courant vo-luptueux, d'une tendresse toute païenne.Jamais l'âm.ehumaine ne s'était révélée avecplus de suave abandon, d'adorables extases,et c'est à lui que le mot d'Arsène Houssayes'applique avec le plus de justesse <f Pourles amoureux, la terre tourne dans le ciel,

pour les autres elle tourne dans le vide. »'Comme dans la Sy~Aoa~e des vj'~y~ aas,cette oeuvre qu'on n'écrira plus après l'auteurdes Cent et un so~ae~s, tous deux ont lamême muse, la solitude qui.les entraîne.

Les tableaux de Corot sont'1'apocalypse de'l'amour, la courbe des arbres y prend des

inflexions plus langoureuses qu'ailleurs, lessérénités presque blanchâtres des fonds onttoujours l'air de se rapprocher pour essayerde donner les formes indécises d'un torse defemme. 11 est de la famille des Uhland et desBurger, « de ces poëtes qui semblent n'avoirréalisé les bois et les prés que pour montrerle sol piétiné par les nymphes. » Ce cher-cheur, qui ne paraît s'adresser qu'aux médita-tifs, portait cependant en lui un cachet devie robuste; son front coupé de larges rides,ses tempes aux veines énormes, les carnationsdu visageet des mains rugueuses, ses cheveuxmêlés ainsi que des filaments, révélaient l'ha-bitude des campements au grand soleil; sur satête une large casquette sans visière, « apla-tie comme une feuille, o.Ce gai bohémiendeschamps, sifflotant tout bas en face de sa toileposée sur son fameux chevalet qui bou-geait toujours, n'a jamais eu pour celui quile connaissaitcette enveloppe vulgaire qu'onlui a conservée. Le regard net, lumineux,laissait deviner un rayon visuel fait pour in-terroger le prisme des lointains la boucheépaisse sans. être pâteuse, ne s'embarquaitjamais en de longs commentaires, non plusque la main n'écrivait de longues lettres,

comme quelques-unes qu'on lui attribue; lesmuscles du menton bien relevés auraient misde la carrure dans le visage, si ce n'est jus-qu'à la voûte partétale, certains planss'enlevaient en hauteurcomme pour exprimerune poétique disposition de l'esprit à monter

vers la nue.Et cependant Corot n'a pas eu une voix à

l'Académie des Beaux-Arts; Diaz n'en auraitpoint eu deux, et Decamps n'en eût pas réunitrois. Et cela parce qu'ils ont cherché la ligneailleurs que dans les cahiers du peintre Le-brun ou les académies d'Abel de Pujol.

ALFRED DE VIGNY, EMILE DESCHAMPS,

AUGUSTE VACQUERIEJOSEPH DELORME

~~on,eniE~T?Nulle-parole'ne se rattache davantage à

l'accent découragé qui caractérise le verssi lent et si triste de Vigny; il était du'petit nombre des écrivains qui restèrent pré-occupés jusqu'à la fin, du sort de ceux quinaissent frappés de ce don fatal lapoésie, et de l'infortune qui .les attend.

EUX qui en sont mortsexceptés, personne a-t-il ja-mais strictement vécu de sapoésie, » se demandait-on lesoir de la reprise de Chat-

Volohtierson se le représente penche sur tou-tes les souffrances, appélant à lui les timidesqui se retranchent dans un martyre inconnu.Aujourd'hui, qu'il est de bon goût de riredes incompris,,des parias de l'amitié et dugénie, la muse qu'on nomme la e Pitié » neserait plus entendue. Quoique élevé dans lesliens étroits du catholicisme, l'incrédulité aplané sur l'esprit du chantre des Destinées.« Un désespoir paisible, sans convulsion decolère et sans reproche au ciel est ce qu'ilregarde comme la sagesse même; et ilajoute:

« Il est bon et salutaire de n'avoir aucuneespérance.

« L'espérance est la plus grande de nosfolies. ))

C'est dans l'intimité des notes écrites aucrayon, comme pour se parler à voix basse,selon le mot de M" Swetchine, que l'origi-nalité de Vigny se dresse saillante, avecl'enveloppe.un peu hautaine dans laquelle

-elle se montre. Une seule parole révèle sonorganisation d'écrivain: «Ma tête, pour con-cevoir et retenir les idées positives, estforcée de les jeter dans le domaine de l'ima-gination, et j'ai un tel -besoin de créer, qu'il

me faut dii'e en allant pas à pas si tellescience ou telle théorie pratique n'existaitpas, comment la formulerais-je? Alors lebut, puis l'ensemble, puis les détails m'ap-paraissent, et je vois et je retiens pour tou-jours. »'L'enfantement garde donc chez lui

une tension continue, le ravit, l'entraîne surdes sommetsoù l'expressionconserve souventquelque chose d'incertain, lorsque il s'agitdu vers par exemple, mais où l'essor del'esprit est toujours marqué d'une audace et

d'une fierté superbe.Jamais on ne s'est mieux rendu compte,

qu'auprès d'Alfred de Vigny, de cette étendued'envergure du sentiment philosophique,qui,d'uncoupd'aile, prend le temps, l'espace, sup-porte sans vertige, sans pâlir, ce champ del'illimité sans s'écrier comme Bossuet

a Taisez-vous, mes pensées. t Le doute nele quitte point. ail a été .rappelle un critique,le poëte le plus penseur de ce siècle, et ladirection de ses idées, dont le stoïcisme avecl'incrédulité aux dogmes religieuxfait le fond,quoiqueplusaccuséeàlann,n'ajamais varié."r.

Ce stoïcisme dans ses actes, !e préservant dela moindre faiblesse, lui conserve la fascina-tion, le.culte de l'honneur professé avec une

foi presque épique, et c'est ce reflet de con-science sur toute son existence accompagnéde son dévouement, nous le répétons, auxsynthèses ardentes des idéals littéraires,qui dessinent les fiers profils de sa statureil gardait ce qu'on appelait à l'époque deCorneille la folie de l'honneur.N'avait-il pasécrit a l'honneur, c'est la poésie du devoir, »

Une page sur Alfred de Vigny en

ses derniers jours, portrait à la plume,où ressort la simplicité mâle de l'au-teur de ~e7/o, rend bien l'unité de son ca-ractère d'homme et d'écrivain. a H étaitenveloppé dans un manteauromantique à lamode de 1830, et il s'y drapait avec sa grâcenoble mêlée d'une certaine raideurmilitaire,comme un général blessé dans son manteaude guerre. Aucune plainte ne s'échappait de

ses lèvres pâles, et l'on eût dit que l'honneur,après la beauté de la vie, lui commandait de

composer la beauté de la mort. Donnez-moi, me disait-il, des nouvelles du mondedes vivants! Mais je ne lui avais pas encorerépondu qu'il m'entraînait avec lui, commeil faisait toujours, dans le monde des idées,

son vrai domaine, vers quelque champ dela poésie ou de l'art dans son royaume »

Quoique,enrôle parmi les hordes de 1830,chez lui le romantisme adoucit ses violencesde teinte et modère ses élans il a du jet sansêtre impétueux, il est tendre en restant.virilélevant le scepticisme à la hauteur de la ré-signation, aucune amertume ne monte à salèvre dédaigneusement fermée au reproche.Pour lui a la religion duChrist est une religionde désespoir, puisqu'il désespère de la vie etn'espère qu'en l'éternité. Dans son perpé-tuel soliloque,il entend la secrète négation del'âme, sans être épouvanté, comme l'interlo-cuteur de l'Imitation qui passe le temps à in-terroger Dieu, se laissant broyer avec couragesous un dogme inconnu.

Ses premiers poëmes s'étaient appelés?yma~<e, le ~a/7: d'une dame romane, etrelevaient avant tout de Chénier. Dans laZ~a(7e il s'écrait

Ida j'adore Ida, la légère bacchanteSes cheveux noirs mêlés des grappes de l'acanthe,Sur la tigre attaché par une agrafe d'or,Roulent abandonnés sa bouche rit encoreEn chantant Évoé sa démarche chancelle;Ses pieds nus, ses genoux que la robe décèle,S'élancent et son œil, de feux étincelants,Brille comme Phcebus sous le signe brûlant.

On constate que cette pente de son espritvers l'antiquité dont il s'inspira au début desa carrière, renaît vers la fin, dans sonlivre les .Cessées, où les formes sinistresde. la fatalité, que les anciens avaient dra-matisées en créant les figures des « Moires,réapparaissent personnifiées de nouveauavec un sentiment plus moderne.

Ce sont bien les mêmes tortureuses quiont toujours, possédé l'antique planète, etqu'il nous représente

Sous leur robe aux longs plisvoilant leurspiedsd'airain,Leur main inexorable et leur face inflexible.;Montant avec lenteur en innombrable essaim,D'un vol inaperçu, sans ailes, insensible,Comme apparaît, au soir, vers l'horizon lointain,D'un nuage orageux l'ascension paisible.

Et le chœur descendit vers sa proie éternelle,Afin d'y ressaisir sa dominationSur la race timide, incomplète et rebelle.On entendit venir la sombre légionEt retomber les pieds des femmes inflexibles,Comme sur nos caveaux tombe un cercueil de plomb.Chacune prit chaque hommeen ses mains invisiblesMais. plus forte à présent dans ce sombre duel.Notre âme en deuil combat ces esprits impassibles.Nous soulevons parfois leur doigt faux et cruel.La volonté transporte à des hauteurs sublimes

Notre front éclairé par un rayon du ciel.Cependant,sur nos caps, sur nos rocs, sur nos cimes,Leur doigt rude et fatal se pose devant nous,Et, d'un coup, nous renverse au fond des noirsabîmes.

On dirait vraiment qu'il a « l'âme projetéehors du corps tant le poëme se spiritualise,tant la pensée s'enveloppe de longs et dia-phanes vêtements, tant elle aspire à se pré-

~sërver dans le tour de ce qui implique lebanal ou le familier. Sa physionomie a cemême cachet de haute réserve. Ses amisprétendent qu'il s'en. enveloppait a commed'une armure d'acier poli contre les bascontacts des hommes. B Je crois bien, aécrit un biographe,

<fqu'il gardait encore

son armure quand il était seul, pour se dé-fendre de la familiarité de vulgaires pensées.Sa distinction manquait un peu de bonhomie,soit. S'il y avait quelque excès dans ce goûtdu noble, dans ce respect de soi-même, iln'est pas à craindre que cette particularitéde sa nature devienne contagieuse. » Sa

tête a plutôt des fibres que de la chair. Leprofil est mince, l'œil et le front ont unetendance à s'enlever vers la nue comme dansle masque byronien le nez est long etl'absence de moustache donne à la lèvre

quelque chose de plus mordant; a les cheveuxbouclent'légèrement, mais le col militaire,en forçant la tête à rester toujours droite,imprime à-1'attitude un cachet de raideur unpeu anglaise. La main longue trahit la raceet sort des manches étroites d'une redingotea la propriétaire, e Tel est l'homme qui avaitun instant troublé le coeur.de Delphine Gay.Ce poëte resté si délicat, si pur, en s'attelantau char romantique, connut- dans toute saforce ce vertige des sens dont i! fit dans lele type de Satan, l'amant d'Eloa, un mélange

« de grâce et de scélératesse? » Nous ne le

croyons guère et-jusque dans les mouve-ments de l'âme il garde sa nature fine, dis-crète, mesurée. Distançant les autres avecun certain orgueil peut-être, en son Moïse,avait-il bien réellement cru cacher sa per-sonnalité à lui dans celle de l'hommeétrange tout à coup isolé de ses frères àforce de grandeur

Etleurs yeux se baissaientdevantmes yeuxdeflamme,Car ils venaient hélas d'y voir plus que mon âme,J'ai vu l'amour s'éteindre et l'amitié tarir.Les vierges se voilaient et craignaient de mourir.M'enveloppant alors de la colonne noire,J'ai marché devant tous, triste et seul dans ma gloire,Et j'ai dit dans mon cceur Que vouloir à présent ?

Pour dormir sur son sein mon front est trop pesant,Ma main laisse, l'effroi sur ta main qu'elle touche,L'orage est dans ma voix, l'éclair est sur ma bouche

Aussi loin de m'aimer voilà qu'ils tremblenttous,Et quand j'ouvre mes bras on tombe à mes genoux.0 Seigneur! j'ai vécu puissant et solitaire,Laissez-moi m'endormir du sommeil de la terre.

Dans cet accablement superbe, il estimpossible de ne pas deviner que le pqëte.se revêt aussi du nuage sacré, et que, de sonentretien, s'exhale « cette mélancolie de la'toute puissance, cette tristesse d'une supério-rité surhumaine qui isole, ce pesant dégoûtdu génie, du commandement, de la gloire, detoutes ces choses qui font du poëte, du guer-rier, du législateur, un être gigantesque etsolitaire, un paria de la grandeur, a Sainte-Beuve en peignant les batailles du romantis-me, avait écrit

Hugo puissant et fort, Vigny soigneux et fin,D'un destin inégal, mais aucun d'eux en vain,Tentaient le grand succès et disputaient l'empire.Lamartine régna chantre ailé qui soupire,Il planait sans effort. Hugo, dur partisan,·(Comme chez Dante on voit Florentin ou Pisan,Un baron féodal ), combattit sous l'armure,Et.tint haut sa bannière au milieu du murmure.Il. la maintient encore; et Vigny, plus secret,Comme en sa tour d'ivoire avant midi rentrait:

'Sainte-Beuve rend ainsi, d'un coup decrayon,ce caractère de l'auteur de Cj~y-~arsqui ne fut point un Walter Scott français.La Tour d'ivoire de Vigny, c'était le moulechâtié, pur, inaccessible à toute familiaritévulgaire de style, où il enfermait sa pensée;mais c'était aussi le temple où il jouait aupontife, où il dérobait l'énervement de l'im-puissance. Et peut-être son froid mépris deshommes l'a-t-il porté à les fuir trop tôt, àfermer trop vite derrière lui la porte de laTour d'ivoire.

Dans les cohortes romantiques presquetous étaient des shakespeariens.Vigny avait'ttraduit -0~e/7o. Emile Deschamps donnaMacbeth et Roméo et jM//e«e. A ceux-là onpouvait appliquer le mot de René « Ceschantres sont de race divine; ils possèdentle talent le plus incontestable dont le ciel aitfait présent à' la terre, s Affamés de réa-lisme, ils trouvent la vérité dans l'interpré-tation de la douleur. Pleins'de'défautset pleins de passions, ils représentent uneuoésie enragée de soleil, dont la végétationaltière, furieuse, est la plus haute explosionde la vie; dans laquelle il semble qu'onpuise -les sèves comme aux entrailles mêmes

du sol. Vous revenez peut-être d'explorèrl'avenue de colonnes du Parthénon, etles. statues foudroyées de l'art classique.Vous vous trouvez tout-à-coup à l'entrée decette forêt,vierge du romantisme, où quelquechose d'énorme, de surprenant vous saisit.Ce ne sont plus les souffles des dieux qui fré-missent dans les pins sacrés un accent plushumain frissonne dans l'air et remue lesfeuillages de la base à la cime; un peupled'animaux bruit, éclate en fusées prisma-tiques l'homme vous apparaît souveraind'un nouveau continent qu'il remplit de ses.chants imprévus, dont le rhythme, commeaux premiers jours du monde, fascineraitjusqu'à l'antique.serpent.

Deschamps, dans une épitre à de Vigny,lui parlait cependant de cette lyre:Que Chénier réveilla si frafcho, et dont l'ivoire

S'échappa sanglant de ses mains.Deschamps appartenait donc à cette géné-

ration qui ramenaparmi nous avec de Vignyla-muse de Chénier, chez laquelle l'inspirations'imprégna,dès l'origine, des parfums grecs,mais dont l'éclat fit disparaître le faux quintës-sencié de la tragédie asthmatique; alors cettequeue de l'ancienne école s'accrochait en

désespérée, nous l'avons constaté, après levers conventionnel et didactique de l'écolede Delille espérant rester descriptive

Quand soudain se rouvrit avec rapiditéLe rocher dans sa veine. André ressuscitéParut. Hybla rendait à ce fils des abeillesLe miel frais dont .la cire éclaire tant de veillés.Aux pieds du vieil Homère il chantait à plaisir,Montrant l'autre horizon, l'Atlantide à saisirDes rivauxsansl'entendrecouraientpleinsde Qamme.

Sur les pas des chefs s'avançaient réso-lûment l'auteur des Poëmes antiques, .puisl'auteur de l'Eplire aux mânes de JosephDelorme, et de la fameuse épopée lyrique in-titulée Romance sur Rodrigue, dernier roides Goths. Le frère d'Emile, Antony Des-champs, le Léopold Robert du romantisme,écrivait ses Italiennes. A côté de Victor Hugo,Auguste Vacquerie lançait deux volumes de

vers 7'~jH/erde l'Esprit, les .Dem'-Te~es,mais avec un sentiment si personnél, qu'ilfait dire à Gantier « La volonté, chez lui,domine toujours l'inspiration et le caprice.sa pensée, haute, droite, peu flexible, ne con-naît pas les moyens termes, et, quand parhasard elle se trompe, c'est avec une con-science imperturbable, un aplomb effrayant

et une rigueur de déduction-qui vous stu-péfie. » Le feu et le mordantde la note se ren-contrentchezVacquerie avec unepuissancedeconcentration étrange. Il a le contour tran-chant, la coupe mâle et sans fioritures. Ledialecticien perce dans le poëte; il est'froide-ment violent. Tragaldabas est l'exultanceachevée duvice,de I'abjection;Iesteintessontplaquées avec une sorte de brièveté tranquilledont rien ne saurait rendre les colorations.Les plaies humaines exhalent toute leur pour-riture il y a comme une contagion de cynismequi vous gagne de telle façon, qu'étourdi,on se demande si l'on ne va pas tout à l'heuremarcher sur les mains, les pieds en l'air,sous la projection d'un gourdin. Le vice yflamboie vraimentsousl'oripeau duseigneur

« Dans sa froide outrance, le poëte, parfai-tement tranquille, pousse les choses jusqu'à~leur dernière conséquence tragique, le pointde vue une fois accepté x mais, de lui auxautres disciples de Victor, commeondisait, iln'est aucunetransition,aucun point de repère,tant il. reste personnel dans son hugotisme.

Les habitués de la rue Notre-Dame-des-Champs, Hugo, Vigny, avaient vivementacclamé un jeune homme, un penseur dont

Sainte-Beuve, aimait beaucoup, je -crois,qu'on lui demandât des nouvelles au déclinde sa-vie; il se faisait appeller Joseph De-lorme, et personne ne nous' démentira si

nous disons que le grand critique avait crudevoir poser, dans une de ses notices auxpoésies de Joseph Delorme, sa premièrepierre à l'édification d'une statue pour lepoëte mort si jeune auquel on pouvait ap-pliquer ces paroles de Senancour dans Ober-man « Je l'ai vu, je l'ai plaint, je le res-pectais, il était malheureux et bon. Il n'a paseu des malheurs éclatants mais en entrantdansja vie il s'est trouvé sur une longuetrace de dégoûts et d'ennuis; il y est resté, il

y a vécu, il y a vielli avant l'âge, il s'y estéteint. » Sainte-Beuve traçait ce portraitavec la même complaisance lorsqu'il étaitquestion devant lui de l'auteur-des Consola-<MBs et des fessées d'Août, et il n'y a qu'às'en rapporter aux parnassiens pour nousdonner leur profil aux deux crayons, mieuxque personne au monde. Nous n'en vou-lons comme preuve que la préface deLamartine en tête de .RapAaë/, où- l'auteurdes Méditations se sculpte en toute naïveté,à lui même, son albâtre séraphique.

Ce Joseph Delorme, qui publie ses pre-.mières poésies sous ce nom d'emprunt,a deuxphysionomies bien distinctes: l'une où percel'aiguillon d'une nature toute sensuelle, maisoù il est aussi « sévère dans la. forme t quee« religieux dans la facture s la seconde, oùl'élanmystiquel'emporte, où l'idée atteint descimes plus graves, étrangement chrétiennes.

Dans cette première période de sa vie, ilse fait reconnaître parmi les fervents du ro-mantisme, à l'engouement et,àl'ivresse quelui communiquait, à travers une mâle enve-loppe, l'essaim des baisers de feu de la rime

Rime, tranchant aviron,Eperon

Qui fends la vague écumanteFrein d'or, aiguillon d'acier

Du coursierA la crinière fumante;

Agrafe, autour des seins nusDe Vénus

Pressant l'écharpe divine,Ou serrant le baudrier

Du guerrierContre sa forte poitrine

Col étroit, par où saillitEt jaillit

La source au ciel élancée,

Qui, brisant l'éclat vermeilDu soleil,

Tombe en gerbe nuancée

Anneau pur de diamantOu d'aimant

Qui, jour et nuit dans l'enceinte,Suspends la lampe où le soir

L'encensoirAux mains de la vierge sainte;

Clef qui, loin de, I'œil_ morte],Sur l'autel

Ouvres l'arche du miracle;Où tiens le vase embaumé

RenferméDans le cèdre au tabernacle

Ou plutôt fée au légerVoltiger,

Habile, agilè courriere,Qui mènes le .char des vers

Dans les airsPar deux sillons de lumière.

0 rime! qui que tu soisJe reçois

Ton'joug; et longtempsrebelle,Je te promets

DésormaisUne oreille plus fidèle.

Mais aussi devant mes pasNefuispas

Quand la muse me dévore,

Donne, donne par égardUn regard

Au poëte qui t'implore!

Dans un vers tout défleuriQu'anétri

L'aspect d'une règle austère,Ne laisse point murmurer,

SoupirerLa syllabe solitaire.

Ce qu'il a y de trop flottant, de trop vastedans le. domaine de l'idée, emboîté dans lemètre positif et absolu du rhythme, a com-muniqué aussi à la prose de Joseph Delormeune facture concise, serrée on dirait que lapensée du poëte si impalpable, si vaporeuselorsqu'elle jaillit de son cerveau, se cristal-lise en passant dans le moule des rimes, afind'en sortir comme un pur joyau et de scin-tiller au soleil d'un art merveilleux; en sorteque les autres travaux en prose s'en res-sentent aussi. Chez quelques auteurs, la vé-rité exprimée ressemble peu souvent à lavérité conçue. La langue ne saurait rendretout: il y a un au-delà qui s'étend indéfini-ment pour l'esprit, alors même que l'expres-sion croit avoir tout serti dans le mot. Ehbien remarquons-le, chez Sainte-Beuve ou

chez Joseph Delûrme le romantique,le contour-est arrêté, l'ombre s'accuse, la phrase estune, modelée par'l'écrivain avec la mêmeénergie que le pouce arrête, unit, enveloppel'argile. Ce qu'on rencontre en général denuages amoncelés dans une pièce de vers,'se transforme chez Sainte Beuve etsemble au contraire fixé, comme les nuagesde marbre d'un bas-relief; c'est ce qui donneà ce fouilleur, même lorsqu'il épilogue, cecaractère de certitude et de rigueur, si logi-que, si indiscutable.

Le Glohe jetait alors, sur l'école novatrice,des regards assez peu bienveillants, 'et'lapatience échappaitsouventàJosephDelorme,et le faisait répondre vertement au nom deses confrères. « On a commencé par les ac-cuser de mépriser la forme, disait-il, mainte-

nant on leur reproche d'en être esclaves. Lefait est qu'ils tiennent à la fois au fond et àia forme; mais celle-ci une fois trouvée,comme elle l'est aujourd'hui, ils n'ont plusguère à s'en inquiéter, et les chicanes quel'école critique soulève à ce propos res-semblent à une escarmouche de l'arrière-garde, quand la tête de là colonne est passée.

JI

En remontant par un élan sincère aux langues

anciennes, il prouvait avec triomphe que lesvers les plus beaux du Parnasse romantiqueétaient frappés < à la manière des vieuxd'avant Boileau » qu'ils arrivaient d'un bondaux poëtes antiques, si souvent, travestispar l'alexandrin de Racine, et que leurs versà eux participaient de cette noble originegrecque, s'y rattachant surtout « par le nourrile large, le cop/euA's « Les vers de cetteespèce, disait-il, sont pleins et immenses,drus et spacieux, tout d'une venue et toutd'un bloc, jetés d'un seul et large coup depinceau, soufflés d'une seule et longue ha-leine et quoiqu'ils semblent tenir de bien prèsau talent individuel de l'artiste, on ne sau-rait nier qu'ils ne se rattachent aussi à lamanière et à la facture. » Lui-même n'enoffrait-il pas un exemple dans un de ses son-nets imité de Keals En s'&H revenant Msoir'de TMvemA/'e.

Puissante est la bouffée à travers la nuit claire,Dans les buissons séchés la bise va sifflantLes étoiles du ciel font froid en scintillant,Et j'ai pour arriver bien du chemin à faire.Pourtant je n'ai souci ni de la bise amère,Ni des lampes d'argent dans le blanc firmament,Ni de la feuille morte à l'affreux sifHement,Ni même du bon g!te où tu m'attends, mon. frère

Dans un des vers de ces quatrains, il se'plaisait à.faire remarquer qu'à dessein il avaitredoublé les sons en an pour rendre l'effet duscintillement. Les anciens, ajoutait-il, sontamoureux de ces effets, et nos adversairesregardent'cela comme une faute en français.N'avait-il pas le droit de s'écrier en toutescience:

-Ne ris pas des sonnets, ô critique moqueur

H était juste de regarder chez Joseph De-lorme cette face de l'art qui relève de làforme rhythmique, métrique, musicale, etnous donne plus tard avec son large courant,le poëte des Pe/Më&s d'Août. Ce poëte, dontla jeunesse comportait alors le reflet de tousles embrasements du néophyte, marchaitdans une voie bien distincte de c~Ile que de-vait parcourir le chantre des Consolations.La souffrance, l'ennui monstrueux, les élans

sans'terme, sans cause, agitaient cette grandeâme en proie à « une sensibilité délirante, »

et qui retournait contre elle-même sa forced'activité. Lorsque, plus -tard, Sainte-Beuverevenaità cette terrible époque, il lui arrivait,

en parlant de ce fameux ego, comme d'unautre, de raconter aussi la fin de Joseph

Delorme.11 prétendait, qu'emporté doucementvers.la 'tombe, il y descendit avec sérénité,« que sa lyre'à à lui-même, grâce à de pré-cieux secours, s'était montée plus complèteet plus harmonieuse, et que ses plaintesy résonnaient avec plus d'abondance etd'accent, »

Sainte-Beuve réussit-il jamais à se per-suader cette prétendue disposition «dù poëtemort jeune à qui l'homme survit.? ))

Nous

avons presque tous un homme double ennous, a-t-il écrit quelque part; Saint-Paull'a dit, et Racine l'a' chanté. Moi aussi, mesentant double, je me suis dédoublé, et ce

que j'ai donné dans les Consolations étaitcomme une seconde moitié de moi-même et-

qui n'était pas la moins tendre. » Quelques-

uns qui avaient écouté avec complaisancetous les aveux de Joseph Delorme, ets'écriaient comme Musset

Les chants désespérés, sont les chants les plus beaux

Ceux-là, trouvaient que Joseph s'était guéritrop vite de son incrédulité savante, et.qu'ils'était aussi consolé trop tôt. Quoi qu'il ensoit, cette seconde partie, de son poëme les

Consolations, tout en révélant une sorte derenaissance morale, nous paraît trop ana-lytique, trop réfléchie, pour garder en seslarges ondes une intensité de sentiment quisoit comparable à l'emportement, à l'audacede son premier jet. L'essor s'est ralenti. Oncroirait qu'après avoir trouvé un asile dansson désespoir, il a fini par l'user .en le com-mentant, et c'est en voyant la philosophies'emparer de lui sans secousse, qu'il écrivaitcomme un adieu

Ne coulez plus, larmes de poésieC'était un rêve, une dernière erreur!H n'est plus rien désormais dans la vie,Pleurs.'de rosée, il n'est plus une fleur.Que feriez-vous, larmes de poésie ?t )

Mais il ajoutait, au lendemain du jour oùle cœur de Joseph Delorme s'éteignait parlentes vibrations en lui: «'Aujourd'hui onme croit seulement un critique; mais je n'aipas quitté le poëme sans y avoir laissé toutmon aiguillon. n

LE CAMPDES TARTARES

PÉTRUS BOREL

c.

'ÉTÉ'de 1831 est une date'dansl'histoire du romantisme. Unepoignée de jeunes gens grou-pés autour de Petrus Borel,le lycanthropé,ayant loué une

@maison en haut de la montagne Rochechouart,s'y installèrent pour travailler et rêver. Ilsappelaient l'habitation leur montagne, par

<dérision envers les Saints-Simoniens établisàMénilmontant.Unesaintehorreur duconvenules dirigeait: la haine du bourgeois, haine sisubstantielle,si forte, qu'ellenourrit ceux chezlesquels elle est restée incrustée, comme lelierre dans une muraille. Nous ne serons pointdémenti si nous disons qu'aujourd'hui il n'estpas un homme de lettres qui ne s'évertue,sans y parvenir, à se créer une pareille île de

Robinson au milieu de Paris; mais de raresprivilégiés réussissent. Il y a une joie quecomprennent seuls les artistes, à défendre sonréduit, une joie immense à deviner derrièrela .porte verrouillée une redingote forcéeà la retraite et dont le propriétaire ne pourravenir. poser ses coudes sur les marges blan-ches dumanuscrit.

Ce contact avec les réguliers, les habi-tants .de la montagne Roctiechoaart ne !eredoutaientplus. Effroi du quartier, ils avaientdonnéà leur groupe le nom de Camp des Tar-<a/'es:Ôn y vivaiten plein-air, sous.des tentes.C'étaient Bouchardy, Philothée O'Neddy,Piccini, Jules Vabre, Jehan Duseigneur,Gautier, Gérard, Auguste Mac Keat; etc.'Lévêtement fut prohibé. Les épiciers et'lesgens à professions libérales du', quartierportèrent plainte. Ils prétendirent qu'enpassant devant les murs derrière lesquels's'abritaient ces nudités, l'innocence de leurs.chastes matrones d'épouses était gravementatteinte: ce qui amènerait à conclure qu'unefemme honnête ne doit plus circuler en voi-ture ou .à pied dans les rues, les maisons quiles bordent abritant au moins deux ou troisadultères chaque jour; pas plus ne devraient-

elles passer devant des établissements debains, à moins que l'autorité n'ordonne, auxbaigneurs, au nom-des mœurs, d'entrer touthabillé dans la baignoire.. Le commissairede police, assourdi par les bouchers, leshuissiers, ies médecins, les notaires; lesavoués, les quincaillers et les apothicaires,se crut obligé de faire une descente au Campdes Tartares et d'ordonner des caleçons. Lachose fut solennelle. Le soir, les pharmaciensou les clysos.à jet continu, et les grimoir istes,,les pompiers et les conseillers municipaux,ayant défendu l'honneur de leur dame et deleurs Jemo7'se77e~ entrèrent dans des lits bas-sinés avec la satisfactiôn~d'un réquisiteur quivient d'arracher au jury une sentencecapitale.

Le Camp des Tartares ne fut plus troublé.Alphonse Brou, employé à la mairie, appor-tait des bons de pains et de saucissons. Onavait enlevé, pour les besoins de la tribu,deux femmes: la première était la concierge;la seconde, celle d'un épicier du coin de larue Rochechouart."Au milieu du jardin unefontaine en pierre portait cette inscriptionle mauvais temps me ~a~ cracher. Mais làlégendese trouvaitainsi libellée, comme celle

d'une monnaie des fous- le ma. uva. iste.mps. me fa. ~crac. Aer. Un jour, on confec-tionna un mannequin de grandeur naturelle;on. le fit sauter dans un drap; cela causaune horrible frayeur à Alphonse Brou/qu'ons'efforçait de convaincre que le prétendumannequin était un cadavre et qu'il s'agis-sait d'une violation de sépulture. L'indépen-dance atteignit les limites extrêmes; jamaison 'ne fut plus délicieusement bercé par lesvociférations des bourgeois.

1« Il y a dans tout groupe, dit l'auteur du

chapitre sur le petit Cénacle,, une indivi-dualité pivotale, autour de laquelle les au-tres' s'implantent et gravitent comme unsystème de planètes autour de leur astre.Petrus Borel était cet astre; nul de nousn'essaya de se soustraire à cette attraction. x

Petrus tenait de naissance une .tristesse, undédain pour l'humanité, que ceux qui conti-nuent à porter une immense haine aux repré-sentants de deux ou trois catégories socia-lés recueillent avec joie. Sa figure semblaitempreinte à la noble efngie du type espa-gnol ou arabe, tantl'expressionjaillissaitd'unlointain de siècle,, tant la bouche savait tenirà distance par son impérieuse tranquillité.

Les cheveux étaient taillés en brosse; labarbe, d'un noir de ténèbres, coupée ennpointe, pareille à celle d'Eugène Devéria,aveuglaitle bourgeois,écrasait,humiliait, ba-fouait, torturait les mentons philistins,et fai-saitbattre leurs mâchoires. Avec la meilleurevolonté du monde, il était impossible de direpour cette .barbe, comme Rosalinde dansComme il vous jo7aira Dieu lui en enverra

une plus longue, s'il est réconnàissant en-vers'le ciel; car le ciel ;ne pouvait avoirmieux suspendu et mieux fourni une barbeau menton d'un homme..

PetrusBoreIpossédaitdoncIabeauténostaI-gique dont l'expréssion violente les fémmes,

les dompte, les dévore, les agrandit, lesaccable d'une invincible prostration, leurfait tendre les,mains vers le farouche capta-teur de nubilité.. Il y a bien à travers lestristes évolutions de ces yeux là une ré-vélation d'homme aimant à nomadiser, éprisde-l'exotisme des verdures et'des torrentsdont les chamelles boivent l'ombre. Un œild'Européen n'enregistre à l'aide de ~son pûlesolcit que des images indécises; celui-là pa'a!tbrûlé aux feux qu'absorbent les poitrines nu-biennes, haletant sur des peaux do lion. Ce

j. `. '.=.

~masque étrange de l'aûteurdesTPAapso~'es, où,làpassion est imprégnée dans lestons chaude-ment'fauves'du visage," communique ,en sahautaine'immobilité,,une puissance d'âme

~'extraordinaire. On dirait-que'-le.'jet du re-gard est prêt à s'enfoncer sous la'cuirasse,

.de~chaird.'minterlocuteur/et à découvrirles'tortuositës de conscience les mieux.dé-

robëës~ Cettë'béauté si généràlëment:recon-'nue,;causa de sourdes haines à Pëtrus Bo-.rel;:Plus les. représentants~ d'un pouvoir'

'civil s'aperçoivent qu'ils-sont laids, repous-sants, ignobles même, plus ils'deviennentcâpres a la chassé à l'homme. Ils firent arrê-ter.lé poète un jour; sous prétexte que,'re-y.êtudlun gilet à la Robespierre, il avait ladémarche réyolutionnaîre.(sic). Le faita be-

soin .d'être authentiqué plusieurs fois sousla .plume.'On ne. feraitpas mieux aujour-

d'huitGrand"et"mince, le chef de la tribu du

Camp des Tartares, n'aurait.'certainementjamais atteint à une mention dans le chapitredes Jeunes France, à,propos de l'obésité enlittérature. Né à Paris en i809, il commença

son éducation au petit-Séminaire .de-Sainte-Elisabeth. L'abbé Marduel 'le fit entrer'au2

petit séminaire de Saint-Roch. Malgré lesthéories cléricales, Petrus Borel n'en disaitpas moins très-haut: « je suis républicaincomme on l'est parmi les peaux-rouges. D

Vers 1826, il entra chez l'architecte Bourlacqui, on s'en souvient, fit construire le CirqueOlympique. Petrus Borel s'adonna à l'archi-tecture pendant sept ou huit ans, mais sansconsentir à rester chez un maître. Il bâtittrois maisons et eut trois procès, car il refu-sait toujours de suivre les plans; car, à, toutprix, il fuyait « la platitude et le commun. a

Il suffit de lire les revues de i833, pour serendre compte de la lutte effroyable qui selivrait entre les romantiques et les classi-ques. « Que veulent-ils, disaient lesacadémiciens, ces mondains et ces forbans?A qui s'adresse la menace de leurs brasmusculeux, et de leurs poings toujours fer-més ? Ils hurlent, ils tempêtent, ils sacrent,ils blasphèment les poëtes vocifèrent, lespeintres écument, les architectes lèvent lepic, les sculpteurs brandissent le marteau.On croirait assister à une séance du tribunalde Saint-Vehmé, conspirant la mort desrois et la ruine de l'état; et à les entendrefulminer contre le me/MO/~re social, contre

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l'impureté des mariages, et organiser lacroisade contre les institutions civiles et po-

litiques, quelque révolutionnaire de nosjours serait peut-être tenté de les prendre

-pour les précurseurs du 'socialisme. x Cequ'il y à de vrai, c'est qu'au fond, le Campdes Tartares, c'est-à-dire Petrus et- sesamis, ne s'inquiéta nullement de la formedu gouvernement. Ce qu'ils voulaient dé-molir, c'était le' bourgeoisisme dans l'art.Mais les solitaires de la montagne Roche-chouart retrouvaient l'ennemi partout,comme nous le retrouvons chez les bour-geois d'aujourd'hui, lâchant de tous côtésles robinets d'eau chaude de l'ordre moral.

Pour comprendre l'horreur qu'inspiraientces gens, nous n'avons qu'à nous baser surl'horreur qu'ils nous font à présent, età nous dire, qu'en 1830, le nombre de leursadversaires dépassait celui de l'époqueactuelle; seulement ils étaient moins, dan-gereux. Aujourd'hui, les bourgeois rentiersen remplissant une profession libérale, sefont dénonciateurs près de la Sainte Her-mandad, de tel ou tel écrivain qui les gêneou qu'ils-jalousent; en sorte que le pouvoirn'a pas assez de flatteriespour eux. Nous ne

parlons point du bourgeoisdevenurédacteur,qu'on voit se trémousser dans certaines co-lonnes, y répandant avec le blaireau qui luisert de plume, la poudre mousseuse qu'ilemploie pour se savonner le menton. Celui-là ne trompe personne. Nous parlons de cesmaitôtiers répandus par le monde, qui n'ontpoint encore perdu l'espérance que le romansoit le reflet de leurs.chastes embrassements,que la peinture redevienne honnête, lapoésie sans rejets, la musique rhythméecomme un pont-neuf, et qui, en se. levantchaque matin, se signent avec effusion de-vant « l'ordre de choses et son auguste fa-mille. Ceux-là, par ce qu'ils sont restésaujourd'hui, peuvent nous expliquer pour-quoi, en 1830, leurs aïeux, les épiciers mo-dérés, créèrent l'irréconciabilité entre l'artet les bourgeois.

Et ce dogme fondamental de la petite co-lonie du Camp des Tartares, est dévoilé parPhilothée O'Neddy dans ce passage de sonlivre Feu et T~/amme, par Philothée si sou-vent nommé sous la plume de Petrus Borel:

Longtemps à deux genoux le populaire effroiA dit Laissons passer la justice du RoiEnsuite on a crié et l'on crie encor PlaceLa justice du peuple et de la raison passeEst-ce qu'épris enfin d'un plus sublime amour,L'h'omme régénéré ne crira pas un jourDevant l'art Dieu, que tout pouvoir s'anéantisse,Le poëte s'en vient.: Place pour sa justice!

C'est à ce moment qu'on vit naître la con-frérie des ~ou~yo~s, qui fut une diversiondu romantisme. Et voici ceque nous lisons à

ce sujet dans une collection de documentsbibliographiques publiée chez Pincebourdesur les romantiques,par Charles Asselineau

« La qualification de bousingots ne fut ja-maisacceptée par les Jeunes France de la ca-maraderie de Petrus Borel. Elle leur fut aucontraire infligée à l'occasion d'un procès autribunal de police municipale, qui fit quelquebruit en son temps. Quelques camaradesfurent arrêtés une nuit dans les rues de Pa-ris, pour avoir chanté trop haut et trop tardune chanson dont le refrain était Nous fe-rons, ou nous avons fait du bousingo, (duhruit, du AouzM.) C'était au'moment dufameux complot de la rue des Prouvairesla police, alarmée, engloba les perturbateursdans la poursuite, et l'affaire se résolut pour

quelques uns d'entre eux, par une incarcé-ration de quelques jours à Sainte-Pélagie.Gérard de Nerval, un des incarcérés, a con-sacré dans un article intitulé Mes Prisons,inséré dans la Bohême Galante, le souvenirde cette algarade. Cependant l'affaire avaitfait du bruit, et le mot bousingo était devenupopulaire. Les journauxbien pensants affec-tèrent désormais d'appeler bousingots lesennemis de l'ordre et du repos public. Cefut pour donner aux bourgeois et aux jour-nalistes une leçon d'ortographe que les amisrésolurent de composer collectivement unrecueil de contes du Bousingo. Le projet,comme nous l'avons dit, n'eut pas de suite.Le seul Gérard, m'a-t-on assuré, auraitfourni sa contribution et le charmant contede la Main e~cAa~~ee, qu'il publia plus tard,fut composé exprès pour ce recueil.

« Le bousingo ou bousingot, que l'on re-trouve fréquemment dans les lithographiesdu temps, avec son gilet à la Robespierre,sa grosse canne, sa longue barbe et seslongs cheveux, coiffé tantôt de la casquetterouge, tantôt du chapeau ciré, le bousin-got transporta dans la vie politique le styleet les allures :de .l'école romantique. Ce fut

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une variété du genre Jeune France, maisaussi rude, aussi énergique que les autresétaient dandies et raftinées. En véritableartiste il trouva, tout de suite et avec géniela plastique de son idée. La passion de lacouleur et de la localité avait poussé lesécrivains romantiques vers le luxe et l'éclat.-Le bousingot opposa le brule-gueule et lepetit-bleu, aux narguilehs et aux hanaps.Des mêmes fusées, des mêmes soleils demétaphores qui se tiraient ailleurs en l'hon-

neur des inarchesines et des cathédrales, ilfit des cartouches pour tirer sur le roi etsur les sergents de ville; mais c'était bien aufond le même procédé et la même poétique x.

Champavert, le roman de Petrus Borel,avait-il fait partie en principe de cette .col-lection ?

En 183S, parût la première édition des.RAajosoches, chez Levasseur au Palais-Royal. On peut juger delarudesse et du'cou-pant de l'oeuvre par ces strophes adresséesà un témoin de sa vie douloureuse

Quand ton Petrus ou ton PierreN'avait pas même une pierre ·Pour se poser, Feeu tari

Un clou sur un mur avarePour suspendre sa guitareTu me donnas un.abri.

Tu me dis Viens mon Rhapsode,Viens chez moi finir ton odeCar ton ciel n'est point d'azur,Ainsi que le ciel d'HomèreOu du .provençal trouvèreL'air est froid, le sol est dur.

Paris n'a point de bocage;-Viens donc, je t'ouvre ma cage,Où, pauvre, gaîmontjovis;Viens, l'amitié nous rassemble,Nous partagerons ensembleQuelques grains do chenevis.

Tout bas, mon âme honteuseBénissait ta voix flatteuseQui' caressait son malheurCar toi seul, au sort austèreQui m'accablait solitaire,Léon, tu donnas un pleur.

Quoi! ma franchisete blesse?Voudrais-tu que, par faiblesse,On voilât sa pauvreté?Non! non nouveau MalfllatreJe veux au siècle parâtre,Etaler ma nudité

Je le veux, afin qu'on sacheQue je ne suis point un lâche,Car j'eus deux parts de douleur

A ce banquet de la terre,Car, bien jeune, la misèreN'a pu briser ma verdeur.

Je le veux, afin qu'on sacheQue je n'ai que ma moustache,Ma guitare, et puis mon cœurQui se rit de la détresse;Et que mon âme maîtresseContre tout surgit vainqueur.

Je le veux, afin qu'on sacheQue, sans toge et sans rondache,N~ chancelier, ni baron,Je ne suis point gentilhomme,Ni commis à maigre sommeParodiant lord Byron.

A la cour, dans ses orgies,Je n'ai point fait d'élégies,Point d'hymne à ta déit6Sur le flanc d'une duchesse,Barbottant dans la richesse,De lai sur ma pauvreté.

Nous n'avons pas à discuter la beautéimpressionnante de Champavert; ce rugis-sement d'âme damnée, ces clameurs immen-

ses, plus sincères que les cris byroniens enmontant vers le ciel, s'accumulent, s'agrè-gent de toutes les fanges, se solidifient

comme un banc de limon étalé au soleil. Ja-mais langue ne posséda une puissance évo-catoire plus implacable. Ce sont nos hainesà nous, auditeurs en petit nombre, qui sif-flent dans Champavert, et non les haines d'unseul. On le sent bien dès la première page,ce poëte nous venge de l'ordre social et lelecteur l'écoute avec ivresse se faire l'échode ces malédictions qu'il ne peut formuler

que tout bas, et qui le font tressaillir d'aiselorsqu'elles revêtent l'exultant langage dePetrus Borel. Nous n'en voulons pourpreuve, que le fragment du chapitre intitulé:Dam/M~M

a. La plaine est obscure et solitaire, lève-toi, ma grande amie, et descendons leclos; viens errer, là-bas, près de la citerne;il y a bien longtemps que je ne me suis age-nouillé sur cette terre; le houx ombrageant,son berceaumortuaire,a peut-être été brouté?Allons voir.

Oh! non pas, ce houx est vert et touffuet l'herbe haute et belle; mes'pleurs sontune pluie féconde, etje les en arrosechaquenuit.

Chaque nuit tu descends à la source?

Oui chaque nuit quand tout dort enla maison, je me lève et descends faire maprière sur sa tombe; quand j'ai bien prié etbien pleuré sous le ciel, je me sens pluscalme. La nature semble me pardonnermoncrime; il me semble entendre dans le silenceuniversel une voix partant des étoiles, qui

me crie Ton crime n'est-pas le tien, fai-ble enfant de la terre, il est'aux hommes! àla société! que son sang retombe sur euxet sur elle! Je rentre avant l'aurore, et jegoûte alors un sommeil plus paisible et sansrêves affreux ».

Tous deux se dirigent vers la fosse. Cham-pavert lance des blasphèmes dans la nuit,sans entendre les prières de Flava épou-vantée.

« S'il était un Dieu qui lançât la foudre,continue-t-il, je le défierais Qu'il me lancedonc sa foudre, ce Dieu puissant qui entendtout, je le défie! Tiens, je crache contre leciel Tiens, regarde là-bas, vois-tu ce pau-vre tonnerre qui se perd à l'horizon, on di-rait qu'il a peur de moi. Ah! franchement,'ton Dieu n'est pas susceptible sur lepoint d'honneur; si j'étais Dieu, si j'avais

des tonnerres à la main, oh! je ne me lais-serais pas insulter, défier par un insecte, unver déterre!

« Du reste, vous autres chrétiens, vous

avez pendu votre Dieu, et vous avez bienfait, car, s'il était un Dieu, il serait pendable.

« Oh! si je tenais l'humanité comme je tetiens là, je l'étranglerais! Si elle n'avaitqu' une vie, je la frapperais de ce couteau,je l'anéantirais Si je tenais ton Dieu, je lefrapperais comme je frappe cet arbre! Si jetenais ma mère, ma mère qui m'a donné lavie, je l'éventrerais C'est une choseinfâme qu'une mère Ah si du moins ellem'avait étouffé dans ses entrailles, commenous avons fait de notre fils HorreurJe m'égare 1

« Monde atroce il faut donc qu'une filletue son fils, sinon elle perd son honneur! Tuas massacré le tien! tu es une viergeFlava Horreur

« La pluie tombait à flots, le tonnerre mu-gissait, et quand les éclairs jetaient leursnappes de flammes sur la plaine, on distin-guait Flava échevelée; sa-robe blanche sem-blait un linceul, elle était couchée sous lestouffes du houx. Champavert, à deux genoux

sur terre, de ses ongles et de son poignardfouillait le sable. Tout à coup, il se redressatenant au poing un squelette chargé de lam-beaux Flava Flava criait-il, tiens,tiens, regarde donc ton fils tiens, voilà cequ'est l'éternité Regarde

« Loi vertu honneur vous êtes satisfaits;tenez, reprenez votre proie! Monde bar-bare, tu l'as voulu, tiens, regarde, c'est tonœuvre, à toi!. Es-tu content de ta victime?Es-tu content de tes victimes ? Bâtardc'est bien effronté à vous, d'avoir voulu naî-tre sans autorisation royale, sans bans eh

la loi ? eh l'honneur?.nTel est le chapitre le plus saillant de

Champavert. Il est si peu d'esprits qui sa-chent contenir la haine, la haine irrémissible,la haine sans pactation avec l'ennemi, qu'ilfaut savoir gré à ceux qui ont le souffle assezpuissant pour la porter de ne point s'en dé-barrasser au milieu du chemin.

Le violent, l'imprévu, les mauvais désirsmontant comme un essaim de mouches à

vers sur des cadavres, l'accent délibéré quiaccuse toutes les figures pour la douleur etrecherche la torture expressivede préférence

à l'idéale sérénité de l'àme, voilà Champavert.Petrus, Borel, le maître rudement personnel,semble avoir reconnu dans la souffrance letrait distinctifdu visage humain. Et c'est à

propos des œuvres nées au commencémentdu siècle, qu'on remarquera que, dans l'artromantique,.bien haïr a été parfois un auxi-liaire de conception non moins merveilleuxque la passion échevelée. En tout cas, leromantisme a fait terriblement manœuvrerle rugissementde l'homme moderne. Gautier,ce pur Grec, n'a-t-il pas dit dans re~eTires,à propos des poëtes

Sur son trône d'airain, le destin qui s'en railleImbibe leur éponge avec du fiel amer,Et la nécessité les tord dans sa tenaille.

Le romantisme nous oblige à reconnaîtreque les oeuvres trempées de .haine commedans un bain d'acide, ne s'évaporent pas.« La haine, a écritBaudelaire, est une liqueurprécieuse, un poison plus cher que celui desBorgia, car il est fait avec notre sang, notresanté, notre sommeil et plus des deux tiersde notre amour il faut en être avare, »Nous pensons comme le poëte des ~7eursdu mal. Mettons-la donc, cette haine, dans

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un. flacon imbrisable, et de temps à autre,buvons-en deux gouttés; alors nous enfan-terons peut-être, plutôt qu'avec un senti-ment tendre, des créations aussi mâles queChampavert et que Feu et ~MMNe. En elleon ne peut nier qu'est la virilité, l'indépen-

dànceabsolue; l'amourest le domainede tous,non pas la haine son dédain'puissant nousélargit la poitrine. N'est-il pas vrai d'avouerque ceux. qui la connaissent deviennent in-vulnérables, que rien n'entameleur tranquilleattente de la destinée? Ils rient avec l'ineffa-ble moquerie des forts, lorsque la brise leursouffle sous une fente, la tentation d'aimer.Le romantismea fait revivre sous la plumede Petrus Borel, cet antagonisme qui se dé-vore lui-même. Il y a dans là grandeur d'unsentiment qui n'obéit à aucun calcul, qui estparce qu'il est, et qu'on prend comme ilvient, il y a une autorité secrète qui ferato.ujours quelque chose de ceux qu'il saisiraen haut ou en bas. Lequel est donc le plusfort, de l'amour ou de la haine.? C'est lahaine, puisque comme. nous le disions plushaut, elle est-faite avec notre sang et plusdes deux tiers de notre amour.

En 1839, nous retrouvons la société duCamp des Tartares, rue d'Enfer. Dumasvenait d'offrirune fête masquée,square d'Or-léans les amis de Petrus Borel donnèrentaussi leur bal. La salle de danse était au pre-mier, l'infirmerie au rez-de-chaussée. Deli-gny, qui avait été secrétaire de la porteSaint-Martin, et qu'on appelait Loulou Deligny,s'habilla en grisette. Alphonse Brou nousn'exagerons rien, voulut le violer. Le pre-mier qui descendit à l'infirmerie du rez-de-chaussée, fut Alexandre Dumas, qui s'étaitfait servir de la crème dans un crâne.

Ainsi se prononcèrent quelques uns desplus vifs incidents du romantisme. Aux in-génus qui s'imagineraient que le talent trou-vait en 1830, les éditeurs qui lui font défautaujourd'hui, nous n'avons à constater que ceseul fait c'est que le roman de CAam~oavert

rapporta 1,000 francs à son auteur, et~a~ame PH~Aar 2,000 francs. Petrus se vitforcé d'accepter le poste d'inspecteur de la

colonisation en Algérie, à Mostaganem. Il ycommença la construction du fameux châteaude Haute-Pensée, d'où l'on apercevait l'Es-pagne et d'où il envoyait ses rapports en vers,au ministère de l'intérieur. On le destitua

en 1848. Vers cette époque, Marrast, sonennemi acharné l'attaqua dans le Na-tional. Comme il était invisible chaque fois

que les témoins de Petrus Borel se présen-taient, Petrus jugea convenable de lui adres-ser deux commissionnaires, et 1'affaire setermina à la honte de Marrast.Rétabli commefonctionnaire dans la province de Constan-tine par le général Bugeaud, Petrus ne putachever cependant l'édification du châteaude Haute-Pensée qui manquait de toiture,lorsqu'arriva sa seconde destitution. De re-tour en France, les excès de travail altérè-rent l'organisation du poëte, au. point de luifaire perdre tous ses cheveux. Il prétenditalors que le ciel ne voulait pas qu'il eùt latête couverte, ce qui était assez logique, etse mit résolument à travailler sous la pro-jection d'un soleil ardent. Il y gagna unecongestion cérébrale dont il mourut.

Il est de certaines destinées qui, pareillesà celle d'Edgard Poë; portent écrit en elles,comme singulier tatouage, ce mot damna-tion. Oui, la damnation est vraie, c'est-à-dire, que le malheur lorsqu'il est entré parune fissure invisible dans la destinée d'unhomme, ne peut en être expulsé.

« ExisLe-t-il donc, demandait un esthéti-cien, une providence diabolique qui préparele malheur dés le berceau, qui jette avecpréméditation des natures spirituelles et an-géliques dans des milieux hostiles, commedes martyrs dans des cirques? Y a-t-il doncdes âmes sacrées vouées à l'autel, condam-nées à marcher à la mort et à la gloire à tra-vers leurs propres ruines? Certes oui, elleexiste cette hideuse Providence, qui faitmouvoir pour la grande joie de tous, un pa-ria, un enguignonné du sort, et qui jamais,jamais né se lassera. Certes oui, elle estprésente à ses côtés, cette force aveugle quilui bouche toutes les avenues, fait dévier .sespas lorsqu'il.se croit d'aplomb et ne .se dé-sarme même point au lit de mort; qui forgedans toutes les mains un fer pour le frapper,de même qu'elle écrit, dans toutes les têtesla formule d'un marché pour le vendre.

En général, si l'on condamne les filles quiétouffent leurs enfants quand ils naissent,c'est parce qu'elles réussissent à les sous-traire aux projectiles qu'on lancerait plustard sur eux du haut de tous les toits; c'estparce qu'elles osent faire disparaître une vic-time qui, un jour, aurait peut-être atteint le

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bagne ou l'éehafaud, et lajustice n'aime pas aêtre votée: il faut qu'à l'heure dite elle trouveson mort ou son forçat. Eh bien, la mêmechose existe dans la société: il faut quelqu'un

,sur lequel puissent se concentrer toutes sesrages, toutes ses persécutions, et si l'on apu s'écrier: « honneur avant tout à ceux quiont aimé la poésie jusqu'à en mourir, x nous

'demanderons au contraire, qu'a-t-il fait pournaitre ainsi? par quelles bizarreries, parquelles flagellations imméritées, pour quelcrime héréditaire la poésie et l'art viennent-ils pareils à d'antiques démons, cercler lecerveau d'un~ homme, et lui mettre au frontune, de ces marques, pour lesquelles la foulen'a jamais assez de ricanements?

BOHÊME ROMANTIQUE

LOUIS BERTRAND, PniLOTEE O'NEDDY,

MALLEFILLE, ËTIENNE EsGIS.

ans les rares amitiés qu'onnous accorde, il en est qui,si sincères qu'elles se pré-sentent, ont la vertu d'êtrepresque dégradantes par les

expressions de pitié affectueuse dont elles

nous honorent. A ce compte-là, il faudraitdire: foin de l'amitié; car le langage de lapitié sur les lèvres d'un ami est une-in-sulte. Lorsqu'on voit plaindre, en cette formeprotectrice que revêt le critique, quelquesin-dividualités de poëtes disparus jeunes dumonde, une certaine révolte s'empare de nous.Elles ne demandent certes pas une dédai-

gneuse obole de commisération, ces âmesitères Pourquoi allez-vous dévoiler avec un

LA

accent de favoritisme hautain ce qu'elles ontcaché toute leur vie ? II y a dans cette façonde parler des « pauvres diab!esD de bohèmes,quelque chose qui nous enflammerait de ragesi nous étions dignes de nous aligner à côtéde ceux-là. Ayez un langagequi, en procla-mant toute la vérité qui convient à l'histoire,ne les-avilisse pas. Toute réelle misère se dé-robe derrière l'œuvre de l'esprit, et nous méri-terions qu'on nous répondit lorsque, nous, lesexhumeurs de cendres, nous racontons entermes qui les auraient fait rougir, lespriva-tions endurées:– Ah ça, monsieur, qui vouscroyez si spirituel à notre endroit, épargnezvous donc d'enfler votre veine au sujet de no-tre faim inrassasiable Si nous avons eu faim,c'est que nous avons préféré cela à autrechose; nous ne vous avons pas prié de parta-ger notre jeûne ou de le faire cesser Etantdonné que, si l'on est poëte lyrique et qu'onvive de cet état, on doit être maigre à faire

peur, soyez assez bon pour admettre quesi nous avons choisi cette façon de noussustenter, c'est qu'il nous a été indifférentd'engraisser ounon; plaignez-nous d'être néainsi, soit; rutilez à votre aise sur notre orga-nisation, cela vous regarde; mais, de grâce,

n'énumérez pas si piteusement le froid de nosorteils à peine couverts, et que l'effilochagede nos vêtements ne soit pas une rubnque àfaire-déborder les larmes faciles des vieillesfemmes et des jeunes gens hypocondriaques.Rendez-nousnotre dignité, corbleu et sachezque si nous avons été ce que nous sommes,c'est qu'au bout du compte, nous vous lerépétons, cela nous a plu il n'y a que lebourgeois qui puisse se complaire à vosattendrissements bêtes

Ceci donné, l'on admettra fort bien avecnous qu'on puisseportraiturerle poëte danssapauvreté sans commettre' d'outrage. Noussaluons donc ceux qui ontpréféré ses torturesplutôt que de se faire juter de la mélassetoute leur vie entre les doigts, et nous dé-coupons le profil de Louis Bertrand qui s'estpeint sous le pseudonyme de Gaspard de laNuit:

« C'était un pauvre diable dont l'expres-sion n'annonçait que misère et souffrance.J'avais déjà remarqué dans ce mêmejardin l'Arquebuse à Dijon sa redin-gote rapée qui se boutonnait jusqu'aumenton, son feutre déformé que jamaisbrossen'avait brossé, ses cheveux longs comme un

saule et peignés' comme des broussailles, sesmains décharnées pareilles à des ossuaires,sa physionomie narquoise, chafouine et ma-ladive qu'effilait une barbe nazaréenne etmes conjecturesl'avaientcharitablement ran-gé parmi ces artistes au petit pied, joueursde violon et peintres de portraits, condam-nés à courir le monde-sur les traces du juiferrant, a

Né à Dijon, Louis Bertrand avait débutédans le Provincial, journairédigépar Théo-phile Foisset, et Charles Brugnot, le 1" mai1828 avec une chronique de 1364, intituléeJacques les Andelys. Un jour Sainte-Beuveavait vu entrer chez lui un jeune inconnu qui,après gracieuse réception, s'était mis à'lireplusieurs petits poëmes d'un fini et d'une dé-licatesse d'exécution inouïe. Sainte-Beuvegarda le manuscrit quelques jours, et com-muniqua à quelques intimes les pages dece poëme, en prose, qui devait s'appelerGaspard de la Nuit. C'étaientde petites piècesrhythmées, en .façon de strophes, d'unémail et d'un fmi précieux, qui s'appelaient,le Maçon, la Tulipe, la CAa/H~re Gothique,les Sylves etc. Tout le moyen âge était groupélà, comme il est groupé dans un missel ou

dans une église gothique.. L'originalité del'auteur, disait le critique déjà cité, 'consiste

précisément à avoir voulu relever et en-fermer sous forme d'art sévère et de fantaisieexquise, ces filets de vin clairet qui avaienttoujours jusque là coulé au hasard et commepar les fentes du tonneau. D C'était un tra-vail d'architecte. Si l'on veut se rendrecompte que chaque mot était détaillé commeles pierres d'une frise, chaque phrase creu-seé et enroulée autour de l'idée en manièrede volute il n'y a qu'à lire les deux piècessuivantes

LE GIBET.

cAh! ce que j'entends, serait-ce la bisequi glapit, ou le pendu qui pousse un soupirsur la fourche patibulaire?

« Serait-ce quelque grillon qui chante tapidans la mousse et le lierre stérile dont, parpitié, se chausse le bois?

« Serait-ce quelque mouche en chasse son-nant du cor autour de ces oreilles sourdes à

la fanfare des hallali ?

<tSerait-ce quelque escarbot qui cueille en

son vol inégal un cheveu sanglant à cecrâne chauve?

« Ou bien serait-ce, quelque araignée quibrode' une demi aune de mousseline pourcravate à ce col étranglé?

'« C'est la cloche qui tinte aux murs d'uneville, sous l'horizon, et la carcasse d'unpendu que rougit le soleil couchant. »

LA CHAMBRE GOTHIQUE.

Nox et'soHtMdopienas sunt diabolo.La nuit ma chambre est pleine de diables.

<fOh! la terre, murmurai-je à la nuit,

est un calice embaumé dont le pistil et lesétamines sont la lune et les étoiles.

< Et, les yeux lourds de sommeil, je fermaila fenêtre qu'incrusta la croix du Calvaire,noire dans la jaune auréole des vitraux.

-jfEncore si ce n'était à minuit, l'heure

blasonnée de dragons et de diables quele gnome qui se soûle de l'huile de malampe1

« Si ce n'était que la nourricequi berce avecun chant monotone, dans la cuirasse de monpère, un petit enfant mort né!

« Si ce n'était que le squelette du lansquenet

emprisonné dans la boiserie, et heurtant dufront, du coude et du genou 1

a Si ce n'était que mon aïeul qui descend enpied de son cadre vermoulu, et trempe songantelet dans l'eau bénite du bénitier!

a Mais c'est Scarbo qui me mord au cou, etqui, pour cautériser ma blessure sanglante,y plonge son doigt de fer rougi à la four-naise »

Il faut tout dire, Sainte-Beuve en écrivantsur Louis Bertrand, est quelque peu perfideet- semble faire « la grimace d'un chat qui abu du vinaigre ».

« De telles imagettes, disait-il, sont commele produit du daguerréotypeen littérature,avec la couleur en sus. Mais aloM de tellescomparaisons ne venaient pas. Plus d'un deces jeuxgothiques de l'artistedijonnais, pou-vait surtout sembler à l'avance une ciselurehabillement faite, une moulure enjolivée et sa-vante destinée à une cathédrale qui était entrain de s'élever. Ou, encore, c'était le peintreen vitraux qui coloriait, et qui peignait sesfigures par parcelles, en attendant que lagrande rosace fut montée, »

Nous n'appellerons certes pas ces petitstableaux des imagettes, et.nous avouerons à

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la mémoire. du grand critique, renier cediminutif qui détonne dans l'appréciation siexactement prise du talent de LouisBertrand.

La chanson du pélerin qui heurte pendantla nuit sombre et pluvieuse, à l'huis d'unchâtël, adressée au gentil et gracieux trou-vère de Lutèce, Victor Hugo, est une allusiondont chacun reconnaîtra le sens adroitementcaché

Comte en qui j'espère,Soient au nom du père

Et du fils,Par tes vaillants reîtresLes félons et traîtres

Déconuts-

J'entends un vieux garde,Qui de loin regarde

Fuir l'éclair,Qui chante et s'abrite,Seul en sa guérite,

Contre l'air.

Je vois l'ombre naître,Près de la fenêtre

Du manoir,De dame en cornetteDevant l'épinette

De bois noir,

Et moi barbe blancheUn pied sur la planche

Du vieux pont,J'écoute, et personneA mon cor qui sonne

Ne répond.

Comte en qui j'espèreSoient au nom du père

Et du fils,Par tes vaillants rîtresLes félons et traîtres

Déconfits.

Ce fut le sculpteur David d'Angers quiveilla les derniers jours de Louis Bertrandà l'hôpital Necker c'était au commencementde Mai i841. Le matin de -sa mort, ilarriva trop tard; on avait eu le temps de des-cendre le cadavre à l'amphithéâtre et d'enextraire, soit le foie, soit le cerveau. Lorsquela science eut prélevé son tribut, on fit cettechose de l'enterrement qui, dans les maisonsde l'Assistance publique, est toujours écono-miquement tranchée. On évite de faire brûlerles cierges sur ces bières en bois mince quidébarrassent le monde de gens aussi inutilesque des poëtes ou des écrivains. « Cepen-dant, raconte David dans une lettre publiéeau tome 1 de la Rerue du Maine et de 7'~47~'ou,

j'ai vu avec reconnaissance une jeune filleémue à la vue de ce cercuil sans drap mortu-aire, nu comme les inflexibles murs d'un ca-chot, et quelques vieilles faisant un signe decroix.

« L'orage qui grondaitsourdement pendantce triste trajet, fit entendre, à notre arrivéeeà la chapelle, son énergique et sombre ru-meur. Le prêtre, assisté d'un servant, dit l'of-fice des morts devant moi, seul représentant

de la famille du pauvre abandonné deshommes..Pendant cette' cérémonie, deséclairs ne cessèrent de déchirer le ciel etd'illuminer les saints de la chapelle, d'unelumière blafarde. Le prêtre partit; je restaiseul dans l'église, attendant pendant plus-detrois quarts d'heure l'arrivée du corbillard; letonnerre hurlait violemment, et moi, gardiendes restes inanimés mais éloquents du pauvreBertrand, je sentais remuer au fond de monâme un monde de sensations impossibles àdécrire. Quelques visages rongés parlamaladie, paraissaient par intervalle à l'ou-verture de la porte; au fond de la chapelle,

une soeur. de l'hospice décorait~un autel deguirlandes, pour la fête du lendemain.

« Le corbillard arriva enfin; nous sortîmes

de l'hospice pour nous rendre au cimetièrede Vaugirard; la pluie tombait alors par tor-rents le char poursuivait sa route funèbre;nous étions seuls, le mort et moi, car l'orageavait chassé tous les promeneurs, et d'ail-leurs, qui pouvait deviner que ces restesétaient ceux d'une intelligence élevée ?

<tLe coup de sifflet du gardien du cime-

tière annonça l'arrivée d'un nouvel hôte dansla demeure de l'oubli; deux hommes prirentle cercueil, et le confièrent à l'une de cesbouches altérées et béantes toujours prêtes à

engloutir indistinctement le crime, la vertu,le génie et l'ignorance stupide. La terre ré-sonna sourdement sur les planches caver-neuses, et lorsqu'elle se fut élevée en monti-cule, et ne parut plus qu'une cicatrice,j'adressai un dernier adieu à la triste relique.Je fis planter une croix, portant pour inscrip-tion un nom qui sans doute fut devenupopulaire, si les hommes, moins absorbésdans leur égoïsme, se fussent préoccupés desoutenir le génie étouffé trop souvent parl'envie et l'indifférence,

o

Telle s'achevacette lugubre existence, dontla triste fin n'aurait pourtant pas le pouvoir

18.

de détacher de l'art ceux auxquels elle estencore et toujours réservée.

II.

Une figure bizarrementénergiqueétait cellede Théophile Dondey. Il avait pris l'ana-gramme de son nom et en avait fait le pseudo-nymé de Philotée O'Neddy, parce qu'il possé-dait le même prénom que Théophile Gautier.C'était un des affiliés du clan de Petrus Borelà la montagne Rochechouart, un paroxysteeffréné; il ullulait dans le chœur athlétiquedes Jeunes France. Son poëme de Feu etT~VamzHeestresté l'expression si nette, si ab-solument précise de l'époque, que jamais do-cument plus local ne pourra être exhumé.

Dans quelques pages hardies et brutale-ment découpées, nous mettons le doigt surtoutes ces figures du temps qu'on ren-contrait souvent chez Jehan du Seigneur. Lepoëme est divisé par nuits. Nous donnonsles Rodomontades du premier nocturne

Bohémiens sans toits, sans bancs,Sans existenceengainee,Menant vie abandonnéeAinsi que des moineaux francsAu chef d'une cheminée.

PETRUS BOREL.

Pour un peintre moderne, à cette heure de lune,Ce serait, sur mon âme, une bonne fortune

De pouvoir contempler avec recueillementLa scène radieuse au. sombre encadrement,Que le jeune atelier de Jehan, le statuaire,Cache dans son magique et profond sanctuaire

Au centre de la salle, autour d'une urne en fer,Digne émule en largeur des coupes de l'enfer,Dans laquelle" un beaù punch aux prismatiques uammes.Semble un lac sulfureux qui fait houler ses lames,Vingt jeunes hommes, tous artistes dans le cœur,La pipe' ou le cigare aux lèvres, l'œil moqueur,Le temporal orné du bonnet de Phrygie,En barbe Jeune France, en costume d'orgie,Sont pachalosquemont jetés surun amasDe coussins dont maint siècle a troué le damas

)

Et le sombre atelier n'a pour tout éclairageQue la gerbe du punch, spiritueux mirago

Quand on vit que du punch s'éteignait le phosphoreMainte coupe d'argent, maint verre, mainte amphore,Ainsi qu'une ftotilio au sein du bol profond,Par un faisceau de bras furent coulés à fond.Rivaux-du templier du siècle des croisades,Nos convives joyeux burent force rasades,Chaque cerveau s'emplit de tumulte, et les voixPrirent superbement la parole à la fois.

Alors un tourbillon d'incohérentes phrases,Do chaleureux devis, de tudesques emphases,Se déroula, hurla, bondit au gré du rhum,Comme une rauque émeute à travers un forum

Vrai Dieu quels insensés dialogues L'analyseDevant tout ce chaos moral se scandalise.–

Comment'vous révéler ce vaste encombrementDe pensers ennemis, ce chaud bouillonnementDe fange et d'or?. Comment douer d'une formuleCes conversations d'enfer où s'accumulePlus de charivari/de tempête etd'arroiQue dans la conscience et les songes d'un roi ?.

L'un des vingt redressant sa tête qui fermente,Pour lutter de vacarme avec cette tourmente,D'une voix qui vibrait comme un grave Kinnor,Se init a réciter des strophes de Victor.

Et tous énamourés de cette poésieQui pleuvait sur leurs sens en larmes d'ambroisie,Se livraient de plein cœur à l'oscillationD'une vertigineuse hallucination.Il y avait dans l'air comme une odeur magiqueDe moyen âge arôme ardent et névralgiqueQui se collait à l'âme, imprégnait le cerveau.,Et faisait serpenter des frissons sur la peau.Les reliques d'armure aux murailles penduesStridaient d'une façon bizarre; les statuesTressaillaient sourdement sur leurs socles de bois,Prises qu'elles étaient de glorieux émois,Et se sentant frôler par les ailes sonoresDes strophes de métal, lyriques météores

Comme sous les genêts d'un beau mail espagnol,Parmi les promeneurs éperdus sur le sol,Ses jeunes cavaliers tressaillent quand la soieDes manches de leurs dames en passant les coudoie

Oh! les anciens jours! dit Reblo: les anciensjours!

Oh!. comme je leur suis vendu! comme toujours

Leur puissante beauté m'ensorcelé et m'enivreCamarades, c'était là qu'il faisait bon vivreLorsqu'on avait des flots de lave dans le sang,Du vampirisme à l'œil, des volontés au flanc!

Après quelque silence, un visage moresqueLeva tragiquement sa pâleur pittoresque,Et faisant osciller son regard de maudit:Sur le conventicule avec douleur il dit

Certes, il faut avouer que notre fanatismeDo camaraderie est un anachronismeBien stérile et bien nul Ce n'est plus qu'au désertQu'on peut en liberté rugir. A quoi nous sertDans une époque aussi banale que la nôtre,D'être prêts à jouer nos têtes l'un pour l'autre?Si, me jugeant très-digne au fond de ma fiertéDe marcher en dehors de la société,Je plonge sans combat ma dague vengeréssoAu cou de l'insulteur de ma dame et maîtressoLes sots, les vertueux, les niais m'appelerontChacal Tout d'une voix ils me décernerontLes honneurs de la grève et si les camaradesVeulent pour mon salut faire des algarades,Bourgeois, sergents de ville et valets de bourreau,Avec moi les cloûront au banc du tombereau.Malice de l'enfer.

J'acclame volontiers à ton deuil solennelDit au p&roratour l'architecte NoëlMais tout n'est pas servage en la sphère artistiqueSi nous ne possédons nulle force physiquePour chasser de sa tour et mettre en désarroiLe Géant spadassin qu'on appelle la loi,Les arsenaux de l'âme et. de l'intelligence

Peuvent splendidement servir notre vengeance.Attaquons sans scrupule en son règne moral,La lâche iniquité de-l'ordre social.Lançons le paradoxe; affirmons dans vingt, tomesQue les mceurs, les devoirs, ne sont que des fantômes

Battons le mariage en brèche osons prouverQue ce trafic impur ne tend qu'à dépraverL'intellect et les sens; qu'il glace et pétrifieTout ce qui.lustre, adorne, accidente la vie.Je sais bien que déjà plusieurs cerveaux d'airainS'emmantelant aussi d'un mépris souverainPour les vils- préjugés de la foule insensée,Se sont faits avant nous brigands de la pensée.Mais parmi les forêts de vénéneux roseauxQue l'étang social couronne de ses eaux,C'est à peine s'ils ont détruit une couleuvre.Il serait glorieux de parachever l'oeuvre,Et de faire surgir, du fond de ce marais,

Une île de parfums et de platanes frais.

-Silence! écoutez tous, frères! se mit à direDon José. l'œil en flamme et l'organe en délire.Ecoutez je m'en vais vous prouver largementQue nous pouvons scinder même physiquementDe la société l'armure colossale'Et de nos'espadons rendre la'chairvàssale

Il n'est pas au néant descendu tout entierLe divin moyen âge un fils, un héritierLui survit à jamais pour consoler les Gaules.

En vain mille rhéteurs ont lancé des deux pôlesLeur malédiction sur ce fils immortel,Il les nargue, il les joue. Or, ce dieu c'est le duel.

Voici ce que mon âme à vos âmes propose.

Lorsqu'un de nous, armé pour une juste cause,Du fleuret d'un chiffreur habile à ferraillerAura subi l'atteinte en combat singulier;Nous jetterons, brulés d'une ire sainte et grande,Dans l'urne du destin tous les. noms de la bande,Et celui dont le nom le premier sortira,Relevant le fleuret du vaincu, s'en iraCombattre l'insolent gladiateur s'il tombe,Nous élirons enc6re un bravo sur sa tombeSi l'homme urbain s'obstine à poser en vainqueur,Nous lui dépêcherons un troisième vengeur,Et toujours ainsi, jusqu'à l'heure expiatoire.Où le dé pour nos rangs marquera la victoire

Pendant que Don José parlait, un râlementSympathique et flatteur circulait sourdementDans l'assemblée Et quand ses paroles cessèrent,Des acclamations partirent, s'élancèrentAvec plus de fracas, de fougue, de fureur,Qu'un Te Deum guerrier sous le grand empereur..Ce fut un long chaos de jurons, de boutades,De hurrahs de tollés et de rodomontades,Dont les bruitsjaillissant clairs, discordantset durs,Comme une mitraillade allaient cribler les murs.

Et jusques au matin les damnés Jeune Franco ·

Nagèrent dans un flux d'indicible démence-Echangeant leurs poignards–promettantde percerL'abdomen.des chiffreurs jurant de dépenserLt'.ir âme à guerroyer contre le siècle aride.Tous, les crins vagabonds, l'œi) sauvage et torridePareils à des chevaux sans mors ni cavalier,Tous hurlant et dansant dans le fauve atelier,

Ainsi que des pensers d'audace et d'ironieDans le crâne orageux d'un homme de génie

111.III.

Comme lé héros de Shakespeare, de tempsà autre on ôte son chapeau pour voir's'iln'a pas pris feu à une étoile.

a Mourez donc et que ça finisse espritsqui avez dit votre dernier mot, a s'écriait-on.a A bas tout le monde et vive moi, le moiqui a vingt ans.

Dans les fameuses galeries de bois oùrégnait le libraire Ladvocat, on entendait desjeunes gens chantonner ces vers

L'amour naît et ta porte est close,Lève toi pourquoi sommeiller ?A l'heure où s'éveille la roseNe vas-tu pas te réveiller ?

ô ma charmanteEcoute ici

L'amant qui chanteEt pleure aussi

Tout frappe à la porte bénieL'aurore dit je suis le jourL'oiseau dit: je suis l'harmonie,Et mon cœur dit: je suis l'amour.

Un nouveau venu, Félix Arvers, s'inspi-rait sans plagiat du poëme d'Albertus -au

second acte d'un de ses drames sur la mort.'de François I" et ne craignait pas d'édifiercette brusque déclaration

Si, des livres nouveaux, le ton vous scandalise,Quelle nécessité qu'une vierge les lise ?

Est-ce qu'une œuvre d'art a la prétentionD'être un cours de morale et d'éducation ?

L'art n'est pas éhonté, mais croyez qu'en effetVotre étroite pudeur n'est pas du tout son fait;L'art n'est pas fait pour vous, mesdames les Com-

tessesU s'accommode mal de vos délicatesses.Pour vous, prudes beautés, bégueules de salon,Qui n'osez regarder en face l'Apollon,Qui jetez un manteau sur les lignes hardiesDe la Vénus antique.

Alors, dit Jules Janin en parlant del'époque où disparaissait Lafayette, il y avaitdans Paris une insurrection d'écrivains nou-veaux venus, qui ne pouvaient pas suffire àtous les contes, à tous les romans, à touteslesnouvelles de la consommationquotidienne. Onpubliait en ce temps-là, en huit ou dix tomes,s'il vous plaît, les Contes bruns, les Contesroses, le Livre des Jeunes Femmes, le Livredes très-jeunes femmes, a la Bru~e~ àMinuit, Entre chien et loup, et, sous le

19

moindre prétexte, pour avoir été soldatmarin,- médecin, étudiant, homme d'Etat,jeune fille du veuve, plus ou moins veuve dela grande armée, on se trouvait en droit depublier les. mémoires et les impressions desa vie, et toutes ces choses se lisaient peuou prou, tant la calme lecture était un grandbesoin après toutes ces agitations de.la rue.On lisait pour lire, on lisait pour oublier

on lisait.les petits écrivains, justement parce

que les grands écrivains étaient en marchele nombre des lecteurs est considérable queM.. de Balzac adonnés à ses confrères. Teljeune homme, à lire les Oc~es et Ballades, setrouvait poëte «' Et moi aussi » se disait-il. Nos souvenirs ont conservé des piècescharmantes, écrites sous la vive et premièreimpression de Joseph Delorme. Ecoutez parexemple, ce sonnet charmant JosephDelorme avait remis le sonnet en rare etdifficile honneur-et dites-moi, s'il n'est pasdommage que ces choses là- disparaissent àtout jamais, comme un article de journal?

Mon âme a son secret, ma vie a son mystère,Un amour éternel en un moment conçuLe mal est sans espoir, aussi j'ai dû le tairj,Et celle qui l'a fait n'en a jamais rien su.

Hélas, j'aurai passé près d'elle Inaperçu,Toujours à ses côtés, et pourtant solitaire,Et j'aurai jusqu'au bout fait mon temps sur la terre,N'osant rien demander'et n'ayant rien reçu

Pour elle, quoique Dieu l'ait faite douce et tendre,Elle ira son chemin, distraite, et sans entendreCe murmure d'amour élevé sous ses pas.

A l'austère devoir pieusement fidèleElle dira, lisant ces vers tout remplis d'elle

« Quelle est donc cette femme ?" et ne comprendrapas.

Une figure entre toutes, celle de DonJuan, devait être nécessairement exploitéepar la nouvelle école. Ce fut ce qu'entrepritMallefille, plus tard auteur de la pièce le Cœur'et la Dot, en écrivant les mémoires ou DonJuan viole l'hospitalité reçue en séduisantla femme de son cousin, Dona Téresa, et en

se faisant aimer de leur pupille. « Le hasardpense-t-il, me jette au inilieu de cette famille;qu'en résulte-t-il? Désordre, ruine et déshon-neur. -J'aime l'une, j'aime l'autre, je n'aime

ni l'une ni l'autre, suis-je un méchant? Non,sur mon âme, non Je donnerais ma vie pourleur bonheur. Quelle est donc la cause decette effroyable anomalie; quelle est cettefatalité qui pousse au mal une bonne voljnté;suis-je le maître de mes actions ? Ni moi, ni

les autres. Qu'est-ce donc que !a vertu ?Qu'est-ce que l'âme? Qu'est-ceque l'homme ?aAinsi s'exprime le Don Juan de Mallefille; ettoute la vie de son héros se résout dans cefait unique séduire surtout des femmeschastes comme la mie de pain, sobres commedes fourmis, dévotes comme des madri-lènes. Un jeune et rêveur Lucifer, incarnédans. la peau d'un homme, une espèce d'odys-sée du vice où se révèle le pacte diabolique,que tout être accomplit silencieusement enson coin de conscience le plus retiré, voilà

en deux lignes, ce qui a tenté l'analyse deMallefille dans son Don Juan.

Vers 1840, à peu près, une deuxième géné-ration romantique continue la première.Un peu plus tard, en 1851, Etienne Eggisinaugure ainsi la première page de son vo-lume de vers j~~ causant avec la Lune.c II existe ici bas une classe d'hommes'.étranges; ils portent des cheveux longs etbouclés comme le Christ. Ils ont dans leurlarge prunelle le regard fixe, ardent et pro-fond des aigles, des lions et des rois. Ilsaiment- la lune, la mer, les montagnes. Ilsvont souvent à la marge des grandes forêts,écouter chanter la nature, cette ode simple

et sublime d'un grand poëte qu'on appelleDieu. Ils passent à travers les foules, calmes,rayonnantsetdoux.

t J'ai essayé de chanter moi aussi, commeces hommes aux longs cheveux qu'on appellepoëtes.

« Pauvre et Humble artiste, je continueraimon œuvre solitaire, calme, grave et serein.Rempli de la sublime et sainte folie de l'art,je travaillerai comme les vieux maîtres alle-mands ou italiens du moyen âge, sans melaisser troubler par les bruits du dehors etles rumeurs de la place publique. Je laisserairire les hommes qui n'ont point de cœur, etje marcherai toujours en avant, sans colèreet s'ans haine, la. flamme au cœur, la harpeen.bandouitlière et les yeux sur l'horizon oùresplendit calme et éternel comme Dieu. le'vaste et splendide soleil de l'art. Si, sur maroute, quelque main sympathique m'esttendue, si quelque voix de frère me dit,courage! je serai heureux et je le bénirai.

D

La main qui se tendit vers Etienne Eggis,;ce fut celle d'Arsène' Houssaye. Nous nesommes certes pas d'humeur bénisseuse denotre naturel, et nous né nous soucions, par-bleu, d'adresser de flatterie à aucun. Mais la

19.

vérité nous a toujours ardé le. coeur, et nousne voyons guère pourquoi on ne raconte-

rait pas ce. que le directeur de l'Artiste en-treprit à l'égard -du pbëte Etienne Eggislorsque

La faim et la misèreJetaient sur son bonheur leur chemise de haine.

Il le recueillit chez lui, et meubla 'unpavillon à son intention. L'enragé noctambulehabita quelque temps Beaujon. M"ArsèneHoussaye, une de ces femmes dont la race

ne tend guêre à se continuer,'aida sonmari dans cette bonne action faite si'sim-

plement, elle mit un piano dans la chambredu pôëte; ce piano fut l'âme de la cellule,car Etienne Eggis était un musicien con-sommé. Mais il se lassa de cette quiétude, il

.préférait coucher sous les àrches de ponts.Uri jour Eggis oublia tout à fait tant sonpropriétaire'mettait de bonne grâce à le luifaire oublier–queles meubles n'étaient pas à,lui; il les vendit à un brocanteur, et s'en fut,probablement causer avec la lune dans unautre endroit. Quelque temps après, la raison,la mémoire lui revenant, chacune deslettres .qu'il écrivait à son ami se terminait

par cette formule a votre reconnaissant etdévoué' voleur: »

Nous détachons ici, de son livre, une piècedans laquelle le retour périodique de deuxvers créé un effet-inaccoutumé

La lune est belle et la brise est dormante,Jeunes amants, embrassez votre amante.

Lorsque l'orage est en chemin,Le lac devient tranquille et calme

-Quand notre vie enfin se calme,C'est que la mort nous tend la main.

La lune est belle et la brise est dormante,-Jeunes amants, embrassez.votre amante.

Au fond des Cours rampe le ver,Toute joie est vite ravie;La douleur remplit notre vie;Après le printemps vient l'hiver.

La lune est belle et la brise est dormante,Jeunes amants embrassez votre amante.

Tout est faux, même le remord;Autour de nous tout est mensongeL'amour ici bas est un songeDont le réveil est dans la mort.

La lune est belle et la brise est dormante,Jeunes amants, embrassez votre amante.

Eggis a signé avant de mourir une théorieabracadabrante sur les noms connus. Selon

lui, le nom est l'expression de l'homme. SonVoyage aux Champs-Elysées est digne duFb~aye à la Lune, de Cyrano de Bergeracaussi est-il hors de prix dans les ventespubliques. Et cependant, son existence, sifantaisiste qu'elle soit, ne porta pas les

germes de cette paresse féconde qui fit les

Mûrger et les Gozian.

LES ROMANTIQUESD'ARRIËRE-GARDE

ALPHONSE ESQUIROS, ROGER DE BEAUVOIR,

CHARLES CORAN, HENRI VERMOT, BAU-

DELAIRE, NAPOL LE PYRÉNÉEN, CnAR-

LES DIDIER, CATULLE MENDÈS, BARBEY

D'AUREVILLY, CLÉMENT PRIVÉ.

'oublions pas les romantiquesd'arrière garde, non plusque les romantiques d'avantgarde. Par exempte, Esquirosn'est venu qu'après coup;

mais c'était un de svaillants, celui qui disait

« La lune écu d'argent, le soleil louis d'or.

et dont les deux recueils Les Ty/roHO'eP/es

et Fleur du Peuple, ne se retrouvent plusqu'à l'hôtel Drouot; Charles Coran, et sesRimes ~a/a?2<es Roger de Beauvoir, queBarbey d'Aurevilly: appelle un Musset brun.

II y a, en effet, dans Colombes et Couleu-vres, dans les Meilleursfruits de /HO/?pa7~'er,

ta facture du vers de- Musset, la chanson quimet à la lèvre un pli d'amertume. C'est aussil'inquiétude de l'homme moderne qui se tra-hit chez l'anacréontique viveur, avec moinsde lyrisme et un accent de découragementintime moins marqué que chez le poëte deRolla. Son sourire est plus prolongé; maisque. l'on devine bien l'ombre cernant le re-gard sous les lueurs des soleils amoureuxH n'y a qu'a rappeler les pièces intitulées leRire et celle de Hier

J'eus un ami pendant vingt ans,C'était la fleur de mon printemps,Tout cédait à son gai délire,Le plus morose lc fêtait;Comme il buvait, comme il chantait

.Cetamis'appetaitlerire.

A l'heure des soupers joyeux,.QuandI'atpétineenvos yeux,Que les couplets partent des lèvres;Qu'il nous tombe un conteur charmant,Et qu'on boit le moka fumantDans l'émait de Chine ou de Sèvres

Quand on ne fait plus de journaux,Quand les huissiers vous semblent beaux,Qu'à Chloé l'on se prend à croire,

Qu'on trouve de l'esprit aux gueux,Grâce au pâté 'do Périgueux,Endormi sous sa truffe noire;

Quel. meilleur ami, répondez,Que ce garçon-là? Regardez,Sur vous comme il prenait d'empire:!c!

L'ceil vif, le gilet entr'ouvert,Il tirait .sa nùtc au dessert,Ce gai Roger Bontemps, le Rire'!

Nous montions aux mêmes balcons,,Nous vidions les mêmes flacons.I) était si beau dans l'ivresseA l'aube il pâlissait un peu.Nous nous quittions, et pour adieu,Moi, je lui laissais ma maîtresse

Le dernier souper que je fis,Il me prit la main « 0 mon fils,Me dit-il-, adieu je m'exileA Paris on ne m'aime pas;J'y vois trop de grecs, d'avocats,En n'entre guère au Vaudeville

« Adieu! souviens-toid'unami,Qui t'a d'un pas mal affermi'Souvent reconduit à ton gîte.J'irai te visiter encor,Même ailleurs qu'à la Maison d'or,Mais songe que le temps va vite

Hélas! Hélas! il est parti! ·A ses serments il a menti,

Je demeure seul en'ma chambre.La neige tinte à mes carreaux,Je me chauffe avec mes journaux.C'était Avril, je suis Décembre

Eh quoi l'avoir sitôt perduJ'ai. brisé le .verre ou j'ai buTant de fois dans sa compagnie.Quelquefois je fais un effort,Mais mon pauvre rire est bien mort,Et mon âme est à l'agonie.

Car ils m'ont tout pris, les méchantsMa gaité, mon bien et mes chantsAutour de moi monte le lierre,Le lierre qui festonneraL'humble tombe où l'on me mettra,Sans regret comme sans prière

Paris, 1862.

HIERCHANSON.

Hier encore j'aimais le sonEt la collinè au manteau sombre,La rosée .aux perles sans nombre,Et le lis au mol encensoir;J'aimais les fleurs et leurs clochettes,Et sur le miroir des étangsLes mobiles bergeronnettes..Mais hier, c'était le printemps

Hier encor quand vous passiez,SibeMedanslesgràndes herbes,J'enviais le bonheur dés gerbes,Que de la main vous caressiez;.Et quand vous touchiez chaque rosé,Je songeais à l'ange aux doigts blancsQui les cntr'ouvre et les arrose.Mais hier, c'était le printemps!

Hier encor j'aimais mon toit,Qu'à l'aube effleure l'hirondelle,Les. bois et la mousse nouvelle,Et la source ou te pâtre boit;J'aimais les oiseaux de ma plaine,.Et près d'eux m'en allais chantantLe nom de Rosine; ma.reine.Mais hier,.c'était le. printemps!

Aujourd'hui tout se tait là-bas,La colline, hélas! est.sans brise;La gerbe languit et se brise,Le sol ne reçoit plus vos pas.Aujourd'hui, plein d'humeur chagrineLoin de vous je vais pour longtemps.Hier, qui me l'eut dit, Rosine?'1Mais hier, c'était le printemps.

Les vers qu'il adressait à Gautier, sur laComédie de la mort, resteront aussi long-temps que les chansons."

Oui, je reHs ce livre au sévère portique,Comme l'étudiant, vers la classe, en rabat,

20

Suit Méphistophétes, professeur de logique;Aussi prenant en main le pan de ta tunique,Docteur, je t'ai suivi vers le champ du Sabbat.

Pour,danser en ton drame une infernale ronde,Tes spectres n'en sontpas moinsdoux sous leur camailTa furie est souvent une maîtresse blondeEt quand de ton Averne on retire la sonde,On en ramène, ami, la perle et le corail 1

Malgré cet appétit de la grande ChartreuseOn voit, beau repenti, que tu chéris le bal

Tu chantes à la mort une. strophe amoureuse,Et, pour la Thébaïde, elle n'est pas si creuse.Que l'amour ne le trouve, à la nuit, sans fanal.

Vainement de tons verts tu charges ta palette,Comme fait Caneno pour un de ses martyrs;Tu laisses trop de nœuds de rose à ton squelette,-Trop de livres d'amour couchés sur ta tablette,Et dans ton jeune vers trop d'âme et de désirs

.Aussi, comme un amant qu'un grand linceul déguise,Tu nous a séduits tous, doux et triste rameurQui glisses sur les eaux par la brume et sans brise.Le drap de ta gondole est noir comme à Venise.Mais tu sais quels amours y dorment sur ton cceur

Roger de Beauvoir fut la coupe de vin deChampagne répandue sur la nappe, que lestruands tachaient de leur vin rouge. SonEcolier de Cluny donna à GaiUardet, lacréation de la Tour de Nesle.

A côté de lui, n'oublions pas Charles Di-dier, Napol le Pyrénéen, pour lesquels .nous

renvoyons aux documents bibliographiquesde Charles Asselineau, Henri Vermot, quipleurait sa jeunesse à vingt ans, ce qui fitdire au très-vieux Lacretelle jeune:

Donnez-moi vos vingt ans si vous n'en faites rien.'

HAprès la Révolution de 1848, la situation

devint plus tendue. La société .qui préside au-jourd'hui à toutes nos évolutions intellec-tuelles, se dessinait vaguement; mais on nela pressentait pas aussi menaçante qu'elleest devenue. En effet, Baudelaire ne publiases Fleurs du mal qu'en 1857 et, jusque-là,il n'aurait jamais soupçonné cette éxorbi-tance d'inouïsme, d'une condamnation pouroutrage aux mœurs, l'atteignant dans sesplus nobles prérogatives de poëte.

Il faut constater autour de soi maintenantla série des mouchards illustres ou obscursconspirantdans l'ombre, auxquels nous décer-nons le- coup de chapeau du boulevard, parcequ'il est utile d'entretenir une trêve apparente.

Mais, vers 1840, reconnaissons-le, les campslittéraires pouvaient être tranchés sansexposer leurs partisans aux mêmes violencesles querelles se passaient entre les bourgeoisde chaque catégorie et l'on était toléré roman-tique, si cela s'appelle de la tolérance, sansêtre traduit en police correctionnelle. L'au-teur des Fleurs (/Hma/ se croyait-il toùjoursen 1840 ? Ce qu'il y a de certain, c'est que leréveil fut douloureux. Un jeune substitutdéchiqueta le livre de ses ongles naissants.Use. sentait blessé dans ses. convictions delycéen, ce jeune homme; sa haute expérienceayant peut-être devancé les années.chez lui,ne l'autorisait point à laisser libre le cri dedélire d'un malheureux; un poëte dans unélan de colère ne pouvait nier Dieu, pas plusqu'un philosophe. Se déclarer franchement,loyalement athée, dans un large chant dedésespoir où l'on voit bien que l'âme est triste

jusqu'à la mort, et que le corps est traverséjusqu'aux os, c'était là un crime, et l'ontraîna Charles Baudelaire devant ses juges.Le réquisitoire promena sur les fulgurantespétales des Fleurs du mal son acrimonieuseéloquence mais un témoin très-oculaire,assure que lé ministère public eutune conte-

nance des plus embarrassées. Ce témoin estM. Charles Asselineau, auquel nous emprun-tons ces détails. «. On s'attendait, dit-il à

propos du substitut, à le voir planer et semaintenir à la hauteur d'un procès poétique.En l'entendant, il nous fallut rabattre un peude cet espoir. Au lieu de généraliser lacause,et de s'en tenirà des considérations de hautemorale, M. P* s'acharna sur des mots, surdes images; il proposa des équivoques, dessens mystérieux auxquels l'auteur n'avaitpas songé, atténuant ses sévérités par desprotestations d'indulgence naïve. « MonDieu je ne (~man~ejoasVa tête. de M. 2?au-c~e/a/re/) C'était encore fort heureux–<t~'e demande un aver~sseme/~seu/eme?~

D

Dans toute cette, affaire, il est cependantquelque chose, qui nous étonne c'.est que:leMinistère public ait consenti à laisser lesamis de l'incriminé l'entourer, lui prouverleur sympathie, au lieu de réclamer le huis-clos. L'un des immortels faisandés de l'insti-tut s'efforçait de prouver à Baudelaire cequi ressortait d'honorable dans cette ineffableméchanceté grouillante mais Baudelairerestait, paraît-il, abasourdi, n'en, croyant passes. oi'piDes. Dame on a eu une vie énergi-

quemént trempée, dans l'honneur, dans letravail on peut en vider tous les tiroirs à pleinoie! on a reçu le matin les manifestationschaleureusesde tout un quartier, et il semble àl'écrivain qui sort de l'audience, qu'un forçat

ne mettrait certainementpas sa main dans lasienne, et que le plus vil -recoin du bagneserait encore trop pur pour lui, tant il estimprégné de la boue qu'ona fait ruisseler sur

ses épaules. Oui, Baudelaire restait stupé-fait il ne comprenait pas. Il avait cette atti-tude bêtement ahurie que nous nous souve-nons d'avoir eue nous-même dans des cir-constancespareilles. « Vous vous attendiezdonc à être acquitté, demanda M. CharlesAsselineau à son ami ?- Acquitté répliqua-t-il, .mais je pensais, mais j'attendais qu'on

me feraitréparation d'honneur! ))Etc'est ainsi

que Charles Baudelaire sortit de l'audience.L'écrivain, en naissant, est prédestiné à

l'ignominie, il est bon qu'il le sache dès ledébut, sans métaphore; le bagne l'appelle, etil lui suffit de tenir une plume pour qu'ilsente organiser autour de lui un cercleocculteet judiciaire, qui échelonne les degrés d'unemain habile, préparant les talus sur lesquelson tâchera de le faire glisser. Il faut donc

louer Baudelaire d'avoir.osé démasquer sespersécuteurs en leur montrant clairementqu'il tes connaissait il faut le louer de n'avoirété ni poltron ni flagorneur, devant ceux quitiennent les destinées des gens de lettres.

C'est quelque chose de si horrible qu'unpoëte;c'estune bête tellement immonde, qu'onserait récompensé par l'Etat si oh trouvait lesecret de le suppr7'me~ sans laisser de traces.Quoi, cet homme se permet de rêver quand'vous remuez des banques, et lorsque vousalignez des chiffres? Quoi, il vous dira enface que vous êtes laids, atroces, ignobles, ilparlera de justice et vous le laisserez vivre?Allons donc mais c'est contraire à toutesociété organisée; et les magistrats ont rai-son de songer aux galères pour lui

Un ange furieux fond du ciel comme un aigle,Du mécréant saisit à plein poing les cheveux,Et dit on le secouant « tu connaîtras la règle 1

(Car je suis ton bon Ange, entends-tu ?) je le veux

Sache qu'il faut aimer, sans faire la grimace,Le pauvre, le méchant, le tortu, l'hébété.Pour que tu puisses faire à Jésus quand il passe,Un tapis triomphal avec ta charité.

'Tel est l'amour avant que ton coeur no .se blase,A la gloire de Dieu rallume'ton extaseC'est la volupté vraie aux durables appas x

Et l'Ange châtiant autant, ma foi! qu'il aime,De.ses poings de géant torture l'anathèmeMais le damné répond toujours: je ne veux pas!

Ce fut une bonne fortune pour Baudelairede.môurir en 1867. En 1878, la.Xl" chambresévissant en raison du talent, l'eût condamnéa l'exil, ou à une prison où les directeurs

auraient tenté de l'empoisonner.

III.

Celui de nos parnassiens dont'ies originessont trempées de l'orientalisme. le plus ab-soluest aujourd'hui CatulleMendès.Sonvers,très-large, très-plein,, garde quelque chosed'implacable dans la structure; et le recueilde ses Poëmes est comparable à l'un de cesédifices d'architecture sacrée, orné de l'im-mense vestibule pylonique. Les grandes li-gnes héroïques du temple planent sur desassises monumentales; cependant qu'au de-hors le « bhandira semble transmettre desbruits d'oracle, le voyageur qui pénètre dansl'édince, se sent gagné à mesure 'qu'ilavance, par une crainte mystérieuse; surles trépieds, les flammes symboliques lan-cent leurs jets aigus; les pilastres portent

un entrelaçageénorme de végétaux tordus quiparaissentexhaler des sons divinement trou-bleurs armé des talonmères de feu de l'ex-,tase, il voit, il monte sur les cimes primitivesavant l'époque où, d'après les jéhovistes, lessiècles constituèrent un nombre, lorsqu'enfinla matière et la forme étaient encore futures.

Quant le visiteur sort du vieil édifice, de-bout sur la dernière marche, il regarde lanature sauvagement tendre,

Mêlée à la lumière et mêlée au matin.

et pour dogme unique, il reconnaît l'obliga-tion d'aimer

'aL'amour c'est la vigueur sacrée,

« Aimez la plante; aimez les vieux chênes tremblants,Car les branchages roux valent les cheveux blancsDes bénédictions tombent des bras du hêtre,Et la vieille forêt pensive est un ancêtre »

Ainsi, en s'enfonçant sous la constructionarchitecturale de ces poëmes, le lecteur res-sent l'impression du temple colossal qu'ilsdécrivent, et dont l'enceinte couvriraitsept arpents, de même que le corps du dieuArès. Tels, se dressent comme une genèsede l'immuable le So7e~7 c/e m~<; Soirs

moroses; Co~es épiques 77~erme(7e; TTes-

pep'HS; P~7omë/a; So?2ne<s; Pan<e7e7'a/Pagode; Sérénades.

Nous qui repoussons la croyance au Dieuunitaire, nous n'en éprouvons pas moins,cependant, les sursauts effarants de cettepoésie qui nous entraîne au fond desvieilles pagodes, de cette poésie qui, plustard, nous communiquera la vision d'~es-perus, comme si nous étions parmi les mysti-ques qui rêvent la cité des chastes où ilsperçoivent de grànds couples d'époux à l'oc-cident

Pendant qu'une fleur balancéeAu toucher .de leur front se teint de leur pensée.

Que peut-on créer au-delà d'une sembla-ble face d'image ? Mais une des pièces où lecaractère symphonique, ou l'extériorité im-mense de l'oeuvre revit le mieux, est cellequi est empruntée aux Soirs moroses et in-titulée Adoration.

Prêtre, abjure l'autel. Vestale, éteins le feu.

Dans le cercle dont nul n'a marqué le milieu,Et qui, s'élargissant d'étoiles en étoiles,Fuit dans la transparence ironique des voiles,Mon âme résolue a tenté les chemins

Du vertige, au-delà des horizons humains,Et remonté le cours de là source première.Qu'a-cllo vu ? Du vent fuir dans de la lumière.Et lorsque plus avant s'ouvrit l'illimité,Qu'était-ce? encor plus d'air dans bien plus de clarté.L'âme alors, aux témoins de l'inconnu farouche,Tremblante, a dit « Où donc est l'œil, où donc la

bouche,Du regard que je vois, du souffle que je suis ?Le jour a répondu « Je ne sais pas, je luis. »Le vent a répondu « Je ne sais pas, je passe.Ni l'Être, seul moment, seul nombre, seul espace,Où se perd, comme une ombre au soir se mêlerait,Le pénitent nourri des vents de la foret,Qui laisse, dédaigneux de la vie et de-l'oeuvre,Dans sa barbe fleurir les ronces, la couleuvre,Et l'oiseau se bâtir des nids dans ses cheveux;Ni le morne lavëh qui frappe et dit « Je veux,Seul éternellement dans mon firmament sombre,Que l'homme, de l'abîme où l'arche même sombre,N'ait qu'un phare, ma gloire au front du SinaïNi Mithra, blanc et pur, des ténèbres haï;,Ni toi qui fuis, voilée en un triple mystère,Vague Isis ni le souffle enveloppant la terre,Zeus orageux, et ceux que l'adorable HellasPleure, ces dieux enfants, ces déesses, hélasTous nés dans le Lotus que l'Inde vit éclore.Car Hermès a conquis les Vaches de l'AuroreEt l'écume, ô Laçkmi, de l'Océan lactéMouille encore les seins neigeux d'AphroditéNi toi-même .qui fus doux comme la tendresseDes femmes, et, voyant l'homme errer en détresseDe Baal Ammonite au Sabaoth hébreu,

Pleuras, Emmanuel; de ne pas être DieuNi tous les immortels, Dévas, Démons, Génies,Que tubénis ou crains, que tu crois ou renies,Esprit humain; chercheur de l'éternelle loi,-N'ont pu combler les vœux éperdus de la foi,Et la splendeur du vide-emplit les cieux terribles!

Pourtant, fausses lueurs, dans le lointain des bibles,Hôtes des bleus Çwargas et des'Ciels radieux,

Vous qui n'existez pas, anciens ou nouveaux dieuxPour'qui l'aube'se lève ou que te couchant dore,Forces! Gloires! Beautés! Rêves! je vous adore.

Est-ce que cette forme n'est pas large decriblures d'étoiles'?- Est-ce que ce.vers dontl'enfantement s'accomplitd'une façon si mys-térieuse, n'imprègne pas dans le cerveau sagriffe de Sphinx ? Tantôt il monte taillé àpic;, tantôt il- se précipite dans une lignedescendantesanscontourner aucune spirale,avec une dure majesté, et sa chute fait pen-ser à l'éboutement d'un cube de roc sur uneplaine. Jamais plus étrange esthétique n'a.contenu, après -Hugo etLeconte de Lisle,une mathématique plus écrasante.- Ce versqui roule dans des orbites colossaux, tracesur son passage, ainsi qu'un météore, d'im-menses ellipses à son approche les nuéesse crispent de tendresse ou d'admiration,

comme au contact d'un monstre énormequ'on'verrait parcourir le ciel avec un aird'innocence et de volupté..

IV.

L'école des derniers coloristes est arrivéeavec deux ou trois de ses représentants, à

une puissance de concentration extraordi-naire. Elle pèse 'et soupèse la force des idéesen les soumettant à l'épreuve de la contra-diction, au feu des paradoxes. Elle essaie sasonorité, sa valeur intrinsèque en la faisantrésonner à tous les coins, comme onfaitd'unebarre de métal. Gautier, Feydeau, Flaubert,ont reconnu qu'il n'y avait rien d'inexprimableen elle; par conséquent, le romantisme sepréoccupe tout autant que le réalisme en lui-même de l'empreinte rigoureuse des tableaux.On pourrait aussi l'appeler l'école des sens,tant son interprétationa l'exul tance de lavie.Lavie, quel que soit son aspect, l'emporte surl'art noblement décoratif. Le style égyptien,'style qui rentre dans le domaine de l'artsomptuaire a-t-il pu supporter l'éblouissantelumière de l'art grec? De même le roman-

tisme, qui acclamait cependant Rachel, afait reculer le classique; et aujourd'hui, lavigueur sanguine, la richesse, le déborde-ment tout physique de la secte des irréguliersdont l'enveloppe crève de santé, .est en voied'atteindre son expression la plus intéres-sante.

Un reproche assez vif été fait aux fana-tiques de l'école de 1830. On croirait, leurobjectait-on, que vous vous complaisez danscertaines descriptions, tant vous prolongezl'analyse, tant vous affectez de caresser lalasciveté de quelques détails, au lieu d'en.atténuer le cachet trop violent par une phrasecorrective.– Atténuer? affaiblir? répliquentles disciples de Balzac et de Gautier. Certesoui nous nous complaisons à tout le plasticis-me qui nous a été reproché. Certes oui, nousnous identifions à ces détails. En touteschoses d'esthéstique ou d'espritil faut se com-plaire à ce qu'on touche, sous peine de ne

rien faire de bon. Pour bien décrire, il fautsentir serpenter en soi la ligne qu'on va tracer;il faut qu'elle oscille dans notre cerveau etqu'elle nous enlace les reins. La passion ason anatomie comme le. corps; si l'on' nes'attache pas à en faire sentir les muscles, à

les grossir selon les lois d'optique néces-saires'pour qu'ils paraissentposséder devantle lecteur leurs proportions naturelles, onsera faux et froid. Pourquoi. arrive t-il à nosexpositions que les peintres voués exclusi-vement au style, sont battus souvent à platecouture par les peintres du sentiment ? C'estqu'à la rigueur, on peut se dispenser dustyle, mais qu'on ne, parlera jamais auxsens.et à l'âme sans avoir été ému préalable-ment, sans avoir éprouvé la véhémence et lachaleurde ce qu'on interprétait.Vivre,pénser,parler son œuvre, la répandre et la déplacer,la mettre en pièces où l'édifier en proie auxtranses mortelles de l'enfantement, voilà ceque les vrais artistes ont toujours éprouvéla sentir remuer entre ses doigts toute chaudedes flancs où elle a vécu, et subitement arra-chée au cordon ombilical,laregarders'ébattre,se nuancer en ses divers atours dans ses tré-moussements radieux est impossible, si l'onne s'est complu dans le modelage des argilesqui la constituent, si on ne les a pétriesdrues et serrées avec des pressions très-amoureuses. Même dans l'interprétation deschoses les plus répugnantes, l'artiste doits'agripper avec ses ongles et ses dents après

la matière il doit la cueillir aussi bien surles lèvres d'une fiancée, que dans ces cellulesimmondes où la viande qu'on appelle l'homme

se pourrit toutes vivante par l'asphyxie, lesémanations horribles. Les mots, les phrasesont leur dentelure, leur feuillée; les uns sedécoupent en veines tendres, rosées, bleues,:en .pétales détachées comme les rosaces

_:d'église; les,autres imitent l'avachissement,-telles que des gargouilles qui laissent ruisse-ler l'eau croupissante. La langue est. un édi-

fice dont l'échelle de proportion a mesuré les,.diverses parties, où tout doit entrer,, depuis'-les latrines jusqu'auxplafonds en polygones

disposés pour l'envolée des paroles.Que l'école dite réaliste, dont. nous ne

voulons pas méconnaître la puissance, nes'illusionne donc pas; ce qu'elle est, c'est

,au romantisme. qu'elle ledoit. Le rougeoyantde son caractèreluivientde lui, qui ,1e premier~

Js'est écrié haine au gris. Les membres del'école réaliste affectent de ne pas savoir ceque c'est que l'imagination, l'invention,l'agencement. II est bien certain, qu'à leurpoint de vue, les procédés de, construction

.doivent être regardés comme du poncif;il est bien certain qu'ils jetteront aux der-

niers romantiques, l'insulte de réaction-naires mais, nous le répétons, la radiance laplus hautaine de leur talent leur a été donnéepar le romantisme. Fatalement ils sont tesfils de..celui qui est, quoique dans leur ébran-lement ils n'aient ni l'envergure, ni l'ironiedémoniaque du sublima révolté de 1830.

Cette critique est applicable à toute l'écoleréaliste, et l'on pourrait prouver victorieuse-ment,. qu'en ses récents romans, aucun in-térêt ne relie entre eux les personnages.Sous prétexted'ouvrir une voie plus originale,plus vaste, les chefs de file se dispen-sent des lois les plus nécessaires à la com-position. Le roman, te qu'ils le comprennent,est une collectivité de descriptions, de pein-tures, de tableaux groupéspar un faible lien;mais ouvrez-le au hasard, vous ne sentirezpas le besoin de vous informer des évène-ments.qui ont précédé ce que vous lisez. Leslois essentielles,artificielles si l'on veut, sontles lois absoluesdugenre, et il ne nous paraîtguère. possible que la localité du morccaHtienne lieu en littérature, de l'obligation des'astreindre aux règles de la construction. H

y a en toute oeuvre d'esthétique des scènesde troisième et ,de quatrièmeplan à étudier, à

faire naître; tous les personnages n'y possè-dent pas la même dimension; ne s'y main-tiennent pas sur la même ligne; autrementl'on n'y rencontrerait ni perspective, ni pro-portion. Donc, un livre a des fonds, des pro-longements, des lointains quijse rallient pardes accords savants à l'action principaleles élaguer est plus commode, mais alors,appelez cela une série d'analyses ou dethèses physiologiques, et non un roman. Onpeut mettre de la lenteur dans l'action, man-quer d'invention, comme Balzac, mais n'en

avoir pas moins un personnage dominant,pivotai, autour, duquel se groupent toutesles évolutions des faits. Nous ne nous rappe-lons pas le nom de celui qui émettait cettepensée, qu'en art la foi ne suffisait pas, qu'ilfallait le don; qu'en littérature, comme enthéologie, les œuvres n'étaient rien sans lagrâce. Le Nàbab en est l'exemple. Riende plus exact. Le tort général est de croirequ'aujourd'hui, en se plaçant en face d'unoudeplusieurs objets, et.cnlesdécrivantavec

minutie, on atteindra une poussée de sève etde vie dans le rendu qui suffira à l'enfante-

ment. Non, la vérité, si palpitante qu'ellesoit, exige autre chose, à moins que vous ne

rêviez qu'à !a réalisation d'un album de pho-tographie, où vous mettrez des personnagesles uns à côté des autres, où vous les colle-rez dans un format identique aussi ressem-blants que possible. Non, l'effet mimé n'estpas l'unique condition; l'auteur, en pleinepossession- du plan heurté, brutal, trouvantle secret de rassembler en deux cent-cin-quante pages l'odyssée d'une existence oud'un caractère avec ses chutes et ses gran-deurs, l'auteur qui coordonne des épisodesdans l'absolutismed'unparti-prisjuré, triom-phera quand .même, dans sa bizarrerie con-certée, voulue, avant le livre qui chemine tran-quillement, qui s'écoule sans ce même parti-pris, jusqu'à la dernière page. Seulement lesnaturalistes ne s'aviseront d'y songer que lejour où, frappant à la porte de l'institut,l'Académie leur répondra à tort sansdoute repassez dans vingt ans.

En ce qui concerne l'exploitationde la pen-sée humaine, tout ce qu'elle recélait détendre,de délicat, de nuancé, de postulations im-prévues, a été pris par l'analyste. Il faudraitprocéder, comme les biographes racontentde Baudelaire qu'il procédait <f II avisa,non pas en deçà, mais au delà du roman-

tisme, une terre inexplorée, une sorte de Kamt-chatka.. hérissé et farouche,, et c'est à tapointela plusextrême qu'il sebâtit un kiosque,

ou plutôt une yourte..d'une architecturebizarre. Nous qui aimons dans le style cequ'il ade faisandé, no.us.ne.,yoyons pas pour-quoi, l'on.ne chercherait.pas encore au delàdes. frontières de l'extrême, le suraigu del'invention, qui marche sur la tête lorsqu'ellenepeuttenir surles pieds, et contraintl'esprit,

~.le verbe, l'hallucination de prendre les moulesles plus factices, plutôt que de rester dans. la,permission des lieux communs.Ce n'est doncpoint sousnotre ineffableparessed'imagina'ionque se développera le roman actuel; l'in-vention peut'et doit être somméede toutdire,comme l'oreille de tout entendre. La matu-rité des langues et des idées modernes avecleur pourriture verte, géographiant la formetcomme la: matière arrivée à sa corruption estgéographiée de veines violâtres, doit recher-cher toutes les interprétations, toutes les'perversités de situation et de pensée. C'estaujourd'hui le seul moyen d'échapper à cettelittérature, à ces livres, faciles. qui menacentde nous submerger. Inventer, paroxiser, tou-jours 'construire dans.- le rouge, dans le

cuivre, dans le monstrueux et l'aberrantpourvu que la charpente romanesque ysoit, pourvu que l'analyse n'y tienne pastoute la place de la composition, .voilà lemoyen. A vous de vous dévoiler, replisangoisseux de l'âme'qui cachez tant de tor-tures, de vous dénouer dans l'horrible, dansle tendre, dans tout ce que vous recélez de

.ténébreux et de fantastiquementdoux ou ter-rible Qu'aucun écrivain n'espère plus desclichés aisés de l'art dans lesquels on veutle forcer à créer pour. être accepté..Bau-

delaire, le saint Jean-de ce Pathmos, a vu.naître sur l'école. actuelle les « soleils obli-ques des civilisations qui vieillissent, »Assez deverdure, de fleurs suaves; d'oiseauxchanteurscherchez, cherchez ailleurs,mêmedans les excitations de la névrose.autre~choseque des joies naïves et des décalques de ban-lieues, si vous souhaitez tenir entre vos doigtscommeun nœudde reptile, l'homme moderne,l'interprétertel que le reprennent sans cesseles vrais, les puissants romantiques, les réa-listes convaincus, sous un certain effet de

« surprise, d'étonnement et de rareté! »

Nous avons déjà dit un million de fois quel'oeuvre d'art ne pouvait représenter d'autre

LES ROMANTIQUES D'ARRI&RE-GAIiDE

but qu'elle même. Il n'est nullement obliga-toire qu'un écrivain croie au bien ou au malpour écrire, ce serait la plus suprême dessottises; Qu'est-ce que le mal, s'il vous.plaît ?

Pour nous, le vice ne nous répugnerait pasen ce qu'il est le vice, mais parce qu'il dé-grade et qu'il est une faute de goût. « Je necrois pas, disait un critique, qu'il soitscandalisarit de considérer toute infraction àla morale, au beau moral, comme une espècede faute contre le rhythme et la prosodie uni-'versels. » Ce n'est point par intérêt pourl'homme qui ne vaut pas qu'on dépense une-seconde à penser à lui; que nous regardonsle mal comme une anomalie. Ce n'est pointnon plus par amour pour un semblable donton se soucie fort peu, avec.raison, d'autantmieux, .qu'en général,' ce semblable vautmoins que nous le mal est une dissonance,une note fausse qui grince désagréablementà l'oreille d'un euphémiste mais s'il ne fai-sait que nous débarrasser de notre prochain,de notre 'persécuteur hideux, croyez que cene serait pas le mal il prendrait tout à coupla place du bien. Le, mal ne doit être ainsiqualifié, selon nous, qu'en ce qu'il détruit.la marche et. l'équilibre des choses, en. ce

qu'il est une difformité; il ne détruirait riendu tout s'il ne s'attaquait qu'à la sûreté d'au-trui individuellement, s'il parvenait à déli-vrer l'homme de l'homme; car, presquetoujours, il y aurait. un méchant enlevé d'àcôté d'un juste, et alors, nous le répétons,ce ne serait plus un mal, mais un bienfait.En un mot, le mal blesse, on l'a dit déjà,certains esprits poétiques mais ce n'estpoint par amour de l'humaine nature qu'onle doit repousser.

L'humanité n'est jamais une chose à regar-der avec des attendrissements bêtes, et nousserions bien faché qu'on nous prît pour unVincent de Paul littéraire. Au poil et..à l'en-colure de la société moderne, il est facile deconcevoir qu'on ne choisit le bien, qu'en cequ'il répond à des considérations d'éléganceet d'aristocratie dont les raffinés préfèrentl'usage, à celui de l'auge où barbottent lesgroins malades de l'espèce. Voilà enquoi consiste notre appréciation du bien.

V.

Le naturalisme reste aujourd'hui une va-riété du romantisme; c'est, après tout, Gau-tier qui l'a fait. Le naturalisme relève direc-

tément de cette école dont il a l'air de bafouerles éléments de composition ou d'invention.Zola relève des Concourt; H leur a pris laformulation, non la facturé; le vocable, nonl'envolée de la phrase. En est-il pour celamoins original, moins truculent ? personnene le dira. Et c'est ainsi qu'en ouvrant, parexemple,Ma~e~e <Sa7omo72, vous retrouverez

_Ies veines secrètes où l'auteur de l'j4ssom-'THO~ a dû se nourrir.

C'estàl'école de 1830quel'impressionisméa emprunté sa' fameuse tache. Corot, dansses heures les plus nuageuses, a fait ausside l'impressionnalisme. Le carré, le droit, lesolide, le résistant, l'empâté du réalisme, ontleur génitif à la période du Camp des Tar-'tares; de même que le AoHs~yofut unevariétédes Jeunes7~'a~ce, l'impressionnismeest unevariété du romantisme.Seulementles roman-tiques passeront à l'état de classique par la.durée, en ce sens qu'ils ont une impecca-'bilité de beauté faite pour plonger dans lastupeur. Les intransigeants ont aujourd'huile mouvement qui surchauiTe ils paraissentchanger d'harmonie comme on change depalette, mais c'est le temps qui se chargerad'appliquer ses tons roux sur leurs œuvres.'

C'est lui seul qui leur donnera le ressort, leslointains, l'enfonçure, le culottage, l'enfuméd'une toile ancienne car, de même qu'untableau, il faut qu'une création littéraire aitson reculèment pour paraître quelque chose.

Parmi les œuvres des derniers natu-ristes, il est un sonnet bien connu du mondelettré et qu'il n'est besoin que de nommerpour que chacun le récite mentalement, depuisVictor Hugo, jusqu'au dernier des bohèmes.C'est le fameux sonnet'intitulé Parce que.Mais parce que nous n'ignorons pas qu'iln'est permis qu'au latin de braver même desmagistrats, quoiqu'on dit; parce que ilsuffirait que ce fameux sonnet fût édictésous nos doigts pour avoir l'honneur denous escorter jusqu'à la plus bénigne, la plusrévérencieuse, la plus courtoise, la mieuxhabitée, sous le rapport de l'éducation, detoutes les chambres, la XI"; parce yue là, où

un autre écrivain serait toléré à juste titreen citant le sonnet, nous ne le serions pas,nous, en vertu de ce principe dont les ma-gistrats ne se départissent jamais l'égalitédevant la loi; parce que ces raisons sontconnues, nous nous abstenons de citer lesvers réalistes de M. Clément Privé.

Mais en-1830, les adversaires des Roman-tiques avaient certaines qualités de lutteurs,que'les ennemis des nouveaux, des jeunes,

ne possèdent plus aujourd'hui; cette qualitéde nouveaux fait barrer la rivière, et c'est àqui leur criera on ne passe pas. On nepasse pas, leur dit-on, car_ si nous vouslaissions passer, vous pourriez devenir quel-qu'un et cela nous gênerait; on ne passé pas,car se permettre d'être vigoureux, indigné oucoloriste, alors que nous existons, nous lesaînés, c'est nous.offenser grandement. Dans

un siècle où nous écrivons, s'aviser d'écrireest une outrecuidance risible.

Que de. fois, en effet, ne l'avons, nous pasdeviné, qu'il y avait un nom de trop- à voscôtés, celui qu'o'n prononçait– une place detrop, celle du nouvel arrivé une œuvreequ'on enfouirait, celle qu'on pouvait devineren préparation une porte d'éditeur qui nes'ouvrirait jamais pour une plume jeune,celle'que vous aviez commencé à franchir

un journal qui ne vibrerait pas une fois,celui où vous occupiez une place quelconque

des maisons qui se fermeraient pour tou-jours, celles où vous aviez passé les premiers.

« Mesdames, agréez que je vous présentece gentilhomme-ci. Sur ma parole,' il estdigne d'être connu de vous. o

1C'est ainsi que la critique, empruntant lesparoles du marquis de Mascarille, parleà l'égard de Barbey d'Aurevilly. C'est ainsiqu'elle le c~ë~e/'m~e, si l'on peut s'exprimerde la sorte. H y a une légende sur M. Barbeyd'Aurevilly: c'est celle qui consiste à enfaire un bravache, un mousquetaire, un por-teur de cape et d'épée. L'armure n'est pasen carton, comme on l'a dit; la dague n'est

pas restée enferrée. D'ailleurs, il faut, croyez-le, être homme de courage pour se mainteniradversaire déclaré du bourgeoisisme jusquedans le style de ses vêtements.Nous en con-naissons plus d'un, ayant la sincère horreurdu philistinage, qui n'oserait pourtant affron-ter les lunettes bleues de M. Prudhomme,en s'habillant comme s'habille l'auteur d'une*e

Vieille m~resse ce qui équivaut à mettrelé. poing sous la gorge du manant, chaquefois qu'on sort. Oui, il faut une vraie bra-voure'pour rester un descendant du Cid,

VI.

en l'an de grâce 18'78 pour être épithétisé partout un public, comme il l'est.

Certes, l'exagérationest indéniable dans cecaractère c'èst une originalité affectée maisne vous y trompez pas, il'y a en cette origi-nalité quelque chose du sentiment qui faisaitle jargon des précieuses, dont les mobiles,après tout, ne prenaientpoint leur source dansun vulgaire intérêt. Or, cet indépendant, cecapitan, ce matamore, veut être tel qu'il est:

Je le veux afin qu'on sacheQue je n'ai que ma moustache,Ma guitare et puis mon'cœur.

Non, il ne pliera pas, il ne s'abaissera point,il portera haut la plume, aussi haut que lebout de sa botte à chaudron, s'il lui fallaitla donner au derrière d'un bourgeois. Il semoquera jusqu'au bout de cette société,grosse rubiconde cuisinière, qui a la rage denous peigner avec un peigne ébréché et delaisser tomber de nos cheveux dans les saucesqu'elle tourne, et qui, un jour, a voulu met-tre ses doigts entre les feuillets des Diabo-liques. Tant pis pour vous,. cuistres! si lebruit vous empêche de dormir, vous irezplus loin; ce fendant vous rossera, plats

utilitaires-moraliens, et vous êtes faits pourêtre rossés. Il vous fera porter les cornes duridicule, et, ni bonnet, ni tiare, n'en aplatirontles bosses. Oh vous savez bien que c'est devous, de vous qu'-on parle, en évitant de

nommer vos attributs professionnels.Le romancier qui a écrit l'Amour irnpos-

sible est doué du mot juste'; sa phrase sonnequelquefois comme une note de cuivre; enlui empruntant ses expressions, elle restea animalement » puissante. C'est qu'il se sertaussi bien du ventre que des pieds pour setraîner ou marcher au but qu'il se propose.Dans l'Ensorcelée il y a certaines descrip-tions de la presqu'île du Cotentin d'unemorne splendeur, et des types d'une beautéde damnation étonnante. L'écrivain prendtantôt son sujet en long ou en biais, parséries de courbes irrégulières, ou pro-mène la période en l'allongeant, soit que lesmots se heurtent ou s'enjambent. Son stylen'est pas sans offrir à l'oreille ces frôlementsailés d'une syllabisation particulière; il a del'harmonie, du nombre, un équilibre naturel;l'auteur s'emballe aussi bien qu'un grotesquebas-bleu de 1848. Mais ne s'emballe pasqui le désire Ne perd pas pied qui veut pour

se retrouver à là surface du sol- quand on lesouhaite! Il nous semble entendre cette voixstentorisée de Barbey d'Aurevilly Holàmonsieurl'infime monsieur l'infiniment petitde la critique qui vous permettez d'admirerGeorges Sand, faites-moi donc l'honneur deme. mépriser, moi Ce moi, est gros, parexemple; on ferait du chemin avant de re-trouver un moi pareil. N'importe, ce~'e, ouce moi a, de l'allure tout le monde ne peutpas dire moi, et lui, il le peut.

Affecter la Gargantuaillerie littéraire quise pique de tout avaler, et qui analyse avecun faux bel esprit quintessencié les détritusde ses digestions, c'est là unedes monomaniesfréquentes de Barbey. Tandis que Veuillot,l'inexpressible assis dans l'ordure, se frappela poitrine à coups de poing, en criant mal-heur malheur mais sans avoir la bonnefortune de tomber raide-mort le troisièmejour, ainsi que je -ne sais quel prophète,Barbey d'Aurevilly, lui, nous apparaît unpeu comme un croisé qui s'envole pour laguerre sainte, sur l'air de la Reine ~or<e?K~Au fond, nous croyons qu'il se rend très biencompte, de l'inutilité de ses charges à fondde train; mais alors pourquoi en ouvrant

sonécritoire, après s'être tortillé le poilde la moustache comme un sergent, a-t-iltoujours l'air de partir à la délivrance dutombeau du Christ? Peut-être même qu'il

a demandé,, avant de s'asseoir à sa table "detravail, la bénédiction de son père, de samère, et de ses cinq tantes, tant il met desolennité à nous avertir de l'importance de

sa mission. Ce n'est point une duperie deschoses, ni des hommes, et pourtant il a desfureurs comme quelqu'un qui croit que c'estarrivé.

Mais chez lui le heurt est si violént, qu'onse surprend à être acteur dans la mêlée ondonne des coups de poing avec l'auteur; le.bruit, du fer nous excite; on troue par ci, ontrébuche par là l'on se fend et l'on se ra-masse, mais jamais on ne s'accule, et laboxe y donne la sensation délicieuse d'un jetde vie physique qui circulerait tout à coupen effluves abondantes sous des muscleséprouvés. On a le sang plus chaud, la poi-trine plus effacée, le jarret plus d'aplomb, lecou plus dégagé.–Chose étrange, on diraitqu'on retrouve en lui le même fait que dans'son antipode, Zola: de bonnes grosses idéescirculant sous un beau gros front, avec de

grosses tentations de retroussersa manchettejusqu'au coude et de joûter comme un Au-vergnat.

VII.

Nous, enrolé parmi les misérables decette génération; nous, que la magistratureregarde en roulant son œil jaune, et quisommes destiné à ne rien édifier, il nousa paru très bon, très doux de nous retournervers cette pléïade du romantisme. Se sen-tir dominé par quelque chose de plus fortque soi, qui permet de dire sous les ver-roux à ses argousins 11 y a un peu denous-même qui s'envole à tire-d'ailes, à tra-vers les barreaux, et sur lequel vous n'avezaucune prise; nous ignorons ce que c'est,mais ce quelque chose de notre nature vouséchappe à perpétuité vous ne l'aurez pasmalgré vos efforts. Est-ce que ce n'estdéjà point user de représailles envers eux?

Nos doyens, nos magistrats protecteurs,ajouterons-nous en les regardant en face, cesont eux les poètes, les sculpteurs divins, lescontemporains de la Notre-Dame, et nous nereconnaissonsqu'eux seuls. Et quand ceux-là

sonnerontleur tocsin contre l'ordre de choses,vous n'aurez, messieurs les demandeurs, ja-mais d'autre mission et d'autre figure quecelle de pompier Est-ce que cette con-viction ne nous donne pas chaque jour unerevanche inénarrable ? Notre culte de l'artvous suffoque ? Tant mieux, nous le conser-verons. Notre amour de la poésie nousconservelibre, même en comparaissant dansvos prétoires? Tant mieux, nous aimerons.Et dans cette prison, dans ce cachot qui seprépare pour l'artiste en démence, il y aurapeut-être une branche grimpante qui se glis-sera malgré vous au grillage; un jet defeuilles où s'enferme une abeille un bour-donnement et un parfum. Et encore nousnous sentirons libre, libre sous la penséegrandement flottante, qu'auront réveillée en

nous les poëtes, les sculpteurs divins, lescontemporains de la ~o<re-Dame/

Reprenons, en manière de conclusion, ceque nous avons dit dans notre préface

Il y a quarante huit ans que la révolutionromantique est accomplie. Aujourd'hui nousen voyons commencer une autre celle desnaturistes ou des naturalistes.

Mais la cohue des infànies qui constitue la

société actuelle, laissera-t-elle'cette révolu-tion littéraire s'accomplir ? C'est ce que l'onné peut prévoir, depuis que les gouverne-.ments modernes, ont entrepris de faire une

descente dans tous les encriers. Autrefoison offrait aux gens de lettres des places devalets de chambre; aujourd'hui que chaqueparticulier, ou chaque, représentant d'un'pouvoir est plus ou moins le subalterne d'unautre pouvoir, le nom de valet n'a rien quidéshonore, la livrée est bien portée on n'of-fusquerait aucun homme en lui offrant uneposition de laquais. Il y a déjà quelquetemps que ce titre de laquais a. pris son-rang,son étiquette, son pouvoir dans l'état social,qu'il en constitue l'une des conditions lesplus importantes, vu le rôle que la domesti-cité est appelée à jouer, en-matière d'hon-neur, dans les, diverses classes parisiennes.

Donc, autrefois, disons-nous, on offraitcette place aux gens de lettres. Elle est,-nous l'avons dit, devenue lucrative,et si ex-pressément goûtée~ puisqu'elle se recruteparmi les plus hautes sommités, que ce n'estplus une injure envers personne de la pro-poser. Au folliculaire qui la refuseraitcomme offensante, le grand seigneur pour-

rait répondre avec un imperceptible mouve-mentd'épaule:

Mais, mon cher, est-ce que nous ces-serons d'être égaux vous et moi ? Est-ce quenous ne sommes pas tous, plus ou moins,

gens en place, des valets? Soyez donc devotre temps, et prenez comme moi' l'habità boutons de métal, on s'y. fait.

Ce n'est plus une infamie à jeter surquelqu'un à qui on a accordé le nom decritique ou de poëte, de lui offrir cette fonc-tion, qui conviendrait rationnellement, selon

nous; aux bas-bleus modernes, les pluspuantes odeurs de femelle qu'on ait jamais-respirées, et parmi lesquels on recruteraitd'excellents mouchards.

Telle est la crise actuelle.De plus, on institue également un minis-

tère que nous désigneronsun instant le minis-tère des « circonlocutions », et qui a pour mis-sion de filerlesécritsdeseptouhuitpubHcistesen évidence. Enveloppés comme dans les ré-

seaux d'acierd'une cottede maille, chaque fois

.que ces pionniersde la plume rêvent de décrirece que l'on appelle les ejrcep~'o~s de la viehumaine, les régions inexplorées de l'art sen-sualiste, les souffrances de la portion dés

déshérités, et leurs efforts pour réagir; ildevient de plus en plus périlleux à ces septou huit plumitifs de se montrer franchementnaturalistes, c'est-à-dire irréguliers ils sontles grains de mil destinés à gaver les nom-breux estomacs qui ne dînent et ne sou-pént que de publicistes, car il faut faire duzèle dans le fonctionnarisme sans zèlepoint d'avancement. Là page commencée chezl'écrivain le matin; peut s'achever derrière lagrille de Mazas où de Clairvaux; tout est pos-sible.il n'y a pas d'article de loi sur cepoint.

Voilà où nous en sommes, nous autres, lesintransigeants.Oucommenceledroit?Où s'ar-.rêtet-il? La législation, cette pure déesse aunez à becdecorbin,auxailes de chauve-souris,planant au faîte de toutes les maisons deParis, afin d'entendre par les tuyaux descheminées ce qui s'y passe, est muette à cesujet. Un soir d'ennui, pareille à un hibouperché sur le buste de Pallas, elle dit enfaisant clignoter ses vilains petits yeuxUn tel a besoin d'être raccourci et elle leraccourcit en effet. Cela n'est pas plus diffi-cile que cela.

A l'homme politique, seul, appartient detout dire ses déchaînements lui sont par-

donnés, sous le prétexte qu'en commandantle crime ou les voies de fait, il n'obéissaitqu'à ses passions et que ses passions sontrespectables parce qu'elles émergent de làpolitique. Mais le critiquepurement littéraire,qui se permet d'inscrire le procès d'ins-titutions cléricales ou de promener ses sen-timents à lui dans le dorriainé de l'imagi-nation~ de .faire revivre des personnageshistoriques,ou de donner un corps véhément,accusé à ses fictions, celui-là, il paraît,n'ayant obéi à aucune passion, n'ayant pousséà aucune représailles, outrage ce qu'il y ade plus sacré dans l'Etat nous ne savonspas quoi par exemple mais enfin il ou-trage. Son délit s'appellera atteinte à la mo-rale. Celui de son confrère, il nous plaîtd'insister deux fois là-dessus, qu'il ait ré-clamé ou non la tête d'un adversaire, est toutsimplement placé sur le compte d'élans tropchaleureux, de convictions trop ardentes quil'ont contraint à la violence, voire même à

autre chose. Qu'est-ce que cela, un meurtre?Quand il est politique, le meurtre se conçoit

mais un délit contre les mœurs, un délit quiconsiste à s'être occupé des xv!" et xvu°siècles, ne mérite aucun pardon. Vive le

meurtre qu'on amnistie Au bloc, au carcand'infamie, à Poissy, à Clairvaux les cher-cheurs, les réalistes! Point de quartier poureux..Sang et mort mais vous avez raison en-

vers nos aînés, les polémistes -politiquesmais loin de nous l'idée d'y contredire Ce-pendant, s'il ont leurs passions, est-ce quenous n'avons pas les pareilles? Est-ce que

l'homme n'est point partout semblable àl'homme ? Est-ce que notre tempéramentn'est point tout aussi capable que le leur dedépasser le but que vous nous interdisez defranchir ? Est-ce que nous avons un instru-ment différent qu'eux dans les mains est-ce

que. ce n'est pas la plume, toujours la plume,rien que la plume qui-se meut entre leursdoigts comme entre les nôtres ? Est-ce quenous vous avons offensé avec autre chose quede l'encre d'imprimerie ? Regardez, pesez,et dites si votre justice n'a pas deux poidset deux mesures!

Mais nous entendons une voix qui nous crieNon, non, misérable volatile de poëte

n'espèrent en bas, ni en haut, ton heure, c'estl'heure douloureuse! Va plus Ioin,touj ours plusloin, éternel banni féconde de tes sueurs'et

continue d'étayer les branchesde l'arbre donttu ne verras pas le faîte qu'importe où s'ar-rêtera ton martyre T'imagines-tu, par ha-sard, que les hommes entendront jamaisquel-que chose à ton amour insatiable du beau ?T'imagines-tu que, dans leur toute puissance,ta folie relative te vaille, à leur point de vue,autre chose qu'un cabanon? Va plus loin,toujours plus loin; jusqu'au jour où ils met-tront pour la dernière fois la cognée dans tesvieux flancs; où, de tes os dispersés, naîtront'peut-être les branches fleuries qui éveillentle sourire des heureux Va jusqu'au jour oùla mort délivre; où ton espérance trompéese balançant sur le cyprès des cimetières,comme le corbeau funèbre d'Edgard Poë,répondra à tes demandes, à tes souhaits de

justice radieuse « Jamais! jamais plus! »

TABLE

Romantiques et intransigeants. 1

Eugène Delacroix. 19

VictorHugo. 25AtoxandroDumas. 30ThéophiteGautier. 36MadameDorvat. 41Fr~dÈrickLemaitre. 46

Alfred deMusset. 50

GeorgeSand. ?Arsène Houssaye. 60

JulesJanm. 68Balzac. 74

Gérard de Nerval. ?Lamartine. 97

AlphonseKarr. 10G

Théodorcde Banville. 113

23.

Les peintres de la couleur et du sentiment

Ary Scheffer. Deveria. Boulanger.Decamps. Marilhat. Diaz. ThéodoreRousseau. Jutes Dupré. Corot. 123

Alfred de Vigny. Emile Deschamps. Au-

guste Vacquerie. Joseph Delorme. 153

Le Camp des Tartares. Petrus Bore). 175

La Bohême romantique. Louis Bertrand.Philotée O'Neddy. Mallefille. EtienneEggis. 199

Les Romantiques d'arrière-garde. AlphonseEsquiros. Roger de Beauvoir. CharlesCoran. Henri Vermot. Charles Baude-laire.-Napol le Pyrénéen.–CharlesDidier.-Catulle Mendès. Barbey d'Aurevilly.Clément Privé 32-4

ŒUVRES

DE

MARC DE MONTIFAUD

LES COURTISANES DE L'ANTIQUITÉ

MARIE-MAGDELEINE

INTRODUCTION l'Orient.PREMIÈRE PARTIE Les Courtisanes de l'anti-

quité. La Grèce. Hélène. –Sappho,–Aspasie. Thaïs. Clycère. Lais.La Vénus de Praxitèle Les Précieuses dela Voie sacrée. Les Maîtresses d'Horace.

Lesbie, Délie, Corinne. Cléopatre.DEUXfÈME PARTIE Marie-Magdeleine, la Pé-

cheresse de la ville. Portraits de Marie-Magdeleine. Caractère historique de Ma-rie-Magdeleine. l'Art Judaïque. LaCourtisane de Magdala. Chez le Phari-sien. Jésus et Magdeleine. Derniersjours passés aBéthanie.–Le lendemain duSabbat. Le Désert.Un voLin-8, 3° édition, prix: 5 fr.-Un vol.

in-i8, 5° édition, prix 3 fr. 50.

HISTOIRE D'HÉLOISE ET D'ABAILARD

INTRODUCTION. Comment Abailard se fitaimer. La rue du Chantre. L'amoursans le mariage.–La vengeance d'un hom-me d'église. Le monastère d'Argenteuil.

Eloys au Paraclet. Abailard et l'abbé

de Rancé. La vallée de l'Ardusson.Les impénitents de l'amour. Lettred'Abailard à un ami. Lettres d'Eloys àAbailard. Lettre d'Abailard à Eloys.1 vol. in-18, 2e édition. Prix 3 fr. 50.

LES VESTALES DE L'ÉGLISEEtudes sur les mœurs, coutumes, licencesdes couvents du Moyen âge et de la Renais-sance.

PREMIÈRE PARTIE: La Légende des ViergesFol-les. Les PremièresVestales. Les Bien-Aimées. Hroswitha. Les Religieusesde Fonte-Evrault et Robert d'Arbrissel.Les Chanoinesses et lesBernardines. LesParcs-aux-Cerfs de l'Eglise. Les Joyeuxdevis des Vestales. La Messaline du Va-tican. Sainte Thérèse. L'Incube. LesLivres d'heures et les bréviaires. Fin pace.

'DEUXIÈME PARTIE L'Abbé de Choisy (comtes-se des Barres) Les Faiblesses de M. deMeaux. Les Aumôniers de couvent, l'ab-besse de Saint-Etienne.-L'Abbesse deFon-tevrault, Gabrielle de Rochechouart. LaCadière. M~c Guyon. L'Abbesse deChelles.Première édition, format in-8 (Bruxelles),prix, 5 fr.Deuxième édition format in-18 jésus (Bru-xelles), prix 6 fr.Il a été fait un tirage de la deuxième édition

à 100 exemplaires numérotés sur grand papierde Hollande des fabriques de Van Gelder.d'Amsterdam. Prix, 12 fr. (Ouvrage in-terdit en France.)

RACINE ET LA VOISINDans cet ouvrage, l'auteur no craint pas

d'affirmer d'après les révélationsde la Voisin,la célèbre empoisonneuse, et une lettre deLouvois, tirée des Archivesde la. Bastille, queRacine aurait empoisonné sa maîtresse, MèlleDu Parc, la grande comédienne.

1 vol. in-18 avec portrait de La Voisin.Prix 2 fr.

Il a été fait un tirage grand papier de Hol-lande à 100 exemp. numérotés. Prix 10 fr.

LES VOYAGES FANTASTIQUESDE CYRANO DE BERGERAC

PREMIÈRE PARTIE Voyage aux Estat et Em-pire de la Lune.

DEUXIÈME.PARTIE Voyage aux Estat et Em-piredu Soleil.

Précédéd'une notice sur la vie et les ouvragesde Cyrano de Bergerac.Un fort volume in-18, tiré sur papier de

Hollande à 500 exemplaires. Prix, 12 fr.

ALOSIE, OU LES AMOURS DE M- DEM. T. P.

avec une noticeSUR PIERRE CORNEILLEBLESSEBOIS

(Ouvrage condamné et complètement épuisé)

LE LION D'ANGELIEHISTOIRE AMOUREUSE ET TRAGIQUE

PAR PIERRE CORNEILLE BLESSEBOISRéimpressionde l'éditionoriginale (Cologne,

1676), chez Simon l'Africain, avec une noticesur le style romanesque, et Réponse aux atta-ques contre Blessebois. (Bruxelles, A. Lacroixet Ce éditeurs, 1877.)

Un très-joli volume in-18 jésus, tiré surpapier de Hollande des fabriques de Van Gel-der, d'Amsterdam, à 500 exemplaires numé-rotés. Prix, 6 fr.

LES TRIOMPHES DE L'ABBAYEDES CONARDS

Sous le resveur en decimes Fagot, abbé desConards, contenant les criées et proclama-tions faites depuis son advenement jusquesà l'an présent.

Plus l'ingénieuse Lessive qu'ils ont conarde-ment monstrée aux jours gras en l'an M.D. X. L..

Plus le testament d'Ouinet de nouveau aug-menté par le commandement dudit abbe,non encore veu.

Plus la Letanie, l'Antienne et l'Oraison faiteen ladite maison abbatiale en l'an 1580.

'Réimpression de l'édition originale (Rouen1587), Chez Nicolas Dugord, libraire, demeu-rant en Erbanne~ près l'image S. Romain.

Précédé d'une notice sur la Fête des Fous auau moyen âge. Paris, 1877

Un joli volume in-18, tiré à 300 exemplairessur papier de Hollande. Prix, 6 fr.

LE ZOMBI DU GRAND PÉROUOU LA COMTESSE DE COCAGNE

PAR PIERRE CORNEILLE BLESSEBOISRéimpression de l'édition originale (15 fé-

vrier 1697), avec une notice sur les haremanoirs, ou les mœurs galantes aux colonies.(Bruxelles, A. Lacroix et C°, éditeurs, 1877.)

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SO~S PRESSEaHISTOIRE DE LA CHAMPMESLE

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