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INSTITUT FRANCAIS DE RECHERCHE SCIENTIFIQUE POUR LE DEVELOPPEMENT EN COOPERATION (ORSTOM) CONSEJO NACIONAL DE CIENCIAS V TECNICAS (CONVCET) COMMISSARIAT GENERAL DU PLAN MAI 1987 doc glysl 1/87 Jean RUFFIEH Julio TESTA Jorge WALTER GROUPE LVONNAIS DE SOCIOLOGIE INDUSTRIELLE (CNRS UA 894) GLVSI, Université Lyon n,av. P. Mendès-France, 69500 BRON / FRANCE CENTRO DE ESTUDIOS LABOAALES Corrientes 2470, 6°plso, 1046 BUENOS-AIRES / ARGENTINA

Les savoirs de l'informatisation dans les industries

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INSTITUT FRANCAIS DE RECHERCHE SCIENTIFIQUE POUR LE DEVELOPPEMENT ENCOOPERATION (ORSTOM)

CONSEJO NACIONAL DE CIENCIAS V TECNICAS (CONVCET)COMMISSARIAT GENERAL DU PLAN

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MAI 1987

doc glysl 1/87

Jean RUFFIEH

Julio TESTAJorge WALTER

GROUPE LVONNAIS DE SOCIOLOGIE INDUSTRIELLE (CNRS UA 894)GLVSI, Université Lyon n,av. P. Mendès-France, 69500 BRON / FRANCE

CENTRO DE ESTUDIOS LABOAALESCorrientes 2470, 6°plso, 1046 BUENOS-AIRES / ARGENTINA

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Le présent document fait partie d'un ensemble de quatre rapports, deux synlhès~

et deux recueils de monographies, les uns en français et les autres en castillan. Il:constituent le résultat d'une recherche conçue et dirigée par Jean RUFFIER,chercheur du CNRS détaché pour l'occasion à rORSTOM.

Dès les premiers fmancemenls obtenus, Julio TESTA et Jorge WALTER s'y sontassociés à plein temps, obtenant du CONYCET leur rénumération, d'abordcomme chercheurs contractuels puis comme chercheurs titulaires de cetorganisme.

Vensemble de ces documénts constitue le rapport scientifique d'une recherche financée par leCommissariat Général au Plan (subvention n053/1985). Son contenu n'engllge que larespol1Sllbilité de ses auteurs.

Le prfscnt rapport est microfiché au cmtre de documentation de sc:ienœs huD1llÎnes au CNRS.Toule autre reproduction, même partielle, est subordonnée li l'aœord dm auteurs.

Objet du projet

Le projet vise, à partir d'une analyse des entreprises ar~entines et uruguayennesles plus automatisées, à comprendre comment peuvent-etre palliées les difficullé~propres à ces pays dans l'utihsation des techniques de production informatisée.

Moyens

ORSTOM: expatriation d'un chercheur français et frais de terrainCNRS: salaire de ce chercheurCOMMISSARIAT AU PLAN: frais de terrain, missions, matériel informaliqueCONYCET (CNRS argentin) salaires, missions, locaux.

Nous les remercions ici. Nous remercions aussi le Secrétariat argentin à laScience el à la Technologie et l'Ambassade de France qui ont apporté des moyenspropres et surtout un support technique.

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01erchcurs Impliqués

Un cercle plus large de personnel! du Centro de Estudios Laborales deBuenos-Aires (ŒIL) ont apporté une contribution essentielle à ce travail. AdriamGALDIZ a notamment effectué une monographie. Denis GUIGO, du Centre deRecherche en Gestion de l'Ecole Polytechnique de Paris, a également effectué unemonogmphie. Pour la partie uruguayenne, nous avons obtenu la collabomtion duCIESU de Monteviaeo et notamment de Gisela ARGENT! et MarcosSUPERVIELLE. Julio Cesar NEFFA nous a ouvert les portel! d'un cellainnombre d'entreprises, et Jean BUNEL, du GLYSI, a participé à nos discussions.Tous les chercheurs cités ici et plus haut ont contribué par leurs observations ouleurs écrits à la formulation et à la confrontation de notre hypothèse et de laproblématique qui la soutend.

Les monographies ont été rédigées par ceux qui ont fait le tmvail de terrain. Lerapport fmnçais est rédigé par Jean RUFFIER, le mpport argentin n'en est pasune simple traduction dans la mesure où il vise particulièrement le public argentin11 est rédigé conjointement par Jorge WALTER et Julio TESTA.

Ce document a bénéficié de la relecture de Philippe BERNOUX et JacquelineRUFFIER. Leur labeur n'a pas été inutile. Serge NIZARD a assuré lareprogmphie.

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Un des obstacles majeurs à l'automatisation réside dans la mobilisation d'unemain d'œuvre aux compétences correspondantes aux nouveUes instaUations.. Destravaux récents, menés en France mais aussi au Mexique nous font supposer qu'ilexiste des modes de mobilisation de la main d'œuvre pennettant de faire face àdes déficits structurels des qualifications et de l'environnement technique. Nousnous proposons d'explorer les moyens mis en œuvre pour dépasser ces handicap!structurels notamment aux plans des modes de mûbihsation et de constitution de~savoirs nécessaires au fonctIonnement des unités automatisées. Ce travail va doncs'efforcer de mettre au clair quels sont les savoirs mis en œuvre et comment ils Ifsont dans les cas rencontrés d'utilisation perfonnante des technologies nouvelles.Il en dégagera un instrument de diagnostic et d'analyse de l'introduction denouveaux équipements dans une entreprise en même temps qu'un certain nombrede réflexions concernant la sociolo~ie des organisations. Travaillant sur dessituations argentines et urugayennes, 11 ne cherche pas à donner des leçons à cespays mais à en tirer des enseIgnements dont les plus spécifiques seront surtoUlmclus dans le rapport castillan. Le rapport français contiendra plutôt quelqueséléments de comprehension de ces pays qu'il nous a paru nécessaIre d'inclure.

Ce J?rojet repose sur la volonté de chercheurs français et latino-américains departiciper avec leur moyens propres à la réindustriahsation de ces deux pays quiretrouvent aujourd'hui la démocratie. L'ARGENTINE et l'URUGUAY ont étéretenus I?our la variété de leur appareil industriel qui pennet de multiplier lescomparaIsons avec la France. Le fait de disposer sur place de l'appui de plusieunchercheurs a également pesé dans ce choix. Cela dit, notre démarche s'appuie sUIdes situations limites, pour dégager des résultats qui dépassent largement lecontexte dans lequel ils seront produits.

Nous nous proposons d'observer des entreprises qui pâtissent d'unenvironnement technologique moins porteur que cefui de l'Europe occidentale. Eneffet, le tissu industriel moins dense et le système éducatif moms puissant, sinor.moins moderne, obligent soit à aller chercher au loin des compétences et des

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machines qui ne se trouvent pas sur le continent, soit à bricoler avec les moyensdu bord. Et c'est donc bien des modes de bricolage que nous allons aborder. Larareté des moyens, pensons-nous, nous pennettra de dégager l'essentiel del'accessoire. Comment, si nous avions poursuivi le même sujet en France ou auJapon, discriminer les connaissances essentielles à la conduite des instruments lesplus modernes 1 Dans ces pays, en effet, les compétences de tout ordre abondenlsinon dans l'entreprise, à tout le moins dans le milieu. Quel critère retenir pourséparer le nécessaIre du superflu lorsque les deux abondent 1

Notre option fut de chercher les causes de réussite dans des situationsc1as.c;iquement porteuses d'échec comme celles, que ces deux pays nous excusent,de l'Argentine et de l'Uruguay. Ce choix nous a valu quelques difficultés dans larecherche des premiers financements. Travaillant sur des pays en difficulté, ilnous a paru nonnal de nous tourner vers les financements d'aide aux paysdéfavonsés. Le problème est qu'en général le point de vue qui y domine est qu'ilfaut leur apporter des recettes constituées dans les pays plus favorisés, et nonchercher chez eux des éléments de savoir qui {Jourraient nous aider, nous. Lacoopération pour le développement s'enten<l dIfficilement comme une aide àdouble sens. L'appui considérable que nous a apporté l'ORSTOM ne s'est pas fai­sans débats internes. Certains considéraient que les pays choisis n'étaient pasassez défavorisés et insistaient sur la vocation tropicale de l'ORSTOM. Il nous afaJlu arguer q,ue, si eHe est mal placée au concours du.pays le plus malheureux,l'Argentine n en inclut pas moins un petit morceau de tropique du Capricornedans son nord. C'e.c;t vrai que des pingouins se prélassent sur ses plages du sud.D'autres considéraient que les thématIques d'aide aux pays défavorisés n'avaientpas à inclure les nouvelles technologies, qu'il fallait recentrer ces pays sur leurspoints forts, à savoir l'agriculture ou l'économie informelle. En quelque sorte, ibproposent une aide qui maintienne les pays aidés dans leur structure actuelle,estimant se donner ainsi plus d'atouts pour lutter contre la pauvreté dans les lieuxoù elle est extrême. Mais comment ne pas voir le risque qu'il y a à figer ainsi despays dans des positions retardées 1 Le souci de l'action prioritaire ne doit paseffacer le souci du développement. Finalement, c'est bien le souci de faire œuvrede coopération dans le développement qui a fait prendre à l'ORSTOM le ri~ue des'ouvrir simultanément à un nouveau pays et à un nouveau champ scientifique enprenant à son compte le projet d'un chercheur qui ne sortait pas de son sein.

Les difficultés n'ont pas non plus manqué pour convaincre les groupes quifmancent en France la recherche sur les teclülologies nouvelles. Ici il faudraitétudier le Japon ou l'Allemagne fédérale, pays définis comme plus avancés quenous, et recllercher chez eux les recettes du succès. Apparemment logique, cettestratégie cache un piège. L'analyse comparative ne peut que dire que ces paysréussissent car ils ont quelque chose que nous n'avons pas. Et nous n'avons plm

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qu'à nous morfondre devant l'impossibilité de posséder les mêmes atouts, ou àcourir pour avoir demain les caractéristiques de ces pays aujourd'hui. En effet,ces deux pays ont, par exemple ,en commun le fait d'avoir engagé une guerremondiale et de l'avOIr perdue, celui de bénéficier d'une culture qui selon certains,favoriserait l'accumulation, celui d'avoir n% de plus que nous de bacheliers, dedisposer d'une monnaie plus forte que la notre et d'engager moins de ressourcesdans l'effort militaire ou dans la défense d'un empire prus ou moins évanoui. Biersûr les recherches peuvent s'efforcer de mellre entre parenthèses ces élémentscontextuels essentiels pour essayer de voir s'il n'y a pas en plus des éléments dela réussite de ces deux pays qui soient transposables dans le nôtre. Il sera alorsbien difficile de faire la part du contexte et celle des variables isolées quand on fenl'analyse d'un succès. A l'inverse, moins le contexte est considéré commefavorable aux nouvelles technologies, plus il doit être facile d'isoler les variablesexplicatives d'un succès éventuel. Ce raisonnement nous semble justifier notredémarche. Malgré cela il a fallu un certain courage à l'équipe du CommissariatGénéral au Plan pour financer une démarche qui va chercher les secrets del'avance sur les lieux du retard.

Nombre de travaux sur le changement technique échouent à rendre compte de ladiversité des situations propres aux entreprises automatisantes faute decomprendre que technologie, qualifications et organisation forment un toutinextricablement lié. Notre recherche mellra en place des instruments originauxd'analyse de ces interactions. Elle s'efforce de redéfmir dans la théorie et dansl'observation les liens entre ces trois champs en les fondant dans une seule nature.celle des rapports sociaux.

Enfin, celle recherche s'achève dans la naissance d'une équipe de sociologie dutravail au sein du laboratoire argentin qui l'a hébergée. La coopération engagée àtravers ce travail aura aussi engendré cela.

PLAN (guide du lecteur)

Le rapport qui suit débute par une présentation de la recherche et de sa méthode.Avec le "modèle mexicain", nous revenons sur une enquête antérieure qui,remettant en cause le rapport entre formation des salanés et efficience dessystèmes automatisés, a posé les idées qui sont à la base de ce travail. Nousexposons donc sommairement ces idées et les principaux résultats de celleenquête.

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Suit une note sur l'Uruguay, qui relève la dégradation économique de ce pays et,vise à expliquer p'ourquoi nous n'y avons pas rencontré d'équipementsaUlomatisés susceptibles d'entrer dans nolre échanlillon.

Le chapitre sur le défi argentin est plus conséquent. fi b~sse un portrait rapide del'économie et la société argentine, puis fait l'inventaire des technologies que nousy avons rencontrées. Il s'achève sur une partie plus théorique qui vise à repérerdans les évolutions technologiques actuelles (modernité, automation,infonnalisation), celles qui sont straté&iques pour le développement industriel. Apartir de cette réllexion, nous défimssons les critères de sélection de notreéchantillon d'équipements industriels.

Nous arrivons ensuite au chapitre central où nous détaillons notre problématiquenotamment à travers les concep.ts de "construit technique", "capital technologIque'et "traduction". Nous détaillons notre grille d'06servation des équipementssélectionnés. Cette même grille va servir à vérifier notre hypothèse dans le chapitnsuivant. La mise en diagrammes nous pennet de traiter notre hypothèse, tout enprésentant plus ou moins rapidement le travail de monographies effectué dans huilétablissements industriels argentins.

La conclusion se présente sous la forme d'une collection de points qui résumentles principales avancées de cette recherche.

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L'histoire du monde industriel se confond souvent avec celle des innovation~

techniques. L'apJ,larition d'un nouveau procédé de production peut faire lafortune d'une régIon et la ruine d'une autre. D'un seul coup, ce qui était atoutdevient handicap,. A tout le moins, les changements se limitaient il une industrieou un groupe d industries. Mais voici que -le mouvement s'emballe et sembleconcerner tout le monde, ou presque, li la fois. Avec l'ouverture d'un marchémondial, une autre distribution du travail était en train de s'opérer pour profiterd'une ressource devenue accessible: la main d'œuvre bon marché de ceux qu'onappelait les nouveaux pays industriels. Déjà les oracles du futur prévoyaient quedes pans entiers de l'industrie allaient disparaitre des pays dits développés poUls'installer chez leurs voisins moins nantis. Les textiles, l'imprimerie, le matérieélectronique et l'automobile allaient déserter les Etats-Unis, l'Europe occidentalepuis le Japon, pour aller s'installer sous des cieux aux salaires moins cherscomme la Corée, le Brésil ou la Tunisie.

Ce mouvement n'est qu'à peine ébauché que survient une autre va~ue, tout aussl'uissante mais de ressac. De nouvelles techniques apparaissent qUI modifient le:(lonnées, elles permettent de baisser les prix de revIent et d'améliorer la qualité,mais elles sont si complexes à mettre en œuvre qu'on doute y parvenir ailleunque dans les pays les plus nanlis en coml?étences professionnelles. Il n'en fautpas plus pour inverser les prévisions et JI est bien vrai que les implantationsmdustrieUes dans les secteurs énumérés ont bien été saisies d'un mouvement devalse-hésitation entre pays d'industrialisation ancienne et développée et paysd'industrialisation récente ou peu développée. Si les techniques en question nese sont pas installées que dans les premiers, elles y vont préférentiellement nonparce qu'on sait les faIre fonctionner mais justement parce qu'on n'est pas SÛIde savoir. Faute de bien savoir la nature des ressources nécessaires à la maîtrise

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de ces techniques, on va miser préférentiellement sur les pays qui sont dotés deplus de ressources, dans l'idée que les bonnes y ont plus de chance de s'ytrouver. Le moteur de notre recherche réside dans l'idée que les ressources en .question sont peut-être plus répandues qu'il n'y paraît.

Cest donc bien une même question qui se pose en France comme en Argentineaux Etats-Unis comme en Hongrie: comment réussir le passage àl'informatisation de la production puisque c'est bien ainsi qu'il convient denommer les changements que nous observons et qui constituent une véritablerévolution dans le monde industriel?

Le choix de l'inrormntL'l3tion de ln production comme lieu de notre étude

Un lei choix n'aUait pas de soi, en effet, il a pratiquement conduit à mettre hOIléchantillon l'Uruguay (cf le chapitre sur le blocage technologique de ce pays). firésulte en fait des observations d'entreprises menées au cours (Je notre premièrephase d'enquête ainsi que d'une réflexion théorique que nous exposerons à lafin du chapitre sur l'état de la technologie en Argentine.

Notre projet initial était moins clair sur nos critères de sélection. Nous avionsretenu d'opter préférentiellement pour des technologies sur lesquelles le GLYSIa déjà une expérience en France afin de cumufer l'expérience acquise etbénéficier de points de comparaison. Cette option a pu être maintenue. Mais,faute de disposer d'une bonne information documentaire sur la technologieexistant dans les deux pays, nous nous étions arrêtés sur les mots un peuvagues de "un certain niveau d'automatisation". Imprécis, cet espace dedéfinition procédait de deux impératifs : suffisamment réduire le champd'investigation pour pouvoir tirer des oho;ervations généralisables à son domainttout en ne se polarisant pas sur une voie trop particulière de l'évolutiontechnique actuelle. Nous appelions post-fordiste le niveau technique visé. Ils'agit donc de situations techniques ou le niveau d'automatisation rend obsolète!les principes d'organisation taylorienne que nous rassemblions sous deuxgrandes catégories :

- Les machines-transfert.'!- Le'! machines programmables à commande numérique.

Comme nous l'expliquerons dans le chapitre sur la technologie en Argentine, ilnous a paru intéressant de préciser notre définition dans un sens et de l'élargirdans un autre. La précision consiste à ne retenir que les machines commandée!'par ordinateur mais à élargir à d'autres systèmes productifs pour peu qu'ilssoient commandés par ordinateur. Ainsi, les systèmes de conception et defabrication assistés par ordinateur, les robots, les systèmes informatisés decommande de process sont entrés dans notre échantillon. D'une part, nous en

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avons trouvé suffisamment pour qu'une telle précision soit opémtoire. D'autrepart, et c'est le sens de notre réflexIon théorique, ces machines commandées {larordinateur sont justement enjeu du plus de remises en question dans la divisIondu travail tant au sein des entreprises que des pays, voire entre les différentspays. L'informatisation de la production s'est étendue à presque tous les type~de production. Elle constitue plus une révolution techmque qu'une techniquenouvelle. En effet l'informatisation de la production est un changement qui Pos(moins de problèmes du fait de l'introductIon d'une technique encore peu connue~ue du faIt de l'articulation de cette technique avec les techniques existantes. A1appréhension de savoirs nouveaux se mêle la difficulté de faIre communiquerdifférents types de savoirs tmditionnellement portés par des individus occupanldes positions et des statuts très différenciés dans les entreprises. Le présenttravail ne cessem de tenter de tirer les conséquences de cette difficulté à fairecommuniquer des savoirs, c'est à dire des hommes.

En résumé, ce qui nous intéresse c'est la conjonction de l'ordinateur et d'unsystème productif qu'il soit chimique, mécanique ou administratif. La mise enœuvre de cette conjonction pose des problèmes similaires et souvent malrésolus, que ce soit dans la prodl1ction unitaire ou de séries (MOCN et robots),dans la production en continu (pilotage de f.rocess par ordinateur), ou dans le~banques (gestion de comptes par ordinateur.

Cette conjonction n'est pas une nouveauté car on en trouve des applications dè~les années cinquante. EUe est par contre en voie de génémlisation rapide du faitdes prol;rès de l'informatique appliquée qui, euxr sont récents et touchentdésormaIS à pmtiquement toutes les branches d'actiVIté.

La capacité à la mise en œuvre de cette conjonction est devenue cruciale deJlUüpeu car c'est bien l'extension de ces systèmes qui a fait basculer la notion(l'avantages relatifs dûs à l'usage d'une main d'œuvre peu payée et donc aconsidérablement modifié l'équilibre antérieur de la division mternationale dutravail. A tmvers le développement de tels systèmes, les pays ancierutementindustrialisés ont considémblement réduit leurs coûts de production, tout enaméliomnt encore la qualité de leurs produits.

UNE HYPOTHESE POUR RENDRE COMPTE DES CAS PERFORMANfSD'INFORMATISATION DE LA PRODUCTION

Nous n'allons pas revenir ici sur les explications classiques qui rendent compted'un retard dans le développement de ces technologies dans le Sud. Ici, nouscherchons à expliquer aussi bien les réussites que les échecs du sud comme dunord industriel. Le chapitre suivant va esquisser les misons et les concepts quisous-tendent notre hypothèse. Celle-ci repose sur la construction d'un savoircollectifr..aT des personnes qui peuvent occuper des fonctions très diverses damet hors 1cntrepnse, mais qui ont en commun de se mobiliser pour le succès d'DI

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ensemble technique donné et, l cette fin, d'échanger sans réticencesl'Information qu'elles détiennenL

Le savoir en question est, bien sOr, partiellement théorico-technique. Il s'agitdes spécialités des différents intervenants qui agissent autour d'un ~ipementproductif commandé par ordinateur. Mais ce savoir est avant toutempirico-social c'est à dIre qu'il se construit peu à peu au cours d'une histoirequi commence avec le choix et la conception de l'équipement considéré et sepoursuit dans l'installation, la mise en œuvre, les réparations et lesaméliorations portées. Chacune de ces étapes a été l'occasion au sein del'entreprise d'un tâtonnement, d'une réflexion et de surprises dont le souvenirintégré par ce quasi-groupe informel constitue ce savoir collectif dont la qualitéest de nature à expliquer les différences de succès dans la mise en œuvred'équipemenl.'1 similaires.

Les personnes ou les groupes acteurs du savoir collectif ne font pâs souventgroupe. Leur ensemble ne reunit que rarement toutes les personnes concernéespar l'histoire d'une installation. Il recoupe ceux ~ui ont servi de relais detransmission de l'information née à chaque étape de 1mstallation et de la mise erœuvre de l'équipement considéré. Ces personnes n'appartiennent que rarementà une seule organisation. D'après notre hypothèse, les cas ~rformants

d'inrormatisation d'une productIon reposent sur une bonne constitution d'unsavoir collectif grâce à de larges échan"es d'information enlre les constructeuŒde l'équipement, les décideurs de l mvestissement, les installateurs, lesprogrammateurs, les réparateurs, ceux qui ont une connaissance concrète desproduits et ceux qui conduisent l'installatIOn.

VERIFICATION DE L'HYPOTIIESE

La vérification de l'hypothèse consiste d'abord à reconstruire la chainehistorique et à s'assurer que l'information sur chaque étape est cumulée par aumoins une partie de ceux qui aujourd'hui tiennent en main la machine.

L'existence d'une coupure de la chaine informative est de nature à réduireconsidérablement la qualité de ce savoir collectif. Par exemple, le fait de ne pasconnaître les raisons qui ont présidé au choix du matériel peut se traduire par unmanque de possibilités imaginatives quant aux utilisations potentielles del'équIpement.

L'hypothèse présu{Jpose que toute explication reposant sur une cause factuelleunique est réductnce, vOIre fausse. Ainsi, dire que tout vient d'une erreur dechOIX initial constitue à nier la possibilité qu'aurait eue un acteur mobiliséd'utiliser l'équi~ent autrement que prévu. De même, les hypothèse en termelde manques de formation des intervenants font fi de l'adaptabilité humaine etaussi de la possibilité de pallier des manques en la matière quand ceux-ci sont

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nous poursuivons serait apte à identifier d'éventuels manques en formation 1

Un modèle argentin d'lnfonnatlsallon de la production

Le nœud central de notre hypothèse réside dans la mobilisation de cet acteurinsaisissable pour s'approprier l'équipement à travers la connaissance de sonhistoire et l'échange des savoirs spécialisés. Cet acteur ne se constitue pasautomatiquement et des modes institutionnels reposant sur un sens trop étroit dela hiérarchie ou de la spécialisation ne sont pas de nature à en favoriserl'émergence. Faire émerger un modèle argentin, c'est trouver les modesorganisationnels ou les conjonctures spécifiques qui expliquent dans chaquemonographie l'émergence-mobilisation d'un tel acteur.

LAMEDIODE

La difficulté méthodologique principale d'un tel projet réside dans le choixd'une grille pertinente pour analyser les causes d'une réussitetechnico-organisationnelle. celle difficulté justifie que la çriUe en question, unefois testée, soit considérée par nous comme un des principaux abOutissementsde cette recherche. Elle nous a ~rmis de construire un instrument decompréhension et de diagnostic d'introduction d'équipements productifsnouveaux.

Des objets d'observation centrés sur des construits techniques

En )?remier lieu, il convient de délimiter nos objets à analyser. La constitution del'uOlté d'analyse est en général trop im)?licilement liée à des préjugés ou unethéorie. Prendre l'entreprise comme uOlté d'analyse enferme dans la logiqueunifaante du capital de celle-ci: en demière analyse, ou on ignorem la logique detdétenteurs de ce capital, ou on ne verm qu'eUe. Nul ne niera que le patron d'uneentreprise ait quelque chose à voir avec les changements qui la secouent. Sefixer comme limite le domaine d'action de ce patron, c'est le mettre en positionde démiurge. Nous considérons qu'une teUe vision est réductrice de facteunessentiels de l'adaptation

des techniques nouvelles dans les entreprises. Celle-ci dépend aussi d'influence:extérieures qu'il importe de percevoir.

Prendre l'atelier comme unité d'analyse consiste à s'enfermer dans une autrelogique, celle qui a défmi J'atelier et les objets et gens qu'il contient. En généra~cette logique appartient aux teclmocrates de l'entreprise, elle risque de nousenfermer dans une définition de l'objet teclmique qui n'est pas la nôtre. Elle

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risque de nous faire adopter comme allant de soi la vision technigue de cestechnocrates qui souvent se résume à produire une définition du cliangementtechl1i~eà introduire et à lutter conlre les "résistances au changement des autre!acleurs '.

C'est pourquoi notre définition du domaine de limite de nos objetsd'observation se veut empirique. Nos objets seront centrés chacun sur unéquipement productif partiellement ou entièrement dirigé par ordinateur. L'objelest constitué par l'ensemble des personnes qui ont participé au c:onstruittechnique dont l'~quipementc:onsid~~est la partie visible. Nous ap~lonsconstnJlt technique un équipement particulier en ce qu'il a une histoire. DansJ'équipement, nous incluons naturellement les .{Jrocédures, programmes, c'est idire la matière et l'information, le visible et 1IDvisible, le hard et le soft. Unéquipement industriel n'existe pas indépendamment de son histoire: il a étéconçu puis fabriqué, adapté puis modifié, enrichi par des procédures formellesautant que par des tours (Je main plus difficiles à remarquer, mais en l'absencedesquers il serait autre. Quand on dit que le même ~ipementne donne pas I~mêmes résultats à Lyon ou à Cordotia, c'est que l'on ne tient compte que duvisible dans le pire des cas, du visible et du fonnalisé dans le meilleur. En faiton refuse de voir qu'il ne s'agit pas du même équipement, en tout cas pas dumême construit technique. Le noyau de départ a pu être identique. il s'est greffédessus des apports différents. Dans cette recherche on verra des machinessemblables Situées dans un même atelier obtenir des résultats très contrastés.Notre analyse montrera la différence considérable que ces machines ont connuedans leur histoire : construits techniques différents produits par des acteursdifférents.

Recueil d'informations

Dans l'observation de chaque contrult technique nous avons eu recours à desméthodes déjà éprouvées, notamment dans d'autres enquêtes du GLYSI, à savoir:

- le suivi de postes- la description du Vrocès avec la spécification des opérations humaines el

des échanges d'informations qUi interviennent au cours de la pro(Juction (Oow-chart)- des interviews destinées à retracer l'histoire éducationnelle et

professionnelle des principaux ouvriers, techniciens, agents de maîtriSe et ingénieurs.- La reconstitution de l'histoire technique de l'établissement- la reconstitution de l'histoire sociale- l'analyse organisationnelle et celle des réseaux de sociabilité internes el

externes à l'établissement.

Notre projet par définition devait ne retenir que des cas performants d'inforrnatisatiorde la J;'roduction. II va de soi que ceci apportait une difficulté supplémentaire dans laconstitution de l'échantillon. Qu'aPl'elle-t'on réussite dans ce cas et enrencontrerait-on suffisamment 1 en fait, celle définition de ce qu'on appelle la

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ordinateur, pose presque J;Jlus de problèmes sur le 1l1an théorique qu'au niveauIlratique. En effet, il ne s agit pas de s'appuyer exclusivement sur les résultatséconomiques, lesquels peuvent reposer sur une situation monopolistique ou unegestion fmancière de type spéculatif. Pas davantage ne peut être retenu sans nuances l(rapport effectifs/production ou celui rnasse salariale/l?roduction dans la mesure oùceux-ci pourraient davantage rendre compte du mveau d'exploitation que del'efficacité de la gestion. En effet, nous connaissons nombre d'entreprises duTiers-Monde qui doivent leur compétivité à des niveaux de salaires très bas. Demême, il n'y aurait pas de sens à comparer la productivité d'usines ayant des degrésd'automatisation très différents. De plus, l'lïétérogénéité technique peut fausserl'interprétation avec la coexistence dans la même instaJlation de secteurs ri fort et faibletaux de capital fixe. En fait, nous avons dû chaque fois fonder notre jugement à partÏJd'une observation directe, d'une discussion avec des responsables ainsi que, sipossible, des observateurs neutres et du recours à des indicateurs chiffrés considéréscomme pertinents.

Dans la suite du travail, nous avons tenté de raffiner ce jugement au mo)'en d'unegrille que nous expliçitons plus loin. En effet, la validation de notre hypothèse passepar une appréciation de différents degrés de réussite que nous confronterons à(Jifférentes qualités d'échanges. A tout le moins, cette première évaluation de laréussite suffisait pour retenir ou non des éguipements dans notre échantillon. Ellenous a permis d'éliminer de trop nombreux equlpements qui en fait ne fonctionnaientpas. LeS raisons pour lesquelles une machine est arrêtée sont souvent trop ponctuellespour nous intéresser ici. On voit mal comment apprendre d'une machine arrêtée cequ'il faudrait faire pour que son utilisation soit performante. Il nous fallait aussiéliminer de notre échantillon les machines-vitrines que l'on présente au touristecomme preuve du modemisme mais qui n'ont en fait ~uère de fonction productive.Après tout, de telles machines à faire rêver plutôt qu à produire existent aussi enEurope et aux Etats-Unis. Largement visitées, elles permettent à des journalistesimprudents de se lancer dans la prospective industrielle.

L'ENQUETE

La recherche proprement dite a commencé en septembre 1985 par une première phasede repérage des secteurs considérés comme réalisant une intégration performante destechnologies modernes. Ce repéraJ;e s'est effectué à travers (Jes interviewsd'observateurs scientifiques des organisations internationales, de l'administration etde l'Université, ainsi que de responsables patronaux. Nous avons bien sûr recouru àla littérature existante, rnais force a été de reconnaître que, si nous avons rencontréquelques travaux très intéressants, tout reste à faire sur ce plan et ces deux pays nedisposent guère d'informations solades sur l'état de leur équipement industriel

Au cours de cette première phase, nous avons multiplié les visites d'entrepriseslorsque nous apprenions l'existence d'équipements correspondant à notrepréoccupation et que nous réussissions à obtenir le droit de visiter. Les entreprises

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argentines ou uruguayennes n'ont pas 111abitude de recevoir des chercheurs. Lapériode de dictature ne favorisait guère les contacts entre les entreJ?rises et la recherchesociale. L'absence de tradition d'ouverture nous obligeait à recounr systématiquemenlau niveau le plus élevé de l'entreprise pour obtenir le droit de francIlir le seUIl. Nousdevons reconnailre qu'il nous a en général été facile de convaincre les PDG du bienfondé de notre démarche, aucun refus défmitif ne nous a J;Jersonnellement été notifié.La difficulté consistait bien sOr à obtenir au préalable des informations sur l'entrepriseet surtout à rencontrer le PDG.

Au cours de cette phase, nous avons pu visiter plus d'une vingtaine d'établissementsrelevant d'une quinzaine d'entreprises. Sept des établissemenls observés se trouvenldans le grand Buenos-Aires, quatre dans la zone de Cordoba, trois dans celle deMendoza, trois en Terre de Feu, une en zone tropicale et trois en Uruguaf. Un desétablissements visités est spécialisé dans la pétrochimie, un autre dans la sidérurgie,trois dans la mécanique lourde, deux dans la construction de machines-outils, six daml'automobile, trois dans l'électronique, un dans le papier, deux dans le textile et deuxdans l'alimentation. Les équipements inclus dans notre échantillon sont issus de septde ces entreprises. Aucun ne se situe en Uruguay. Quatre de ces entreprises ont faitl'objet d'observations de plus longue durée et ont donné lieu à de longuesmonographies éditées dans les annexes française ou espagnole.

Tout au long des premières visites nous n'avons cessé de préciser notre grilled'ohservation. Les points à observer n'ont guère été modifiés par rapport à notreprojet initial, mais nous n'avons cessé de nous interroger sur la nature desmformations les plus ~rtinentes et la manière de les mettre en forme. Le but de cettedémarche consistait à discriminer les informations selon la difficulté de les obtenir elleur pertinence. Finalement, nous sommes parvenus à les résumer sous forme d'undia~ramme qui nous servira en premier lieu à tester notre hypothèse. AJ?rèsvénftcation de celle-ci, nous pensons que ce même diagramme pourra être utilisécomme moyen d'analyse et de diagnostic rapide de changements techniques mis enœuvre.

En même temps qu'elles s'intégraient à notre recherche, une partie des monographi~a servi à renforcer la formation de recherche de terrain des chercheurs argentins. LeCEIL a alors considéré utile de constituer une équipe de sociologie du travail en sonsein, dont cette recherche est le premier travail mais qui a vocation à déterminer par bsuite ses propres axes de recherche.

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La présente recherche s'est effectuée dans la foulée d'une comparaisonfranco-mexicaine qui partait des mêmes interrogations. Nous avions été sUJ]Jris del'imprécision des connaissances actuelles en matière de savoirs nécessaires à laconduite d'automatismes. D'un auteur à l'autre, on passait d'affirmations selonlesquelles la déqualification engendrée par de tels systèmes allait être telle quen'importe qui pourrait y travailler, à d'autres déclarant que le principal handicapfrançais en la matière était le manque de formation de la main-d'œuvre etl'incapacité du système éducatif à y faire face. Quand on regardait les salariés queles entreprises plaçaient à de tels postes, on s'apercevait que là aussi, lesflottements étaient considérables. Aux mêmes fonctions pouvaient se retrouver unbachelier, un technicien, un ouvrier professionnel ou un autodidacte sansformation dépassant l'école primaire. II importait donc de faire la lumière sur cettequestion, ce qu'a tenté notre enquête comparative franco-mexicaine.

UN MODELE MEXICAIN DE LA CONDUITE DES SYSTEMESAlITOMATISES ?

L'enquête était monographique. Elle comparait deux à deux des unités productive!très automatisées, situées respectivement en France et au Mexique, ayant desniveaux équivalents de productivité, mais reposant sur des niveaux formationnehtrès différent~. 11 s'agissait d'une part de deux usines de fabrication de yoghourtEappartenant au même groupe industriel, dont l'une se trouvait en Alsace el l'autreau centre du Mexique. D'autre part nous avions retenu deux Ii~nes de métro, l'umdesservant Lyon, l'autre traversant Mexico. Nous cherchIOns pourquoi desniveaux de formation contrastés au sein de chaque paire technique aboutissaient 1des niveaux de fonctionnement jugés équivalents.

L'échantiUon contenait en fait des situations paradoxales. D'abord nous avonsrencontré davantage de problèmes linguistiques en France qu'au Mexique où le

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castillan servait d'unique idiome pour tous les salariés rencontrés. Dans l'usinealsacienne, les ouvriers parlaient tous français à leurs chefs et aux en!luêteurs.Entre eux, ils employaient uniquement l'alsacien, se protégeant de l'indiscrétiond'une hiérarchie étrangère à la région, et accessoirement compliquant la tAche de~sociologues. Le second paradoxe était voulu. Nous avions choisi ces sitesprécisément parceque tous avaient des résultats jugés plus perfonnants que lamoyenne par des spécialistes de diverses nationalités, bien que la moitié disposâtd'une main-d'œuvre à très bas niveau de fonnation. La surpnse était de trouver UIcas mexicain, celui du métro, où le niveau moyen de fonnation était beaucoupplus élevé que dans 1110mologue lyonnais. En fait, la société lyonnaise avaitreclassé dans le métro une partie du personnel du réseau d'autobus, personneldont le niveau dépassait rarement le certificat d'études primaires même dans lamaîtrise. Alors que le métro mexicain, du fait de son rôle stratégique dans lagestion de la plus grande ville du monde, avait mis des seuils tres élevés aurecrutement de ses salariés. En quelque sorte, on pouvait considérer gu'enmoyenne, les salariés lyonnais avaient une scolarité dont la durée ~uivalait à lamOitié de celle des salariés de Mexico. Dans le yo~hourt, la situation s'inversait,les Français disposant non seulement d'une fonnatlOn en moyenne deux fois plu~

longue que celle de leurs homologues mexicains, mais une partie des technicienset de la maîtrise avaient effectué celle-ci dans des écoles laitières spécialisées quin'existent pas au Mexique. La perfonnance de l'usine de yoghourt mexicaine endevient d'autant plus surprenante.

L'analyse fait apparaître que les étonnants "bons" résultats de l'usine de yoghoUl1mexicaine et du métro lyonnais reposent sur une capacité plus grande des salarié~

à échanger des infonnations pertinentes et à encadrer la fonnation de leurscollègues. Elle montre également que la classique barrière de sociabilité entre labase et le sommet passe plus haut dans les lieux li. faible qualification mais hauteperformance. Le pane/iste du métro de Mexico se sentait déjà cadre alors que sonhomologue lyonnais considérait que les cadres étaient plus haut dans la hiérarchieque lui-même. Oans le yoghourt, le directeur de l'usine mexicaine disait se batlrepour obtenir des chefs de secteurs des attitudes supposées conformes avec leurstatut de membre de l'encadrement. A Strasbourg, le problème résidait plutôt dan~une mauvaise communication de ces chefs de secteur avec leur base.

Ici, se trouve une des premières clés explicatives de noire enquête. Dans certain~

conditions, une rareté de savoirs techniques peut pousser à la mise en sommeil deconduites de rétention qui apparaissent autrement couramment. L'enquête faitapparaître, tant dans le métro lyonnais que dans l'usine laitière mexicaine, desréseaux de transmission efficace des informations et des connaissances quin'existent pas, ou fonctionnent plus mal, chez leurs homologues formellementplus dotés en qualifications. Ainsi nous avons été frappé des tensions quiexist.1ient dans le métro mexicain et dans l'usine laitière alsacienne. Dans le métremexicain, t~t la maîtrise que les conducteurs s'~~forç~ie~t ~'évitèr que descollègues pUissent faire tomoor sur eux la responsabilité d un mCldent. Le résulta"

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en était que la communication entre les conducteurs dans leur cabine et lespanelistes de la salle de contrÔle était très incomplète. Les conducteurs lyonnaismontraient une confiance beaucoup plus grande en leur panelistes. De ce fait lespanelistes compensaient leur formation théorique peu élevée par une meilleureconnaissance du terrain.

Dans le cas du yoghourt, l'usine alsacienne était l'objet d'un affrontement entredeux logiques techniques portées par les groupes différents de la hiérarchie, et cedans un contexte de diminution des effectifs et rajeunissement des cadres. Deséclats étaient fréquents, et certains accusaient d'autres d'actes proches dusabotage. Un tel contexte n'était pas favorable à la résolution de certainsproblèmes techniques. Dans le cas de l'usine laitière mexicaine, on avait puobserver la constitution de réseaux de solidarité qui avaient un peu la fonne queprennent les modes de parrainages dans la mafia. Ces réseaux dépassaientlargement le cadre de l'entreprise mais au sein de celle-ci jouaient un rôle essentieà plusieurs niveaux. D'une part les membres d'un tel réseau veillaient à lafonnation de leurs "coates" ou amis. Os mettaient la défense du groupe avant cellede leurs intêréts individuels et ainsi n'hésitaient pas entre eux à se transmeUre tOUIce qu'ils savaient. Comme ces réseaux incluaient en leur sein des individus auxpositions très diverses dans l'entreprise, on peut dire que la réussite del'automation dans l'entreprise leur doit beaucoup. Us ont pennis la mise en fomled'un savoir collectif, certes limité à certains individus, mais propre à domler uneimage opérationnelle de l'ensemble du système productif et de sesinterconnexions.

L'observation montre aussi qu'à des postes de travail équivalents de part etd'autre de l'Atlantique, apparaissent des types différents de savoirs dommants;c'est à dire qu'un même travail se fera à partir d'un mode de pensée plus oumoins abstrait, les différents niveaux de savoirs nécessaires se reconstruisant àpartir de celle dominance. La dominance semble découler de l'expérienceéducationnelle et sociale de l'individu. Les suivis de postes ont montré, àl'évidence, que leurs contenus apparaissaient souvent plus abstraits dans lessituations aux niveaux de foonation plus élevés.

Celle dernière observation nous a semblé cruciale en ce sens que, même àproduction équivalente, le travail peut être différent en dépit de la Similitude desmachines. Tout automatisme complexe obéit à certaines règles cybernétiques,c'est à dire qu'il peut produire un même résultat à partir de données etd'instructions différentes. De là vient qu'il n'y a I?as une, mais plusieurs manièresde le conduire, ni une mais bien plUSieurs maOlères de se le représenter. Notreaxiome se vérifie en tous cas aussi bien dans le cas du métro que dans celui duyogho~rt.

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Plu:'! précisément, il nous est apparu que la formation scolaire initiale con.o;tituaitun point de passage presqu'obligé pour palVenir à des degrés élevés d'abstractiondans la représentation du process. Mais une communication très performante entreopérateurs peut permettre de baisser le niveau d'abstraction nécessaire àl'appréhension de nombre d'opérations de production ou de maintenance.

On peut interprêter ces résultat.'! en constatant que ce 9ui différencie la laiteriemexicaine et le métro lyonnais de leurs homologues de 1autre continent, c'est quel'automatisation y a été l'objet d'une approprtation collective par des acteursrelevant de niveaux variés de l'organigramme. Tous les salariés ne participent pasde celte app'ropriation, mais l'importance et la situation des différents membres deces collectifs agissants est telle qu'elle permet un maîtrise significativement plusperformante de l'instrument de production.

Les conditions d'émergence d'un tel collectif sont justement ce qui peut poserquestion. En effet, la sociologie des or~anisations a montré que le savoir pouvaitfaire l'objet de rétentions jalouses destinées à accroître les moyens de pression elle prestige de ses détenteurs. C'est seulement si des ouvriers et des techniciensconcernés s'app'roprient collectivement une automatisation que la réussite en estassurée. Mais JI faut J1Cu de choses pour opposer les uns aux autres. Aussi, nompouvons avancer que l'adaptation au changement consiste à mettre en oeuvre uneorganisation assez souple pour admeltre des glissements dans les fonctions dechacun. Il apparaît évi(Jent que la remise en cause constante des règles du jeuorganisationnel implique un consensus sur l'objectif et une confiance dans lesresponsables, même SI ce consensus se limite à un collectif d'appropriateurs del'instrument automatisé. Ceci revient à dire que le changement teclmique relèved'abord d'une compétence organisationnelle.

Mais il nous fallait aller plus loin et nous interroger tant sur les conditionsd'apparition d'un tel collectif que sur la nature des déficits qualificationnneispalhables. Un premier pas a été fait dans cette direction à travers cettecomparaison franco-mexicaine. Nous allons tenter d'aller plus loin dans cetterecherche.

Mais auparavent, il faut ébaucher un aperçu de l'Etat de l'informatisation de lal'roductlon en Argentine et en Uruguay. Ce tour d'horizon va nous permettre(J'abord d'expliquer pourquoi nous avons retiré l'Uru&uay de notre échantillon. Ds'achèvera sur une défmltion plus précise de ce qu est l'informàtisation de laproduction.

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Le gouvernement de l'Uruguar vient de décider de développer les nouvellestechnologies dans ce pays. 11 s agit d'une décision courageuse et probablementnécessaire dans un pays qui a prts l'habitude de faire reposer son économie surl'élevage. Tout semble à faire, il n'existe encore à ce jour aucun recensement destechnologies employées dans l'industrie uruguayenne. Tout est à faire en cedomaine, les seules analyses effectuées en Uruguay sont de type théorique oupartent de ouï dire. Les statistiques existantes ne permettent pas d'évaluerl'introduction de biens de production. Il est possible de compiler des déclarotiornd'entrée de matériel dans les douanes ou au ministère du travail, mais cesdéclarations ne permettent que très partiellement de se faire une idée de la naturedu matériel enregistré ainsi que du secteur industriel de son utilisation. Le CIESUa récemment engagé une enquête par sondage sur le potentielteclmologique desentreprises mais celle-ci est encore peu avancée et va peu prendre en compte lanature de l'équipementteclmique des entreprises étudiées.

Parler du retard teclmologique ne peut se faire sans revenir sur l'histoire récentede ce pays. Il y a une vingtaine d'années, le pays était encore l'un des plus riche~et plus stables de la région, à tel point qu on le comparait régulièrement à laSUisse. Il a longtemps donné l'image d'un havre de bonheur tmnquille dans unerégion turbulente, un lieu où la vie était facile, la richesse s'obtenait sans effort, lasociété un modèle d'équilibre démocratique. Celle image s'est ternieprogressivement avec l'apparition à la fin des années soixante de ce que M. deMarenches a appelé le premier groupe terroriste moderne et le basculement dans ladictature en 1973. La dictature a contribué à masquer une'vague de fond plusancienne, à savoir le déclin économique du pays, qUi paroit commencer au retoUide la paix en Europe, mais que l'on pouvait peut-être déjà entrevoir dès 1930. Leretour à la démocrotie dans le sillage de l'Argentine n a pas restauré les lustrespassés. L'Uruguay est peut-être plus pauvre aujourd'hui qu'il ne l'a jamais été.

La pauvreté actuelJe du pays résulte plus de l'Etat de l'appareil productif et desrapports sociaux que d'une conjoncture défavorable. Un discours trop facileasSimile les EtalS-Unis et l'Europe à l'ennemi principal et tend à faire de l'échecéconomique le révélateur d'une vertu nationale. Il ne s'agit pas ici de nier le faitcolonial ou impérialiste niais simplement d'observer que le délabrement del'Uruguay repose peut-être aussi sur des causes internes.

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Un aJlpa~ment relatir nulÎs au~1 absolu

Le constat actuel est la pauvreté croissante du pays. Ce constat se vérifie avec lesstatistiques qui montrent que, déjà dans les années soixante, l'Uruguay avait unecroissance négative. Si celle croissance est redevenue 1?ositive dans les annéessoixante-dix, elle restait inférieure à la moyenne de l'Amerique Latine. A partir de1980, la croissance reprend un cours négatif.

Dans un ouvrage très bien documenté, Lambert (1984) relève la chuteimpressionnante de l'Uruguay par rapport aux autres pays de la région. Dans le~

vingt dernières années son influence économiq,ue a décru de 50% dans la région.Ainsi cct auteur estime que la classe favorisée s élar~it au Brésil alors que la ClaSSEdéravorisée croît en Argentine et en Uruguay. Le OIveau de vie réel des habitantsde ces deux pays a diminué au cours des dix dernières années alors qu'ilaugmentait dans le reste de l'Amérique Latine, à l'exception dcs plus pauvres. Leniveau des salaires réels est beaucoup plus faible à Montévidéo qu'à Buenos-Aire.!et il est devenu plus faible dans celle dernière ville qu'à Silo Paulo, Mexico oumême Bogota. Mais les effets de la richesse antérieure sont encore perceptiblesdans les indicateurs sociaux comme la santé, l'éducation etl'assislance SOCIale.

Les changements pour l'Uruguay apparaissent dramatiques. En 1946 il avait unemortalité infantile deux fois plus faible que la France, mais celle mortalité a eu,comme en Argentine, tendance à augmenter, alors que dans le même moment ellEa été divisée par 8 en France. Le revenu par habitant en 1950 était suIJérieur à celude l'Argentine, mais si l'Argentin dispose en moyenne d'un revenu reel inférieur 1ce qu'il était en 1970, l'Uruguayen est moins riche qu'en 1950, voire en 1920 sicette comparnison a encore au sens avec une telle distance.

Et un enrichissement de quelques uns

Mais, en reprenant d'autres sources, on se met à douter de la pauvreté du pays.Le problème semble plutôt résider dans la répartition et la mobilisation desrichesses. A bien y regarder, on s'aperçoit que la chute du pays s'estaccompagnée d'un processus de polarisation des revenus, c'est à dire que lepoUVOIr d'achat des salariés a plus tliminué que le PIB. En 1984 on estime que I~salaire..'l réels sont équivalents ~ la moitié de ce qu'ils étaient entre 1968 et 1973.

Si les salariés se sont appauvris, il n'en est peut-être pas de même ~ur lesdétenteurs de capitaux. Une enquête récente révèle que l'Uruguay est le paysd'Amérique qui a le taux le prus élevé de dépots à l'étranger par habItant(CEPAL,lnforme de la Session XXI, Mexico, avril 1986). Les estimations de laCEPAL sont problablement en-dessous de la réalité, mais déjà elles atteignent unpourcentage Important de la delle extérieure du pays. En quelque sorte on peut

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considérer que le problème de la dette extérieure est en fait un artifice qui permetau pays de se déclarer pauvre et de rejeter sur autrui la raison de cette pauvreté. nne s'agit pas ici de nier que la dette extérieure du pays soit UQ problème,simplement de reconnaître que ce problème est avant tout un problème interne. Sil'Elat a apparemment souffert du renchérissement du dollar au cours des dernièresannées, (les particuliers aisés se sont enrichis. Les fluctuations monétairesinternationales ne sont pas tant une cause d'appauvrissement du pays qu'elles nesont le moyen pour la classe aisée de s'enrichit sans créer de richesses. Puremenlspéculatif cet enrichissement se fait donc sur le dos des perdants, il n'augmentepas la part de çâteau à distribuer, mais en fait procède (l'une ponction presquedirecte sur les nchesses de l'Etat et de la classe salariée.

L'Uruguay n'est donc pas un pays pauvre mais un pays de quelques riches et detro1? de pauvres. Il est surtout unlays à l'abandon dans la mesure où le capital9.u JI possède n'est pas utilis Il multiplier les richesses existantes ens investissant dans l'économie nationale. BIen au contraire, ce capital-vampirepompe les richesses du reste de la nation. L'arrêt des investissements productifscomme de la ponction fiscale produit un basculement lent et douloureux vers lesous-développement.

L'absence de puBtique de recherche et développement

L'Uruguay a, avant toute chose, tiré sa richesse de l'immensité de son sol fertileLa facilité avec laquelle se produisait le bétail a probablement contribué à délaisselles efforts d'augmentation de la productivité. La recherche apparait égalementcomme un secteur traditionnellement délaissé. Le CONICYT (conseil national dela recherche scientifique et technique) a publié au début des années 70(CONICYT, 1975) une estimation selon laquelle à l'é~ue 0,16% seulement dl:pm était consacré à la recherche-développement. Pour le secteur agricole duquelrelevaient 80 % des exportations du pays, ce taux était à peine plus élevé,atteignant 0,27 % du pm agricole. Le régime militaire qui s'installait au momentde celle évaluation n'a probablement pas fait remonter l'effort national derecherche-développement. On lui doit en effet la fermeture de plusieurs centres derecherches et l'expatriation d'une partie non négligeable des scientifiquesuruguayens.

Des innovations intéressantes ont été inventées ou introduites dans la productionde riz, le secteur laitier en matière de software et de produits vétérinaires(biotechnologies). Mais aussi intéressantes soient-elles, elles ne peuvent faireoublier la staçnation évidente de la productivité dans l'agriculture que montrentbien les relatIons avec l'Europe. Jusqu'aux alentours de 1950, l'Europe est ungros client de l'Uruguay. Le re(lressement qui suit la seconde guerre mondiale vapermettre à l'Europe de réduire considérablement ses exportations de produitsagricoles uruguayens, puis de concurrencer ces mêmes produits sur des pays tienet finalement de porter celte concurrence jusqu'en Uruguay même.

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L'absence d'une politique Industrlalisante

L'Uruguay est retourné à la démocratie en mars 1985. Il a alors retrouvé unetradition démocratique particulièrement bien ancrée, où les deux I?artis sesuccèdent au pouvoir tout en maintenant constamment une représentatton de laminorité dans les prises de décisions. D'un autre point de vue, le coup d'Etatmilitaire, comme les désordres qui l'ont précédé, s'expliquent aisément parl'immobilité propre à ce biJlOlarisme. Aucune stmtégie économique n'a ~rmis defaire face à la baisse des prix de la viande et la laine sur les marchés mondiaux.

La grande facilité avec la<Juelle l'Uruguay s'est enrichi constitue le premierobstacle à une industrialisation performante. L'Etat y a trouvé plus commode dedistribuer les richesses acquises que de les investir dans une conversion desociété. En effet le passage à une société industrielle implÎ()ue une modificationdes ra{'ports sociaux au aétriment même des classes dommantes, soit qu'il lescontratBne à laisser le pouvoir, soit qu'il les oblige à déplacer leurb lieuxd'investissement.

L'Etat hésite généralement à s'ingérer dans la politique industrielle. Certes il fautciter l'effort réalisé au cours de." années cinquante pour doter le pays d'uneindustrie performante en matière de bobines de laine. Cet effort se brisa sur uneaction de (Jumping menée par les An~lais et les Français. L'échec a poussé l'Etat ~abandonner toute tentative de dirigisme économique. Plutôt que d'investirmassivement sur quelques secteurs avec obligation de les rendre compétitifs on apréféré laisser les in(Justries s'auto-financer en fondant leur rentabilité surl'assurance d'une protection douanière.

Ce constat explique mieux pourquoi il est difficile de trouver de vraisentrepreneurs. Dans une note récente, TOURAINE (1985) attribue l'échec dudévelop~ment soit à l'ab..c;ence de rupture sociale qui interdit la monlée des projel1industrialisants soit à des politiques qui poussent à la consommation des classesmoyennes en redistribuant les bénéfices (Je quelques exportations dominantes. Ilpropose la creation de "silicon vaUe)''' c'est à dire de pôles industrialisants autout(Je groupes industriels et d'universités. Il insiste sur le fait que celle création estplus un problème culturel que de localisation et ~'elle ne peut donc être organiséepar décret. Il note cependant, qu'en Amérique latine, les réussites se sont souventfaites autour de groupes publics disposant d'une réelle autonomie décisionnellequ'ils ont mise à profit en cherchant à développer plus leur surface industrielle qutleur puissance fmancière.

La question est de savoir si l'Uruguay possède déjà des pôles industrielssusceptibles de se transformer en pôles mdustrialisants. Et la réponse n'est passimple car elle e."t à la mesure du retard pris par le pays.

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Un retard technologique

Le niveau technologique de l'industrie uruguayenne est particulièrementpréoccupant. Tout donne à penser qu'elle ne possède aucune machine àcommani:le numérique, aucun véritable robot ni système de conce{'tion assistée plllordinateur ni de fabrication commandée par ordinateur. L'éqUipement le plusmoderne, que nous avons pu rencontrer, est constitué par (les automatesprogrammables qui servent essentiellement de palpeurs ou prises de données. Enquelque sorte, le pays s'est mis com~lètement à l'écart de la dernière révolutiondans les techniques productives, c est à dire l'introduction de l'informatiquecomme instrument de production directe.

Les raisons de cette mise à l'écart ne sont pas dénuées de fondements. Dans lesentreprises visitées, nos interlocuteurs nous ont expliqué qu'ils achetaient latechnoloçie étrangère lorsque celle-ci s'était déjà révélée flablè et parfaitement aupoint. Amsi on limite les risques d'erreurs et d'échec dans l'introduction demachines nouvelles. Ces risques seraient d'ailleurs supérieurs à ceux courus parles entrep-rises du Nord industriel puisque l'éloignement ~éograp-hique rend plusdifficile les échanges avec les constructeurs (le machmes. AinSI, il est pluscoûteux de faire venir une pièce détachée, de trouver les spécialistes à même dediagnostiquer une panne ou de modifier une installation rour des raisonssimplement géographiques. Et puis, en achetant du matérie éprouvé, on faitl'économie oes tâtonnements qui absorbent le temps, l'énergie et les nerfs desinnovateurs. Mais ce faisant on asseoit un retard technologique, et parconséquent, on se met hors course de la compétition internationale. En effet, SI le!pays développés s'efforcent tellement de rester à la pointe de la technologie, c'esttout simplement pour être capables de baisser leurs coûts. L'attitude de prudencetechnologique met l'Uruguay à l'abri des erreurs, et l'assure de réussirl'incorporation de ses équipements nouveaux, mais ainsi, le pays se voitcondanmé à perdre ses marchés à mesure que se réduisent les avantages relatifstirés de certames ressources naturelles.

L'exem{'le de l'industrie laitière est ici frappant. Nous avons pu voir desinstallatiOns équivalentes en Uruguay, France et Mexique. L'Etat de délabrementet d'obsolescence des installations uruguayennes est im{'ressionnant. Nous avomvu fonctionner des machines qui, au Mexique, seraient jetées à la ferrailleparceque non performantes, gaspilleuses d'énergie et 'peu aptes à l'obtention desnonnes internationales de qualité. Ce constat est d autant 'plus troublant quel'entreprise visitée avait été donnée en exeqtple de dynamisme industriel. lmfait,les succès à l'exportation de cette entreprise se doivent à une politiqueintelligente de développement de produits nouveaux, qui intègre de grandesquantités de lait, et permet de profiter du faible coût relatif de cette matièrepremière ainsi que de l'absence de concurrents encore constitués. Mais cesavantages relatifs sont précaires, ils peuvent disparaitre dès qu'un concurrent aura

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fortement investi dans le domaine et mis en œuvre une technique susceptible deronger l'avantage relatif de l'industrie uruguayenne. .

L'absence d'équipements correspondant à notre échantillon constitue une sérieusepréoccupation pour ceux qui ont souci du devenir du pays. Pour nous, leproblème fut plus prosalque: faute de rencontrer des équipements correspondant ilnotre objet, notre recherche devenait irréalisable. Par chance, l'Argentine, malgrésa ressemblance en de nombreux points il l'Uru&uay, s'est engagée dans lamodernisation et la diversilication de son industne. Nous y avons trouvé enabondance les situations qui nous faisaient défaut en Uruguay.

Il faut cependant revenir sur cet échec 9ui correspond trop bien il des idées troplargement répandues selon lesquelles 1industrie performante ne se trouve quedans des zones limitées: l'Amérique du nord, l'Europe occidentale et une I?artie dlSud-est asiatique. Notre recherclie n'aumit plus de sens si ces idées venaIent il sc:vérifier systématiquement. Nous postulerions l'lu tôt que l'informatisation de laproduction est réalisable en tout lieu. Nous avions étendu ce {JOstulat au point(J'imaginer qu'un pays comme l'Urugua)' posséderait automatIquement de telséquipements. Nous nous sommes trompés.

Nous avons vu des équipements productifs commandés par ordinateurfonctionner efficacement dans des 'pays où on ne l'attendmit guère comme leMexique ou la Bulgarie. En Argentme, nous en avons rencontre dans des lieuxaussi reculés que la forêt tropicale ou la Terre de Feu. Nous pensions que larichesse des capitalistes et le niveau de culture des salariés impliquait une teUerencontre en Uruguay. Il faut bien reconnaitre que non. L'informatisation de laproduction est probablement réalisable partout, elle est pourtant ignorée dans denombreuses zones, et notamment en Uruguay que nous abandonnons désormaispour ne plus parler que de l'Argentine.

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Ce chapitre comprend trois parties. La première est un cadrage géographique quenous avons conservé malgré d'évidentes faiblesses, estimant que fa majorité denos lecteurs sont encore moins infonnés que nous sur ce pays. Ce cadrage lesaidera peut-être à se retrouver dans ce pays attachant mais complexe; à tout lemoins il leur permettra de partager certains de nos étonnements. La seconde partiedécrit les technologies rencontrées en Argentine. La troisième est une réflexion smla nature de l'enjeu technologique actuel non seulement pour l'Argentine maisaussi pour le monde industriel. Les équipements qui relèvent ce nouveau défitechnologique seront justement ceux que nous étudierons.

Dans cette première partie, il faut bien que l'auteur emploie la première persorUledu singulier. La perception du pays lui est singulière et les étonnements lui sonlpropres. Les Argentms ne peuvent s'étonner de ce qui est leur réalité. La(Jifficulté, quand un étonnement dépassait les cadres de l'entendement européen,consistait à s'entendre sur la description de la réalité économique et sociale.Chercheur Français, je suis habitué à un pays qui possède de lui-même desreprésentations chiffrées dont le mode de constitution suit des règlesméthodologiques reconnues. Dans ce pays il n'existe guère d'indices admis parl'ensemble de la communauté scientifique. De ce fait chaque fois Q,ue j'ai choiSI urchiffre, un indice, pour décrire la réalité économique et sociale, j'al été soupçonnéde me rallier à un des courants politiques existants. Ce qui suit donc ne représenteque les impressions de l'auteur français et ne saurait engager aucun de sescollaborateurs argentins.

Je ne prétenderai donc pas refléter une docte connaissance de la réalité argentinemais chercherai à éclairer le lecteur du Nord sur des spécificités incontournablesde la réalité de ce pays austral. Au lecteur plus au fait <le ce pays, je souhaite faiRreprendre le point de vue du Huron débarquant à Paris. Comme cet Indien, j'ai él(complétement interloqué par des choses ou des situations que l'autochtone trouvenormales, car faisant partIe de son expérience quotidienne. Pour l'autochtone, le:choses qui m'étonnent résultent d'une histoire que lui connaît et que moi, j'i~noRlargement. Elles choquent ce que je croyais être des lois sociales et économIquespropres à toute notre planète.

Si la surprise est le début du regard philosophique, mon séjour a vraiment étéontologique, tant j'ai rencontré <le clioses qui ne cadraient nullement avec lesquelques notions que j'ai péniblement acquises en matière de scienceséconomiques. Si j'avais à définir par comparaison les règles du jeu économiqueen Argentine, j'identifierais davantage l'Argentine à la Hongrie, voire à laPologne, qu'à nos économies qu'on dit occi(Jentales et qu'il serait plus justed'appeler boréal-capitalistes. Au plan social, le contexte était pour mOI uneexperience entièrement neuve: la sortie simultanée d'une défaite et d'une dictatureégalement militaires; le désordre récent de l'inflation à quatre chiffres et lephénomène social difficilement pénétrable qu'est le péronisme. Le cartésianismefrançais ne saurait intégrer la réalité argentine sans accepter de se laisser glisser aquelques écarts de pensée aussi abrupts que des passes de tango.

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La logique de l'abondance

Un territoire grand comme cinq fois la France avec une population deux fois plmpetite. Un territoire qui va du tropique jusqu'au bord de l'Antarctique. Lapremière découverte est celle de l'espace, espace immense, espace vide ou désertfertile. Et une ville qui concentre quarante pour cent de la population. Une villegui jusqu'aux années quatre-vingt, fut la plus grande et la plus puissante de1Amérique latine. Elle est désormais dépassée par Sao Paulo et Mexico, mais lepays n'en n'est pas moins et de(Juis longtemps un des plus urbanisés du monde,et ce, bien que ses ressources pnncipales soient rurales.

Les chevaux puis les vaches n'ont pas été l'objet d'une introduction systématique.Ils se sont répandus dans les plaines argentines à partir d'animaux abandonnés ouperdus par les premiers colons. Les premiers chevaux seraient arrivés avecMendoza en 1535 au cours d'une tentative malheureuse pour fonderBuenos-Aires, et les premières vaches étaient introduites au cours d'une nouvelletentative quelque cinquante ans plus tard. Ne trouvant aucun prédateur et UI1paturage presque infini, le bétail s'est multiplié, traversant les rares obstaclesnaturels au rythme de la progression de l'homme blanc.

Les Indiens ont fait l'objet d'une traque systématique qui aboutit à leurélimination, excepté dans les zones de montagnes.

Le premier fil de fer entrera dans le pays au retour de rex~dition anglaise d'uncultivateur pampéen en 1844. Personne n'imaginait alors l'avenir de ce fil quiallait progressivement enclore tout l'espace rural et réduire considérablement lebesoin de main d'œuvre dans l'a~riculture (BRUGGMAN M, DECOTIE A,1978). La terre appartenant aux nches et réclamant peu de main d'œuvre, lesnouveaux colons devront s'installer dans les villes ou repartir chez eux (ce queferont à peu près la moitié d'entre eux à partir de cette date). Les Noirs quant àeux seront pratiquement expulsés du pays.

Economiquement, le pays dispose d'une activité répartie dans tous les secteul1agricoles et industriels. Bien placé pour le blé et la vIande, il est auto-suffisant enéner&ie et matières premières et nolamment en pétrole. npossède deux centralesatomIques. Son industrie est variée avec des secteurs importants comme le papier.l'automobile et le textile.

Mais il est une autre richesse, il s'a~it du niveau de formation des habitants. Lesstatistiques récentes, bien que peu fIables, font apparaître un niveau de culture debase proche de celui des pays les plus développés.

L'Argentine a donc tout pour être une puissance industrielle. Certains en viennenlmême à expliquer ses difficultés actuelles par la richesse trop facile des époquesantérieures. ce qui est certain, c'est que le potentiel du développement e)[iste mabqu'il reste encore à savoir le mettre en œuvre.

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UN ETAT DE SOUS-DEVELOPPEMENT

L'Argentine J)eut se classer conune pays développé aussi bien que conune pays envoie de dévelopement. Le P.N.B. par habitant le rapprochait de l'Europe latineavant la période de dictature. Par contre. les taux d activité et de chômage lerapprochent d'un (lays industrialisé. Enfin. l'ampleur et la répartition du tertiaireapparaissent très tiers-mondistes. L'actuel niveau d'endettement par habitant es!un des plus. sinon le plus élevé du monde. Le plus préoccupant est que cette detlene correspond guère au renforcement et à fa modernisation d'un équipementproductif qui s'est dégradé dans les aDllées même qui voyaient la dette se creuser.

En fait, le premier constat à faire est celui d'une chute dans le concert des nations.Au cours de ce siècle. l'Argentiqe est passée du dixième au trentième rang despuissances mondiales (Salefio 1984). Lambert (1984) relève la chuteImpressionnante de l'Argentine (Jar rapport aux autres pays de la région. Soninfluence économique a décru de 50% dans la région. Ainsi. cet auteur estime quela classe favorisée s'élargit au Brésil alors que la classe défavorisée croit enArgentine. Le niveau de vie réel des habitants de ce pays a diminué au cours desdix dernières années alors qu'il augmentait dans le reste de l'Amérique Latine, àl'exception des plus pauvres. Le niveau des salaires réels est tombé plus bas àBuenos-Aires qu'à Sao Paulo, Mexico ou même Bogota. Mais les effets de larichesse antérieure sont encore perceptibles dans les indicateurs sociaux comme lasanté, l'éducation et l'assistance sociale ainsi que dans la structure économique.

Une population des plus cultivée, des ressources naturelles inunenses et un nivealtechriologique tout à fait enviable, voilà la situation du pays au début du siècle.Malgré ces atouts fantastiques, il a raté le coche du développement industriel.Conunent comprendre que le Japon ait pu le dépasser alors qu'il doit achetertoutes ses matières premières 1 Et l'Europe, par deux fois mise en lambeaux dansdes guerres totales n'a pas tardé à effacer ses ruines et regarde aveccondescendence cette Amérique du sud qui passe alternativement d'une prospéritéclinquante à l'état de mendicité digne.

Les revenus des ménages

La situation économique et politigue éminénunent instable de l'Argentine a desré~rcussion très directes sur les ruveaux de revenus. C'est cette instabilité mêmequi fait de l'Argentine un pays difficilement classable par son niveau dedéveloppement. Si on mesure les revenus actuels de la population salariée,l'ampleur des budgets accordés aux administrations et services publics, il ne failaucun doute que nous sommes dans un pays pauvre. Le SMIG français estsupérieur au salaire de bien des cadres supérieurs de l'administration. Les salairesdans le secteur privé ne sont guère meilleurs. Fin 1986, l'Eglise argentine, quepersonne n'a jamais suspectée de progressisme, notait qu'un salaire ouvrier nesuffit pas à nourrir une famille. Renault, qui parait être un des employeurs les (Jlulgénéreux, verse entre 150 et 220 USD par mois à ses ouvriers non qualifiés. Cesrevenus sont à mettre en regard d'un cout de la vie qu'il serait risqué de considérelconune (llus bas qu'en France et on a dû mettre en 'place un réseau de distributionde nourriture gratuite qui concerne au moins le dixième de la population. Il y a

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paradoxe à noter que ce pays qui reste un des principaux exportateurs d'alimentsse débat contre des problèmes de malnutrition.

Mais cette image s'oppose au passé encore prégnant de l'argent facile ("la platadulce"). La Renault 4TL repré.~enteaujourd'hui trois ans de salaire d'un employémoyen, et lui est donc inaccessible. Un loyer représente l'équivalent d'un salaire.Ces chiffres ne doivent cependant pas faIre oublier que ces même eml?loyés sesont généralement acheté un logement avant 1980. De même la possessIon d'unevoiture était chose tout à rait courante dans la partie haute de la classe ouvrière il }a seulement dix ans. Beaucoup qui ont réussi à conserver leur ancien véhicule nepourraient raire face aux frais d'une grosse réparation.

Ce brutal changement dans les possibilités matérielles n'est pas historiquementrare dans ce pays. En fait, il n'est pas plus juste a priori de donner le nom de criseaux moments de diminution drastique du pouvoir d'achat plutôt qu'à ceux desubite hausse. Beaucoup ici s'accordent à dire que l'aisance matérielle de la lindes années 70 reposait sur un taux de change artificiel. Les Argentins trouvaientalors la vie peu chère aux USA et en Europe. Cette richesse n'avait pourtant guèrede base productive, puisqu'au même moment, des l'ans entiers de l'industriedisparaissaient, l'exploitation )Jétrolière était loin de suffire aux besoins du pays etles marchés des céréales et de la viande souffraient déjà de la forte concurrence del'Europe et des Etats-Unis. L'effet de cette richesse indue s'est traduit par desachats de produiL'I étrangers et la croissance d'une dette extérieure que la folleguerre des Malouines n'a fait que creuser davantage.

"Vacas gordas y vacas flacas", cette alternance de richesse et de coups dursexplique la relative passivité avec laquelle les Argentins semblent accepter uneperte des deux tiers de leur pouvoir d'achat (de 1975 à nos jours). On voit malquel régime en France resterait l'0pulaire après avoir complétement bloqué lessalaires et laissé les prix monter (l'environ 20% (estimation gouverneméntale) ou30% (estimation de l'opposition) en 5 mois. C'est pourtant ce qui se passe ici. Laplupart des Argentins considèrent que le plan Austral est une réussite du point devue économique, et Raoul Alfonsin a augmenté encore le nombre de ses partisan~

au cours des élections de novembre 1985.

De tous côtés, dominent l'astuce, la combine ou simplement l'appui sur desréserves constituées en des temps meilleurs. Nombre de salariés cumulentplusieurs temps pleins, au détriment, on s'en doute, de la qualité de leur viecomme de celle de leur travail. Et on déploie des trésors d'ingéniosité pourprolonger la vie de véhicules ou d'appareillages antédiluviens. L'Argus remonteIci aux débuts de la production automobile et les petites annonces comportent aumoins autant de véhIcules de plus de dix ans d'age que de modèles plus récents.

L'inslabl1ilé pollllque el œonomique

Le mot "instabilité" caractérise ici très précisément le climat de Buenos-Aires maistout autant la situation politique d'un pays qui n'a vu aucun président civil aller albout de son mandat électoral depuis plus de cinquante ans (Hyrigoyen a mené àterme son premier mandat dunmt la première guerre mondiale; réélu après

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l'intennède d'un autre président radical il tombe dans un coup d'Etat où trempe unofficier nommé Peron. Grâce à un autre coup d'Etat, ce même officier particip'a aupouvoir durant la seconde guerre mondiale. Ecarté par ses anciens alliés, JI esttriomphalement élu en 1946 avec l'appui de l'année. Il mène à bien son premiermandat, mais est renversé par ses frères d'annes avant le tenne du second.)

Ce mot caractérise aussi l'activité économi9ue. De ce fait, il a toujours été trèsdifficile de mener des politiques d'investissements à moyen et long tenne.Nombre d'entreprises se sont effondrées simplement pour s'être endettées aumauvais moment. Dans une récente étude sur le comportement des petites etmoyennes entreprises, PEIRANI DE BARBIERI et GAZZOTI1 (1986) montrenrque les patrons de celles qui ont survécu à la période 1980-1984 ne secaractérisaient pas par une perception particulière de la crise économique etfinancière, ils se contentaient de prendre leurs décisions au jour le jour mais en nefaisant appel qu'à l'auto-fmancement.

L'expérience des détenteurs de capitaux montre l'existence de fréquentespOSSibilités de spéculations très rentaoles pour peu qu'on ait du capital disponible.La bonne gestion financière s'opposerait donc à l'investissement industriel qui,lui, suppose la conLinuité dans l'engagement. Cependant, nous avons remarquéque les groupes industriels 9ue nous avons pu observer ont constammentrenouvelé leur équipement soit en achetant des machines nouvelles soit en lesfabriquant eux-même. .

Une tradition de violence

Les affrontements annés restent nombreux dans ce pays et une analyse des faitsdivers montre une curieuse similitude entre nombre de ces derniers. A peud'exceptions prés, les journaux racontent l'histoire suivante. Un certain nombrede malfaiteurs sont surpris par la police alors qu'ils ont commis ou qu'on pensequ'ils vont commettre un délit. Dès qu'ils voient la police, les malfaiteurs tirent.La police répond et. au bout de quelques minutes, il ne reste plus qu'à compter leImorts. Le score est d'une régularité roborative: tous les malfaiteurs sont morts,sauf éventuellement ceux qui sont encore en fuite. Aucun des policiers n'estblessé.

En France, la publication d'un tel fait s'assortirait de commentaires de journaliste~mettant en cause l'invraisemblance de la version policière. Ici, malgré fa répétitionil faut attendre la fin de 1986 pour voir un journal s'étonner de l'invincibilité desforces de l'ordre. Il faut dire que les témoins éventuels déclarent n'avoir rien vudes affrontements 9uand ils ne sont pas frappés d'amnésie. La version de la poliCtest en fait reprise mtégralement et à son compte par le journaliste. Il nous fautdonc admettre que la police bénéficie d'une légitimité dans l'usage de la violencequ'elle n'a pas en Europe.

La violence est aussi à l'homleur entre les institutions politiques. Durant notreséjour nous avons assisté à la mobilisation des polices de deux provinces voisine!pour défendre les droits que chacune des provinces revendiquait sur une vallée de

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montagne riche en minerais. Et que dire des revendications territoriales quiempoisonnent les relations du pays avec tous ses voisins 1 Un autre exemple deviolence, celle fois-ci économique, est la création par des provinces d'unemonnaie locale qui s'ajoute à la monnaie nationale, sous le prétexte que l'Etatfédéral tarde à reverser une partie des impots qui sont dOs à la province.

Il serait sans doute erronné d'allribuer celle violence légitime aux seules forces del'ordre. Dans la dernière ~rêve des transports à Cordoba, les conducteurs qui onleu le malheur d'être réqUisitionnés par le gouvernement, ont fait l'objet d'attaqu~physiques. Le secrétaire d'un des syndicats déclencheurs du mouvement auraittransporté dans sa voiture des clous à triple pointes, dont on devine bienl'utilisation envisagée. En Terre de Feu, le patronat s'est affronté à ce quiressemblait à une grève générale de l'industrie. Sa réponse a été l'envoi de leUre~de licenciements aux grévistes. Et quand un député provincial de gauche meurtassassiné par des inconnus en février 1986, aucun quotidien national ne passe lanouvelle en première page. Enfin, on pense généralement qu'un des obstacles à labaisse des prix de détail est constitué par le risque phYSique, réel ou supposé,couru à mettre en cause les intérêts de trop de concurrents.

Le précédent régime porte une grande responsabilité dans la banalisation de laviolence. Il ne faisait que poursuivre une tradition qui s'est poursuivie sansdiscontinuer depuis les débuts de la colonisation. Cette violence se retrouve dansles rapports quotidiens, de manière atténuée certes mais encore palpable. Cela ditcette Violence reste limitée à certaines catégories de la population. On peut mêmeconsidérer le pays comme très paisible, si on se rélère au nombre d'agressions etde vols ayant lieu dans la capitale. L'immense centre-ville constitue un lieu trèssOr comparé à celui des autres viUes de taille similaire.

Le cercle vicieux du marché prot~é

ROUqUlE avait-il raison d'estimer en 1983 que l'industrie argentine "n'a ni legoût ml'habitude de la conClI"ence "1 La grande facilité avec laquelle l'Argentines'cst enrichie constitue le premier obstacle à une industrialisation performante.Dans le passé, l'Etat a mvesti une partie des richesses acqUises par lesexportations agricoles dans une politique de substitution des importations par uneprOduction nationale. Cette pohtique a certes produit une industrialisation assezvariée, mais l'effort n'a pas été à la mesure des discours qu'il inspirait. Plutôt qued'investir massivement sur quelques secteurs avec 06ligation de les rendrecompétitifs, on a préféré laisser les industries s'auto-financer en fondant leurrentabilité sur l'assurance d'une protection douanière. De ce fait, les industrielsont tenu les conditions de leur succès non de leur capacité à affronter laconcurrence internationale, mais de leur habileté à s'aUirer les bonnes grâces dupouvoir politique. Au lieu de prendre une position diri&eante influant sur l'avenilde la société, Ils ont dO se contenter de s'msérer parmi les nombreux clients del'Btat. Comme les autres clients, leur fortune dépend entièrement de l'Etat qui peu'les enrichir en les laissant augmenter leurs prix ou les tuer en ouvrant brutalementles barrières douanières.

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Ainsi, le protectionisme étatique joue un rôle d'autant plus néfaste pourl'industriahsation que l'Etat préLend tout contrôler. Faute de réussir à instaurer laconcurrence entre (les producteurs autonomes, il fait dépendre la réussite de cesderniers plus de leur capacité à maneuvrer l'appareil d'Etat que de leurs prix derevient

De fait, nos premières visites, nous ont souvent laissé l'impression confused'avoir en face de nous de piètres gestionnaires qui couleraient ral?idement leurentreprise dans un contexte européen. C'était oublier que l'application des règlesclaSSiques de gestion ne garantit nullement le succès puisque celui-ci rel?ose SUIautre chose. La rigueur de gestion dans ce contexte constitue surtout un nsque detension avec le personnel qui n'en saisit pas la nécessité (CANITROT 1983)

Les relations entre syndicats et employeurs sont profondément affectées par cefonctionnement clientéliste. Les syndicats savent que la solution à leursrevendications salariales réside plus dans la politique de l'Etat que dans la volontéde leur employeur. De ce fail, les industriels se sentent en quelque sorte les ôtagesdes syndicats dans les affrontements de ces derniers avec l'Etat.L'incompréhension ne peut que régner entre partis 9ui s'affrontent sans pouvoirnégocier (TORRE, 1983). Il devient d'autant plus difficile d'améliorer les basesdu consensus sans lequel il n'est pas de production.

Une productivité étonnamment basse.

L'Argentine a tout pour faire partie des grandes puissances économiquesmondiales. En effet, elle dispose d'immenses terres cultivables dont la moitiéseulement est cultivée. EUe bénéficie selon les lieux d'une gamme de climats quiva du polaire au tropical, et laisse l'essentiel des bonnes terres dans la zonetempérée. Or malgré ces avantages naturels enviahles, elle a une productivitéagricole très basse.

Située à côté d'une des mers les plus poissonneuses, l'Argentine la laisse exploitepar d'autres. Le sol fourmille de minéraux divers, sources de richessesmcalculables.

Il ne nous est pas aisé de parler de la productivité dans l'industrie. Le sentimentgénéral est celui de bas niveaux de productivité. Mais il n'est pas évident dedisposer ici d'indicateurs chiffrés fiaoles. Cela supposerait que nous disposionsd'une unité mondiale de mesure, ce qui ne saurait etre le cas. L'ONU produit bienune estimation selon laquelle la productivité a nettement moins augmenté enAr~entine que dans la moyenne mondiale entre 1961 et 1975. Mais cetteestimation s'appuie sur un rapport des PIB en monnaie constante, servicesexceptés, sur le nombre d'habitants. Elle ne permet donc pas de savoir le niveaude la productivité argentine en comparaison avec celui cres autres pays. Plus gravece taux ne distingue pas les variations qui résultent des variations (Ju niveau dessalaires ou de celui des marges commerciales, de celles qui sont proprementattribuables à la productivité des entreprises. Cette imprécision est si grave gu'elleexplique probablement pourquoi l'ONU a abandonné cet indice dans les éditions

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plus récentes de son annuaire statistique. Le malheur est qu'il est très difficile(J'obtenir des statistiques plus fiables porlant sur une durée telle qu'elle permettedes comparaisons dépassant le plan conjoncturel. Il faut donc appuyer sonjugement sur des observations ponctuelles menées par nous-meme et despersonnes ayant eu J'occasion de visiter des établissements similaires dans despays différents.

Le premier constat est celui de très grandes différences dans les charges de travaildes salariés approchés. Certains nous paraissaient clairement sous-emp'loyés,quand d'autres connaissaient un rythme ou une charge physique qu'JI n'estpratiquement plus possible d'imposer en Frnnce. Tout se passe comme si le paysavait déjà intégré la lourdeur organisationnelle d'un taylorisme mâtinéd'autoritarisme mais n'avait réussi J'application de la méthode d'analyse destemps et mouvements élémentaires qu'à une partie des postes de travail. Dans unedes premières monographie d'atelier faite en Argentine, Halperin (1978) montrenotamment que le mode hiérnrchique propre à J'entreprise, sinon au systèmeargentin, délègue très peu de pouvoir de planification de la production à lahiérarchie d'atelier. Celle-ci augmente son mnuence en ne trnnsmettant que leminimum d'informations sur le fonctionnement réel de l'atelier, et par conséquenten rendant d'autant"plus difficile une planification réaliste. Dans un travail plusrécent, Walter( 198.5) fait une analyse du changement organisationnel durant lesdix dernières années dans une grande entreprise du secteur automobile. li montrequ'en écrasant la force syndicale pendant un temps, la dernière période militaire 1facilité une réor,anisatlon du travail au sens de ce qu'en entend la rationalitétaylorienne. MaiS même sous cette époque de terreur, la résistance à cetteréorganisation non négociée a été suffisamment forte pour que les résultats nesoient pas à la hauteur des espérances des gestionnaires. En fait. on ~ut résumelen estimant que les entreprises argentines ont largement intégré le principe fayolielde l'unicité (Je commandement et que, si le taylorisme a marqué des polOts àtravers de véritables efforts de rationalisation des taches dans certains postes, cetype de rationalisation est encore d'application très partielle.

Nous nous trouvons dans une situation assez proche de celle que décriventMAKO et SIMONYI (1984) pour la Hongrie et qu'ils app'elIent lequasi-taylorisme. En Argentine, J'Organisation SCientifique du Trnval1 sert ausside cadre de référence sans que les aspects de rationalisation des tâches etégalisation des charges de trnvail aient pu être réglés. De ce fait, le taylorismeal'paraît comme un i(Jéal à atteindre, alors <1O'on en possède déjà toute la 10urdeUihlérachique et administrative qui a préCisément conduit à le dépasser dansl'occident boréal. Il nous semble que les conclusions que nous avions formuléesdans un article (RUFFIER 1984) sur la situation de nombre de pays peuindustrialisés valent aussi bien pour l'Argentine. A savoir qu'il est parfaitementenvisageable d'y éviter les aspects les plus critiqués de l'Organisation Scientifique:du Trnvail, tout en adaptant ta rieueur de la description du travail qu'elle contient,mais à travers des mo(Jes orgamsationnels plus souples et plus modernes. C'estd'ailleurs tout le mérite de J'analyse socio-technique que d'avoir élargi l'analysedu travail à des champs nouveaux, comme la transmis.'110n des informations et desordres, et simultanément d'avoir montré que cette analyse ouvrait la porte àd'infinies combinaisons organisationnelles (BUTERA 1979).

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Force est donc de constater qu'existent en Argentine des difficultésorganisationnelles qui tendent à agIr négativement et sur la productivité et sur lamotivation des salariés. D'autres facteurs agissent certamement, comme lesuremploi. En effet, le manque relatif de main d'œuvre dans de nombreuxsecteurs, ajouté aux bas niveaux de salaires favorise le suremploi. Nombre depersonnes avouent facilement posséder deux emplois, situation qu'ils attribuent albas niveau des salaires. Il est probable qu'un salarié qui cumule ainsi plusieursemplois a du mal à maintenir de hauts niveaux de productivité et de quahté de sonservice.

A tout le moins peut-on noter que très peu de production industrielle arrive à êtreexportable, du fait des prix de revient très élevés ou de qualité déficiente.

LES TECHNOLOGIES NOUVELLES EN ARGENTINE

Cette longue digression sur l'état accepté de sous-développement de l'Argentinenous a été nécessaire pour comprendre ce qui se joue dans les entreprises autourdes technologies nouvelles. Comment sans se référer au contexte social,économique et culturel comprendre la faible préoccupation observée en matièred'amortissement des équipements les plus cofiteux ? Comment autrement serepérer dans les logiques surprenantes de choix technologiques?

Nous allons maintenant synthétiser nos observations de terrain pour dégager lespoints forts et les ,?oints faibles de l'utilisation des nouvelles technologies dans leIentreprises et adrrimistrations.

Présence de technologies de pointe

Nous avons trouvé plutôt plus de choses que nous n'en attendions. Nous savion~que l'Argentine a quelques points forts, comme la production d'énergie nucléaire.domaine dans lequel grâce à une constance rare dans la recherche etl'investissement, il a été dévclop~é un mode prollre de production distinct desfilières françaises ou nord-améncaines. De ce fait, le pays ne doit pas êtreconsidéré comme un simple récellteur de technologie. En jum 1986, nous avonspu voir la France offrir du matériel informatique de conception française à uncentre de recherche argentin. Au même moment, un hopital français recevait encadeau un appareil pour opérer des tumeurs cervicales conçu et réalisé par desscientifiques argentIns. Cet appareil, grâce à l'utilisation de techniques tout à failnouvelles permet d'effectuer des opémtions jusqu'ici irréalisables avec ce degré dfprécision. Pour isolé ~u'il soit ce cas n'en est pas moins notable. Il montre qu'onne saurait accepter l'Image d'un pays complétement dépassé sur le plan destechnologies de Ilointe. Dans le passé on a pu voir le pays développer desinnovations notatiles. On nous a, par exemple, parlé d'une ligne de soudure quiautour de 1960 n'avait pas sa pareille en Europe. En 1931 un médecin français

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était favorablement impressionné par un automatisme mis en place dans uneclinique de Buenos-Aires: il s'asissait d'un mouchard qui enregistrait Ilteure et lachambre de toutes les sonneries d'appel ainsi que le temps de réponse del'infirmière de service (LAMBERT). On peut regretter que l'ingénuiosité dans cecas sc soit investie plutôt dans un appareil de conLrôIe social que dans la sphèreproductive mais on doit constater que le Sud est capable dans certains cas d'êtreen avance sur le Nord. Aujourd'hui, une telle avance quand eUe se produit, estplus remarquable.

Il n'est pas de notre propos d'énumérer tout ce que peut faire l'Argentine enmatière de technologies nouvelles. Notons simplement, parce que nous les avornrencontré sur notre route, que ce pays proàuit des micro-ordinateurs et desmnchine.."l-outils à commande numérique.

Technologies rencontrées

Noire propos étant la recherche et l'étude du fonctionnement des équipementsfortement automatisés, nous ne pouvons parler de l'état de l'ensemble del'industrie. Cependant, les entreprises visitées ne paraissaient pas archaïques, elon n'aurait guère été surpris de trouver de.."l établissements ayant le même parc demachines en France. Nous avons choisi les entreprises étudiées parce que noussavions qu'il y existait des machines modernes. Nous n'avons donc pas vu cellesles plus nombreuses, qui n'utilisent que des machines archaïques. Mais nousbasant sur les études économiques disponibles nous nous attendions à trouverbeaucoup moins d'investissements récents. Nous pensions mesurer directemenlles effets désindustrialisants de la ~litique menée par le précédent gouvememenlmilitaire. Or les entreprises viSitées sont souvent en train d'investir. En yregardant de près on constate qu'elles n'ont pratiquement jamais cessé demoderniser leurs instaUations. Au milieu d'une économie détruite et malgré unestructure sociale propre à décourager le plus schumpeterien des entrepreneurs, ils'e."lt maintenu des îlots d'industrialisation active.

De nombreux auteurs locaux insistent sur l'hétérogénéité de la technologie enAmérique latine, surpris qu'ils sont d'y avoir rencontré de vieux outils à côtéd'instruments ultra-modernes. Pour notre part nous avons déjà Iltabitude de telstéléscopages en France (les entreprises visitées ne nous paraissaient pasarchaïques, et on n'aurait guère été surpris de trouver des établissements ayant lemême parc de machines en France). Les usines visitées ont quelque fois eu de~installations à la pointe du progrès technique, elles se sont généralementmaintenues au niveau moyen oe leur concurrentes du Nord industriel. En quelquesorte, on ne peut parler d'obsolescence du parc machine, plutôt de moindredéveloppement des techniques d'automatisation faisant appel à des ordinateurs.Ainsi, la raffinerie visitée possédait une salle de commande centralisée et desautomates de contrôle mais pas d'informatisation du système de commande. Parcontre, une usine de cellulose s'engage prudemment mais réellement dansl'automation de J!rocess. Nous avons vu beaucoup d'automates pro&rammablesintégrés aux éqUipement.'!, mais un peu moins de commande numénque encoreque celle-ci 501tloin d'être inexistante (Cest son utilisation qui pose problème).Les robots commencent à appara;tre dans l'automobile (maIgre la difficulté de I~

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rentabiliser, vu le niveau de la production et leur faible flexibilité); on les trouveaussi dans l'électronique où leur utilisation semble assez performante. Dans lasidérurgie, nous avons vu des équipements tout-à-fait modernes, bien que desclauses juridiques de l'artage de la production interdisent certaines intégrations(laminage en continu). Les banques et la direction des impots s'équipent enordinateurs avec un peu de retard mais suffisamment de moyens pour faireprésager des bouleversements considérables dans la branche. Et quelquessystèmes CAO/FAO ont été achetés aux Etats-Unis. Les entreprises visitéesparaissent plus à l'aise dans la conception assistée que dans la fabricationcommandée par ordinateur, du fait tant du système scolaire que des modesorganisationnels mis en œuvre.

Le taux d'investissement dans l'industrie au plan national a connu de grandesfluctuations et se trouve aujourd'hui à un niveau J?articulièrement bas. Mais lesentreprises visitées n'ont en fa il jamais cessé de VOir se modifier leur équipement,bien sOr à des vitesses variables. L'époque récente de la "plata dulce" se répercuteencore maintenant dans des machlOes dont la décision d'achat remonte à cemoment (Notons toutefois que nous ne voyons que les survivants, les entrepris~qui ont coulé pour avoir investi à contre temps échappent à notre regard. Il nefaudrait donc pas garder l'impression que les désordres monétaires favorisentl'investissement). La majeure partie des entreprises que nous avons visitées sonlactuellement engagées dans de gros investissements matériels qui contrastent avec:le sentiment général d'une stagnation.

Difficulés à maitriser l'Informatique de production

L'entrée de l'informatique dans le monde de la production pose de réelsproblèmes d'adaptation et de maintenance. Nous avons vu que, dans les usinesvisités, il en résultait souvent des blocages. Parmi la trentaine de machines licommande numérique rencontrées dans une dizaine d'usines différentes(automobile, électronique, fabrication de machines-outils et mécanique lourde),nous avons relevé qu'une large moitié d'entre elles ne semble produire autre chostque ce qui a été mis en programme par le constructeur. Plusieurs sont en faitinutilisées. Bien sOr, on ne saurait tirer des conclusions généralisables li lOUte larégion, mais il apparaît évident qu'il y a ici des obstacles qu'il faudra analyserdavantage dans les observations li venir. Cette proportIon d'échecs et dedemi-écfiecs se retrouve à peu près avec la dizaine de robOts observés (automobileet électronique). Deux robots hvrés il ya près de deux ans apparaissent encore simal maîtrisés qu'ils ont été sortis de ta production et semblent servir surtout à sedOllOer une réputation extérieure de modernisme, voire dans le meiUeur des cas àengranger une expérience pour plus tard. Le succès semblait davantage aurendez-vous dans le cas des trois productions en continu pilotées par ordinateur(sidérurgie et papier). fi faut dire que dans ces derniers cas, l'échec signifieraill'arrêt quasi total de la production. Sur au moins un des pilotes, il nous est apparuque l'appareil de commande était utilisé très en deçà de ses possibilités, faute demaîtrise. Dans une première approche, il nous a semblé que les principauxmanques se trouvait dans la programmation et l'entretien.

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Les scrvices d'entretien n'ont pas été formés i\ l'informatique, même s'ilscommencent à embaucher des électroniciens. JI faut comprendre que le fait decommander par un cerveau informatique des en!lcmbles mécaniques oblige àmodifier complétement les procédures (Je dia~nostic des pannes. Ce qui fait queIcs purs mécaniciens comme les purs électroOlciens se sentent dépassé.'1. Au plande la programmation aussi, il paraît y avoir des manques. Il faut dire que lesprogrammeurs des pays industrialisés travaillent en contact plus étroit avec 1e.'1constructeurs chez lesquels ils ont généralement été faire des stages. Quand ils sctrouvent devant une impasse, ils savent à qui adresser le coup de tél~phone quidébloquera la situation.

Les constructeurs par méconnaissance ou par peur des copies, ne donnent rastoutes les informations qui sont nécellSaires à la bonne marche de leur matéric ouà son entretien. Les stages que {'ratiquent chez eux les clients sont donc d'autantplus nécessaires que le matériel est plus récent. Mais ces stages sont aussil'occasion pour les utilisateurs d'engager des contacts avec des spécialistes, quiplus tard ne leur refuserons pas un renseignement téléphonique. Bien entendu,quand le matériel est livré à plus de 10 000 km, on hésitera plus à payer les stagel'en qucstion puis à permettre les conversations téléphoniques intercontinentales~ue pourrait demander un technicien d'atelier. Ce faisant, l'atelier est davantagehvré à lui-même. En l'absence d'une réponse adéquate de la machine, il peut êtretenté d'utiliser des procédures interdites provoquant ainsi des pannes dont il auratout intérêt à masquer l'origine, rendant d'autant plus difficile la réparation.

Et c'est ici qu'il nous faut aborder le troisième handicap des entreprises visitées enmatière d'équipements commandés par informatique, à savoir les modesorganisationnels. Si le mot "archaïsme" ne semble nullement convenir pourcaractériser l'état des technologies rencontrées, il conviendrait bien davantagepour désigner les modes de gestion de la main-d'œuvre. Il apparaît que là setrouve un obstacle important -à la gestion des incidents qui ne manquent de seproduire dans la mise au point d'instruments sophistiqués. Dans plusieurs des ca~

étudiés, il nous est apparu que des décisions auraient pu être prises qui auraientsensiblement réduit la période de mise au point. Mais les personnes qui étaient ~même de trouver 1e.'1 décisions à prendre n'avaient pas le pouvoir de les prendre e­étaient trop loin du pouvoir réel pour faire passer leur message. L'expérienceaequise en France nous a appris que, dans ce domaine, les innovations techniquesles plus réussies avaient toujours été accompagnées de changements imJ?ortantsdans la structure de prise des décisions comme dans les modes organisationnels.Le chan~ement de l'outil est tel qu'il oblige à repenser la philosophie ded'entreprise. De fait, les entreprises qui nous sont apparues les plus à même dedominer ces techniques nouvelles connaissaient des modes d'or&anisationsinternes qui tranchaient par rapport à la majorité des entreprises argentmes. Dès lapremière visite on y repérait un esprit différent, des mooes de relations qui necorrespondaient pas à ce qu'on a l'habitude de rencontrer dans ce pays. Cesentreprises étaient en fait plus éloignées du modèle type argentin lIu'eUes n'étaientproches entre elles. Elles ne corres'pondaient pas à un mOdèle international dusuccès managérial. elles échappaient simplement à certaines des lourdeurs

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classiques de la plupart des entreprises voisines. Ce qui nous auimit chez elles,c'est qu'elles réussissaient mieux que leurs consœurs à faire fonctionner deséquipements technologiquement problématiques.

La moitié des machines à commande numérique rencontrées en Argentine n'étaien'opémtionnelles que dix à vingt heures par semaine. Encore ne fonctionnaient-elle:qu'avec une ~amme de progmmmes réduite fournie par le vendeur. L'autre moititde ces machlOes réussissaient à développer sans cesse des applications nouvellesLes pannes et les difficultés pour se procurer des pièces détachées paralysaientlelunes tandis que les autres finissaient toujours par voir se débloquer les situationsles plus problématiques. Nous allons voir plus loin que ces différences de réussites'expliquent par le fonctionnement des communications internes et externes lil'entreprise. En cas de nécessité, les entreprises perfonnantes sont capables defaire communiquer l'opémteur de la machine avec son concepteur, le commercialavec le technique, celui qui établit un diagnostic avec celUI qui peut prendre ladécision correctrice.

La fabrication locale de machines spéciales

La machine spéciale se différencie de la machine standard en ce qu'elle est conçuespécifiquement pour l'utilisation particulière que compte en faire le client. Ce typed'activité, comme l'auto-production de macliines par les utilisateurs mêmes, nedoit pas être sousestimé en Argentine. En effet de nombreux équipements sont lerésultat non de l'achat de nouvelles machines mais de la modernisation et dubricolage de matériels périmés. Il existe des constructeurs de machine-outilparfaitement capables en matière de machines spéciales et d'intégration(J'automates progmmmables. Ici se trouve parfaitement vérifiée l'image classiquede l'usine argentine qui tourne bien grâce à des bricolages originaux ("bouts deficelles"). La distance vis-à-vis des constructeurs des pays industrialisés demachines a permis le développement d'une réelle aptitude à réutiliser au maximumles mécaniques anciennes en les refondant dans des ensembles modernisés. Cesmachines "refondues maison" répondent génémlement li des besoins bien perçuset tournent plutôt mieux que le reste de l'équipement.

La fabrication de ces machines spéciales se décide généralement lorsque ladirection s'interroge sur les moyens de produire une nouvelle pièce. Le tiureaud'études recherche alors les machines existantes sur le marché mondial, quisouvent sont de type universel. Dans le même temps, il regarde s'il ne peut pasconstruire une machine spéciale pour la production de celle pièce à partir demachines existantes et inutilisées. Pour ce faire, il s'appuie sur un constructeurlocal de machines-outils. Il n'est pas rare que la solution spéciale et argentineapparaisse cinq fois moins chère que la solution universelle et étrangère. Nousavons pu voir ainsi des centres de poIissa~e construits à partir du socle d'unevieille machine, qui pennettaient une préCision et une productivité tout à faithonombles.

Le problème majeur des machines spéciales consiste dans leur plan de charge quilui même dépend très directement du niveau des ventes. En effet, conçus pour Ja

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fabrication d'une seule pièce, elles sont directement tributaires des quantités à(>roduire. Modifier la forme de la pièce implique des modifications de la structure(Je la machine et de sa programmation.

De ce fait, ce type d'automation efficace et parfaitement maîtrisé entre encompétition avec une automation plus moderne et plus flexible, plus coOteusemais aussi moins bien dominée. on comprend donc qu'il vaille la peine d'arbitrelsouvent en sa faveur. Mais les avantages (Jes machines à commande numérique nepeuvent que s'imposer dans un marcl1é aussi fluctuant que le marché argentm. Deleur maîtrise dépendra très certainement la capacité à se maintenir dans le marchéintérieur, voire à s'imposer à l'extérieur.

Raisons donnœs aux achars

Le mot "qualité" revient sans cesse dans la bouche de nos interlocuteurs. Leséquipements en question ont été achetés d'abord pour tenir des normes de qualiléinlernationale, ou, ce ~i revient au même, pour ne pas être dépassés sur ce poinlpar un concurrent local. La baisse des coOts de production n'est guère invoquéeque comme second objectif, à J'exception remarquable des banques. Dans certaimcas, l'automatisation se traduit en fait par une hausse des coOts que compensepeut-être le fait de pouvoir fabriquer sur place ce qu'on devait acheter à l'étrangerIl y a là un discours très différent de celui entendu en France où on faitsystématiquement référence à la nécessité de réduire les coOts.

Vahsence d'une poliUque d'amortissement

L'amortissement des machines les plus modernes et de ce fait souvent les plusco(iteuses, ne semble pas une préoccupation centrale de la direction desétablissements visités. Ceci constitue une surprise et une préoccupation l'ournous. En effet, les constructeurs européens considèrent généralement que leursurvie repose sur leur capacité à amortir rapidement les équipements les f.luScoOteux. Dans un pays où le loyer de l'argent est considéré comme prohibiti , onconstale que les investissements ne sont l'as utilisés au maximum. Et ce constats'aggrave singulièrement quand on considère les équipements les plus modernes.Souvent ceux-ci se retrouvent paralysés, faute de trouver un emploi ou à caused'une panne. Et nous n'avons pas entendu de discours inquiets au sujet de cesarrêts. En France, la paralysie d'un système très co(iteux accroit la tension d'unatelier et tout le monde va s'inquiéter des répercussions financières de l'arrêt. Icil'impression générale est plutôt que l'arrêt permet de retarder les perturbationséventuelles liées à l'introduction du nouveau malériel.

De notre JX>int de vue, il semble qu'une des carences principales soit à rechercheldans la politique commerciale. Le changement de l'outil de production devrait setraduire par la fabrication de nouveaux objets, qui pourrait jouer un rôle importanldans l'amortissement du nouvel instrument. Encore faut-il inventer ces nouveauxobjets et leur trouver un marché. C'est un changement de philosophie quis'impose ainsi au service comm~rcial. Jusqu'alors, on constrUIsait un appareil

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productif parce qu'on possédait un marché. Maintenant, il faut démarcher lemarché parce qu'on a le produit. Il va de soi que l'opération est plus difficile mai~elle fait partie intégrante de la maîtrise des nouvelles technologies.

Automatiser pour résoudre les problèmes de main d'œuvre

Bien qu'évoqués moins spontanément, les problèmes de gestion de lamain-d'œuvre n'apparaissent pas étrangers aux prises (le décisionsd'investissement. D'une part, l'automation résout parfois des difficultés derecrutement dans certains types de métiers classiques et très qualifiés comme lesmoulistes.

D'autres raisons peuvent être données qui se rapprochent de la première.L'automation permet de supprimer des pomts noirs de l'atelier, c'est à dire despostes que personne ne veut occuper du fait de leur pénibilité. A bien y regarder,beaucoup d'investissements observés correspondent à ce cas de figure. Nous'avons vu par exemple deux automates de soudure, très différents dans le principe.mais qui tous deux visaient à éviter aux opérateurs de prendre une positionparticulièrement désagréable. On remarque que les bras manipulateurs sontparticulièrement présents dans des secteurs très bruyants (presses) ou à fortetempérature (fonderie).

Des employeurs y voient parfois l'intérêt qu'en modifiant la structure des emploisils peuvent donner un rôle moins central au personnel syndiqué. Ce changementn'est pas toujours évident. Ainsi, quand une raffinerte a refondu sa salle decontrôle, elle pensait aboutir à une organisation qui couperait les rondiers despanelistes, lesquels en nombre réduit formeraient une élite à l'écart du reste dupersonnel. De recul en recul, la direction a accel?té l'augmentation du nombre de~panelistes. Puis devant l'impossibilité d'obtenu une communication fiable aumoyen de talkies-walkies, elle a ouvert la salle de contrôle aux rondiers. Lespanelistes souhaitant pouvoir envoyer à tout moment des rondiers sur le site, lasalle de contrôle est fmalement devenue le lieu normal de stationnement desrondiers. Ainsi, au lieu de contenir trois personnes, le cœur vital de la raffinerieaccueille couramment treize personnes simultanément. Ceci représente desavantages certains pour la communication interne et donc pour l'efficience de laraffmerie. n va de soi qu'en cas de conflit social, l'entreprtse est d'autant moinsmaitresse des données du jeu. Plus préoccupante encore peut être la gestionéventuelle de situations critiques. Dans de telS moments, la surcharge de la sallepeut rendre difficile la concentration, et donc la résolution des incidents. Ellerendra aussi plus aléatoire la détennination des responsabilités.

Un robot qui marche l'autre pas

Ce chapitre ne serait pas complet s'il n'abordait pas les questions de livraison etmise au point des macnines importées. Nous allons ici conter rapidement le cas dedeux roliots de soudure achetés récemment par deux concurrents, tous deux situé~dans l'automobile et tous deux dépendants d'un groupe européen.

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Le premier cas pourrait constituer un modèle de ce qu'il ne faut pas faire, tant sesont conjuguées les causes qui ont conduit à un échec que Ion souhaiteraitprovisoire. Le constructeur européen produit lui-même des robots de souduredans une de ses filiales située près de la maison mère. Une usine argentine estdonc choisie pour recevoir un (Je ces robots qui font la réputation du groupe auplan international. Le robot arrive accompagn~ de deux technico-commerciaux et(J'un spécialiste qui va donner un cours de trois semaines à un certain nombre desalariès de l'usine acheteuse, tout en y installant la machine. Quand ces troispersonnes retournent en Europe, le robot a certes fait des démonstrations mais n'aproduit aucune des pièces pour lesquelles on l'a acheté. Il y aurait du mal,(J'ailleurs, puisqu'aucun programme correspondant n'a été réalisé. On a enseignéà faire des pièces théoriques au lieu d'en faire des vraies.

Naturellement, le passage de la théorie à la pratique sera loin d'être évident. Aubout de plusieurs semames d'infructueux essais, le robot tombe en panne. Enl'absence de tout manuel d'entretien, il s'avérera dirticile d'établir un dia~nosticmême avec l'aide d'une autre usine argentine qui a reçu le même robot. DIX moisseront nécessaires pour parvenir à la réparation. Entre temps, ceux qui ont suiviles cours se sont évanouis ou ont à peu près tout oublié. L'usine embauchecomme boursier un jeune ingénieur auquel eUe donne la charge du robot. nfaudraalors traduire en castillan le manuel d'utilisation ainsi que le vocabulaire utilisé palle robot et donner des cours d'informatique à l'ingénieur. Celui-ci avance treslentement. Il doit en effet tout découvrir, l'usine en même temps que Je robot. IIparvient cependant à faire réaliser deux pièces et en 'programme d'autres. Maisnous sommes encore loin d'une utilisation réussie. D une part, faute de pouvoirs'imposer l'ingénieur cherche à programmer des pièces ~ui ne sont pas soudéesdans l'atelier. Il évite ainsi de s'attirer des conflits mais s interdit de chercher cequ'il serait le plus rentable de programmer. D'autre part, le robot a été conçu JX?UItravailler sur une chaine tractée et il n'en existe pas dans cette usine. Cest à direque, s'il économise du temps de soudure, il lui faut hors chaine consommer untemps ime0rtant de positionnement des pièces à souder si bien qu'il ne sera pasaisé de lUI trouver une utilisation renlable. Enfin, on peut s'inquiéter de le voirentre les mains d'une personne qui, par statut, n'appartient pas à l'entreprise. Ledépart de celle-ci risque d'obliger à recommencer intégralement une longuepériode d'apprentissage.

Le deuxième cas apparaît à première vue plus satisfaisant. La décision d'achat iciprovient de ce que le nouveau véhicule lancé sur le marché argentin a été conçupour être produit au moyen d'un robot de soudure par points. Cela constaté,l'usine ar~entine ne se contente pas de faire livrer le robot utilisé en Europe. Eneffet, la différence d'échelle ne justifie pas le même investissement. Une premièreétude définit le cahier de commandes du robot à acheter. Puis un ingénieur va che;le producteur européen de robots pour s'entendre sur la machine à construire.Lorsque la machine est presque prete, un technicien de l'usine va faire un slagechez le constructeur pour apprendre à s'en servir. Quand elle arrive dans l'usine,tous les à-côtés sont déjà en place et le constructeur n'a donc pas pu repartir avanlque le robot soit en production.

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Il faudrait pourtant éviter d'opposer un échec trop patent avec une réussite tropapparente. D'abord, il ne s'agIt pas de la même machine. La première soude encontinu et devrait permettre une grande souplesse d'utilisation, ouvrant lapossibilité de souder une vaste gamme de pièces différentes. La seconde soudepar points selon un programme somme toute assez rigide. Elle ne produit qu'unseur modèle de caisse même si on envisage de l'adapter à un second modèled'automobile. Enfin, la procédure utilisée p'ar la seconde usine est assurémentplus coûteuse que celle utilisée par la premIère. Mais les coûts d'immobilisationont certainement fait perdre plus que les économies réalisées dans le premier cas.

NATURE DE L'AcruEL DEFI TECHNOLOGIQUE

Tout d'abord, il convient de définir précisément le type de changement que nousallons étudier: l'informatisation de la production. Ce choix n'est pas aléatoire, ilrepose sur deux constats : celui de l'actualité du problème que posel'illformatisation de la production dans la plupart des branches et dans la plupartdes pays; celui du faible degré de connaissance des conditions de réussite dans lamise en œuvre de cette informatisation.

Distinguer les recettes des succès dans l'utilisation des techniques de pointe doit,selon nous, passer par une analyse de ce qui fait problème. En effet, touteentreprise industrielle met en œuvre différents niveaux de technologie avecsuccès. Le problème n'est donc pas la maîtrise technologique en général, il s'agitbien de la maitrise d'une certalOe difficulté technologique; cette maîtrise estapparemment plus faéile à obtenir dans les pays du Nord industriel. Mais dequelle nature est la difficulté? Pourquoi la trouve-t'on un peu dans toutes lesliranches, avec certains équipements et pas avec d'autres? Répondre à cettequestion passe par une analyse sociale de la technologie, c'est à-dire une analysequi prend la technologie non comme un en-soi mais comme un rapport entre desindividus, des savoirs, des aptitudes et des systèmes de pouvoir. Cest en utilisan°cette démarche que nous pensons pouvoir être en mesure de nommer la difficultéen cause.

Automation et modernité

Le mot "automation" est à la fois ambigu et irremplaçable. L'ambiguïté vient enfait de l'adjectif. Beaucoup de machines sont appelées "automatiques" ou"semi-automatiques". Comprendre ce que signifie ce mot n'est alors possiblequ'en fonction de la date de fabrication de la machine ou en rapport avec les autr~machines qui l'entourent. Une arme automatique est, selon le cas, une aone qui serecharge toute seule mais ne fonctionne que sur la pression d'une gachette. Elle

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détecté sa cible. Dans le premier cas, l'automatisme remplace une action manuelle.dans le deuxième il comporte des aspects de surveillance et de décision. En fait,l'ambiguïté résulle de la confusion sous un même adjectif de différents niveauxd'automation.

La seconde confusion est celle qui mélange automation et modernité, c'est-à-direnouveauté. En effet, les premiers systèmes automatisés datent de la plus hauteantiquité avec la présence de systèmes d'irrigation mus 'par la force motrice del'eau ou du vent et régulés par des clapets ou trop-plems. En toute rigueur etmalgré la rusticité de ces systèmes, on doit les considérer comme aUeignant unniveau d'automation supérieur à celui des robots actuels puisque leurfonctionnement nécessite un moindre degré d'intervention humaine.

De ceci résulte une réelle difficulté il définir en termes technolo~ique deschangements qui sont d'abord identifiés par leurs répercussions soctales. Lestermes les plus usités sont la "modernité" et "l'automation". Le premier fait état d(la nouveauté de la technique mise en œuvre, l'autre retient la plus ou moinsgrande participation humaine dans la production. Avant de (liscuter de lapertinence de ces termes pour notre propos, il importe de noter qu'ils ne sontnullement srnonymes. Le montage d'une cloison dans un apJ?artement ancien oul'escalade d une falaise rocheuse sont des opérations qui, bIen que relevant detechniques très récentes, ne sont qu'à peine mécanisées, aul.rement dit très peuautomatisées.

Si l'automation n'e."It pas une donnée nouvelle dans l'industrie, l'introduction del'informatique dans la production l'est davantage. Le mouvementd'informatisation de la pro(luction est souvent décrit comme transversal del'évolution des technolo~les, c'est à dire qu'Ules affecte toutes quel que soit leurdegré d'évolution. AinSI, la sculplUre du métal est encore davantage objet demécanisation que d'automation; de son côté, la pétrochimie procède de processautomatisés depuis plusieurs décen'nies. li n'empêche que ces deux secteursconnais."Ient au même moment une révolution du meme ordre : l'informatisation dEla production qui, dans un cas, prend le nom de commande numérique et, dansl'autre, de pilote automatique. L observation montre que, si différentes soient l~techniques mises en œuvre, les entreprises s'affrontent il des difficultés trèssimilaires dans l'adaptation de leur main-d'œuvre au changement. Elles ont lemême problème de recrutement de spécialistes compétents et s'affrontent à lamême tâche de rénovation de leur organigramme et d'assouplissement de lastructure de commandement.

Nous allons tenter de rendre plus claire la distinction modernité-automation iltravers trois graphiques. Le graphique 1 porte uniquement sur la mécanique. nsuit les changements intervenus dans trois domaines: J'usinage, la manutention ella me."Iure. Lit colonne de gauche rend compte de l'aclUalité (les machines citées.Nous aurions pu dans une première ligne parler du niveau de la mécanisation. 11

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En matière de manutention (deuxième colonne), on pourrait citer les bandestransporteuses, ainsi que tous les engins motorisés de manutention comme lesponts roulants ou les élévateurs. Notons qu'il n'existe pratiquement pas(J'instrument de mesure mécanisé. Dans leur grande majorité, les mesures restenldes opérations manuelles pratiquées au moyen d'outils ou de calibres.

DEGRE DE MODERNITE D'INSfRUMENfS MECANIQUES

DeCJr6 deFILIERES TECHNIQUES

moderntt6 uslncge trllnsport contrôle

tOAUTOMATION eutomete proCJr8 menlpuleteur pel peur

INFORMATISATION commende num6 robot vtsue!tseUon

INTEGRATION ete!ter flexl ble CAD/CAM

Notre tableau ne commence qu'à partir des machines automatisées et notammentde celles qu'il nous a été donné de voir fonctionner en Argentine (notonscependant que nous n'y avons rencontré aucune trace d'ateliers flexibles). Enmatière d'usinage, la première génération de l'automation est constItuéeprincipalement par des automates programmables. Ceux-ci sont mis au centre demachlOes-outils et leur permettent de répéter un même cycle d'opérations. Cettegénération semble assez largement introduite en Argentine où elle ne pose pas deproblèmes particuliers. Nous avons rencontré aussi des automates programmable~en Uruguay. .

L'augmentation des capacités de traitement et de mémorisation offertes l?arl'informatisation a permIs de changer la nature de ces automates et de produire lesmachines à commande numériques. L'automate pro~rammable donne desinstructions simples qui conviennent mieux à une machlOe spéciale, c'est à direune machine limitée à la production d'une seule pièce. L'mformatique de lacommande numérique permet des infinités de mouvements et donc s'adapte bien àdes machines universelles. Avec la commande numérique apparaissent desmachines qui sont plus universelles que ne le sont les machlOes-outils classiqueset permettent donc de réaliser plus d'opérations.

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Au plan de la manipulation, sont d'abord apparus les bras manipulateurs quipennellent d'extraire des pièces de ~resses ou de moules. Prenant des pièces damleur matrice, ces manipulateurs n ont donc pas à tenir compte de déviationséventuelles de la p'ièce à saisir. Leur programmation .'le limite à modifier la main erfonction de la pièce à saisir. Automation très simple, les bras manipulateursrendent de grands services, à tel point qu'on leur dOlme assez souvent fe nom derobot dans les usines visitées. En effet Ils servent à réduire le nombre de postesdans des secteurs de travail monotone en ambiance nocive (presses, fonderie).L'étape suivante est celle du robot proprement dit. Nous avons vu en Argentineune diz.aine d'exemples de robots de la demière génération. Une partie d'entre eUllservaient à souder des éléments d'automobiles, l'autre partie sélectionnait etpositionnait des composants électroniques sur des circuil.'! Imprimés. Par principe.le robot effectue des déplacements analogiques des mouvements humains. Il peulles apprendre à partir de l'enregistrement de déplacements commandésmanuellement. Dans les fail.'!, les robots que nous avons rencontré dans l'industrilélectronique, que ce soit à Buenos-Aires ou en Terre de Feu, accomplissentleullmouvements à partir d'un programme. Ceux que nous avons vu dansl'automobile correspondent davantage au principe, mais leur mise en œuvre estbeaucoup plus problématique. Il faut bien dire que la réalisation de tellesperformances eXige une partie informatique plus complexe et plus lourde que damla commande numérique. Et bien que le principe en soit simple, la programmationest en fait beaucoup plus délicate que dans la commande numérique.

Les instruments de mesures se transforment avec l'automation. Tout automatedigne de ce nom a besoin d'informations sur son environnement: c'est le rôle de~

palpeurs de les lui fournir. Ceux-ci peuvent être de simples contacts électriquescomme celui qui enregistre que la porte d'un ascenceur est bien fermée. Ilspeuvent être plus complexes : cellules photoélectriques, indicateurs depositionnement, de déplacement, de vitesse, (Je température etc... L'introductionde l'informatique dans les ateliers va aussi apporter une révolution avecl'apparition d'instruments de mesure qui disposent d'une puissance de calculcornnle les visualisations. Ces appareils permettent de calculer les différentes cote:d'une pièce à partir d'un point de référence spatial. L'appareil utilise un systèmeoptique de rayons lumineux et de cellules photo-électriques pour prendre cesmesures liés à un calculateur électronique. Nous avons pu voir plusieurs appareil~

de visualisation, dont l'un avait été réalisé par l'utilisateur lui-même à partir d'unsystème d'optique acheté en Europe et d'un calculateur de production nationale.Ces incursions dans la production d'automatismes sont une condition importantede la maîtrise des technologies nouvelles.

Dans des phases plus développées dont nous avons pu vérifier la présence enArgentine, l'appareil est capable de produire directement une représentations~atiale de l'objet grâce à une table tra~ante qui lui est jointe. De tels systèmess approchent de très près de la conception assistée par ordinateur (CAO, ou enanglais CAO). En effet, il suffit alors d'injecter des mesures fictives pour obtenille dessin, puis le programme d'une pièce à créer. Ce dernier pas est franchi dansune entreprise de mécanique lourde et deux d'électronique que nous avonsétudiées, et probablement dans l'industrie militaire.

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La ligne du bas de notre tableau représente plus une utopie qu'une réalité.Désonnais, on possède les instruments pour produire des calculs de pièces nonencore usinées, des appareils pour usiner des pièces à partir de calculs et d'autretà même de réaliser les déplacements automatiques de ces pièces d'une machine àl'autre. La tentation est alors grande de lier le tout pour créer un atelierautomatique capable de réaliser n'importe quel objet sans autre interventionhumaine que celle 9ui a consisté à en créer le modèle sur un ordinateur et l'ordrede produire. Ceci s appelle Fabrication Assistée par Ordinateur (FAO, ou CAMen anglais) et, dans la version achevée, atelier flexible. Disons tout de suite quenous n'avons rencontré ni l'un ni l'autre dans le cône Sud encore qu'il paraissequ'il y existe quelques systèmes de CAO/FAO. L'atelier flexible est encoreaujourd'hui plus un objet d'expérimentation qu'un appareil de production. Eneffet, même dans les pays les plus en pomte, les problèmes de gestioninfonnatique de la masse d'infonnations nécessaire au fonctionnement de cesensembles complexes sont loin d'être résolus. L'intégration est certainement pOUlaprès-demain; dans l'immédiat, il nous semble que les progrès majeurs vont seproduire dans des combinaisons moins ambitieuses des mstruments issus de nostrois différentes colonnes.

Niveaux d'automation atteints en Argentine

Le tableau suivant résume ce que nous venons de dire sur les niveauxd'automation dans les domaines (l'activités couverts par notre recherche. Ilréorganise ce que nous venons de dire mais en couvrant trois branches: lamécanique, la cbimie et les banques, et en considérant non la modernité (dated'apparition), mais le niveau d'automation.

Il est facile de voir que ces branches d'activités en sont à des stades très différentld'automatisation. L'essentiel de la chimie se fait en mode entièrementautomatique, même si nous avons vu des ateliers dont la production s'apparentedavantage à celle d'un laboratoire afin de ne produire qu'à l'échelle du pays. (Onretrouve encore là ce choix contestable qui autorise des prix de revient très élevé~

à une production. pour peu qu'elle soit nationale). La mécanique, de son côté, estle domaine de la mécanisatIon. Elle engage une révolution qui ne la mène qu'àl'automation partielle, les ateliers flexibles faisant partie de la (>rospective des pay~les plus développés et a fortiori de l'Argentine. La situatIon est encore trèscontrastée pour les banques où la mécanisation n'a jamais représenté qu'une partietrès limitée d'une activité très largement manuelle ~ou, ce qui revient au même,intellectuelle). Actuellement. nous y assistons à 1introduction massive d'uneautomation partielle, l'ordinateur prenant en charge toute une partie des écritures edes calculs effectués autrefois par les employés. Il est intéressant de noter que déjise pointent en Argentine des automatismes totaux avec l'apparition de quelquesbilletteries automatiques qui penneltent d'effectuer des retraits de fonds sans autreintervention humaine que celle qui consiste à fomlUler la demande, de façoncodée, il est vrai.

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NIVEAUX D'AUTOMATISATION D'EQUIPEMENTS PRODUCIlFS

2 DegréFILIERES TECHNIQUES

d·eu(omeUon

mécanique chimie banques

MECANISATION mechl ne- outil lebore(olrll clllcul11(rlce

AIITOMATION commende numé - ordlne(eurPARTlnlE robot

AIITOMATION eteller nex1ble procu, bl11elerluTOTAlE eu(omeUqun

La sélection des équipements devant faire partie de notre échantillon auraitlogiquement pu s'appuyer sur le niveau d'automation. Nous aurions pu retenirl'automation partielle ou l'automation totale. Un tel choix nous aurait contraint Drejeter une des trois branches de l'échantillon. La mécanisation n'existepratiquement pas dans les banques, l'automation partielle est un concept inconnuen chimie, etl automation complète une chimère en mécanique. De plus, une tell(sélection ne retient pas ce qui fait précisément problème. En effet, res biUetteriesautomatiques ne posent pas plus de difficultés aux banques que l'introduction del'ordinateur dans la gestion des virements. Le niveau d'automatisation de ces demopérations est pourtant très différent. La chimie se trouve à un niveaud automation souvent très supérieur à celui de la mécanique, il n'empêche que lamaitrise de l'automation partielle en mécanique est souvent moins achevée quecelle de l'automation totale en chimie. C'est que le problème actuel qui se poseaux entreprises d'Ar~entine comme à celle.'! des autres pays n'est pas de parvenir iun niveau donné d automation, mais d'intégrer une nouveaut~ qui tend à segénéraliser à toutes les branches: l'informatisation de la production.

Sélectionner nos cas selon un degré donné d'automation aboutit à éliminerd'emblée certains secteurs importants de l'activité économique et ne correspondrapas à notre option qui consiste à choisir ce qui est neuf et qui fait problème. Ledénominateur commun le plus intéressant pour notre propos est assurément lepassage à l'informatisation. Cette révolution technologique transversale est décritedans le tableau 3.

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INFORMATISATION DE LAPRODUcnON: LA MODERNITETEOINIQUE

3 Deor6 deFILIERES TECHNIQUES

modernlt6

mécanique chimie banques

MECANISATION mllChl ne-outil - CIlh:ulatrlce

l°AUTOMATION automate proora autom. proore -

INfORMATISATION comlll8ooe num6 plloteoe ordinateurrobot automatique

La ligne du bas rassemble les technologies sélectionnées.

La première automation ne correspond plus à un découpage fonctionnel commedans le tableau n02. Elle correspond à une temporalisahon des changements. Lachimie est entrée d'emblée dans une automation très accomplie, celle que nousap~lons totale dans le tableau 2. Depuis un certain temps, cette automationbéitéficie d'automates JJrogrammables du même type que ceux que nous avonsdécrits en mécanique. Elle n'avait en fait pas attendu la mise au point de cesautomates pour parvenir au process, c'est à dire à cet état d'automation quasicomplète. L'entrée de l'informatique permet la mise en place de systèmes depilotage automatique du même type que ceux qui fonctionnent dans les avionsmodemes. Ces appareils tendent à prendre toutes les décisions nécessaires aumaintien de la production selon les normes imposées. A la limite, ils permettent dese passer du pilote humain qui n'est mamtenu que pour parvenir à uneoptimisation encore meilleure et aussi parce qu'on adolet mal de laisser des engimtrès dangereux dans des mains non humaines. Nous n'avons analysé que troisautomatismes de ce type dans le cône sud. Nous pensons qu'il doit s'en trouverquelques autres, tant ceux-ci sont courants en Europe dans la chimie, laproduction d'énergie et l'alimentaire. Les exemples sont nombreux où de telssystèmes, insérés dans des structures reu prêles à les recevoir, se voientdéconnectés pour revenir à une conduite en mode manuel. Sur ce point,l'Argentine ne fait pas non plus exception à la règle.

Le fait de choisir l'informatisation présente des avantages de facilité. Quelle quesoit la branche choisie nous allons retrouver sous différentes formes la mêmetechnologie. Ainsi, nous serons face aux mêmes J>roblèmes. La facilité ne saurailcependant à elle seule justifier un choix. C est l'aspect stratégique de la

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conversion qu'impose l'infonnatique, et en même temps, la difficulté de cetteconversion, qui nous poussent à voir de près comment dans certains cas on peutarriver à vaincre les obstacles au bon fonctionnement de telles machines. Nousavons malheureusement constaté dans les chapitres précédents que cette réussiteest loin d'être évidente.

L'informatisation de production a des caractéristiques communes dans desbranches aussi différentes que la banque, la chimie ou la mécanique. Elle pennelune augmentation sensible de la qualité et de la fiabilité de la production, elleaugmente la flexibilité de l'entreprise et réduit son tem{'s de réaction auxmouvements du marché. L'introduction réussie de l'informatique dans un sectemdonne à son auteur un avantage relatif si considérable que la concurrence se doi.alors d'en faire autant. Il importe donc de bien prendre la mesure des difficultésque présente une telle introduction. Il devient stratégique pour un pays d'avoir d~entreprises capables d'y faire face.

L'informatisation de la production est comp'Jiquée du fait même de la transversalit(technologi(j!le qu'elle implique. En effet, Il ne s'agit pas d'un changement au seirde la techni()ue antérieure, ni même d'un chaneement de technique mais del'intégration à la techni()ue exisrante de deux techmques autres (l'électronique et laprogrammation). Ceci pose naturellement le problème d'acquérir les savoirscorrespondant à ces deux nouvelles techniques. D va de soi que la position relativ(d'une entreprise va rendre plus ou moins co()teuse la résolution de ce premierproblème. Mais la transversalité de l'infonnatigue de production obligel'entreprise à l'0sséder un bon système de communications externes et internespuisqu'il s'agit de faire fonctionner ensemble des travailleurs de spécialités etstatuts très différents. Or cela est loin d'être toujours évident puisque,communications et pouvoirs sont liés. Beaucoup d'entreprises ont des systèmesde pouvoirs intemes qui les rendent totalement iitcapables de passer réellement àl'infonnatique de production.

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Le soit-disant déterminisme technique

D'abord, il nous faut enf.ager le débat par une phrase un pt;u polémique: lechangement technique n a aucune conséquence sl'clale dans l'entreprise. Pourchocante qu'elle puisse llaraÎtre, cette affinnation est simplement à hi base de lasociologie telle que Durlilieim l'a édifiée en science autonome. Il est tout à fait vaude s'interroger sur l'effet du changement technique sur les qualifications, laconscience ouvrière, les stratégies ou l'efficience des entreprises. La machinen'est (las un acteur social, elle ne produit rien socialement parlant. EUe est en failproduite par le corps social et cette production même qui peut ou non bouleverselles rapports sociaux dans l'entreprise. Un tel postulat devrait constituer le point dedépart de toute recherche sociologique sur le changement technique, mais ilsemble les principes mélasociaux survivent à ceux qui, à la fin du siècle dernierfondèrent notre discipline (DURKHEIM).

Cest une formulation trop courante, parce que facile, qui pousse à rechercher leIconséquences de telle ou telle innovation technique, en feignant de ne pas voir quele changement lui même est produit par des acteurs qui clierchent à le confonner,en fonction de ce qu'ils croient être leurs intérêts. Il faut dire que, malgrél'éclairage donné par DURKHEIM, le rapport entre social et technique n'est pasévident. TI fait l'otijet de débats sans cesse renouvellés auxquels il nous faut bienapporter notre contribution.

En matière de nouvelles technologies, les théoriciens semblent avoir épuisé lesressources de la rhétorique pour défmir le rapport entre la technique et le social, lamachine et l'organisationnel. On a commencé par présupposer une implication dusecond (lar le premier, puis on a courageusement essayé de se dégager dudétenninisme tèclmologique. L'effort concelltuel semble si achevé que plus aucunauteur, fut-il ouvertement marxiste ou apologue du progrès, n'accepte au planthéorique cette liaison univoque du technique et de l'humain. A tout le moins, on .trouvera des médiations. Mais dès lors que l'on passe à l'analyse de cas onretombe avec délices dans les problématiques déterministes. Quand un ministèreexprime une demande de recherche en matière de nouvelles technologies, ill'exprime invariablement en terme d'études des co~ences de ces dernières. Acharge pour les auteurs de traiter la question de 1indétennination dans lesconsequences observées. Cette formulation du problème n'est pas hexagonale,elle est très largement mondiale. Cest si vrai que les Brésiliens ont inventé une

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nouvelletrofession : "impactiste". Il s'a~it des personnes qui se donnent pourspécialit d'étudier l'impact, c'est à due les conséquences, des nouvellestechnologies.

D'où vient la difficulté de faire correspondre le discours théorique avec l'analyseempirique 1 La sagesse consistemit à abandonner une théorie que la réalité semblerécuser. Avec hésitations, les chercheurs ont tenté de trouver un point plusconfortable dans l"axe déterminisme-indéterminisme de la relationtechnique-social. Le problème est que malgré leurs réticences, ils ont abouti àl'extrêmilé non déterministe de l'axe en question. Ils n'y sont parvenus que parceque la réalité (ou du moins l'observable) a pris soin de démentIr la justesse de toulautre point de vue. Mais le discours cournot, et les habitudes de IJC.Ilsée restent lmlargement ancrés sur une conception déterministe de la relation technique-social. Dy a en cela une bonne mison, concrétement le technique est intimement liée ausocial, disons plus précisément qu'il ne saumit exister de technique sans unesociété pour la mettre en œuvre. Le technique ne détermine nullement le social,mais nous n'observons jamais l'un sans l'autre. Nous les lions I!arce qu'ils sonlliés. L'erreur consiste à tmnsformer cette liaison en un détermimsme de l'un parl'autre.

MARGLIN dans une thèse célèbre avait retourné la 'proposition marxiste selonlaqueHe le capitalisme découlait logiquement de l'mvention de la machine àvapeur. Pour lui au contmire, la machine à vapeur avait été inventée par lescapit.1listes pour imposer leur domination sur la société. Il avait donc inversé lesens du déterminime technitJUe en un déterminisme social. Pour séduisante qu'ellesoit théoriquement, cette tlièse est en fait plus faible que celle qu'elle prétendrejeuer: elle donne un pouvoir trop grand à l'acteur patronal. Combiend'mventions peuvent être rangées dans la catégorie "creation de la classedominante pour défendre sa domination"11l faudmit une intelligence sur-humaineà l'acteur {Jatronal pour inventer, à tout coup, la technologie qui va servir sesbuts. Le Jeu est plus complexe et les mnovalions technologiques sontgénémlement l'occasion de reaéfinition du jeu des mp~rts sociaux. Si )'évolutiordes techniques n'a pas produit une améhomtion continue de la société, il estdifficile de soutenir qu'eUe ait permis à une classe de renforcer de mieux en mieuxson emprise sur les autres.

En fait Marglin, comme Marx, fait du social une variable isomorphe du technique.C'est oublier que le social n'est pas une variable de la même nature que celle quepeut construire l'épistémologue, c'est une variable qui peut agir sur elle-même. usocial est la résultante de forces qui s'accordent ou s'opposent. Il inclue jusqu'authéoricien qui ne peut rien prodUIre hors de lui. Le technique est avant tout unereprésentatIon, une clé de classement de I!hénomènes observés. Sa définitiondépend donc de celui qui le pose. Le techrllque est doublement produit, produitréel d'une société donnée, produit idéel d'un analyste qui cherche à rendrecompte de cette même société.

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Cette réflexion nous conduit à tenter de sortir du piège dans lC<luelles fbéoriciemdu changement technique se sont enfermés. Parler de détermmisme technique,c'est poser un technique extérieur au social, c'est à dire en fait un technique qui S(

situerait en dehors du champ obselVable, puisque nous ne le saisissons guère qu'ltravers des objets socialement produits. Les contraintes techniques ne sont quedes contraintes ~ue l'homme se donne à travers les instruments qu'il produit PlU!l'utilisateur de IlOstrument technique est étranger à celui qui le prOduit, elus lacontrainte technique apparait comme une donnée exogène, un absolu qu il fautprendre en compte dans la mesure où on veut se selVir de l'instrument

Plus l'utilisateur de l'instrument est proche du producteur de la technique, plus le~contraintes techniques sont assimiJables à des rapports de forces et (les Jeux dené~ociations, au sein d'une organisation. Dans une situation de proximité del'utilisateur et du producteur, il serait naïf de postuler la neutralité de la techniqueet de ne pas voir qu'elle sert probablement le jeu institutionnel de ceux qui laproduisent Or les situations que nous étudions sont précisément des situations oùles utilisateurs participent plus ou moins à la production de l'instrument. Mêmelorsqu'on tend à les exclure de cette participation, on ne peut em~cher qu'ilscontribuent à la définition de l'instrument soit à travers la modification desprogrammes soit à travers des tours de main qui modifient les procéduresopératoires prévues. Les ensembles techniques que nous étudions ont commecaractéristique d'être le résultat d'une production collective dans laquelle lesentreprises utilisatrices jouent toujours un rôle important. C'est pour cette raisonque nous les appelons des construils techniques.

Le construit technique

Une machine à commande numérique n'est jamais une machine standard. Mêmelorsqu'elle est produite en série, chaq,ue machine diffère des autres par lesprogrammes et les outils qu'elle utilise et qui souvent représentent unmvestissement plus important que la machine même. Ceci vaut également pour l~robots ou n'importe quel système technique pour f>Cu qu'il soit piloté parordinateur. Ces machines pourraient être standardisées (lans leur partie matérielleelles n'en resteront pas moins individualisées dans leur partie immatérielle. Orcette partie immatérielle est généralement plus conséquente que leur partiematénelle. 11 convient donc de prendre mesure de la vérita6le nature deséquipements que nous étudions.

L'analyse économique est un moyen de donner précisément une mesure, un poic:bentre le matériel et l'immatériel. Les équiJ?Cments que nous étudions coQtent tousbeaucoup plus cher en constitution de Caliler des charges, conception, négociationdes achats, programmation et conception des changements à y apporter qu'enachat de machines. Nous restons généralement fixés sur la partie visible des

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équipements, ce faisant nous tendons à leur attribuer une nature qui n'est pas laleur. Si l'informatisation de la productlon coOte si cher, c'est qu'elle incorpore laces derniers une partie immatérielle beaucoup plus conséquente que leur partiematérielle. L'informatisation d'une production modifie l'essence même del'instrument productif, elle en change considérablement la nature. Il importe doncde mettre au point des instruments d'analyse adaptés à ce changement d'essenceou de continuer à ne voir dans les changements actuels que la partie quiprécisément ne bouge pas.

Ce changement d'essence nous contraint à redéfinir notre objet de recherche. Lesimple fait d'avoir choisi des équipements productifs informatisés nous a faitbasculer d'une essence matérielle à une essence largement immatérielle. De quoisont fail'l ces équipements 1 De métal et de plastique certes, mais bien davantagede réflexions, de calculs, de procédures, oe programmes et de tours de mains.Cela était déjà un peu vrai (les machines antérieures mais il '1 a eu un sautquantitatif et un saut qualitatif. C'est un fait nouveau que la partIe immatérielledépasse systématiquement la partie matérielle en coilt. C'est aussi un fait nouveauque la multiplicatIOn des lieux de cristallisation de la partie immatérielle. Lacomplexité de ces équipements est telle qu'ils mobiltsent beaucoup plus depersonnes différentes que les instruments traditionnels. De plus l'entreprise tend ~

maintenir un lien plus soutenu avec les vendeurs de l'équipement afin (le s'assurelde son bon fonctionnement, faire face aux pannes et faciliter l'introductiond'améliorations voire de transformations du matériel.

Cette multiplication des lieux de cristallisation de la partie immatérielle deséquipements aboutit à une dispersion géographique. L'équipement ne se trouvepas uniquement dans le lieu de sa partie maténelle, il existe toujours partiellementdans différents services de l'entreprise, voire chez les fournIsseurs. Se couperd'un des lieux de cristallisation de la partie immatérielle crée un risqued'incomplétude de l'instrument au même titre que le manque d'une piècephysique.

Revenons enfin sur la nature de la partie immatérielle pour noter deux points.D'une part il convient de séparer ce qui e.'It formalisé de ce qui re.'Ite non écrit. Leformalisé tient dans des procédure.'I, manuels, notices et programmes écrits. Entant que tel il est plus facile à maîtriser. Les entreprises se plaignent d'ailleurssouvent du manque de documents sur le matériel qu'ils achètent. Ce manqueapparaît comme augmentant la dépendance aux vendeurs d'équipements. Il estplus difficile de définir la nature de la partie non formalisée de l'équipement nonmatériel. Nous l'appelions ici savoir car ce mot recoupe toutes les représentatiomqui en sont faites sous les mots de savoir-faire, d'expérience, de connaissancesempiriques ou théoriques, de formation sur le tas ou à l'école. La partie nonformaliSée et non matérielle d'un équipement productif informatisé se réduit la de!savoirs possédés par des Individus dilTérents relevant d'organisations dilTérentes.La difficulté majeure dans la mise en œuvre de ces équipements consiste

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précisément dans la mobilisation de ces savoirs en un savoir collectif constituantainsi le véritable capital technologique de l'entreprise.

Nous résumerons ce chapitre en appellant "construlls techniques" les équipementsque nous analysons. Le tenne de ' construit" rend bien compte du fait que chaqueéquipement correspond à une œuvre unique produite par l'action de différentsacteurs. Le mot "équipement" réfère davantage à un objet matériel ou physique, lemot "construit" nous pennet d'intégrer dans notre représentation la partieimmatérielle de ces équipements. Enfin surtout le mot construit insiste sur leprocessus de production de ces instruments productifs, le construit est un résulta"d'action nombreuses et passées, son fonctionnement dépend de la plus ou moinsbonne articulation de ces actions entre elles, ce que nous exprimerons à traversnotre hypothèse.

Il nous faut revenir sur un mot prononcé dans ce dernier point, celui de capitaltechnologique. Ce mot est en fait trop chargé de connotations théoriques voireidéologiques différentes pour 9ue nous ne prenions pas la peine de le situer dan~une perception globale de 1entreprise. Partons donc briévement dans uninventaire des différentes natures du capital d'une entreprise.

Le capital de l'entreprise selon ses dilTérentes natures

Le capital fmancier est de nature économigue, il est entièrement entre les mainsdes propriétaires de l'entreprise et sa mobilisation dépend de leur stratégie proJ?re.Elle peut donc suivre une logique tout à fait étrangère à l'entreprise. Le capItalimmobilier et mobilier (essentIellement bâtiments et machines) est de naturephysique. Concrètement il se trouve entre les mains du chef de l'entrep'rise qui ena la jouissance et peutie mobiliser autant qu'il est physiquement possIble, c estltseul capital que le chef d'entreprise peut mobiliser unilatéralement, sans avoir àpasser par une négociation avec ses salariés, ou, ce qui revient au même unerelation. Le capital humain est de nature éminemment sociale, sa mobilisationpasse à travers une relation de pouvoir qu'on peut définir comme contractuelle àcondition de ne pas retenir que la sigmficatlon juridique de ce tenne. Capitalcom{José par des acteurs, il est plus mettant que mis en œuvre. Si sa mobilisationparaIt souvent problématique c'est qu'il a autant de logiques d'action que(l'acteurs. Enfin au centre de notre pro61ématique se trouve la culture technique,capital de nature soit matérielle soit immatérielle. Les brevets, programmes,prOcédures, règles écrites ont la nature de leur sllfport matériel et se mobilisentalors exactement comme le capital mobilier. 1 n'en est pas de même pourl'expérience, les tours de main, savoir-faire et informations non formalisées (sanssupport autre que le système nerveux humain). Leur mobilisation passe donc patdes relations sociales. La partie immatérielle de ce capital culturel ne peutcependant s'assimiler complétement au capital humain de l'entreprise puisguenombre de ses supports humains ne sont pas salariés de l'entreprise. Lesvendeurs de machines, conseils extérieurs, personnels de service pos~dent à n'er

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pas douter une part appréciable du capital technique immatériel de l'entreprise santen être membres. La réussite dans la mise en œuvre de systèmes I?roductifscommandés par ordinateur passe par une mobl1lsation d'hommes qUi dépasse lecadre étroit de l'entreprise.

Le capital technique immatériel ou capital technologique, constitue donc une desrichesses p-rincipales des entreprises et plus particulièrement de ceDes 9ui utilisenll'informatique de production. Ce capital ne craint ni les dévaluatIOns ni lesfluctuations monétaires. Plus il est élevé, {Jlus la faculté de chan&ement del'entreprise est forte, en quelque sorte c est un capital qui cramt moinsl'obsolescence que les instruments physiques.

Mais le capital technologique est aussi d'une très grande fragilité, puis9u'i1 reposesur la bonne volonté de ses porteurs lesguels appartiennent ou non à 1entreprise,lesquels sont également susceptibles de partir ou disparaître en ayant ou nontransmis la parcelle qu'ils possédent. Porté par un nombre mdéterminéd'individus, le capital technolo&ique tient sa pnncipale force et sa principalefaiblesse de son caractère collecttf; ce caractère collectif est également ce qui enrend l'analyse particulièrement ardue.

Les savoirs de l'informatisation: une alTalre concctivc

La réflexion sur les savoirs nécessaires à l'utilisation d'une teclmologie achoppesur la difficulté à intégrer l'aspect collectif de ces savoirs. Le cas de l'artisantravaillant seul au moyen de son propre outil est devenu rarissime, il sert pourtanlde rérérence constante, même si elle est peu avouée, dans toute discussion sur I~savoirs nécessaires. Dans ce cas de figure théorilJ.ue l'ouvrier doit puiser en lui elen lui seul ,les procédés de maniement de son outil. Tout nouvel outille laisserai­donc désemparé et impliquerait le recours à une formation spécifique.L'expérience montrant que, bien souvent, des outils entièrement nouveaux sevoient intelligemment utilisés sans recours à la formation, des auteurs ont dé~agéavec justesse le rôle que peut jouer le bricolage dans l'apprentissage et la maltrisede nouveaux équipements. Certains notent éfalement que ce bricolage estcomballu par les llpécialistes, dans la mesure où i retire à ces derniers l'exclusivit(de la connaissance des machines. Une des méthodes utilisées consisterait à lentelde dresser des barrières symboliques en donnant le sentiment que, par exemple, lapartie électronique des machines constitue une boite noire impossible à bncolersauf par les initiés (SAHLINS). Ainsi l'inté~ration des nouvelles technologies seferait à travers des stratégies de spéciahsation et de dressage de barrièressymboliques ou de bricolage et d'essais et erreurs. Cette vision des choses nousparaît convenir au cas d'instruments qui ne nécessitent pas la coordination deplusieurs acteurs dans leur mise en œuvre. Elle tend à fixer l'instrument commeImmuable, produit extrinsèque à l'institution qui l'emploie. Ce cas de figurecorrespondrait par exemple à une machine à commande numérique parfaitementau point, c'est à dire qui ne pose pas de problèmes particuliers d'entretien ou de

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conduile et que l'entreprise utiliserait à faire des pièces très similaires à celles don°les programmes ont été fournis au moment de la livraison. Dès lors l'outiln'évolue pas et l'entreprise ne cherche ras à tirer le maximum de ses potentialitésDans un tel cas de figure, le personne a toutes chances de continuer à maintenirles conduites antérieures avec le matériel nouveau, ce faisant le changementtechnique se réduit au changement de machine. En quelque sorte, il y achangement de machine mais pas chan,gement social, les salanés ne se sont Ji'asvraiment adaptés à la machine, il faudrait plutôt dire que c'est la machine qui s estadaptée aux salariés en devenant aussi semblable que possible à la machine qu'ellea remplacée.

Tout autres sont les cas que nous étudions. Il s'agit de chan~ementsdans lesquelsl'instrument est au moins partiellement défmi par l'entrepnse. Nous avons, (lamle chapitre précédent, insisté sur le type de changement technologigue quiconstitue notre objet. Nous étudions de vrais changements c'est à dire deschan~ements sociaux, des changements où la nouvelle machine ne singe pasl'anCienne mais ouvre de nouvelles possibilités productives au prix demodifications dans les manières de faire et de penser dans les entreprisesconcernées. C'est pour cette raison même qu'ils nous a fallu discuter aussilongtemps de la notion de changements réussis. Il ne suffit pas d'acheter unemachine révolutionnaire pour connaître une révolution dans l'entreprise. Cesll'inverse, il faut savoir faire une révolution organisationnelle pour bénéficier despossibilités révolutionnaires d'une machine.

L'infonnatisation de la production est une possibilité ouverte grâce à des progrèsconsidérables acquis tant en électronique qu'en programmation. MaiS cetteinfonnatisation n'est possible que par une modification des systèmes decommunication internes aux entreprises. On voit bien C}u'il est impossibled'automatiser, c'est à dire d'objectiver une quelconque actiVité humaine sans quecette activité elle-même ne soit obligée de se modifier. Comme dansl'infonnatisation il y a objectivisation ô'échanges d'infonnations entre desservices différents, cela signifie que ces même services doivent modifier leurcommunication. En quelque sorte il ne peut y avoir informatisation de laproduction sans changement organisationnel.

Cette réflexion repose la question de l'aspect collectif des savoirs que nousétudions. Les outilS observés ne sont 'pas mis en œuvre par des indiviaus isolésde leur contexte. Ils sont au contraire l'objet d'interactions constantes entreprogrammeurs, opérateurs et ~rsonneld'entretien. De plus, ils sont généralementobjet d'une attention particulière d'ingénieurs qui cherchent à mieux les utiliservOire à les modifier. Ces activités se croisent en se reconnaissant ou en s'ignorantChacune de ces activités est basée sur des connaissances, mais aussi productricede connaissances nouvelles. En quelque sorte, l'entreprise J!Ossède un capital deconnaissances de l'outil qui est réparti entre plUSieurs mdividus. Dire guel'entreprise possède ces connaissances est un peu fonnel puisque, aussi bien,

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certaines connaissances peuvent donnir dans le cerveau de certains de sesmembres et ne jamais en sortir. Le capilal de savoir est donc simplement unepotentialité qui dépend de la capacité de l'entreprise à mobiliser ses salariés.Soyons plus précis, le savoir qu'a un individu donné sur l'outil est souvent trot:partiel pour être vraiment opérationnel. Pour des oPérations coml?lexes, il est plusperfonnant de mettre à travailler ensemble plusieurs salanés aux savoirscomplémentaires, comme, par exemple, les savoirs qui s'acquièrent à resterconstamment aux côlés de la machine, et ceux qui s'acquièrent sur les bancs del'école. Ceci revient à dire que le savoir que peut éventuellement mobiliserl'entreprise n'est pas la somme de savoirs individuels mais la mise en relation desavoirs individuels. Tirer les conséquences logiques de ce raisomlement revient ~abandonner la notion de savoir comme attribut attaché aux personnes~ur en faireune potentialité de l'organisation. Cest ce savoir comme potentialtté que nousappelions capllal technologique d'une entreprise.

Retenons que la mise en relation de savoirs individuels a lout intérêt à dépasser Ifcadre étrOIt de l'entreprise pour profiter d'apports extérieurs comme ceux quipeuvent provenir de constructeurs. La possioilité de mobilisation n'en reste pasmoins une potentialité qui lui est propre, ce qui revient à dire que l'ouverture duréseau d'échanges de savoirs n'impltque pas la dépossession de l'entreprise deson capital technologique.

Le capilal technologique d'une entre.prise est défini par l'aptitude de cette dernièreà mettre en œuvre des machines. Il s'agit d'un capital immatériel, un capital quiéchappe à tout effort de comptabilité. Si dans une entreprise artisanale, il peULrésiùer entièrement dans le cerveau d'un individu, il est en général plus diffus aupoinl de poser des problèmes de localisation. En effet, étant une aptitude, lecapilal technologique ne se résume pas à une somme de connaissances Ihéoriqu~et expérimentales, il est avant tout un moyen de produire des connaissances parJ'échange de savoirs existanls. L'aptitude à gérer des ensembles techniquesinfonnatisés consiste surtout à faire face à des problèmes plutôt qu'à appliquer de!recelles. La conduite en situation nonnale apparaît comme une chose souventsimple à apprendre, les difficultés surgissent des l'annes, incidents ou besoind'adaptation du matériel à de nouveaux produits. Si une entreprise peut à unmoment prendre de l'avance sur les autres, c'est qu'elle arrive plus rapidementque les autres à trouver des solutions pertinentes à ces difficultés. L'essence deson capital technologique réside donc dans sa capacité à produire des solutions,c'est à dire à créer du savoir faire collectif.

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LECAPITALlECUNOLQGIOUECOMMESAVOIRCQLLECI1F

L'aptitude à faire fonctionner des systèmes techniques est d'abord l'aptitude àproduire des solutions aux problèmes qui se posent. ,Cette aptitude est d'autantplus forte que l'on possède les savoirs liés à la conduite quotidienne de lamachine, ce qu'on appelle les savoir-faire pratiques et les savoirs liés à laconception de la machine, c'est à dire la connaissances de ses principesconstitutifs (LEBAS, MERCIER). La production d'un savoir nouveau pertinentsera beaucoup plus rapide s'il y a échange entre les acteurs en possession de cessavoirs. La principale difficulté d'une telle communication directe réside dansl'éloignement géographique et institutionnel de ces deux types d'acteurs, le savohde conception étant naturellement concentré chez les producteurs de machines et Ifsavoir faIre pratique présent plutôt chez les utilisateurs. La communication directeentre ouvriers de production et techniciens de conception donne souvent desrésultats surprenants en matière de constitution de savoir-faire ~ONBILAJ,RUFFIER, SUPERVIELLE, VILLAVICENCIO, 1985). Mais la dIfficulté d'unetelle communication ne saurait être oubliée. En effet, une teUe communicationdirecte n'est que rarement prévue par contrat entre le constructeur et l'utilisateur.Elle nécessite qu'une relatIon partIculière se crée entre les intéressés au moment,par exemple, de l'installation du matériel, et que ces derniers décidentspontanément d'échanger au-delà du simple apprentissage de la conduite ensItuation normale. Or il n'est pas évident pour un agent du constructeur de p'arlerd'emblée des points faibles du matériel avec un agent de l'utilisateur. Déjà dlfficiltau moment privilégié de l'installation du matériel, cette communication devientaléatoire quand il s'agit de la réinstaurer au-de à. Pour qu'elle fonctionne ilfaudrait par exemple ~e les salariés de la ~roduction aient le droit de téléphonerau constructeur, qU'Il sachent à qui s adresser et lJue leur contact avecl'interlocuteur soit suffisamment bon 'pour que la réponse demandée soitapportée. Dans la plu~art des cas, la repnse de cet échange ne peut avoir lieu quepar rappel du technicien du constructeur par l'entreprise utihsatrice, démarchebeaucoup plus longue et certainement plus coateuse.

Avec l'informatisation de la production, le renforcement du capital technologiquede l'entreprise rencontre des difficultés additionnelles liées à la multiplicité dessavoirs théoriques en cause et à la mise en cause de l'organisation. TI ne s'agitplus ici de favoriser l'échange entre deux catégories d'acteurs mais de constituerun réseau de transmission et d'échange de savoirs entre spécialistes de latechnique productive, spécialistes de l'électronique et de la programmation etmembres àes différents services impliqués dans l'utilisation de la machine. Cettecommunication ne va pas de soi car eUe s'effectue entre des individus qui utilisenldes codes et des systèmes de références très différents. En effet, il y agénéralement beaucoup de problèmes de langage dans les difficultés qu'ont des

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ingénieurs mécaniciens, des infonnaticiens, des ouvriers etc ... quand ilscherchent à communiquer entre eux. C'est ici que doivent intervenir de vérilable~

traducteurs.

La traduction

Dans un article déjà assez ancien CALLON, a développé la notion de traduction: latraduction serait une opération qui "transforme un énoncé problématiqueparticulier dans le langage d'un autre énoncé problématique" (Callon 1975 p123). Le traducteur est celui qui peut par exemple expliquer en quoi un choix ouune solution technique répond à une demande commerCiale. Il est celui qui peutdire en quoi telle opération dans un service a des conséquences pour tel autreservice. II '1. a par exemple traduction dès lors que des acteurs relevant dedomaines dIfférents (ex. recherche et marketin~)négocient entre eux l'innovationen cours. A bien des égards, cette notion se rapproche de celle dumarginal-sécant.

Le marginal-sécant: Il s'agit "d'un acteur qui est partie prenante dans plusieurss~stèmes d'action en relation les uns avec les autres, et qui peut de ce faIt jouer l(role indispensable d'intennédiaire et d'interprête entre des logiques d'actiondifférentes voire contradictoires" (CROZIER M, FRlEDBERG E,1977, p73). LeIauteurs citent alors comme exemple le voyageur de commerce avec son capital derelations extérieures à l'entreprise, ou le délégué syndical. Cette positionparticulière donne au marginal-sécant un pouvoir considérable sur l'organisationou à l'intérieur de son système d'action. Il maîtrise une des zones d'incertitudeessentielles à l'entreprise, à savoir le contrôle d'une partie de l'environnement. Ilva de soi que cette défmition se raPl?roche beaucoup de celle du traducteur. Maisnous préférons ce dernier tenne qUI nous démarque du point de vue croziérien.Même si cela n'est pas toujours explicite, le marginal-sécant est perçu comme à lafrontière de l'entreprise et de son environnement. Et c'est de cette positionfrontalière qu'il retire son titre de marginal. Le traducteur occupe bien souvent uneposition centrale dans l'organisation. Il se définit plus par sa capacité et volonté deservir d'interprête entre des gens ou des langages différents que par sa positiongéograJlhique. De plus la traduction ne se fait pas toujours synchroniquement,puisqu elle consiste souvent à restituer des expériences et savoirs passés, letraducteur agissant comme interprête entre un ~roupe qui est présent et un groupequi n'est plus. Enfin el cela est central, le margmal-sécant s'identifie chez Crozlelet Friedberg à un effort pour maximiser son pouvoir dans l'organisation par lecontrôle d'une zone d'incertitude. Le traducteur, à l'opposé, sacrifie sa zoned'incertitude puisqu'il rend accessible les savoirs constitués dans le groupetraduit.

La straté~ie du traducteur doit s'entendre au-delà de la simple maximisation dupouvoir Immédiat dans l'organisation actuelle. Le traducteur IJeut endosser lablouse du patron et s'identifier aux objectifs de l'entreprise utilisant la

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lransparence plutôt ~e l'opacité pour asseoir son influence dans l'entreprise. Ilpeut tout aussI bien a(lopter une attitude de retrait par rapport à l'implication dansl'entreprise et considérer que son plaisir est non d'y gaçner de l'autorité mais defaire marcher ces merveilleuses machines. npeut voulOIr apprendre les nouvell~technologies et considérer que ce~ apprentissage lui offre une meilleure chance defaire quelque chose d'intéressant, que l'engagement dans les luttes internesd'influence.

Le traducteur joue donc un rôle essentiel dans la constitution du capitaltechnologique d'une entreprise. Ce rôle appamit d'autant plus efficient que letmducteur ne semble pas chercher à maXimiser .'la posilton stratégique dansl'entreprise mais vise un objectif Q,ui peut paraitre déslOtéressé comme le succèsd'un construit technique, mais qUi en fait contribue à renforcer sa formation àl'informatisation de la production en même temps 9u'i1 accroît et renforce sonpropre capital de relations personnelles dans et hors 1entreprise. Le meiJIeur atoul(les entreprises qui informatisent leur production reposemit dans des salariés donlla stmtégle à moyen tcnne dépasse largement le cadre élroit de l'organisation dan~

laquelle ils sont Opération centmle du construit technologique, l'opémtion detmduction se relrouve naturellement au cœur de notre hypothèse.

Expliquer la ré~teparadoxnle dans l'informatisation de la production

Nous n'allons pas revenir sur les explications classiques qui rendent compte d'unretard dans le développement de l'lOformatisation de la production dans le sud.Nous renvoyons le lecteur à l'introduction. Dans ce point, nous nouscontenterons de reformuler l'hypothèse par laquelle nous prétendons vérifier nommode d'explication de ces réussites.

Notre explication repose sur la conslrUction d'un savoir colJectif par un groupe dtpersonnes extrêmement hétérogènes, mais qui ont en commun de .'le mobiliserpour le succès d'un ensemble technique donné et, à cette fin ,d'échanger sansréticence les informations qu'eUes détiennent

Le savoir en question est, bien sOr, partiellement théorico-technique. Il s'agit desspécialités des différents intervenants qui agissent autour de la machine. Mais cesavoir est avant tout empirico-social, c'est-à-dire qu'il .'le construit ~u à (Jeu aucours d'une histoire qui commence avec le choix et la conception de l'installationconcernée et .'le poursuit dans l'installation, la mise en œuvre, les répamtions et le!améliomtions portées. Chacune de ces étapes a été l'occasion d'un tâtonnement,d'une réflexion et de sUl"J!rises dont le souvenir intégré par ce quasi-groupeinFormel constitue ce savoir collectif dont la 9ualité est de nature à expliquer lesdifférences de succès dans la mise en œuvre d équipements similaires.

L'acteur détenteur du savoir collectif ne constitue pas un groupe au sens de lapsychologie sociale. En effet il ne réunit pas automatiquement toutes les

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personnes concernées par l'histoire d'une installation. Il recoupe celles qui ontservi de relais de transmission de l'infonnation née au cours de chacune desphases. Ces personnes n'appartiennent que rarement à une seule orfanisation. Eneffet le sucœs implique une bonne constitution d'un savoir collecti à travers deI!communications au moins entre les constructeurs de l'équipement, les décideursde l'investissement, les installateurs, les proçrammateurs, les réparateurs et lesspécialistes (conseils techniques etc), ceux qUI ont une connaissance concrète d~produits et ceux qui conduisent l'installation.

C'est l'opération de traduction qui se trouve à la base de la construction de cesavoir collectif à travers les experiences accumulées par les différents acteurs quiinterviennent à un moment ou un autre de la constitution du construit. Notrehrpothèse sera qu'il existe un rapport observable entre la présence ou nond opérations de traduction entre les différentes étapes de la constitution d'unconstruit technique et la qualité de ce construit. Notre mode d'exJ?lication perdraitsa vraisemblance si nous n'arrivons pas à obtenir une représentatIon simplifiée elstandardisée des lieux potentiels de traduction et si nous n'établissions unerelation directe entre le nombre de traductions effectives et la qualité du construitCette procédure un peu lourde nous donne la garantie de la démarche scientifique.notre méthode doit pouvoir être reproductible par d'autres équipes de chercheurs.Elle présente l'avantage que si l'hypothèse résIste à ce test nous aurons en primeun instrument de descnption et (Je diagnostic des construits de productioninfonnatisée.

Vérification de l'hypothèse

Vérifier l'hypothèse consiste d'abord à reconstruire la chaîne historique et établilsi oui ou non l'infonnation sur chaque étape est cumulée par au moins une partiede ceux qui aujowd'hui tiennent en main la machine.

L'existence d'une coupure de la chaîne infonnative est de nature à réduireconsidérablement la qualité de ce savoir collectif. Par exemple le fait de ne pasconnaître les raisons qui ont présidé au choix du matériel peut se traduire par unmanque de possibilités imaginatives quant aux utilisations potentielles del'éqUIpement.

L'hypothèse présul'pose que toute explication reposant sur une cause factuelleunique est réductnce, vOIre fausse. Ainsi, dire que tout vient d'une erreur dechOIX initial revient à nier la possibilité qu'aurait eu un acteur collectifsuffisamment mobilisé d'utiliser autrement que prévu l'équipement. De même, le~hypothèses en tenne de manque de fomlatton des mtervenants font fi del'adaptabilité humaine comme (Je la possibilité de pallier des manques en lamatière q,uand ceux-ci sont correctement identifiés. Or qui mieux que cet acteur unpeu insaIsissable que nous poursuivons serait apte à éclairer sur d'éventuelsmanque en formation?

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Méthode d'analyse

A la suite du premier tour d'horizon, nous avons déterminé qu'un certain nombred'équipements corre.'lJ'ondaient réeUement à une informatisation de la production.Nous avons donc délaissé certains équipements observés soit parce qu'ils necorrespondaient pas à notre définition tectinique, soit paree 9u'ils correspondaienten J?rojet à une informatisation non réalisée dans les faits, car là aussi noussoruons du cadre technique qui est le nôtre. Nous avons cependant retenu des ca~où cette informatisation constitue un échec admis pour peu que l'équipementpuisse rester même faiblement dans la défmition qui était la nôtre.

La matière abondant, nous avons dû limiter notre échantillon compte tenu dumanque de temps. Nous avons ainsi abandonné des équipement.'!, notamment enTerre de Feu pour aller sur ceux qu'ils nous était plus facile d'analyser. Quandnous avons constaté que nous atteignions notre objectif quantitatif, nous avonslaissé tomber les contacts engagés par ailleurs 'pour assurer une correcte réaJisatiordes monograehies à effectuer. Cette précautIOn était nécessaire, car l'équipe seconstituait et Il était important de s'assurer que nous étions d'accord sur les grill~d'observation. La méthode d'observation elle-même, bien 9.ue définie au début del'enquête n'a cessé de se préciser au cours des monographies ,et notamment desplus longues d'entre elles.

Vers la fin de nos travaux de terrains, nous avons rajouté deux cas pour assurerune plus grande variété de notre échantillon: il s'agit de celui d'une toute petiteentreprise qui venait d'acheter une machine-outil i commande numérique. Lespetites entreprises n'étaient que peu présentes dans l'échantillon. Nous avonségalement ajouté une fabrique de cellulose, pour avoir une deuxième entrepriseproduisant en continu.

Nous avons ainsi pu effectuer des monographies concernant une quinzaine deconstruits relevant de sept entreprises différentes situées dans le grandBuenos-Aires, la région de Cordoba, celle de Mendoza et la forêt tropicale del'état de Misiones.

Le cha{Jitre qui suit va mettre en place les dia,grammes qui nous ont permisd'obtenir la représentation simplifiée des opérations de traduction nécessaire ànotre traitement Puis nous passerons au cri6le de notre hypothèse l'ensemble de!diagrammes obtenus. Afin de rendre plus inteUi~ible notre démarche et pourdonner un peu de chair à ce rapport, les premiers diagrammes seront présentés ausein d'un résumé de la monogra(?hie qui en a permis la construction. Par la suite,les diagrammes seront présentes plus séchement pour ne pas ~ser trop. Lelccteur qui souhaite plus (Je précision sur une monographie est inVité à se reportelaux annexes françaises et espagnoles.

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Constitution des diagrammes permettant la représentation des opérations delraduction au sein du construit technique

Notre hypothèse repose sur la construction d'un savoir collectif par un ~roupe depersonnes exlrêmement hétérogènes mais qui ont en commun de se mobiliser poUlle succès d'un ensemble technique donné et à cette fin d'échanger sans réticence Ifsavoir qu'ils détiennent.

Mais ce savoir est avant tout empirico-social c'est à dire qu'il se construit peu àpeu au cours d'une histoire qui commence avec le choix et la conception del'installation concernée et se poursuit dans l'installation, la mise en œuvre, lesréparations et les améliorations portées. Chacune de ces étapes a été l'occasiond'un tAtonnement, d'une rénexion et de surprises dont le souvenir intégré pardifférents acteurs dans et hors l'entreprise constitue ce savoir collectif. La qualitéde cette mémoire collective est de nature à expliquer les différences de succèS damla mise en œuvre d'équipements similaires.

Vérifier I1tY,J?othèse consiste d'abord à reconstruire la chaine historique et devérifier gue 1information sur chaque étape est cumuléepar au moins une partie deceux qui aujourd'hui tiennent en main la machine. L'eXistence d'une coupure de lEchaine informative est de nature à réduire considérablement la qualité du savoircollectif.

En partant des différentes opérations au cours desquelles s'édifient le construilleclinique analysé nous pouvons suivre pas à pas la transmissions des savoirs mi~en œuvre et accumulés. La construction des dmgrammes que nous avons élaboréeconsiste précisément à suivre le cheminement des opérations successives en nomassurant que le savoir constitué ou mis en œuvre dans chacune est bienmobilisable çrAce à la présence dans l'entrep-rise d'aujourd'hui d'un traducteurdisposé à restituer ce dernier en usant de ses relations ou de sa mêmoire.

Avant de décrire les opérations successives, entendons-nous sur certainesdéfmltions et conventions. Nous appellerons "acteur" uniquement les personnes,ou les groupes. qui apparaissent Jouer un rôle dans la création de la culturetechnique. Cela peut concerner des ingénieurs mais aussi des ouvriers sansqualification. n imJ)Orte de voir que cette I?osition d'acteur signifie une implicatiorpersonnelle dans le changement techmque. l'acteur se distingue du simple

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éxécutant. Aucune position de, l'organigramme n'implique a priori que sondétenteur soit acteur, aucune ne pennet de l'exclure.

Nous appellerons "traducteur" la personne qui assure la communication entre lesdifférentes opérations et permet donc de vérifier l'existence d'un pont ou d'unenon-coupure entre les savoirs constituant la culture technique. Dire que l'injéniewméthode est un traducteur 10 et 20 signifie qu'il a accès au savoir et lll'exptrienceconstitués au cours des opérations de décision de l'investissement et conception dtl'équipement. n importe de décrire le mode d'accès qui fait de lui un traducteur. Ilpeut avoir lui-même avoir été acteur de ces dernières opérations, il peut avoir desuffisamment bonnes relations avec au moins un acteur de chacune de cesopérations pour qu'un simple appel téléphoni~ue à un des acteurs de cesojJémtions lui pennelte d'obtenir l'uifonnation ou 1avis issu de l'expérience ou dela fonnation.

Le poids des acteurs et des traducteurs est une donnée organisationnelleextremement importante. Etre acteur ou traducteur est une option personnelle quine peut dépendre uniquement de la politique sociale de l'entreprise. L'entreprise,où tous les salariés joueraient le rôle de traducteur, nous parait relever (J'uneutopie patronale, comme celle 9ue l'on retrouve parfois sous l'incitation à"développer la culture technique' . Nonobstant, la présence d'un nombre élevéd'acteurs et de traducteurs de la cullure teelmique est un atout pour l'entreprise quien bénéficie. Il importe donc d'apprécier le rapport acteurs/éxécutants etd'apprécier les facteurs favorisant l'émergence des acteurs, voire mesurer lesblocnges institutionnels aux démarches individuelles de traduction.

Nous allons donc suivre opération après opération le cheminement detransmission ou non des savoirs mis en œuvre dans le construit technique. Parsouci de clarté, notamment dans les shémas nous allons numéroter les operatioOlicomme suit:

10 OPERATION: Décision de l'investls.~ment

La décision comprend J'élaboration du cahier des charges, l'étude éventuelle defaisabilité, le choix des équipements ou des constructeurs. L'hYJ>4?thèse pose quela restitution de celte phase de réflexion préalable est extrêmement importante powcomprendre les usages que l'on peut reUrer de l'équipement.

Il n'est pas automatique que les utilisateurs d'un matériel sachent quelle est lalogique CJui a conduit à le (Jéfinir. En effet, les auteurs du cahier des charges et dela déciSIOn appartiennent souvent à des services très éloisnés du lieu del'implantation finale. Ils tendent ésalement à se situer à des mveaux élevés del'organigramme ce qui ne va faciliter les échanges avec les futurs utilisateurs.C'est pourquoi il importe ici de bien repérer l'eXIstence d'éventuels traducteurs,c'est à dire de personnes qui pourront et voudront restituer la démarche ayantconduit aux choix initiaux à ceux qui en subissent les conséquences.

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'rOPERATION: Conception de l'équipementfi s'agit en fait de tout ce qui a trait à la conception et à la fabrication des différen~

éléments qui composent J'équipement. Pour la clarté de J'analyse nousconsidérerons que la conception s'arrête quand l'installation commence. Plusieurscas de figure se présentent ici: soit le matériel est standard, soit il est conçuspécialement dans ou hors de J'entreprise. La situation se présente souventcomme un mélange des trois.

L'absence de coupure dans la constitution d'un savoir collectif sur le construllsignifie ici que les utilisateurs de J'équipement sont à même d'obtenir touteinformation souhaitée sur les plans et les caractéristiques de l'équipement (soft debase inclus). Cette absence de coupure est essentielle pour venir à bout decertaines pannes, voire pour pallier à des défauts de conception, Ici les traducteunpermettant de rassembler les connaissances sont souvent extérieurs à l'entreprised'installation. Plus que d'un contrat juridique, leur mobilisation dépend d'unebonne relation avec un ou des acteurs internes à l'entreprise. En effet, ce n'est plUpar contrat qu'un constructeur va garantir qu'il expliquera que telle difficulté defonctionnement provient d'une mauvaise conceptIon, il faut ici la bonne volontéd'acteurs qui voient plus loin que l'intérêt immédiat du constructeur.

3D OPERATION: Inslallalion et mise en routeCette opération commence avec l'arrivée dans l'atelier du premier morceau del'écJui~ment. Elle se poursuit dans le montage, les premiers essais et la mise aupolOt. Il arrive que la mise au point ne s'accoml'hsse jamais, ce qui signe unéchec. En général cependant une vitesse de croisière s'observe au bout d'uncertain temps qui signale la rIO de cette période. La séparation entre l'opération 3et les suivantes est donc laissée un peu à l'arbitraire de l'observateur qui doitdécider qu'à partir d'une date donnée on ne parlera plus d'installation mais deconduite ~4), entretien (5), programmation (6) ou modification (7). Dans lapratique, 1indicateur principal est l'organigramme. Souvent assez t'lou pendanttoute l'installation, J'organigramme tend à se formaliser davantage quand l'outilatteint une première vitesse de croisière. Pour la clarté de l'analyse nousconsidérons qu'avant la date retenue aucune opération ne sera classée en 4, 5, 6ou 7. L'instalfation consiste à mettre en état de produire l'équipement, elle incluedonc la mise au point éventuelle des premiers programmes imonnatiques.

Il va de soi que cette période est très riche en enseignements et beaucoupd'entreprises savent déJà qu'elles ont tout intérêt à ce que des responsables dufutur équipement partiCIpent à son montage. Le traducteur sera donc bien souven­une personne qui aura partici{Jé de cette opération et qui continue à travailler encontact de l'équipement, MaIS J'apf0rt de l'expérience constituée au cours del'installation peut prendre le cana de relations maintenues avec des acteursaujourdbui écartés de l'équipement

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4° OPERAnON: Conduite de l'équipementLa conduite de l'équipement est le lieu où se rencontrent l'aléa et l'imprévu. Ceslaussi J'endroit ou peut être prise la mesure du niveau de maîtrise de l'équipementet des performances réalisées (quantité et qualité). La machine produit-eUe tout cepourquoi elle a été conçue, achetée? Fait-elle d'autres choses en plus?

L'expérience qui s'y acquiert est donc irremplaçable même si l'impression domineparfois que les véntables problèmes ne se jouent plus à ce niveau mais àceux de~

trois Opérations suivantes. Nous avons été surpris de voir en Argentine l quelpoint les entreprises étaient tentées de faire l'impasse sur les informations acquiselpar les opérateurs directs. Notre hypothèse suppose que la présence continuelleauprès ae l'équipement est aussi constitutive d'un savoir essentiel au capitaltecnnologique de l'entreprise.

5° OPERAnON: Entretien et réparationsNous incluons dans cette opération la maintenance et l'entretien courant, commeles interventions sur les grandes et petites pannes, nous excluons tout ce qui estprogrammation. Le moment des pannes est toujours intéressant car il permet dedétecter le fonctionnement d'un réseau de traductions. En effet, dans notrehypothèse, la résolution de la panne implique souvent des confrontations entre delsavoirs électroniques, mécamques et informatiques. Quelquefois, l'entreprise nepeut résoudre seLile le problème et doit mobiliser des connaissances qui lui sontextérieures. Enfin, il arrive parfois gue la réparation implique une dépense sicoûteuse que la décision en sera prISe par un tiers. C'est aussi une action detraduction que de permettre l ce tiers de se faire une opinion précise surJ'opportunité de la dépense.

6° OPERAnON: ProgrammationCette opération inclut toute la programmation faite après l'installation, lil'exception de ce qui touche au soft de base. Les liaisons du llrograrnmateur avecles concepteurs de l'équipement nous paraissent un élément Important du succèsdu construit. La littérature sur le changement technique a déjà bien insisté surl'utilité d'une communication étroite de la programmation avec la conduite commeun moyen susceptible d'éviter des erreurs ou de trouver des raccourcis. Notonsque nous avons vu en Argentine plutôt moins qu'en France de cas où l'opérateurparticipe directement à la programmation. Une telle situation n'y est pourtant pasmconnue, il est évident que dans notre schéma, elle constitue un élément detraduction de 4 à 6.

Au plan de l'évaluation, la capacité à écrire des programmes vraiment nouveauxest un élément important d'une utilisation performante de l'équipement. Nousavons rencontré beaucoup de cas où l'entreprise ne parvenait pas à aller plus loinque des modifications mineures sur les programmes donnés par le constructeur.

7° OPERAnON: Modifications de l'équipementCette opération inclut tout ce qui concerne des changements de structure de

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l'équipement ou du soft de base. Celle opération, comme l'opération n09, renvoieà l'êlablissement du cahier des charges. Modifier sensiblement l'équipement ,c'estboucler une révolution technologique. En effet, si pensée soit la conce{'tion, elleproduit toujours de l'à peu près, c'est-Il-dire qu'elle ençendre une machme qui nefail jamais tout à fait ce pourquoi on l'a conçue maIS qui, en revanche, a desl'0ssibililés que l'on n'avaIt pas Ima~inées. Mo(lifier l'éqUIpement c'est soit tentel(le s'aeprocher davantage du projet Initial, soit développer l'équipement dans unedirectIOn que l'on n'avait pa.'! prévue initialement mais dont on a relevé lespotentialités. La modification de l'équipement signe la complète appro{'riation decelui-ci par l'entreprise, le construit s'éloigne des concepteurs mitlaux pourdevenir le produit de l'utilisateur même.

Notre h~thèse suppose la pré~ence de nombreuses traductions pour parvenir àune mOlhfication conséquente d'un équipement. Le savoir acqUIs dans d'autreso)'érations nous semble particulièrement Important pour réussir cette opération. Ils agit notamment de ce qui touche à la conception, la conduite et aussi l'entretien.

8" OPERAnON: FormationNous n'aborderons ici que les Rctions formelles de formation. Tout est formationdans les opérations énumérées, mais il s'agit ici de relever des actions deformations que l'entreprise a formellement engagées en relation avec l'équipementconsidéré. La formation a souvent lieu cbez le constructeur, quelquefoisl'entreprise argentine s'est adressée Il un centre de formation externe, dansd'autres cas on a pu utiliser le service de formation de l'entreprise, mais nousverrons que, dans le cas général, il n'y a qu'un faible recours à des o(Jérationsformelles de formation. Le cas le plus fréquent que nous ayons rencontré dans cepays est celui de salariés qui ont décidé eux-même de suivre des cours sansl'appui de l'entreprise. Ce cas n'est pas inclus dans notre schéma car il s'agild'une action indépendante.

Nous {'ouvons supposer que le service qui met en œuvre des opérations deformatIon liées à des équipements nouveaux peut profiler de cette opération J'Ourrecueillir et conserver une partie de ce que nous appelons le capital technologIque.Le peu de recours Il des opérations formelles de formation ne nous permettra pal!de traiter cette partie de notre hypothèse. A tout le moins, ce manque de recours Illa formation nous renforce dans les conclusions retirées de l'enquêtefranco-mexicaine Il savoir que la formation joue finalement un rôle mineur dans lesuccès ou l'échec de systèmes de production informatisés.

8° OPERAnON: Conception de nouveaux produirsLa taille, le prix et la nouveauté de l'équipement devraient impliquer desmodifications de comportement dépassant la seule production directementconcernée. Amortir l'équipement consiste souvent à trouver en quoi il estparticulièrement performant. La meilleure compétitivité s'obtient souvent autravers d'une caractéristique technique que l'entreprise serait la seule Il posséderou Il savoir utiliser. La conception de nouveaux produits implique généralement

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une modification du matériel, en cela elle constitue le p"?int de retournement de laboucle. Une fois conçu le produit nouveau, les modifications font du construittechnique une chose unique, susceptible de garantir durant un certain temps uneavance à l'entreprise. Avec la conception de nouveaux produits, l'entrepnse estréellement devenue productrice de sa propre technologie. Mais cette étape n'estpas évidente à atteindre et nous avons vu finalement peu de cas qui allaient jusquelà en Argentine. D'après nous elle nécessite la présence de nombreux traducteurset notamment d'hommes à même d'opérer ces traductions entre les servicesétudes, marketing et fabrication.

Construction du diagramme

Les huit opérations seront représentées sous forme de cercles, les traductions soU!forme de traits entre ces cercles. Nous utiliserons des traits plus ou moins épaispour signaler l'importance des opérations de traduction réalisées entre deuxopérations. Lorsque deux opérations étaient traduites entre elles et que cettetraduction s'est interrompue, nous signalons ce fait par un trait interrompu=\\~.

Le traitement de notre hypothèse devient dès lors graphique, il s'agit de mettre ellliaison la forme et les ruptures éventuelles du diagramme avec la plus ou moinsbonne performance dans l'utilisation de l'équipement. Une traduction complèteimplique <J.ue toutes les opérations soient liées entre elles, fut-ce par un seul etumque trait qui serpente de l'une à l'autre ou, par un unique traducteur quirassemblerait sur lui tous les savoirs (diagramme en rayons).

Mesure de la performance

Nous mesurons les limites de notre science à la faiblesse de ses instruments demesure. Si nous pouvions donner une note de réussite incontestable pour chaqueconstruit technique, notre travail deviendrait pratiquement inattaquable. Nous nepouvons prétendre à celte mesure absolue de la réussite. Nous avons déjà parlé decette difficullé au début de ce rapport et du parti que nous avions pris pour unemesure fonctionnelle. Ainsi les cntères retenus pour la performance des construi~

reposent sur le nombre d'heures de fonctionnement par mois de l'équipement, larapidité à faire face à des eannes ou des incidents techniques, la capacité à tirer del'équipement toute la fleXibilité et les performances qui sont les siennes selon sonconstructeur, la finesse de la J?rogrammation, la capacité à le modifier ou àréorienter la production en fonction de ce qu'il est le plus capable de faire.

Les deux derniers critères présentent un défaut méthodologique évident pour untraitement quantitatif. Mathématiquement, un construit qui parvient jusqu'auxopérations 1 et 9 a plus de possibilités de relations internes. Donc, tout traitemeD'automatique vérifierait notre hypothèse automatiquement. Supprimer ces deuxcritères affaiblirait considérablement la comparaison entre les construits. Faute de

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disposer de critères quantitatifs, nous ne pouvons parvenir à un véritable éventailde perfonnances plus ou moins bonnes, et cet éventail est indispensable pourconfronter avec le nombre et la qualité des traductions. Notre traitement del'hypothèse va prendre la forme d'une démarche pointilliste dont la rigueur reposesur l'honnêteté et la qualité du recueil d'informations. Espérons q,ue nos lecteursen accepteront le principe. Dans le cas contraire, nous pensons qu avec un peu demétier, n'importe qui peut reprendre notre démarche et faire sa propre vérificatiors'il doute de la nôtre.

PREMIERE ANALYSE DE DIAGRAMME; LE CAS D'UNE GRANDEl'IŒSSE A IN.IEC[ION CFAURICATION DE l'ARE CHOCS)

Nous avons choisi ce cas en premier parce qu'il nous a paru plus facile d'yllrésenter didactiquement le mooe de construction et de traitement du diagramme.Ce cas s'appuie sur le travail de monographie réalisé par Adriana GALDIZ elprésenté dans l'annexe en castillan.

Le contexte

En septembre 1984, la multinationale décide de produire en Argentine des gmnd~pièces en plastique injecté type pare-chocs. Il s'agit d'une technique alorsInexistante dans le pays et d'un Investissement considérable. Au même moment,une finne concurrente prend une décision similaire. Les deux entreprises ne seconsulteront pas pour décider de ces investissements, elles passeront ensuite unaccord pour qu'en cas de défaillance d'un des équipements, l'autre entrepriseassure la production manquante.

La machine construite par Billion (Oyonnax) servira à produire les pare-chocs eltableaux de bord en plastique. EUe est de taille impressionnante: 18m sur 3m ave<une hauteur de 4m. En fait Aulofab-France n'en a pas de plus grande. Avecl'équipement moins moderne de l'entreprise concurrente déjà citée, il s'agit desseules machines de ce type en Argentine. Le Brésil voisin semble n'avoir pasencore en activité d'équipement sirmlaire.

Cette machine devrait permettre de supprimer totalement l'importation de cespièces certes légères mais encombrantes. L'autre solution consistemit à maintenhles pare-chocs métalliques, alors que le plastique tend à s'imposer mondialemenldu fait de ses nombreux avantages et de son coût.

Le premier problème reste toujours l'amortissement d'une telle machine, qui avecses annexes, occupe tout un atelier. L'investissement total représente cinq milliorude dollars, auxquels il convient d'ajouter 112 million pour chaque moule. Le plan

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de charge de la machine est inférieur à quarante heures par semaine à partir demars 1986 du fait des six moules déjà en possession et de la productionescomptée. A ce régime, qui ne satisferait aucun producteur européen, la directionprévoit un amortissement réalisé en 3,5 ans. Le calcul s'apIJuie très logiquemenlsur la différence entre le coût de production locale et celUI (J'achat des pièces à lamaison mère. Il va de soi qu'un tel calcul correspond plus à une logiquecomptable interne au groupe qu'aux règles classiques de la gestion. On aurait puima~iner, par exemple, la conslilulion d'une société regroupant dans son capitalles mtérêts de divers constructeurs, argentins et à même de faire tourner demanière optimale de tels investissements.

Plan de la presse à injection

refroIdIsseurs

*000(i) *..

-:)[] robot

moule

stlo

~DDtableaux de

@ *.. contrôle

Principaux postes de travail: 1 ouvrier principal, 2 ouvriers de finissage,3 agents de maîtrise, 4 ingénieurs d'entretien

Les installateurs français ont ici dépassé les espérances et, dès août 1985, lamachine était à même de produire. Pour obtenir ce résultat, quatre Français se sonsuccédé, ou ont travaillé ensemble, chacun séjournant en moyelUle trois semaines.

La production en ~randeur réelle ne commença cependant pas avant mars, soitsepl mois d'immobIlisation faute de marché. En effet, les prévisions qui tablaient

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sur une vente automobile plus élevée ont abouti à de grosses commandes depièces détachées françaises, et notamment de celles que devra fabriquer lamachine. Actuellement, on résorbe donc les stocks. Cette immobilisation auraitsfirement pu être réduite si, dès l'origine, on avait cherché à tirer le meilleur partide cet investissement notamment en démarchant des utilisateurs potentielS, enArgentine mais aussi au Brésil, où un tel équipement ne doit pas exister.

La décision de l'achat parait avoir donné lieu à une assez large concertation auniveau de l'encadrement technigue. La discussion semble avoir porté surtout sur IItaille de la machine à acheter. Fmalement, il a été retenu une machine aussi grandeQ,ue la plus grande présente chez le constructeur français. Ce choix.permet des assurer d'être à meme de produire les futures pièces dessinées en France. Eneffet, la conception se fait en tenant compte du parc machine français, ce quipousse à une certaine homogénéisation des maténels utilisés par les filiales. Lechoix du constructeur a été laissé à la France pour des raisons similaires et pouréconomiser les frais d'études.

Ainsi, le matériel ressemble de très près à ce qu'on peut trouver en France.Seules, les machines permettant la soudure à ultra-sons de nièces de renforcemenlont été commandées isolèment, pour répondre ici à une' volonté de livrer despièces terminées directement sur les chaines de production.

Le niveau de l'automation a été volontairement restreint. En effet, il n'a pas étéjugé utile de joindre un ordinateur à la presse comme cela se fait ,généralement enFrance. Cette sophistication est apparue ici comme un risque mutile. Pour lesingénieurs, le nombre de pièces différentes prévues ne justifie pas cetinvestissement supplémentaire tout en ajoutant une complexification inopportune.C'est bien en informatique de production que se trouve le principal manquereconnu de technicité.

La firme considère généralement comme une réussite le démarrage et lefonctionnement de l'équipement. n faut dire que si les personnes à charge dul'rojet se sont complètement investies dans sa réussite, de nombreux obstacles onl(lû être franchis. Il s'agit, d'une part, du manque de connaissances sur lestechniques mises en œuvre, et d'autre part, du rejet par la direction générale desembauches planifiées pour des raisons d'économie et, du départ de certains cadre~en cours de déroulement du l'rojet. L'équipe impliquée dans le projet a cependanlbénéficié d'une liberté d'initiatIve plutôt rare dans l'entreprise. Les principauxacteurs ont tous reçu une promotion (ouvrier principal inclus).

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Presse à Injection pour pare..dtocs

1'::\ConceptloD\!Inouveau

produit

7 ModifIcatIon

@ formatIon

Achat t

Entretien5

Programmation

EXPUCATION DU DIAGRAMME

La décision d'achat (septembre 1984) n'a pas pour origine l'usine, qui relèved'ailleurs d'une filiale. Elle part de la Direction Générale d'Argentine quisouhaitait ne plus avoir à importer de {lare<hocs en plastique. EUe avait maintenudes pare-chocs métalliques sur certams modèles qui en France employaient leplastique. La direction internationale a alors poussé à l'instaUation sur place d'unepresse à injection. Dans l'usine, deux personnes qui ont partici{lé à la prise dedécision sont restées par la suite partie prenante du projet. fi s'agit de l'ingénieurqui allait devenir le patron de la filiale cn question et d'un second ingénieur. Lefait, pour un de ces acteurs, de devenir patron de la filiale a contribué à donnerune place de premier plan à l'équipement dans l'usine.

La définition du cahier des charges a particulièrement tcnu compte des conseilsappuyés de la maison-mère française. Aussi, n'est-ce pas un hasard si la machineeXiste également dans les usines françaises. Mais les traducteurs précédemmentmentionnés ont joué un rôle non négligeable au cours de voyages en France où il!ont visité le fabricant du matériel et l'utilisateur qui relevait de leur firme. Ils ontperçu le risque technologique qui était pris avcc l'introduction d'une machinerelevant de différents savoirs méconnus en Argentine, notamment en électronique

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et en injection des matières plastiques. Us ont donc opté pour un commandementinformatique plus simple que celui choisi par les Français. Ils ont cependantacheté un robOt qui extirpe les pièces mouléeS et les pose sur les refroidisseurs.

Par contre, la conception de la machine reste très extérieure à l'entreprise. Noussommes ici dans une boite noire. Mais cette non présence dans la conception esttempérée l'ar l'étroite relation existant entre le constructeur et la maison-mèrefrançaise. De plus, un ingénieur du constructeur a participé 11 l'installation del'équipement et est revenu 11 plusieurs reprises, jouant un rôle de traducteur, certel!transitoire mais réel. Enfin le stage réaltsé par les deux ingénieurs de l'usine déjàcités a contribué à une meilleure connaissance de la conception du matériel, enmême temps qu'elle a joué un rôle important quant aux relations entre constructeuret utilisateur.

L'installation de l'équil'emp.nt sera efrectuée en un temps record en juillet-aout1985. Cette rapidité se (loit 11 l'implication de tous les acteurs cités plus haut. Lamise au point sera aidée par l'existence dans l'usine d'un secteur d'injectiond'alumimum. Une partie de l'encadrement technique de ce secteur et celui del'entretien vont couvrir en même temps l'injection de plastique.

La conduite ne démarrera que vers mars 1986. Elle sera entre les mains d'un agenlde maitrise issu de l'injection d'aluminium et qui a participé 11 l'installation. Aidématériellement par des jeunes stagiaires qui s'occuperont essentiellement desopérations de refroidissement et ébardage manuel des piècellll'a~ent de maîtrisepourra compter, aussi souvent que souhaité, sur l'aide d'un <les mgénieurs qui aparticipé 11 la décision d'achat et qui encadre simultanément l'injection(l'alummium et celle de plastique. 3i la conduite atteint dès le début les objectifs deproduction, cela se doit essentiellement au caractère limité des dits objectifs. Enfait, de grandes difficultés vont être rencontrées dans la fermeture automatique dela porte de la machine et dans la préhension du robot d'évacuation des produits.Ces difficultés se résoudront localement sans toucher 11 la programmation,domaine de compétence tout 11 fait extérieur 11 l'usine. On modifiera la forme de lamain du robot plutôt que les ordres qu'il reçoit. n faut dire que l'on a déjà de..'1exDériences similaires avec des robots assez proches dans le secteur de l'inJectiord'a1uminium ou dans celui des presses 11 emboutir.

Lorsque la machine p'arvient 11 un premier niveau de fonctionnement, l'entreprisedécide d'alléger 1équipe gui s'en occupe et de formaliser davantagel'organigramme de l'atelier. L'mgénieur qui était sensé superviser cette équi~ eslenvoyé au service entretien. Ce changement fait disparaître le lien affectif desmembres de l'équipe entre eux sans pour autant que se réduise vraimentl'implication des membres dans la réussite du projet.

Mais la machine laisse passer un large pourcentaee de rebuts et personne dansl'usine n'apparaît en condition d'améliorer la situation. Finalement, l'usineembauche deux techniciens. Le premier est argentin et spécialisé dans les matièrel!

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plastiques, domaine de connaissances que n'a pas l'usine. II va pousser à desmodifications dans le choix des matières premières, qui permettront de réduiresensiblement les rebuts. Le second embauché l'est pour une durée limitée. il s'a&i'd'un des techniciens déjà mentionné et issu du constructeur. II est Français maIssemble vouloir s'installer dans le pays. II va renforcer considérablement lescOlUlaissances sur la machine et nolamment servir de traducteur entre les savoirsacquis dans la conception de l'équipement et ceux propres à la conduite.Notamment il est le seul à pouvoir faire des incursions dans la programmation.Les moules sont tous venus de France avec le programme correspondant elaucune tentative n'a été faite pour modifier ces programmes. L'absenced'incursion dans la programmation constitue une limite, car elle rend incapable deproduire un nouveau moule sans faire appel aux Français, ainsi que le souhaiteraitle directeur de la filiale.

L'entretien, comme la maintenance n'ont encore posé guère de problème. Toute~les pannes ont été résolues par le service d'entretien de l'usine ou par lespersonnes en char~e de la conduite. On a quelque fois demandé conseil li laFrance pour certames réparations mais à chaque fois la réponse est venueconfirmer le bien fondé d'une réparation déjà faite. L'ingénieur, qui vient del'atelier, joue à l'évidence un rôle de traducteur, il passe encore une part nonnégligeable de son temps dans l'atelier de la presse.

Un certain nombre de modifications mineures ont été effectuées pour résoudre desproblèmes de qualité des produits. La fomle de la main du robot évacuateur a étémodifiée ~ur éviter une déformation des pièces saisies; une nervure a été sculptéedans un des moules pour renforcer la structure d'un parechoc; enfin, lacomposition du plastique injecté a été également changée pour obtenir unemeilleure régularité dans la qualité des produits.

L'action du service formation a été des plus réduites. En fait, seuls les stageseffectués en France par les deux ingénieurs consultés dans l'élection du matérielpourraient relever d'une démarche volontaire de formation de la part del'entreprise mais sans que celle-ci mette en œuvre des spécialistes de la formation.Notons qu'à titre individuel, plusieurs techniciens et agent de maitrise ont suivides cours de mise à niveau en électronique et programmation.

LECI1JRE DU DIAGRAMME

Avant de revenir sur la lecture du diagramme, il nous faut dire deux mots sur nolnévaluation du succès dans la mise en œuvre de cet équipement. Celle-ci prenddeux directions. L'une consiste à évaluer s'il y a vraiment eu informatisation de laproduction, ce que permet la machine dans la mesure où elle comporte deux

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éléments programmables, le robot ct l'injection. Cette informatisation a étédélibérément réduile du fait de choix initiaux mais aussi d'une certaine ruptureavec les concepteurs de la maison mère. Celte réduclion explique l'hésitalion à selancer dans la réalisation d'un moule local. II y a là à l'évi(lcnce des savoirs quiexistent dans l'entreprise mondiale mais ne sont pas accessibles à l'entrepnsenalionale. L'autre direction de l'évaluation repose sur une appréciation del'utilisation. Ici, le jugement est plus positif dans la mesure où la machine estutilisée au maximum des commnn(les qui lui sont faites. Certes elle est limitée palla non production de nouveaux moules, nous revenons là à une difficullé déjàsignalée. La performance de l'entreprise ne doit pas être minorée, dans la mesureoù elle s'est lancée dans une technique délicale qu'elle ignorait totalementaupamvant Le fait d'avoir délibérément écarté la progmmmation par processeurdans la conception part de l'idée sage selon laquelle il valait mieux ne pas ajouter ~

la fois trop de nouveaux domaines de connaissances. Notons que desmodifications ont élé apportées tant au moule qu'au robot ou à la matièrepremière. Ces changements ont amélioré la qualité et sensiblement baissé le coOt(les matières premières.

Voyons si notre hypothèse rend compte de l'état de maîtrise technologique del'équipement Pour cela, revenons sur re diagramme déjà exposé:

Presse l injeclion pour pare-chocs

Entretien

Achat •

Programmation

7 MocUflcation

r.:\Conception\!Inouveau

pro4uit

@ ~ormation

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L'hypothèse de ruptures dans la chaîne de transmission des savoirs commeprincipal frein à l'extension de l'innovation apparaît très clairement confirméepuisque l'on voit que l'ensemble fonctionne assez bien, du fait d'une grandeflexioilité de l'organisation et d'une mobilisation sur le projet d'un certain nombred'agents clés; on voit qu'il tient ses limites du fait même d'une certaine ruptureavec les savoirs accumulés par les concepteurs. L'aPI?0rt de l'ingénieur spéCialisédans les matières plastiques peut donner lieu, du pomt de vue de l'hypothèse, àdeux interprétations contradictoires. L'une fait apparaître le déficit originel enconnaissance de la matière plastique et lie donc les difficultés initiales à unmanque de savoirs absolus. Dans ce cas, on rejette partiellement l'intérêt desréseaux de transmission des savoirs pour s'attacher au contenu de ces savoirs.Les problèmes d'introduction de nouvelles technologies se réduisent alors à desproblèmes d'ac9uisition des savoirs correspondants, c'est-à-dire à des problème~de formation. L autre interprêtation fait de l'introduction de ce nouveau technicienun palliatif à une mauvaise communication entre la maison-mère et sa filialelointaine. Le fait que l'entreprise n'ait pas embauché initialement de spécialiste d~plastiques, alors qu'on en trouve en Argentine, laisse penser qu'on a supposépoUVOir s'appuyer plus largement que cela ne fut le cas sur les savoirs existant enFrance. En quelque sorte, la firme a surestimé ses capacités de communicationentre filiales et maison-mère, en tout cas, il semble que dans le cas présent, ilaurait été plus avantageux d'acheter en Argentine un savoir qui faisait défaut plulÔque de communiquer avec la France.

L'entreprise aura réellement fait preuve d'une capacité innovative lorsqu'elle seraen mesure d'inté$rer elle-même un nouveau moule. Il lui faudra aller au pluspointu des CO~pétences des moulistes procheS et pénétrer la boite encore noire dela programmation.

UN TOUR A CONTROLE NUMERIOUE AU SEIN D'UNE PMI DECOROODA

Le présent cas porte sur une informatisation récente, il pemlet davantage de suivl'fun construit en voie de réalisation que de traiter notre hypothèse. L'entreprise a éucréée par un ancien technicien d'une grande firme automobile. Elle est décrite damla monographie en castillan rédigée par M. TESTA.

Travaillant presllue exclusivement comme sous-traitant de l'ancien employeur duchef de l'entrepnse, l'entreprise a démarré petitement en utilisant au maximum(c'est à dire en 3 équipes alternantes) la première machine, un tour parallèle. Peu ~peu, l'entreprise accroit son parc de machine en achetant du matériel de plus enplus sophistiqué: tour automatique, tour de copiage hydraulique. EUe embaucheJusqu'à quinze salariés avant d'être atteinte par la crise de la productionautomobile et de faire tomber ses effectifs à six. C'est dans ce contexte difficileque l'entrepreneur décide l'achat d'une machine à commande numérique. Il a

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découvert la commande numéri~ue à travers des revues mais surtout en visitanlune foire industrielle à Buenos-Aires, voilà deux ans.

L'achat ne se fait pourtant pas totalement au hasard. Notre homme choisit commefournisseur une entreprise de la capitale fédérale pour laquelle il avait servi deréparateur sur le matériel classique qu'elle rroduisait alors. La politiqued'encouragement à l'investisseJl1ent industrie, im'pulsée par la démocratierenaissante, va lui permettre de bénéficier d'un crédit très intéressant. Il a bienconscience que cet achat va encore accroître dans l'immédiat le sous-emploi deson équipement dans la mesure où il n'envisa~e pas de diversifier sa production.Mais tl estime que l'entreprise cliente va à 1avenir renforcer ses exigences dequalité et que cela impliquera l'utilisation de machines à commande numériquechez les sous-traitants. En quelque sorte, il fait un pari sur l'avenir. Après desdélais liés à des problèmes financiers, la machine est livrée trois mOlS avantl'enquête. nsemble que son intégration se soit faite sans problème.

Bien sûr, le diagramme reflète le peu de temps d'existence dans l'entreprise del'équipement, mais il permet de constater un succès plutôt surprenant pour uninvestissement aussi novateur, surtout quand on considère les conditionsd'Installation du matériel. En effet, pour des raisons toujours financières,l'installation dura seulement quelques jours. L'entreprise ne disposa que d'uneseule Journée pour se faire expliquer le fonctionnement de la machine par uningémeur du fabricant. Ce dernier se montra bon pédagogue puisque cette journéesuffit à faire fonctionner un premier programme que l'entreprise avait écnt sur lepapier auparavant. Avec la machine est livré un manuel en castillan qui estconsidéré comme très complet.

DIAGRAMME (tour à commande numérique dans une petite usine)Entretien

Installation

3

,,--------,JConduite

(i) Modification

~ConceptioD

\!Inouveauproduit

@ formation

Programmation

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Le présent diagramme met en relief le rôle central joué par le chef de l'entreprise.Celui-ci s'est altaché la personne d'un contremaître qui a toute sa confiance et gèRJ'atelier, notamment la conduite de la machine. Cette relation privilégiée se traduilpar un trait épais. Les deux hommes ont tous deux suivi des études techniquessecondaires et ont une longue expérience dans la conduite et la réparation desmachines-outils traditionnelles. Personne dans J'entreprise n'a de connaissancesformelles en électronique ou en programmation.

Le chef d'entrefrise garde un bon contact avec le fabricant, du fait des relationsantérieures qu'i y a nouées quand il travaillait pour lui. Nous avons noté cela palun trait conllOU entre achat et conception. La seule vraie panne qu'ait connue lamachine a été diagnostiquée à travers un simple appel téléphonique qui a permisd'identifier la plaquette qui faisait problème, d'où le trait qui lie J'entretien et laconception. Le fabricant a rapidement fourni la plaquette en question. Maislorsque le chef d'entreprise a voulu changer la plaquette, il s'est ar.erçu que laplaquette fautive était mal enclenchée, d'une pression sur celle-ci Il a réparé lapanne. Celte histoire montre que la qualité des rapports avec le fabricant a permi~

d'effectuer un diagnostic rapide en évitanl le recours à des spécialistes. Ellemontre aussi que pour J'entreprise, J'électronique constitue encore un domaineinconnu dans lequel on hésite à s'aventurer.

La programmation repose sur les deux hommes déjà cilés. Dès le jour suivant ledépart de J'ingénieur du fabricant, la {lremière série de pièces est mise enproduction sans problème notable. DepUIS, plusieurs autres programmes ont étéecrils et mis en pratique. Les deux hommes n'ont pas encore réalisé deprogrammes lrès complexes comme ceux qui impliqueraient des interpolationsd'axes. Mais ils pensent y arriver dans un avenir plus ou moins proclie. Aprèslrois mois d'installation, la machine comptabilise cent heures de production. Cerésultat qui ne dépasse guère une heure par jour peut paraître limilé mais il eslau-dessus de toutes les machines à commande numérique que nous avons pu voitde près, dans la grande firme automobile inclue dans notre échantillon.

Vérification de l'hypothèse

Seule, la partie droile du tableau ne contient aucune interrelation mais il seraitprématuré d'y voir autre chose que le peu de durée écoulée depuis l'introductionde J'équipement. On voit par contre que la parlie gauche est entièrementinterconnectée et la mise en relation de celte observation avec la rapiditéd'incorporation de la machine est tout à fait conforme à notre hypothèse.L'absence de savoirs antérieurs en matière d'électronique et de programmationrenforcerait s'il en était encore besoin la force de notre intuiûon.

L'entreprise va-t-elle réussir à tirer tout le parti prévu de cette machine '1 C'est bierla question qu'il convient de se poser. Si les prévisions de l'entrepreneur se

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réalisent, les sous-traitants les mieux placés seront ceux qui arriveront à tirer lemaximum de tels équipements, et non ceux qui se contenteront de réaliser leschoses les p'lus faciles. L'entreprise a certainement des atouts mais peut-êtrecertaines faIblesses. La centration presque exclusive du ré~au sur la personne del'entrepreneur présente bien des avantages mais aussi quelques limites. Cethomme orchestre ne peut à lui seul découvrir tout. En positIon de pouvoir absolusur son atelier, il risque d'avoir trop confiance en son propre jugement et ainsi deréduire les confrontations d'idéeS d'où naissent les remises en question et lesidées nouvelles. C'est à travers la capacité à faire évoluer l'équipement quedevrait, selon notre hypothèse, se voir l'extension d'un réseau d'échanges àd'autres personnes et à d'autres savoirs.

LA REUSSITE AMBIGUE DE L'INFORMATISATION D'UNE FABRIQUEDE CEU,ULOSE

ns'agit ici d'un cas constitué autour d'une courte monographie effectuée par JeanRUFFIER.

Le contexle historique et géographique

En 1977, les militaires au pouvoir se préoccupent de la sécurité aux frontières. Eneffet, le pays a des litiges frontaliers avec tous ses voisins. Le pouvoir décide defixer des populations dans toutes les zones à risque pour rendre moinscontestables les prétentions territoriales. L'état de MisslOnes est alors uneimmense forêt vierge qui s'avance dans une bande coïncée entre le Brésil et leParaguay. Les militaires décident d'y implanter une industrie papetière afin d'yfixer une population. Notons que la zone doit son faible peuplement auxmassacres répétés des populations guaranies qui se sont succédé depuis le 170

siècle.

L'entreprise est constituée à partir du capital des principaux groupes papetiersexistants. Elle est destinée à produire de la celJulose, prOduction alors mconnuedans le pays. Ainsi ,pendant que les plans des installations se conçoivent àBuenos-Aires, l'entreprise achète des forets immenses à des scieries ou desparticuliers. Elle s'implante dans l'extrême nord de la province où elle occupe(Iésorrnais 50 000 ha de forêts. L'arbre de base est un pin spécial qui croit en seplans. L'usine s'approvisionne par une exploitation intensive de ses forêts et parl'achat à d'autres propriétaires.

L'usine inaugurée en avril 1982 emploie à peu près 700 personnes si on inclut l~nombreux cJiauffeurs. Son recrutement provient très largement de Buenos-Aires.Rosario et Cordoba. La gestion d'un personnel qui a quitté la ville pour s'installelen forêt, pose de nombreux problèmes que l'entreprise tente de résOudre en créanl

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La formation du capital fait de l'entreprise une société anonyme. Cet anonymat vas'exprimer dans une grande mutation des hommes. Depuis 1977, elle a déjàchangé sept fois de PDG. Après quatre ans d'existence,I'usine est déjà à sondeuxième directeur, lequel est le seul rescapé de l'équipe d'ingénieurs qUI a conÇlle projet à l'origine.

L'entreprise produit des plaques de cellulose qui servent de matière première damla production de nombre de produits papetiers. Ces plaques ont trois <J.ualilésdifférentes selon leur blancheur. La meilleure qualité atteint des niveauxcompétitifs sur le marché mondial où elle est largement eXI?0rtée. Par contre, lesquahtés inférieures se vendent uniquement sur le marché national.

Conception et mise en marche des installations

Faute de connaître la nouvelle technologie, l'entreprise fait appel à un maîtred'œuvre canadien. Dès le début, ce maître d'œuvre doit travailler avec une équiped'ingénieurs argentins qui vont participer à toutes les étapes de la conception et dela réalisation du projet. Le matériel sera acheté presCJ.ue entièrement à l'étrangel(Suède principalement). Cette participation des Argentms au projet sera essentielleà la formation de ces derniers. Le maître d'œuvre restera en place l'année dudémarrage des installations. C'est lui qui aura à charge la formahon du personnelet la conception des programmes du pilote automatique. Ces programmes faisantl'objet d'un copyright, l'entreprise s'abstiendra longtemps d'y toucher alors9u'assez rapidement il est apparu que les. variables choisies pour diriger1automate de process ne sont pas les pfus pertmentes.

Le parti a ainsi été pris de participer à toUles les étapes de la production. Pour lacomptabilité informatisée, on a refusé d'acheter un programme standard et préféréconstruire le programme sur place. Le résultat a été un peu décevant et les délaisde mise en place de la comptabilité informatisée considérablement rallongés.

Cela étant, les résultats d'exploitation apparaissent satisfaisants. La productivitéest à un niveau comparable aux entreprises canadielmes ou européennes. Calculéesur le papier pour I?roduire SOûl/j, l'usine est en fait parvenue à une moyenne de630t/j et peut faire Jusqu'à 700l/J.

Le pilotage automatique du proce8!l

Les arbres arrivent sans les branches sur le sile où ils sont stockés. La premièremachine sépare l'écorce des troncs, la seconde réduit Ces demiers en petits cube~

~ui vont à fa digestion. A p'artir de la digestion, le process est pris en charge pal1ordinateur. C'est ce pIlotage que nous étudIons plus particulièrement.L'ordinateur utilise trente variables pour agir, mais devant les résultats surtout enmatière de blanchiement, les opérateurs sont conduits à reprendre la conduite enmanuel.

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L'entretien pose quelquefois problème, dans la mesure où l'él:fuipement étaitinconnu en Argentine. Apparemment cette méconnaissance n entraîne qu'untemps parfois plus long dans l'établissement des diagnostics. Par contre, lanécessité d'une pièce de rechange J'eut être catastrophique et peut paralyser uneinstallation pendant dix mois, du faIt essentiellement des démarches douanières.

La mise en marche s'est faite en présence de représentants de chacun desconstructeurs de machines, lesquels ont parfois dû rester trois mois. D'autrestechniciens étrangers sont restés sur place pendant toute la première année qui asuivi le lancement Malgré leur niveau souvent médiocre, c'est la gestion del'ensemble qui a le plus posé de problèmes. Le pilota&e automati<J.ue ne fonctionmpas encore complétement à trois ans de son inauguratIon, même SI désormais deUJmgénieurs stagiaires se sont attaqués à sa reprogrammation.

Pour les emplois de paneJistes, on a d'abord embauché des chimistes. Comme onne pouvait recruter ni des spécialistes en conduite de process automatisé, ni despaIJetief5, on a opté pour des gens à même de comprendre la nature des opératiomde la production. Depuis, on a recruté des persormes au profil moins spécialisé,dont certaines sont arrivées à des postes intéressants. Le concepteur a organisé laformation correspondant aux principaux postes de travail. Aucun contact ne paraiplus possible avec ceux qui ont été chargés de former les salariés. Quelle ~'ait ét(leur expérience sur la difficulté spécifique de ces salariés à intégrer les principesde fonctiormement de l'équipement, cette expérience est perdue pour le sIte.

Fabrique de ceUulose

~Conception\2.Inouveau

produit

@ formation

G) Modification

Programmation

Achat 1

Concepteurscanadiens

Entretien5

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Le dia~ramme ci-joint fait apparaitre une bonne transmission des savoil'$ entre le~

opératIons 1 à 6. Celle-ci se doit à la participation de l'entreprise à la conception elau bon suivi fait initialement par le maître d'œuvre canadien. Le départ desCanadiens a figé le modèle. La conception apparaît encore trop comme une boîtenoire pour que l'usine soit vraiment en mesure de faire évoluer elle-même sesinstallations. Ceci pourrait changer à l'avenir si elle parvient à maîtriser le cœurmême de la progranlmation. Un autre facteur de faiblesse apparaît dans le rôle tr0lcentral joué par l'actuel directeur de la production. Unique rescapé de l'équipeayant particIpé à la conception, il est le seul à pouvoir restituer au moinspartiellement le savoir accumulé dans les phases 1 à 3. Son départ peut entrainerune perturbation importante.

Ici, nous retombons sur un des aspects si~nalés au début de cette note. La plupat1des gens qualifiés se sont retrouvés déracmés dans ce site de forêt tropicale à descentaines de kilomètres de toute ville de plus de 50 000 ha. Les conditions deconfort et de revenu qui leur sont données ne compensent peut-être pasl'inconvénient qu'il y a pour eux et leur famille à accepter cet isolementnotamment au plan culturel. Et l'entreprise est trop Jeune et trop impersonnellepour provoquer chez ses membres un fort sentIment d'identification quipermettrait de lutter contre la fuite des éléments les plus qualifiés.

Vérification de l'hypothèse

Le cas est celui d'une évidente réussite puisque l'entreprise de transfert d'unetechnologie inconnue en Argentine a réussi. Mais cette réussite a une limiteévidente dans la difficulté actuelle à dépasser le stade du fonctionnement normalde l'installation. En fait, il y a bien eu des échanges de savoir, mais ceux-ci sesont interrompus du fait du retrait des concepteurs canadiens et de l'isolementrelatif du seul traducteur possible. La place de direction qu'il occupe et lesdifficultés qu'il a à faire face aux {'roblèmes de déracinement de ses employés leconfinent dans une situation qUI risque de meUre en danger la fonction detraduction qu'il est seul à pouvoir jouer. La constitution d'un véritable savoircollectif ~ui permette de faire face au viellissement de l'équipement et de produiredes modIfications significatives du process passe très certainement par unestabilisation d'une partie de la main d'œuvre.

UN LAMINOIR AFROm

Ce laminoir a fait l'objet d'une longue monograr.hie rédigée en français par Deni!Guigo du Centre de Recherche en Gestion de 1Ecolo Polytechnique de Paris (cfannexe française). Nous allons dans la même monographie présenter deux

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construits successifs qui penneltront de voir que l'expérience acquise dans laconstitution d'un capilal technologique a pennis d'éviter de répéter ce qui, d'aprè~notre hypothèse, était une erreur.

Le train de laminage dont nous parlons ici déIJCnd d'ungrand groupe sidérugiqueprivé, en fait une des principales holding nationaux. Constitué sous la houlette(J'un homme d'affaire autocrate mais muni d'un projet social affinné, le groupeprésente une originalité réelle quant aux modes de gestion qui y ont cours.

Une histoire sociale mouvementée

L'usine a été construite dans un nouveau site du grand Buenos-Aires en 1969. Letrain de laminage était considéré comme le premier maillon d'un ensembleindustriel beaucoup plus vaste, profitant d'une politique gouvernementale quivoulait voir apparaitre un puissant secteur privé dans la sidérugie.

Les premières années sont marquées par les idées modernes en matière de gestiondu patron du holding: rythme de travail élevé mais des salaires très au-dessus dela moyenne et une gestion de type participatif. Cette phase allait buter surl'abandon des projets d'extension de l'étabhssement et le contexte social. En1974, l'usine est occupée par ses ouvriers pendant plusieurs jours alors que lepays sort d'une dictature militaire. Le retour a la <Jictature militaire en 1976provoque une brutale reprise en main par les militaires qui 'prendront possessionde l'uSlDe pendant plusieurs jours. Autour de 1980, la directIon décide (le ranimerla gestion participative à travers notamment l'instauration de cercles de qualité.

Malgré ces volte-faces dans la gestion sociale comme dans le projet industriel,l'unité semble garder une des meilleures rentabilité du groupe. Elle exporte plusde la moitié de sa production. Elle n'en est pas moins touchée ear des mesuresd'austérité propres à tout le groupe. Des grêves l'affectent réguhèrement mais ilest difficile de démarquer ce qui est action ~Iobale des syndicats des métaux, de aqui est protestation propre aux salariés de 1entreprise.

L'automation du train de laminage

L'automation consiste ici à mettre en place un pilotage automatiCJ.ue qui assure uneépaisseur plus constante à la tole laminée. Cette infonnatlsatlOn suit uneinfonnatisation très poussée dans la gestion de l'usine. Elle a été conçue par desingénieurs appartenant au service des méthode de l'usine même. Ceux-ci onlcommencé à travailler sur le projet dès 1978, en marge de leurs activitéshabituelles. Quand l'automatisation est décidée, en 1982, ils arrivent à faire valoitque leur projet sera plus adapté et moins cher que ceux présentés par desAméricains ou des Japonais, bien que le temps pour le mettre au p<Jint et le réalise!soit beaucoup plus long. En effet, ils presentent un devis d'un million et demi dedollars contre des projets qui tournent autour de trois millions.

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Jusqu'en 1984, les personnes en charge de la conception du projet sont horsorganigramme, c'est à dire qu'elles resteront dans leurs postes respectifs et neseront constituées comme une équipe officiellement que six mois avant la mise enmarche du projeL

DIAGRAMME DE L'AurOMATE D'EPAISSEUR DU LAMlNom

Entretien

Installation 3

Achat 1

2Conception

Conduite

4

......_....JIo.:7.., Mo41rication

C\Conception\2.InouYeau

pro4uit

@ Iormation

6

Programmation

Le projet sera rapidement considéré comme un succès, à tel point que desacheteurs potenttels ont déjà pris contact avec l'usine. L'entreprise a nonseulement créé un outil mais elle a créé un outil vendable à l'extérieur.

La direction qui craignait un manque de compétence de ses ingénieurs a donc faitun choix non seulement économique, mais qui a permis de renforcer le capitaltechnologique de son entreprise. On peut être un peu surpris, compte tenu de no~

hypothèses de la manière dont les concepteurs ont travaillé. En fait l'équipe deconcel'tion a comporté cinq ingénieurs qui avaient à faire la preuve de leurcrédibIlité pour que l'entrepnse engage les financements nécessmres à l'achat dumatériel nécessaire. L'équipe a dû également lutter pour obtenir la coordination duprojet, convoitée J?ar le service "systèmes". Celle sItuation explique peut-être quel'équipe ait travaIllé seule, presque en secret. Le diagramme rend compte de cemode de travail par la centration des infOlmations sur l'équipe de conception.Celle-ci s'efforçait d'aller chercher elle-même les informations dont elle avaitbesoin. Il faut voir que la distance entre les bureaux et le train de laminage est telle

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que cette recherche d'informations était aisée. De plus, Jes membres de l'équipede conception pouvaient suivre, voire assister J'agent de conduite du train tout auJong de sajoumée de travail. .

n n'empêche que ce mode de conception isolée à entrainé quelques difficultésqu'il a fallu resoudre peu à peu. Il est apparu que les agents de conduiterépugnaient à passer en pilotage automatique. Ils doivent en effet conduire enmanuel Je début et Ja fin de chaque bobine, beaucoup d'entre eux préféraientgénéraJement se maintenir en manuel. Or Ja <:jualité des bobines passées enautomatique est nettement meilleure, mais cela n est pas forcément éVident vu duposte de conduite. Cette difficulté a été dépassée à travers des réunions collective~où les agents de conduite expliquaient Jeurs attitudes devant les concepteurs etleurs collègues. Ce type de réunion a considérablement modifié Je rapport entre le:concepteurs et ces agents.

DIAGRAMME DEL'AUfOMATION DU DECAPAGEEntretien

5

Installation 3

Achat 1

2Conception

Conduite____-\.'4

,.-_a.:7.., Modification

,;:'\Conception\2.InouYeau

produit

@ Formation

6

Programmation

Par Ja suite, i) est apparu 9ue se créait un complexe, voire une rivalité entre ceuxqui maniaient l'automatisme et le reste de l'usine, notamment les servicesd'entretien et "systèmes". Ce problème a été identifié comme suffisammentcontreproductif pour que des procédures de consultations obligatoires soientinstauœes, lors par exemple de l'introduction d'améliorations. Dans le diagrammececi apparaît par une convergence des informations provenant de la conception oude l'entretien sur les modifications.

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Mais la leçon a été tirée et l'opération suivante d'automation en a tenu compte. Us'agit d'un pilotage automatique du train de décapage. Si l'équipe de conception aété constituée de façon assez proche de celle qui a prévalu avec le train delamina&e, des réunions de travail ont été mises en place avec tous les servicessuscepttbles d'apporter des informations pertinentes, ou simplement susceptiblesde voir leur activité modifiée par l'informatisation en ~estation. Dans lediagramme, cela est perceptible par une ligne continue qUI lie directement laconception à l'entretien.

Vérification de notre hypotbèle

Nous soulignions au début 9ue nous avons été surpris de voir une réussite aussiimportante dans l'augmentation du capital teclUlologique d'une entreprise, obtenu(par un travail qui semblait le fait de personnes en marge de l'organisation. Si cettemarginalisation avait empêché les échanges de savoirs, alors à l'évidence, nousétions dans un cas qui contredisait notre hypothèse. Mais en fait, les deuxtableaux montrent bien qu'il y a échange de savoirs entre toutes les fonctionsessentielles. Ces échanges se font à travers une centration sur la conception.Notons que ce n'est qu'à partir du moment où cette centration devient moinsabsolue qu'ont pu être envisagé les améliorations et modifications du système.

Enfin, nous avons ici un rare cas d'action de la direction dans le sens affirméd'augmentation des échanges de savoirs. Cette action est un peu de l'ordre de cclIIque nous pensons pouvoir être jouée par le service de formation, qui pourrait êtl"(ce lieu de mise en commun des savoirs (cf le point sur la formation en fin durapport). Nous pensons que la réussite se doit partiellement à des restes de latradition participationniste qui a permis aux acteurs de maintenir leur projet, ycompris en marge de l'organisation formelle, el leur donnait suffisammentconfiance pour qu'ils puissent espérer que leurs efforts ne se retourneraient pascontre eux.

TROIS MACHlNES·OUTILS A COMMANDE NUMERIQUE DANS UNEUSINE DE GRQSSE MECANIQUE

Ces trois machines sont situées dans un même atelier d'une entreprise de grossemécanique qui fait l'objet d'une monographie en castillan;tinée par JorgeWALTER. L'usine est Située au bord des Andes, el l'atelier s cialisé dans lafabrication d'éléments de turbines pour centrales hydrauliques. elte monographita l'intérêt de présenter des équipements lrès similaires situés dans le même atelielet qui ont des niveaux de performances très contrastés.

L'atelier est le plus petit des cinq de cette grande entreprise qui se caractérise parun emploi massif de la commande numérique (quarante de ses machines, dontbeaucoup de très grande taille, en sont éqUipées). L'entreprise fait de la grosse

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mécanique et chaudronnerie de I?récision. Après avoir vécu sur des commandesmilitaires nationales, elle a réUSSI à s'étendre au domaine civil et vend une bonnepartie de sa production à l'étranger.

L'atelier contient six fraiseuses de différentes origines (surtout Japon et Italie)mais dont le système de commande numérique est similaire et provient d'ununique fabricant nord-américain. L'entreprise a en effet très largementhomogénéisé la partie éJectronique de ses machines-outils. Cette homogénéitéeX(Jlique peut-être qu'elle en maitrise particulièrement bien les possibilités elqu elle se soit lançée dans la conception assistée par ordinateur, réalisant sur cemode les programmes des fraiseuses.

Ce point sera centré sur trois des fraiseuses, choisies pour montrer des dirrérencelde réussite technique dans un même contexte. Le 'premier cas associe une réelleréussite dans un usinage complexe avec une maÎtnse collective de la technologieemployée. Le second porte sur le lancement d'un nouveau produiL Le troisièmeest un cas de difficulte à réparer un dysfonctionnement. Ces deux derniers casprésentent une moins bonne transmiSSion des connaissances entre les personnesImpliquées. Ces situations contrastées relèvent pourtant d'un même atelier dirigépar un même cadre. Les machines ne sont guère différentes, bien qu'introduites ides moments différents, eUe.'l ont chacune leur propre histoire.

Le fraisage des ailerons de turbines

Ce cas montre bien un rapport entre une bonne fluidité organisationnellepermettant les échanges de savoirs et la bonne maîtrise technologique. La machine(Jepuis son achat a fortement évolué. Destinée à produire les ailerons de turbineséquipant des centrales électriques hydrauliques, la machine taille donc une formecomplexe qui serait difficile à obteOir en pilotage manuel. Le service d'entretien arapidement augmenté la capacité mémoire de la commande numérique, car lemodule fourni (Jar le constructeur américain ne permettait (Jas d'effectuer lescomplexes calculs et de stocker toUle.'l les données nécessaires. Enfin la machine aété intégrée dans le système de conception assistée par ordinateur, c'est à dire queses programmes sont produits directement par le système informatique qui de.'lslOt:le plan de la turbine à réaliser. L'intégration n'est (Jas achevée en ce sens que leprogramme est réalisé dans une usme distante de plusieurs kilomètres puistransporté sous forme de bandes.magnétiques pour être chargé sur la fraiseuse.Petit à petit, le service de ~rogrammation s'autonomise par rapport auxpro~rammesbrevetés qu'il u d abord dO acheter, réalisant de lui-même une partcrOissante de la programmation.

La productivité dans la réalisation de ces ailerons a augmenté de 30% à 40% parrapport aux performances initiales ce qui I?lace rentreprise à un niveauintemationalement compétitif pour ce prodUit qu'elle vend d'ailleurs assezlargement à l'étranger.

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DIAGRAMME (fraisage des ailerons de turbine)

7 Modification

@ E'ormatlon

Conception..... ....I",;9~llouveau

produit

Conduite

..

Entretien5

6

Programmation

Notons d'abord qu'à part la formation qui n'a jamais été fonnellement impliquéedans la constitutIOn de cette unité, tous les secteurs sont reliés. Un des lieux voitconverger sur lui la ma~eure partie des savoirs constitués ou mis en œuvre autourde cet équipement, il & agit de l'entretien et plus précisément de la personne duchef d'entretien qui joue donc ici un rôle de traducteur central. Deux personnesjouent encore des fonction de traduction importantes. Il s'agit d'un responsabledes achats de machines qui a ocCupé antérieurement le poste du chef d'entretiendéjà cité et fut alors son supérieur hiérarchique. La seconde est le chef du servicede programmation qui lui aussi fait converger sur elle trois lignes continues.Reprenons maintenant ce procès de construction technologique.

Le spécialiste des achats est en fait celui qui a écrit le cahier des charges de lamacnine qui devait lailler les ailerons. Il a ensuite recueilli toute l'information surles maténels exislants chez les fournisseurs habituels de l'entreprise. Puis il anégocié avec le constructeur choisi la conception et le prix de l'équipement. Lechef d'entretien avait lui aussi participé à la définition du cahier des charges. Il abénéficié ensuite d'un cours de formation théorique de trois mois effectué chez Iffabricant de la commande numérique. Les deux hommes se retrouveront quand ils'agira de suivre et contrôler le montage de l'équipement chez le constructeur. Lefait que les deux hommes aient appartenu autrefois au même service aideassurément à leur collaboration présente.

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Le spécialiste des achats estime très important le fait pour lui d'aller suivre chez lefabncant le montage de l'équipement. Sa technique consiste à se faire accepter protout le monde, il obtient ainsi des informations très utiles sur les possibilités et I~limites de l'équipement acheté. 11 a obtenu également ainsi des interlocuteursfiables qui, sur un simple appel téléphonique ont pu lui expliquer commentrésoudre un problème nouveau pour lUI.

Le chef d'entretien a obtenu la responsabilité de l'installation opération à laquelle 8participé le spécialiste "achat", Un bon contact avec les techniciens installateursvenant de cnez le fabricant a permis de se familiariser avec le système devisualisation par laser que possède l'éq,uipement. Le principal ouvrier responsablede la conduite de l'équipement a participé lui aussi, qUOique dans une moindremesure à l'installation. Cet ouvrier a ainsi pu faire des observations dont certnin~ont abouti à modifier le système de conduite.

Prévu pour un usinage de très haute .erécision, l'équipement ne semble pas êtresorti des tolérances admises. La modification de la capacité mémoire de la partieélectronique a été obtenue du fait d'un contact plutôt fluide entre l'entretien et laprogrammation. Le chef de la programmation participe au système de conceptionassistée par ordinateur et à la conception de nouveaux produits qui est uneapplication naturelle de ce système, En fait la programmation assistée de l'usinageoe l'aileron est son œuvre. Il a le souci de maintenir un contact le meilleurpossible avec leprincipal agent de conduite, lequel accepte volontiers de donnerson avis, à condition qu'on le sollicite.

L'entreprise a un service de formation notamment pour la soudure. Elle envoiedes salariés suivre des cours sur le contrôle numérique, Cependant, aucuneopération de formation n'apparaît ici directement liée à la mise en œuvre de cetéquipement

Une fraiseuse pour usinage de composants de fusée (usage civil)

Destinée antérieurement à la fabrication des ailerons de turbine, cette machine ades caractéristiques très proches de la précédente. Il s'agit d'une fraiseuse de trè~

haute précision à trois axes qui peuvent être mis en œuvre simultanément. Elleusine maintenant des pièces d'aluminium de faible épaisseur. La présente analysese limite à l'introduction de l'usinage de ce type de pièces. Son dia&rammepourrait être le même que le précédent jusqu'à son changement de destmation.Cependant aucun opérateur n'a participé à l'installation.

Cette machine a été l'objet d'intéressants développements en ce qui concerne saprogrammation, la sélection d'outils et la concertlon de porte-pièCes mais au prixde grands coOts en temps et en matière, du fait d une grande improvisation dans laconduite des opérations. On constate qu'il existe une très forte relation entre leprogrammateur assigné à la machine et l'0eérateur. Cette relation apparaît un peuexclusive. Ces deux personnes ont travaJllé ensemble à tenter de résoudre des

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comportement de la matière première. Dans cette relation, l'opérateur apparait lemoteur, le programmateur se considérant comme à sa disposition pour ~crire lesprogrammes qu'il demande et y apporter les corrections qu'il ju~e utiles. Celleforme de rapport entre un opérateur et un programmateur n'apparatt pas habituelledans celle entreprise. Elle apparaît ici indiquée par un lrait particulièrement épais.

Les difficultés à réaliser ce type d'usinage ont rapidement été identifiées par lesdeux acteurs mentionnés. Ces derniers ont alors fait une demande formelfe pourfaire venir un technicien de l'entreprise qui possède la licence du produit. Lademande a reçu l'accord du chef d'entretien cité plus haut, ainsi que du chef de laprogrammation. Mais elle a été apparemment mal défendue puisqu'elle n'a donnélieu à aucune réponse positive ou négative de la part de la direction de laplanification. L'incapacité à parvenir à recevoir les informations nécessaires de lapart de celui qui a vendu la licence du produit nouveau est indiquée I;'ar un trailmtcrrompu entre la programmation et la conception de nouveaux pro~U1ts.

,~ 1'::\Conception~nouveau

pro4u1t

@ l'ormatlon

G) Mo41rlcatlon

Con4ulte

Achat (IŒ=~...J

DIAGRAMME (fraiseuse pour ~Iémcnrsde fusées)Entretien

5

Programmation

Les personnes impliquées considèrent que l'apprentissage qu'a autorisé cettepériode d'essais et erreurs est loin d'être de nature à justifier [es énormes perteslinancières liées à la sous-utilisation de cet équipement très coûteux pendant denombreux mois. Nous pensons que la refauon un peu exclusive entre leprogrammateur et l'opérateur a un peu isolé cette cellule du reste de l'atelier, ce

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qui ne lui a pas permis de se trouver un traducteur pertinent quand il s'est agi defaire remonter un problème. La monographie détaillée insiste également sur desproblèmes d'organisation situés au niveau des chefs de service qui se traduisenlfréquemment par une mauvaise transmission des problèmes, situation qui nefavorise naturellement pas l'opération de traduction à ce niveau. Pour qu'unedemande passe ce niveau, il faut probablement que celui qui la fait passer soilinlimement persuadé de son importance (au moins pour luL)

Le fraisage des rotors de turbines hydroélectriques

Cette machine est moins s0l!histiquée que les deux précédentes. Si elle possèdetrois axes de travail, ceux-ci ne peuvent être mus tous trois simultanément, deplus, elle n'a pas le même degré de précision. Elle réalise une tâche requérant unerobustesse particulière.

Au contraire d'une autre machine identique installée au même momenl et par lesmêmes techniciens étrangers, elle a connu dès l'origine des pannes et desdifficultés à réaliser une production régulière qui ont obligé les opérateurs à unsoin particulier. Cependant son planning très chargé a inlerilit qu'efie fasse l'objeld'une révision générale dans les ateliers d'entretien.

Un jour, un violent choc pièce-outil se produisit, résonnant dans l'ateliersilencieux du fail de l'heure tardive. Le chef de l'atelier rejeta la responsabiUté SUI

l'opérateur qui paraissait trop faligué. TI demanda le licenciement de ce dernier.

Le directeur décida de suspendre.la décision au diagnostic du service entretien et,entre temps, de rétrograder l'opérateur à une fonction de manœuvre. La réparationdura quarante jours, au cours desquels le service d'entretien identifia denombreuses défaillances interconnectées, touchant tant la partie mécanique que lecontrôle numérique. De ce fait, l'opérateur put être innocenté et retrouver sonposte antérieur. .

Mais après la remise en marche, les difficultés antérieures se maintiennent. TI estalors decidé de débrayer partiellement l'automatisme et d'adopter une conduite"pas à pas" relevant de la responsabilité directe de l'opérateur.

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t=\Conception\!Inouveau

produit

8 formation

G) MocUflcation

Conduite

Achat <E'E=;T-J

DIAGRAMME (fraisage des rotors de turbines)Entretien

5

Programmation

Ce qui frappe ici, quand on compare ce diagramme avec les deux précédentsobtenus dans le même atclier, c'est l'absence totale de communication entre la(lartie programmation-conduite et la partie entretien·installation. La mison en est(lonc principalement à l'intervention autoritaire de la direction de l'atelier qui a patexemple interdit aux opérateurs d'assister à la réparation de la machine. Commesouvent, le souci de bIen identifier les responsabilité s'oppose à l'échange libredes informations. La décision de passer à la conduite "pas à pas" a été prise avecle chef d'entretien sans qu'il y ait consultation des opérateurs. En fait, cettedécision de déconnecter en partIe l'automatisme paraît découler lo&iquement d'uneautre déconnexion imposée, elle aussi, de façon autoritaire, celle descommunications entre conduite et entretien.

Il apparaît également que l'entretien ne parvient pas à obtenir des vendeurs lesinformations qu'il souh.aite, ce que nous exprimons ici par une coupure entre laconception et l'entretien. Notons que la machine jumelle ne connaît pas les même~problèmes. On peut penser que l'absence de révision générale au début est aussi il'origine d'une certaine dégradation de l'équipement. Le service d'entretien estimeque plusieurs machines se sont ainsi irréparablement dégradées, du fait d'uneabsence d'entretien préventif. Ce point de vue est trop habituel dans lesentreprises pour remporter totalement l'adhésion. Pour devenir plus fort dans savolonté d'entretien préventif, le service d'entretien doit avoir des arguments quimontrent le caractère particulièrement urgent de son diagnostic,. Dans le cas defigure présent, il ne pourra pas puiser ce type d'arguments auprès des opérateurs,faute d avoir une communication libre et franche avec eux.

Le lien dessiné entre formation et conduite provient de ce que ce cas est un des

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rares exemples où la fonnation a été utilisée spécifiguement pour l'installationd'un équipement. L'opérateur sanctionné a justement tiénéficié d'un stage de trobmois d'initiation à la commande numérique. Ce stage comportait une partiepratique auprès de l'équipement même, ce qui avait été très eosltivement appréciépar les sta&iaires. La plupart d'entre eux venaient d'etre embauchés parl'entreprise; ils ont vu dans la formation un moyen de s'intégrer à celle-ci, tout erse constituant un réseau de collègues qui a sûrement joué un rôle de défense,discret mais efficace, du sanctionné.

Vérilicatlon de l'hypothèse

Le contraste entre les trois situations relevant du même atelier parait tout à failcohérent avec notre hyPothèse. Le premier cas fait apparaître l'efficacité obtenue ~travers de bonnes liaisons croisées et le fait qu'un des traducteurs rassemble surlui la plupart des informations possédées par les acteurs des principales étapes.Cette centration dans un système possédant de nombreuses relations croisées n'CS"sQrement pas étrangère à la faculté de modifier l'équipement, c'est à dired'innover, de IJroduire une technologie qui va plus loin que celle qui avait étéinitialement achetée. On notera que toutes les innovations ne proviennent pas dece traducteur central. La présence de ce dernier facilite la recherclie desinformations ou idées manquantes, le fait qu'il ne soit pas point de passage obligéévite les blocages liés à des affinités personnelles.

Les deux cas suivants confortent l'idée que des coupures dans lescommunications entre les acteurs des différentes étapes réduisent la capacité à lacréation technologiQ.ue, au point même dans le dernier d'empêcher l'utilisation dela technologie théoflquement achetée à l'extérieur. On y voit notamment que lacommunication entre entretien et programmation qui fonctionnait pour la premièremachine est ici déficiente. Les memes selVices ne réussissent pas à s'échanger le~mêmes informations pour les différents équipements qu'ils ont à charge. Cecijustifierait, s'il en était besoin, le point de vue qui est le nôtre de se focaliser sUiun équipement plutôt qu'une organisation. Ceci ne veut pas dire que lesprobl~mesne soient pas organisationnels. Us le sont très largement et nous avonsvu combien l'intrusion de la direction de la planification ou celle de la direction del'atelier pouvaient perturber la relation entretien-conduite. Mais chaque équipemena sa propre histoire, chaque équipement, chaque construit technologique procèdede l'action d'acteurs spéCifiques Internes et externes nl'entreprise.

Si les trois cas s'avèrent assez différents les uns des autres, ils poussent cependanà poser un certain nombre de questions sur le fonctionnement organisationnel decette entreprise. En effet il a'pparait très nettement que se superposent deshiérarchies dont les p'rincipes d action sont différents au point d'arriver à se gênelréciIJro~uement. Différents acteurs de l'atelier se plaignent d'un manque desensibilité aux problèmes de la production de la part de la direction de laplanification, par ailleurs nous avons pu constater qu'un certaine visionautoritariste du commandement pouvait a60utir à freiner le développement d'un

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savoir collectif. La monographie que l'on trouvera dans l'annexe en castillan, tenhde tirer au plan de l'entrepnse les enseignements que nous avons décrits ici auplan de trois équipements.

UN RODOTINEMPLOYE

Ce cas et le suivant s'appuient sur une monographie effectuée sur une entreprisede sous-traitance de l'automobile de Buenos-Aires. La monographie estdéveloppée dans l'annexe en castillan, elle a été réalisée en commun parRUFFIER, TESTA et WALTER.

L'entreprise est filiale d'un constructeur automobile dont la maison-mère est enFrance. Elle produit différentes pièces détachées comme des trains avant, dessystèmes de freinage ainsi que d'autres pièces plus petites destinées à être montée!dans les usines que le groupe possède en Argentine. L'usine possède égalementun petit atelier de chimie qui produit des fluides comme l'antigel ou le liquidelave-vitres.

L'usine a fait l'objet d'une réorganisation assez radicale trois ans avantl'observation. Elle réalisait des matrices pour les presses du groupe et employaitdes ouvriers très qualifiés. Cette activité a été regroupée dans une autre usme. Dece fait environ 90% des ouvriers et la moitié de l'encadrement ont été renouvelés.Le bureau d'études a été drastiquement réduit et on a embauché de nombreuxO.S. dont bon nombre provenaIent d'une usine d'un concurrent qui venait defeffiler ses porles. Actuellement, l'usine emploie 500 personnes, sa reconversiondonne satisfaction au groupe.

Nous y avons pourtant observé un échec navrant dans l'introduction d'un robot.Cet échec a déjà été mentionné dans le chapitre sur l'état des nouvellestechnologies en Argentine. Nous aUons donc ne pas revenir sur la présentationdéjà faite et nous contenter de commenter le diagramme rédigé sur le cas.

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DL'lgOU11l11e de robot

Entretien

In"oll.llon (

Achat(D ~~':1",-

conceptIon'- 2

Programmation

7 Modification

~concepUoD

\2Inouveauproduit

(!) l'ormatlon

La décision de l'achat a échappé tOlalement a l'usine. En fait elle a été prise un peupar hasard à l'issue d'une foire où le ~roupe présentait des machines réalisées enFrance. Les dirigeants ont estimé 'lu JI ne serait pas facile d'obtenir, le jour où ible souhaileraient, l'achat en France d'un tel malériel, du fait des barrièresdouanières. Deux robots étant en Argentine ils ont décidé d'en allribuer un àl'usine. Ainsi ,l'usine n'a pas participé à la décision d'incorporation du robot.Comme elle ne l'a pas payé ni commandé, eUe n'a en fait jamaIs vraiment réussi ~

entrer en contact avec le constructeur. EUe est ainsi restée sans appui techniquelorsqu'eUe a connu ses premiers déboires.

Nous constatons par la suile qu'aucune des personnes qui participeront àl'installation du robot ne restera en contact avec l'é~uipe que nous rencontrerons.Cela est aussi vrai pour ceux qui suivront la formation faite par les techniciens dufabricant que pour ceux qui eurent à charge les premiers essais. Dans le momentde l'enquête, nous constatons une relation plutôt bonne au sein de l'équipe quitente de tirer le maximum de l'équi~mentqu'elle a. Mais celle équipe n'a lapossibilité de recueillir qu'une trop faIble partie des savoirs propres à ce construiltechnique. Elle nepossè(Je pas davantage de traducteur auprès de la direction quin'est donc pas à meme de se faire une idée précise de la nature des difficultés dan~lesquelles ces salariés se déballent somme toute courageusement.

Ce cas vérifie donc a contrario notre hypothèse. Le robot fonctionne très endessous de ses capacités mais finalement quelques programmes tournent et cela

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est déjà un résultat, compte tenu du peu d'mformations et de soutien technique del'équipe. Par contre, un véritable développement impliquerait probablement unereprise à zéro de la formation du construit.

UN CENmE D'USINAGE OUI FONCTIONNE

ConceptioD___~ ...,9., nouveau

produit

7 Modification

@ formation

Achat 1

Le cas qui suit est emprunté à la même usme. Il est limite pour notre échantilloncar la commande num~rique s'y résume à un automate proçrarnrnable. Mais ce c~est mtéressant car il est en apparence à contrepied du premier. La demande part dela direction de l'usine qui n arrive pas à améhorer la qualité de disques de frems.Après étude elle obtIent du groupe l'autorisation d'acheter oeux centresd'usinage, en fait des tours commandés par des automates programmables. Noussommes assez proches de la commande numérique mais la programmationnécessite le recours à une mallette spéciale que l'on connecte avec les centres.Chacun d'entre eux a une cmquantaine d'outils et une réelle flexibilité d'utilisatiorqu.i a permis de l~s utiliser pour plusieurs pièces de manière à occuper la machineseize heures parJour.

Le fabricant est une fIliale brésiliemle d'un constructeur allemand. Les centres ontété montés au Brésil mais la partie électronique est importée d'Allemagne.L'utilisation en est ju~ée bonne puisque, deux ans après l'mstallation, les toursont un taux d'illunobllisation qui n'excède pas 25% du temps de travail. Desmodifications de la machine ont été nécessaires pour fabriquer de nouvellespièces. Le temps de changement des outils en cas de changement d'usinage esttombé de 15h à 7h. L'entretien est apparemment parvenu à maîtriser toutes lespannes. Voyons comment le diagranlme rend compte de cette réussite.

Centre d'usill.'lgeEntretien

5

Programmation

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Le tableau fait apparaître deux pôles de concentration des savoirs. Le premier serassemble autour du fabricant. L'affaire était pourtant mal engagée car, peu aprèsl'installation, les machines connurent des pannes fréquentes et ne parvenaient pasà atteindre la qualité. L'entrel?rise a pu faire jouer la clause de garantie et lefabricant brésilien est revenu faIre les réparations et les mises au point. Fmalemenlcette difficulté initiale a peut-être représenté une chance car les Itens entre l'atelielet le fournisseur s'en sont fortement augmentés. Ainsi, lorsgue l'entreprise asouhaité produire d'autres pièces que celles qui étaient prévues mitialement, elle 1pu recevoir des conseils du constructeur.

Le second pôle de concentration est constitué par une équipe du service entretien.Celle-ci a réussi à suivre toute l'installation et le retour des Brésiliens. Ellemaintient des échanges fluides avec quelques uns des ouvriers chargés de laconduite. Cest également elle qui se charge de la programmation. Ainsi a t'elle puprobablement concentrer suffisamment de savoirs pour se lancer dans lesmodilications dont nous avons parlé.

UNECOPIEUSE ACOMMANDE NUMERIQUE

Enfin nous allons encore prendre un cas dans le même groupe mais dans uneautre usine. Ce cas présente des similitudes certaines avec celui du robot. maisl'aboutissement en est curieux, la même machine fmit par donner lieu à deuxconstruits.

L'action se passe dans une usine spécialisée dans la fabrication des matrices despresses. Il s'agit donc d'un travail unitaire de précision sur de l'acier trèsrésistant. La copieuse est une machine très répandue dans ce genre d'activité. Lacopieuse fonctionne comme un immense pantographe dont on fait courir une têtesur un modèle souvent en bois, ce qui fait éxécuter les même mouvements à la têted'usinage. Le temps d'usinage d'une seule pièce dépasse souvent la centained'heures et on recherche donc les moyens de réduire ce temps tout en diminuantl'intervention humaine. Ceci explique l'introduction des copieuses à commandenumérique dans la maison mère.

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Copieuse ~ commande numérique

Entretien

1'::\Conception\!Inouveau

proc1u1t

o Moc1lflcation

Conc1uite

o8 formation

Interne

@----r(!)formatiOnuniversitaire

Programmation

Achat~

La direction décide pour ne pas être dépassée par l'évolution de la technologie des'acheter une telle machine. Il faut signaler que la demande ne vient pas desateliers qui cherchaient tout simplement une nouvelle copieuse.

La machine est importée d'Europe. Au moment de l'enquête, soit un an après salivraison, nous ne trouverons personne qui ait suivi son installation. Par contrenous constatons que le soft de base du copiage n'a pas encore été livré. Ainsil'atelier se retrouve-t-î1 avec une machine i.ncomplète et sans contact avec leconcepteur. Comme le besoin de la copieuse est réel, celle-ci est utilisée endéconnectant la commande numérique. Le service de formation s'est intéressé àcet équipement et a pris en main la formation des opérateurs; ce faisant, il s'estmis à jouer un rôle utile d'assistance technique. En quelque sorte, sous la pressiorde la demande, un groupe d'acteurs hétérogènes a ainsi transformé une machine ilcommande numérique en machine-outil classique. Cette action est d'autant plusremarquable que pour ces acteurs la machine tombe du ciel sans guère de support.

Mais d'autres acteurs développent avec le même équipement un autre construit. Us'agit d'un groupe d'ingéllleurs du bureau d'études qui ont envie de sefamiliariser avec fa commande numérique et désirent redonner à cette machine savocation première. Ce groupe prend la machine en général les samedis et s'efforcede l'utiliser en commande numérique. Comme ils ne possèdent pas le soft de basenécessaire, ils ne sont pas parvenus à en faire une copieuse à commande

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numérique mais ils ont réalisé suffisamment de programmes pour en faire unesorte de fraiseuse à commande numérique. La direction ne voit pas d'un mauvai~

œil l'action de ces cadres. En même temps elle considère que la machine est déjàlargement utilisée, donc elle hésite à faire venir le soft de base ~ui transformeraitla machine en encore autre chose. Les ingénieurs se retrouvent livrés à eux-même.Us ont finalement obtenu un appui dans une Aniversité technologique où certainsd'entre eux suivent et donnent des cours. Pour l'université, la machine estdevenue un cas d'école.

Il est frappant de constater l'absence de communications entre les deux construitsSi les deux groupes se partagent les mêmes objets matériels, ils mettent en œuvredeux équipements très différents dans leur nature. Us construisent deux savoirscollectifs sans les faire se recouper et se compléter. La performance del'équipement comme copieuse à commande numérique est quasi nulle maischacun des deux construits parvient à une performance spécifique qui satisfait leIacteurs concernés. U aussi, si notre hypothèse est juste, la transformation de~deux construits en une copieuse à commande numérique ne se fera passimplement par l'arrivée du soft correspondant, elle impliquera une refonteorganisationneUe qui par exemple s'efforcerait de faire se communiquer entre euxles trois morceaux éclatés du diagramme.

UN CENTRE D'USINAGE DEVIENT MODELE D'UNE PRODUCTIONFU11JIŒ

Nous terminerons ce balayage du terrain par le cas peut-être le plus achevé quenous ayons. Il s'agit ici d'un si bon exemple de notre théorie que, seul ,il porterailà douter de l'honnêteté de l'observateur. Il existe pourtant bel et bien et nousavons le regret de n'avoir pu en approfondir l'o6servation. Nous avons parailleurs rencontré deux autres entrepnses à même de réaliser cette performance~u'est la réalisation d'une boucle totale dans leur construit. Il s'est agi ici des acheter un centre d'usinage à commande numérique et de s'y adapter au point dedevenir producteur d'une technologie équivalente.

L'entreprise a été créée par des transfuges d'un bureau d'études d'un grandconstructeur automobile argentin. Elle commence par réaliser des études puis sefait maître d'œuvre pour la réalisation de machines spéciales. Progressivement eUeintègre des automates }?rogrammables à ses producuons en se servant toujours dumême module éleclrOIll<Jue afin de bien le connaître et de ne jamais être à court depièces détachées. Ce clioix a probablement aidé au succès de l'entreprise, il asurtout permis de maintenir une relation très bonne avec le constructeur allemandde l'automate programmable.

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En phase de croissance, l'entreprise estima qu'il lui fallait affmer la qualité del'usmage de certaines pièces et se décida à acheter un centre d'usinage àcommande numérique qu'elle commanda intégralement au constructeur allemand.Cette première machine à commande numérique fut choisie d'un modèle standard.Le rapport avec le constructeur par contre échappait à la norme de ce type deventes. En effet, l'assistance technique ne faisait pas défaut puisque l'ingénieur enchef de l'atelier avait l'occasion d'aller régulièrement visiter le constructeur enEurope. De plus, ce constructeur a installé un bureau dans la capitale argentine (~une distance de 700 km de l'usine). Ce bureau est en contact fréquent avecl'usine. Au bout d'un certain temps, l'usine s'estima à même de produireelle-même des machines à commande numérique à partir de l'armoire decommande de celle qu'elle avait achetée. Le constructeur européen y vit uneoccasion de vendre des armoires de commande et ne s'opposa pas au projet.

Centre d'usinage

Entretien

Achat 1

Programmation

Conception9 nouveau

produit

Le diaçramme fait apparaître une très forte centration sur la conception interne.Ceci n est guère étonnant. Constituée autour d'anciens membres d'un bureaud'études et ayant commencé par vendre des études avant d'être maître d'œuvre,l'entreprise s'articule encore autour de son bureau d'études. Les personnesembauchées à la fabrication et à l'entretien sont toutes des relations personnellesdes fondateurs. L'entreprise fonctionne comme un bureau d'études qui aurait de~mains, et son succès s'explique ainsi. Sa solidité vaut ce que valent les relations

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personnelles entre d'anciens collègues devenus associés.

La réussite se doit aussi à ce que le eouvoir se trouve entre les mains de ceux quiconcentrent l'information, cela rédUit de beaucoup la difficulté des traductions àopérer. Enfin, il faut souligner ~ll'ici la formation a été intégrée dans la stratégiede dévelop~rnent de l'entreprise. La raison est que l'entreprise doit former sesclients et qu'eUe tire son expérience de formateur du fait d'avoir eu à formerelle-même ses propres hommes. En quelque sorte, la formation réussit àconcentrer sur elle des savoirs notamment acquis par ceux <J.ui ont à charged'entrenlr les machine..'1 ou d'apprendre à des clients à les entretemr eux-même.

La conduite apparaît comme relativement marginalisée dans le processus. Lesconducteurs sont pourtant fréquemment interrogés par les concepteurs denouveaux équipements ou par le progmmmateur lorsque celui-ci s'interroge sur laqualité d'un programme. Quelques conducteurs ont d'ailleurs avancé dans laprogrammation et réalisent une part plus ou moins grande de celle-ci.

Notre hypothèse fonctionne remall]Uablement dans ce cas puisqu'à l'existence deliens constants de traduction reliant toutes les phases ,on trouve une machine quiest très bien utilisée, tournant souvent en deux équipes et utilisant sans cesse denouveaux programmes. La machine est maîtrisée au point d'en avoir tiré unemachine nouvelle commercialisée sur le marché argentin et, depuis peu, au Brésilet au Vénézuéla. Le construit technique est achevé; le capital technologique qu'il 1engendré en est l'aboutissement.

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Il est temps maintenant de reprendre globalement les diagrammes présentéssuccessivement pour les confronter à notre hypothèse et tirer quelquesconclusions. Commençons par discuter de la solidité (le notre hypothèse.

L'hypothèie ll'épreuve des diagrammes

Notre hypothèse suppose la construction d'un savoir collectif par des personnesqui peuvent occuper (les fonctions très diverses dans et hors l'entrel?rise, mais quiont en commun de se mobiliser'pour le succès d'un ensemble teclmlque donné et,à cette fin, d'échan~er sans rétlc~nces l'infonnaûon qu'elles détiennent par desopérations apellées Ici traductions. Cette hypothèse a résisté à tous les diagmmmeleffectués, c est à dire que dans notre échantillon, la qualité des construits estparfaitement corrélée avec le nombre et la qualité des traductions opérées entre I~(Iifférentes opérations constitutives du construit. En quelque sorte notre hypothèsea résisté au test, elle n'a pas été réfutée par les exemples argentins. A-t-elle pourautant été vérifiée 7

On ne peut aUer aussi loin. TI faudrait assurément un échantillon plus grand pouremporter l'adhésion. Le travail réalisé au cours de ces dix-liuit mois a étéconsidérable surtout, quand on considère que les observations sociologiques deterrain industriel étaient pratiquement inconnues en Argentine, à l'issue de ladernière dictature. Avoir réussi à analyser autant de cas est donc une perfonnance,dont le mérite revient très largement à l'équipe argentine. Mais il y a encorebeaucoup à faire. La simple lecture des cas présentés dans ce rapport montre quemalçré leur nombre, nous n'avons probablement pas atteint la saturation. Celle-ciserait obtenue si tout nouveau cas ressemblait à un autre déjà décrit. Nous avonstrop peu de ré~titionsdans les cas présentés pour prétendre à cette saturation,c'est-à-dire qu'il existe probablement en Argentine, des fonnes de construitstechniques complètement différentes de celles que nous avons décrites. Nous nepouvons pas affinner avoir la certitude que notre méthode d'approche et notrehypothése se vérifient aussi dans des cas (J'un type radicalement (Jifférent à ceuxque nous avons pu observer.

Notre hypothèse n'est donc vérifiée entièrement ni quantitativement niqualitativement. Cela dit, elle nous parait avoir ici reçu suffisamment deconfinnation, pour ~u'elle puisse être maintenue dans des travaux à venir. Nousirons plus loin: en 1état actuel de nos travaux, cette h~thèse est de nature àpennettre aux entreprises d'améliorer leurs construits techniques, en identifiant lellieux où une action correctrice a le plus de chances d'être efffcace.

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Dans tous les cas observés, la capacité ou la difficulté à mobiliser simultanémentdes informations, ou des savoirs possédés par différents opérateurs du construi"est apparue comme un des éléments centraux de la perfonnance des construits. Cerésultilt, s'il se confirme à l'avenir. est très important. Il montre une des voiesd'intervention sur les construits. Nous ne sommes pas les premiers à avoir eul'idée de travailler dans cette direction, mais, il semble bien, qu'à ce jour, aucuneméthode d'analyse et d'intervention n'avait été élaborée aussi précisément. Notrehxpothèse a permis la constitution de ce qui pourrait se transformer en outild intervention.

Une méthode d'approche transformable en outil d'intervention

La deuxième conclusion porte sur la pertinence de la méthode d'observation. Al'expérience, la construction et le maniement des diagrammes sont des opératiONassez rapides à effectuer. Les recueils des donnéeS au fur et à mesure que seprécisait l'instrument ont pu s'accélérer. Les informations nécessaires à laconstruction des diagrammes touchent l'entreprise et ses rapports avec l'extérieur.Ils sont cependant relativement faciles à obtenir, puisqu'il nous suffitd'abandonner une piste dès lors que l'entreprise en a perdu mémoire. Si personnen'a de contact avec les concepteurs de la machine, il ne nous importe plus que laconception ait été très bonne ou non. Nous faisons l'hypothèse que cela n'a plusd'importance. Une bonne conception perd tout intérêt au fil des modifications quel'équipement connait du fait de son utilisation, ou de son usure. Une erreur deconception peut être rectifiée, si les échanges d'informations sont suffisammentbons pour qu'on puisse identifier en quoi cette erreur consistait et, déduire lameilleure stratégie à suivre.

Travaillant sur des problèmes de communication, le constructeur du diagrammen'a donc pas besoin d'être spécialiste dans toutes les disciplines ~ui touchent auconstruit. Ce spécialiste n'existe d'ailleurs pas dans les écoles d ingénieurs, onvoit mal comment un sociologue pourrait prétendre à l'omnicompétence. Laméthode présente un avantage consi(Jérable sur les autres méthodes d'observationde changements techniques généralement mises en œuvre: elle n'oblige pasl'observateur a avoir une opinion personnelle sur la pertinence des choixtechniques. Et cela à l'expérience nous est paru important. Parvenir à fonder unju&ement quant à la pertinence d'un choix technique, est un travail très coûteux,pUIsqu'il faut prendre en considération les choix alternatifs qui ne sont pas donné!à l'observation directe, et relèvent souvent d'autres techniques. De plus, le terrainest alors piégé. Dans une entreprise, trop d'acteurs jouent leur sort sur des OptiOIlltechniques, pour qu'ils soient tout à fait im~artiaux quand ils en parlent. Envoulant prendre parti sur le plan technique, "1 expert" peut se donner l'illusion dtchercher à déplacer le débat sur un plan plus solide que celui des relationssociales. C'est une erreur car, en régie générale, une prise de position à ce niveaurevient à choisir son camp dans l'entreprise. Si le sociologue n'a pas consciencede l'enjeu stratégique de toute prise de position technique, il en sera d'autant plmfacile à manipuler. Son jugement techOlque ne sera plus alors que l'expression deson aveuglement social.

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Le sociologue gagne donc à considérer que les options techniques sont infinies.Une entreprise ~ut toujours chercher une performance meilleure en modifiant sonappareil productif, ou son produit, voire ses {Jroducteurs. Le problème du choixtechniq,ue n'est pas de trouver le meilleur chOix possible dans l'absolu. Il est damla manière dont le choix s'opère. Il s'a~it de savoir si l'option prise renforce lecapital technologique de l'entreprise, c est à dire si elle ajoute des compétencessupplémentaires à celles qui existent déjà, si elle crée une compétence globale etnouvelle. Cette compétence sera d'autant plus forte C)u'elle s'appuie sur uneexpérience unique, celle d'une entreprise donnée. Or ceci est d'abord un problèmede traduction. Seul, un flux de traductions, entre les différents groupes concerné!!par un construit, permet de se faire une bonne image de ce que peut et ne peut pml'entreprise, de ses )JOints forts et ses points faibles. Seul, ce flux permet d'avoirune représentation globale d'un instrument productifcommandé par informatique.Comment penser améliorer un système, si on n'en a qu'une représentationpartielle 1

L'analyse que nous proposons permet justement de mettre le doigt sur les défaulEde traduction. Elle donne donc une mdication précise des lieux sur lesquelsagir.Certes, il ne suffit pas de vouloir un traducteur pour l'avoir. La traductionrequiert une capacité à comprendre les intérêts et problèmes des deux groul'esconcernés par elle. Elle reC)uiert surtout une volonté de dialogue qui n'a nend'automatique, lorsqu'on salt l'intérêt qu'un individu peut retirer de la rétentiond'informations. A tout le moins, l'analyse met l'accent sur des nœuds, desblocages du flux nourricier du capital technologique. Les acteurs sont alorsrenvoyés à eux-même pour décider de maintemr des zones d'ombres ou, dedévelopper l'instrument productif.

La méthode des diagrammes a cependant un défaut qu'on ne peut I?asser soussilence: son apparente simplicité. Le dia$ramme simplifie la descnption d'unconstruit techmque, c'est à dire du maténeJ, des hommes et des savoirs mis enœuvre dans un instrument productif. II décompose en opération des étapes deconstitution de ce construit. Il réalise ce découpage d'une manière standardisésquels que soient les instruments rencontrés. Ir demande cependant un peu desavoir faire dans le recueil des informations. n faut savoir parler, comprendre et SIfaire acce(Jter dans des milieux aussi variés que celui des informaticiens, celui desgestionnaIres ou celui de la fabrication. Il n'est pas évident, a priori, de passerpour un interlocuteur valable dans tous ces milieux à la fOIS. Le syndiquéregardera d'un œil suspect celui qui a l'oreille du patron, lequel hésitera à seconfier à quelqu'un gUI va ensuite discuter avec un syndiqué. Les objectifs dusociologue doivent donc être clairement annoncé. fi doit, de 1?lus, fonctionner àson tour comme un traducteur universel, qui serait à même d ex~liquer à chacunla pe~ctive de chacun. Il ne peut parvenir à un tel résultat qu en obtenant unecom{Jbcité. Cela requiert du tact. Cela requiert d'êlre capable de partager lapassion de ses interlocute~rs pour le changement en œ.uvre. La pa~s.ion nes'invente pas, elle ne s'acqUIert que dans une bonne connaissance du mlbeu desentreprises. Elle requiert une famaliarité avec les objets techniques et leursvocaliulaires.

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La Conne des diagrammes

Les diagrammes rencontrés étaient plus ou moins complets dans leursinterconnections, nous avons déjà discuté de cela dans le premier point de celleconclusion. Nous voudrions ici ébaucher quelques réflexions sur les principalesformes rencontrées.

La forme la plus simple d'un diagramme complet est celle qui prend la forme d'unserpent. Celui commence généralement par la traduction entre les opérations 1 et2, et, s'achève par la traduction entre les opérations 7 et 9. nans un teldiagramme, les Informations nécessaires sont souvent à rechercher. à traversplusieurs traductions successives. Autant dire que certaines informations serontlongues et difficiles à avoir, et qu'elles risquent d'arriver déformées. Mais, leproblème majeur est celui des nsques de ruptures. Tous les diagrammes quiavaient celle forme dans l'échantillon, présentaient une ou plusieurs,interruptions. C'est-à-dire que des acteurs y avaient autrefois opérés une fonctionde traducteur et, aujourd'hui ne jouaient plus ce rôle, du fait de leur disparitionou, de leur changement de préoccupations.

Le diagramme en serpent correspond apparemment à des entreprises quipratiquent une répartition stricte des spécialités, et où la division entre selVices esttrès cloisonnée. Ainsi, le même selVice s'y occupera de toutes les installations. Ilpourra jouer un rôle utile de traduction lors de l'installation d'un équipement.Mais l bientÔt, il va se mobiliser sur une nouvelle installation et oubliera son travaianténeur.

Le diaçramme en êtoile présente voit converger les traductions sur un centre detraductIOn. fi se rencontre assez fréquemment ct avec souvent de bons résultats.Ce cas de figure évite les problèmes de traduction entre traducteurs puisqueceux-ci parlent la même langue. Un des construits les p'lus performants que nousayons obselVé, présente précisément celle forme; 11 s'agit de notre dernierexemple, où le bureau d'études arrive à s'assurer un contact avec tous les savoilldu construit. Dans ce cas de figure, l'entreprise produit plus de la technologie quede la machine. Les flux d'informations vers le bureau d'études sont directementdans la logique de celle production.

Nous avons plusieurs diagrammes ou toute la traduction reposait entre les mainsd'une seule personne. Le traducteur central uni9ue occupe généralement uneposition de pouvoir importante, sinon la plus Importante. Nous retrouvonssouvent de tels cas de figure avec des créateurs. La première fragilité tient à lanature fragile du traducteur. Qu'il disparaisse et le capitalteclmologique vole enéclats. Que disparaisse la confiance mise par les autres dans le traôucteur, et latraduction s'arrête. L'effet produit alors est souvent celui d'une désilJusion. Uncharme se rompt. Celui 'lut trouvait toujours la "bonne" réponse aux problèmesdonne des solutions qUI sont maintenant contestées. En effet, le propre dutraducteur est de savoir ce qui entre ou n'entre pas dans la strat~gie et la

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compréhension de chacun. Cela lui donne non seulement de bonnes informatiompour définir des solutions, mais aussi, cela lui permet de voir queUes solutionsvont apparaître comme bonnes. La t'erte de confiance de ses collègues est pour lu'tragique: elle lui retire tout ce qui fait son génie.

Une autre limite du traducteur central unique réside dans sa prol?re capacitéd'intégration. Le génie universel n'existant I?as, le traducteur umque tend àprivilégier une ligne d'action unique et, ce faisant. il passe à côté de bien deschemins a1tematifs. A bien y regarder, un traducteur central constitué de plusieurspersonnes n'échappe pas à ce risque. Si celles-ci appartiennent à la mêmesensibilité, eUes vont privilégier cette sensibilité. Dans une entreprise, un bureaud'études qui joue ce rôle de traducteur central mène l'entreprise à suivre unestratégie de bureau d'études. Ceci peut occasionner une cécité Sélective et réduirel'aptitude de l'entreprise à tirer le parti maximum des équipements existants ou àappliquer une politique de rigueur budgétaire.

Un diagramme idéal serait théoriquement celui de l'interconnnexion totale.Malheureusement, ce cas de figure ne s'est pas rencontré. Ce serait le cas où tou~les acteurs d'un construit seraient à même d'accéder à l'ensemble des savoirs mi~en œuvre dans le construit. Ce cas de figure serait-il le plus performant 1 Cettequestion n'a probablement llas de sens puisque nous travaillons sur desequipements dont la compleXité est teUe qu'elle échappe à l'entendement d'unseul. On pourrait rêver d'une entreprise qUI ne comporterait que des traducteursuniversels. Mais quelle justification donner à des flux d'informations ~uiexigeraient de chacun qu'il dise tout ce qu'il sait à chacun 1 Est-ce qu'à partir d unmoment, l'effort pour entretenir les flux redondants ne coatera pas trop cher enregard de l'intérêt que les individus et leur communauté en peuvent retirer 1 Nomavons le sentiment que si des individus acceptent de faire l'impasse sur leurprol?re zone d'incertitudes, c'est qu'ils y ont une motivation forte. Cettemotivation ne peut se maintenir que face à des enjeux clairs comme la SUIvie del'entreprise ou la réussite d'un projet. Le maintien d'une forme organisationnelleégalitaire pourrait constituer l'objet d'une forte mobilisation à condition d'unpartage aussi égal du profit. Toutes les entreprises n'y sont pas prêtes...

L'existence de traductions croisées pennet d'éviter les défauts liés à une traductiortrop centralisée. L'existence de pfusieurs traducteurs à différents niveaux del'organigramme est certainement un atout. Nous avons rencontré plusieurs cas defigure de ce type. Ils présentent, bien sar, une fragilité moindre puisquel'information peut J?rendre plusieurs canaux différents. Cela doit contribuer àaugmenter les pOSSibilités créatives de J'entreprise. En effet, un traducteur dubureau d'études va entendre plus particulièrement ce qui entre dans la logiquebureau d'études, un traducteur du selVice entretien verra plus facilement lesintelVentions susceptibles de modifier l'équipement, etc.

Les diagrammes en forme de traductions croisées sont souvent plus évolutifs queles précédents. lis évoluent en fonction des carrières des traducteurs ou d'aléasorganisationnels. Cette fluidité présente des avantages car elle multiplie etl'expérience et les contacts, donc le capital relationnel, des traducteurs. EUepréSente le risque de voir à tout moment se briser une relation de traduction et,

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s'appauvrir le capital technologique. La gestion d'un tel risque est à la base de laconstruction d'un capital technologique.

Le consensus total est-il un atout pour l'informatisation de la production 1

Tant en Ar,gentine qu'en France ou au Mexique, l'observation des attitudes despersonnes Impliquées dans l'informatisation d'une production, pose la questiondu consensus. Beaucoup de leurs actes sont inexplicables si on part de l'idéequ'ils cherchent avant tout à maximiser leurs intérêts propres. Bien souvent et aucontraire, on les voit agir en négligeant leur intérêt personnel dans le seul but quela machine marche, que la production se fasse, comme s'ils avaient intégré mieullque les capitalistes eux-même, l'intérêt des capitalistes. Il nous est un peu difficiled'admettre que le fait pour ces salariés de se battre pour la réussite de leurentreprise ne donne que la mesure de leur aliénation. Nous avons employé leconcept d'appropriation pour décrire cette implication (BERNOUX). Il nousparait ce~enaant utile d'explorer rapidement la nature de ce consensus dansl'implication, de ceux que nous appelions les acteurs d'un construit.

Commençons déjà par relever que, lorsqu'ils sont interrogés, les salariésimpliqués dans des oPérations de traduction font état de perspectives d'avenir qudépassent généralement le cadre étroit de leur atelier ou leur bureau. Leur actionprésente est mise en perspective avec le futur qu'ils envisagent pour eux-mêmes.Ils voient dans leur implication présente le moy,en de se former aux techniques dedemain. Ils perçoivent que les traductions qu'lis oJ?èrent au~mentent leur capitalpersonnel de relations dans et parfois hors l'entrepnse. Crozler a bien montré guele refus de la traduction, c'est-à-dire la rétention des informations, peut servir àaccroître son pouvoir dans une organisation. Une teUe stratégie peut paraîtredérisoire pour qui peut jouer la carte du développement personnel. Ce serait doncun peu rapide de dire que les traducteurs sont aliénés à leur entreprise au pointd'oublier leur propres intérêts. En fait, ils sont surtout fidèles à un réseau, et ilsespèrent retirer des possibilités d'évolution personnelle.

Les traducteurs, qui ont l'occasion d'cffectuer des traductions aux interfaces del'entreprise, montrent qu'à l'évidence ils ne sont pas particulièrement fidèles à lementreprise. Beaucoup d'entre eux profitent de leur capacité à entrer encommunication pour changer d'entreprise, r.assant du constructeur au client, duprestataire de service à l'utilisateur. Mais, lis ne trahissent qu'en apparence. Ilssavent que leurs changements d'employeurs seront d'autant plus féconds qu'ilsmaintiendront leur réseau de relations. Ils sont fidèles à leur réseau avant tout.L'entreprise a donc intérêt à utiliser ces mercenaires du changement technique.ElIc en tirera d'autant plus parti que ces derniers lui resteront toujours un peuextérieurs. Cette conclusion était particulièrement évidente dans le cas de l'usinede yoghourt mexicaine. Elle se renforce ici de nombreux cas où, la capacitéd'innovation nait d'un transfuge.

Nous revoilà ramenés à la notion de consensus. Le consensus total nous remetdans la case du traducteur central unique, c'est à dire dans une situation où lescommunications sont si bonnes qu'ellcs évitent l'affrontement des idées etréduisent le champ de l'innovation. Cela dit, l'entreprise conflictuelle ne facilite

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nullement les opérations de traduction puisqu'elle engendre des auitudes de repliet de protection de soi. Les construit'! les plus performants que nous avons vus enArgentine se trouvaient dans des lieux où la hiêrarchie avait su impulser un projetsuffisamment motivant pour gagner l'adhésion d'une partie sIgnificative (Jupersonnel.

La formation permanente peut-dle accroître la capacité innovafive ?

De l'ensemble des monographies ressort le constat de non implication des serviœde formation dans le changement technique. Plus gra·,e, il n'ap{)arait guère decorrélation entre le fait pour l'entreprise d'avoir envoyé en formatIOn des salariésimpliqués par le changement technique et le degré de réussite de l'implantation d~équipements observés. En effet, certaines des entreprises étudiées ont fait desefforts considérables de formation, sans que leurs résultats soient probants, quancd'autres ont réussi à intégrer des machmes très complexes sans recourir à laformation. Aussi se prend-on d'un doute quand d'autres entreprises expliquentleur réussite par des actions de formation.

Le constat d'absence de lien entre formation et réussite de l'innovation techniquerisque d'apparaitre bien radical à nombre de lecteurs, il est pourtant tout à faitlogique avec notre hypothèse: nous estimons avoir prouvé que les entreprises quse lancent dans l'informatisation de la production sont moms entravées par desmanques de savoirs basiques que par des difficultés à faire s'échanger lesdifférents savoirs utilisés et acquis au cours de la chaîne de la production detechnologie. Or, l'appel à la formation est généralement compris comme le moyende combler des manques individuels en savoirs de base. La formation n'agit quemarginalement sur ce qui fait la capacité innovative de l'entreprise et, parconséquent, eUe n'obtient que des résultats marginaux.

Ce constat n'est pas nouveau. Dans la recherche franco-mexicaine (BOMBILAJ,RUFFIER, SUPERVIELLE,VILLAVICENCIO, 1985) nous avions obtenu uneconclusion similaire. Nous y cherchions à expliquer comment des unités detechnologies fortement automatisées et similaires pouvaient fonctionner de façonégalement efficiente avec des niveaux de formation du personnel très différents.Nous avions même mesuré, que le recours à la formation permanente, n'avait p~contribué à égaliser les niveaux de formation mais au contraire avait surtout profit(à ceux qui avaient une formation de base élevée. En effet, les unités ayant lepersonnel le plus formé étaient celles qui faisaient le plus appel à la formationpermanente. Cet écart croissant entre les niveaux de formation ne se répercutaitnullement sur les capacités des entreprises à tirer profit des installations existantesDe là à dire que la formation permanente ne sert à rien, il n'y a qu'un pas quenous nous garderons de franchir. Si plus de formation ne donne pasautomatiquement plus de résultats, il ne faut pas en déduire que l'absence totale dtformation serait sans influence.

Nous pensons que, si la formation ne réussit pas, c'est qu'elle s'efforce defortifier des individus alors gue le problème consiste à fortifier des réseaux. pansles situations de manques de formation de base, tant en France qu'au MeXIque,nous avons pu constater que les acteurs mettaient plus facilement en commun le

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peu qu'ils savaient. En quelque sorte, ils n'avaient pas grand chose à perdre à cedépouillement individuel, car sans cette mise en commun de ressources troplimitées, la machine s'arrêtait. En renforçant la formation de certains individus, onrend moins intéressante pour eux la mise en commun, puisqu'ils ontthéoriquement plus à donner et, pas davanta~e à recevoir. Autrement dit,l'entreprise qui pratique une formation trop indiVIdualiste risque de perdre sur leplan du fonctionnement collectif ce qu'elle ~agne au plan des individusbénéficiaires des opérations de formation. Ce raisonnement peut expli<J.uer qu'àpartir d'un certain niveau, l'accroissement des potentialités indivldue[Jesn'entraine aucun accroissement des potentialités collectives.

li doit être possible de sortir de cette impasse en faisant une formation quirenforce les réseaux. Cette formation s'axerait moins sur les contenus formelsque, sur la relation des individus entre eux, la définition d'objectifs collectifscohérents avec les objectifs individuels et vice-versa, la capacité decommunication entre individus de discipline et niveaux hiérarchiques ou éducatifsdifférents. Ceci ne serait pas moins qu'une formation à la traductIOn.

Lorsque nous avons introduit les opérations fonnalisées de formation parmi lesopérations constitutives d'un construit, nous avions une autre idée. Nouspensions qu'un service de formation pouvait servir de lieu de concentration d'uncapital technologique, en recueillant systématiquement les discours des différen~acteurs d'un construits et, en s'efforçant de répertorier les difficultés qu'ilsconnaissent dans sa mise en œuvre. Le service de formation interne d'uneentreprise nous paraissait un lieu particulièrement indiqué pour rassembler cesfragments des construits et, les redistribuer aux acteurs concernés. En Argentine,nous n'avons rencontré qu'une institution pour jouer un tel rôle. Et encore, eUelimitait son action à seulement une partie de l'un des construits. Il s'agissait d'uncentre universitaire, donc d'une instItution extérieure à l'entreprise. Nous restonspersuadés que notre intuition est fondée, mais il faudrait pouvoir trouver au moimune vérification. Ce n'est pas encore fait.

La connaissance des délicits: un savoir essentiel

Mon poste de télévision a un faux contact,je le règle en tapant dessus, ce quimarche plus ou moins bien. Le problème est que je suis bien incapable d'identilïelle lieu du faux contact et il ne me reste que deux solutions, changer le poste ouappeler un spécialiste. Le spécialiste va rapidement identifier la fonction qui estperturbée par ce faux contact. Il aura alors deux solutions: soit changer le modulecorrespondant à cette fonction, soit rechercher le lieu du faux-contact. Au cas oùle faux-<:ontact est repéré, la réparation consiste à appuyer un fer à souder à cetendroit précis. Autrement dit, la précision dans la connaIssance d'un déficit a de~

incidences directes sur le coOt des corrections. Il en est tout à fait de même enmatière de formation.

Dans nombre de monographies, nous avons vu des acteurs se plaindre du faitqu'ils n'arrivaient pas à convaincre la direction des raisons d'undysfonctionnement. Faute d'avoir été entendus, les corrections apportées ontcoOté plus cher, voire n'ont pas sensiblement amélioré la situation. Celle

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incapacité à remonter une information pertinente n'est pas spécifique à la réalitéargentine. Tout le monde se rappelle que la catastrophe de la navette spatialeaméricaine aurait parfaitement pu être évitée si on avait mis en relation desinformations que 1entreprise possédait sur le comportement des joints fautifs,avec les températures très basses observées autour de ces joints, peu avant ledécollage. Les s{'écialistes, qui avaient travaillés sur les jOints, étaientparfaitement conscients du danger que ceux-ci faisaient courir à la navette mais il:ne sont pas parvenus à transformer ce danger en un indicateurs visible de la sallede commanCle. Le responsable du tir n'aurait pas fait partir la navelte s'il avait étéinformé des tem{'ératures anormales relevées par les capteurs autour des joints.Nous sommes iCI en face d'un cas de mauvaise traduction. Naturellement, il esttrès facile après coup de dire ce qu'il aurait fallu faire. II est moins facile de sérielles informations pertinentes de celles qui sont inutiles ou, qui peuvent êtrere~roupées.Or toute grande entreprise gère une telle masse d'informations qu'elledOit les sélectionner et les classer. On voit mal un chef d'entreprise acceptantsystématiquement toutes les propositions d'améliorations techniques qui sontfaites dans son entreprise. D une part, il y a fort à parier que son bud,çet n'ysuffirait pas. D'autre part, il est à craindre que certaines propositions intelhgent~seraient contradictoires avec d'autres tout aussi fondéeS. Il faut choisir, et c'estbien là que se révèle toute l'utilité des traducteurs. Ces derniers informent leursinterlocuteurs sur ce que peut avoir pour eux de stratégique l'infomlation, ou laproposition qu'ils leur transmettent.

Dans les monographies argentines, une difficulté supplémentaire est apparue.Sans être propre à ce pays, elle y est plus répandue que dans le Nord industriel.C'est la rigidité des circuits d'informatIOns. Iln'est pas évident pour un technicienou un a~ent de maîtrise de donner son point de vue, sans passer par le canalhiérarchique prévu. Ainsi analysant un robot, l'ingénieur chargé de le mettre aupoint nous a prié d'expliquer au directeur de l'usine une demande(l'investissement supplémentaire, indispensable, selon lui, au fonctionnement dela machine. Il était persuadé que l'évidence de sa proposition ferait qu'eUe serailretenue. Il n'avait malheureusement aucun canal pour la transmettre. Aussis'adressait-il systématiquement à tout interlocuteur qui pouvait avoir l'oreille dudirecteur. Nous avons pu vérifier qu'en fait le directeur était un peu plus au fait dela situation du robot que ne le pensait notre interlocuteur. 11 n'empêche que lademande avait été mal relayée. L'ingénieur n'avait ni eu l'occasion de la presentelà un interlocuteur compétent, ni rien su du sort qui lui avait été fait. Il va de soiqu'un si mauvais fonctionnement des circuits d'informations risque de découragelles acteurs ou traducteurs éventuels. Un système trop rigide de sélection ettransmission des informations aboutit fréquemment à un afpauvrissement et unconformisme des messages transmis. En quelque sorte i tend à sélectionnertoujours les mêmes informations, au détriment de celles qui sont plus novatricesou surprenantes.

Une approche nouvelle de l'entreprise

Il nous faut conclure, et nous allons le faire en signalant ce qui nous a paru à laréflexion un des points centraux de notre approche. Il s'agit de partir, pourdécouper notre observation,de l'activité productive, c'est à dire de ce que nous

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appellons les construits techniques, plutôt que d'un découpage basé sur descritères économiques ou juridiques. .

Donnons un dernier exemple pour montrer la pertinence de ce découpage. Nousavons vu de nombreux cas où une bonne traduction se devait à ce que deuxacteurs avaient appartenu à un même service puis, avaient été déplacés. Ainsi, letmutations sont un moyen de faciliter l'appantion de nouvelles traductions. Cesmêmes mutations peuvent aussi bien provoquer une coupure dans le diagrammed'un construit. Et ceci est d'autant plus difficile à éviter que, souvent, beaucoupd'acteurs impliqués dans une traduction n'ont pas une mission officielle relative ~

ce construit. Les dirigeants d'une organisation tendent à penser davantage entermes de service que de construit, privilégiant l'organigramme formel sur lesconstruits techniques. Ils appuient leurs décisions sur une re~résentation del'entreprise qui correspond à leur projet abstrait de contrôle (lorganigramme)plutôt que le système de production réel (les construits). Un traducteur essentielpeut perdre contact avec son construit du fait d'un changement de mission, il peutà l'inverse le conserver en changeant de service.

Ainsi, en déplaçant une personne, on peut renforcer ou appauvrir le capitaltechnologique d'une entreprise. La consultation de l'organIgramme ne nouspennet pas de savoir les déplacements les plus pertinents à effectuer.

Un des aspects de notre méthode est donc de chercher à sortir des découpagesidéaux que se construisent les entreprises pour se représenter, tout en asseyant unsystème de pouvoir. Notre méthode tend à voir des hommes en train de fairemarcher un système productif avant de voir l'entreprise. Il y a un parti pris del'observation,qui se focalise sur les relations de pro<luction, avant de relever lesrelations de {lomination et de pouvoir, dans lesquelles se débattent lesproducteurs. Nous pensons que ce parti pris est payant, car il colle davantage amstratégies des hommes qui sont essentiels à la réussite technique des entrepnses.

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La présente bibliographie ne se veut nullement exhaustive, elle rassemble seulement des ouvragesqui ont été cités dans le texte ou qui ont aidé à la construction de ce rapport. Tout au long durapport, les ouvrages sont mentionnés Alravers le nom de leur auteur, et si nécessaire de l'année del'édition.

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Page 135: Les savoirs de l'informatisation dans les industries

TADLE DES MATIERES

AVANT·PROPOS

INTRODUcnONPlan (guide du lecteur)

LES SAVOIRS DE L'INFORMATISAnON DE LAPRODUCI10N

- Le choix de l'infonnatisation de la production comme objetde notre étude

Une hypothèse pour rendre compte des cas performantsd'informatisation de la production

Vérification de l'hypothèse- Un modèle argentin d'informatisation de la production

LaméOlode- Des objets d'observation centrés sur des construits techniques- Recueil d'informations

L'enquête

LE MODELE MEXICAIN

Un modèle mexicain de la conduite des systèmes automatisés

LA RESISTIDLE DESINDUSTRIALISATION DE L'URUGUAY

- Un appauvrissement relatif mais aussi absolu- Et un enrichissement de quelques uns- L'absence de politique de recherche et développement- L'absence de politique industrialisante- Un retard teclinologique

pages

4

8Il

14

16

17

1818

191920

21

24

25

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3232333435

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ETAT DE LA mCHNOLOGIE : LE DEFl ARGENTIN

- La logique de l'abondance

Un état de sous-développement- Les revenus des ménages- l'inslabilité économique- Une tradition de violence- Le cercle vicieux du marché protégé- Une productivité étonnamment basse

Les technologies nouvelles en Argentine- Présence des teclmologies de pointe- Technologies rencontrées- Difficultés à maîtriser l'informatique de production- La fabrication locale de machines spéciales- Raisons données aux achats- L'absence d'une politique d'amortissement- Automatiser pour résoudre les problèmes de main d'oeuvre- Un robot qui marche. l'autre pas

Nature de l'actuel dén technologique- Automatisation et modernité- Niveaux d'automation atteints en Argentine

LE CAPITAL TECHNOLOGIQUE: UNE AFFAmE DETRADUCTION

- Le soit-disant déterminisme technique- Le construit technique- Le capilal de l'entreprise selon ses différentes natures- Les savoirs de l'informatisation: une affaire collective

Le cnpital technologique comme savoir collectif- La traduction- Expliquer la réussite paradoxale de l'infornlâtisation de la

production- Vérification de l'hypothèse- Méthode d'analyse

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TRAITEMENT DE L'HYPOTIIESE: LES CONS'IRUITSTECHNIQUES MIS EN DIAGRAMME

- Constitution des dia~rammes permettant la représenLation desopération de lraduclton au sein des consLruils techniques

- Mesure de la performance

Première analyse de diagramme: le cas d'une grande pr~à il\iccter

Un tour à contrôle numérique au sein d'une PMI de Cordoba

La réussite ambigüe de l'informatisation d'une fabrique decellulose

Un laminoir à froid

Trois machines outils à commande numérique dans une usinede grosse mécanique

Un robot inemployé

Un centre d'usinage qui fonctionne

Une copieuse à commande numérique

Un centre d'usinage devient modèle d'une production future

ELEMENTS DE CONCLUSION

- L'hypothèse à l'épreuve des diagrammes- Une méthode d'approche Lransformable en outil d'intervention- Les fonnes de diagrammes- Le consensus toLaI est-il un atout pour l'informatisation

de la production- La fonnation pennanente peut-elle accroître la

capacité innovabÏce- La connaissance des déficils : un savoir essentiel- Une approche nouvelle de l'entreprise

DIDLIOGRAPHIE• Publications sur le projet

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BRRATA

Les nouvelles technologies d'impression par laser de ce rapport n'ayant pasparfaitement été maltrisés par l'Université. quelques lignes ont disparu dans lepassase d'une page ~ l'autre.

Ainsi. il faut lire,

entre p 18 et p 19quand ceux-ci sont correctement identifiés. Or. qui

mieux que cet acteur un peu insaisissable que nous poursuivons serait apte àidentifier d'éventuels manques en formation ?

entre pp 20 et 21ce qu'on appelle la performance dans la constitution de

construits techniques incluant une commande par ordinateur •••

entre pp 5S et 56Elle peut tout aussi bien être une arme qui se met en

action d'elle-mdme, lorsqu'elle a détecté sa cible.

entre pp 56 et 57Il s'agit essentiellement des machines-outils classiques

pour ce qui est de l'usinage.

entre pp 95 et 96de nombreux problèmes que l'entreprise tente de

résoudre en créant un club de loisirs et en offrant à ses salariés des voyages à lacapitale.

entre pp 105 et 106••• Ces deux personnes ont travaillé ensemble à tenter de

résoudre des problèmes techniques qui semblent liés à un manque d'informationssur le comportement de la matière première.

Nous vous prions de nous excuser de cette imperfection.