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Droit Déontologie & Soin 14 (2014) 30–53 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com ScienceDirect Étude Les soins programmés : une forme d’accès aux soins à la dérive Valérie Pfister (Infirmière Diplômée d’État, Étudiante en Master 2 « Juriste-Manager des structures sanitaires et sociales ») Université Jean-Moulin, Lyon 3, 15, quai Claude-Bernard, 69007 Lyon, France Disponible sur Internet le 26 evrier 2014 Résumé La démarche qui consiste à venir en France dans le seul but d’y être soigné est appelée « soins program- més ». C’est une forme d’accès aux soins qui concerne les personnes non-résidentes et non assurées sociales en France. Ces demandes illustrent les disparités d’offre et de qualité des soins à l’échelle internationale et « globalisent » la problématique du droit d’accès aux soins dans ses dimensions à la fois territoriales et économiques. Le droit international public (2) apporte des réponses multiples, parfois complexes mais réso- lument pourvoyeuses de difficultés pour les institutions. Ces mêmes difficultés ont parfois poussé certains établissements de santé à développer les réponses apportées par le droit international privé (3), au risque d’ouvrir un peu plus la brèche vers la marchandisation de la santé, voire sa privatisation. . . © 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. 1. Introduction Un des objectifs majeurs du droit international public est de réguler les relations entre États ou entre acteurs de la scène internationale. La circulation des personnes à l’échelon mondial lui confère une dimension sanitaire, attenante aux mouvements touristiques ou commerciaux, aux migrations humaines ou animales, aux conflits armés. . . Si le droit a par définition un caractère obligatoire et la santé est reconnue comme un droit de l’Homme 1 , les textes internationaux Adresse e-mail : valerie.pfi[email protected] 1 On se référera ici à l’article 25 de la Déclaration Universelles des Droits de l’Homme de 1948, intitulé « Droit à la santé et à la protection sociale » : « Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l’alimentation, l’habillement, le logement, les soins médicaux ainsi que pour les services sociaux nécessaires ; elle a droit à la sécurité en cas de chômage, de maladie, d’invalidité, de veuvage, de vieillesse ou dans les autres cas de perte de ses moyens de subsistance par suite de circonstances indé- 1629-6583/$ see front matter © 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.ddes.2014.01.002

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Droit Déontologie & Soin 14 (2014) 30–53

Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com

ScienceDirect

Étude

Les soins programmés : une forme d’accèsaux soins à la dérive

Valérie Pfister (Infirmière Diplômée d’État, Étudiante en Master 2« Juriste-Manager des structures sanitaires et sociales »)

Université Jean-Moulin, Lyon 3, 15, quai Claude-Bernard, 69007 Lyon, France

Disponible sur Internet le 26 fevrier 2014

Résumé

La démarche qui consiste à venir en France dans le seul but d’y être soigné est appelée « soins program-més ». C’est une forme d’accès aux soins qui concerne les personnes non-résidentes et non assurées socialesen France. Ces demandes illustrent les disparités d’offre et de qualité des soins à l’échelle internationaleet « globalisent » la problématique du droit d’accès aux soins dans ses dimensions à la fois territoriales etéconomiques. Le droit international public (2) apporte des réponses multiples, parfois complexes mais réso-lument pourvoyeuses de difficultés pour les institutions. Ces mêmes difficultés ont parfois poussé certainsétablissements de santé à développer les réponses apportées par le droit international privé (3), au risqued’ouvrir un peu plus la brèche vers la marchandisation de la santé, voire sa privatisation. . .

© 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

1. Introduction

Un des objectifs majeurs du droit international public est de réguler les relations entre Étatsou entre acteurs de la scène internationale. La circulation des personnes à l’échelon mondial luiconfère une dimension sanitaire, attenante aux mouvements touristiques ou commerciaux, auxmigrations humaines ou animales, aux conflits armés. . . Si le droit a par définition un caractèreobligatoire et la santé est reconnue comme un droit de l’Homme1, les textes internationaux

Adresse e-mail : [email protected] On se référera ici à l’article 25 de la Déclaration Universelles des Droits de l’Homme de 1948, intitulé « Droit à

la santé et à la protection sociale » : « Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, sonbien-être et ceux de sa famille, notamment pour l’alimentation, l’habillement, le logement, les soins médicaux ainsique pour les services sociaux nécessaires ; elle a droit à la sécurité en cas de chômage, de maladie, d’invalidité, deveuvage, de vieillesse ou dans les autres cas de perte de ses moyens de subsistance par suite de circonstances indé-

1629-6583/$ – see front matter © 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.http://dx.doi.org/10.1016/j.ddes.2014.01.002

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doivent également composer avec le nécessaire respect de la souveraineté nationale. Il s’agit doncd’« encadrer sans contraindre » ce qui vaut à ce droit le sobriquet de « soft law » ou « droit mou »2.

L’importance de la santé est pourtant reconnue en termes de bien-être mondial et d’influencesur la stabilité économique et sociale du monde en général, et des États en particulier. Le champdes « biens publics mondiaux » s’en trouve interrogé3.

Par ailleurs, si le nouveau Règlement Sanitaire International4 entré en vigueur le 15 juin 2007 adésormais une force contraignante et contient des obligations, l’Organisation Mondiale de la Santéne dispose d’aucun moyen de sanction en cas de violation dudit texte. Il s’avère donc que « faireappel au droit international pour créer un cadre contraignant les États est une chose. Faire en sorteque les États respectent réellement les obligations définies en est une autre »5.

Une des manifestations du droit à la santé édicté par l’article 25 de la Déclaration Universelledes Droits de l’Homme est la mise en place par les États d’un système public dit « de protectionsociale », celle-ci étant « fondamentalement complémentaire de la croissance et du développe-ment, voire indissociable »6. Ce système public peut s’organiser en différents niveaux. En France,il repose sur un régime de base, communément appelé « Sécurité Sociale »7, sur des régimescomplémentaires, sur une association qui gère l’assurance chômage et enfin sur l’aide sociale8.

Le panier de biens et services est déterminé par différents facteurs que sont l’état de lapopulation, les priorités de santé publique, mais aussi la situation socio-économique du pays.

Corollaire fondamental de l’accès aux soins, la Sécurité Sociale formalisée n’est pourtantaccessible que pour 20 % de la population mondiale9. Ainsi, « le niveau de déficit d’accès enmatière de santé au niveau mondial est estimé entre 30 et 36 % de la population totale en consi-dérant la Thaïlande comme pays de référence ou à environ 60 % en considérant la Grèce commepays de référence »10.

Une des explications avancées est celle du poids du système de protection sociale dans laredistribution du Produit Intérieur Brut (PIB) du pays en question. Pour certains experts, lorsque lesdépenses de protection sociale atteindraient 35 % du Produit Intérieur Brut11, elles constitueraientun obstacle à la croissance, les effets négatifs impactant le court et le long terme. Par ailleurs,les pays pauvres ne pourraient se permettre d’avoir des dépenses publiques et une fiscalité tropélevées, car ils perdraient en compétitivité au sein d’une économie mondialisée.

pendantes de sa volonté. La maternité et l’enfance ont droit à une aide et à une assistance spéciale. Tous les enfants,qu’ils soient nés dans le mariage ou hors mariage, jouissent de la même protection sociale ». Disponible sur le web :http://www.assemblee-nationale.fr/histoire/dudh/declara.asp#art25.

2 DELGA S., 38. Un droit international public de la santé contraignant pour les États ?, in Dominique KerouedanPresses de Sciences Po « Hors collection », 2011, p. 483–493.

3 Ibid p. 488.4 ORGANISATION MONDIALE DE LA SANTÉ. Règlement Sanitaire International. Disponible sur le web :

http://who.int/topics/international health regulations/fr/.5 DELGA S., 38. Un droit international public de la santé contraignant pour les États ?, in Dominique Kerouedan

Presses de Sciences Po « Hors collection », 2011 p. 483–493.6 PLASSART A., 17. La protection sociale : un enjeu mondial ?, in Dominique Kerouedan, Santé internationale, Presses

de Sciences Po « Hors collection », 2011 p. 247–259.7 Ce régime couvre les risques « maladie/maternité/invalidité/décès », « accidents du travail/maladies professionnelles »,

« vieillesse » et « famille », qui correspondent aux branches de ladite Sécurité Sociale.8 ELBAUM Mireille. Économie politique de la protection sociale. Paris : Presses Universitaires de France, octobre

2011, p. 75 à 97.9 PLASSART A., 17. La protection sociale : un enjeu mondial ?, art. cité, p. 248.

10 Ibid.11 Elles représentent 32 % du PIB de la Suède, 31,5 % en France, 12,5 % en Estonie.

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Une étude du Conseil d’Analyse Stratégique tempère cependant cette théorie, en démon-trant que la protection sociale n’est pas un frein à la compétitivité puisqu’aucune corrélationn’a été prouvée entre les taux de cotisations patronales et le coût du travail dans les 30 pays del’Organisation de Coopération et de Développements Économiques12.

Lorsqu’il est constitué, un système social de santé s’adresse donc par définition à la sociétépour laquelle il a été mis en place. Dans la mesure où ils n’assurent pas la protection d’unemême population, et donc ne poursuivant pas le même objectif « global », les systèmes de santéne sauraient être placés dans le champ de la concurrence.

Les flux de patients ont cependant changé la donne. Se faire soigner à l’étranger n’est pasun comportement nouveau. Il traduit « le souci de pouvoir bénéficier d’un soin ou d’une qualitéinexistant localement [. . .]. La vraie nouveauté, en revanche, est l’accélération du phénomène,dont les taux de croissance annuelle atteignent 25 à 30 % dans certains pays »13.

Les étiologies de ces mouvements sont multiples. Elles concernent tour à tour les différencesd’offre et de qualité des soins ou encore les dispositions juridiques qui font qu’un acte sera autorisédans un système et interdit dans un autre (euthanasie, Procréation Médicalement Assisté, Inter-ruption Volontaire de Grossesse, transplantation. . .). Un troisième facteur tend à se développerdepuis quelques années : l’accès économique aux soins. En effet, les coûts des actes peuvent êtrevariables suivant les pays et les pathologies, le coût intermédiaire étant souvent « tiré vers le bas »dans les pays en développement. Il s’agit alors soit de payer une qualité supérieure, soit d’avoirla possibilité de recevoir les mêmes soins moins chers.

La démarche qui consiste à venir en France dans le seul but d’y être soigné est appelée « soinsprogrammés ». C’est une forme d’accès aux soins qui concerne des personnes non résidenteset non assurées sociales en France14, sans intention de le devenir, du moins initialement15. Ledroit international public (2) apporte des réponses multiples, parfois complexes mais résolumentpourvoyeuse de difficultés pour les institutions. Ces mêmes difficultés ont parfois poussé certainsétablissements de santé à développer les réponses apportées par le droit international privé (3), aurisque d’ouvrir un peu plus la brèche vers la marchandisation de la santé, voire sa privatisation. . .

2. L’accès aux soins au prisme du droit international public

Le droit international public est l’« ensemble des règles juridiques régissant les relations entreles États et les autres sujets de la société internationale »16. Le terme de public s’est récemmentimposé afin de pouvoir le distinguer du droit international privé. Initialement présenté commele droit régissant les rapports entre les États, le droit international public tend à dépasser cesfrontières17.

12 CENTRE D’ANALYSE STRATEGIQUE. Le modèle social européen est il soluble dans la mondialisation ? Notes deveille no 109, p. 4.13 DUFOIX M., 56. Concurrence des systèmes de santé, in Pierre-Louis Bras et al., Traité d’économie et de gestion de

la santé Presses de Sciences Po « Hors collection », 2009 p. 511–521.14 On entendra ici par « France » le territoire métropolitain ainsi que les collectivités d’Outre Mer, bien que celles-ci

fassent l’objet de décret de coordination de Sécurité Sociale.15 Les soins programmés ne concernent donc pas les personnes arrivées clandestinement sur le sol francais, les touristes. . .16 GUINCHARD Serge et DEBARD Thierry. Lexique des termes juridiques 2014. Éditions Dalloz, p. 361.17 Notamment en raison de l’évolution et de la complexification de la société internationale : progression du nombre

d’États, développement de traités ne concernant qu’un secteur géographique (Union Européenne. . .), institutionnalisationdes organisations internationales gouvernementales et non gouvernementales.

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Les relations entre États, qu’elles soient économiques comme dans le cadre de l’Union Euro-péenne, ou diplomatiques comme dans le cas des conventions bilatérales de Sécurité Sociale,ont abouti à l’émergence de textes au service de la mobilité et de l’accès aux soins program-més transfrontaliers (2.1). Cependant, les difficultés d’application rencontrées dans le cadre dessoins programmés (2.2) semblent faire ressortir la faiblesse des réponses apportées par le droitinternational public dans ce domaine.

2.1. Des textes au service de la mobilité et de l’accès aux soins transfrontaliers

Les demandes de soins programmés peuvent être étudiées suivant l’« encadrement juridiquepublic » dont elles bénéficient. Certaines s’appuient sur des règlements européens ou des conven-tions passées par la Sécurité Sociale avec des organismes étrangers et publics de protection sociale :les relations sont donc ici formalisées (2.1.1). En dehors de ces cas de figures, les soins programmésrelèvent de procédure non formalisées (2.1.2). Il existe également quelques dispositifs particuliersmais relativement exceptionnels (2.1.3).

2.1.1. Relations formalisées2.1.1.1. Les règlements européens. À ses débuts, l’« Europe de la santé » a surtout consisté àréguler la sécurité sanitaire des produits afin de permettre leur libre circulation. Si quelques planspluriannuels18 ont été élaborés dans certains domaines précis, la santé publique européenne n’estréellement introduite qu’avec le Traité de Maastricht (1992) puis avec le Traité d’Amsterdam(1997), et notamment via l’article 152 du Traité instituant la Communauté Européenne pourlequel. . . « Un niveau élevé de protection de la santé humaine est assuré dans la définition et lamise en œuvre de toutes les politiques et actions de la Communauté [. . .] »19.

En théorie, « l’Europe de la santé s’attache à atteindre un équilibre entre le respect des principespropres au marché intérieur, ceux de libertés de circulation, et la protection de la qualité des soinset des droits des patients »20. Le principe de subsidiarité reste cependant une clé de voûte despolitiques de santé européennes, l’Union Européenne se bornant à des actions de coordination,de soutien ou d’incitation. Le traitement des questions de santé et de protection sociale demeuresubordonné au respect de principes économiques (comme la réduction du déficit public).

Afin de répondre au droit de libre circulation des personnes tout en évitant une perte de droitlors des déplacements, des règlements de coordination ont été édictés. Ceux actuellement envigueur sont :

• Le règlement (CE) no 883/2004 ;• Son règlement d’application, le règlement (CE) no 987/2009.

18 « L’Europe contre le cancer : plan d’action 1987–1989 » (Résolution du Conseil et des représentants des gouverne-ments des Etats membres, réunis au sein du Conseil, du 7 juillet 1986 concernant un programme d’action des Communautéseuropéennes contre le cancer, journal officiel des Communautés européennes no C184, p. 19), « L’Europe contre le SIDA :plan d’action 1991–1993 » (91/317/CEE : Décision du Conseil et des ministres de la santé des États membres, réunis ausein du Conseil, du 4 juin 1991, adoptant un plan d’action 1991–1993 dans le cadre du programme « L’Europe contre leSIDA », journal officiel no L175 du 4 juillet 1991, p. 26).19 Traité instituant la Communauté européenne (version consolidée de Nice), Troisième partie : les politiques de la

communauté, Titre XIII : Santé Publique, article 152.20 BRUNET P. 36. L’Europe et la libre circulation des patients et des professionnels de santé, in Traité d’Économie et

de Gestion de la Santé, Presses de Science Po, 2009.

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Ces deux références remplacent les règlements 1408/71 et 574/72 pour ce qui concerne lacoordination avec les États de l’Union Européenne. Les règlements 1408/71 et 574/72 demeurenttoutefois en vigueur pour la coordination avec les États tiers, les États signataires du Traité del’Espace Économique Européen (Norvège, Islande, Lichtenstein) et la Suisse.

Ces règlements découlent des articles 48 (qui concerne la libre circulation des personnes) et 352(qui concerne les mesures de sécurité sociale applicables à d’autres personnes que les travailleurssalariés) du Traité de Fonctionnement de l’Union Européenne.

Les pays concernés sont les États membres de l’Union Européenne depuis le premier mai201021, la Suisse, depuis le premier avril 2012 ainsi que les trois États membres de l’AssociationEuropéenne de Libre Échange (AELE) que sont l’Islande, le Lichtenstein et la Norvège, depuisle premier juin 2012.

Cette législation s’applique de manière étendue aux personnes22 et le règlement (CE)883/2004 quant à lui, s’applique « à toutes les législations relatives aux branches de la sécuritésociale [. . .] »23.

Dans le cadre des soins de santé, les prestations servies par l’institution du lieu de séjour lesont aux conditions, tarifs et modalités que cette même institution applique.

Les modalités du remboursement de l’institution de séjour par l’institution compétente sontfixées par le règlement d’application susnommé24. Ledit remboursement se fait sur la base defactures ou de forfaits établis « à partir du coût moyen annuel des soins de santé dans le pays »25.

La mobilité des patients au sein de l’espace européen est soumise à la détention de « documentsportables ». Ces documents sont établis afin que la personne concernée puisse attester de sasituation et faire valoir ses droits. Faisant office d’autorisation préalable, ils sont donc aussi unmoyen de freiner les flux de patients.

S’agissant de la prise en charge de soins médicaux pour une personne venant se faire soigneren France depuis un État membre de l’Union Européenne, l’Islande, le Liechtenstein, la Norvègeou la Suisse, le document portable concerné est le document S2 « Droit aux soins médicauxprogrammés », qui équivaut au formulaire E112. Il doit être obtenu avant le départ pour la France,et sollicité par la personne demandeuse à son organisme d’assurance maladie, qui décide ou nonde prendre en charge les prestations. En effet, pour d’obtenir le « S2 », il est nécessaire de préciserla nature des soins envisagés, ou le cas échéant, les raisons médicales justifiant la demande : ils’agit d’une autorisation, la délivrance de ce formulaire n’est donc pas systématique.

Cependant, cette autorisation ne peut être refusée que pour des motifs objectifs et transparents,afin de préserver la libre prestation des services médicaux hospitaliers et la libre circulation despersonnes.

21 Pour mémoire, ce sont l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, la Bulgarie, Chypre, le Danemark, l’Espagne, l’Estonie,la Finlande, la France, la Grèce, la Hongrie, l’Irlande, l’Italie, la Lettonie, la Lituanie, le Luxembourg, Malte, les Pays-Bas,la Pologne, le Portugal, la République Tchèque, la République Slovaque, la Roumanie, le Royaume Uni, la Slovénie et laSuède.22 Règlement (CE) no 883/2004, Titre Premier : Dispositions générales, Article 2 : Champ d’application personnel.

Disponible sur le web : http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2004:166:0001:0123:fr:PDF.23 Règlement (CE) no 883/2004, Titre Premier : Dispositions générales, Article 3. Disponible sur le web :

http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2004:166:0001:0123:fr:PDF.24 Règlement d’application (CE) 987/2009 Titre III : Dispositions particulières applicables aux différentes catégories de

prestations, Chapitre 1er : Prestations de maladie, de maternité et de paternité assimilés, Article 26 : Soins programmés.25 CENTRE LES LIAISONS EUROPÉENNES ET INTERNATIONALES DE SÉCURITÉ SOCIALE. Décryptage :

études et analyses du CLEISS, no 11, novembre 2012.

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Le principe de l’autorisation préalable aux soins hospitaliers est reconnu par la Cour de Justicede l’Union Européenne. Le pouvoir d’appréciation des caisses d’assurances maladie en matièrede refus d’autorisation est donc très encadré26.

2.1.1.2. Les conventions de coordination en zone extra européenne. Les conventions de coor-dination relèvent d’un accord passé entre deux régimes de protection sociale. En France, ellessont gérées par un guichet unique « au service de la mobilité internationale et de la SécuritéSociale »27 : le Centre des Liaisons Européennes et Internationales de Sécurité Sociale (CLEISS).Établissement public à caractère administratif, il est financé par les régimes francais de sécuritésociale.

Le Centre des Liaisons Européennes et Internationale de Sécurité Sociale assure à la fois unemission financière (il contrôle et règle les créances et dettes), une mission de conseil (il assiste àce titre les organismes de sécurité sociale et informe les institutions étrangères de la législationfrancaise en la matière. . .) et une mission de traduction.

L’objectif des conventions bilatérales est de coordonner les « législations de sécurités socialesentre deux États afin de garantir les droits sociaux des personnes en mobilité transnationale »28.

Il s’agit entre autres d’éviter la double affiliation ou la non-affiliation à une législation sociale,et par là de garantir la continuité des droits, et donc d’assurer la libre circulation dans la zoneeuropéenne. Outils de rapprochement diplomatiques, les conventions sont aussi un moyen deréguler les flux migratoires, en facilitant le maintien ou le retour de travailleurs migrants dans leurÉtat d’origine.

L’élaboration et la négociation des conventions relèvent de la Direction de la Sécurité Sociale.Celle-ci confie alors au Centre de Liaisons Européennes et Internationales de Sécurité Sociale lesuivi de leur mise en œuvre ainsi que le traitement des cas particuliers.

La France est liée à près d’une quarantaine d’États dans le monde par des conventions bila-térales, sans compter les liens qu’elle entretient avec les États membres de l’Union Européenne,les trois États de l’Association Européenne de Libre Échange et la Suisse. On obtient un réseaufrancais de Sécurité Sociale qui s’étend à près de 70 États, là où la plupart des pays de l’UnionEuropéenne compte une dizaine d’accords de ce genre. Présentées comme un outil d’accès auxsoins, elles ont surtout un intérêt démographique et économique puisqu’elles assurent la couver-ture de la population francaise expatriée et de la population étrangère résidant sur le sol francaiset qu’elles sont à l’origine de flux financiers non négligeables29.

26 Quelques références de jurisprudence où la CJUE recadre le pouvoir d’appréciation des caisses d’assurances maladies :CJUE, Arrêt du 12 juillet 2001 dans l’affaire C-368/98, Abdon Vanbraeckel et autre et Alliance Nationale des Mutua-lités Chrétiennes (Luxembourg). Disponible sur le web : http://curia.europa.eu/juris/showPdf.jsf?text=&docid=46534&pageIndex=0&doclang=FR&mode=lst&dir=&occ=first&part=1&cid=1360838 ; CJUE, Arrêt du 12 juillet 2001 dansl’affaire C-157/99 entre B. S. M. Smits, épouse Geraets et Stichting Ziekenfonds VGZ et entre H. T. M. Peerboomset Stichting CZ Groep Zorgverzekeringen (Pays Bas). Disponible sur le web : http://curia.europa.eu/juris/showPdf.jsf?text=&docid=46529&pageIndex=0&doclang=fr&mode=lst&dir=&occ=first&part=1&cid=1360346. Une référencede jurisprudence où la CJUE appuie la décision de restriction de l’Assurance Maladie francaise en matière d’accès à deséquipements lourds, afin de préserver l’organisation de la politique de santé publique et l’équilibre financier du système :CJUE, Arrêt de la Cour du 5 octobre 2010 dans l’affaire C-512/08, Commission européenne contre République Francaise.Disponible sur le web : http://curia.europa.eu/juris/celex.jsf?celex=62008CJ0512&lang1=fr&type=NOT&ancre=.27 Missions et organisation du CLEISS. Disponible sur le web : http://www.cleiss.fr/presentation/presentation.html.28 À quoi servent les conventions bilatérales de Sécurité sociale ? Disponible sur le web : http://www.securite-sociale.

fr/A-quoi-servent-les-conventions-bilaterales-de-Securite-sociale.29 « Le réseau francais des conventions bilatérales de Sécurité sociale ». Disponible sur le web : http://www.securite-

sociale.fr/Le-reseau-francais-des-conventions-bilaterales-de-Securite-sociale.

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On notera cependant que leur « validité » est très souvent subordonnée à une activité profes-sionnelle de la personne demandeuse, et il est important de relever que les conventions bilatérales(ou accord bilatéraux) ne s’appliquent pas forcément à toutes les branches de sécurité sociale : lesmodalités varient suivant les pays30. Si la France peut se targuer d’avoir à son « actif » quarante-huitconventions bilatérales, on notera que quatorze d’entre elles ne comportent pas de coordinationde la branche « Maladie » et ne peuvent donc faciliter une demande de soins programmés.

2.1.2. Relations non formaliséesEn l’absence de textes facilitant sa démarche, la personne souhaitant avoir accès aux soins

programmés va être « contrainte » de justifier sa demande en vue de l’obtention d’un visa poursoins, ce qui peut représenter un coût important pour certains31.

Le visa consulaire doit être obtenu avant le départ et n’ouvre pas de droit au séjour, ni à laprotection sociale en France. Son obtention est soumise à deux conditions : les soins demandésdoivent être ponctuels (le visa n’est délivré que pour quatre-vingt-dix jours) et ils doivent être payésd’avance, pris en charge par un tiers ou faire l’objet d’un engagement de paiement. Dans l’octroidu visa dit « médical », le Ministère des Affaires Étrangère va baser son accord sur plusieursappréciations : « l’attestation par les autorités médicales locales que les soins ne peuvent pas êtredélivrés dans le pays, l’obligation d’un accord préalable par un « établissement » de soins francais,l’obligation d’un devis prévisionnel de frais d’hospitalisation, l’obligation d’attester du paiementdes soins, soit préalable à la venue en France, soit par engagement écrit d’un tiers »32.

Cependant, le seul visa ne suffit pas à l’accès aux soins programmés. Lorsque les relations entreÉtats ne sont pas formalisées de manière économique ou diplomatique, la personne désireuse devenir se faire soigner en France va devoir apporter la preuve de la prise en charge effective de sesfrais, en faisant l’avance des frais33, avec possibilité d’y substituer une preuve de paiement ou unengagement.

Cette modalité financière se heurte cependant à des caractéristiques macro-économiquescomme les taux de change (l’Euro est actuellement une monnaie forte, donc « chère » : il fau-dra donc plus de monnaie locale pour un même euro. . .), voire les taux de cotisations qui peuventvarier entre les différents systèmes de protection sociale.

2.1.3. Dispositifs particuliersLes personnes non résidentes et sans intention de le devenir peuvent avoir accès aux soins dans

le cadre de l’Aide Médicale d’État « sur décision du ministre » 34 ou dans celui du fonds pourles soins urgents et vitaux35. Ces « issues de secours » ont cependant une application limitée. En

30 Pour exemple, il n’existe pas de coordination de la branche maladie entre la France et Israël, entre la France et leCameroun, ou encore le Canada et les États-Unis.31 On notera qu’il existe des nationalités ou des pays de résidence exemptés de visa.32 « Prise en charge médico-psycho-sociale, guide pratique destiné aux professionnels ». Comité Médical pour les Exilés,

p. 229.33 Code de la santé publique. Partie réglementaire, Sixième partie : Établissements et service de santé, Livre 1er : Éta-

blissement de santé, Titre IV : Établissement public de santé, Chapitre V : Organisation financière, Section 1 : État desprévisions de recettes et de dépenses et comptabilité, Sous section 1 : Dispositions générales, article R6145-4.34 Code de l’action sociale et des familles, Partie législative, Livre II : Différentes formes d’aide et d’action sociales,

Titre V : Personnes non bénéficiaires de la couverture maladie universelle, Chapitre 1er : Droit à l’aide médicale de l’État,article L. 251-1.35 Code de l’action sociale et des familles, Partie législative, Livre II : Différentes formes d’aide et d’action sociales,

Titre V : Personnes non bénéficiaires de la couverture maladie universelle, Chapitre IV : Prise en charge des soins urgents,article L254-1.

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effet, l’Aide Médicale de l’État sur décision individuelle du Ministre en charge de l’action socialereste exceptionnelle et la dépense liée à ce dispositif est très réduite36.

Concernant la prise en charge des soins urgents, on rappellera qu’elle relève d’un fonds limité etque les possibilités d’y recourir sont minces : les ressortissants de l’Espace Économique Européenpeuvent en bénéficier lorsqu’ils se trouvent dans une situation d’irrégularité du séjour, sans êtretravailleurs ou étudiants. Les titulaires d’un visa de court séjour (type visa touriste ou visa médical)sont exclus du dispositif. Quant aux titulaires d’un visa médical, non seulement ils sont censésêtre solvables, mais la terminologie des « soins programmés » semble difficilement conciliableavec un dispositif mis en place pour la prise en charge des soins « urgents et vitaux », définis parla circulaire DHOS/DSS/DGAS no 141 du 16 mars 2005 relative à la prise en charge des soinsurgents délivrés à des étrangers résidants en France de manière irrégulière et non bénéficiaires del’Aide Médicale de l’État.

De nombreux textes favorisent l’accès aux soins « francais » par des personnes étrangères nonrésidentes. Cependant, leur application parfois imparfaite peut mettre l’institution en difficulté,tant financière que sanitaire ou « migratoire », révélant une « légèreté » des outils.

2.2. Des difficultés d’application au sein du cadre des soins programmés

Si des textes permettent, dans une certaine mesure, aux étrangers de venir se faire soigneren France, certaines réalités du terrain semblent tempérer la démarche des soins programmés.Lesdites réalités concernent les aspects financiers des soins programmés (2.2.1), la santé publique(2.2.2) mais aussi la politique migratoire (2.2.3).

2.2.1. Aspects financiers2.2.1.1. Un tiers payant volatile. Dans le cadre des soins programmés, les établissements de santépeuvent demander l’avance des frais dans leur intégralité ou le versement d’une provision. Dansce dernier cas, conformément au principe du tiers payant, la régularisation se fait a posteriori. Ilarrive cependant que les provisions demeurent très largement inférieures au montant des restes àrecouvrer.

Conformément à l’article L162-25 du code de la sécurité sociale37, l’établissement disposed’un délai d’un an pour émettre un titre de recette à l’encontre du débiteur le plus pertinent.Ce titre est émis lorsque les documents d’affiliation à un tiers payant font défaut. Le titre derecette permet alors à l’administration de mettre en œuvre des moyens coercitifs pour recouvrerles sommes dues.

Dans le cas des personnes non résidentes, cette procédure de régularisation a posteriori peutse révéler délicate, notamment lorsque lesdites personnes ont quitté le territoire francais. Lesdifficultés de poursuite rendent difficile le recouvrement, puisqu’elles s’adressent à une personnesusceptible d’être non solvable (notamment lorsqu’il s’agit de soins coûteux), et surtout insaisis-sable car demeurant à l’étranger. En effet, « en raison de la souveraineté des États, les procéduresde recouvrement contentieux (commandement de payer, saisie) à la diligence des comptables

36 C. GOASGUEN et C. SIRUGE. Rapport d’information fait au nom du Comité d’évaluation et de contrôle des politiquespubliques sur l’évaluation de l’Aide Médicale de l’État, juin 2011, no 3524, p. 25.37 Code de la sécurité sociale, Partie législative, Livre 1 : Généralités – Dispositions communes à tout ou partie des

régimes de base, Titre 6 : Dispositions relatives aux prestations et aux soins – Contrôle médical – Tutelle aux prestationssociales, Chapitre 2 : Dispositions générales relatives aux soins, Section 5 : Établissement de santé, Sous-section 4 :Dispositions diverses.

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publics francais ne sont pas applicables à l’étranger. Les poursuites envers les débiteurs qui ontquitté le territoire national sont donc limitées »38 et se heurtent aux relations diplomatiques.

Cependant, le recouvrement forcé est possible, si et seulement s’il existe une reconnaissancede dette : c’est là « toute la portée juridique, et non simplement morale, de l’engagement de payerprévu par le code de la santé publique. Son absence prive ainsi l’établissement de la seule voie derecouvrement forcé à l’étranger »39.

Hormis ce recours judiciaire, les seules démarches que le comptable peut engager pour lerecouvrement sont d’ordre amiable. Cela se manifeste par des avis de sommes à payer, adressésà la trésorerie de l’étranger, qui transmet les rappels amiables. En cas d’échec, la créance due parl’étranger non résident est admise en « non-valeur », c’est-à-dire considérée comme une « créanceirrécouvrable ». Cette procédure est d’autant plus utilisée pour les factures de faibles montants,le coût des poursuites judiciaires suffisant à dissuader la démarche gestionnaire.

2.2.1.2. Créances irrécouvrables et non-valeurs. La prise en charge de patients non résidentsexpose l’institution à deux risques majeurs (sur le plan financier) pourvoyeurs de difficultés et dedélais en matière de recouvrement des créances. Ces risques sont :

• l’augmentation des factures suite à une complication post-soins ou postopératoire ;• la situation des organismes de protection sociale à l’étranger, et notamment leur situation

économique, ainsi que l’évolution du cours des devises.

Lorsque un de ces risques se réalisent, il induit une « créance irrécouvrable ». La créanceirrécouvrable est une « créance hospitalière dont le recouvrement n’a pu être opéré par le trésorierpayeur général, après épuisement des procédures amiables et contentieuses, en raison, soit del’insolvabilité ou de la disparition des débiteurs, soit de la caducité des créances »40.

Une part des créances irrécouvrables sont admises en « non-valeur ». Cette procédure, proposéepar le comptable, consiste à apurer les recettes non recouvrées par une inscription des crédits endépenses. L’admission en non-valeur41 se fait à concurrence d’autres dépenses.

Un rapport de la Chambre Régionale des Comptes met particulièrement en relief le délai derecouvrement de créances d’un grand établissement de santé parisien. En effet, « la mauvaisequalité de l’identification des titres, qui peut se traduire par le retour de courriers envoyés à unemauvaise adresse, génère une refacturation tardive, conduit à des défaillances, voire à des absencesde recouvrement, et aboutit fréquemment à l’annulation de titres, ce qui entraîne in fine des pertesde recettes [. . .] »42.

Les créances irrécouvrables admises en non-valeur sont cependant régulièrement apurées,c’est-à-dire soldées, ce qui exige de l’établissement qu’il constitue des provisions suffisantespour pallier ce risque.

38 Chambre Régionale de Comptes de Nord-Pas-de-Calais, Picardie. Rapport d’Observations définitives – Centre Hos-pitalier de Calais, 20 mars 2013, p. 14.39 Ibid., p. 15.40 BONNET M. L’admission des patients venus de l’étranger dans les hôpitaux de Paris. France, terre d’accueil sani-

taire ? Mémoire de Diplôme d’Études Approfondies en Droit de l’Homme et Libertés Publiques. Rennes : École Nationalede Santé Publique, 2000, p. 58.41 Compte 654 du Plan Comptable Général « Pertes sur créances irrécouvrables ».42 CHAMBRE RÉGIONALE DES COMPTES D’ÎLE-DE-France. Rapport d’observations définitives Assistance

Publique–Hôpitaux de Paris (75), Exercices 2008 et suivants. Septembre 2012, p. 33.

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Les difficultés de recouvrement proviennent des débiteurs institutionnels mais aussi. . . desorganismes dont relèvent les patients étrangers43.

Si les difficultés liées aux soins programmés sont surtout induites par les flux, ou plutôt lesnon-flux de capitaux, la santé publique n’est pas épargnée, eut égard à la libre circulation desbactéries et, dans un prolongement peut être excessif, à la problématique du droit au séjour poursoins.

2.2.2. Soins programmés et santé publique2.2.2.1. La libre circulation des bactéries multi-résistantes. Les mouvements de populationsamplifient la diffusion de ces bactéries résistantes et hautement pathogènes. On citera à titred’exemple la tuberculose « Extensively Drug Resistant » : tuberculose « totorésistante », elle seraità l’origine d’une véritable filière d’immigration clandestine d’origine géorgienne, tchétchène voirerusse, poussant les personnes atteintes à venir en France pour se faire soigner, et ce à un stade trèsavancé de la maladie. Outre le coût de ces traitements, les soignants seraient surtout confrontés àun risque majeur de contamination44 face à des patients non observant qui quittent leurs chambressans mettre de masque, créant une véritable problématique de santé publique.

2.2.2.2. Du droit au séjour pour soins. Les soins programmés peuvent donc contribuer à ladiffusion de ces germes, et générer des couts supplémentaires et non négligeables. Afin de limiterladite diffusion des germes en question, il peut être opportun de prolonger le séjour au-delà destrois mois permis par le « visa médical », et d’invoquer le « droit au séjour pour soins » 45, mais lesdispositions relatives à ce dernier ont été récemment modifiées et illustrent les tensions qui peuventexister entre enjeux de santé publique, politique migratoires mais aussi restrictions budgétaires.

La loi no 98-349 du 11 mai 1998 relative à l’entrée et au séjour des étrangers en France etau droit d’asile a longtemps permis la régularisation de la personne étrangère dont « l’état desanté nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner des conséquencesd’une exceptionnelle gravité, sous réserve qu’[. . .] [elle] ne puisse effectivement bénéficier d’untraitement approprié dans le pays dont il est originaire, par l’octroi d’une carte de séjour temporaire« vie privée et familiale »46.

Considérée comme trop extensive, voire laxiste, la loi de 1998 a été réformée par la loi no 2011-672 du 16 juin 2011 relative à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité. Ainsi, ne peut fairel’objet d’une Obligation de Quitter le Territoire Francais « l’étranger résidant habituellement enFrance dont l’état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraînerpour lui des conséquences d’une exceptionnelle gravité, sous réserve de l’absence d’un traitementapproprié dans le pays de renvoi, sauf circonstance humanitaire exceptionnelle appréciée parl’autorité administrative après avis du directeur général de l’agence régionale de santé »47.

Le renvoi de la personne malade n’est plus conditionné par l’accessibilité effective à un trai-tement, mais par la seule existence de celui-ci dans son pays d’origine, abstraction faite des

43 CHAMBRE RÉGIONALE DES COMPTES D’ÎLE-DE-FRANCE. Rapport d’observations définitives AssistancePublique–Hôpitaux de Paris (75), Exercices 2008 et suivants. Septembre 2012, p. 38.44 Le bacille de Koch, agent infectieux de la tuberculose, est suffisamment petit pour être véhiculé par voie aérienne.45 L’admission au séjour pour étrangers malades n’est pas applicable aux ressortissants de l’UE. Les ressortissants

algériens, quant à eux, relève de la convention bilatérale France/Algérie.46 Loi no 98-349 du 11 mai 1998 relative à l’entrée et au séjour des étrangers en France et au droit d’asile, version

initiale, article 5.47 Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, Partie législative, Livre V : Les mesures d’éloignement,

Titre 1er : L’obligation de quitter le territoire francais et l’interdiction de retour sur le territoire francais.

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éventuelles difficultés d’accès économiques ou géographiques aux soins. Ce glissement séman-tique et politique est d’autant plus douteux que l’offre de soins des pays étrangers est délicate àcerner, pour ne pas dire nébuleuse.

Enfin, l’évaluation des « circonstances humanitaires exceptionnelles » étant laissée à la dis-crétion de l’autorité administrative (en l’occurrence le préfet), elle présente un risque d’entorsegrave au secret médical et prive le juge de son pouvoir de contrôle.

Une instruction du 10 novembre 2011 du Ministère de la Santé tente de limiter les interpréta-tions arbitraires de la loi. Elle invite les médecins des Agences Régionales de Santé statuant surla régularisation des étrangers malades à considérer les traitements contre le VIH ou les hépa-tites comme inexistantes dans les pays en développements, mais cette instruction ne semble pasappliquée par tous les médecins, si l’on en croit l’Observatoire du Droit à la Santé des Étrangers48.

Près de deux ans après la loi dite « Loi Besson », il est donc intéressant de relever les « nuances »entre les constats des associations de terrain, et les conclusions des inspecteurs de l’InspectionGénérale des Affaires Sociales, dans l’accès au droit au séjour pour soins.

Les premiers dénoncent ainsi des piètres conditions d’accueil en préfecture, un accès fastidieuxau guichet, des ruptures de confidentialité dans trente pour cent des cas, des défaillances et abus auniveau de la procédure administrative, des taux d’octroi ou de renouvellement de titres de séjour ennet recul, voire des expulsions qui se multiplient et, de manière générale, la « négligence du servicepublic en charge de l’instruction des demandes plutôt que la modification voire la suppressionfrontale du droit au séjour pour soins »49.

Pourtant, dans son rapport sur l’admission au séjour des étrangers malades paru en mars 2013,l’Inspection Générale de l’Administration (IGA) et l’Inspection Générale des Affaires Sociales(IGAS) relèvent que « l’impact des mesures restrictives posées par la loi du 16 juin 2011 estresté relativement limité »50 et que son application est « fortement modérée par l’interprétationbienveillante de ses conditions par les autorités de santé publique »51, via les instructions du10 novembre 2011. Si celles-ci sont bienveillantes à l’égard des usagers éventuels, on peut doutercependant des possibilités réelles de s’enquérir de l’offre de soins disponible et adaptée dans lepays d’origine, que cela concerne les structures, les équipements, les médicaments, les dispositifsmédicaux ou encore les personnels compétents. Si le rapport de l’IGA/IGAS présente dans sonannexe no 5 quelques références en matière d’informations sur l’offre de soins des « pays deretour », il précise que ces pistes sont à valider et à compléter, « chacun de ces sites ne présentantque des données incomplètes et parfois non actualisées, sur l’offre et la qualité des soins dans cespays »52.

Les différences de perceptions interrogent donc. On pourra reprocher au discours associatifd’être teinté de militantisme et de fait, négligeant de certaines composantes « macro », mais lateneur du rapport de l’IGA/IGAS semble quelques peu « édulcorée » : en effet, là où l’Observatoiredu Droit à la Santé des Étrangers (ODSE) dénonce la délivrance d’Obligation de Quitter leTerritoire Francais à des personnes malades qui n’auront pas accès aux soins dans leur pays

48 Observatoire du Droit à la Santé des Étrangers, Dossier de presse : « Expulsions d’étrangers gravement malades :la santé des étrangers intéresse-t-elle encore le gouvernement ? ». Conférence de presse, Assemblée Nationale, 19 mars2013. Disponible sur le web : http://www.odse.eu.org/IMG/pdf/DP 18032013 - ODSE.pdf.49 ASSOCIATION AIDES. Droit au séjour pour soins : rapport de l’observatoire étrangers malades. Avril 2012. p. 11.50 INSPECTION GÉNÉRALE DE L’ADMINISTRATION et INSPECTION GÉNÉRALE DES AFFAIRES

SOCIALES. Rapport sur l’admission au séjour des étrangers malades. Mars 2013, p. 5.51 Ibid., p. 35.52 Ibid., p. 103.

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d’origine53, le rapport de l’IGAS/IGA estime que « la loi adoptée en juin 2011 n’a pas eu d’impactsignificatif sur le volume global des admissions au séjour prononcées en France pour motif desanté »54 et qu’aucune « situation individuelle dramatique n’a été portée à la connaissance de lamission, liée à un retour forcé en dépit d’un état de santé qui, dans l’état du droit antérieur, auraitpu – ou aurait du – donner lieu à un droit au séjour »55.

2.2.3. Soins programmés et visa touristeDans la mesure où le visa médical est conditionné à une avance de frais, la prise en charge des

soins urgents relève d’une enveloppe fermée et l’Aide Médicale d’État sur décision du ministredemeure un dispositif exceptionnel, la démarche de soins programmés se cache parfois derrièrele « visa touriste ».

Il s’agit de la solution choisie par les personnes qui n’ont pas de prise en charge au titre d’uneassurance quelconque. Ces personnes sont donc non résidentes, et très souvent en situation degrande précarité.

Dans le cas des étrangers non résidents, les dispositifs comme la Couverture Maladie Uni-verselle et la Couverture Maladie Universelle Complémentaire ne sont accessibles qu’à ceux quisont en procédure de demande d’asile ou qui demandent le statut de réfugié.

En cas de situation irrégulière (absence d’un titre de séjour ou d’un document prouvant que lesdémarches pour en obtenir un ont été entamées), la personne a droit à l’Aide Médicale d’État dedroit commun. Mais l’accès à l’Aide Médical d’État est soumis à une résidence stable supérieureà trois mois et à des ressources inférieures à un plafond qui varie la composition du foyer. Lesbénéficiaires doivent exprimer une volonté de rester en France. Les mineurs sont cependantintégrés sans délai au dispositif de l’Aide Médicale d’État.

La Couverture Maladie Universelle, la Couverture Maladie Universelle complémentaire etl’Aide Médicale d’État ne sont donc pas des dispositifs de protection sociale amenés à intervenirdans le cadre des soins programmés pour les non résidents en France56.

Les trois premiers mois de présence sur le sol francais représentent donc des « no man’s land »en matière de couverture sociale des personnes étrangères. Les Permanences d’Accès aux Soinsde Santé (PASS) créées par la loi no 2004-806 du 9 août 2004 représentent une solution possiblequi confronte cependant ces dernières à des difficultés de recouvrement et à une aggravation deleur déséquilibre financier, souvent fustigé par les gestionnaires.

Le droit public met de nombreux textes au service de la mobilité et de l’accès aux soins« francais » par des étrangers non résidents venant pour des soins programmés. Il existe égalementquelques dispositifs de soutien (Aide Médicale d’État, prise en charge des soins urgents. . .) bienque leur portée soit limitée.

Dans la pratique, que les relations soient formalisées ou non, conventions et autres règlementssemblent davantage des outils diplomatiques que des moyens de favoriser l’accès aux soins. Par

53 Observatoire du Droit à la Santé des Étrangers, Dossier de presse : « Expulsions d’étrangers gravement malades :la santé des étrangers intéresse-t-elle encore le gouvernement ? ». Conférence de presse, Assemblée Nationale, 2013.Disponible sur le web : http://www.odse.eu.org/IMG/pdf/DP 18032013 - ODSE.pdf.54 INSPECTION GÉNÉRALE DE L’ADMINISTRATION et INSPECTION GÉNÉRALE DES AFFAIRES

SOCIALES. Rapport sur l’admission au séjour des étrangers malades. op. cit., p. 63.55 Ibid.56 Ces dispositifs peuvent cependant être adaptés aux circonstances a posteriori, par exemple en cas d’évènement

indésirables graves.

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ailleurs, ils exposent toute institution à des écueils financiers majeurs et à des situations souventinsolubles, comme le prouve la problématique du visa touriste.

La volonté de promouvoir la qualité des soins dispensés, de sécuriser les paiements mais aussila possibilité de surfacturer lesdits soins à des patients étrangers non résidents ont poussé certainesinstitutions à aménager une « filière de soins » solvable propre aux patients étrangers, comme c’estle cas de l’Assistance Publique–Hôpitaux de Paris ou de l’Institut Gustave-Roussy.

Dispositif controversé, ces filières incarnent le franchissement d’un cap par la loi de l’offreet de la demande, et permet l’introduction lucrative d’un accès aux soins modulé par le droitinternational privé.

3. L’accès aux soins au prisme du droit international privé

Le droit international privé est « l’ensemble des règles applicables aux questions de nationalitéet aux personnes privées dans leurs relations internationales, c’est-à-dire lorsqu’elles ont des liensavec les systèmes juridiques de plusieurs États, ce qui suppose de déterminer la loi qui leur estapplicable et la juridiction compétente »57. Si dans son sens littéral, le droit international privé sedéfinit par opposition au droit interne et au droit public, il est un droit « essentiellement interne parsa source : [. . .] Tout juge étatique applique donc ses propres règles nationales pour déterminers’il est compétent, quelle loi il doit appliquer, quel effet il doit reconnaître à un jugement rendu àl’étranger ; et pour cela, il doit se référer aux catégories juridiques de son droit national. »58. Ledroit international privé demeure international par son objet, à savoir la régulation de situationsà caractère international59 « entre personnes privées, ou entre personnes privées et personnespubliques agissant en tant que personne privées, c’est-à-dire se soumettant au règles du droitprivé »60.

C’est dans ses circonstances que certains établissements de santé ont aménagés des filièresprivées de patients étrangers « bankable » (3.1), renforcant un mode d’accès aux soins basé sur lasolvabilité, et non sur la solidarité, créant pour les thuriféraires de la gestion, un accès aux soinsqui se veut résolument rentable (3.2).

3.1. Une révolution à but lucratif au chevet d’un hôpital public et d’un centre de lutte contrele cancer

L’aménagement de filières internationales privées de soins consacre le concept de sélection despatients partant d’un critère financier. Les établissements concernés sont tantôt publics (AssistancePublique–Hôpitaux de Paris, Assistance Publique–Hôpitaux de Marseille. . .), tantôt privés à butnon lucratif, comme l’Institut Gustave-Roussy, à Villejuif. Si les enjeux de ces dispositifs sontprésentés comme majeurs (3.1.1), ils soulèvent cependant de nombreuses interrogations (3.1.2).

57 GUINCHARD Serge et DEBARD Thierry. Lexique des termes juridiques 2014. Éditions Dalloz, p. 361.58 POILLOT PERUZETTO Sylvaine. Domaine et méthode du droit international privé (Lecon no 1). Cours « Droit

international privé », p. 8. Université Numérique Juridique Francophone.59 Ces situations à caractère international se sont largement développées grâce à la mobilité géographique des personnes,

des marchandises et des services, mais aussi via le développement des télécommunications qui ont permis de développerles relations internationales.60 POILLOT PERUZETTO Sylvaine. Domaine et méthode du droit international privé (Lecon no 1), art. cité, p. 10.

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3.1.1. Des enjeux présentés comme majeurs« Par voie de presse (Le Journal du dimanche, le 5 août 2012), le Siège de l’AP–HP a annoncé

qu’il avait signé en juin un contrat de coopération avec une compagnie d’assurance libanaise(GlobeMed, partenaire d’AXA) pour accueillir dans nos hôpitaux des patients étrangers (horsCommunauté européenne) qui y recevraient des soins en acquittant un tarif supérieur à celui dela Sécurité sociale.

Le président de la CME [Commission Médicale d’Établissement, NDLR] a doublement réagi :

• sur la forme (cabinet de la direction générale, le 27 août 2012), il n’est pas acceptable qu’unetelle décision, qui engage toute la communauté soignante, ait été prise sans informer et consulterla CME ;

• sur le fond (Le Parisien du 10 août 2012), l’imprécision sur les conditions de séjour (héberge-ment, programmation des examens et des traitements, etc.) des patients payants doit mener àcraindre l’instauration d’un régime hospitalier à deux vitesses ; l’hôpital peut-il à ce point semoquer de la charité ? »61.

Si l’on peut aisément imaginer le tôlé institutionnel qu’à pu générer cette annonce, l’informationde la signature de cette convention a été rapidement relayée par un florilège d’articles de pressecitant pour exemple l’Assistance Publique–Hôpitaux de Marseille et son partenariat avec laChambre de Commerce et d’Industrie ou encore l’Institut Gustave-Roussy de Villejuif, centrerégional de lutte contre le cancer.

3.1.1.1. Une mise en avant de la « sacro-sainte » qualité. Le premier argument avancé par cesétablissements pour justifier de telles pratiques est la mise en valeur de la qualité des soins, et leurpromotion au niveau international. Si les flux de patients vers les pays développés se sont tarisau profit des pays en voie de développement, ils sont aujourd’hui en pleine recrudescence62. Lespays de provenance de ces patients aisés sont les pays pétroliers ou encore la Russie, notammentparce que les soins ne sont pas disponibles dans leur pays. Il s’agit donc d’un problème d’offrede soins, auquel les établissements de santé concernés répondent, via une réputation acquise àtravers les congrès internationaux ou encore les médecins étrangers venus se former en France.

La question n’est plus d’avoir accès à une cure thermale, mais bel et bien de bénéficier de soinssophistiqués et techniques (chimiothérapie pour l’Institut Gustave-Roussy, chirurgie robotiquepour l’Assistance Publique–Hôpitaux de Marseille, mais aussi greffes et transplantations. . .),pour des patients qui, auparavant, étaient pris en charge par le secteur libéral de l’hôpital ou pardes établissements privés.

3.1.1.2. Un bénéfice net (in)espéré. Un autre enjeux majeur de ce type d’accord est le bénéficeattendu, en raison d’une marge rendue possible par la loi no 2011-1906 du 21 décembre 2011 definancement de la sécurité sociale pour 2012 qui a créé l’article L174-20 de code de la sécuritésociale pour lequel, « Pour les soins hospitaliers programmés ne relevant pas d’une mission deservice public mentionné à l’article L6112-1 du code de la santé publique, les établissements desanté peuvent déterminer les tarifs de soins et d’hébergement facturés aux patients non couverts

61 CME de l’AP–HP. Bureau de la CME du 29 juillet 2012, « Actualité de la CME ». Disponible sur le web :http://cme.aphp.fr/archives/cr bureaux cme/bureau cme 29-07-2012.62 CHASLES V. Santé et mondialisation. Lyon : Service Éditions de l’Université Jean-Moulin, 2009, p. 273.

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par un système d’assurance maladie régi par le présent code, à l’exception des patients bénéficiantde l’aide médicale de l’État définie à l’article L251-1 du code de l’action sociale et des familles, despatients relevant des soins urgents définis à l’article L254-1 du même code, des patients accueillisdans le cadre d’une intervention humanitaire et des patients relevant d’une législation de sécuritésociale coordonnée avec la législation francaise pour les risques maladie, maternité, accidents dutravail et maladies professionnelles en application des traités, accord et règlements internationauxauxquels la France est partie [. . .] »63.

Justifiée en partie par le fait que les patients concernés ne participent en rien à la solidaritédu système de santé, la surtarification est surtout l’occasion de contribuer à combler un déficit,voire de réaliser un bénéfice. Cette surtarification est pratiquée par l’Institut Gustave-Roussy etl’Assistance Publique–Hôpitaux de Paris à hauteur de 130 %.

3.1.2. De nombreuses interrogations en suspensL’accueil des patients étrangers solvables en général suscite de nombreuses interrogations,

bien que celles-ci ne soient pas partagées par tous. Il en va ainsi de la gestion de la marge destrente pour cent, de certaines activités particulières comme la greffe et de la transplantation maisaussi de certaines modalités d’ordre « pratique » qui semblent difficiles à mettre en œuvre.

3.1.2.1. Une marge controversée. La possibilité laissée aux établissements de santé de fixer lestarifs64 peut sembler légitime, dans la mesure où ces mêmes patients ne participent pas au systèmede solidarité.

On notera cependant que l’article L174-20 du code de la sécurité sociale créé par la loi 2011-1906 du 21 décembre 2011 de financement de la sécurité sociale pour 2012 appelle un décretd’application.

Or, dans l’échéancier de mise en application de cette loi, mis à jour le 12 août 201365, le décretd’application de l’article 75, créant l’article L174-20 du code de la sécurité sociale, est toujoursattendu pour le « 3e ou 4e trimestre 2012 »66.

Par ailleurs, le contrôle de l’application de la loi de financement de la sécurité sociale pour2012 dresse, dans son état d’application de la loi, les mesures réglementaire prévues par la loiet non encore prises par le Gouvernement. L’article 75, dont l’objet est « les tarifs de soinshospitaliers programmés ne relevant pas d’une mission de service public et d’hébergement facturésaux patients non couverts par un régime d’assurance maladie » a son décret d’application « enattente de publication », sachant que cet état d’application de la loi a été mis à jour le 25 octobre201367. . .

La surtarification pratiquée par certains établissements de santé s’applique donc en l’absencede décret d’application, et contrevient à l’article premier du code civil pour lequel « Les lois, et

63 Code de la sécurité sociale, partie législative, Livre1 : Généralités – Dispositions communes à tout ou partie desrégimes de base, Titre 7 : Coordination entre les régimes – Prise en charge de certaines dépenses par les régimes, Chapitre4 : Prise en charge par les régimes d’assurance maladie des dépenses afférentes aux soins médicaux dispensés dans certainsétablissements, Section 12 : Dispositions diverses, article L174-20.64 Il s’agit, en l’occurrence des tarifs des soins hospitaliers programmés ne relevant pas d’une mission de service public

et des tarifs d’hébergement facturés aux patients non couverts par un régime d’assurance maladie.65 Consulté la dernière fois le 21 décembre 2013.66 Loi 2011-1906 de financement de la sécurité sociale pour 2012. Échéancier de mise en application de la loi,

mis à jour le 12 août 2013. Disponible sur le web : http://www.legifrance.gouv.fr/affichLoiPubliee.do?idDocument=JORFDOLE000024633970&type=echeancier.67 Consulté la dernière fois le 21 décembre 2013.

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lorsqu’ils sont publiés au Journal officiel de la République, les actes administratifs entrent envigueur à la date qu’ils fixent ou, à défaut, le lendemain de leur publication. Toutefois, l’entrée envigueur de celles de leurs dispositions dont l’exécution nécessite des mesures d’application estreportée à la date d’entrée en vigueur de ces mesures »68.

On pourra cependant supposer que cette surtarification n’a rien d’innovant, puisque les dépas-sements d’honoraires sont autorisés, même au sein de l’hôpital public, avec tout le tact et la mesurepermis par la déontologie médicale, diffractée par l’appétit de certains praticiens peu scrupuleux.

On notera également que la réaffectation des recettes générées par cette marge peut être àl’origine de « malaise institutionnel » : si l’objectif global est de contribuer à renflouer le déficitinstitutionnel ou de générer des bénéfices supplémentaires, il semble difficile de ne pas redistribuerune partie de la marge effectuée aux services concernés, en reconnaissance de leur travail et desefforts déployés pour la mise en place de ce « type d’accueil ».

Cela pourrait avoir des conséquences en matière de dotation et d’équipements ce qui aggraveraitles inégalités entres les services ou établissements accueillants ces patients, et les autres.

La notion de « service volontaire » évoquée dans les procès verbaux des séances plénièresde la Commission Médicale d’Établissement de l’Assistance Publique–Hôpitaux de Paris, les11 septembre 2012 et 12 février 201369 semble dérisoire, sinon hypocrite, en regard des enjeuxpour les établissements éligibles à cette filière de patients solvables.

Mais au-delà de la question financière, l’accueil de patients étrangers se heurte également àdes prestations particulières et très pragmatiques : les greffes et transplantations.

3.1.2.2. Focus sur l’activité de greffe et de transplantation. La greffe entre vifs exige une pro-cédure complexe comprenant un passage devant un comité d’experts70 et le Tribunal de GrandeInstance71, outre les examens précédant l’intervention chirurgicale. Il semble difficile de proposercette « prestation » à des personnes qui ne viendraient que deux ou trois jours avant l’intervention.

Par ailleurs, la transplantation ne va pas sans un suivi rapproché du donneur et du receveur.Celui-ci semble encore plus complexe pour un non résident, l’offre de soins des pays étrangersrelevant parfois de la nébuleuse et la télémédecine en étant à ses balbutiements.

On notera également que les patients étrangers non résidents ont la possibilité d’être inscritssur la liste d’attente nationale des greffes. Ils doivent alors être en possession « d’une attestationdu ministre chargé de la santé de leur pays d’origine certifiant que la greffe ne peut être effectuée

68 Code civil, Titre préliminaire : De la publication, des effets et de l’application des lois en général, article 1.69 CME de l’AP–HP. Compte rendu de la séance ordinaire du 11 septembre 2012, approuvé lors de la séance du 9 octobre

2012, p. 22 : « Le dispositif proposé concernerait uniquement des interventions programmées, dans le secteur public, etdans des services volontaires [. . .] ».70 Ce comité est composé de deux médecins et une personne qualifiée dans le domaine des sciences humaines et sociales.

Lorsque le donneur est majeur, un psychologue et un troisième médecin sont présents. Lorsque le donneur est mineur, unpédiatre et une personne qualifiée dans le domaine de la psychologie de l’enfant sont présents (articles 1231-1 et 1231-3du code de la santé publique).71 Le donneur doit alors exprimer son consentement au don devant le président du Tribunal de Grande Instance ou

le magistrat désigné par lui. Il s’agit de s’assurer que le consentement est libre et éclairé, et que le don est conformeaux conditions légales. Reste à savoir si le juge est en mesure de vérifier, malgré une barrière de langue hypothétique,qu’aucune pression ou transaction financière n’est à l’origine du « don », et que l’organe n’a pas été acheté à l’étrangerpour être prélevé et transplanté en France. Concernant la transplantation en droit européen, et notamment les élémentsd’extranéité, lire : PY Bruno La transplantation dans le droit européen in Donner, recevoir un organe : droit, dû, devoir.Strasbourg : Presses Universitaires de Strasbourg, p. 58 à 67.

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dans le pays considéré et mentionnant les raisons de cette impossibilité »72 et sont inscrits sur laliste après avis favorable du directeur de l’établissement de santé concerné, qui doit notamments’assurer que « la prise en charge financière de l’intervention est assurée »73.

Si cette procédure paraît légitime en regard de patients n’ayant pas accès à cette offre desoins dans leur pays de résidence74, elle ne va pas sans provoquer un malaise, en regard d’uneressource que l’on sait extrêmement rare et d’un accès aux soins transfrontaliers manifestement« unilatéral ».

3.1.2.3. Des modalités pratiques complexes à appliquer ?. L’accueil des ces patients nécessitentune organisation particulière qui se heurtent à des obstacles pragmatiques. Des inégalités detraitement émergent avec le concept de surtarification : en effet, l’achat d’un service soumis à untarif spécial peut légitimer des demandes particulières, notamment en matière hôtelière.

Par ailleurs, la taille de certains établissements fait que certaines spécialités (médicales ouchirurgicales) peuvent se retrouver sur plusieurs sites. On peut donc se demander quels sont, endehors du choix express du patient, les critères qui permettront de choisir le service d’orthopédiede tel établissement et pas de celui-là. Il risque donc de se créer une concurrence « inter sites »qui malmènerait l’article R4127-67 du code de la santé publique pour lequel « sont interditesau médecin toutes pratiques tendant à abaisser, dans un but de concurrence, le montant de seshonoraires. Il est libre de donner gratuitement ses soins ».

Enfin, si au sein de l’Assistance Publique–Hôpitaux de Paris, il a été reconnu en séance plénièrede Commission Médicale d’Établissement qu’« aucun droit de priorité ne serait reconnu auxpatients internationaux »75 cela semble difficile à garantir, vu les enjeux : la tendance générale àréduire la durée moyenne de séjour des patients hospitalisés aura tôt fait de libérer un lit pour unpatient international solvable, si la nécessité76 venait à se présenter.

L’aménagement d’un dispositif d’accueil des patients étrangers solvables ainsi que la libertétarifaire qui est ou sera appliquée illustrent donc un changement de paradigme : l’accès aux soinsdes patients étrangers non résidents se fait à l’aune de leur solvabilité, et non de la solidaritéinternationale, et ce dès que possible. La rentabilité tant recherchée par ces dispositions n’est pasassurée pour autant.

3.2. Un droit d’accès aux soins (enfin) rentable ?

Inscrivant le soin dans une logique commerciale, les dispositifs d’accueil des patients étrangerssolvables « consacrent » la santé entendue comme une marchandise (3.2.1). Pourtant, le dispositifmis en place n’offre pas de garantie de résultats, mais il promet des pratiques controversées (3.2.2)alors que le débat pourrait être « assaini » par une redistribution plus vertueuse (3.2.3).

72 Arrêté du 24 novembre 1994 relatif à la gestion de la liste nationale des patients susceptibles de bénéficier d’une greffeen application de l’article L673-8 du code de la santé publique, article 7.73 Ibid., article 8.74 On notera que la répartition des greffons se fait selon des règles communes basées sur des critères biologiques (groupe

sanguin, compatibilité des antigènes leucocytaires), des critères géographiques (le greffon est proposé d’abord à l’échelonlocal, puis régional, puis national et en dernier recours, au niveau international) et des critères receveur-dépendant (prioritéest donnée aux enfants, aux personnes dont le pronostic vital est engagé à très court terme, et à celles qui ont très peu dechances d’obtenir un greffon). Il existe des règles de répartition spécifiques aux organes.75 CME de l’AP–HP. Compte rendu de la séance ordinaire du 11 septembre 2012, approuvé lors de la séance du 9 octobre

2012, p. 22.76 Le lecteur notera que la « nécessité » est une notion toute relative.

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3.2.1. La santé comme marchandise3.2.1.1. De la valeur marchande à la valeur non marchande. Si la notion de santé demeuredifficile à définir, elle ne relève pas moins d’un état de la personne dont elle est indissociable.Elle devrait donc se situer en dehors de l’avoir ou de l’échange, « au dessus de ce qui a un prix »,pour rejoindre la distinction opérée par Emmanuel Kant entre les valeurs relatives et les valeursabsolues77.

D’un point de vue philosophique, la santé serait une valeur supérieure, absolue, qualitative etpar là, opposée au prix : une valeur non marchande. Cette position semble confortée au niveauinternational, et notamment par le préambule de la Constitution de l’Organisation Mondiale de laSanté, qui érige le droit à la santé en droit fondamental78.

Cependant, ce vœu pieu est rapidement tempéré par des considérations pratiques et locales. Sien France, le droit à la protection de la santé est reconnu par le onzième alinéa du préambule de laConstitution du 27 octobre 1946, la notion de santé est loin d’habiter l’ensemble des textes consti-tutionnels étrangers, quand elle n’est pas réduite à la seule santé publique au mépris de la santéindividuelle79. Évalué à l’échelon international, le caractère absolu proclamé par l’OrganisationMondiale de la Santé devient ici relatif.

Par ailleurs, l’obligation de l’État de protéger la santé des personnes et des populations est uneobligation de moyens, et non de résultats comme le précise le rapport explicatif de la « Conventionpour la protection des Droits de l’Homme et de la dignité de l’être humain à l’égard des applicationsde la biologie et de la médecine : Convention sur les Droits de l’Homme et la biomédecine » dite« Convention d’Oviedo »80.

Mais surtout, la frontière entre valeur marchande/non marchande, entre valeur relative/absoluen’est pas aussi franche qu’il n’y paraît. La notion de valeur est en effet souvent « subjectivée »,c’est-à-dire associée à ce qui suscite un intérêt particulier et donc, attachée à une évaluationindividuelle. Cette « distorsion de la notion conduit à sa relativité : les valeurs essentielles, les« valeurs absolues », disparaissent au profit des valeurs relatives qui deviennent dans la penséecommune des valeurs essentielles »81.

Enfin, dans un mouvement « inverse », la tendance de l’homme à transcrire en termes d’avoirce qui pourrait lui être utile ou ce qui pourrait être échangé « contamine » les valeurs essentiellesauxquelles on confère alors un prix monétaire. La valeur philosophique devient une valeur éco-nomique : c’est le cas du plaisir à travers la prostitution, de la conscience à travers la corruption,ou encore de l’éthique.

Ce processus par lequel une valeur d’usage82 se transforme en valeur d’échange83 est appelée« marchandisation » et traduit une extension de la sphère marchande : c’est ici qu’apparaît lemarché de la santé, et dans le cas qui nous occupe, le marché international de la santé, où celle-cidevient une activité économique.

77 La valeur absolue étant au dessus de ce qui a un prix, c’est-à-dire ayant une dignité.78 ORGANISATION MONDIALE DE LA SANTÉ. Constitution de l’Organisation Mondiale de la Santé. Préambule.

Disponible que le web : http://www.who.int/governance/eb/who constitution fr.pdf.79 JOURDAIN FORTIER C. Santé et commerce international. Thèse de droit. Université de Bourgogne, 2006, 699 pages,

p. 21.80 CONSEIL DE L’EUROPE. Rapport explicatif de la Convention d’Oviedo. Disponible sur le web :

http://conventions.coe.int/Treaty/fr/Reports/Html/164.htm (consulté le 6 juillet 2013).81 JOURDAIN FORTIER C. Santé et commerce international, op. cit., p. 7.82 La valeur d’usage représente ce qui a de la valeur pour un individu.83 La valeur d’échange est une notion sociale qui implique une comparaison, une équivalence. Ce qui a une valeur

d’échange peut être remplacé, mais aussi vendu, loué ou échangé.

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Si la santé demeure une valeur non marchande a priori, le marché de la santé va s’attacher auxsupports de la valeur (médicament, acte médical. . .) que sont les produits et service de santé, dansle cadre de l’activité économique.

3.2.1.2. Une activité économique particulière. La santé comme valeur n’a pas de prix, c’est-à-dire pas d’équivalent monétaire. La finalité de l’activité de santé est thérapeutique, et nonéconomique, bien que ces activités soient fournies contre un prix.

Pour autant, médicaments et services médicaux ne sont pas des marchandises « ordinaires »et relèvent même d’un marché particulier, où les prix pratiqués sont contrôlés par certains États,voire pris en charge par la collectivité (système de sécurité sociale), dans le cadre d’un servicepublic.

Le contrôle des prix des produits et prestations médicales (par dérogation au principe de libertédes prix) ainsi que le remboursement seraient une frontière au marché, notamment international,des produits et services de santé, « au nom de l’accès à la santé, valeur supérieure aux intérêtsmarchands »84.

Si tel est le cas, force est de constater que la frontière précédemment citée devient, en France,de plus en plus poreuse.

En effet, bien que le prix des actes soit fixé et maintenu dans une enveloppe fermée (l’ONDAM,pour « Objectifs National des Dépenses d’Assurance Maladie »), on notera que le tact et la mesureen matière de dépassements d’honoraires ont fait l’objet de contrôles hétérogènes, si ce n’estinexistants, créant de fait des inégalités d’accès aux soins.

Par ailleurs, le poids de l’industrie pharmaceutique dans les processus décisionnels visant àdérembourser certains médicaments jugés sans « intérêt de santé publique »85 ont montré que lecontrôle des prix, et par extension, le remboursement des médicaments n’est pas forcément le faitde l’État, mais celui du lobby pharmaceutique, et donc du marché.

Enfin, l’article L174-20 du code de la sécurité sociale précédemment cité laisse aux établisse-ments de santé le « soin » de déterminer « les tarifs de soins et d’hébergement facturés aux patientsnon couverts par un système d’assurance maladie », ce qui représente également une forme deliberté tarifaire.

Si dans les plus grands textes, la santé ne saurait être abordée comme une marchandise, àl’échelon local, le néolibéralisme semble avoir raison de ce bien économique supérieur. C’estl’occasion rêvée de le soumettre au marché, notamment international, d’où l’émergence d’uncommerce international des services de santé.

3.2.1.3. Le commerce international des services de santé. La « consommation de services àl’étranger » représente le deuxième mode d’échange de service selon l’Accord général des produitset services86, qui est un des deux textes régissant la santé au sein de l’Organisation Mondiale du

84 JOURDAIN FORTIER C. Santé et commerce international. Thèse de droit. Université de Bourgogne, 2006, 699 pages,p. 215.85 PIERRU Frédéric. Hippocrate malade de ses réformes. Éditions du croquant, Collection Savoir/Agir, 2007 p. 10.

« Mediator : deux conseillers de Xavier Bertrand en 2006 avaient des liens avec Servier », journal « Le Monde », 11 janvier2011.86 GALBRAITH Margaret. L’Organisation Mondiale du Commerce et l’Organisation Mondiale de la Santé : le rap-

prochement du commerce et de la santé. in Dominique Kerouedan Presses de Sciences Po « Hors collection », 2011,p. 320.

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Commerce87. Ce mode consiste à recourir à un service, par des consommateurs/des entreprisesvenus d’un autre pays.

L’évaluation de l’ampleur et de l’évolution de ce marché mondial demeure cependant complexe.En effet, il n’existe pas à ce jour de base statistique exhaustive en la matière. Les seules donnéesdisponibles proviennent du Fonds Monétaire International qui classe les services de santé dansla catégorie des « voyages ». On notera également qu’« un nombre limité de pays renseigne cetteligne et, d’autre par les données fournies sous-estiment la réalité : les statistiques des Banquescentrales ne saisissent que les services qui ont fait l’objet d’un règlement bancaire en indiquantexplicitement le règlement d’une prestation de santé. De cette manière, elles ignorent les paiementsen espèces et tous ceux qui n’indiquent pas explicitement la nature des prestations. En résumé,l’information proposée par les statistiques du Fonds Monétaire International est incomplète et ellesous-évalue très probablement le niveau réel des flux. Néanmoins, il n’existe pas d’alternatives àcette source pour estimer le commerce mondial des services de santé »88.

Mais quand bien même le marché mondial des services de santé reste difficile à quantifier, iln’en est pas moins soumis au dogme néolibéral de la concurrence, avec les encouragementsde l’Organisation de Coopération et de Développement Économique (OCDE) : en effet, « la« concurrence organisée » permet, selon l’OCDE, de concilier les objectifs d’efficience avec lesobjectifs d’équité et de qualité des soins, et suppose une redéfinition des rapports entre régulationpublique et régulation par le marché. Ce modèle de concurrence, organisée dans un cadre public,[. . .] repose sur le double postulat de l’inefficacité de la régulation publique et d’orientationnaturelle du marché vers l’efficience »89. . .

Il est cependant porteur de nombreux écueils, et ce à différents niveaux.

3.2.2. Une rentabilité hypothétique au prix de pratiques controversées3.2.2.1. Une institutionnalisation du secteur libéral à l’hôpital public. « La médecine ne doitpas être pratiquée comme un commerce [. . .] »90.

Lorsqu’un établissement de santé, notamment public, tente d’aménager une filière de patientsétrangers solvables – non sans lui appliquer une surtarification avec tact et mesure – il marche surles plates bandes du secteur libéral à l’hôpital, en devenant le primo interlocuteur de ces patients.

Il s’agit donc d’organiser, d’institutionnaliser le secteur libéral, en se saisissant d’une « partdu gâteau ». En voulant empiéter sur les prérogatives du secteur libéral à l’hôpital, l’institutionrisque d’en devenir le fournisseur, renforcant une offre de soins à deux vitesses91. Elle contribuealors à une sélection des patients.

3.2.2.2. Une sélection des patients basée sur un critère financier. Tout dispositif d’accueil despatients internationaux (très solvables) non assurés sociaux et payants, cherche à attirer des per-sonnes relevant de régime d’assurance maladie privée et représentant un surplus de recettes. Le

87 LAUTIER M. Le commerce international des services de santé. Problèmes économiques, 12 septembre 2007, p. 38.88 LAUTIER M. Le commerce international des services de santé. Problèmes économiques, 12 septembre 2007, p. 38.89 HASSENTEUFEUL P. et al. Concurrence et protection sociale en Europe. Éditions des Presses Universitaires de

Rennes, 2003, p. 225.90 Code de la santé publique, Partie réglementaire, Quatrième partie : Professions de santé, Livre 1er : Professions

médicales, Titre II : Organisation des professions médicales, Chapitre VII : Déontologie, Section 1 : Code de déontologiemédicale, Sous section 1 : Devoirs généraux des médecins, article R4127-19.91 Pour un apercu des conséquences possibles du tourisme médical sur l’offre de soins (à double vitesse) d’un système

de santé, lire CHASLES V. Santé et mondialisation, Service Édition de l’Université Jean-Moulin Lyon 3, 2010. Chapitre« Mondialisation et systèmes à double vitesse : le cas de la Tunisie » par BOUDHIBA Sofiane, p. 283 à 295.

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critère de sélection est donc financier, avant d’être médical92. On ne saurait reprocher à un établis-sement de santé de vouloir limiter ses créances, et plus globalement son déficit, voire de vouloirgénérer des recettes, mais il est regrettable que la voie d’accès aux soins utilisée ici soit celle dela solvabilité avant l’absence d’offre de soins dans le pays de résidence.

Par ailleurs, la garantie qu’à aucun moment ces patients ne prendront la place des résidentsne peut être apportée, en raison de la pauvreté des mécanismes institutionnels de contrôle, d’unetendance à laisser faire tout ce qui peut générer des recettes supplémentaires et d’une duréemoyenne de séjour facile à raccourcir.

Au contraire, ce type de dispositif risque d’induire une concurrence entre deux profils depatients, à l’image des pratiques des établissements de santé privés à but lucratif, en l’occurrence,le patient international solvable et le patient lambda, le patient lambda international pouvant êtreparticulièrement difficile à appréhender en cas de difficulté de recouvrement.

Indirectement, le médecin sera alors sommé de choisir entre ces deux patients, de la mêmefacon que la T2A le contraint à faire ce choix, à l’échelon national. En effet, la tarification àl’activité « [. . .] oblige les professionnels de santé, censés être les avocats de la santé de leurspatients, à opérer eux-mêmes les arbitrages économiques (qui soigner, avec quel moyens, à quelcoût, à quel niveau de qualité) que se refuse à faire le centre politique. Elle enrôle les médecinsdans la gestion de l’établissement, eux qui se sont longtemps identifiés à la profession (et non àl’hôpital qui les emploie) et qui ne prêtaient pas toujours une grande attention de leurs actes etprescriptions. En effet, « être professionnel » pour le gestionnaire ne signifie pas du tout la mêmechose que pour le médecin »93.

Ce choix – pas si cornélien pour certains – sera peut être facilité par la perspective de perce-voir tout ou une partie des fameux « 30 % », dans lequel le praticien pourra voir une éventuelleaugmentation de la dotation de son service, en matière de personnel ou d’équipement.

Si la surtarfication peut sembler légitime en regard de personnes qui ne participent pas à lasolidarité nationale, on notera que sa détermination ne fait pas l’objet de critères clairement définis.Peut être ceux-ci figureront dans le décret d’application de l’article L174-20 du code de la sécuritésociale.

Il n’en demeure pas moins qu’appliqué par un établissement public de santé, cette liberté tari-faire crée un tarif hospitalier « déconventionné ». Le code de la sécurité sociale donne l’opportunitéà l’hôpital santé de s’écarter du système de solidarité, ou du moins d’en redéfinir les contours.

Ainsi, à la liberté tarifaire octroyée aux médecins dans le cadre de la médecine libérale àl’hôpital public, se superpose la liberté tarifaire accordée à l’institution.

3.2.3. La redistribution comme solution vertueuseDans le cadre de l’institutionnalisation d’une filière de soins privée, le tarif appliqué est donc

« déconventionné »94 mais la marge effectuée peut devenir complexe à « tracer ». On peut d’oreset déjà douter qu’elle donne lieu à une redistribution aux dispositifs prenant en charge les patientsétrangers non solvables comme les Permanences d’Accès aux Soins de Santé.

92 Les critères de sélection médicaux sont par exemple : l’âge, les co-morbidités, le risque anesthésique, les contrainteset le suivi postopératoire, etc.93 MAS B. et al. L’hôpital en réanimation. Éditions du Croquant, Collection Savoir/Agir, p. 96.94 Si la surtarification est légitime, en raison de la non participation des non résidents au système de solidarité, elle

gagnerait à être encadré par les textes, et non par l’institution qui est forcément parti pris.

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Cette procédure « corrective » serait à l’image des mécanismes de péréquation qui existentdans les pays où les assurances santé privées et publique sont mises en concurrence (notammentl’Allemagne95 et les Pays-Bas96).

La création d’un fonds de solidarité serait un moyen de compenser, de manière délocalisée, lesinégalités sanitaires existant entre les pays mais exigerait que les flux financiers soient fléchés.

La stratégie appliquée serait celle des vases communicants, dans une perspective de solidarité.La fongibilité des crédits profiterait, pour une fois, aux dispositifs d’accès aux soins pour tous, etle commerce aurait des conséquences positives sur la santé.

Les réponses apportées par le droit international privé aux demandes de soins programméssont limitées. Elles ne sont accessibles qu’aux personnes bénéficiaires d’une prise en chargefinancière : la clé d’entrée est donc résolument économique.

Sous couvert de mise en valeur de l’institution et de contribution à la réduction du déficit ou àl’induction d’un bénéfice, des établissements de santé mettent sur pieds des dispositifs inégalitairespar définition et incertain dans ses résultats. Des difficultés d’application sont donc à prévoir.

Si ces politiques d’accueil répondent aux demandes d’une partie des étrangers qui veulentvenir se faire soigner en France, elles assoient surtout les concepts de santé et d’accès aux soinssous l’angle du commerce. Mais en voulant, peut être à juste titre, concurrencer le secteur libéralà l’hôpital, elles le légitime, voire l’abreuve. Le tri des patients sur le critère financier n’est plusl’affaire de quelques praticiens, il est aussi l’affaire de l’institution, pour laquelle, manifestement,la fin justifie les moyens, bien que la méthode soit restreinte à une très petite clientèle. Il en résulteune concurrence à plusieurs niveaux, et un recul de la solidarité alors qu’un rapport de l’OCDE paruen 200497 critique l’organisation concurrentielle « des assureurs et/ou des prestataires [. . .], tantdu point du vue de l’efficacité économique que de l’« équité » » [. . .] le néolibéralisme doctrinairedu milieu des années 1980 semble être définitivement remisé au placard des dogmes obsolètes,au moins en matière de politique de santé »98.

4. Conclusion

Toute demande de soins programmés est l’expression des inégalités sanitaires qui existent entreles pays développés et les pays en voie de développement.

Les solutions assistancielles sont limitées, et les réponses assurantielles publiques porteusesde nombreux écueils pour l’institution, dont celui des créances irrécouvrables.

Le contexte macroéconomique et le déficit aidant, ces difficultés ont poussé certains établis-sements à développer une réponse assurantielle d’ordre privé dont les fondements quelque peu« machiavéliques » éloignent notamment les hôpitaux publics de leurs valeurs historiques. En effet,aménager un dispositif d’accueil des patients étrangers solvables revient à exploiter la fracturesanitaire internationale et s’appuie sur des inégalités : inégalités de richesse personnelle, inégalitésen matière de protection sociale, inégalités d’offre de soins entre les pays. Bien qu’il existe ausein de certains établissement de santé des pratiques comme le mécénat, celles-ci relèvent plusd’initiatives individuelles que d’une préoccupation institutionnelle.

95 BODE Ingo. Financement solidaire et gouvernance concurrentielle. Le modèle allemand d’organisation de la santéen débat. Revue francaise des affaires sociales, 2006, no 2-3.96 COHU Sylvie. Pays Bas, une réforme du système de santé fondée sur la concurrence et la privatisation. Revue

francaise des affaires sociales. 2006, no 2-3.97 PIERRU F. Hippocrate malade de ses réformes. Éditions du Croquant, Collection Savoir/Agir, p. 150.98 Ibid., p. 152.

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Mais avant d’être un sujet d’ordre économique, la demande de soins programmés est uneproblématique d’éthique collective. Elle confronte entre eux des pays qui ne peuvent pas faireles mêmes efforts en matière de santé publique et de protection sociale. Elle renvoie à des choixpolitiques qui exigent d’un établissement public de santé qu’il réponde à deux impératifs : lerespect des droits de l’Homme et la bonne gestion de ses comptes.

Si la diplomatie sanitaire ne donne que peu de marge de manœuvre aux institutions, certainessont parvenues à mettre en place un dispositif d’accès aux soins où c’est un choix administratifqui pèse sur les chances de guérison de la personne demandeuse.

Face aux demandes de soins programmés, un établissement de santé peut adopter deux pos-tures : celle de l’outil diplomatique qui « subit » ou celle de l’entreprise qui pratique et encourageun tourisme sanitaire « select », autant que faire se peut.

Une alternative pourrait consister, à un niveau plus global cependant, à inscrire la santé dansles politiques d’aide au développement et à modifier ces dernières : en effet, « la part de l’aidepublique au développement francaise et européenne consacrée à la santé reste très marginale,autour de 3 % des budgets du Fonds européen de développement, et un peu plus pour la France,derrière les gros postes [. . .] »99. Un effort a été constaté ces dernières années, mais celui-ci « [. . .]ne porte pas suffisamment sur l’indispensable construction de systèmes de santé performants, cequi impliqueraient des efforts de formation, d’aide aux hôpitaux, de coopération technique, derenforcement de capacités institutionnelles politiques et managériales »100. Cette aide au déve-loppement devrait évidemment être adaptée aux problèmes de santé publique rencontrés par lepays concerné.

D’aucuns opposeront la problématique financière, mais si elle reste prégnante, elle n’en estpas pour autant insurmontable, en témoignent des financements innovants récents101 : il enva ainsi du dispositif « Unitaid »102 qui facilite l’accès aux médicaments contre le Virus del’Immunodéficience Humaine, le paludisme et la tuberculose, de la facilité financière de l’allianceGAVI103 et du système des garanties d’achat futur « Advanced Market Concomittents »104 quipermettent de financer des programmes de vaccination.

La coopération sanitaire prendrait peut être alors le pas sur la santé abordée sous l’anglecommercial puisque « le principal problème concernant la présence commerciale est sa propension

99 CHEVASSUS-AU-LOUIS Nicolas. « Je souhaite faire de la santé une question politique ». La Recherche [en ligne],février 2013, p. 76.100 CHEVASSUS-AU-LOUIS Nicolas. « Je souhaite faire de la santé une question politique ». La Recherche [en ligne],février 2013, p. 76.101 MULLER Xavier. Les financements innovants de la santé mondiale. in Dominique Kerouedan Presses de SciencesPo « Hors collection », 2011, p. 451 à 457.102 Ce dispositif, défendu par les présidents francais et brésilien Jacques Chirac et Luiz Inacio Lula, permet de fairebaisser le prix des médicaments et de stimuler la recherche. Il est financé par la Fondation Bill et Melinda Gates et parles États donateurs, via une taxe mise en place sur les billets d’avion. Celle-ci respecte la souveraineté fiscale des Étatspuisque chaque pays membre d’Unitaid contribue à ce dispositif de solidarité sur la base du volontariat et fixe le montantde la taxe selon ses critères (distance, type de vol). Fin 2008, les fonds levés grâce à cette taxe représentaient 72 % desfonds gérés par Unitaid, contre 50 % en 2006. Parmi les États membres d’Unitaid qui appliquent cette taxe, on trouve leChili, la Corée du Sud, le Niger, la France. . .103 Il s’agit d’une initiative franco-britannique qui consiste à lever des fonds destinés à financer des programmes devaccination dans des pays à faibles revenus. C’est un système de préfinancement et de mise à disposition de fonds stables,réguliers et prévisibles. Parmi les Etats donateurs, on retrouve la France, le Royaume Uni, l’Espagne, la Suède. . .104 Ce système engage les industriels à développer ou accélérer un secteur de la recherche, en échange d’un engagement,de la part des pays donateurs et sur une somme définie à l’avance, à acheter ces vaccins, une fois les recherches abouties.Les prix sont alors négociés.

Page 24: Les soins programmés : une forme d’accès aux soins à la dérive

V. Pfister / Droit Déontologie & Soin 14 (2014) 30–53 53

à peser de facon démesurée et insoutenable sur les systèmes de santé publique dans les paysdéveloppés »105.

Il s’agirait alors de rechercher l’Europe sociale plutôt que la stricte application de la librecirculation des personnes et la libre prestation de service, et de tendre vers une coopérationsanitaire internationale, plutôt que de se gargariser de conventions bilatérales qui, au mieux neprennent pas en charge le risque maladie, et au pire, instrumentalisent l’institution, le résultatdemeurant le même : des difficultés d’accès aux soins.

Dans un contexte d’aide au développement et notamment dans le domaine de la santé, uneapproche par les « capabilités »106, et notamment les « capabilités de base » définies par AmartyaSen107 pourrait constituer une voie à développer108, au-delà de la seule utilisation de l’Indice deDéveloppement Humain.

Il serait alors nécessaire d’admettre les limites du principe de subsidiarité, au profit d’une déli-bération plus collective qui permettrait peut être de trouver des solutions adaptées, les capabilitésde base ayant des traductions similaires dans tous les pays.

Les réponses apportées aux demandes de soins programmés « restantes » n’en seraient quemoins hasardeuses, moins arbitraires et plus démocratiques.

105 GALBRAITH Margaret. L’Organisation Mondiale du Commerce et l’Organisation Mondiale de la Santé : le rappro-chement du commerce et de la santé, art. cité, p. 322.106 Le concept de capabilité illustre la théorie de justice sociale développée par Amartya Sen, économiste et philosopheindien, prix Nobel d’Économie en 1998 pour ses travaux sur le développement. La capabilité désigne la possibilité pourun individu de faire un choix parmi les biens qu’il juge estimable et de les obtenir de manière effective. Cette théoriede justice sociale se distingue de celle, plus formelle, de John Rawls et de la théorie des biens premiers mais se veutaussi une critique de l’utilitarisme. Elle s’appuie sur le constat que les individus peuvent avoir des besoins différentspour accomplir un même acte, et qu’au-delà de la mise à disposition de biens premiers ou de ressources, il convient des’assurer de l’effet de ces biens premiers, de ce qu’ils peuvent apporter aux personnes, autrement dit de leur conversionen libertés réelles. L’approche est donc à la fois plus objective et plus ajustée. Cette théorie invite également à ne pasmesurer la pauvreté avec la seule pauvreté monétaire, mais à inclure d’autres paramètres comme l’accès à la santé, àl’éducation : ces trois capabilités de base – ressources monétaires, éducation, santé – sont d’ailleurs aux fondements del’Indice de Développement Humain (IDH). Sen propose également de tempérer le rôle de l’État dans son monopole del’action sociale, au profit de la société civile (et non au profit du marché) et des organisations non gouvernementales.107 REBOUD Valérie. Amartya Sen : un économiste du développement ? Agence Francaise de Développement, Dépar-tement de la Recherche, p. 96. Les « capabilités de base » sont : être bien nourri, être en bonne santé, éviter la maladieévitable et la mort prématurée, être heureux, avoir le respect de soi, prendre part à la vie de la communauté.108 En effet, « malgré l’importance prise par l’approche de Sen [. . .], peu de travaux ont été consacrés à son opérationna-lisation dans le domaine de la santé, et encore moins dans les économies à faible revenu » (BOIDIN Bruno. Capabilitéset seuils de santé. Revue Tiers Monde, no 198, 2009, p. 338).