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Les sorciers de la rivière rouge

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Page 1: Les sorciers de la rivière rouge
Page 2: Les sorciers de la rivière rouge

C L A U D E C É N A C

LES SORCIERS

DELA

RIVIÈRE ROUGE

Illustration de couverture : Annalisa Morrocco

Illustrations intérieures :

Valérie Decugis

MACNARD

Page 3: Les sorciers de la rivière rouge

La loi du 11 mars 1957 interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute présentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code pénal.

© Éditions Magnard, 1996 - Paris

Imprimé par Vincenzo Bona - Torino (Italie) N° d'Editeur 96/322 - Dépôt légal Septembre 1996

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Le réveil

de la Rivière Rouge

L

A nuit régnait sur la vallée. Les Madaï dor- maient roulés dans leurs fourrures. Les feux couvaient sous la cendre brûlante.

Abaho * se leva doucement. Il avait peu dormi et sa jambe lui faisait mal. D'un doigt précautionneux il effleura l'endroit

où l'os avait été brisé. Le cal se sentait sous la peau. Le vieux sorcier se redressa, poussa un soupir et ajus-

ta sur ses épaules sa longue cape en peaux de loups. Il avait envie de ranimer le feu, de le voir renaître, grandir et danser dans les branches. * Vous pouvez retrouver les personnages de ce roman dans les Cavernes de la Rivière rouge et dans Souviens-toi de la Rivière rouge, du même auteur dans la même collection.

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Mais il n'était pas seul et Noûm, son jeune élève, avait encore grand besoin de sommeil.

L'abri était tout à fait sombre et pourtant les tentures qui protégeaient l'entrée laissaient filtrer la lueur des étoiles.

Abaho tendit ses mains dans le noir et toucha la paroi au-dessus de sa tête. Il aimait à sentir ainsi l'énorme masse de la falaise qui dressait vers le ciel ses hauts rochers grisâtres où la Nature avait creusé les cavernes qui servaient de refuge hivernal aux Madaï. Des couloirs souterrains conduisaient à des grottes profondes où l'eau suintait dans les fissures de la pierre, brillait aux pointes des stalactites et tombait goutte à goutte dans des lacs de transparence.

Le Sage Vieillard concentra sa pensée. En esprit il se rendit dans la Caverne Sacrée. Les animaux peints ou gra- vés sur les parois menaient dans le silence une éternelle chevauchée. Des souffles frais montaient des profon- deurs.

Abaho évoqua l'esprit du Grand Taureau noir et blanc dont le poitrail portait à tout jamais les traces du tremble- ment de terre qui avait, deux années plus tôt, bouleversé la vie de la tribu. L'œil de la bête luisait dans l'ombre comme une douce et bonne étoile. Réconforté par cette vision intérieure, les mains ouvertes devant lui, le vieil homme s'avança vers la palissade de pieux et de peaux tendues devant l'entrée de son abri. Le froid le saisit aus- sitôt, le mordit jusqu'à la moelle de ses os. Il trouva à tâtons l'arbre encoché qui lui servait d'échelle et l'aidait à sortir de l'enclos. Il en gravit les premiers degrés et repoussa une lourde tenture de cuir. Le ciel parut, semé d'éblouissants cailloux.

Le sorcier resta un long moment, la tête émergeant au-

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dessus de la palissade, ses longs cheveux blancs soulevés par le vent de l'aube toute proche mais que rien n'annon- çait encore. Au contraire, la nuit semblait plus dure, plus profonde. Il ne distinguait, de la Rivière Rouge, que la pâleur des glaces sous lesquelles elle restait prisonnière.

Tout à coup, Abaho renversa son visage, aspira l'air coupant et se mit à rire tout haut. Une force nouvelle l'ha- bitait. Il sauta au bas de l'échelle, presque comme un jeune homme, courut au fond de la caverne et se pencha sur un paquet de fourrures enfoui dans une litière de fou- gères et de feuilles sèches:

— Noûm ! Réveille-toi... réveille-toi ! Noûm se redressa aussitôt. Depuis son plus jeune âge

il était habitué à s'endormir n'importe où et à se réveiller à n'importe quel moment. Il fut vite debout, tout habillé de sa tunique de bouquetin à longues manches. Il avait même gardé, par-dessus ses culottes de cuir, ses hautes bottes fourrées lacées jusqu'au genou.

— Viens voir et viens entendre, dit Abaho en l'entraî- nant. Demain, mon fils, ce sera le printemps.

Ils se hissèrent sur le ressaut de la falaise que la palis- sade encerclait. La vallée tout entière semblait figée dans la torpeur du gel. Les arbres nus se devinaient çà et là à la lisière des marécages qui s'étendaient sur l'autre rive. La silhouette arrondie des collines d'en face se découpaient en noir profond sur le noir bleuté de la nuit.

Noûm frissonna et se frotta les joues à deux mains. Depuis le début de l'hiver il les ponçait avec du sable pour empêcher sa barbe de pousser en vilain duvet. Bientôt — il en était tout fier ! — le sable ne suffirait plus. Il devrait se servir d'une pâte épilatoire, à base de graisse et de résine qu'Abaho préparait très bien. Ou bien, il lais- serait pousser toute sa barbe comme Sick, le Maître-du-

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silex qui la portait si longue et si touffue qu'il la coinçait parfois entre ses pierres et ses maillets.

À cette idée, le jeune homme se mit à rire, s'étonnant lui-même de pouvoir songer à de telles futilités en cet ins- tant peut-être solennel.

Le sorcier l'entendit et sourit avec indulgence. Pas une seule fois depuis qu'il avait choisi Noûm pour lui succé- der, non, pas une seule fois, pas un seul jour, il n'avait eu à le regretter. Non seulement le fils de Cush était doué pour la gravure et le dessin mais il l'était aussi pour écou- ter et se souvenir. Sa mémoire était prodigieuse. Il retenait sans effort apparent le nom des bonnes et des mauvaises plantes, la composition des remèdes et les symptômes des maladies. Il savait déjà, presqu'aussi bien que son vieux maître, interroger doucement le petit enfant qui ne sait pas encore décrire ses souffrances. Il était même capable à l'aide de potions et de mots bien choisis d'apaiser l'an- goisse des agonisants.

Il connaissait par cœur le nom et la position des étoiles sur lesquelles la tribu s'orientait au cours de ses déplace- ments. Il connaissait les phases de la lune et il pouvait, sans presque jamais se tromper, prévoir les changements de temps. Il avait très vite appris à compter jusqu'à dix- fois dix-fois en se servant de ses doigts et de petits tas de cailloux.

— Mais, pensa Abaho en l'observant du coin de l'œil, il ne sent toujours pas les courants profonds de notre Mère, la Terre. Ni les forces de l'Au-delà.

Le sorcier tressaillit de tout son corps. Lui-même n'était que trop sensible à ces forces et à ces courants. Ces derniers temps il était de plus en plus réceptif aux ondes invisibles émanant de la Terre et du Ciel. Il n'avait qu'à étendre les mains pour deviner la présence d'une source

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cachée ou le vide d'une grotte inconnue. Il n'avait qu'à fixer une étoile et invoquer le Grand Esprit pour se sentir emporté à travers l'espace infini comme si son corps fra- gile n'existait déjà plus.

Noûm, au contraire avait très peu de fluide. Beaucoup trop peu pour un sorcier Madaï. Il avait beau poser ses mains aux endroits que son maître lui désignait, il ne sen- tait aucune « force », il ne captait aucun frémissement de la matière.

— Il ne perçoit encore que la surface des choses, devait admettre le Vieillard. Mais peut-être qu'un jour, avec l'âge...

Il décida de ne pas se laisser emporter une fois de plus par des rêveries. Le temps lui était mesure. Bien qu'il se sentît physiquement moins misérable que l'année précé- dente, il le savait, il le sentait, son temps de vie sur terre serait bientôt fini. Il devenait plus urgent chaque jour de donner à son disciple toute la science qu'il possédait.

Il se tourna vers Noûm qui respirait l'air froid, les yeux mi-clos, le visage baigné par la clarté bleue des étoiles.

Noûm semblait très recueilli, très docile, très attentif. Mais ses doigts battaient, sur les troncs de la palissade, un rythme endiablé de galop. Il devait être en train de se demander à quel moment son père, Cush, le Chef-aux- Larges-Épaules, fixerait l'ouverture du Grand Conseil de Chasse. Ce conseil avait lieu tous les ans à la fin du ter- rible hiver. Il précédait de peu le départ des Madaï pour la migration estivale.

À la pensée des réjouissances qui devaient suivre les discussions et les palabres, les doigts de Noûm marte- laient le bois de plus belle.

Abaho savait à quel point son jeune élève aimait la danse. Non seulement à cause de la musique, du bruit, du

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rythme, mais parce que dans les sauts et les entrechats sa claudication ne se remarquait pas'. C'était le seul moment où le fils de Cush se sentait tout à fait semblable aux autres adolescents de la tribu. La jambe leste, le muscle infatigable. Il faisait alors des bonds prodigieux et ne lais- sait pas à sa cheville déformée le temps de montrer sa dis- grâce.

Le Sage Vieillard posa sa main sur les jeunes doigts impatients :

— Fais silence, mon fils. Écoute la voix de la Rivière. Elle nous annonce le printemps.

Noûm fit un effort sur lui-même. Au réveil, il éprou- vait toujours un grand besoin de s'agiter, de dépenser les forces accumulées dans le sommeil. Il aurait aimé frapper du poing sur sa poitrine et lancer un grand cri pour réveiller tous les Madaï dans la moiteur de leurs cavernes. Il enfonça les mains dans ses manches et il s'efforça d'écouter.

Tout d'abord il n'entendit que la légère passée du vent sur le sommet de la falaise. C'était l'heure où les renards des neiges et les loups efflanqués regagnaient leurs tanières après toute une nuit de chasse.

Noûm sentit son cœur se serrer. Une fois de plus, il venait de penser à Yak, son louveteau apprivoisé, qu'il n'avait pas revu depuis plus de trois lunes.

— Pourvu, songea-t-il, que les autres ne l'aient pas tué. Abaho avait beau lui affirmer que le jeune mâle était

tout simplement parti rendre visite à sa femelle, Noûm n'était pas rassuré. Il se souvenait trop bien de la façon

1. Voir Les Cavernes de la Rivière rouge.

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dont le père de Yak était mort sous ses yeux, égorgé, éven- tré, à demi dévoré par sa meute.

Il soupira encore en s'efforçant de chasser ces tristes pensées. Et c'est alors qu'il entendit, montant de la vallée obscure, comme un léger soupir qui répondait au sien. C'était une plainte à la fois douce et grave, étouffée et pourtant puissante qui s'enflait, retombait, s'en allait mourir pour renaître dans le lointain.

On aurait dit que la vallée était une bête couchée épui- sée par le long hiver mais portant encore dans ses flancs l'espoir tenace du renouveau.

Noûm se tourna vers le sorcier. Abaho mit un doigt sur ses lèvres :

— Écoute... écoute encore. Il leva la main droite et, comme sur son ordre, la natu-

re entière fit silence. La bise même cessa de gémir. Et, tout à coup, il y eut un bruit sec, une éclatante déchirure dont l'écho se répercuta, s'affaiblissant de falaise en falaise.

— Elle craque, dit Abaho avec une joie contenue. La Rivière craque, mon enfant. Les eaux veulent être libres. Je te l'ai dit : ce sera bientôt le printemps.

Brusquement, il saisit Noûm par les deux mains et se mit à danser une sorte de gigue. Noûm éclata de rire et leva les jambes en cadence. Ils se balancèrent ainsi un ins- tant sous le regard des étoiles dont le rayonnement com- mençait à pâlir.

Lorsqu'Abaho fut essoufflé, il prit une mine plus grave. Il s'orienta vers le Levant, tendit les bras, les paumes tournées vers la lumière qui montait derrière les collines. Son vieux cœur se gonflait de reconnaissance et d'amour. Une fois encore il allait revoir le soleil, source divine de toute vie.

— Ô ! Grand Esprit ! murmura-t-il, combien profond

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est ton mystère ! Combien superbe ta puissance ! Combien fragile est l'homme qui contemple ton œuvre immense ! Ô ! Grand Esprit un jour encore va naître de l'abîme. Une fois de plus ton humble serviteur...

Noûm s'éloigna sur la pointe des pieds. Il savait que la prière d'Abaho était comme une demeure invisible dans laquelle le sorcier s'isolait. Il enviait à son maître cette façon de prier, jusqu'à l'oubli total de son être physique. Parvenu au centre de la caverne il se retourna et le contempla un instant, le visage en extase, les mains levées pour la cueillette du soleil.

Puis il se pencha sur les cendres et les écarta avec pré- caution afin de ranimer les braises dont l'œil rouge luisait faiblement.

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Le printemps des Madaï

L

ES Madaï pouvaient enfin sortir de leurs cavernes enfumées. Encore tout engour- dis par le long repos de l'hiver, ils venaient s'asseoir sur les replats de pier- re grise réchauffés par un gai soleil. Les genoux au menton, les mains pen- dantes, ils contemplaient la ruée des flots

rougeâtres, encombrés de glaçons qui s'entrechoquaient. Dans la courbe de la rivière, les coups de boutoir de la crue emportaient des masses d'argile coiffées d'herbes jaunies et des aulnes tordus où les bourgeons pointaient.

Les aînés étaient étourdis de grand air, de bruit, de vent, saoulés d'odeurs d'eau et de sève. Les enfants échappaient à leurs mères pour aller patauger dans les boues où ils cueillaient des renoncules. Puis ils reve- naient, agiles comme des chèvres, un poing serré sur leur

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trésor luisant. Ils se faisaient gronder d'avoir approché la rivière et restaient un instant tête basse, glissant des regards pleins d'effroi et d'orgueil vers le monstre qui rugissait.

Noûm boitillait d'un groupe à l'autre. Il plaisantait avec des filles de son âge qui défaisaient et refaisaient leurs tresses. Il tapotait la joue des nourrissons encore enfouis dans des sacs doublés de fourrure. Il vérifiait la guérison d'un bobo au genou d'un petit garçon. Il s'as- seyait avec un groupe de vieilles gens qui trouvaient le dégel trop brutal et prédisaient des catastrophes. Il n'y avait plus de saisons. Noûm hochait la tête avec eux. Et dans son cœur, il les plaignait. Non parce que leur mort était proche, c'était là chose naturelle. Mais parce qu'ils ne pouvaient plus partir pour la transhumance d'été, là-bas, très loin, au pied des Montagnes Pointues où la neige ne fond jamais.

Lui-même se sentait transporté, ivre de joie, à l'idée du départ prochain. Dès que le dégel serait terminé, dès que la Rivière Rouge aurait repris son cours normal et que les gués seraient de nouveau praticables, tous les Madaï en état de supporter les fatigues et les dangers de la longue marche se mettraient en route vers le Sud.

Noûm se campa sur un rocher et respira profondé- ment.

Le grondement sauvage de la rivière lui rappelait le souffle des torrents de montagne, la fraîcheur de la brise, l'air vif et pur des pâturages. Les yeux mi-clos, il se voyait déjà blotti entre deux masses de granit, retenant son souffle pour mieux observer les chevaux encore tout bourrus de l'hiver. Ou bien les vaches paisibles broutant l'herbe fleurie. Ou bien les bouquetins aux belles cornes cannelées franchissant d'un bond les ravins. Ou bien, par

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temps très clair, le vol impassible des aigles glissant sur des splendeurs d'azur.

Il palpa à travers le cuir d'un sachet qu'il portait pendu à sa ceinture les burins de silex que Sick-Barbe-Longue venait de lui remettre. Il pourrait prendre autant de cro- quis qu'il voulait sur des galets roulés par les torrents ou sur des schistes d'un noir tendre. De plus, cette saison-ci, il était fermement décidé à invoquer le Grand Esprit avec autant de ferveur que son maître, afin d'avoir accès au cœur profond de toutes choses.

Songeant à Abaho, sa joie se voila de mélancolie. Le Sage, lui non plus, ne descendrait point vers le Sud.

— Peut-être pourra-t-il au moins nous accompagner jus- qu'aux cavernes Malaha. Il serait heureux de revoir Tsilla.

Il s'aperçut qu'il pensait à la nièce du sorcier sans éprou- ver de l'amertume, pas même un soupçon de regret. Se rap- pelant l'époque où il souffrait de la voir rire et danser avec le fils du chef de la tribu voisine, il s'étonna d'avoir pu éprou- ver pour son amie d'enfance des sentiments aussi bizarres. Il était aujourd'hui tout simplement heureux de la revoir. Il se prit à sourire en songeant qu'elle avait peut-être un enfant.

Tsilla ! mère de famille ! La frêle Tsilla aux longues nattes brunes, qui se blottissait dans ses bras parce qu'el- le avait peur de son louveteau.

— Somme toute, se dit-il, Yak me manque bien plus qu'elle.

Une fois encore il contempla l'immense forêt qui mou- tonnait au-delà des marais. Une fois encore, il se deman- da, le cœur serré, si Yak était toujours vivant. La dernière fois qu'il était venu aux Cavernes — il y avait maintenant tout près de quatre lunes — ses oreilles déchiquetées por- taient des traces de combats. Tandis que Noûm lavait ses plaies d'une main aussi légère que possible, le loup lui

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léchait la figure en poussant des cris de bonheur. Rien, non jamais rien au monde ne vaudrait amitié pareille.

Il poussa un soupir et sauta au bas du rocher sur lequel il s'était perché. Il se reçut avec souplesse sur l'herbe fine qui perçait. Décidément sa cheville ne le faisait plus du tout souffrir, même au changement de saison. Il n'aurait aucune peine à suivre les chasseurs qu'il voyait s'activer à quelques pas de là. Il s'arrêta pour mieux les observer, fas- ciné par la précision de leurs gestes et leur belle vitalité.

Des dépouilles de renne, d'ours, de cerf, de sanglier, de cheval ou de vache, bourrées d'herbes et de feuilles sèches, suspendues par des tresses de cuir à d'énormes cadres de bois, servaient à leur entraînement.

Sous l'autorité du père de Noûm, Cush, le Chef-aux- Larges-Épaules, les jeunes Madaï apprenaient à lancer leur sagaie sur ces cibles mouvantes ou bien à plonger leur poignard à l'endroit précis qui donnait la mort.

Un autre groupe s'entraînait à courir, à ramper, à sau- ter en longueur et en hauteur, à grimper lestement aux arbres, à éviter une charge par de brusques crochets, à faire le mort, aplati sur le sol. Des hommes plus mûrs et déjà rompus à ces techniques exerçaient leur souffle et leurs muscles en luttant, à main plate, les uns contre les autres.

Cush allait d'un groupe à l'autre, distribuant des conseils et des encouragements, obligeant les jeunots qui montraient trop d'ardeur à discipliner leurs efforts.

Un long moment, Noûm admira son père. Tous les Madaï étaient de haute taille et presque tous étaient très forts. Mais aucun d'entre eux n'avait jamais pu battre Cush à la course, à la nage ou à la lutte. Et il était aussi rusé qu'adroit. C'est pourquoi la tribu tout entière,