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1 Dans le cadre de l'appel d'offre : Formes contemporaines de l'économie informelle : activités, échanges et réseaux de relations." "Les Systèmes d'échanges locaux de l'Hérault, représentations et pratiques comparées : vers des organisations dualistes ? " Rapportfinal A.R.C.E Richard LAURAIRE Octobre 2000

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Dans le cadre de l'appel d'offre :

Formes contemporaines de l'économie informelle : activités, échanges et réseaux de relations."

"Les Systèmes d'échanges locaux de l'Hérault, représentations et pratiques comparées : vers des organisations dualistes ? "

Rapportfinal

A.R.C.E Richard LAURAIRE

Octobre 2000

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Sommaire

Introduction p 3

Première partie 1- La culture et l'organisation des SEL p 12

1.1 - L'espace et le temps des SEL de l'Hérault : la mémoire du militantisme p 13

1.2 - Ouvrir l'organisation : l'accueil des étrangers et la naissance de la confiance p 23

1.3 - Anthropologie politique des SEL : entre organisation acéphale et organisation régulatrice p 32

Deuxième partie 2- Les échanges, du réseau autocentré au réseau ouvert p 52

2.1 - Les échanges réciproques et les valeurs collectives p 53

2.2 - Les échanges et les groupes : sociologisme et/ou dualisme p 84

2.3 - Les foires, les bons et les mauvais objets dans les SEL - p 99

Conclusion : p 110

Bibliographie p 114

Annexes p 118

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3

Introduction :

La communication des résultats de la recherche en direction de la société civile, depuis quelques années est devenue une forme convenue de la gestion scientifique, au point que cette dernière a même organisé des formes rituelles spectaculaires à travers des temps et des lieux où le grand public accède, par lesquels se déclinent l'avancée et le progrès de l'esprit. Si ce phénomène assez récent a touché certaines disciplines et en particulier celles qui avaient à témoigner de leur utilité sociale pour négocier leurs conditions matérielles d'existence, il a diffusé aussi dans les autres. L'un des critères contemporains de la réussite d'une discipline ou plus exactement le signe de sa reconnaissance en tant que corps cohérent de connaissances utiles, est identifiable dans l'appropriation progressive (sans que cela signifie exhaustive) que peut en faire le corps social, et en particulier les groupes sociaux qui sont extérieurs au champ de la science.

On sent bien intuitivement que cette socialisation ne peut s'organiser également pour -toutes les disciplines parce que leur spécialisation conceptuelle ou leur forme de spéculation interne les éloignent du sens commun, ou parce que certaines n'affichent aucune prétention à la finalisation. Cette diffusion touche donc alors nécessairement les individus et les institutions prédisposés à utiliser les démarches et les informations de ces secteurs scientifiques.

Dans les années 1980, l'Etat a encouragé le "croisement" de la recherche et de l'industrie dans un projet1 qui se posait comme une forme d'optimisation économique et territoriale des champs scientifiques, après avoir été pensé comme une forme de démocratisation du savoir2. Les sciences de la vie mais aussi de l'information et de la société -cybernéticien, géographe, historien- furent mises à contribution dans ce mouvement. L'anthropologie, elle-même participa à ce rapprochement dans une perspective où sa sensibilité patrimoniale était privilégiée3 ; les ethnopôles lancés par le Ministère de la culture en formèrent la dimension la plus évidente.

Depuis l'époque où Simondon4 regrettait l'isolement de la culture technique et son insularité, les chercheurs en sciences humaines n'ont cessé de constater ce mouvement de reconquête. En sociologie par exemple, des démarches que Michel Foucault aurait

1 C'était là l'un des objectifs des technopôles : voir nos recherches "Technopôles et télécommunications ; les enjeux", réalisée pour le Plan urbain en 1989 et 'Téléport / ZTA" réalisée pour le CNETen 1990-91. 2 Luce Giard : "L'ordinaire de la Communication", in "La prise de parole", Dir. M. de Certeau, Le Seuil, Coll. Point 3 Isaac Ch : "Le patrimoine ethnologique" in Encyclopédie Universalis 4 Simondon G : 1969, "Du mode d'existence des objets techniques", Aubier.

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qualifiées de généalogiques, ont même rétrospectivement décelé l'archéologie de ces emprunts5 derrière l'apparition d'un "Etat sociologue"6.

Les rétroactions dans le champ social que la diffusion de ces bribes disciplinaires pouvaient entraîner notamment sous la forme de changements de représentations ou d'évolution des comportements, ne furent pas analysées immédiatement par les disciplines qui les avaient alimentées. Même par celles qui avaient l'habitude de réfléchir sur elles-mêmes. En anthropologie, les démarches muséographiques7 qui se pensaient comme une forme de restitution en miroir des espaces locaux étudiés, contribuèrent à fixer l'image de disciplines se situant dans le champ de la science et donc extérieures à tout projet de transformation des représentations sociales et des conduites. De même, les usages professionnels de l'université et de la recherche académique, en associant un territoire particulier et une "ethnie", à un chercheur qui en faisait sa spécialité, contribuèrent à instituer des découpages "naturels" du social, des ethnonymes vécus comme non construits.

Il est probable que la diffusion des théories de la communication et en particulier du statut du "feed back" ou de la réflexibilité comme forme de causalité, dans le champ des sciences humaines eut un effet radical sur l'évolution épistémologique qui s'en suivit. L'anthropologie de l'histoire8 et des patrimoines perçut probablement l'une des premières9, les effets des interprétations10 issues de la discipline, sur l'organisation-même des cultures. Ce furent en particulier des chercheurs exotiques, comme Alban Bensa sur la société kanak ou des africanistes comme Jean-Loup Amselle, Jean Bazin, Jean Pierre Dozon ou Elikia M'bokolo qui mirent en question les anciens "acquis ethnologiques ou historiques", proposés par des générations antérieures de chercheurs. Ils en dénoncèrent l'image de la société traditionnelle qu'avaient forgée ces derniers, ou les distinctions ethniques -ethnonymes- qui avaient été inventées, sur lesquels du reste des revendications identitaires locales pouvaient s'appuyer aujourd'hui, renforçant par là même une idéologie de l'autochtonie. La mise en place des ethnicités produites ainsi, fut même interprétée comme la face cachee d'une lutte de classes n'osant pas s'avouer comme telle ; l'essentialisme et le culturalisme des identités ethniques s'opposant à l'évidence de la stratification sociale et des stratégies politiques.

5 L'emprunt, ou l'émergence simultanée dans deux champs sociaux de la même démarche reflexive. 6 Cf Rosavallon à propos de la politique de Guizot dans : "L'Etat sociologue". 7 issues des préconisations de Georges Henri Rivière 8 Par exemple Joutard en 1978, avec "La légende des camisards", parue chez Gallimard. 9 Claude Lévi-Strauss, largement marqué par les enseignements de la cybernétique et les théories de Shannon, avait posé la question du rôle de l'ethnologue dans sa propre société dans des termes qui se posaient comme les prémisses

de ce questionnement. 10 Cf Lévi-Strauss C: 1958, Anthropologie structurale I, Pion.

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5

Ces démarches critiques reprenaient au fond et à la lettre pour dénoncer les conséquences de ses avatars, le vieux concept de Roger Bastide" identifiant des "sociétés ethnologiques", (c'est à dire où devaient s'appliquaient les démarches et les concepts de l'ethnologie s'opposant aux "sociétés sociologiques"), qui avaient pu confondre moyens et fins de la recherche.

Plus tardivement, de manière symétrique et dans le même sens, une ethnologie de l'histoire locale amenée par Daniel Fabre et Alban Bensa tente de situer le traitement historiographique de communautés locales de l'hexagone et le rôle assigné au patrimoine révélé dans la production des pratiques et des croyances contemporaines. L'effet de surcharge identitaire auquel le renfort de l'historiographie locale conduit, que ce soit sous forme d'un passé intemporel ou d'un passé sensible qui veut faire revivre la tradition, est analysé comme un effet d'usure de la modernité. Faire rentrer le passé dans le présent n'est bien sûr pas sans rapport avec le passage à un nouveau mode de production fermant les parenthèses ouvrière ou paysanne. Pas plus qu'il n'est étranger à un projet de restauration de la continuité des hommes avec leurs lieux et leurs objets.

Ces divers programmes de recherches, chacun à leur manière, interrogent le rôle de disciplines témoignant d'une responsabilité manifeste dans la création de systèmes de représentations, d'organisations sociales, quand ce ne sont pas de comportements sociaux actifs, pouvant même aboutir au conflit, ou épouser les contours d'oppositions "ethniques"12.

Cet ensemble d'approches rompt bien sûr avec le principe de neutralité auquel prétendent les disciplines épinglées, en révélant leur caractère "performatif"13. On constate les mêmes processus dans la réappropriation de l'historiographie locale, par les populations locales ou dans le frégolisme qu'elles organisent avec leurs divers patrimoines dans la promotion de leurs identités locales14.

Si les usages des ethnonymes ont été étudiés au sein des société exotiques, le télescopage des savoirs des sciences humaines sur l'organisation sociale de groupes sociaux du territoire français, sur leurs représentations n'a été suivi d'un grand nombre de travaux. Il faut signaler dans ce sens le cas de la discipline psychologique, et en particulier des thérapeutes de terrain, pour lesquels la diffusion auprès du grand-public

1 ' Cf Bastide Rogen 1971, Anthropologie appliquée, Payot. 1 2 Cf Chrétien JP : 1999, "Hutu et Tutsi, au Rwanda et au Burundi", in "Au coeur de l'ethnie", Dir. JL Amselle et E M'bokolo, La Découverte. 1 3 Cf Benvenlste E : 1966, "Problème de linguistique générale", Gallimard, p 269. 14Thiesse AM: 1999, "La création des identité nationales en Europe", Seuil.

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des écoles de pensées les plus médiatisées, a concouru à transformer les conditions15 de la'cure psychanalytique en favorisant la venue en thérapie de patients bardés d'un savoir disciplinaire, aboutissant ainsi à des formes ardues de résistance. Ici la socialisation de la discipline et sa rétroaction dans la pratique de la thérapie jouent contre l'aboutissement du projet de la cure. Dans le même sens, l'émergence d'une "sociologie clinique" traitant des histoire de vie d'individus, constatent alors l'effet en retour de la visée narrative de ces récits, sur le sens vécus par leur auteurs16.

L'exemple des Systèmes d'échanges locaux de l'Hexagone pennet de reposer sur un terrain non exotique la question de la rétroaction du savoir des sciences humaines sur une organisation sociale. Depuis quelques années en effet, les SEL font l'objet d'un débat grandissant dans l'ensemble des médias ; signe d'une mauvaise conscience de la société marchande, forme de communication réussie pour une population qui dispose elle-même de ses propres médiateurs17 notamment sur Internet, cette popularité reste énigmatique.

Il est vrai aussi que pour la presse qui s'est emparée du sujet, il y a dans ces initiatives, des éléments qui peuvent susciter la curiosité des lecteurs : puisque ces dernières incarnent un vieux rêve collectif énoncé par les médias18 en ces termes : comment vivre sans argent et privilégier la relation humaine, en même temps qu'elles offrent à imaginer des pratiques singulières qui ont substitué d'autres unités d'échange à l'argent. La. condamnation (Novembre 1997) pour travail clandestin de trois membres du SEL pyrénéen, puis leur relaxe en appel, loin de réduire cet intérêt, en ont renforcé les contours. En particulier celui des experts de diverses disciplines. Des spécialistes en économie, des sociologues, des ethnologues, des juristes sont venus étudier les conditions des échanges dans leurs expérimentations localisées.

Au sein des universités, les étudiants de diverses disciplines furent encouragés à enquêter sur ces objets au point qu'il est aujourd'hui difficile de trouver un SEL, vierge de toute exploration. Dans les villes universitaires, cette insistance est même encore telle qu'il ne se passe pas une rentrée scolaire sans que le système d'échange local ne reçoive la visite d'un étudiant quand ce n'est pas de plusieurs, issus de disciplines différentes. On comprend que les SEL soient particulièrement attractifs pour la recherche parce qu'ils reprennent à leur compte la plus grande partie des questions fondatrices de toute

1 5 Cf Caille Ph et Rey 1: 1999, "Il était une fois... : la méthode narrative en systèmie". Édition ESF 1 6 Cf Laine A : 1998, "Faire de sa vie une histoire" Ed Desclée de Brouwer. 17

Dominique Wolton signale que c'est là une innovation sociale radicale permettant aux groupes sociaux de maîtriser eux-mêmes leur représentation et leur propre mise en scène. Contrairement aux médias traditionnels qui calibrent les informations et imposent leur vision du monde, passage obligé de tout groupe social. 18

Voir le journal "Challenge", Mars 1998, "Demain, les monnaies privées".

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société : le pouvoir, les ressources, l'administration, la justice, les groupes, le sexe, l'exclusion et la solidarité, la communication et bien d'autres domaines encore. Cette symétrie apparente qui fait du SEL une petite société, un objet à "bonne portée" n'est sans doute pas à traiter à la légère.

La plus grande difficulté de ces chercheurs est en effet de garder la neutralité axiologique de la recherche dans des organisations constituées pour la fissurer, puisque ces dernières font de la participation et de la relation humaine les fondements de leur reproduction. Et la position de "l'observation participante" pour paraître la moins éloignée de ces valeurs en est probablement la forme la plus risquée dans ce sens. Ces postures scientifiques confrontées à ce terrain particulier peuvent difficilement éviter la diffusion de représentations propres à ces disciplines, ici par exemple l'économie, l'ethnologie, la sociologie ou la psychologie ; en fait, un registre à la croisée de ces quatre sciences. On comprend bien que ces approches aient pu interpeller les "selistes", puisque ces systèmes d'échanges sociaux font la part belle dans leurs annuaires des offres et des demandes de "services" à d'autres disciplines qui revendiquent une position dans la champ du savoir sur l'individu et la société.

Ainsi, dés le début, nos négociations sur la mise en place de notre enquête dans les deux SEL privilégiés de cette recherche, furent conditionnées par la remarque récurrente selon laquelle elle n'était pas la première à être faîte ; une manière bien sûr de signifier l'intérêt scientifique (?) du thème du SEL, mais surtout de signaler la "valeur" de l'accueil fait au chercheur, et d'en attendre un retour. Cette tentative d'insérer la recherche dans un réseau d'obligations n'est pas si nouvelle, et les terrains exotiques19

offrent de multiples versions de ces négociations ; mais ici, quelles contreparties les animateurs de SEL peuvent-ils espérer ? Dans le meilleur des cas, le "service" attendu du chercheur vise la communication et la transmission de son supposé savoir, et des résultats de son enquête20 en particulier parce que les animateurs des SEL vivent leur association comme un lieu de réflexion permanente sur leur organisation et sur la société marchande. Cette curiosité peut mieux s'expliquer encore, quand on sait qu'une partie seulement des "changeurs" est connue des administrateurs/animateurs. Les discussions avec les chercheurs qui apparaissent suffisamment mûrs, deviennent donc un moyen de mieux connaître cette population.

,9CfRabinovP: 1987, "Un ethnologue au Maroc", Hachette. 20

Certains rapports universitaires portant sur les SEL feront devant nous l'objet d'un échange implicite s'offrant comme cadeau permettant l'entretien avec un seliste, sollicité pour une enquêtc.de plus. Mais ces relations qui fonctionnent sur le "donnant-donnant" buttent sur l'obstacles des coûts de reproduction des rapports, ce qui peut créer des résistances ultérieures avec les chercheurs suivants!

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Le terme d'échange finit même dans ce dernier type de représentation par désigner les formes même du dialogue et de la discussion entre personnes, que l'on peut opposer alors à la prédisposition "prédatrice et anonyme" du questionnaire ; exigeant sans rien donner. Un exemple en creux de ces attentes vis à vis de la recherche peut être illustré dans la réaction verbalisée que la diffusion d'un questionnaire assez épais, lancé par un laboratoire de sociologie parisienne suscita au SEL de la garrigue, selon laquelle "ce n'est pas par un questionnaire que l'on comprendra comment fonctionnent les SEL". Si de tels propos sont loin d'être originaux dans ce registre méthodologique, leur pertinence vient de leur consubstantialité à la culture du système d'échange local.

Il faut cependant noter que les SEL avaient largement déjà interpellé nombre d'intellectuels en particulier grâce à un type d'organisation en réseau. Car il est nécessaire ici de souligner cette singularité volontiers affirmée, paradoxale et ici stratégique21 de l'organisation de ces réseaux d'échange, en même temps tributaire du territoire local dont ils veulent conserver le caractère de proximité, mais reliés par le réseau national de télécommunication (le web)22 où des "forums" virtuels permettent des débats continus, tandis qu'une publication interne ("Echanges : L'écho des SEL'idarités"), laisse s'exprimer les "porte-parole" du mouvement dans un effort déployé, autant pour populariser l'innovation des SEL et. son caractère de reproductibilité, que pour présenter un modèle éthique et fonctionnel23 de cette organisation, face à l'évolution de la jurisprudence et aux projets récents des sectes24 à. investir ce type d'organisation.

L'accroissement récent de l'intérêt de l'Etat (Mission Vivien) vis à vis des sectes a renforcé la sensibilité des SEL à ce problème ; d'où la volonté de quelques SEL dans l'Hérault par exemple, d'éviter toute confusion qui pourrait les associer à ces mouvements religieux. Les jeux de mots convenus répétés de quelques selistes sur cette confusion montrent qu'il y a bien là une hantise permanente manifeste. Au sein même des services extérieurs de l'Etat, le croisement éventuel des initiatives en faveur de "l'insertion sociale" et des mouvements sectaires fait l'objet d'une attention permanente25. En même temps, c'est dans la Haute Vallée de l'Hérault qui accueille la Communauté de l'Arche26, où plusieurs SEL se sont développés, indice fragile mais non

2 1 Cf Tarrius A : 1992, "Les fourmis d'Europe", l'Harmattan. 22

Les "SEListes" reliés grâce au réseau de télécommunication sont évaluées à 20% d'entre eux. Soit six milles environ sur les trente milles adhérents de SEL de l'hexagone. 23

Cf SEL'IDAIRE : 1997, "SEL, mode d'emploi : guide" ; document interne qui est proposé par cette organisation de coordination sur consultation du site WEB: http : // WWW. selidaire.org/pgac. htm 24 '

Notamment la secte Moon à Colmar, ou l'Eglise de Scientologie à Paris. 2 5 Les problèmes financiers qui affectent actuellement le CIEPAD social de Viols le Fort, institution qui partage nombre de valeurs avec les SEL de cette zone, ne sont pas étrangers à cette suspicion. 2^ Cf Emmanuelle Coulomb : 1998, "Les gandhiens d'occident", in Revue Terrain n°31

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sans valeur d'une détermination locale des expérimentations sociales, où le "néo-ru'ralisme"27 a trouvé un terrain particulièrement favorable.

Les tentatives de réutilisation du "modèle formel" d'organisation des SEL, comme les litiges avec les autorités fiscales ont conduit à ce qu'émergent dans les premières années (1994-1997) les leaders de ces réseaux sociaux, véritables "intellectuels organiques", théoriciens de leurs pratiques d'échanges, organisant des réflexions sur la monnaie, la société marchande, le lien social et l'économie alternative, et faisant appel à des experts28; ainsi des économistes, des sociologues ont été souvent questionnés, sommés de dire leur interprétation sur ces groupes organisés. Au sein même du service internet SEL'idaire, le soin pris à composer une revue de presse actualisée (de titres récents), les appels réguliers à l'envoi de textes ou à la diffusion de nouveaux travaux scientifiques sur les SEL, sont autant de signes qui révèlent un souci continu sur la question du sens de ces organisations. Un colloque organisé chaque année dans ce sens par SEL'idaire, qui accueille les volontaires de tous les SEL, prolonge cette stratégie de réflexion et de communication sur le territoire.

On peut même percevoir une évolution des questions qui ont successivement interpellé ces intellectuels. Et pour s'en tenir à un exemple29, constater combien le procès du SEL pyrénéen a spontanément provoqué nombre de spéculations du coté des économistes et des sociologues, destinées à évaluer l'importance "économique" des échanges de services dans quelques SEL emblématiques. Ces recherches dans un sens, purent servir d'argumentaire à opposer aux interprétations économicistes de l'État, incité à y voir une économie réelle et parallèle, non solidaire par rapport à l'intérêt public.

Les SEL durent donc se frayer un chemin30 entre plusieurs types de représentations : celles qui furent esquissées par quelques sectes, celles de l'État, celles des experts/leaders. Le sens de la participation de ces derniers contre-savoirs est complexe. Il ne peut bien sûr être réduit à un effet unilatéral de socialisation de ces organisations. On voit déjà, pour s'en tenir au bulletin trimestriel de SEL'idaire, que des animateurs ou des adhérents y développent des analyses forts construites, nourries de lectures savantes où figurent des noms connus comme P. Bourdieu, JM Servet, D Bayon, D Labaye, S

2 7 Selon Nicole Eizner, il faut y voir une protestation déviée, canalisée contre le travail parcellaire, contre le gigantisme urbain et la dégradation des relation sociales, où le paysan et l'artisan forment les figures cardinales de la relation au travail ("Le rétro, un certain goût de lenteur", in revue Autrement, 1978). 2 8 Cf au plan juridique et comptable, l'étude du REAS (Réseau d'économie alternative juridique et comptable) 2 ' Cf le numéro spécial des éditions Silence : "Les SEL : pour changer, échangeons".

En Languedoc, une charte régionale est venue compléter en 1998 les premiers principes nationaux de ces mouvements proposés en janvier 1997, ("l'esprit du SEL") confirmant les objectifs laïques, écologiques et de désintéressement auxquels sont appelés à se rallier les réseaux se réclamant des mêmes valeurs. Cette charte n'a pas été acceptée par certains SEL (Paris: 13° et 15° ) ; signe d'une évidente hétérogénéité de ces organisations.

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Laacher, F Plassard... Et ces réflexions peuvent être critiques, prendre de la distance vis à. vis des scientifiques, rendre compte de colloques universitaires ou proposer des lectures personnelles d'ouvrages avec un caractère spéculatif qui n'a rien à envier à nombre de disciplines académiques ; elles en sont donc déjà elles-mêmes largement nourries et peut-être d'autant plus qu'elles ne sont pas sans ignorer la trahison potentielle que contient en germe toute prétention scientifique à parler au nom des objets31 analysés. Les "traductions/représentations" politiques et scientifiques sont traitées ¡ci le plus souvent dans un même mouvement ambivalent d'intérêt et de défiance.

Ces "représentations scientifiques" ont sans nul doute participé au travail de justification appelé dans certaines conjonctures où le juge quand ce n'est pas le politique, exigeaient des discours sur le sens et le fonctionnement des SEL. Dans le même sens, les conseils diffusés par les médiateurs nationaux du mouvement- ceux qui précisément sont à la pointe des échanges avec la société scientifique- peuvent s'immiscer assez loin dans le fonctionnement pratique32 des réseaux et la gestion des représentations "économiques". Par exemple, le guide interne à la coordination nationale : "SEL : Mode d'emploi" se présente comme un document qui a été très diffusé au sein des SEL locaux. Des principes idéologiques mais aussi des informations très accessoires y figurent, successivement.

Ainsi l'interprétation spontanée du système d'échange local le pose comme une initiative "qui remet en cause le règne du profit, de la spéculation et de l'argent-roi" et qui "développe l'entraide sociale, les échanges et la solidarité", tandis que quelques pages plus loin, des modèles redondants de statuts sont ainsi proposés aux SEL qui veulent accéder au régime associatif. Le succès primitif de ce document auprès des leaders locaux de SEL est assurément dû au vide et à la rareté des referents que ce secteur a pu rencontrer, dans les premiers moments de naissance de ces organisations33.

Curieusement ces supports pédagogiques, mais surtout l'existence d'un bagage pluri­disciplinaire non négligeable furent rarement soulignés dans les recherches développées sur les SEL, comme si la trop grande proximité des démarches respectives avait empêché l'objectivation des plus anciennes. La diffusion de ces informations n'a pas

3 'Cf Latour B : 1991, "Nous n'avons jamais été modernes", Ed. La découverte p 46. 3 2 Voir les conseils du guide interne à la coordination nationale : "SEL : Mode d'emploi". Pour faciliter le développement du mouvement, des modèles redondants de statuts sont ainsi proposés aux SEL qui veulent accéder au régime associatif. 33

Dans ses débuts, le prosélytisme des leaders nationaux fut quelquefois relevé par des animateurs du SEL de la garrigue, comme étant trop directif, menaçant de réduire la diversité locale des réseaux locaux par l'imposition d'un modèle généralisé.

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stabilisé ou figé la relation entre le savoir expert et le savoir courant des selistes. Ces interrelations ont contribué à des échanges réciproques qui ont conduit à une intrication des modèles épistémologiques, et de leur champ d'application.

Le savoir savant a rejoint son objet tout en l'altérant, traduisant une évidente "réflexivité"34 de la connaissance, un évanouissement de la théorie ; cette circularité a "brûlé les étapes derrière elle" et il serait vain de vouloir saisir ce qui sépare l'état originel, de son devenir. Mais en même temps, elle a donné à nombre de militants des SEL, une capacité d'analyse et une créativité intellectuelle qui empruntent aux savoirs savants les éléments de représentations nécessaires, en bricolant leurs combinaisons ou en les plaquant telles quelles quand les sollicitations des enquêteurs se font insistantes et exigent une réponse qu'il ne faut pas décevoir dans un contre-don soudain superlatif.

Cet effet de la réflexibilité est sans nul doute le point le plus délicat des approches sur les SEL ; loin d'accroître la transparence de l'objet, il met le chercheur en état de doute continu sur le caractère construit (pour l'occasion) des représentations qui lui sont proposées. Mais obstacle à la transparence, ou dynamisme même35, la réflexivité "joue sur tous les tableaux", encombre les vieux militants des SEL, différemment des plus récents.

En fait, l'excès des signifiés par rapport aux signifiants disponibles, renverse le rapport de rareté Sa/Se que C. Lévi-Strauss constatait pour quelques sociétés traditionnelles dans l'analyse de la pensée symbolique. Cette réflexivité se présente comme l'effet le plus évident des mutations sociales de la modernité, un mode de transition par lequel la société produit un "au delà de la modernité".

Nous nous proposons d'aborder ces systèmes dans leur globalité en tant que véritables cultures organisationnelles, ancrées dans la durée et dans un espace régional, ayant à traiter d'un projet collectif et d'un mode d'animation interne visant leur reproduction sociale et l'unité fonctionnelle de leur membre. Car c'est peut-être là, dans le registre de la gestion, que le discours "réflexif ' se fait le moins dense.

Cf Giddens Antony : 1994, "Les conséquences de la modernité", L'Harmattan. 3 5 Cf Serres M : 1980, "Le parasite", Grasset, p 49.

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s

12

Io partie

La culture et l'organisation des SEL de l'Hérault

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I - L'espace et le temps des SEL de l'Hérault

II est vrai que l'Hérault est l'un des départements français où le nombre de SEL reste le plus important. Les militants locaux, historiographes du mouvement se plaisent à y localiser l'origine de l'ensemble des SEL de l'hexagone.; singulière redondance avec le mouvement coopératif viticole, lui aussi né dans l'Hérault36- Le "SEL de la garrigue" est-il ainsi vécu plus ou moins concurremment avec celui de l'Ariège, comme l'une des premières institutions de ce type. On peut se demander pourquoi ce temps zéro de l'organisation est-il ici autant souligné et pas seulement par l'insistance de sociologues37

qui n'ont pas peur d'y reconnaître un signe de rupture : le démarrage d'un processus expérimental et innovant.

L'ancienneté de cette organisation est en effet rappelée spontanément par les autres selistes, de Montpellier, de la "Petite Camargue" ou du Piscénois ; il faut sans doute la mettre en relation avec les valeurs internes du groupe des adhérents qui privilégient ' largement la "responsabilisation individuelle" et la permanence dans la participation ; les "anciens" apparaissent donc comme les plus fidèles, mais aussi les plus convaincus, la conviction et l'adhésion s'affichant dans le même comportement.

Le "SEL de la garrigue", pour nombre d'autres systèmes d'échange de ce département a donc un statut singulier. Il incarne ce moment de l'acte fondateur des SEL, révélateur, d'un modèle idéologique originel foncièrement positif qui a perduré ; à ce titre, il constitue un exemple auquel les autres SEL se réfèrent. On trouve une évidente ambiguïté dans cette image : en même temps, une fascination pour les temps primitifs38

de l'organisation où l'engagement idéologique se voulait prométhéen et alternatif, et la satisfaction de la voir s'adapter sous l'usure du temps, aux contraintes de la gestion quotidienne, du "pratico-inerte" pour reprendre l'expression de Sartre. En réalité, nombre de ses anciens adhérents devenus militants ont ensuite essaimé ailleurs39 dans le département et ont conservé cette image originelle. La multiplication des systèmes d'échanges locaux de l'Hérault n'est donc pas étrangère à cette mobilité de nombre d'adhérents.

Les premiers organisateurs du "SEL de la garrigue'-' expliquent ce développement en "tâches" des SEL héraultais comme le résultat d'un prosélytisme de cette association,

3 6 Cf Lauraire R : 1998, "Maraussan, production et producteurs d'histoire locale ; de la célébration historiographique au rite d'initiation". Rq^xrtpourhMisskinduRiirimareElrncfcgique. 37JM Servet : Opus cité 38Cf Mircéa Eliade : 1969, "Le mythe de l'étemel retour", Idée/ Gallimard, p 163. 39

Quelques uns d'entre eux cotisent toujours à cette association, marquant ainsi leur attachement sans nécessairement y développer des échanges.

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'''respectueux des ressources locales", et l'opposent au mode de développement par scissiparité des SEL de l'Ariège. On n'y décompte pas moins d'une douzaine de SEL, curieusement bien répartis dans l'ensemble des cantons ; de manière singulière, aussi bien en zone urbaine qu'en zone rurale, malgré l'influence forte40 du système coopératif qui joue comme système d'entraide entre viticulteurs et qui aurait pu être un obstacle à leur émergence.

Ainsi peut-on identifier, sans être assuré de leur exhaustivité, tant le mouvement de création a pu être soutenu entre 1996 et 2000 : Le "SEL de la mer" à Montpellier, le "genêt lodévois", le SEL de Teyran, le "SEL de la

plaine" (Margon), le "SEL d'abord" (St Jean du Minervois), le "SEL de la garrigue", (Aniane, Gignac, Qermont, Frontignan), le SEL des vallées de l'Orb et du Jaur, le SEL de Béziers (fantomatique), le SEL des Hauts Cantons (Bédarieux/Lunas), "CournonSEL", (Coumonsec), UniverSEL (Castries et ST Drézèry), le SEL d'OR (canton d'Agde-Vias) créé en 1998 avec le soutien41 du Conseil Général.

Si les SEL les plus récents ne revendiquent pas de lien particulier avec le SEL de la garrigue, c'est aussi parce que les modèles idéologiques qui ont marqué ce dernier, comme l'image qu'il porte encore, leurs sont étrangers ; ce détachement indiquant par là même la spécificité de leur population.

Les anciens militants qui se font les porteurs de cette célébration historiographique42, identifient le plus souvent43 le CIEPAD (Canefour International d'Échanges de Pratiques Appliquées au

Développement) dont le siège social se trouve à Viols le Fort44, comme étant l'opérateur responsable de la diffusion du modèle des SEL ; ce centre de formation international présente en 1994, au cours d'un colloque, la démarche et l'objectif du "réseau d'échange communautaire", modèle exotique susceptible d'applications locales, dont la pertinence se trouve légitimée par les expériences "tiers-mondistes et développementalistes" de cette institution. Les économistes, les agronomes et les chercheurs du développement invités alors, fournissent aux publics de cette rencontre des exemples alternatifs dont les LETS anglo-saxons, les communautés africaines forment les plus marquants.

4 0 Opus cité : "Maraussan...". 41 Mais aussi avec l'aide technique du Sel de la "Maison des chômeurs". 4 2 Cf Journal "Midi Libre": 23/24 Mars 1997 : "L'esprit des SEL est né en Languedoc". 4^ Comme les chercheurs réunis autour du groupe de J.M Server, qui effectuent les premières recherches sur les SEL en France. 4 4 dont la création à été largement soutenue par le ministre Pisani et le Conseil Général de l'Hérault.

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II faut signaler cependant un fait peu connu qui accompagne alors les travaux du ÇIEPAD ; le souci45 dont témoigne alors le Conseil général de l'Hérault, de favoriser le développement des échanges économiques et des flux financiers dans la zone géographique située entre St Martin de Londres et Viols. Le Département qui n'est pas étranger à la création du CIEPAD, lance alors avec la direction de ce dernier, une étude de faisabilité sur l'opportunité et les publics d'une monnaie franche localisée appelée "Monnaie Locale de Secours" (Projet MLS), que cet organisme de formation pourrait gérer. Cette idée singulière de la part d'un collectivité en position de déréglementation potentielle, se fait dans un contexte historique où d'autres remises en question territoriales46 des monopoles publics de l'État se profilent. Cette initiative publique ne dépassera pas le stade du concept, et l'on ne s'étonnera pas d'y retrouver le diagnostic libéral de quelques fondateurs.

"L'intervention du Conseil Général ne garantissait pas l'autonomie de cette structure".

Chacune à leur manière, ces expertises scientifiques ou publiques, qui traitent d'une forme de fonctionnement alternatif ou innovant sont à ranger sous le même registre "réflexif ; elles renvoient toutes à l'émergence d'un "système abstrait" auquel l'accumulation des légitimités scientifiques et publiques donne un caractère de fiabilité, et autorise "la confiance" des expérimentateurs, pour emprunter ici encore à la terminologie de A Giddens. Ce qui ne signifie pas que les modèles aient été prescriptifs ; c'est probablement même leur caractère d'exportabilité qui convainquit les précurseurs du SEL de la garrigue.

Cette origine n'est pas étrangère à la pratique que ce dernier met ensuite en chantier, consistant à réunir dans une quinzaine de communes, les individus intéressés par ce type de regroupement. Il est vrai aussi que les premières initiatives prosélytes du SEL de la garrigue traduisent alors une forme de projet développementaliste "quantitatif pour reprendre une expression utilisée alors, qui se réduira ensuite avec l'installation de cette organisation.

Mais l'affirmation d'une progression du mouvement traduite ici sur le plan géographique, ne quittera jamais le mouvement, qu'il soit lié aux conditions de sa permanence comme à celles de son développement. Car les systèmes d'échanges locaux

45Dans le département de l'Hérault, la multiplicité des SEL ne peut pas être séparée du fait que prés de 6% des actifs sont Rmistes, l'effet héliotropique n'étant pas à exclure de l'importance de ce pourcentage. 4 6 Cf R. Lauraire : 1995, "Services urbains, réseaux de Ville et nouvelles technologies de communication ; le cas du duopole Montpellier-Nimes", Rapport pour le Plan Urbain.

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qui existent aujourd'hui ont tous à traiter d'une manière ou d'une autre, le problème de leur continuité dans le temps. Peu d'entre eux se vivent comme des expériences momentanées qui ne devraient leur émergence qu'à un effet de mode, ou à une mission dont la durée d'exercice serait limitée par un principe liminaire, même si la plupart considèrent que les déterminations sociales de leur émergence sont récentes et liées à une conjoncture économique et sociale.

Et si la mort de ces institutions par exemple est rarement abordée, c'est d'abord parce que leurs animateurs considèrent qu'elles s'inscrivent comme une forme de réponse à des besoins réels s'insérant dans la durée, ce qui ne signifie pas nécessairement que cette réponse soit nécessairement si efficace, ou ces besoins soient si bien identifiés. C'est dire que quoique relevant du domaine des associations (réelles ou non déclarées), les Systèmes d'échanges locaux sont vécus par leurs militants comme "ayant la vie dure" et disposant d'une volontarisme qui les rend singuliers dans ce monde associatif, en général tellement fragile. Quand leur fragilité ou leur manque de dynamisme les conduisent à disparaître, les militants des SEL y découvrent toujours les mêmes raisons47 : domination d'une logique d'assistanat, de réinsertion, et déresponsabilisation des individus, comme si la forme canonique avait été mise à mal par l'intervention de la puissance publique.

La réalité de cette solidité organisationnelle n'est pourtant pas à prendre sans, interrogation ; les premiers SEL qui sont crées en France, émergent fin 94, ce qui signifie que les plus vieux ont aujourd'hui cinq ans environ. Date fatidique chez les économistes des entreprises qui considèrent que la moitié des "agents économiques"48

qui voient le jour, disparaissent au bout de cette durée. La plus grande partie des SEL ont plus vraisemblablement entre deux et quatre ans, tandis que leur nombre connaît dans l'hexagone une progression apparemment continue, en tout cas présentée comme telle, par la coordination nationale Sel'idaire49 qui a les plus grandes peines à consigner leurs disparitions. Il est vrai que les informations de ce type restent difficiles à obtenir puisque la fin de ces associations est le plus souvent faite dans la discrétion.

Au sein même du SEL de la garrigue comme au sein du SEL de la mer, les adhérents sont regroupés dans une liste nominale appelée "Who's who" ou "annuaire", qui obéit à un principe ordinal fondée sur l'ancienneté de l'adhésion ; les fondateurs portent les premiers numéros et les adhérents suivants affichent bien sûr un ordre d'inscription à un

4 7 Michel Bernard : "Au carrefour des débats", in Revue Silence : SEL, pour changer, échangeons". 4 8 Dans l'Hérault, le demier recensement de la population affiche des résultats plus radicaux encore avec 56,3% seulement des entreprises qui vivent après 3 ans d'existence. 49Le site Internet de Selidaire affiche la liste des SEL de l'hexagone avec le souci de montrer cette croissance continue sans nécessairement noter les dissolutions ou les arrêts de ces structures.

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chiffre ; le noyau des animateurs connaît souvent mieux ce numéro, que le nom et le

pjrënom des adhérents les moins présents. Ces numéros qui ont une évidente fonction

identitaire surtout quand la liste s'en tient aux seuls prénoms des individus, (ce qui est

quelquefois exigé par certains selistes du SEL de la Mer qui tiennent à leur anonymat)

prennent un sens particulier dans une organisation où l'implication est vécue comme la

valeur première de l'organisation.

Du coup, les plus anciens témoignent outre de leur fidélité et d'une discipline méritoire,

de l'ancienneté de l'organisation, et de son utilité sociale. Leur permanence délibérée

d'une année sur l'autre, dans la liste des adhérents est au fond un signe de cet

attachement à l'imaginaire d'une solidité de l'institution ; et l'arrêt de l'adhésion qui a

pour conséquence de susciter leur exclusion de l'annuaire (et donc des trous dans la

succession des numéros des adhérents), n'est pas si grave si les premiers sont toujours là

pour signaler implicitement cet enracinement du SEL dans la durée en référence à un

modèle idéologique fondateur. D est probable aussi que les SEL les plus anciens comme

celui de la garrigue sont d'autant plus enclins à mettre l'accent sur cet enracinement que

s'éloigne le temps des militants à mesure que la population des SEL se renouvelle. Le

SEL de la garrigue a même créé dans ce sens un classeur appelé "Musée" qui conserve

les textes originels de l'association.

"Au début, il y avait surtout des militants, ils avaient une démarche philosophique, une position idéologique, ils discutaient de tout, peut-être trop d'ailleurs ; aujourd'hui, on sait pas souvent pourquoi ils viennent les adhérents, car beaucoup s'inscrivent, ils viennent et ils payent 30 francs la cotisation, puis ils viennent plus, ils échangent pas non plus, on sait pas pourquoi ils ont adhéré".

L'exemple de l'annuaire du Sel de Montpellier50 qui affiche début 2000, une liste

courageusement épurée, de 72 noms, dont les numéros s'étalent entre le n°3 et le n°278,

montre que les anciens ne sont plus si nombreux : 16 adhérents relèvent de la première

centaine (n°l àlOO conçue entre 1996 et 1997), 12 selistes viennent de la deuxième (du

n°101 au n°200, constitués en 1998), 44 ont adhéré dans l'année 99.

Ce qui ne signifie pas que la décision d'exclure un numéro soit si facile, elle est même

vécue comme la négation même de l'échange. Puisque l'absence de réponses d'un

adhérent aux relances (d'adhésion) des organisateurs, peut aussi bien signifier "une

5 0 Celui de la garrigue avec 98 membres début 2000, qui affiche une liste de n° allant du 1 au 162, se montre plus résistant au temps. Si on le découpe en segments de 40 numéros, sont toujours adhérents : 18 sur les 40 premiers, 17 sur la deuxième quarantaine, 24 sur la 3° quarantaine, 39 adhérents relèvent de la dernière.

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galère", que le SEL n'a pas à renforcer! Un tel enjeu qui peut paraître anecdotique, irhmobilisa les animateurs du SEL de la mer51 pendant presque deux ans, au moment où un "who's who" pléthorique de plus de 250 identités, résistait dans ce sens à toute tentative de "nettoiement", rendant l'usage de ce fichier particulièrement difficile par les adhérents, vu le nombre de numéros de téléphone et d'adresses devenus obsolète. La priorité accordée à cette valeur de fidélité faillit mettre en péril le fonctionnement même de cette organisation, alors qu'elle en était le moteur : la culture contre l'organisation

Quand l'image du départ de l'adhérent se rapproche de celle de l'abandon, facilement introjectif pour des animateurs en situation précaire qui se vivent délaissés par leur société, le who's who prend un statut symbolique qui joue contre sa fonctionnalité. Les fondateurs ou les anciens, figures souvent invoquées dans les discours des animateurs quand il s'agit de rappeler la philosophie et les fondements normatifs du Système d'échange, prennent donc ici une signification métaphorique.

Cette valeur accordée aux fondateurs et à l'orthodoxie de leur pensée alternative qui comporte assurément une forte dimension imaginaire n'est bien sûr pas généralisable à tous les SEL, certains comme le "SEL d'abord" du Minervois ont même renoncé à conserver la diachronie successive des numéros des adhérents et la marque d'ancienneté qu'ils recelaient, une manière de tourner la page des temps fondateurs, en réattribuant ces numéros aux nouveaux venus, une autre forme d'identité que celles des.SEL se. posant comme patrimoniales.

La représentation de résistance à l'usure organisationnelle est en tout cas plus facilement perceptible à l'évocation des contre-exemples constitués des systèmes d'échanges locaux récemment disparus : le SEL de la Maison des chômeurs de Montpellier (ou de Toulouse). Le cas de la "Maison des chômeurs" de Montpellier qui, jusqu'en 1997, hébergeait le SEL "Travailler pour des prunes", apporte à la réflexion anthropologique une perspective d'analyse fort originale. La mort soudaine et récente de ce réseau social constitue une surprise au sein des SEL, réputés pour leur longévité. On ne s'étonnera pas d'y retrouver, proposée par les Selistes du SEL de la Mer comme cause d'échec, la trop grande interdépendance d'un service public52 ( la "Maison des chômeurs") et de ses usagers, empêchant la responsabilisation et l'autonomie nécessaires de ces derniers.

5' Parmi les trois vagues d'adhérents, le noyau de ces animateurs (administrateurs de fait) est plutôt constitué d'anciens. 5 2 Bien sûr les responsables de cette institution, refusent de voir associée l'image de leur association à celles des collectivités et des services sociaux, suspectés de manquer de militantisme et insérés dans une organisation bureaucratique, ces deux caractères étant pour eux des pléonasmes.

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Cette organisation tente en fait de réinsérer des individus désocialisés et marginalisés,

par l'apprentissage de la valeur d'échange, en favorisant le dépassement de la relation

interindividuelle qui peut clore la sociabilité sur elle-même.

"La Maison des chômeurs récupérait des fringues et divers objets, comme d'autres associations, mais on n'est pas des distributeurs de fringues comme le Secours Catholique, ou le Secours Populaire qui sont très honorables ; et pour pas les donner comme ça aux personnes qui auraient eu V impression de se servir, comme ça, et faire n'importe quoi ; on avait établi le SEL "Travailler pour des prunes" pour créer de l'échange et pas qu'avec des objets. On voulait essayer de faire comprendre ce que ça pouvait être l'échange. Il y a bien la mentalité de s'entraider entre copains au chômage, mais pas entre personnes qui ne se connaissent pas. L'échange doit être fait non pas individu à individu, mais il faut qu'on doive au groupe ; la dette comme le crédit s'adressent au groupe, le font exister"

Cette référence au collectif, au "groupe", est une forme de défi que l'on retrouve dans

nombre de systèmes d'échanges locaux. Elle reste profondément ambivalente, en

désignant simultanément et contradictoirement selon les SEL, la capacité quasi-

psychologique d'un individu à supporter de devenir débiteur ou bénéficiaire, (sans se

sentir tenu par l'obligation sociale de l'échange réciproque), et en même temps elle peut

renvoyer à une acception plus traditionnelle de l'individu social que sa capacité à

contracter une dette ou à disposer d'un crédit vis à vis d'une collectivité impersonnelle

(le groupe), introduit au monde social des obligations, voies ultimes du symbolique.

La "Maison des chômeurs"53 illustre la difficulté qu'il y a à vouloir maîtriser la gestion

d'un SEL tout en favorisant son autonomisation, objectifs probablement contradictoires,

et sans doute hors de portée.

"Et puis on s'est heurté au fait que les chômeurs n'ayant pas grand chose à échanger, • car il faut le dire, ils n'ont rien à échanger -, ça a été le problème, le SEL est mort de sa propre mort, faute d'échanges qui se créent. Mais au plan général, on avait repéré que ce sont pas les gens les plus pauvres qu'on trouve dans les SEL, ce sont des gens qui ne sont pas les plus pauvres, sans être riches. Celui qui a rien, ne peut pas faire réparer sa voiture, il n'en a pas, il peut pas refaire sa tapisserie car il n'a pas des ronds à mettre dedans. Et puis, c'était toujours les mêmes qui venaient réparer ; les bricoleurs de plomberie, ceux qui savaient la mécanique...sans possibilité de retour, ils avaient bien des "prunes" -

5 3 Nombre d'administrateurs de cette association reconnaissent que le nom donné à cette structure, renforce sa connotation stigmatisante, alors que le nom déposé en Préfecture est C.R.E.E.R

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notre unité de compte -, mais qu'est-ce qu'ils pouvaient en faire, ils n'avaient rien à demander. Même Yves, salarié de France-Télécom qui avait un camion qu'il prêtait pour les déménagements... tout le monde le voulait pour déménager... il n'aurait jamais arrêté. Au bout d'un moment il a dit : j'en peux plus . Et c'est normal il avait besoin de ses week-end, c'est un salarié après tout."

Les contraintes d'une norme de relation imposée aux protagonistes de l'échange ne

furent pas non plus sans effet sur la dynamique de recrutement de l'organisation. La

protection par les responsables de la Maison des chômeurs, de cette population au

chômage n'allait-elle pas dans un sens, contre sa propre émancipation?

"Au début, il y avait eu des demandes extérieures de la part de plombiers ou de dentistes qui avaient des moyens financiers et qui voulaient se payer par le SEL, de la main d'œuvre pour "des prunes" ; c'était des demandes par téléphone du genre : je veux rentrer dans le SEL, envoyez-moi quelqu'un pour tapisser. Alors on essayait d'estimer les revenus de la personne pour pas envoyer quelqu'un. C'était dans ce cas prendre des chômeurs et ne pas les sortir de la galère. Car c'est pas de "prunes" dont les chômeurs ont besoin, c'était d'argent. A ces gens qui appelaient, on demandait de se déplacer et aussi "qu'est-ce que vous pouvez faire pour eux ?"

Les administrateurs de la "Maison des chômeurs" qui portent un diagnostic sur les

raisons de ce dysfonctionnement, conviennent de l'effet de "ghettoïsation" de cette

population du SEL, exclusivement réduite à des individus sans travail. Et leur propre

spécialisation fonctionnelle - que signale le terme "Maison des chômeurs- sur ce

segment de population, qui veut être compensée symboliquement par un conseil

d'administration composite et une valeur militante inébranlable, apparaît du coup

comme l'une des déterminations d'un fonctionnement contre-productif.

"La difficulté, c'est de mélanger les populations, mélanger les salariés, mélanger les retraités, être dans une maison où les chômeurs ne soient pas les seuls, ne pas créer un ghetto de chômeurs. S'il y avait eu des salariés qui avaient eu un peu plus de biens ou qui avaient demandé plus de services, il y aurait eu plus de contacts ; mais là entre chômeurs, c'est triste, ils n'ont pas de voitures, rien... j'ai bien refilé un matelas mais c'est cinquante qu'il en faudrait. Il faudrait être nombreux, il faudrait autant de chômeurs que de salariés dans un SEL...

Mais en même temps, il ne fallait que le pouvoir soit récupéré par les non chômeurs qui ont plus d'argent, plus de pouvoir, plus de culture quelquefois. "

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Qn retrouve cette même importance attribuée à la diversité des groupes et des échanges

dans nombre de SEL ; elle est même le plus souvent prônée au moment de leur

naissance : ainsi en est-il dans les premières présentations que fait la presse54, du dernier

né, reprenant le discours de l'un de ses animateurs : "Au SEL d'OR d'Agde-Vias, toutes

les classes sociales sont représentées, du dirigeant d'entreprises au Rmistes, ce qui

favorise la richesse des relations humaines."

Il faut noter que cette appréciation sociologique du "bon mode de fonctionnement" du

système d'échange local, en termes de complémentarité de classes sociales, est le plus

souvent le fait d'institutions liées à des SEL, qui se situent dans le domaine de

l'insertion ou de l'aide sociale. Ainsi en est-il de la "Maison des chômeurs", comme du

SEL d'OR largement épaulé par le Conseil Général de l'Hérault. Ces définitions ne sont

bien sûr pas étrangères aux effets réflexifs d'une culture marxienne qui prêterait ici ses

referents. On rencontre un type d'analyse moins sociologique du SEL chez un (ancien)

fondateur du SEL de la garrigue, pour lequel le système d'échange local rassemble "des

individus qui ont du temps" et "d'autres qui ont des biens", dans le cadre d'un échange

collectif, où les deux types de groupes doivent théoriquement assurer la circulation des

services et des objets.

Ces éléments de définition qui traduisent une véritable culture reflexive de la part des

Selistes, de militants ou de travailleurs sociaux impliqués dans les SEL évoquent de

manière différente le cadre d'analyse bien connu des "organisations dualistes"55 qui ont

à gérer la collaboration et la complémentarité de deux "moitiés" différentes, sans

lesquelles la reproduction sociale du système social se trouve compromise.

On peut s'interroger sur la véritable portée d'une telle représentation. Quelle est sa

teneur idéologique? Peut-il exister des systèmes d'échanges locaux qui échappent à cette

loi ? quelles sont leurs formes d'équilibre collectif ? D'autant qu'étrangers à l'idée de ce

mélange des groupes, certains selistes souvent chômeurs ou Rmistes se prennent

paradoxalement à rêver à l'homogénéité des individus dans le SEL : leur domination au

sein des équipes d'accueil peut donc conduire à ne pas favoriser ces mélanges.

"Jacques, au début quand j'ai adhéré au SEL, il m'a dit : pourquoi tu adhères au SEL puisque tu travailles, tu n'en as pas besoin".

5 4 Voir Midi Libre du 29/04/1998 : "Vif succès pour la bourse du SEL" 5 5 Cf Lévi-StraussC: 1958, "Anthropologie structurale",Pion, pi4.

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Quelles régulations et quelles animations au sein des SEL, l'exigence de reproduction peut-elle engendrer? Suppose-t-elle des modes de fonctionnement spécifiques, et une conception particulière du pouvoir de décision, bref une culture politique au sein des instances directives? Comment est traité l'accueil des étrangers qui forme la voie par laquelle le renouvellement et la reproduction de l'organisation s'accomplissent ? Comment favoriser la diversité des statuts sociaux, des compétences, des idées ? Les rapprochements entre SEL qui peuvent soutenir cette volonté d'assurer la gestion des mélanges sociaux, sont-ils possibles? Comment un fonctionnement "dualiste" entre population qui a du temps et groupe qui a des biens peut-il se concrétiser au sein des SEL? Les foires des SEL qui traitent exclusivement des échanges d'objets ont-elles un rôle dans ce jeu de complémentarité ?

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2 ' Ouvrir l'organisation : l'accueil des étrangers et la naissance de la confiance

L'une des spécificité des SEL vient de l'importance attribuée aux nouveaux adhérents, qui constituent le mode par lequel la population du réseau se renouvelle, ou se maintient. Si la fonction d'agrégation est centrale pour la plus grande partie des SEL qui ont à traiter ainsi l'exigence de diversité des services et de biens susceptibles d'être échangés, elle est aussi cruciale parce qu'elle est le mode par lequel est identifiée la capacité du nouvel adhérent à se conformer à "l'esprit du SEL", qui permet la naissance de la confiance. On pressent que ces deux objectifs ne sont pas nécessairement complémentaires en particulier quand le second s'impose au premier

Paradoxalement, les manuels pédagogiques qui sont prolixes sur les conseils à la création du SEL ou les formes de communication avec la presse56, restent plutôt discrets sur ce problème. Aussi les systèmes d'échanges locaux doivent-ils innover en cette matière et c'est sans aucun doute là, sur cette frontière entre l'intérieur et l'extérieur de l'organisation, que se projettent nombre de valeurs collectives et de choix indigènes. Le SEL de la mer comme le SEL de la garrigue semblent dans ce sens assez différents.

2.1 - Le rite d'initiation du SEL de la Mer :

Comme tous les mardis, dans un petit café situé au cœur de ville de Montpellier, vers 20 heures 30, un groupe d'habitués des deux sexes se réunissent autour de la même table, obligeant souvent le cafetier à rajouter plusieurs chaises. La localisation de ce bistrot pour les Selistes du SEL de la mer est l'effet d'un choix délibéré. Outre qu'elle incarne un "siège social de fait", elle traduit nombre de valeurs internes au groupe des animateurs : d'abord se voulant au centre géographique de la cité, elle suppose une égalité (théorique) d'accès de tous ses adhérents : en réalité ce lieu reste marqué par la proximité du quartier de résidence de la bourgeoisie, soulignée encore par la multiplicité des boutiques de luxe, emblématiques lourdes de l'Avenue Foch, que les nouveaux quartiers administratifs ne sont pas parvenus à atténuer.

Elle est aussi un écho presque involontaire à l'existence d'îlots urbains du Centre occupés depuis plusieurs décades par les groupes sociaux défavorisés, immigrés, jeunes étudiants, chômeurs désargentés ou personnes âgés prolétarisées que les projets de rénovation urbaine ne sont pas arrivés à repousser à la périphérie, et où résident nombre d'adhérents. Mais cette volonté d'être au centre de l'espace urbain57, n'est pas sans

5° Le SEL de la mer refuse tout prosélytisme et se montre largement suspicieux avec la presse. 5 7 qui dissuade les selistes ayant un véhicule qui doivent trouver un parking ; détail non sans importance dans la conception sélective d'accueil des nouveaux qui veulent adhérer au SEL et qui ont des biens !

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renvoyer encore au souci permanent du groupe des fondateurs de se situer au centre58 du social ; une manière de mettre de coté la marginalité qui vivent certains de ses membres et de vouloir au moins symboliquement, appréhender le domaine du collectif dans la plus grande partie de ses aspects.

Le Rebuffy qui accueille les adhérents du SEL est sans doute le seul espace collectif du groupe des selistes, le lieu par lequel ces derniers reconnaissent leur appartenance et se rencontrent individuellement, pour lier connaissance, pour discuter sur les valeurs des SEL, pour traiter des projets de chacun ou évoquer les thèmes que l'actualité livre à leur réflexion. Ce café fut choisi à l'origine par opposition aux pratiques du SEL "Travailler pour des prunes" accueilli à la Maison des chômeurs et largement stigmatisé de ce fait.

Lieu de reconnaissance minimal bien sûr mais surtout lieu semi-public qui permet d'éviter le repli et l'occupation de l'espace privé d'un adhérent. C'est qu'il s'agit ici d'organiser un espace neutre, pour lequel les selistes acceptent de payer, et d'abord par la commande d'une consommation ; cette pratique marchande modeste prend pourtant dans les situations de pénurie de nombre de selistes, une forme de signification particulière. Dans ce sens, le cafetier (membre originel du SEL qui a renoncé à utiliser ici l'échange en "vagues") assure une fonction "frontalière" dont il est loin de mesurer la vigueur, en fixant la règle des premiers échanges. Et le prix de la "consommation" qui est acquitté par ces usagers singuliers, est ici le coût d'une protection particulière de l'espace privé de chacun, notamment de tous ceux qui ne veulent pas livrer l'accès de leur domicile à des étrangers. Cette pratique de paiement est donc loin d'être banale . Signe lourd de signification : l'hypothèse visant à changer de lieu de réunion, envisagée à un moment donné pour la location d'un autre local prendra en compte ce coût des consommations dans l'évaluation prospective de la charge de location.

La pratique de consommation qui s'organise ici est bien sûr largement déterminée par le pouvoir d'achat de chacun ; parmi les plus démunis, certains Rmistes se font une "obligation" d'avoir de quoi se payer un verre, d'autres plus rarement, jouent sur leurs relations interindividuelles pour obtenir d'être invités, certains enfin exceptionnellement, vivent ces invitations comme un jeu pour lesquels "ceux qui ont les moyens", se doivent d'afficher un comportement solidaire. Il y a même chez certains une forme de provocation particulière adressée là aux nouveaux adhérents qui se trouvent ainsi dans l'obligation de faire la preuve de leur motivation et de leur disposition "généreuse".

58Cette centralité spatiale est ainsi l'une des dimensions qui l'opposent largement aux communautés alternatives du Larzac et aux expériences contre-culturelles des Cévennes.

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Le plus souvent les selistes commandent "un demi", panaché ou pas, allusion singulière presque ironique à la figure dualiste de l'organisation du SEL sur laquelle nous reviendrons. Les commandes de café sont plus rares, entachées pour certains par l'évidence excessive de la pauvreté. Cet espace social reste d'abord celui par lequel s'organise le rite manifestement bien léger de l'agrégation des nouveaux venus au groupe du SEL. Ni totalement public, ni totalement privé, il garde donc une position intermédiaire que la valeur marchande de son accès (les consommations) garantit.

La désinvolture apparente avec laquelle les étrangers au groupe du SEL sont accueillis, ne signifie pas que le rite n'est pas pris au sérieux. Son absence de formalisme traduit plutôt une culture organisationnelle qui se jouent contre toute bureaucratie, ou contre toutes valeurs directives. Déjà, dans ce premier accès qui peut être vécu de manière assez inconfortable par les nouveaux venus, comme par l'ethnologue qui peine à y trouver des formes sociales stables, des normes de fonctionnement sont à l'œuvre qui traduisent une forte défiance vis à vis de tout rôle social institué. Selon les animateurs du SEL et leur plus ou moins grande participation à cette culture non directive, l'accès des nouveaux est plus ou moins facile.

Ainsi, pour sa première prise de contact, il n'est pas rare que le nouvel adhérent soit presque ignoré59 par le groupe des selistes ; il doit faire la preuve de son volontarisme et. de son intérêt pour le SEL en quémandant quelques informations auprès des adhérents les mieux disposés à la discussion. Une telle "inattention polie" pour reprendre le terme de Goffman, n'est jamais fortuite, elle sanctionne le passage du statut d'étranger à celui de futur membre du SEL, dans une épreuve inattendue.

"La première fois, je suis allée au Rebuffy ... mais c'était pas pratique, fêtais au milieu de deux personnes dans une table en long, et personne n'a fait de présentation... parce que personne ne voulait être responsable. Jean Luc disait qu'il ne voulait pas être président ; cette ambiance ça refroidissait les relations. J'ai été très gênée, ça m'entecrait. Je voulais plus y aller pour m'y faire du mal. En plus, au début, il y a une personne âgée qui m'a agressé, on se connaissait pas pourtant. C'était quelqu'un du bureau pourtant, un responsable, ça a été la goutte d'eau qui a fait déborder le vase... Mais je ne suis pas du genre à faire le tour de table et à faire la conversation à chacune des personnes, c'est pas ma personnalité."

5 9 Cf Pétonnet C : et l'anonymat protecteur ; voir : "Autobiographie au pas de charge d'une anthropologue urbaine", .in Revue Terrain vague, n°3.

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Cette attitude peut donc dissuader les moins motivés, elle peut aussi inciter les plus timides à garder une certaine distance ensuite après l'adhésion, avec les membres de ce noyau dur.

Une observation trop rapide peut qualifier d' "informelle" cette organisation, parce que l'interlocuteur seliste qui joue le rôle de "médiateur" des étrangers peut souvent être différent et que cette fonction n'est pas nécessairement assurée avec une grande assurance. Cette "souplesse" de l'organisation n'est pourtant pas un principe indiscutable, et les animateurs du SEL de la mer s'interrogent régulièrement sur la pertinence des formes de cet accueil. Les critiques qui ne manquent pas d'être faîtes sur l'impression d'inorganisation, n'ébranlent pas les animateurs du SEL, elles confirment même à certains que leur organisation est de l'ordre de "l'expérimentation sociale", qualification particulièrement valorisée chez les plus anciens du SEL de la Mer, dans la quête d'une rupture avec la société environnante.

"Moi, j'ai souvent entendu dire que dans les SEL, on est souvent mal accueilli. Les nouveaux en juin qui venaient au Rebuffy disaient qu'on était un groupe pas très ouvert ; pourtant dans les permanences qui étaient tenues, il y avait des discussions entre personnes qui se connaissaient, c'est des enjeux relationnels ou des problèmes de disponibilités. "

Les nouveaux qui prennent contact pour la première fois avec le "SEL de la mer" dans le but d'y adhérer, en venant au Rebuffy, doivent être informés sur le fonctionnement du SEL, sa charte, l'identité des animateurs, la nature des échanges possibles ; le discours de présentation par l'un des membres de cette organisation aux tout nouveaux devient une pratique nécessairement répétitive que les vieux animateurs du SEL ne sont pas mécontents de transmettre à de plus récents ; ce moment n'est pourtant pas dévalorisé. Il sert aussi à mettre à l'épreuve les adhérents qui sont au SEL depuis quelques temps et qui trouvent ici une opportunité de prouver leur participation, leur conviction militante et la façon dont les principes et les valeurs collectives ont été intériorisées dans un discours qui, sans être standardisé, reste homogène.

Cette occasion d'entendre répéter les principes et les valeurs du groupe par les uns ou les autres est aussi le moyen par lequel sont réabordés les problèmes organisationnels qui ne manquent pas d'affecter le SEL. Il faut aussi considérer que ce sont ces conflits interindividuels, les travers dénoncés et les anecdotes qui trament l'histoire interne du système d'échange local. L'épaisseur et la consistance de cette institution ne peuvent

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même que naître du dysfonctionnement marginal ou de problèmes internes, qui

constituent au fond le seule type de récit collectif. Que ce soit sous forme de faits

rapportés ou de rumeurs, ces représentations mobilisent les uns et les autres dans

l'évocation d'une identité collective qui trouve là son expression la plus vive.

Il ne fait donc aucun doute que l'organisation du SEL de la Mer reste profondément

travaillée par la question de l'implication de ses adhérents. Et leur disponibilité, ou plus

exactement leur capacité à dégager du temps témoigne de cette implication et de leur

conformité au modèle idéal du Seliste ; les salariés par exemple qui ont moins de temps

que les inactifs doivent ainsi par leur présence régulière attester de cette appartenance

continuellement menacée par leurs obligations sociales et familiales.

Dans ce sens, à l'exception de ceux qui sont très anciens dans le groupe qui n'ont plus

rien à prouver, ces salariés attirent une suspicion foncière en particulier de la part des

animateurs chômeurs ; de manière symétrique, ceux qui ont charge de famille et qui sont

supposés y consacrer du temps de week-end, peuvent apparaître comme des énigmes

pour les célibataires disponibles.

"De toute façon, il faut du temps et tout le monde en a. Sinon qu'est-ce que ça veut dire de signaler de suite qu'on a peu de temps. Quand tu t'engages à quelque chose, comme le SEL, ça veut dire que tu vas prendre du temps sur d'autres activités que tu faisais avant. Le temps ça traduit ta motivation ; mais beaucoup de gens savent pas où ils habitent, ils n'ont pas choisi leur vie, la société leur a tout imposé : leur école, leur petit chef, leur patron..."

Le plus souvent, le nouvel arrivé qui veut adhérer au SEL, après avoir été mis au courant

du coût de l'adhésion, de l'unité de compte, du principe de l'échange réciproque entre

selistes et (quelquefois) des principes de la charte du SEL, se" voit présenté un

exemplaire du dernier annuaire des offres et des demandes. Cette présentation lui laisse

anticiper les possibilités de demandes qu'il pourra réaliser.

Mais la procédure de l'adhésion proprement dite sera reportée à la fois suivante, une

manière d'éviter les candidatures trop velléitaires et d'évaluer le poids des motivations à

revenir.

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s

"De toutes façons, au départ il n'y a que deux types d'adhérents : ceux qui ont un besoin et veulent le satisfaire par quelqu'un du SEL, ce qui explique qu'ensuite s'ils réussissent à l'obtenir, on ne va plus les voir ; et il y a ceux qui n'ont pas un besoin précis et qui se l'invente, mais c'est une façon d'aborder le groupe, c'est un prétexte, car les gens peuvent avoir peur de venir comme ça sans rien, ça a été le cas de Bernard qui disait : j'ai besoin d'un informaticien. Mais je lui dit que ça ne fonctionnait pas tout à fait comme ça le SEL ; en fait il n'a pas réclamé longtemps son informaticien comme si ça n'était pas vrai et qu'il fallait demander quelque chose pour devenir membre du SEL !"

L'une des épreuves latentes qui est alors adressée au candidat consiste à demander

quelles sont ses besoins personnels de services. Si ces demandes énoncent un objectif

trop ambitieux -l'étanchéification d'une terrasse par exemple- ou si les exigences

apparaissent trop intéressées, fondées sur une utilité exclusive dans laquelle la

réciprocité apparaît comme secondaire, le médiateur du moment sans nécessairement

témoigner d'une défaveur manifeste, aura tendance à considérer qu'il n'y a pas là

"l'esprit du SEL". Son encouragement à l'adhésion se fera moins insistant, et l'exigence

d'une réflexion du candidat devenant nécessaire, reportera d'autant plus les modalités de

l'adhésion réelle au mardi suivant. Signes de cette suspicion : les commentaires

intervenant après le départ du candidat.

"Celle-là, elle avait besoin de retapisser son apport., en venant ici elle s'imagine qu'elle va trouver quelqu'un qui lui fera tout, comme ça... "

Ce premier contact est sans aucun doute la forme par laquelle s'organise une forme de

dissuasion douce des adhérents, en particulier de ceux qui spontanément n'attirent pas la

confiance des animateurs/administrateurs. Leur attente de services doit être exprimée

sans urgence, et sous une forme qui bannisse l'expression d'un intéressement non

réciproque. Et leur entrée au SEL est d'autant plus aisée que les offres sont plus

nombreuses que leurs demandes.

La dissuasion adviendra plus facilement que l'animateur assurant "l'accueil" du

nouveau, sera lui-même dans une situation sociale de marginalité, chômeur ou rmiste

trouvant ici un "rôle social" liminaire ; ce qui ne signifie pas que les autres membres

militants insérés socialement, ne puissent pas endosser ce rôle, et ce d'autant que leur

propre condition professionnelle n'est pas si assurée.

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Ce rite d'agrégation sélectif a donc un effet réel sur la nature des adhérents qui sont intégrés au groupe. On peut même se demander dans ce sens si une motivation proprement économique, un calcul exclusif sont possibles chez ceux qui sont non avertis et dont l'apparence et l'expression témoignent par trop de leur insertion sociale. Sans totalement l'empêcher en particulier quand le rite d'agrégation devient plus lâche, elle rend donc sans aucun doute plus difficile l'intégration de "ceux qui ont des biens", et qui sont mus par une seule motivation utilitariste. Mais une fois le nouveau venu accepté, l'attitude des autres selistes à son endroit devient délibérément beaucoup plus chaleureuse.

Cet exercice rituel à portée sélective n'a pas toujours existé au SEL de la mer, il s'est progressivement imposé à ses animateurs, avec la croissance des sollicitations de personnes qui exprimaient la priorité de leur besoin avant toute autre forme de préoccupation idéologique et altruiste. Il connaît aujourd'hui de temps à autres, des éclipses conjoncturelles avec la venue d'adhérents inquiets de la baisse saisonnière du nombre de selistes ; c'est alors qu'est organisé un accueil à la codification moins stricte, qui s'accompagne de marques de sollicitudes évidentes et des traits usuels de l'hospitalité ; ces relâchements cycliques expliquent l'adhésion60 et l'importance numérique des personnes qui ont un status social et des salariés en particulier, au sein du SEL de la mer (voir deuxième partie : les échanges et les groupes).

Cette agrégation de nouveaux adhérents se renouvellent chaque mardi, au sein du Rebuffy ; il y aura donc en 1998, et en 199961 entre trente et quarante personnes qui s'inscrivent annuellement au SEL de la mer, sur le mode décrit ci dessus, en revenant au deuxième rendez-vous rituel.

Ce flux continu des candidats à l'adhésion est sans doute le propre de ce milieu urbain ; sa permanence rend les stratégies de communication volontariste des animateurs du SEL, moins nécessaires62, ce qui ne signifie pas inexistantes. Le mode de reproduction de l'association "fonctionne en effet à la sociabilité informelle" des selistes qui ont tendance à y attirer un réseau de relations immédiates. Cette absence de stratégie appuyée n'est pas sans attirer quelques critiques de la part d'animateurs du SEL de la garrigue, qui déplorent le désintérêt de ce SEL pour les personnes en situation difficile du grand quartier populaire de Montpellier : La Paillade.

6 0 ce qui ne veut pas dire nécessairement l'existence d'échanges nombreux. 61 En 2000, ce chiffre connaît un baisse notable. 62 En réalité, quelques animateurs du SEL eux-mêmes de profession libérale participeront à une manifestation de la Jeune Chambre Économique "La journée des différences" avec un stand de présentation du SEL, mais il s'agissait là d'un sous-groupe spécifique qui a dominé l'organisation pendant quelque mois.

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L'évaluation statistique63 des moyens par lesquels les adhérents ont connu l'existence

du SEL qui ont concouru à leur adhésion, confine la Presse et Internet à la portion

congrue (12 %). Les autres canaux d'information paraissent plus efficace avec d'abord

les membres du SEL (47%) eux-mêmes par leurs relations personnelles. Les 40%

restant ont été informés par d'autres SEL, par leurs foires ou la "Maison des chômeurs".

C'est dire que la reproduction de l'organisation est manifestement déterminée par des

individus, des événements ou des institutions qui sont liés au fonctionnement des SEL.

2.2 - Les SEL de la garrigue et l'accueil des étrangers :

Par contraste, le SEL de la garrigue qui mobilise depuis sa création en 1995, des

adhérents issus de la moyenne vallée de l'Hérault, a dû traiter les conséquences

géographiques de leur dispersion progressive, à mesure que le recrutement dépassaient

la zone historique de sa fondation, autour de Viols. Une centaine d'adhérents début 2000

se distribuent dans un quarantaine de communes, dont les plus éloignées se séparent par

une distance de 90 kilomètres. Si les communes autour de Gignac/Aniane et de

Clermont l'Hérault forment le bassin le plus dense d'origine des selistes des garrigues, il

faut pourtant prendre en compte celles proches du littoral avec Séte/Frontignan (9%), et

Montpellier (10%).

Deux communes dans l'espace intercommunal de la garrigue offrent désormais des-

rendez-vous bimensuels alternés dans deux cafés, situés l'un à Aniane (L'Ambiance),

l'autre à Clermont l'Hérault (Café de l'Esplanade) ; alors que le siège postal du SEL se

trouve à Puilacher.

Le 19 de chaque mois à dix neuf heures et le 7 à sept heures forment les deux repères

mnémoniques qui permettent aux adhérents et aux nouveaux de se rencontrer dans l'une

ou l'autre de ces deux communes. Ces occasions de rendez-vous, à la différence de ceux

de Montpellier ont été proposées seulement en 1998, à partir du moment où les

administrateurs du SEL ont constaté que les adhérents provenaient de zones éloignées

tandis que les échanges avaient tendance à diminuer.

"Quand ça s'est élargi à d'autres communes, les gens se voyaient moins, pour diverses raisons indépendantes du SEL. Je me suis dit qu'il fallait créer des lieux pour se rencontrer de façon informelle, pour qu'il puisse se passer des choses... ou rien ! C'est surtout ça qui s'est passé ; et ça m'a amené à créer des rendez-vous ... Même si c'est pas moi qui en ait eu l'idée. C'était pour ceux du SEL et pour les nouveaux. Quelqu'un appelait au téléphone : on lui donnait rendez-vous à Aniane ou à Clermont et on lui expliquait comment ça marchait. "

6 3 Enquête réalisée en 1999 par Delphine Pantel et Richard Lauraire avec le SEL de la mer.

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Ces lieux de connaissances restent assez peu fréquentés ; un caractère qui n'est pas sans affliger les administrateurs du SEL de la garrigue qui se sont régulièrement présentés à tour de rôle en 1998, 1999 et en 2000 à ces rendez-vous. L'absence fréquente de nouveaux venus a quelquefois incité ces administrateurs /animateurs du SEL à ne pas honorer le rendez-vous d'Aniane, signe d'une fatigue structurelle des militants, mais aussi constat d'une mauvaise adaptation des cafés à cette fonction agrégative en zone de petits villages.

Les usages antérieurs d'accès au SEL, par des relations personnalisées, affinitaires (téléphone et interconnaissance préalable) qui faisaient l'économie du rendez-vous dans un café, s'accordaient davantage de pratiques privées. Ces dernières qui sont encore usitées, font l'économie du rite d'agrégation sélectif du SEL de la mer, un élément qui n'est pas sans conséquences sur la composition du groupe.

Le statut et le rôle social du bistrot au sein des villages, lieux de sociabilité des hommes et de production des rumeurs locales étaient peut-être moins neutres qu'en ville. La tentative du SEL de reprendre à sa charge des formes traditionnelles de réunion ne trouve donc pas ici le succès qu'elle escomptait.

"C'est aussi un aspect rituel, traditionnel le 7 à 7 heures, le 19 à 19 heures ; ça veut créer une tradition, un rite mais par contre ça n'a pas marché. On n'a pas pu développer ce coté traditionnel, cette habitude".

En réalité, ce seront les foires qui prendront à leur charge l'agrégation des nouveaux au SEL de la garrigue.

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3- Anthropologie politique des SEL : entre l'organisation acéphale et l'organisation régulatrice

L'anthropologie du politique qui se livra jadis à la recherche de sociétés segmentaires ou acéphales, en rêvant d'une société dépouillée des contraintes du pouvoir de l'État, se trouve interpellée au plus haut point par les SEL et en particulier par ceux qui tentent aujourd'hui de neutraliser l'exigence d'un fonctionnement interne administré et de la forme associative. Depuis que l'appareil judiciaire s'est attaché à traiter en novembre 1997, la plainte d'artisans pyrénéens contre des selistes accusés par ces derniers de "travail au noir" et de concurrence déloyale, certains d'entre eux se sont définis comme des groupes informels sans existence officielle64.

Ce "souci de la disparition" n'est pourtant pas à prendre seulement comme le projet d'échapper à tout contrôle social. Il apparaît aussi par voie de conséquence comme un choix alternatif dans l'approche d'une gestion interne du collectif. Et dans ce sens, l'administration publique de l'Etat apparaît comme un contre-modèle dans le traitement de sa société civile.

La double question du statut associatif et de l'administration /régulation des échanges dans les SEL est donc intimement liée au rapport que les SEL entretiennent avec l'Etat, comme si le renvoi en miroir des deux types d'organisation (administration du SEL et administration de l'Etat) ne pouvait être sans effet. Ce qui ne signifie pas que tous les SEL présentent les mêmes dispositions "libertaires", pour reprendre ici un terme utilisé ailleurs65.

Chacun d'eux traite de manière spécifique son rapport à l'Etat et à l'ordre politique, ce dont témoignent le refus ou le choix du régime associatif ( seul canal de communication autorisé des groupes civils avec l'Etat) comme les conceptions de leur "administration" interne, même si ce dernier terme est rarement employé, dans une dénégation évidente. A ce titre, aucun SEL ne peut être rangé dans la catégorie conceptuelle de l'ancienne anthropologie politique "des sociétés sans Etat", puisque ces systèmes d'échanges locaux ne prennent leur sens que par rapport à la société civile qui les entoure et à son administration publique.

64Avant cet événement judiciaire, la question du choix du mode d'organisation dans le SEL de la mer n'était pas aussi réactif par rapport à l'Etat français ; échapper au marché était sa priorité. 6 5 Cf Servet JM : 1999. Opus cité

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3.1 - Le SEL de la mer et le pouvoir :

En outre depuis quelques années, nombre d'entre eux ont évolué d'un choix à l'autre dans leur forme de gestion, comme le SEL de la Mer - en particulier sous l'effet du procès de 1997-. Ils ont quelquefois connu des formes d'organisations successives variées, entre la forme associative (déclarée ou pas) supposant des rôles et statuts sociaux proposant des referents précis, et l'informalité délibérée. Cette dernière n'étant sans doute pas réductible à un seul modèle, et connaissant des déclinaisons nuancées entre la forme de "l'anarchie ordonnée"66 et celle du mouvement brownien, image poussée à l'excès du marché néolibéral.

Ces successions des modes d'administration et des règles qui les ont chaque fois différenciés, font que se cottoient parmi les selistes du même SEL, (usagers plus ou moins anciens), des conceptions diverses en matière de charte interne, de valeur de l'unité de compte, et de normes de comportements ou de représentations. Cette diversité empêche de pouvoir considérer l'état des représentations et des pratiques comme des formes homogénéisés, ou comme le résultat de formes stabilisées une fois pour toutes. Cette instabilité structurelle de certains SEL peut difficilement être considérée comme un accident ou un manque de maturité organisationnelle, puisqu'elle traverse de part en part, quelquefois depuis plusieurs années, le flux continu des nouveaux adhérents et par voie de conséquence "l'administration" qu'ils sont susceptibles de composer.

Elle peut aussi conduire à traiter l'administration du SEL comme un élément sans qualité, dont l'autonomie relative autorise le chercheur à aborder le seul champ des usages d'échanges. Cette dernière posture méthodologique se prive bien sûr d'une anthropologie politique des SEL et en particulier de l'analyse des relations qui existent entre la sphère des animateurs/administrateurs et celle des "changeurs", dont la pertinence s'avère évidente quand les "usagers" du SEL et son bureau sont unis par une fonction de coordination ou de régulation.

Prise sous cet angle, la question qui se pose, concerne directement le champ "politique" des SEL, identifié au groupe des administrateurs/animateurs : comment cette institution de pouvoir assure l'unité fonctionnelle de la structure sociale? Interrogation d'autant plus cruciale que des équipes d'animateurs peuvent donc se succéder d'un "exercice" annuel à l'autre, et que des conflits peuvent même advenir pour la maîtrise du pouvoir interne, entre groupes.

6 6 c f

Evans Prichard EE : 1968, "Les Nuer", Gallimard. Cet auteur suggère que cette situation de non régulation par un Etat absent est compensée par des relations d'oppositions complémentaires entre groupes.

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La question du politique au sein des SEL incite donc à poser le registre du pouvoir comme la dynamique d'un processus intrinsèque s'inscrivant dans une durée dépassant largement l'année (budgétaire ou scolaire). L'insistance des SEL en général à se considérer comme des formes résistant à l'usure organisationnelle devient alors plus compréhensible.

Dans certains SEL comme celui de la mer, l'exercice du pouvoir administratif apparaît comme une charge sans prestige, une fonction "domestique" au double sens technique et sociologique, un véritable "reste" que les animateurs s'emploient à diluer, quand ce n'est pas à refuser. Il en est ainsi au SEL de la Mer qui n'est pas une association déclarée ; ce dernier ne désigne en effet aucun président, ou secrétaire, il n'a qu'une trésorière qui a du reste accepté cette fonction faute d'autres candidats, le précédant n'ayant pas voulu prolonger sa candidature. Seule donc résiste cette fonction de trésorier qui assume (assez légèrement) le rapport à l'argent de l'organisation, avec le souci de l'encaisse des cotisations et de leurs dépenses.

El cette dernière tâche est-elle encore, au SEL de Montpellier, privée de toute capacité de décision, puisque les dépenses sont décidées collectivement par les animateurs. Plus généralement, les fonctions de décision, de conception de l'annuaire des offres et des demandes, et d'enregistrement des adhésions, comme des relations "interSEL" sont-elles assumées par des selistes qui acceptent pendant quelques mois les contraintes de ces types de gestion. Le charisme ou la disponibilité des individus sont les seuls paramètres qui déterminent l'émergence d'un leader, et celui-ci apparaît rapidement précaire dés qu'une indisponibilité ou un manque de conviction conditionnent son expression.

On comprendra sous ce rapport, que nombre de recherches se soient laissées prendre à des représentations endogènes qui traitaient ce registre comme une intendance, sans voir qu'il y avait là la figure niée et peut-être inversée de l'Etat. Ces cas de figure qui exorcisent ainsi l'apparence de la coercition et de l'autorité, ne sont pas bien sûr sans renvoyer aux fonctions de chefferie dans certaines67 sociétés traditionnelles. Cette conception d'un pouvoir "faible" ou sans prise s'inscrit ici au SEL de la mer dans le rejet d'un système politique conçu comme l'expression d'une domination. Et l'on peut à juste titre y déceler souvent le même modèle repoussoir ; le spectre de l'Etat central soutenant les intérêts d'un groupe social.

Or le terrain même du SEL restitue aussi les sous-cultures d'individus qu'il accueille, en particulier au sein du noyau "administratif. Il faut ainsi avoir à l'esprit que les

6 7 Cf Lévi-Strauss C : 1944, "The social and psychological aspects of chieftainship in a primitive tribe : The Nambikuara of Northwestern Mato Grosso"

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individus qui acceptent d'assurer explicitement ou implicitement les fonctions de gestion du collectif du SEL - ses animateurs - emportent avec eux les conséquences du statut social que leur attribue leur société, et sans doute aussi encore leur propre représentation de l'efficacité organisationnelle, des rapports sociaux, comme de la solidarité.

Le SEL de la mer et le SEL de la garrigue de ces points de vue affichent des contrastes saisissants.

Charte du SEL de la Mer

Article 1 : Le SEL est un service d'informations, qui permet à ses membres d'échanger des biens , des savoirs et des services de proximité. Il tient une comptabilité de ces échanges afin d'assurer leur continuité.

Article 2 : Ces informations et comptes, ainsi que le détail des activités permettant le fonctionnement du SEL, sont publiés dans un annuaire. Tout membre peut consulter le compte d'un autre membre.

Article 3 : Les comptes sont tenus en vagues, les membres du SEL sont autorisés à donner et à recevoir des vagues.

Article 4 : Seul le titulaire d'un compte peut autoriser le transfert de vagues de son compte à un autre, les coordinateurs, devront être mis au courant de ces transactions, grâce aux feuilles d'échanges, avant la parution de chaque annuaire.

Article 5 : Un membre n'est en aucun cas tenu d'accepter une offre de services ou de transactions, de la part d'un autre membre. Toutefois, avant de quitter le SEL, un membre devra s'acquitter des autres engagements qu'il pourrait avoir pris vis à vis d'autres membres.

Article 6 : Tous les comptes sont ouverts avec un solde égal à zéro. Une limite au montant des débits autorisés pourra être fixée. Chaque membre s'engage à ne quitter le SEL qu'avec un compte positif ou égal à zéro.

Article 7 : Le fonctionnement du SEL entraîne des frais en francs qui seront couverts par une libre participation des adhérents (30f) Jow de leur adhésion ou à tout autre moment.

Article 8 : Pour chaque annuaire publié, les coordinateurs ne peuvent être tenus pour responsables de la véracité et "de la valeur des informations données, de la valeur, du contenu, et de la qualité des services ou des biens échangés.

Article 9 : Chaque membre est personnellement responsable de la légalité de ses activités au sein du SEL et y engage sa responsabilité civile. Le SEL de la Mer et ses coordinateurs ne peuvent en aucun cas être tenus pour responsables des accidents éventuels qui auraient lieu pendant un échange.

Article 10 : Les coordinateurs du SEL se réservent le droit de différer la publication d'une annonce dans l'annuaire, pour soumettre la question de sa parution à une assemblée des membres du SEL.

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Le Sel de la Mer qui s'est fait connaître par le caractère "libertaire" de certains de ses leaders pour reprendre des propos endogènes ici encore largement réflexifs, affiche une faible ambition gestionnaire. Il se définit comme un service d'informations. Sa charte qui énonce des règles minimales de fonctionnement, pourrait aussi bien laisser s'organiser par ce biais, un service de "petites annonces"68. En outre nombre de postulats figurant dans ce règlement implicite69 ont été abandonnés dans la pratique de l'organisation sans que ce texte soit lui-même amendé : une conservation qui traduit pour certains le respect des paroles militantes des anciens qui ont défini ce code, tandis que pour d'autres, naît ici une réelle dévalorisation de l'écrit70, associé à l'ordre de la prescription normative. Cette référence implicite à l'oralité est donc très ambivalente71. Elle prend un tout autre sens dans des SEL plus ruraux comme dans le SEL de la Garrigue.

La gestion comptable centralisée, comme (par voie de conséquence), la publication des soldes individuels n'y sont pas assurées depuis plus de deux ans, un fait qui est apprécié de manière diverse par les selistes. Cette absence de comptabilité centralisée n'est du reste pas une exception dans les SEL de l'hexagone ; on retrouve au sein de d'autres SEL de l'Hérault - Le SEL d'abord de St Jean du Minervois et UniverSEL (Montaud) en particulier - des problèmes de gestion comparables. La lourdeur proclamée de cette tâche a contribué à ce que certains SEL envisagent sa suppression (UniverSEL).

Depuis quelques temps, sa fonction a même été réinterprétée par quelques leaders nationaux du mouvement : identifiée au départ à un défaut de rationalité de l'organisation, elle a trouvé depuis peu une forme de théorisation positive avec le J.E.U72 (Jardin d'Echange Universel), traitement de la comptabilité renvoyé à chacun des selistes, assurant eux-mêmes leur propre auto-contrôle à chaque échange, par la coreconnaissance des débits et des crédits respectifs.

Cette solution visant a recourir à la règle du "JEU" n'est pas envisagée au sein du SEL de la Mer, trop englouti dans le refus implicite du modèle de l'administration de l'Etat73.

Dans ce sens, la gestion des comptes en grains de SEL qui peut s'apparenter à un usage de l'administration publique, est probablement trop associée à cette dernière pour être envisagée comme un simple instrument de régulation des échanges et des groupes ; et

6 8 C'est du reste le journal de quartier "Annonces vertes", lancé par des militants alternatifs locaux qui crée le SEL de la Mer. 69qui préfère se qualifier de "charte" pour écarter ses connotations normatives. 7 0 Goody J : 1979, "La raison graphique", Les éditions de Minuit . 71 Levi-Stauss C : 1955, 'Tristes tropiques", Pion, p344. 7 2 Cf Voir annexe 7 3 On ne s'étonnera pas de ne pas retrouver en Italie une telle réactivité vis à vis de l'Etat, dont la figure est loin d'être aussi centraliste et le statut associatif peu formalisé : voir les actes des Rencontres des SEL à Salvagnac (2000).

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certains des animateurs actuels n'ont pas peur de rappeler qu'après les fondateurs du SEL de la mer, une génération de "fonctionnaires" a pris le relais, en établissant des usages de comptabilisation des échanges en "vagues". Le terme de "fonctionnaires" traduisant bien sûr ¡ci un double mépris74 pour la fonction publique et sa culture professionnelle administrative, qui sont aux fondements de la fonction d'assistance sociale.

Le principe d'organisation de ce SEL émis régulièrement par ses animateurs se fonde sur l'idée que le collectif n'est que l'addition des paroles individuelles. Vision a-sociologique, personne n'est donc fondé à représenter le groupe et à tenir un discours collectif en son nom, puisque seules ont de la valeur : la parole de la personne, son savoir ou son savoir-faire (pas nécessairement assimilable à la profession, pour celui qui en a une), bref ce qui lui donne sa qualité d'homme ou de femme et sa capacité de sociabilité.

Cette pétition de principe a des conséquences sur de nombreuses situations. Les relations entre personnes, la gestion de la parole dans les groupes, tout lancement de décision qui engage le système d'échange local s'affronte à cette norme. Du coup, les diverses situations qui mettent en jeu du collectif se trouvent-elles traversées par des stratégies individuelles, des conflits vifs ou des formes de séduction qui visent à recueillir un consensus, seule figure possible du processus de décision officiel.

L'unité du groupe dans ces accords se trouve toujours fragile car il est difficile de réunir d'un coup tous les animateurs - ceux qui ont du temps comme ceux qui ont des biens -qui se jugent autorisés à y participer ; les décisions peuvent se voir contestées ensuite par un absent. Il y a même des situations plus complexes encore, avec des réunions collectives où les individus n'arrivent pas à définir des ordres du jour et à s'accorder sur l'objet des débats ; décisions ou discussions?

Cette singularité structurelle de certains SEL qui va donc jusqu'au refus de rôles sociaux institués - ce qui ne signifie pas bien sûr sur aucun rôle du tout -, peut déboucher sur des formes de violences verbales et même physiques dans des cas exceptionnels.

Cette anomie n'est pas sans rappeler les images du célèbre film "Fight club" où le héros73 dans des combats organisés, se dépouille de son statut social et des rôles sociaux

7 4 D'autres figures administratives sont ainsi nommément stigmatisées : la COTOREP qui apparaît comme un contre-modèle d'assistanat au SEL, ou l'ANPE. 7 5 La fin du film est révélatrice de cette distinction/opposition entre statut social et identité personnelle "réelle", pouvant commuter à l'occasion des intrigues. Le narrateur, héros de l'histoire sort d'un crise de schizophrénie et se rend compte que lui, cadre déchu n'est jamais que l'envers d'un être de désir refusant tout statut social, et visant même à détruire l'organisation sociale. Symboles lourds de sens, ses dernières victimes seront des immeubles

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s' qui lui sont attachés, pour accéder à la vérité vrai de son être individuel. Cette identité

essentielle (réelle ?) est identifiée comme l'état de l'individu le moins socialisée ; c'est

là où se loge l'empire de la violence, refuge exclusif de la valeur de l'homme du

néolibéralisme américain.

C'est dans cette zone intersubjective où l'échange réciproque n'est médiate par -

l'épaisseur d'aucun artifice social qu'advient l'évidence du symbolique. Signe ultime de

reconnaissance : le regard plein de gratitude du combattant ensanglanté à terre à son

protagoniste vainqueur, qui assure ainsi la circulation de la réciprocité dans le groupe!

Ce n'est pas un hasard si la conjoncture des SEL croise celle d'un film comme Fight

Club, mais largement conditionné par le contexte franco-français du rapport à la

centralisation et à l'Etat.

Réunion du SEL de la Mer sur la violence interne : discussion contradictoire

" - La violence est-elle compatible avec l'idée du SEL, que peut-on faire pour la réduire ? Dans un couple comme dans les groupes, il y a de la violence, mais il y a façon et façon!

- Ceux qui agressent ne sont pas venus à cette réunion. Il faut noter que ce sont toujours les mêmes qui sont violents : certains agressent verbalement, mais d'autres même physiquement, mais les violences verbales peuvent être aussi dures que les violences physiques.

- Amida qui a écrit sur le cahier du SEL, écrit que c'est un défaut que l'on trouve chez beaucoup de SEL. C'est quand il n'y a pas de structure que la violence émerge. Les conflits répétés sont souvent dus à des ragots, à des absences de respects ...

• Est-ce que ce n'est pas le manque d'organisation qui crée la frustration et donc la violence?

- Ce sont des histoires extérieures, des jalousies, des histoires de cul qui rejaillissent sur les conflits intérieurs, mais de toutes façons pendant les AG précédantes, il y avait des problèmes, des engueulades, sur les tours de paroles. Les structures, ca peut régler ce problème des tours de paroles. Quelqu'un peut régler les tours de paroles et que les responsabilités soient prises.

• Le SEL ça n'est que des individus, c'est pas un groupe et chacun peut convaincre tout le monde. Personne ne veut être représenté. On peut échanger c'est à dire discuter de manière autonome, mais du coup la parole n'est pas respectée, on est coupé quand on parle. Par exemple (Rires) pour prendre ma place, tu vas être obligé d'en rajouter !

- Le bureau même s'il n'existe pas officiellement, doit prendre des décisions fonctionnelles, comme par exemple de savoir si l'annuaire doit être distribué

bancaires. Il faut noter que le héros ne survivra pas à la conscience de son dualisme fondateur : cadre/délinquant. Son suicide se pose comme un renoncement à la réciprocité de l'échange avec son double.

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y'

gratuitement ou pas, ou si on augmente la cotisation. Il faut un minimum de vision sur un intérêt collectif. Les violents gagnent à être éloignés gentiment et provisoirement... - Mais pour certains, c'est inextricable ; par exemple Julien il vient de la zone, c'est pas un bourge. Depuis qu'il a pris en charge la responsabilité de faire l'annuaire, il est devenu violent. Il a attendu 3 mois en disant rien puis quand il a eu jaugé tout le monde, il a pris du pouvoir et il est devenu violent. A moment donné, il n'a plus voulu s'en occuper, il voulait pas transmettre la disquette informatique du fichier des adhérents, il a fallu attendre des mois pour çà. Et puis Julien, il dit : la violence physique, c'est une violence de prolétaire, la violence verbale, c'est une violence de bourgeois."

La violence verbale se pose donc comme le risque et l'horizon-limite de la sociabilité

des SEL qui refusent le formalisme d'une organisation minimale. Elle n'exclut pas la

violence physique, comme on le voit, dans une figure de style qui - fait rarissime -

verbalise explicitement des différences "d'habitus" entre groupes sociaux au sein de

l'organisation.

Au SEL de la Mer, les avis sont partagés sur la nécessité de cette organisation et d'un

processus de discussion/décision qui puissent permettre d'en rationaliser l'exercice. Ce

partage débouchera quelques semaines plus tard sur une scission du groupe entre les

promoteurs d'une organisation interne allant jusqu'au respect de la structure associative

et de ses figures vécues comme hiérarchiques (Président / trésorier / secrétaire), et ceux

qui y préfèrent l'informalité du groupe, ces derniers l'emportant sur le moment.

Les principes d'action de ce SEL sont donc fondés sur la volonté de ne pas avoir de

statut associatif qui "fige le groupe, désimplique les bonnes volontés" et qui l'oblige à

disposer d'un système de représentation. Elle n'est pas étrangère non plus au souci de ne

pas instaurer une hiérarchie qui laisse entre les mains du président l'initiative de l'action

, monopole lui valant une reconnaissance exclusive au détriment des autres membres de

l'organisation.

Dire que "la responsabilité partagée est un mythe", parce que ce sont toujours les mêmes qui disposent du pouvoir et sont plus impliqués, c'est voir le SEL avec des œillères, c'est limiter ce qui est important à une frange absolument marginale de l'activité humaine. S'occuper de l'annuaire, proposer un cadre agréable pour une réunion comme l'a fait Amira, faire un gâteau, c'est pas différent. Même si certaines tâches sont moins contraignantes, moins visibles, moins brillantes que le fait de présider. La valorisation égale de tous les aspects, tous les talents de la vie humaine, c'est une utopie à développer. C'est le même problème que les femmes dans la société patriarcale qui assuraient des activités moins nobles, moins valorisées—Etre responsable du SEL, c'est possible chacun à son niveau, en participant comme on le peut.

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s

On pressent bien qu'ici la culture non hiérarchique du SEL se pose contre l'échange impossible auquel cette fonction de président réduit celui qui la porte. Imaginaire de "la place du roi dont c'est la nature de recevoir tout et de ne donner rien", comme le dit Michel Serres76 et qui localise ¡ci une lieu interdit. Ou plutôt se trouve ici condamné le modèle républicain77, monstre organisationnel paradoxal comme dit Bruno Latour, "composé de citoyens unis par la seule autorisation faite à un seul de les représenter tous".

A la question que pose Latour, reprenant un antienne séculaire - le souverain parle-t-il en son nom ou en celui de ceux qui l'autorisent ?-, les selistes de Montpellier ont clairement répondu. On ne s'étonnera pas que le terme de "Président" ne soit donc jamais employé au sein du noyau des "permanents". Pour diriger les réunions, une adhérente suggérera de le remplacer par le terme "protocoleur"!

Vivre le recul du politique comme un progrès et tenter de conserver au pouvoir sa forme .-.. la plus molle, la moins instituée, et la plus partageable, se posent bien sûr contre l'émergence du processus d'autonomisation de la sphère politique et la différenciation croissante de ses agents sociaux, comme l'ont montré les analyses de Pierre Bourdieu et Patrick Champagne.

Ces divers éléments - l'administration centralisée, la violence, l'échange réciproque -convergent tous et de manière caricaturale pour évoquer les diverses analyses anthropologiques rapportées par Marc Abélès78, qui ont tenté d'identifier les conditions d'apparition de l'Etat dans les sociétés, comme celles qui pouvaient l'empêcher. Le rôle de l'échange réciproque s'y trouve aussi au centre du questionnement. Paradoxalement ici dans le SEL de la Mer, la tradition hobbesienne qui associe l'émergence du contrat social à l'apparition de l'Etat, figure lourde du contrat s'opposant à la violence de l'état de nature et du sauvage, se trouve renversée. Et l'administration du SEL abdique toute prétention à traduire seule cette culture""contractuelle. Tandis que l'échange réciproque entre sujets est censé pouvoir se substituer à la régulation que l'administration pourrait prétendre exercer.

Ce choix organisationnel fait que les animateurs/leaders du SEL définissent leur rôle par l'acceptation d'une tache, d'un service qui traduit leur implication. C'est donc par une

7 6 Cf Serres M : 1980, "Le parasite", Grasset, p 38. 7 7 Le terme de "jacobin" sera même employé par certains animateurs pour désigner un processus de décision qui n'a pas cours au SEL de la mer. 78Cf Abélès M : 1990, "Anthropologie de l'État", Armand Colin, p 57.

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charge de travail et non pas un pouvoir ou une responsabilité qu'ils définissent leur participation. Au fond, ce choix est conforme avec la conception égalitariste qui traverse l'évaluation de chaque service proposé dans l'annuaire, puisque la règle veut qu'une heure de ménage soit égale à une heure de cours d'informatique ou une heure de massage. Cette représentation technique ne peut bien sûr pas totalement s'imposer dans un groupe aussi sensible à l'ordre politique, et ne peut assurément être partagée par tous.

"Les gens qui donnent leur temps, beaucoup sont au bureau ou ce qui en fait fonction, ils se remboursent en quelque sorte par l'amour du pouvoir et même les excès de pouvoir dont ils profitent".

Les animateurs qui assurent les tâches administratives du SEL ne le restent jamais très longtemps : en quatre ans, quatre "équipes de coordination" se sont succédées, presque totalement renouvelées : une mobilité qui signale le degré de volatilité de l'organisation. Ces successions rapides ont bien sûr vu passer des "leaders", différents du point de vue de l'idéologie et de leurs choix gestionnaires. Les premiers, largement influencés par le modèle orthodoxe du "SEL des Garrigues", assuraient la comptabilité centralisée des échanges, prélevaient un montant régulier de "vagues" sur les adhérents pour financer leur effort d'administration, publiaient le catalogue des annonces, le journal d'information et le who's who (annuaire des adhérents) : "c'était l'époque des fonctionnaires".

Les derniers où dominent chômeurs et surtout rmistes, ont renoncé à organiser la "comptabilité centralisée des échanges" et se contentent de diffuser le catalogue des offres et demandes, et l'annuaire des adhérents. La valeur de la "vague" n'y fait pas l'objet d'une prescription imperative ; selon les animateurs, elle est soit laissée soit à la libre appréciation de chacun, soit évaluée en unité de temps, sur le mode de l'équation : une vague = une minute, après l'avoir été en 1998 (et avant), par l'équivalence : 1 vague = 1 franc, changement de référence assez général en France au sein des SEL à cette époque qui traduit la volonté de fuir toute allusion au système franc.

La valeur des services n'est officiellement pas différenciée en fonction des qualifications qu'ils supposent : une heure de ménage = 1 heure de cours de mathématiques par exemple. Cette conception égalitaire de la valeur qui met sur le même plan des qualifications différentes, se pose bien sûr contre la hiérarchie des compétences et des qualifications que prône la société civile. Et si elle vise ainsi à

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débusquer la personne derrière la compétence "professionnelle", elle peut difficilement échapper aux représentations collectives dominantes, et éviter l'allusion de la supériorité d'un service sur l'autre qui renvoie à l'image du don et du cadeau79. Cette conception égalitariste peut donc être maintenue un certain moment, mais pour quelques uns, elle résiste difficilement au temps et aux pressions économiques. Ce n'est pas un hasard si quelques adhérents essaieront de contester cet usage, menés en particulier par des selistes se donnant comme psychologues, dans une démarche dont on peut soupçonner les fondements cliniques80.

L'option organisationnelle refusant le statut associatif et le mode de gestion interne aboutit à une contestation intestine au sein de ce qui tient lieu de conseil d'administration (le noyau des animateurs les plus impliqués) opposant en particulier " "ceux qui ont du temps et ceux qui ont des biens", avant l'été 1999. Un groupe de salariés et de professions libérales en particulier envisagera de créer un autre SEL ayant un statut associatif : "Le SEL de Figuerolles" du nom d'un quartier populaire de Montpellier. Dans le règlement de ce nouveau SEL (qui ne se concrétisera pas), le suivi des cotisations en francs comme la "comptabilité centrale" en figues sont, bien sûr, mises au centre des préoccupations dans le souci d'échapper à la situation du SEL de la mer. Le souci des compétences individuelles (Voir "les garanties" : article 9), la volonté d'organiser pour chaque adhérent la transparence de l'efficacité individuelle liée aux services proposés, par la mention des soldes individuels, ne sont pas les moins originales. des propositions. Ces objectifs visent en effet à donner à ce nouveau SEL associatif la capacité de devenir un interlocuteur légitime et organisé, auprès des collectivités locales, dans le projet de participer à des politiques publiques locales grâce à des financements publics.

On voit bien que la nouvelle équipe qui s'esquisse ici, composée surtout d'hommes81, témoigne d'un rapport au pouvoir (statut associatif et hiérarchie des organes internes), d'un traitement de la responsabilité individuelle et d'une conception de la solidarité qui semblent différentes du SEL de la mer. Dans cette rupture, elle se revendiquera du modèle du "SEL de la garrigue" dont elle envisagera de reprendre les statuts légaux, dans la volonté "de revenir aux origines". Mais ce contre-projet rencontrera l'obstacle qui se pose au fonctionnement des SEL : le besoin de temps de ceux qui ont des biens. Nombre de ces réformateurs potentiels se tourneront vers la création d'une autre

7^ Cet implicite donne donc aux échanges fondés sur des services à haute valeur ajouté proposés un statut particulier, une ¡mage de générosité incontestable. 8 0 En particulier vis à vis du rôle de l'argent et de la valeur dans la cure, que Lacan a théorisé sous le registre du transfert. 8 ' Cette spécificité sexuelle masculine (à une exception) ne sera pas étrangère à la remarque selon laquelle "certains avaient depuis longtemps ces idées en tête et poussaient leur pion pour prendre le pouvoir, c'est bien une affaire de mecs!" (voir conclusion sur le dualisme implicite entre sexes, du SEL de la mer)

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association professionnelle tournée vers l'architecture et l'habitat naturel, abandonnant \é leadership82 de l'animation du SEL de la mer.

Projet de règlement intérieur, Septembre 1999

Article 1 : L'association "SEL de Figuerolles" a pour but de faciliter entre ses adhérents les échanges de biens, de savoirs et de services. Ces échanges sont régulés par une monnaie fictive, dont l'unité est la figue. Une figue correspond à un franc ou une minute de temps.

Article 2 : Ce règlement intérieur fixe les conditions de déroulement des échanges entre adhérents de l'association, et de ceux qu'ils peuvent réaliser avec d'autres SEL.

Article 3 : Préalablement à son adhésion le futur adhérent reçoit un document où il inscrira ses coordonnées, et ses annonces d'offres et de demandes et où il tiendra la comptabilité en figues de ses échanges. Il est parrainé par un membre plus ancien qui lui précise le fonctionnement de l'association et l'aide dans la formulation de ses annonces.

Article 4 : Le montant des adhésion est fixé à lOOfou 50/selon les situations individuelles, pour une année. Il est dégressif en fonction des périodes. Les périodes sont celles de la parution de l'annuaire ( 3 fois/an ). L'appel à renouvellement de cotisation est à échéance fixe.

Article S : Au moment de son inscription, le nouvel adhérent remet ses annonces et le montant de son adhésion. Il reçoit son numéro d'adhérent et son compte est crédité d'un montant en figues correspondant au montant de son adhésion (50f = 50 figues, ou ¡OOf =100 figues). Ses annonces ainsi que son nom et son numéro sont publiés dans le nouvel annuaire.

Article 6 : Lors de son inscription, l'adhérent certifie être assuré en responsabilité civile, assurance étendue aux actions de toutes natures qu'il est susceptible d'effectuer dans l'association pendant la durée de son inscription. Les biens et prestations sont échangées sous la responsabilité exclusive des partenaires de l'échange. L'association ne pourra en aucun cas être recherchée en responsabilité.

Article 7 : L'annuaire contient tes annonces a ojjre et ae demanaes aes aanerems, te wno s wno, qui mentionne leur nom et numéros de téléphone, l'agenda des manifestations prévues et les coordonnées des différents responsables. L'annuaire remis à jour est publié et tenu à disposition ou envoyé par courrier le 15 février, le 15 juin, et le 15 octobre de chaque année

Article 8 : Renouvellement des annonces ; Quinze jours au plus tard, avant la sortie de l'annuaire, les adhérents envoient par courrier leur feuille d'annonce au responsable "publication" dont le nom et l'adresse figurent sur l'annuaire précédent. Dans le cas contraire, les annonces de l'annuaire précédant ne sont pas réimprimées dans l'annuaire suivant : le nom des adhérents figure cependant sur le who's who pendant la durée pour laquelle ils ont cotisé.

Article 9 : Les prestations offertes et effectuées par chaque adhérent au sein de l'association sont à caractère temporaire, occasionnel et non commercial. Les adhérents s'engagent à offrir des biens et prestations de qualité. Les adhérents s'engagent à demander les biens et prestations dont ils ont réellement et personnellement besoin.

Article 10 : Au moment de l'échange, les partenaires précisent entre eux le montant en figues du biens ou service acquis ou cédé. Les échanges se font en figues à l'exclusion de tout autre monnaie du système économique. Le montant de chaque échange doit être indiqué sur les feuilles de comptabilité personnelles des partenaires de l'échange.

mais ne renonçant pas à leur adhésion.

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y' Cet épisode marquera la vie interne du SEL de la Mer. Il renforcera la conscience

partagée de l'existence de logiques différentes au sein des groupes sociaux, dans les

choix organisationnels et politiques de l'institution.

"Ce projet de SEL de Figuerolles, je l'ai pris comme la volonté de quelques uns qui en avaient marre de ces gens qui ne veulent ou ne peuvent pas prendre de décisions, qui ne veulent pas s'engager, et qui veulent que les choses restent toujours dans le flou. Pour pouvoir avancer, il faut se structurer, s'organiser ... Mais si ça ne s'est pas fait, c'est que finalement ce n'est pas ce que les gens veulent. Car il y a la question du pouvoir, toujours, et c'est humain ; il y a un moment où celui qui fait beaucoup de choses, gère, organise... va vouloir une reconnaissance, un pouvoir de décision qui sera forcement sur les autres. C'est pas un hasard si ceux qui ont voulu une autre organisation étaient des actifs professionnellement parlant. Ils sont dans des pratiques, des choses posées, une hiérarchie dans leur propre travail."

"Les gens salariés ou les professions libérales veulent des choses plus carrées, plus rapides dans les décisions, car ils ont moins de temps à perdre et ils ont des échelles de valeurs sur les choses qui passent par des critères. Les gens qui travaillent pas ou peu, ils ont dans leur tête plus l'idée de la communauté des selistes et du service gratuit. Les gens qui ont trop travaillé, ils sont hyper-endoctrinés, c'est net, ça se voit, ils voient pas que la vie peut être autre chose. Ils veulent reproduire dans le SEL de la mer ce qu'ils vivent dans leur vie, être organisé, gérer..."

L'abandon de tout projet de réorganisation administrative du SEL de la mer, et la

domination définitive de la "ligne idéologique" des militants "libertaires", se confirmera

quelques mois plus tard, à l'occasion d'une réunion collective où fut abordée la question

de l'intérêt collectif. Quelques adhérents du SEL se proposent d'exploiter ensemble une

parcelle agricole gracieusement prêtée par un propriétaire de Montpellier mais non

équipée d'un système d'arrosage. Ils demandent alors pour cet investissement, un prêt au

SEL réuni en collectif de réflexion, dont le principe du remboursement est subordonné à

la vente (en francs) des légumes produits.

En réponse à cette demande, il est remarquable de voir que la question qui est posée

d'emblée par quelques selistes présents, traite de la définition de l'intérêt collectif. Le

projet est rapidement confronté aux limites des intérêts privés des quelques selistes qui

le présentent (en dépit du fait que l'une de ses promotrices s'avère être alors la cheville

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ouvrière du fonctionnement du SEL). D'autres activités lui sont opposées, comme

"méritant" le même traitement "collectif: les randonnées trimestrielles du week-end qui

réunissent souvent plusieurs membres, les ateliers artistiques où se peuvent se réunir

plusieurs adhérents...

Ces représentations collectives sont ici remarquables parce qu'elles mettent en évidence

l'absence d'une opération symbolique : celle qui, dans la société collective, vient de "la

fonction normale de l'Etat, à travers ses différentes formes, qui est de transmuer le point

de vue des uns en "point de vue du groupe", le bien privé en bien commun, le particulier

en universel83".

3.2 - Le Sel de la garrigue et la gestion régulatrice :

Si le SEL de la garrigue est souvent considéré, comme un modèle dont les autres SEL

peuvent s'inspirer en particulier en reprenant ses statuts ou sa charte, cela ne signifie pas

que ses administrateurs et ses animateurs s'y organisent de manière volontariste et

hiérarchisée. La transmission de la mémoire collective du SEL de la garrigue et de ses

valeurs organisationnelles - en particulier le statut associatif - est facilitée par la

permanence de quelques administrateurs, d'un exercice budgétaire à l'autre qui jouent

comme autorités morales (sans que cela signifie hiérarchiques du reste) et assurent la

continuité de l'"appareil administratif. Leur ancienneté fait qu'ils disposent d'un réseau,

important d'inter-connaissances, dans le territoire intercommunal du SEL qui va au delà

du cercle des adhérents de l'association. On retrouve du reste cette caractéristique dans

d'autres SEL des hauts cantons ruraux de l'Hérault ("SELd'abord" du

Saintponais/Minervois), dans lesquel la pluri-appartenance des administrateurs à nombre

d'associations leur vaut d'être à la croisée de plusieurs réseaux de relations.

Cette intégration dans l'espace local leur permet, par la voie d'une cooptation discrète,

de recruter chaque année parmi les adhérents, quelques nouveaux pour former le cercle

des animateurs /administrateurs complémentaires. Parmi ces derniers, certains qui

témoigneront d'une implication particulière pourront relayer ultérieurement les anciens

qui voudraient se retirer.

"La gestion, c'est difficile dans n'importe quelle association, car il faudrait que chacun fasse un travail en accord avec ses compétences comme dans le privé ; là, on prend la personne qui veut bien y être, même si elle a peu de compétences. Dans les associations, il n'y a pas beaucoup de gens qui se bousculent pour venir

Cf J Bazin : 1979, "Le bal des sauvages", p 204, in JL Amselle : "Le sauvage à la mode". Ed. Le Sycomore

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travailler au bureau. Très souvent les gens viennent à l'association car on y trouve des gens intéressants, et ça fait que dans les réunions de conseil d'administration, on tchatche sur des choses qui n'ont rien à voir avec le SEL. C'est très agréable, mais il n'y a pas une pratique de la vie associative suffisante, pour que les gens disent : maintenant on arrête de discuter et on bosse".

La faible spécialisation "administrative" des animateurs et des administrateurs du SEL

de la garrigue (qui sont très libres avec la définition des fonctions associatives

traditionnelles en président, trésorier et secrétaire), est largement conçue comme une

rupture avec les usages de la culture associative dont il est de la vocation de rendre

possible la division technique et sociale du travail. Les membres du bureau, même

réunis en instance de décision, s'inscrivent aussi dans l'échange individuel ; et toutes les

occasions de dialogues (synonyme d'échanges) sont profitables quand bien même elles

apparaissent comme un parasite à la communication et à la rationalisation

administratives.

Et si quelques regrets peuvent émailler le discours des administrateurs qui déplorent la

lenteur des décisions et des actions, le valeur de la relation humaine reste ici largement

invoquée pour justifier toute dérogation aux modèles de performances extérieurs. Cette

image de l'administration interne est congruente à la continuité qu'elle prétend assurer

avec les adhérents. Réduction de la notion à sa forme la plus inoffensive, cette

administration tente de se situer ici aussi hors du registre du pouvoir mais très'

différemment du SEL de la Mer largement travaillé par le spectre de l'État.

"En fait le SEL, c'est pas le Conseil d'administration, il est ce qu'en font les adhérents, et les administrateurs n'ont qu'à sentir où les gens veulent aller, puis gérer pour que ce soit possible. Tu diriges pas le SEL, tu te laisses diriger, guider par lui. Tufáis ce qu'il faut pour que ça continue dans le SEL, où il veut aller. Par exemple ici, l'écrit marche pas très bien, c'est beaucoup l'oral. A la campagne c'est toujours différent de la ville, de Montpellier par exemple. C'est toujours difficile défaire du nouveau, il faut te baser sur quelque chose qui existe déjà, des rencontres, des soirées-veillées. Alors que dans d'autres SEL comme à Paris, l'écrit marche bien. Ici tu lances une information dans le Journal du SEL, les gens te posent des questions ensuite sur la même chose, et tu leur dis "c'était dans le journal", il te disent je l'ai pas lu, j'ai pas eu le temps."

Cette exigence de continuité et d'identification profonde entre les adhérents selistes et le

bureau/conseil d'administration reste une norme collective qui est au centre de toute

l'organisation. Elle tente de s'opposer à toute notion de frontière entre "un intérieur et

un extérieur", elle veut résister aux effets de traduction/représentation pour reprendre le

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concept de Latour qui filtrent et hiérarchisent les territoires, les hommes et les informations.

Ainsi, concernant le rapport à sa zone d'implantation, on ne s'étonnera pas que le SEL vive cette dernière avec le souci de l'accommodation et du "ménagement" comme dit Michel Marié84. Sensible à une culture rurale vécue comme ne favorisant pas l'innovation, les administrateurs d'origine allogène, reprennent donc à leur charge une version patrimoniale du rôle du SEL qui réintègre la fonction traditionnelle d'interrelation et d'entraide assurée par la "société du petit village". Le seul moment où la fin du SEL est envisagée, advient dans l'hypothèse imaginaire où la localité renoue enfin avec cette fonction.

De la même manière, l'accès direct aux selistes par la voie du téléphone ou par le contact en face à face, apparaissent comme les formes les plus valorisées de mobilisation du groupe. De là s'explique un recours important au téléphone85, et une sensibilité particulière à ses tarifications. Les relations de voisinage sont donc ¡ci vécues comme des formes traditionnelles de la sociabilité et de l'entraide, à reproduire.

Dans le même sens, les administrateurs en rupture totale avec la tradition associative qui les voue au bénévolat, sont ici traités sur un mode ambivalent. Leur temps de "travail administratif est compensé par l'attribution d'une valeur en "grains de sel", équivalente à la moitié de celle qui règle les échanges des selistes. Une heure de travail de gestion administrative est égale à la moitié d'une heure de tout autre service. Singularité du statut d'administrateur que les animateurs du SEL de la mer86 qualifiait de "fonctionnaires", cette évaluation est ici plus sereine puisqu'elle vise à réintégrer les administrateurs .dans le cycle des échanges collectifs, et à instaurer cette continuité perçue ailleurs, tout en leur reconnaissant une dose de bénévolat. Une innovation intermédiaire émerge ici, qu'on peut situer entre le modèle associatif traditionnel fondé sur le bénévolat des administrateurs, et le modèle d'une administration "rémunérée".

On peut aussi s'interroger sur cette convention qui, organise un véritable partage87 entre les services administratifs et les autres services proposés dans l'annuaire, et se demander

8 4 Cf Marié M: 1982, "Un territoire sans nom", Méridien. 8 5 Cf Lauraire R : 1987, "Le téléphone des ménages français : genèse et fonctions d'un espace social immatériel", La documentation française. 86Au moment où nous bouclons ce rapport, nous apprenons que le projet de rétribuer en vagues les personnes qui assument un travail administratif au SEL de la mer, doit être discuté en collectif, envisagé par l'un des principaux coordinateurs, ancien chômeur qui travaille depuis quelques mois ! 8 7 Le SEL du Minervois échappe à ce problème en renonçant à cette dose de bénévolat ; une heure de travail administratif - une heure de service quelqu'il soit.

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quel postulat au sein des administrateurs, leur adjoint de renoncer ici à la règle générale de la valeur des échanges.

"// y a eu une grande discussion dans le SEL pour ce problème. Il y avait ceux qui disaient : c'est bénévole, et de l'autre, il y avait ceux qui passaient beaucoup de temps et beaucoup d'heures de travail devant l'ordinateur par exemple. Ca devient gênant de ne pas compter tout ce temps . C'est pas comme ceux qui font une heure par ci, une heure par là. Donc on a coupé la poire en deux. Mais les gens voulaient que ce soit payés, sans nécessairement que ce soit 60 grains par heure, il fallait que ça compte. On a trouvé une formule, c'est payé à moitié, à moitié bénévole. Mais il arrive du coup que des adhérents qui ne sont pas au CA, refusent de travailler pour le conseil d'administration car c'est pas assez bien payé en grains de SEL."

En fait tout se passe comme si le service administratif assuré par ses animateurs n'était pas considéré comme un véritable échange, comme si le collectif dont il est issu, devait payer par un surcoût négatif, sa participation insuffisante au modèle canonique de la relation interindividuelle personnalisée de l'échange réciproque. Du reste, au sein des administrateurs, cette "attribution" de crédits en grains de sel n'est pas mécanique, ces derniers doivent en faire la demande, dans un élan qui signale davantage leur identité personnelle que leur fonction.

Cette tâche d'administration88 n'est pas "rétribuée" par le système du "puits sans fond" qui délivrerait le SEL de tout principe d'équilibre général entre dépenses et recettes en grains de toute l'organisation. Les adhérents du SEL de la garrigue une fois par an, voient prélever en effet automatiquement sur leur compte 60 grains chaque année, (l'équivalent d'une heure de service) qui sert à supporter le "coût" de l'administration, l'équivalent d'un impôt qu'il n'est pas question de qualifier ainsi.

"Le refus de l'association de refuser le système du puits sans fonds venait de la volonté de refuser qu'à un moment donné, tout me monde se retrouve avec des soldes trop positifs. Tout le monde allait être motivé à dépenser ses grains sans être motivé pour en gagner. C'est pour ça que le prélèvement annuel de 60 grains

88 L'instance administrative du SEL de la garrigue, est composée des trois figures associatives traditionnelles : Président, Trésorier, Secrétaire, complétées par d'autres membres non qualifiés associés à une fonction particulière. Ainsi, si la tenue du courrier, le recueil des adhésions, de la préparation de l'annuaire, de la centralisation des informations sont assurées pas la secrétaire, les publications (l'Annuaire et le Journal du SEL ) vécues comme des charges consommatrices de temps sont le fait de deux autres personnes. La responsabilité des foires (2 ou 3 fois par an), la recherche des lieux, leur publicité comme les invitations sont traitées par deux autres membres. La rédaction des comptes-rendus de réunion (compte-rendu relu par deux personnes), et le rôle de "banquier des grains" font l'objet d'un poste de travail. La médiation des conflits, fonction jamais utilisée jusqu'ici, est théoriquement tenue par le seul individu qui travaille en libéral.

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a été crée. Pour les gens, c'est évident qu'être en négatif, c'est une motivation pour vouloir être en positif."

Ce budget sert à "compenser" les services administratifs des administrateurs. Comme s'il fallait à tout prix raccrocher par une relation organique, l'administration du collectif (et sa valeur quantifiée) au reste des échanges89 dans la tentative délibérée de créer l'unité sociale du groupe. Il sert aussi dans le même sens à prendre en charge le déficit des selistes qui quittent le SEL avec un solde négatif. Ce traitement budgétaire identique des abandons et des administrateurs n'est donc pas sans poser question au plan du sens implicite qu'il véhicule.

L'équilibre nominal de ce compte administratif est largement déficitaire (-4000 grains), à cause de départs récents d'adhérents qui n'échangeaient pas. Ce résultat n'est pas nécessairement vécu comme dommageable à l'organisation car "il ne correspondait à aucun échange concret"

Comme dans le SEL de la mer, la disponibilité des individus est une valeur qui est mise au premier rang des préoccupations des administrateurs, mais elle n'est pas traitée ici sur le même mode sociologique sensible. Cette "distancé" est probablement le résultat de situations sociales en général mieux insérées au,sein des administrateurs où l'on trouve deux rmistes seulement, le reste du CA étant composé de femmes-au-foyer ou' d'individus installés en libéral.

Cette prééminence d'administrateurs qui disposent d'un status social que l'on retrouve par exemple presque dans les mêmes termes au "SEL d'abord", (contrairement au SEL de la mer depuis le départ des salariés et des professions libérales du noyau des leaders) n'est donc pas sans effet sur la gestion de l'organisation, sur le maintien du statut associatif et sur la conception du rôle de régulation du conseil d'administration. Cette composition du Conseil d'administratio,n traduit un équilibre singulier en favorisant la permanence de personnes qui ont, en même temps "du temps et des biens", puisque les professions libérales en question et les femmes au foyer incarnent l'entre-deux de l'organisation.

Dans cette culture de la régulation, la tenue des comptes en grains, seule véritable formalisation administrative apparaît comme l'instance de la loi, elle cautionne réellement la parité du grain mais aussi sans doute la légitimité même de l'institution

89Le SEL D'abord du Minervois ne prévoit pas cette règle d'équilibre collectif, en dépit de services administratifs payés en grains.

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collective. C'est même son existence qui fait que les échanges "comptent" pour nombre

dé selistes, surtout en début d'adhésion. Cette fonction de comptabilisation des grains

demande un travail peu gratifiant, et surtout peu valorisée90 même si elle est reconnue

comme nécessaire.

On peut du reste se demander plus généralement si, considérée sur la durée, cette

formalisation n'est pas plus facile à maintenir en général au sein de SEL qui accueillent

au CA des individus disposant d'un statut social, dont la culture (du travail ou de la

gestion familiale) les a habitué à rationaliser la gestion de leurs temps et de leurs

ressources. Même si, comme ce fut le cas au début du SEL pyrénéen91, les exigences

symboliques liées à cette comptabilité, furent exprimées d'abord par des individus

administrateurs en situation d'exclusion, pour qui il fallait que "le service administratif

compte".

"Les SEL où il y a beaucoup de rmistes, ils sont plus décoincés peut-être (rire). Je constate que les SEL plus bourgeois dans des coins où il y a moins de nécessités, ont plus de règlements et font plus attention à certaines choses de principes, comme à Dijon, alors que les SEL plus nécessaires, poussent et évoluent comme des herbes folles. Ils essaient pas de prévoir et de fixer des règles. "

Cette interrogation sur les formes d'enregistrement de l'activité d'échange va donc bien

au delà de son effet comptable. Elle traduit une conception du collectif, et une idéologie

dominante au sein des leaders du SEL. En même temps, elle est un repère, un "tiers

inclus" pour reprendre l'expression de Maurice Godelier92. Dans les SEL où les liens de

personnes à personnes sont la forme dans laquelle est vécue la plus grande partie des

échanges - mais aussi des rapports sociaux -, comment penser la reproduction sociale

sans une institution qui traduise la règle collective, fixe sa mémoire et donne à voir ses

effets (comptables)? La comparaison entre le SEL de la mer et celui de la garrigue

présente dans ce sens, deux choix différents dans la représentation du collectif, du

pouvoir, autant du reste que dans le registre proprement gestionnaire. Produire de la

dépendance et de la solidarité collectives, sans empêcher l'autonomie du sujet tout en

l'inscrivant dans le collectif tel est la quadrature du cercle de ces organisations. On voit

de suite que ces limites sont celles des sociétés fonctionnant à l'échange réciproque.

Mais ici les enjeux sont loin d'être les mêmes, puisque les sociétés "maussiennes"

9 0 Les administrateurs du SEL de la garrigue nous le confieront, sans doute persuadés que la tenue des comptes serait mieux assurée par quelqu'un qui avait un intérêt scientifique à les connaître (du reste signalé des le début de l'enquête) 9 ' Cf Servet JM: Opus cité 92Cf Godelier M : 1996, "L'énigme du don", Fayard, p 61.

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subordonnent la survie même des individus au fonctionnement de l'échange, ce dernier X inscrivant la totalité du social.

Une autre question émerge de la comparaison avec les exemples que souligne Maurice Godelier : dans certaines sociétés à échanges agonistiques disposant de "personnes morales" telles clans, tribus, familles, ce sont ces collectivités qui échangent, soit par leurs groupes soit par leur représentants ; et la mémoire de l'échange pour ne pas dire sa loi, s'impose collectivement à travers le sens partagé de la dette et des objets inaliénables qui doivent revenir à leurs propriétaires initiaux, à l'issue d'une circulation bien maîtrisée. Sans tomber dans des comparaisons inopportunes qui décèleraient un principe agonistique dans le SEL, de tels questionnements interrogent cependant sur le rôle des groupes sociaux partenaires de l'échange.

On pressent déjà que leur identité le plus souvent diluée sinon niée, ne peut pas être écartée de l'analyse. Et leur participation à la production de cette micro-société qu'est le SEL, témoigne déjà d'alternatives organisationnelles. Ces tendances organisationnelles restent bien sûr fragiles et instables.

La capture momentanée de ces instants d'équilibres (organisationnels) pose à l'analyse anthropologique quelques problèmes méthodologiques. L'instabilité de son objet, sa transformation permanente vont contre les tentatives qu'elles se donnent, d'en arrêter une image. Si pour Godelier, "on peut être certain que tout n'est pas jeu dans ce jeu ... et qu'il y a beaucoup de nécessité enraciné dans le social", les SEL nous interrogent sur la part de jeu qu'il y a dans les SEL.

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52

2° partie

Les échanges entre réseau autocentré et réseau ouvert

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1 '•- Les échanges réciproques et les valeurs collectives

1.1- Des annonces aux pratiques :

L'analyse des usages et des représentations des échanges actuels laisse dans l'ombre l'effet des sédimentations successives que les diverses générations de selistes ont pu générer. Pourtant dés que l'on aborde sur un mode narratif l'évolution de chaque SEL, l'évocation "de groupes d'usagers" successifs, divers par leurs offres ou leurs demandes, permet aux selistes de tracer une image du changement interne.

Au Sel de la mer par exemple, l'époque primitive des projets d'une économie alternative "'' que l'on voit facilement abordée chez les "vieux" selistes où il était question de "services purs et durs", se trouve rapidement concurrencée dans les souvenirs par la venue d'un groupe de mères célibataires en situation précaire dont les soucis se ' tournaient vers le baby sitting et la garde réciproque des enfants ; on apprend ensuite que cette époque a précédé celle des services de soins à la personne qui, à un moment, se sont multipliés avant que n'arrivent quelques selistes qui maîtrisaient l'informatique et les logiciels de base de données aptes à organiser rapidement l'annuaire des annonces.

De nouvelles demandes se sont focalisés ensuite sur les services de bricolages et de-petites réparations identifiant là des groupes de résidents installés dans de vieux appartements montpelliérains souvent à faible loyer mais sans conforts et presqu'insalubres. Ce type de prestations est apparu plus fréquemment au moment ou des sorties de week-end pour les selistes montpelliérains commençaient à s'organiser. Plus récemment, des demandes de gros travaux immobiliers ont frappé les esprits sans nécessairement rencontrer leurs offres salvatrices.

Au sel de la garrigue, un même récit symétrique évoque l'époque des fondateurs qui avaient réuni des métiers très divers, celle des jardiniers qui proposaient leurs légumes, l'exemple des mères dont les besoins de gardes d'enfants nombreux et répétés, les amenèrent à s'endetter plus que de raison, puis la venue de quelques nouveaux aptes à maîtriser la PAO ou "surfant" sur les télécommunications pour accéder au site internet de SEL'idaire.

Ces vagues d'annonces qui traduisent de véritables mouvements conjoncturels, ne sont jamais aussi qu'une des formes par lesquelles chaque selistes se donne une vision de la totalité, faute d'autres informations ; elles forment en outre autant de moyens pour les adhérents du SEL d'inscrire de l'historicité dans le développement de l'organisation et

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d'y situer leurs propres rôles. Ces évocations tout en signalant des évolutions concrètes, peuvent difficilement rendre compte du "trafic transactionnel" de chaque SEL.

Comment sont enregistrées les annonces dans la durée?

Nombre d'offres et de demandes exprimées en début d'adhésions se retrouvent souvent reprises telles quelles, à la demande des selistes ou à l'initiative des administrateurs, dans les publications ultérieures des annuaires. Du coup, malgré l'insistance des administrateurs à voir ces informations actualisées ou transformées le plus souvent possible, pour accroître leur diversité, les adhérents prolongent le plus souvent plusieurs fois les mêmes annonces, à l'identique. Et ceci sans doute plus encore au SEL de la mer qu'à celui de la garrigue93. Cette attitude fait l'objet d'interprétations diverses, dans lesquelles les critiques en terme d'inertie ne sont jamais absentes, en particulier à Montpellier. Cette faible évolutivité des annonces a pour conséquence de rendre sans doute plus difficile l'adéquation de l'offre à la demande94.

A examiner en détail les annonces des SEL étudiés, on reste pourtant surpris, soit par la singularité de la plus grande partie des offres et des demandes énoncées qui tient soit à leur surspécification, soit au contraire à leur niveau de généralité qui exige nécessairement alors des précisions à demander à leurs auteurs. Comme si l'exigence d'individualisation avait, dans chacun des deux cas, choisi son mode d'expression, immédiate ou différée.

Au SEL de la mer, certains animateurs devant la fantaisie de certaines annonces ont même tenté de codifier ces annonces dans l'annuaire, rendant ces stratégies de présentations souvent abruptes (soit par une correction qui recherchait l'économie de l'expression soit par une contraction de sens rarement totale). Certains changeurs considèrent en effet cet annuaire comme une forme d'interpellation d'autrui qui n'exclut pas la mise en œuvre d'autres offres ou demandes pas nécessairement signalées, et qui peuvent naître d'une rencontre réussie.

L'annuaire qui renvoie à l'image la plus emblématique des échanges réciproques, est donc loin d'incarner l'image d'un marché virtuel, dont la "vitesse de circulation" des annonces traduirait la performance commerciale, en référence aux concepts traditionnels

9 3 Ce dernier reprend mécaniquement les offres et demandes des selistes trois fois seulement sur trois annuaires successifs. La règle est d'en redemander ensuite de nouvelles, contrairement au SEL de la mer qui les prolongent d'un annuaire à l'autre indéfiniment, sauf avis contraire. 94Certaines offres ou demandes ne sont pas conjoncturelles et font l'objet d'un besoin ou d'une compétence permanentes. Ainsi pour s'en tenir à quelques exemples, à coté d'un besoin de réparation ponctuelle de carreau cassé, il n'est pas rare que l'on trouve des demandes et des offres de cours d'utilisation de logiciels qui s'inscrivent dans la durée quand ce ne sont pas des demandes de transport permanentes sur quelques destinations.

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de l'économie des transactions. Tout se passe même comme si l'écriture de ses annonces

s?était organisée le plus souvent contre le modèle des "petites annonces" usité dans les

journaux locaux, située en position intermédiaire entre le général et le particulier. Cette

écriture ordinaire est donc difficile à distribuer dans des catégories plus générales

destinées à organiser leur classement. Dans les annuaires d'annonces, ce dernier apparaît

pour cette raison toujours un peu hétérogène.

Ainsi pour s'en tenir à un exemple, la rubrique regroupant "soins-du-corps /santé"

permettra-t-elle au SEL de la mer d'y regrouper sur une liste à la Prévert : les massages

(thaïlandais, harmoniques ou psycho-énergétiques) et l'usage des huiles essentielles, les

médecines alternatives (séances "Fleurs de Bach", homéopathie, et acupuncture,

initiation à la médecine chinoise,...) les ateliers tai-chi, qi kong, Shiatsu, reiki ou ceux de

Maître Chi Rong, les techniques de développement personnel (Alexander et autres), les

coupes et teintures de cheveux, l'initiation au yoga, l'épilation et les soins esthétiques, le

maquillage, le travail sur la voix et la respiration, quand ce n'est pas ...l'utilisation d'un

bain à bulles.

Cette diversité qui devient alors un défi à l'analyse, n'est pas vécue comme un problème

pour les concepteurs des annuaires ; l'hétérogénéité apparaît au contraire comme une

richesse qu'il n'est pas question de censurer, d'autant que de l'annonce écrite au service

concret, le trajet n'est pas si évident ; il est même vécu sinon comme une épreuve en .

tout cas comme un acte volontariste de l'adhérent dont il ne faut pas sous-estimer

l'effort. D'autant que les premiers contacts et "les premiers rendez-vous par téléphone

sont souvent assurés par ceux qui en ont le plus besoin", au delà des initiatives des

selistes engagés qui se font un devoir de contacter les nouveaux et qui peuvent supporter

des coûts téléphoniques non négligeables.

"// y a des gens qui ont accepté d'écrire des annonces types cours de photos ; tu leur téléphones, ils ne sont pas là et ils ne te répondent pas même si tu leur laisses un message sur leur répondeur, et même si tu leur laisses un message plusieurs fois. Ca dissuade les nouveaux, surtout si ça leur arrive plusieurs fois de tomber sur un répondeur et de ne jamais avoir de réponses. Après ils se plaignent...et le SEL se fait une réputation. Et ça arrive souvent au SEL de la mer".

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/

Exemple d'annonces du SEL de la Mer

»Co-voiturage pour Amsterdam > 2IÔ »Trajet MTP/Paris/Angers/Öarcelone/Öruxelles > 221 'Trajets en voitures : Montpellier/Lyon le week end en général > 230 »Transport éloigné pour gdes villes > 3 »Trajet pour Littré (mai) pour Inter SEL > 239

CONTACTS, RENCONTRES ET +... »Adhérents à AUS, ASVAN, ALYCS dans un SEL (Urgent) > 21 ô »Changer le monde > 149 »Trouver un espace disponible pour exprimer ce qui sort du plus profond de votre coeur > 211

»Nouveaux contacts, discussion, échanges > 211 »Week-end à la campagne > 169 »"Le pot-au-feu du samedi"- repas amicaux > 16

»Sorties en ville : cinéma, théâtre, etc.,. > 169

MUSIQUE. »Pratique vocale > 227

»Apprendre l'accordéon > 232 »Violon 1/2 ou 1/4 > 21Ö »

»Cherche quelques cours de guitare > 177 »Participer à un groupe'de'chant Gospel Spiritual > 213 Musique à enregistrer (Bretagne & Irlande) > 35 »Ch. contacts musiciens(nes) pro-mouvance ethnique, surtout balkanique, jazz, bossa-nova, chansons > 95

Ces formulations doivent donc être considérées sans doute autant comme l'expression

d'un besoin déclaré, que comme un forme de "présentation de soi" dont le rite de

passage déjà évoqué peut orienter le sens, d'autant qu'elles sont, bien sûr accompagnées

du numéro d'identification de l'adhérent ; et le jeu de nombre de selistes consiste bien

sûr à détailler ces informations comme autant de pistes qui conduisent à saisir quelque

chose de l'individu qui les présente, en particulier quand il est nouveau.

Au SEL de la garrigue, par souci de rapidité, les annonces sont de moins en moins

reprises dans les termes où les écrivent leurs auteurs, quelquefois, au risque d'approcher

le style télégraphique des petites annonces des gratuits locaux . Cette "traduction" est

aussi interprétée pour certaines demandes, comme le signe de démarches plus

utilitaristes. Mais de manière générale, les domaines abordés par ces annonces

témoignent aussi explicitement des registres sociaux dans lesquels les selistes

s'autorisent à définir l'expression de leurs besoins comme de leurs propositions. Et dans

ce sens, tout le monde n'est pas nécessairement logé à la même enseigne.

"Au début, j'avais peu de demandes à écrire car je me voyais mal faire des demandes qu'il n'y avait pas déjà sur l'annuaire. Comme par exemple, demander du riz ou à manger. Je ne savais pas que beaucoup de gens du SEL étaient dans une galère dramatique, comme moi. Je croyais que le SEL c'était que des échanges relationnels, amicaux avec de petits services, comme le massage, la peinture..."

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y

En réalité, l'expression des demandes ou des offres alimentaires de base est toujours

possible, en particulier dans les rubriques "agriculture, jardinage" ou "cuisine,

alimentation" ; elle est souvent nuancée par une spécification (bio ou ponctuelle) qui

réduit dans le texte une portée sociale qui, dans la réalité ne fait aucun doute.

On peut se demander si cette euphémisation n'est pas liée aux spécificités sociales des

animateurs rédacteurs95. Les administrateurs des SEL enquêtes sans s'opposer à ce type

d'annonces, renvoient souvent leurs auteurs à des solutions immédiates96 que l'annuaire

ne peut proposer à court terme : trouver à s'employer chez un agriculteur qui offrira des

légumes en contrepartie, ou proposer une invitation momentanée à domicile. Il reste que

ces annonces sont marginales. On peut faire exactement le même constat pour

l'hébergement durable qui confirme l'exclusion des SDF hors du champ social des SEL

Le SEL de la mer et le SEL de la garrigue qui, chacun indépendamment l'un de l'autre

publient début 2000, deux annuaires, affichent deux profils globaux comparables au

plan des offres toujours supérieures en nombre aux demandes ; une inégalité qui

apparaît comme assez constante mais qui traduit exclusivement la richesse de leur

diversité sans préjuger de leur adéquation.

Cette tendance est bien évidemment réinterprétée au sein des SEL, et dans celui de la.

garrigue en particulier, par la représentation selon laquelle : "on est tous conditionnés

par notre société, et cela nous pousse à proposer toujours plus que ce que l'on

demande, car on a honte d'être endetté et c'est pareil pour les soldes des comptes

individuels que les gens essaient de garder positif alors que ce qui compte, c'est de

multiplier les échanges".

Pour certains militants du SEL de la mer, "les anciens anars qui ont fondé le SEL avaient pour les 3/4 des problèmes de survie, plus importants que tout : tout ce qui représentait l'économie, le politique et le social les faisait voir rouge ; les plus virulents ont quitté le SEL et sont partis à LCR. Ils ne souhaitent pas être identifiés et l'association non déclarée est de leur fait, car ils ne souhaitaient pas rentrer dans une structure quelle quelle soit ; ils sont partis au sens administratif car ils n'acquittent plus leur cotisation, mais si tu le leur dis, ils te cassent la gueule. Ce sont des cas sociaux, il y a des SDF, des marginaux de la Maison bleue, du squat de st Charles! " Illusion militante ou réalité, ce mythe d'origine pèse lourd dans la mémoire collective du SEL. 9 6 On peut du reste se demander si ce traitement n'a pas un effet réel sur l'identité sociale des adhérents du SEL, en dissuadant les adhésions des individus les plus nécessiteux. Ce problème semble moins sensible en zone rurale des hauts cantons de l'Hérault (au SEL d'abord par exemple) où le jardinage et les produits vivriers assez répandus, minorent les effets de la pauvreté.

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• •

Janvier 2000

SEL Garrigue

SEL Mer

Mars I9999 7

SELGarrisue

SEL Mer

Les annonces

01'fres

334

246

292

332

des svstèmes d'échanges locaux

demandes

306

182

268

213

adhérents

97

72

98

252

En 2000, le SEL de la mer qui a réduit le nombre de ses adhérents, se retrouve avec le même taux moyen qu'au SEL de la garrigue, de 3,5 offres par personnes. Au plan des demandes, ce SEL urbain affiche une moyenne de 2,5 demandes, contre 3,1 au SEL rural ; les besoins de services et de biens en ville semblent donc inférieurs du point de vue de leur volume, à ceux signalés dans l'arrière-pays. En fait le SEL rural (à la différence du SEL de Montpellier) fait une place importante aux objets offerts et demandés ; ces derniers composent même plus de 10% des offres et plus de 20% des demandes.

Légende :

Offres demandes Adhérents

9 7 C'est peu avant cette date que le SEL de la Mer nettoie ses fichiers d'adhérents et leurs annonces pour n'y plus laisser que les selistes à jour de leur cotisation, et localisables.

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SEL de la Mer SEL de la Garrigue

10 premières offres : 10 premières offres :

Gmkf(f0$wtst>t$>U(kit%t&âv 24 Offm •

. Bricolage,, plomberie, conseils _appart, ,21 ^MM_

Goußdekjiguesdivases,üaJui 21

. Intaipn% lc®cH«tJi?cxiaxte/,,,,,,.,,,.,,,,,„„„„,m .„,.,,„,.,J$.:..

Jaidinage ou censéis, pians, boutures 17

> Nfessag aoùiducapSfdévefcppasai

^ys^:„.,m.,.„..„..,...m.^...,.,.,.,„„..,^.^ .... ,,.«, JïL.,.,....,,

Produits bbfcuisme : cous ou préparation _ 12

,™J?eijieö3gemenf et .transports. „ . . .„„ . „.„.. „.„JA,.,.,.. ,,«,..

Objets et équipements 8 (hors produits vivriers)

.„jfJouturje, rep^ssagev sxénage^courses,^^,^,,^, ^ J , ,„„ ^

10 premières demandes

Objets et équipements 12 (hors produits vivriers) demandes

„JBrjçoJagesjtpovatfon habitation. v „.,^„„l,r„„,..„„Ji„„ ,.„„..

Ccuisdelarç^divasesetccnvasaticn 21

lJ&Qâai |s ,cmsl^

Couture, lessive, repassage; trtot ^12

; J r # t a t a g i œ H a p E « ^ ^ __«™^

AutorrocAébccriseilscuiépararicn 9

;„ jSoraeGuliui çflnceitisipo; ™. „,„^M.,„,.„„„ ,^.%.^,^,.„

Héberç^rertlccauxréunkncotation 8

Ccusd'aitplastíque,dephoto,aitisanat 8

üft/ítfv #í équipement? 43 (hors produits vivriers) Offres

Cotise ils, jardinage ou agriculture : \ _ 36

Rénovation et bricolages appart. 27

Cours de, langues> traductions; „.,„„,,.,,., ............ 21, ,. ,

Gardes d'enfants /soutien scolaire : 21

PioAaisalirfedaiits, î%ins> voMIfeset piafs çuM^cuço^^cuftïtej,^„..„„„„„„i, , ,„,„, „ .„..„;„.,„„...$..„„„•„.„..

CousoesolÊgeetd'insiiumaTtsdiveis 15

,BJiari^çur^r^K7/œ,erat#tyjd^

Savoirs professionnels 13

Jüqípt«#toga7T^^ ,,„ J3,„_ „.,

10 premières demandes

Objets et équipements _ 68 (hors produits vivriers) ¿mandes

,,Bripdagstr^rré(^qxfi^^ .„„_„.52^ ,,^

Mlinage,agrhjlb]re^érjRïEsaiLaideœccnseil 39

PK^afeiert^î^eçlégaT^,m^ysB„^(^>, i, , „ , 2&.„.,

SoirBduccips,iehx:ïxTB,thaapisdi\eracs 14

W ^ . b ! Ä . q F £ » ^ ^ „ J 2 . _

K7cuœrmsiquesaiviléQnTagnétD,hifi 12

i n s t j ^enß divet^ .coujs .^^

LogEniiiiiérjagttmrxr, remise 10

Cours de langue, e.f£Q$yersatiqr^ ,'.„,.<,„„„.., .„,„.„,,,. A. ...,„„.„.

Conseil ou aide mécanique/vélo/auto 7

Les différences manifestes entre annonces dans les deux SEL, sont sans doute à référer à leur origine rurale ou urbaine. Si l'on compare le rapport de la demande à l'offre disponible pour chaque type de biens et de services figurant sur l'annuaire des deux

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SEL, quels sont les types de services qui offrent la plus grande rareté et dont la demande est supérieure à l'offre?

On constate que dans les deux SEL, certains types de demandes sont toujours supérieurs à l'offre, insuffisante : le besoin de bricoleurs - maçons, électriciens ou plombiers- (ou de conseils de bricolage et d'aménagement) destinés à réparer ou à rénover l'habitat, (même si les ruraux sont manifestement plus demandeurs). Ces travaux de bricolages, d'aménagements de maison ou d'appartement qui traversent de manière prioritaire le SEL urbain comme le SEL rural, révèlent ¡ci à l'évidence entre autres98, les besoins liés aux pratiques de déménagement/aménagement, signes de mobilités géographiques réelles. Ce qui explique leur survalorisation dans les représentations internes du SEL de la mer.

"Dans les SEL urbains où il y a peu de personnes manuelles, il y a plus d'échanges immatériels, alors qu'on a plus besoin d'échanges avec des manuels pour les services. La plupart des gens sur l'annuaire, ils ont besoin de quelqu'un qui réparent leur poste de TV, la radio, la voiture, mettre trois bouts de papier peint dans leur chambre, changer des bougies de voiture, changer un carreau., c'est pas comme ça à la campagne. "

Ce n'est pas un hasard du reste si le service de déménagement/aménagement en particulier au SEL de la mer est particulièrement valorisée en particulier au sein du groupe des personnes en difficultés, car s'il requiert la participation de plusieurs adhérents qui peut même conduire à l'organisation d'un repas commun, il incarne de la manière la plus manifeste l'opération symbolique qui permet au sujet de trouver sa place dans l'espace", anticipation souhaitée d'une intégration plus précise dans la société elle-même.

Mais les deux SEL paraissent spécifiques en donnant à voir des demandes peu satisfaites qui leur sont propres : les besoins de produits alimentaires et de fruits comme de soins du corps caractérisent d'abord le SEL de la garrigue, signes manifestes de grande précarité mais aussi de problèmes de santé que certains adhérents sont loin de dissimuler. Dans le SEL urbain, les demandes de repassage, de couture et de ménage,

9 7 Les offres et demandes de massage et de soins corporels, de thérapie naturelle ou de spiritualité, les annonces de rénovation et de réparation de l'habitat, celles qui traitent des espaces à entretenir par le jardinage, ou les formes de prolongation de soi à travers les enfants qu'il faut garder ou former, montrent que pour nombre d'adhérents en situation d'anomie, se joue ici un enjeu imaginaire visant à l'étayage du moi, ou à sa réhabilitation/reconstruction incluant autant ses dimensions physiques que ses composants intellectuels et moraux et ses supports accessoires. Ces renforts identitaires rappellent ceux que J. Birouste évoquent pour les personnes âgées. (Cf 1982, "Comment la restauration de leur domicile contribue à l'identité des personnes âgées", in Revue "Psychologie et éducation" Volume V, 1 : p 41-53.) 9 9 Cf Desjeux D, Montjaret A, Taponier S : 1998, "Quand les Français déménagent", PUF, p 118.

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comme les besoins de réparations mécanique auto ou moto, les hébergements traduisent une demande incontestable.

Enfin ces deux SEL s'opposent sur des demandes particulières : les cours de langues par exemple qui, au SEL rural font l'objet d'une offre abondante, sont peu demandés alors que leur équilibre est théoriquement réalisé au SEL urbain. Les cours et les aides informatiques dont la demande est a peine supérieure à l'offre en zone rurale, trouvent un situation inverse en ville et se retrouvent en excès.

En réalité, ces hiérarchies d'annonces construites ici pour l'analyse, se voient troublées dans la pratiques quotidiennes par les comportements des adhérents et les effets de leur participation à la société environnante.

Le manque de motivations à échanger100, les absences de quelques mois, l'abandon, les hésitations d'échanges des nouveaux, comme le renouvellement annuel d'une fraction importante des populations des SEL étudiés - plus encore au SEL de la mer qu'au SEL de la garrigue- perturbent l'efficacité collective des SEL. Comme du reste les pratiques d'échange localisées ("le groupe de Boutonnet" à Montpellier, ou "celui d'Aniane" au SEL des garrigues"), organisées sans en passer par le SEL, qui peuvent se constituer comme des poches isolées du réseau social fonctionnant discrètement et en circuit fermé, utilisant un vieil annuaire d'offres et de demandes, ou même sans annuaire du tout.

Les pratiques de ces derniers - que l'on appelle quelquefois les "électrons libres"- sont toujours l'objet d'un discours abondant ; soit elles encourent la critique d'administrateurs (soucieux de gestion) et sont accusées de ne pas supporter le coût des diverses dépenses de l'organisation tout en profitant de ses services, soit elles sont considérées comme un signe d'émancipation de leurs auteurs, leur permettant d'échanger désormais hors du SEL, sans nécessiter son secours, témoignant d'un comportement exemplaire en préfigurant l'entraide et la solidarité que la société devrait assurer.

Ces divers types de retraits définitifs, partiels ou implicites renvoient aux "parties immergées" des SEL comme les désignent souvent les administrateurs. Elles composent d'après les coordinateurs des SEL étudiés entre le quart et le tiers des adhérents inscrits sur leurs fichiers que ce soit au SEL de la garrigue ou à celui de la mer. Mais cette participation anomique (pour reprendre le concept d'A Touraine) est aussi le fait

1 0 0 Les "cadavres" ainsi désignés sont les cibles les plus négatives de l'organisation; Ils n'échangent pas et, le plus souvent absents de leur domicile, ils ne répondent jamais aux appels que d'autres leur font.

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d'UniverSEL, ou du Genêt lodévois. Cette donnée structurelle de la plus grande partie des SEL montre manifestement que l'échange réciproque multi-latéral prôné par les SEL n'est pas, sur la durée, un exercice si aisé, contrairement aux présupposés implicites que la presse a souvent contribués à diffuser, en particulier quand il se propose de concerner une communauté non négligeable d'individus.

Ces retraits menacent d'autant plus, qu'ils concernent un ancien chômeur qui a trouvé un emploi (ou une formation) ou qui tente de créer son activité professionnelle, dont la conséquence immédiate est de restreindre son temps de disponibilité, comme les salariés à CDD mobiles, qui sont dépendants d'agences d'intérim, quand ce ne sont pas de "petits boulots" payés au noir. Mais ils touchent "aussi les salariés ou ceux qui sont installés en libéraux, que le chômage frappe soudainement. Ces situations de changement potentiel de lieux comme de conditions sociales qui affectent une part des selistes, restent donc valables dans tous les SEL ; elles ajoutent encore pour les administrateurs à la difficulté de traiter de manière continue et suivie le flux des adhérents des systèmes d'échange locaux.

Ces circonstances entretiennent donc le plus souvent au sein de ces animateurs le besoin de connaître plus précisément leurs populations d'adhérents en particulier quand la comptabilité centrale échoue à traduire l'activité d'échange de l'organisation. Pour certains d'entre eux à l'évidence, cette méconnaissance rend donc opportunes les études, susceptibles d'être menées sur les selistes eux-mêmes. Mais le manque d'assiduité de ces derniers comme leur grande mobilité géographique qui gratifient ces organisations d'un tum-over non négligeable donnent aux projets d'études quantitatives l'allure d'un défi qu'il est toujours très audacieux de relever tant l'établissement d'un plan d'échantillonnage comme le lancement de toute enquête par questionnaires s'avèrent périlleux.

La démarche quantitative qui pourrait paraître congruente à cette "culture (atomistique) des opinions" des adhérents de SEL, se révèle donc fragile et longue à concrétiser. Le SEL de la mer, qui avant l'été 1999, lance101 une telle initiative, ne réussit102 à récupérer les questionnaires envoyés "remplis", qu'au bout de 7 mois, à l'issue de plusieurs vagues de relances successives.

1 0 1 Avec notre aide méthodologique et celle d'une étudiante en maîtrise AES. •°2 Ce travers méthodologique est visiblement aussi le propre des enquêtes quantitatives qui seront organisées par le groupe de recherche organisé autour de J.M Servet (Opus cité)

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y

1.2 - Les pratiques d'échanges et leur intensité

L'analyse des pratiques d'échanges au sein des deux SEL, a donc été obtenue soit par un comptage issu du cahier reprenant les "feuilles de richesses individuelles", gérées par les administrateurs du SEL de la garrigue, soit par le biais des réponses aux questionnaires diffusés auprès des adhérents du SEL de la Mer. Si les pratiques identifiées par le biais de la comptabilité centralisée offrent les résultats les plus sûrs, les "pratiques déclarées" rétrospectives restent le seul moyen d'évaluation dans le cas des SEL qui ont renoncé à cette forme d'administration.

Pour saisir dans la durée l'importance du nombre d'échanges réalisées dans ces deux SEL, depuis la fin de l'année 1996 jusqu'à la fin 1999, on ne peut donc que mettre en regard deux types de données hétérogènes, dont il faut prendre le rapprochement avec précaution. En trois ans, le SEL rural enregistre 918 échanges, tandis que le SEL urbain témoigne de 615 échanges, deux flux produits par des contingents de selistes qui ont nécessairement variés d'une année sur l'autre. Ce résultat confirme des conclusions déjà constatées par ailleurs, concernant la plus grande activité d'échange des SEL ruraux. Mais les deux SEL enregistrent depuis deux ans environ, une diminution très nette du nombre des échanges d'après les témoignages des adhérents les plus anciens. Le SEL de la garrigue qui a consigné chacune de ces pratiques, permet d'évaluer la situation dans la durée, en montrant une dégressivité des échanges décomptées, en 1999, confirmée dans les 9 premiers mois de 2000.

1997: 309 échanges 1998: 394 échanges 1999:215 échanges

Si l'on distribue ces pratiques en fonction des habitudes d'échanges que les selistes mettent en œuvre, on constate de grandes inégalités. Et l'on peut opposer aussi bien au SEL de la garrigue, qu'au SEL de la mer, ceux qui sont des changeurs épisodiques ou ponctuels et ceux qui échangent régulièrement. Ainsi au SEL de la garrigue, plus de la moitié (54%) du contingent a échangé entre une et trois fois, le tiers de cette population a réalisé entre 4 et 12 échanges annuels, 12% ont eu plus d'un échange mensuel. Si l'on s'en tient donc aux seuls selistes qui déclarent ou enregistrent un échange au moins dans l'année, le SEL de la mer présente dans ce sens une situation assez proche du SEL de la garrigue.

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s

Les changeurs et l'intensité de leurs échanges

L'analyse des diverses pratiques révèlent que la plus grande partie de la population (48 et 54%) des 2 SEL se contente de quelques échanges annuels, et le tiers d'entre eux environ (32 et 33%) a en moyenne un échange chaque mois ou deux mois (7 à + de 13 éch).

Au sein de la population qui n'a réalisé alors qu'un seul échange annuel, l'analyse des pratiques montre que deux situations existent ; le cas du SEL de la mer s'oppose ainsi à celui du SEL de la garrigue où les foires sont à l'origine des premiers échanges. Puisque sur les 29% des personnes ayant un échange unique annuel cette année-là, les 3/4 d'entre elles visent un échange d'objet.

Les SEL se présentent toujours comme le lieu d'échanges réciproques multilatéraux, pour éviter de tomber sous le coup de la loi qui condamne les services répétés entre les mêmes personnes, susceptibles d'être assimilés à du "travail au noir". Ce principe économique qui est repris au SEL de la garrigue bien plus qu'au SEL de la mer, se heurte dans la réalité, aux usages sociaux supposant une limite spontanée104 au nombre des partenaires possibles des échanges et dès relations sociales. Cette limite s'impose plus encore au sein des SEL puisque c'est l'émergence de la confiance entre personnes qui reste au principe de cette sociabilité.

Les échanges récurrents avec les mêmes personnes constituent dans ce sens le signe de l'émergence ou de l'existence de cette confiance. En fait, cette interconnaissance peut entraîner des dynamiques collectives très différentes, selon qu'elle nourrit des chaînages

103 Données de 1998 pour le SEL de la garrigue, sondage réalisé en 1999, visant les pratiques en cours et celles (chiffrées) de l'année précédente pour le SEL de la mer. 104 o? pors¿ M . 1981, " La sociabilité", in revue Économie et statistique, INSEE.

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de relations élargies ou qu'elle génère des fonctionnements circulaires courts, réduits aux mêmes individus régulièrement mobilisés. Les pratiques d'échanges (comptabilisées ou déclarées) révèlent ainsi des situations différentes dans la gestion des cercles habituels de sociabilité.

Si l'on isole les populations qui ont eu, en une année, plus d'un échange, pour identifier la propension qu'elles ont à s'ouvrir aux nouveaux venus, ou au contraire à reconduire leurs échanges avec les mêmes personnes, le SEL urbain montre qu'il dispose d'une moins grande facilité à intégrer la diversité des adhérents.

Les échanges avec les mêmes changeurs105 (base 100 en ligne)

Seide

lamer

Ee2à6aii i igs

De 7à 12 átonas

Ftjsde échanges

Echanges avec des changeurs

IDUS

différents

11%

11%

échanges avec 2 ou 3 fois les

mêmes

58%

33%

échanges avec 4à 6 fois les

mêmes

31%

33%

60%

échanges avec plus de 7 fois fcs

mêmes

22%

40%

Sel des

garrigues

Ratkfjes anidts

De2à6édHigEs

De7ñl2chaiüf5

HjsdelíáJiriss

Bhangs aveedes changeurs

tous

diOuenls

82%

25%

18%

échanges avec 2 eu 3 fois les

mêmes

18%

16%

18%

échanges avec 4ñ 6 fois les

mêmes

33%

29%

échanges avec plus de7fois les

mêmes

25%

35%

Si les données mises en œuvre ici donnent plus une indication de tendance qu'une évaluation stricte des pratiques, au regard de la faiblesse des échantillons, elles permettent d'identifier cependant que les selistes qui échangent souvent, n'ont pas eu tout à fait le même comportement, selon qu'ils sont dans un milieu urbain ou rural.

Tout se passe même comme si le SEL urbain avait à un moment donné, traité par ce biais le turn-over de ses adhérents106 et s'en était protégé, en resserrant ses échanges

105 Le tableau ne prend donc pas en compte les adhérents qui n'ont eu qu'un échange annuel, par définition non susceptible d'être répété.

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autour des individus les plus pratiquants ; ces derniers assurant même dans un certain

sens, la continuité de l'institution ; le rite de passage sélectif présenté précédemment

pouvant fournir l'une des raisons conjoncturelles de cette spécificité.

Ce type de fonctionnement autocentré du SEL urbain par opposition au SEL de la

garrigue plus ouvert, laisse déjà entrevoir que les représentations collectives qui donnent

du sens aux échanges, ne pourront que s'en trouver affectées.

1.3 - Les représentations de l'échange et leurs déclinaisons internes

L'unité d'échange avec ou contre le franc :

Si l'unité de compte - vague ou grain - constitue une référence comparable, censée régir

la mesure des échanges au SEL de la garrigue comme au SEL de la mer, son domaine

d'application, son caractère impératif, son rapport au système monétaire dominant

comme sa valeur libératoire et symbolique, sont vécus de manière contrastée par ses

usagers changistes, au delà des recommandations des administrateurs /animateurs.

Sur le mode de fixation des prix, les adhérents du SEL de la garrigue qui excluent

l'usage de l'argent107 dans leurs transactions présentent un consensus qui contraste avec

les selistes de Montpellier pour lesquels plus du quart d'entre eux (28%) considèrent que

la "vague" n'exclut pas l'usage de l'argent dans les échanges internes.

"J'ai appris ça à propos de celui qui monnayait ces cours de piano, quelqu'un de très doué ; il proposait pas de les échanger en vagues. On ne peut pas exclure radicalement ce type de comportement, car les gens qui pensent avoir besoin d'argent, je ne peux pas condamner ça - surtout les chômeurs -. Je ne peux pas leur faire un procès car s'ils le font c'est qu'ils en ont besoin. Tout le monde n'a pas le pouvoir d'être généreux ; celui qui a besoin de ça pour bouffer, je ne peux pas le condamner. La générosité ça demande d'avoir les moyens. Mais ce mec, il a rendu service aussi en vagues avec des déménagements. De toute façon, c'est pas quelqu'un qui fait concurrence aux professionnels. C'est plus une indemnité qu'un salaire. Mais c'est pas parce que -tu es au SEL que tu ne peux pas faire des transactions commerciales. Et le fait que les gens demandent des sous c'est parce qu'il ont besoin de manger."

106 Les réponses à l'enquête quantitative montrent que la population du SEL de la mer est le plus souvent d'origine étrangère à la Région de Montpellier. Seuls 8 % sont d'origine locale, 24% y habitent depuis moins de 5 ans, 27 % sont à Montpellier depuis une période comprise entre 6 à 10 ans, 30 % y habitent depuis plus de 11 ans. 107 Ce qui ne signifie pas que quelques tentatives en argent n'ait pas été tentée, mais si l'on met à part la prise en compte du coût de l'essence pour transport ou déménagement qui ne relève pas du service à proprement parler, ces pratiques semblent plus exceptionnelles au SEL de la garrigue.

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Cette dualité de références : argent /vagues est expliquée par certains comme le résultat

d'une "lutte de classes" qui a éclos au sein du SEL dans un contexte récent et qui peut

expliquer l'existence du rite d'agrégation sélectif. Produit d'une mémoire collective,

cette spécificité apparaît aussi, dans les propos de vieux selistes, comme le propre de

l'espace urbain108.

"// y a eu un dérive dans la population du SEL de la mer ; ceux qui étaient à cran, sans boulot ont réagi de manière anormale. Ils se sont dits : hé oui, j'ai deux systèmes : ou je rends service en réparant l'électricité de la dame et je reçois des vagues, ou j'en ai pour deux jours de boulots, ça me fait chier de bosser autant, alors que j'ai pas de fric pour bouffer. Ils ont commencé par proposer fifty I fifty, puis il y en a qui ont fait du business. Quand ils rentraient dans un appart. de luxe, avec lustre et compagnie, ça faisait drôle s'ils avaient pas soupe le soir avant. C'est pas comme si moi, je vais faire la même réparation, moi, je bouffe. Mais eux je comprends qu'ils négocient au plus haut. C'est une revanche de miséreux. La dérive est double : elle vient des chômeurs mais elle vient aussi des bourges....Ces dérives sont partout, mais dans les milieux ruraux, les prolétaires, les gens dans la misère n'ont pas les mêmes problèmes, ils peuvent bouffer et ont toujours un toit même si c'est une grange où ils peuvent dormir, comme au SEL de la garrigue. J'en connais un dans ce SEL qui n'a pas de logement depuis 4 ou 5 ans, il sait pas où il habite dans tous les sens du terme, mais il vit, il vit bien. "

Le mode de fixation du montant en vagues ou en grains des services, est vécu dans les

deux SEL comme le produit d'une évolution qui, depuis le début de l'organisation, a

connu des changements liés au caractère expérimental de cette innovation. Il faut noter

du reste que selon les SEL, cette évolution alimentée par une réflexion nationale

coordonnée par SEL'idaire, s'est poursuivie ou arrêtée à certains stades, traduisant des

choix idéologiques profonds. Ces tentatives d'innovation culturelle ont donc

continuellement été écartelées entre les valeurs de la société marchande (et salariale),

celles du don/contre-don obligataire, et enfin celles du bénévolat *109^ et de l'assistance.

Elles sont donc en prise directe avec l'effet de réflexivité issu des sciences humaines qui

ont façonné les savoirs dans le registre de l'échange.

On voit ainsi qu'après les positions primitives de certains fondateurs du SEL des

garrigues qui prônaient le libéralisme sauvage des prix en grains permettant la forme la

plus vive de l'expression individuelle et du sujet, la valeur des vagues ou des grains fut

posée à : 50 unités = une heure de service, au SEL de la mer comme au SEL de la

garrigue, quelquefois en référence implicite au prix du marché du SMIG (brut). Cette

,08En réalité, le SEL de la garrigue rencontrera auprès d'un adhérent à un moment donné, le même problème d'échange mixtes (grains et francs), il en interdira la pratique dénonçant un usage condamné par le fisc, et signalant ainsi la mise en péril de l'association. 109 Cf notre thèse sur les associations de bénévoles et les étrangers ; et la Revue "Espace et Société" n° 45 : "Prendre l'étranger à là lettre".

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valeur est du reste en usage aujourd'hui encore au sein de certains SEL de l'Hérault

comme au SEL-D'abord des hauts cantons, renvoyant à une prégnance particulière des

prix du marché. Les conventions récentes au SEL de la garrigue comme au SEL de la

mer fixent la valeur de l'unité d'échange à une minute = un grain, une minute = une

vague, même si cette règle, dans les pratiques va se voir contestée (voir dernier

chapitre).

Les referents des unités d'échange :

La relation au temps privilégiée par ces unités, au sein des deux SEL est bien sûr une

tentative délibérée pour les délivrer de l'ancienne allusion au franc, et à la société de

marché environnante. Elle se veut aussi une forme de distance par rapport à la relation

charitable.

Comment dans les usages se traduisent ces postulats ?

Dans les deux communautés, si le principe de la liberté est toujours mis au centre des

négociations de prix entre partenaires, les pratiques semblent légèrement différentes.

Au sein du SEL de la mer en particulier, une grande partie des "vieux" selistes

n'utilisent plus systématiquement l'unité "vague", considérant que cette médiation ne

vaut que pour les nouveaux venus et sert d'apprentissage à l'échange. Nombre d'entre

eux disposent de soldes personnels en vagues très positifs sur leurs "feuilles de richesse"

qui témoignent d'un crédit à venir important auquel ils accordent peu d'importance, et

difficilement compensable vu la faiblesse de leur besoin ou le manque d'offres qui

puissent leur convenir.

"L'arrêt de l'utilisation de la vague, c'est un peu ce qui se passe au SEL de la mer, car les gens ne rendent pas leur feuille de compte, donc on a conclu qu'on ne pouvait pas contrôler...mais moi ça me gène pas le système des vagues. Certains en ont besoin, moi non. Mais selon les cas, je demande des vagues pour mes services. Mais ça, ça me regarde, surtout si j'en prends pas. Là, on ne lèse personne. Je ne condamne pas celui qui prend pas de vagues. C'est le service qui est important, pas les vagues ! Pour se trouver bien, on devrait laisser le libre choix. Certains ont besoin de ça, car ils ont peur de l'autre, ils ont pas confiance ; ils savent qu'il v a quelqu'un qui comptabilise pour eux, ça donne de la valeur à l'échange, c'est Vimpression que j'ai, pour ceux qui réclament des vagues après chaque service..."

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Ce groupe qui domine l'organisation du SEL de la mer (car certains de ses membres en

maîtrisent les processus d'animation/administration) a donc un usage très lâche de

l'unité de compte. Cette représentation sur l'opportunité de la vague nourrit un

libéralisme dominant dont témoigne la part importante dans ce SEL de ceux (53%) qui

considèrent que la "vague doit être définie au gré de chacun". Ce qui signifie aussi

qu'elle peut être égale à zéro !

"Si la vague était forte comme on dit ça du franc fort, c'est à dire qu'elle soit valorisée, légitime, alors on pourrait avoir un grand SEL de la mer, avec plein de gens et de services. Ca pourrait déboucher sur beaucoup d'échanges pratiques parce que la vague forte, valorisée remplacerait la relation et jouerait le même rôle que l'argent. On se rend bien compte à quel point le principe des vases communiquants joue, entre la relation humaine et l'argent. On voit bien que dans la société, la dévalorisation de la relation humaine est liée à l'inflation de la valeur de l'argent. Au SEL de la mer, on a fait des erreurs en valorisant trop la relation humaine et en négligeant la comptabilité qui donne la valeur à la vague. Elle veut que tu lui répares sa salle de bain, tu le fais si tu le sens, elle est sympa et tu as un bon rapport avec elle. C'est la relation qui est valorisée, le plaisir, pas la vague."

Si dans les discours, ces dernières pratiques veulent s'inscrire dans la figure la plus

évidente de la générosité"0 et de la relation humaine, elles s'expliquent mieux encore si

on renvoie ces échanges à la montée progressive d'un fonctionnement de groupe replié

sur lui-même où les sujets changeurs s'inscrivent souvent dans un réseau

d'interconnaissance familier, faiblement ouvert sur les nouveaux.

Ce type de fonctionnement est favorisé en outre par la forme affinitaire dans lesquels les

échanges sont organisés ; puisque une grande partie des échanges lancés par les

adhérents se font sur le conseil des anciens renvoyant ces derniers vers leur propre

réseau de connaissances et de compétences.

"C'est le plus souvent sur les conseils des copains du SEL que je choisi le partenaire de mes échanges et quand je vois des annonces d'un inconnu qui m'intéresse, je demande autour de moi des informations pour savoir de qui il s'agit."

A coté du groupe témoignant d'un usage très souple de la "vague", une partie des

selistes s'accommode cependant régulièrement de son usage, ce dont témoigne

l'utilisation déclarée du relevé personnel d'échange à chaque transaction (51%), mais il

s'agit là de la population qui échange en général moins que les précédents.

1 , 0 L'abandon de la comptabilité est autant à considérer comme cause que comme effet du fonctionnement autocentré du groupe.

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y

Ce type de comportement reste singulier en l'absence d'une comptabilité centralisée qui

lui donne sens ; il s'explique autant par l'inertie même du système à accepter toute

transformation (puisqu'au départ la comptabilité centrale existait) que par le souhait

régulièrement énoncé depuis plus de deux ans mais jamais concrétisé, qu'il faudrait

réintroduire la fonction. L'unité "vague" constitue donc une référence par défaut pour

les adhérents encore liés aux prescriptions des fondateurs (dit "fonctionnaires"), gérant

leur compte avec rigueur et souci de réciprocité.

Cette démarche de recours à la "vague" pourtant, prend des significations très

différentes selon les personnes ; car si une grande part d'entre elles (47%) affirme se

fonder sur une prescription temporelle de la vague, selon la norme : 1 vague - 1 minute,

d'autres (24%) sont encore dans la référence implicite mais têtue aux prix du marché :

une vague = un franc. Cette représentation de l'unité de compte en relation étroite avec

le franc est souvent le propre de personnes qui ont une conception peu politique du SEL,

ce qui n'empêche pas une forte relation d'adhésion aux choix collectifs.

"Je ne veux pas profiter des gens et demander un service si je sais que je ne pourrais pas le rendre. Et la comptabilité en vagues c'est fait pour ça...D'avoir un compte personnel en vagues négatif, je me sentirais pas honnête. J'essaie d'appliquer ce qui avait été convenu dans l'AC, et si c'est 50 vagues l'heure, j'applique ça. Et puis aussi, je me cale sur le prix normal d'une coupe de cheveux -homme, puisque queje la propose : c'est 50 francs, c'est correct. C'est le prix de pas mal de services, 50 francs de l'heure ; par exemple c'est à peu près le prix d'une femme de ménage. C'est sûr c'est pas le prix de l'ingénieur- mais au SEL de la Mer ça a été décidé comme ça."

Ce type de représentation explique l'existence au sein du SEL de la mer d'une part non

négligeable d'adhérents qui considèrent que "le SEL est une association comme une

autre", n'ayant pas "un rôle de contestation politique" (19%) et se voulant un

complément aux échanges marchands,; on ne s'étonnera pas que ce dernier groupe

n'accueille ici aucun chômeur ou rmiste.

Au sein du SEL de la garrigue, l'unité "grain" est considérée de manière plus unanime

par les adhérents, comme un support nécessaire au fonctionnement interne du groupe,

probablement parce que son journal interne, ses réunions et ses foires ont contribué à

poser de manière durable et consensuelle, les principes de son fonctionnement, mais

aussi parce que l'histoire de cette association fut moins conflictuelle du point de vue de

ses groupes sociaux. L'abandon hypothétique du "grain", envisagée depuis la diffusion

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récente du nouveau système -le J.E.U1" (Jardin d'échange universel)-, reste le fait de

quelques administrateurs.

Ce qui ne signifie pas que les échanges hors grains soient exclus"2, mais ils sont vécus

comme hors SEL, soit comme l'aboutissement d'une socialisation de l'individu qui

désormais vit des relations d'amitié, (ces dernières pouvant s'affranchir de toute

orthopédie "après un temps d'adaptation"), soit comme un domaine devenu privé .

"J'ai une copine à qui je file des cours de youcoulélé à son gamin, c'est régulier, alors on pourrait imaginer que ça pourrait devenir lourd si on n'utilisait pas les grains car c'était très répétitif. On s'acquitte de çà comme çà rituellement, symboliquement. On en a besoin même si je fais avec elle plein d'échanges sans grains.. Il y a des échanges avec grains, d'autres sans grains."

Ce type de partition, en passant, témoigne donc de l'existence au sein des SEL d'une

conception singulière des normes de sociabilité que l'on peut situer dans un entre-deux

relationnel excluant ses limites : entre la relation d'inconnu/de méconnaissance et la

relation d'amitié.

La confiance apparaît dans ce sens comme la condition du trajet qui mène de l'un à

l'autre ; pour cette raison, elle peut être conditionnée de manière plus ou moins forte par

un rite qui s'organise dans les premières interactions, ou elle peut être abandonnée à

l'auto-régulation spontanée du groupe des selistes comme c'est le cas au SEL de la

garrigue, générant l'exclusion des comportements non conformes aux valeurs internes.

L'existence d'un médiateur dont le rôle potentiel113 est de réguler les conflits d'échange

en est un signe manifeste.

Les unités et leurs effets inhibiteurs/facilitateurs :

Pour ceux qui utilisent les grains et les vagues, au sein des deux SEL,-les représentations

sont nourries de la même manière par une image très ambivalente du rôle de l'unité

d'échange. D'un coté certains considèrent qu'elles constituent un frein à l'échange car le

recours à une unité de compte ne suffit pas à se sentir dédouané de la dette ou de la

créance, et laisse filtrer les exigences de l'obligation associées au don.

' ' ' Voir annexe 112 Isabelle Guérin qui a travaillé sur le SEL de la garrigue en 1996/97, signalait que 20 % de ses adhérents vivaient alors la majorité des échanges sur ce mode informel. 1 '3 En réalité, ce médiateur n'a jamais eu à intervenir pour arbitrer, ces cas de figure étant l'exception.

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s

"Je me souviens d'une vieille dame qui m'avait surprise au début quand je lui avais rendu un service en allant chez elle, elle m'avait dit : ça me gène quand même que vous soyez venu pour ça, malgré tout. Elle m'avait offert à boire après, comme si ça suffisait pas, les vagues."

En fait, même les selistes les plus aguerris à l'échange se sont trouvés un jour dans une situation embarrassante où le recours à l'unité de compte, son calcul n'évacuaient pas le sentiment d'être redevable. C'est dire que l'artifice demeure fragile, à la merci de situations et des partenariats.

"Jacques est venu changer mon carreau, sans me demander des vagues. C'est une relation peut-être plus sincère, le fait d'être sans "vagues". La "vague" retire peut-être ce coté fraternel, mais avec la vague comme avec les francs, on est toujours dans une demande : tiens, là tu me dois ça, tu me dois tant... Avec Marie qui m'a demandé de l'héberger chez moi, j'avais accepté de l'accueillir dans le cadre du SEL... Je bloquais mes mercredis pour elle. Pour compenser, je lui ai dit : tu me donneras des vagues ; or ça s'est jamais fait, parce qu'on n'avait pas nos feuilles d'échanges. Mais depuis, f ai jamais osé lui redemander. C'est bizarre, la vague, c'est pas de l'argent, mais on n'arrive pas à concrétiser."

Pour d'autres, moins nombreux, l'usage d'une unité d'échange renvoie trop à la figure de l'argent et s'oppose à la spontanéité d'une relation naturellement ouverte à l'entraide" et à la générosité. Et le calcul comme la négociation qu'elle suppose, réintroduisent l'allusion à son rôle monétaire, là où une relation libre pouvait s'exprimer. Cet implicite peut donc motiver le refus de l'unité.

"Moi je suis pour l'échange sans vagues, car c'est gênant de compter, c'est comme le fric au fond, et la relation est plus simple quand tu es aidée comme ça,, sans unité"

"Il y en a qui ont une réelle foi dans la solidarité, l'assistance. C'est pas mon cas, je ne crois qu'à l'échange. Si certains sont très généreux, ils oublient que quand ils donnent, ça oblige l'autre à recevoir et que recevoir, ça peut être vécu comme une imposition. Il faut que recevoir, ce soit fait de soi-même ; c'est comme donner, il faut le faire de soi-même. Et puis il y en a qui sont là par utilitarisme aussi. Mais la charité n'est ce pas aussi utilitariste pour celui qui se fait plaisir. Tout ça c'est comme un jeu de société, où les règles sont très précises, et très souples, ce qui permet aux gens de jouer leur partie comme ils veulent, avec leur propre façon de jouer."

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y

Ces associations imaginaires qui rendent les unités de comptes largement dépendantes des valeurs comportementales de la société environnante, n'empêchent pas que puisse être trouvé un modus vivendi de l'échange entre selistes changeurs volontaristes ; il y a même dans l'adhésion à la valeur d'intermédiation de l'unité de compte, une forme de croyance presque obligée puisqu'elles fixent la norme de la solidarité collective propre aux SEL.

Les vagues sont donc déclarées par une grande partie des usagers du SEL de la mer (62%) ayant répondu au questionnaire d'enquête, "comme un moyen de clarifier la règle" des échanges ; forme de contrat singulier qui est censée faire droit au respect individuel et à la dignité des personnes, tout en neutralisant le sentiment de la dette et de la créance et en réintroduisant le caractère libératoire de l'argent "4, représentation que l'on retrouve aussi au SEL de la garrigue.

"Si quelqu'un que je connais pas, m'appelle, et que fai une chaise bébé qui l'intéresse, voilà, il met 75 grains, l'équivalent d'une heure et demi de travail pour l'avoir, ça me va. Il va repartir quitte, c'est très important les grains. C'est très important pour qu'on soit quitte et pour qu'on puisse continuer d'engager l'échange et peut-être qu'au bout de deux ou trois échanges ensemble, on n'y pensera plus à la feuille de richesse et aux grains ; ça sera complètement dépassé dans notre relation et je pourrai lui donner plein de trucs sans qu'il me rende jamais rien et vise-versa. Mais au début, on est obligé de jouer au grain, c'est comme ça qu'on fait connaissance. Le grain ça permet de s'acquitter dé la dette:.. Et le suivi de la comptabilité, c'est pour traiter le sentiment d'acquittement de la dette."

La configuration imaginaire des échanges

Les unités de comptes se présentent donc dans les structures mentales de ces selistes comme des referents innovants à mi chemin entre l'argent, le don et le bénévolat, empruntant à chacun d'eux, les connotations positive et négatives qui leur sont attribuées par la société globale. L'échange y est donc écartelé positivement entre trois modèles : le don auquel il tente d'emprunter la part symbolique et la relation personnalisée qui conduit à renouveler les relations, le bénévolat avec sa dimension

" 4 On retrouve chez certains adhérents du SEL de la garrigue, des conceptions de l'échange symbolique particulièrement orthodoxes. Leur maîtrise, qui peut surprendre l'ethnologue car elle traduit une forme de reproduction fidèle de la théorie, est à traiter comme le résultat d'une situation d'enquête pour partie inductrice, mais surtout comme le produit d'une conception du SEL vécu comme un lieu d'apprentissage de l'échange dans lequel les théories scientifiques offrent leurs univers de connaissances et leurs modèles explicatifs-prescriptifs.

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y

généreuse, et l'argent dont il quête le lien social mais aussi le caractère libératoire qui

exclut tout sentiment de dette (être quitte).

Mais dans le moment-même de leur dénégation, l'échange ne peut échapper aux effets

des représentations négatives que sont : le caractère obligataire du don (le contre-don),

le sentiment d'humiliation généré par l'assistance, comme le caractère d'intéressement

lié à l'argent. Cette configuration complexe intégrant polysémies positives et négatives

dans laquelle l'unité d'échange prend son sens, apparaît comme une "structure liée"

pour reprendre le concept de la linguistique fonctionnaiiste. Elle se pose donc comme un

vieux défi pour les selistes qui ont ici encore115 à séparer le bon, du mauvais objet.

Représentations

négatives

Représentations

positives

humiliation,

subordination

générosité

cMgatim/endettement

ducton/oontre-don

reconnaissance/ respect,

réciprocité, ou poursuite

delà relation

manque de générosité,

intéressement

lien, libératoire,

désendettement

affectif

Le problème qui se pose aux changeurs consiste, donc à vivre l'échange sur le seul plan

de ses connotations positives, un exercice qui ne peut être réalisé dans la plus grande

sérénité qu'après un véritable apprentissage ou un jeu tout en distance, si l'on admet sa

réalisation possible. Cette pratique est donc sélective, "bricoleuse" vis à vis du processus

de réflexivité des sciences humaines qui alimentent les referents des selistes. En fait,

cette double structure imaginaire liée peut être vécue sur le mode du "double bind", par

certains selistes c'est à dire comme un_ensemble d'alternatives impossibles à concilier,

qui explique aussi la difficulté fréquente à vivre l'expérimentation sociale de l'échange

réciproque des SEL.

On comprend mieux pourquoi au sein des deux SEL, les adhérents symétriques qui

accumulent des soldes négatifs excessifs comme ceux qui thésaurisent de manière

inconsidérée leurs "grains" ou leurs "vagues" puissent être également critiqués ; chacun

d'eux comportant à leur manière soit une allusion trop lourde à la forme marchande

' 1 5 Dans une démarche qui rappelle le processus de la genèse du moi chez le bébé, qui doit arriver à séparer les schemes de la bonne et de la mauvaise mère pour accéder à l'objectivation : cf Spitz René A : 1973, " Le oui et le non genèse de la communication humaine", PUF.

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capitalisante et non réciproque, soit une référence trop évidente à la réciprocité

impossible.

. "Je veux pas que le SEL devienne comme notre société où tout se monnaie. Il faut être généreux avec ses vagues, il faut pas les thésauriser comme certains ; si on compte ses vagues comme ses sous, c'est pas la peine. Moi, j'ai pas besoin de vagues parce que j'en ai beaucoup sur mon compte. Mais c'est pas pour les capitaliser, c'est pour les donner à quelqu'un qui en aura besoin, comme à Delphine quand elle a commencé et qu'elle m'a donné des cours d'anglais, alors qu'elle n'avait pas de vagues. Sinon ça bloque la situation du SEL".

" Si une personne dans son compte dépasse les moins 2000 grains, je considère que ce n'est plus de l'échange ; dans ce cas là, la personne pense plus à elle qu'aux autres personnes du SEL. "

Ces représentations restent curieusement toujours présentes dans les deux SEL, malgré

l'abandon de la comptabilité au SEL de la mer et le renoncement à publier

trimestriellement l'état des comptes individuels dans ces deux SEL.

En effet, le SEL de la mer comme le SEL de la garrigue éditaient chaque parution de

l'annuaire des offres et des demandes avec la liste des adhérents et de leurs soldes

individuels en vagues ou en grains. Cette pratique permettait de rendre public, la

situation des comptes individuels, forme implicite de contrôle social en même temps

qu'elle se voulait délibérément un moyen de repérer ceux qui, par leur solde trop négatif,

"avaient besoin d'échanger". Cet impératif de transparence s'accompagnait de l'idée

selon laquelle les soldes négatifs ne devaient pas être vécus dans la honte, mais comme

un appel à la sociabilité, puisque favorisant la réciprocité des échanges ; cette

prescription commune aux deux SEL et répétée par leur leader respectif, n'a pas

réellement été intériorisée par les adhérents. Sans avoir contribué directement à

l'abandon de la comptabilité centrale au SEL urbain, elle a probablement pour certains,

facilité sa relégation.

Au SEL de la garrigue, la publication des soldes individuels n'est plus réalisée au

moment de la parution trimestrielle des annonces, mais une fois par an, avec le compte-

rendu de l'assemblée générale. Ce nouvel usage témoigne avant tout de la lourdeur de la

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s tâche de comptabilité qu'exigerait une publication plus fréquente. Mais pour la plus grande partie des adhérents, cette publicité annuelle des soldes individuels, n'a pas altéré leur ¡mage primitive sensible. Et l'on constate que même les administrateurs qui tentent régulièrement de dédramatiser la portée de ces résultats individuels, se font un devoir (jamais énoncé comme tel) de présenter un solde personnel positif.

Résultats des comptes en grains du SEL de la garrigue, début 1999

Segments depopulation

par solth'S de comptes -

Nombre d'adhérente dam chaque segment en

^250ÔAd50ograins_ -1499 à-500 grains -499 à -100 grains - 99 à zéro grain

...,± PL à.l;„,99 grains ^ _ +100 à+ 499 grains

+1500 à+2500 grains

JL J4 n_ .JL 23_

M.. 3

6% J4%,

32J&

23%

.,12%. 3%

L'examen de la répartition des soldes individuels qui ne traduit pas nécessairement l'abondance ou la rareté des échanges de chaque adhérent, témoigne de ce que ces excès positifs ou négatifs restent l'exception. Il faut dire que les sujets qui affichent un solde-de -/+ 2000 grains doivent donc avoir donné ou reçu (en cumulé), l'équivalent d'un trentaine d'heures de services ; ce qui suppose une évidente implication dans l'organisation. Si l'on met entre parenthèses les segments d'adhérents qui présentent des soldes entre moins 100 et zéro, dont l'activité d'échange peut difficilement être interprétée116, cela signifie que 23% des adhérents accusent un solde réellement négatif, tandis que 45% ont un compte au statut positif. Cette tendance confirme donc dans les comportements, l'image négative du statut de la dette.

"Pour moi, c'est pas évident. Certains sont dans le très négatif depuis longtemps, ils ont fait leur nid là dedans et ils y restent ; certains ont fait leur place dans la société en disant : moi je suis demandeur d'emploi. C'est pareil au SEL, certains disent moi je suis au plus bas dans mon compte. C'est une façon de se situer aussi. Mais on ne peut que remonter quand on est à -2 000 grains. (Rires)117".

1 , 6 Ce segment d'adhérents qui se trouvent avoir un compte négatif n'est pas très significatif, car une grande partie d'entre eux ont vu leur compte prélevé de -60 grains, correspondant à l'impôt administratif annuel, sans qu'ils aient eux-mêmes nécessairement beaucoup échangé. 117 II semble que le précédant conseil d'administration présidé par un agriculteur, était plus rigoureux avec le traitement des soldes trop négatifs. Il pouvait demander l'exclusion d'adhérents peu rigoureux.

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s

Le moment de négociation de la valeur:

Dans le processus de fixation du montant en vagues ou en grains, les modalités de

l'accord entre partenaires sur le montant du service sont donc au centre de l'échange. Si

les deux SEL prescrivent de se mettre d'accord sur la valeur du service échangé avant

toute transaction, il s'avère que cette négociation n'est pas si facile à mettre en œuvre.

Parce qu'aborder cet aspect dés le premier coup de fil de téléphone, à la première

évocation du service peut apparaître encore chez les deux partenaires comme une

urgence trop calculatrice ou trop intéressée, et du coup restituer une connotation contre

laquelle l'échange est censé se réaliser. De la même temps manière, il ne faut pas trop

laisser de temps après la réalisation du coup de main, car l'intentionnalité des partenaires

peut s'en trouver totalement dévoyée.

"Souvent on sait pas comment ça s'est fait, on se retrouve avec quelqu'un qui a fait le boulot et puis on n'a pas fixé la valeur avant ; alors c'est embarrassant car on sait pas si c'est en francs ou en grains ; ça peut être aussi les deux, comme pour le co-voiturage avec le prix de l'essence à payer. Il faut fixer la valeur en grains avant, mais c'est pas toujours facile. Et puis des fois j'oublie, alors fessaie de négocier après, mais c'est trop tard, et quelquefois on ne peut même pas demander des grains, c'est trop gênant, et défait, ça devient gratuit"

Ce moment de fixation du tarif du service apparaît donc comme une étape souvent

délicate, un moment "pathique" où le savoir fait place au non-savoir, comme dirait

Roland Barthes, dans laquelle nombre d'incertitudes doivent être levées ; et d'abord le

recours à l'unité d'échange contre l'utilisation de l'argent. Les services de

déménagement avec camionnette personnelle, la livraison de bois de chauffage (souches

de vigne), des réparations de plomberie, l'échange d'imprimante d'ordinateur,

l'enseignement de cours de pianos done des services importants sur le plan de l'activité

nécessaire ou de la valeur ajoutée, mais aussi des objets relativementTares, peuvent ainsi

prendre un statut suffisamment ambigu pour susciter des demandes ou des offres en

francs.

Du coup, le moyen le plus facile pour échapper à ce moment incertain consiste à

échanger avec les mêmes personnes, et à instituer ainsi une forme très codée de relation

où le tarif du service apparaît comme largement prévisible, ce qui ne signifie pas du reste

immuable. Le mode de fonctionnement auto centré du SEL de la mer explique le recours

fréquent à ce type de démarche sécurisante.

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Sa prégnance actuelle n'est pas étrangère aux excès de négociation qui ont pu avoir

cours dans les années récentes118 du SEL de la mer, avec la non exclusion de l'argent.

Mais il arrive aussi que le service (calculable en unité associée au temps), ne puisse être

évalué dans sa durée avant sa mise en œuvre concrète, comme c'est souvent le cas pour

les réparations de plomberie, ou de maçonnerie, bref des tâches peu prévisibles. Du

coup, l'évaluation du prix en vagues ou en grains ne peut être réalisée qu'après

exécution du service. La difficulté à négocier le montant du service en unités de compte

se repose alors et devient une véritable évaluation implicite du travail réalisé à

posteriori. Ce comportement calculateur qui surgit alors malgré l'usage des vagues ou

des grain, n'est probablement pas étranger au souci fréquemment énoncé de vouloir

obtenir alors la qualité des travaux réalisés. On comprendra que cette préoccupation soit

donc souvent évoquée dans les SEL où ces demandes de réparation et de bricolages sont

fréquentes.

"Jamais je fixe le tarif avant pour mes problèmes de plomberie; car on peut pas savoir le temps que ça prendra. La dernière fois que j'ai eu besoin de quelqu'un qui fasse de la plomberie, je l'ai appelé et je lui ai parlé de mon chauffe-eau, car il m'a dit qu'il pouvait venir, j'ai pas negocíele nombre de vagues avant. J'estime que les gens sont corrects au SEL, ça fait partie d'un accord implicite. Et si les gens sont pas corrects et qu'ils veulent trop dépasser le prix normal du service, c'est pas grave ; mais ça m'embêterait, car je serais obligé de donner plus de vagues et je ne suis pas sûre de les avoir ou qu'il ne m'en restera pas assez pour les autres coups de main dont j'aurais besoin...mais c'est pas grave, ca m'arrêtera pas d'échanger ensuite. "

Ce type de comportement de calcul rigoureux des unités échangées contraste largement

avec celui des vieux selistes du SEL de la mer, moins "regardant" avec leurs vagues ; il

se donne donc nécessairement par rapport avec cette norme implicite des selistes

militants comme une valeur ambivalente : en même temps calculatrice, dominée par la

raison instrumentale, en rupture avec la générosité prescrite, mais cependant conforme

aux usages valorisés des fondateurs qui se voulaient proches d'une économie alternative

et du comptage de la valeur.

On retrouve aussi au SEL de la garrigue, ce type de calcul qui prend les unités de

compte au sérieux, au moins dans leur potentialité "économique".

' '° Ainsi s'expliquerait le jugement posé à l'époque selon lequel "les prix sont plus élevé au SEL de la mer qu'au SEL de la garrigue", cité par Isabelle Guérin : Opus cité.

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Et les selistes les plus anciens du SEL de la garrigue ne résistent pas longtemps à citer quelques adhérents de leur association qui "sont durs avec leur grains et négocient la valeur des services comme si c'était avec de l'argent". Ce rapport économiciste à l'unité de compte "grain" traduit de manière évidente une confiance collective dans sa parité, elle-même manifestement liée au crédit accordé à l'administration du SEL. Mais il peut aussi renvoyer à des situations personnelles difficiles ou à des singularités psychologiques qui sont vécues comme admissibles.

"Pourquoi est-ce qu'il a demandé l'état de son solde annuel en grains, au début de l'année? Ca veut dire que s'il a des grains sur son compte, il réadhère ; sinon il ne cotise plus, il arrête. Il a une drôle de démarche, mais si tu lui dis en face : tu as moins 500 grains, il va hésiter à dire : je m'en vais, quand même. Alors c'est complexe. Par contre, il est un peu dans une situation personnelle très difficile : le RMI, des procès, la banque qui lui fait des misères, tout va mal. Donc je pense qu'il recherchait des choses à quoi se rattraper : un solde positif quelque part. Il a au moins ça qui va bien, car à sa banque, c'est pas pareil et c'est un peu partout la catastrophe. On n'imagine pas toujours ce que ça peut être le SEL et les grains ".

Ce rapport au grain fait donc l'objet d'une certaine indulgence au SEL de la garrigue, jugement conforme avec sa conception auto-régulatrice du marché des biens et des services. Chaque comportement d'échange trouvant spontanément sa sanction dans la poursuite ou pas, des partenariats. On comprend que la question de la qualité du service-et l'absence de garantie puissent donc être abordées par des adhérents aussi soucieux de la matérialité de leur échange dans une comparaison explicite avec le secteur professionnel de la société marchande.

"C'est une question qu'on pose beaucoup au SEL de la garrigue : Comment évaluer les compétences des gens ? Moi je me dis que quand tufáis appel à un professionnel du privé, c'est pareil, tu peux tomber sur un bon ou un mauvais. Prends le journal d'annonces, on te propose des souches pour le chauffage*, c'est pas des bûches normalisées bien sûr, mais c'est dit et on n'essaie pas de f arnaquer. Prends Sabine qui cherchait quelqu'un pour fabriquer un poulailler, elle n'avait pas une bonne démarche et elle n'a trouvé personne, Elle avait une idée du service attendu telle qu'on peut l'exiger du maçon qui apporte tout : ciment, quérons, etc.alors que le copain du SEL, il n'a que sa force de travail."

Cette question du service professionnel lourd, de sa qualité est bien sûr réversible. Et l'on comprendra que certains adhérents dans ce sens refusent d'envisager ce type de service - ponctuellement au Sel de la garrigue119, fréquemment au SEL de la mer -, car il

9 Souligné par Isabelle Guérin : Opus cité

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peut s'apparenter à une véritable prestation économique déguisée ; le paiement en grains ou en vagues renforçant le ''''sentiment de ne pas payer à sa juste valeur" .

La réciprocité des échanges : l'individu contre le groupe ?

Le domaine de la réciprocité multilatérale évoque bien sûr spontanément les travaux bien connus de Claude Lévi-Strauss sur la prohibition de l'inceste et l'exigence d'ouverture à d'autres groupes sociaux, comme stratégie d'alliance à travers l'exogamie. Ce principe d'organisation fonde en même temps le sens du collectif qui réunit les groupes et détermine ensuite leur relation dans le temps. Si ce modèle (du point de vue des interdits et des prescriptions négatives) semble éloigné de formes de fonctionnement des SEL, certaines de ses interrogations peuvent cependant y trouver une certaine pertinence.

Ainsi, si le modèle théorique idéal de fonctionnement des SEL repose sur la primauté du collectif sur l'individuel à travers l'échange multilatéral, puisque la relation duelle de services répétés a fait l'objet d'une condamnation explicite par le juge dans une interprétation économiciste de l'échange, l'expérience concrète de la poursuite des échanges avec des selistes divers se heurte dans les pratiques à nombre d'obstacles.

L'idée même d'une relation et d'un échange chaque fois renouvelés est en soit, une figure impossible, un imaginaire de l'épreuve dont on ne peut expliquer la prescription générale120, que parce que la relation à l'autre constitue dans nombre de SEL, la forme idéale et absolue de reconnaissance du sujet dans son abord. Cette norme de représentation s'impose aux SEL par la volonté de neutraliser le risque inverse, comme si la relation duelle et la trop grande proximité entre deux personnes retranchait quelque chose du collectif, et clôturait le lien social. Ainsi s'explique que dans beaucoup de SEL, la naissance de l'amitié entre deux sujets puisse justifier dans leur relation, l'abandon des unités d'échange, mais du coup menace d'exclure ces mêmes personnes du réseau formel du SEL, si celui-ci inscrit son collectif sous le signe d'une unité d'échange et le proclame vigoureusement.

Si l'on se place du point de vue des équivalences structurales, le travail au noir dans l'ordre économiciste, a donc ici (toute proportion gardé) le même "statut topologique"

120 Cf "Sel, mode d'emploi", opus cité.

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que l'inceste lévistraussien, au même titre donc que l'amitié bilatérale exclusive121, dans l'ordre social du SEL car chacun d'eux menace l'existence même du collectif. Ainsi s'explique que l'amitié pure122 puisse être considérée quelquefois comme plus apte à s'exprimer (sans grain) hors du SEL.

Ces principes formels de multilatéralité que prescrivent les manuels pédagogiques du mouvement SEL'idaire du coup, s'avèrent donc plus ou moins intériorisés par les SEL locaux, quand leur rapport à l'organisation collective, leur relation à la loi et aux juges sont en discordance avec leurs pratiques quotidiennes.

Ainsi, le SEL de la mer reste plutôt discret avec cette prescription de réciprocité multilatérale, même si exceptionnellement quelques anciens animateurs déchus de leur rôle central, signalent de temps à autre (non sans esprit de revanche) l'utilité de ce principe fondateur de la définition des SEL. Or c'est bien là que l'enjeu du collectif s'impose à ces organisations. L'examen des "pratiques déclarées" du SEL de la mer qui dévoile une structuration des circuits d'échange polarisés autour des mêmes personnes, montre que tout en échappant au principe maximal de multilatéralisation systématique des échanges, ce système d'échange local ne sombre pas nécessairement dans la relation duelle exclusive et répétée.

Son principe d'équilibre collectif se fonde sur un jeu de relations en "grappes" pour reprendre le concept de la statistique des réseaux. Les nouveaux venus qui veulent accéder aux échanges du SEL doivent s'insérer nécessairement dans ces réseaux locaux informels, ce qui peut être une épreuve : une procédure qui signifie aussi que la relation duelle reste un passage obligé. Cela n'empêche pas que régulièrement dans une forme de regret ponctuel de l'orthodoxie, soient très souvent déplorées toutes les difficultés qui entravent l'exercice de cette multilatéralité : les obstacles à la communication avec les nouveaux (absence de téléphone pour les plus démunis, téléphones qui ne répondent pas, répondeurs téléphoniques où sont laissés plusieurs messages sans réponses). Comme si ces entraves liées à la modernité condamnaient définitivement le fonctionnement multilatéral maximal du SEL urbain.

Au SEL des garrigues, si le terme de multilatéralité est rarement employé, l'exigence de multiplication des échanges et leur diversité est très souvent soulignée par les

• animateurs, comme le souci "de mobiliser les nouveaux qui redynamisent le SEL". Et si

121 Signe qui confirme cette hypothèse : les noms et les coordonnées des adhérents figurant sur les annuaires des SEL étudiés sont très rarement recopiés sur les carnets d'adresses personnels ; quand c'est le cas, la relation préexistait au SEL avec la personne concernée : cf Moyne A, 1989 : "Le carnet d'adresses", L'Harmattan 122 Cf Bidart C : 1991, "L'amitié, les amis, leur histoire" ¡n Revue Sociétés contemporaines, "Réseaux sociaux", l'Harmattan.

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le développement des échanges est considéré comme favorisé par la proximité

géographique et l'appartenance au même village, le partage des mêmes valeurs et du

même "esprit du SEL" sanctionne la poursuite de relations multilatérales. Dans ce

registre, le traitement de l'autre derrière l'unité de compte est donc déterminant.

"L'année dernière, un jardinier m'a appelé pour que je l'aide à ramasser ses olives, j'avais rien à faire alors. J'avais pas négocié le nombre de grains pour ce travail, avant. J'ai donné une journée de travail, plus tard il m'a fait passer une bouteille d'huile ; là, ça va pas, je veux pas être esclave du travail et porter le monde sur mon dos ; ça c'est de V exploitation, ce mec c'est un resquilleur... et je le connais pas en plus. Et puis, s'il m'avais téléphoné quelque temps plus tard pour me dire : comment ça va, t'as besoin de quelque chose ? Mais non, c'est pas un ami, ce mec. Il m'a rappelé cette année pour que le même travail ; il a rien compris au SEL."

L'intériorisation des usages de l'unité de compte au SEL de la garrigue est donc

considérée comme un jeu, un exercice moral qui appelle un apprentissage des adhérents.

Certains leaders se risquent même à estimer qu'il faut deux ans environ aux individus

impliqués, pour apprendre cette pratique et surmonter les épreuves permettant de

minorer les connotations économicistes ou réciprocitaires liées à l'échange qui

imprègnent les relations de transactions du SEL. Ce qui ne signifie pas que tout le

monde réussisse à les acquérir. C'est même la difficulté de cette ascèse qui explique la

permanence de l'organisation du SEL et de ses formalisations.

Dans un sens, le SEL de la mer et le SEL de la garrigue s'opposent sur le sens donné à

cette réciprocité multilatérale.

Pour l'un, cette dernière qualifie des relations d'entraide et de sociabilité relativement

closes sur elles-mêmes, nourries par une forme de confiance minimale. Le

dépérissement ou l'inutilité des conventions comptables et monétaires ("la vague")

laissent dés lors la place à la possibilité de pouvoir compter sur quelqu'un sans compter,

d'où le recours à la figure de l'amitié,~"dans ce SEL urbain. Il y a là probablement un

scheme qui n'est pas si éloigné du modèle familial tel que Maurice Gôdelier le définit123

pour quelques types de relations d'échange entre parents et enfants ou entre amis, dans

certaines sociétés de potlach. Cette forme de relation n'exclut pas ensuite d'autres

négociations psychologiques intersubjectives124.

123 Cf Opus cité : "L'énigme du don", p 199. 124 II n'est pas surque l'idée de la réciprocité soit absente de cette forme supérieure de l'échange confiant, mais celle ci alors, ne se fonde pas sur une convention à priori. J C Kaufmann montre que nombre de conjointes, refusent cette comptabilité des services domestiques, pour lui préférer un réciprocité reportée de la dette accumulée aux soins du ménage. Ce silence perpétue chez le mari, le sentiment d'une culpabilité permanente toujours exploitable dans des circonstances stratégiques (Voir in revue Dialogue n°l 10, J C Kaufmann : "Don de soi et calcul de la dette : partager les tâches ménagères")

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Pour l'autre, cette multilatéralité tend à vouloir intégrer les nouveaux venus dans les réseaux d'échange, et donc à se présenter comme un cursus125 comprenant une culture et un savoir (l'usage des grains) qu'il faut apprendre126 ; la confiance étant l'issue de cet apprentissage. Ce qui n'exclut pas l'existence d'un "noyau dur" de selistes plus anciens, qui échangent ensemble mais qui s'ouvrent aussi aux nouveaux et favorisent l'accueil des étrangers. Cependant dans ce SEL, l'amitié qui appelle des échanges sans grains, peut alors justifier l'abandon du SEL.

C'est donc bien le statut de la confiance qui oppose ces deux SEL. La production de la confiance entre deux partenaires est donc moins à analyser ¡ci dans ce sens sur le mode psychologique tel que la pose Simmel127 que comme un dispositif de production de normes culturelles.

125 Au bout de ce cursus, une autre association -le jardin partagé d'Aniane- est considérée comme le lieu où nombre d'anciens selistes de la garrigue aboutissent, affranchis des contraintes de l'échange en "grains" ! 126 Le départ de ceux qui n'en passent plus par l'unité de compte pour échanger car ayant atteint le stade de l'amitié qui leur le permet de s'affranchir du SEL, offre ici le curieux paradoxe d'un projet organisationnel dont l'objectif implicite est d'exclure ceux qui incarnent le mieux son idéal échangiste. 127Cf S immel G: 1981, "Sociologie et épistémologie", PUF.

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2;- Les échanges et les groupes sociaux

2.1 - La représentation des groupes dans les SEL

La notion de diversité apparaît comme un leitmotiv répété des SEL, d'abord parce que le plus souvent chacun d'eux prétend s'organiser dans une lutte contre les exclusions : et dans un sens, on retrouve là quelque chose de l'univers fouriériste, le rêve d'un monde où il n'y aurait que des différences, en sorte que se différencier ne ressortirait d'aucune exclusion.

Cette pétition de principe laisse donc ouverts les modes par lesquels celle-ci est organisée. Cette diversité affirmée est toujours celle des SEL les uns par rapport aux autres, des individus les composant, ou des biens et des services proposés. Comme si les valeurs de liberté, d'égalité et la spécificité des lieux d'implantation de chaque SEL étaient la garantie de leur originalité.

On peut alors se demander si ces qualifications répétées de "diversités", qui mettent au fond l'individu au premier rang des descriptions endogènes, n'en restent pas à la surface des choses et ne fournissent pas plutôt aux SEL qui s'en prévalent, un cadre idéologique posé contre la prégnance des groupes et des logiques sociales ; il y a du reste plusieurs manières de réagir face à cette prégnance ; soit considérer par une stratégie proprement "procustéenne" que le SEL et son développement se posent contre l'affleurement des logiques sociales et les spécificités des groupes sociaux, soit à l'inverse, dénier la difficulté qu'il y a pour l'organisation à mobiliser également les groupes sociaux et du coup insister sur ses diversités individuelles, ces représentations pouvant évidemment coexister dans certains SEL socialement très mêlés.

Cette prévalence attribuée aux individus ne signifie pas nécessairement que leur psychologie, leur vie privée comme leurs domaines intimes doivent être une affaire collective. On peut même probablement avancer l'idée que selon les SEL, les conseils d'administration tentent de se situer plus ou moins contre la gestion collective des affects et des sentiments exprimés. A la limite, ces derniers pourront être considérés comme à la charge de chaque individu'28, ou plutôt de ses relations de sociabilité interne ; et son droit à l'intimité, sa psychologie et ses drames lui seront donc le plus souvent largement abandonnés, comme l'illustre le SEL de la mer.

128 De là, la difficulté à trouver au sein des SEL des formes d'administration centralisée qui ne sont peut-être que la rançon de ce renoncement plus ou moins grand.

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Si la personne est au centre de l'organisation du SEL comme cible symbolique, objet de personnalisation129 et dépositaire de savoir-faire personnel, les systèmes d'échanges locaux sont donc probablement à différencier dans ce sens selon le statut collectif qu'ils donnent au domaine intime de chaque individu, et à la part de fonction oblative (sociale) qu'ils acceptent ou pas d'assurer.

On retrouve cette même diversité de traitement dans les SEL, vis à vis de l'appartenance de l'adhérent aux groupes sociaux de la société environnante. Les logiques sociales peuvent s'immiscer dans les relations entre ces groupes et entre individus, pour peu que des enjeux de pouvoir viennent à les séparer comme on l'a vu pour la maîtrise de la fonction administrative au sein du SEL de la mer.

Cette sensibilité aux groupes sociaux n'est en général pas affirmée comme telle de manière très vive, puisque la plus grande partie des SEL prétendent s'appuyer sur les savoirs propres non valorisées par la société (salariale) et les intérêts particuliers de l'individu que celle-ci néglige. Mais comment traiter alors à l'intérieur du SEL, les compétences professionnelles des salariés adhérents, les qualifications des individus installés en libéral, ou le métier des artisans et des agriculteurs, qui identifient leur identité personnelle, leurs goûts et leurs savoirs-faire à leur emploi ? Doivent-ils renoncer à les employer dans l'échange pour leur préférer des savoirs et des inclinations non professionnelles ou les traiter de manière spécifique ? Les SEL apportent chacun différemment, des réponses spécifiques à ces questions, selon la plus ou moins grande ouverture qu'ils laissent à la société environnante et à ses compétences. Même si le procès de l'Ariège a eu un effet radical sur la conception des compétences et des qualifications susceptibles d'être mobilisés dans l'échange qui depuis, sont censés ne pas relever d'une initiative et d'un esprit professionnels.

Ainsi, selon les contextes, l'ethnologue qui tentera de procéder à l'identification des situations professionnelles et sociales des selistes, pourra se heurter à une grande discrétion. La distribution d'un questionnaire devra donc alors être accompagnée de. sollicitations très personnalisées qui atténuent son apparence standardisée, comme ce fut le cas au SEL de la mer.

L'examen sur la durée des situations socioprofessionnelles des adhérents des SEL enquêtes, montre qu'une part non négligeable des individus peut changer de situations d'une année sur l'autre : au SEL de la garrigue, en deux ans, entre 15 et 20% des

Cf Tap P (Dir) : 1986, "Identité collective et personnalisation", Privât.

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adhérents changent de conditions sociales, soit par perte130 d'emploi, soit par l'accès à une nouvelle profession. Il faut sans doute insister sur la spécificité des identités sociales et professionnelles que cette zone rurale peut entraîner au sein des selistes, et en particulier sur l'existence de situations mixtes difficiles à réduire aux catégories socioprofessionnelles traditionnelles de l'INSEE.

L'exemple du SEL de la garrigue offre ainsi l'image de nombreux cas de commerçants ou artisans travaillant pendant certaines saisons, de rmistes soit artistes, soit conteurs, de mères célibataires sans revenus ou de chômeurs cultivant (presque professionnellement) leurs propres jardins, certaines offrant leurs services de voyances dans les journaux ou vivant d'activités de brocante, de consultants et professions libérales à temps partiels, en préretraite ou vivant de placements financiers, d'agriculteurs qui développent d'autres activités de formation ou d'animations touristiques, d'intermittent du spectacle pouvant "retaper des maisons au black", bref des compétences marchandisages, relevant de cette "petite production urbaine" dont témoigne Laurence Roulleau-Berger131, donc "difficiles à recontextualiser dans les mondes officiels de la production". Cette population se vit souvent dans un entre-deux professionnel, et l'activité que les instituts de sondage pourront identifier comme récréative, accessoire ou complémentaire (tel le cas des non-actifs au sens de l'INSEE) pourra être vécue par eux comme principale. De leur côté, les salariés mobilisés les plus impliqués dans ce SEL ont souvent des postes de travail qui leur laissent une certaine maîtrise de leur temps personnel (intermittents du spectacles, enseignants, assistantes maternelles, infirmières, CES,...) quand ils ne sont pas à temps partiels.

Par contraste, les situations socioprofessionnelles du SEL de la mer paraissent plus tranchées, comme si ce milieu urbain avait moins favorisé ici l'émergence de solutions professionnelles mixtes, et de stratégies d'activités complémentaires qui situent l'individu entre divers mondes sociaux ; même s'il faut être conscient de l'existence marginale de rmistes assistés par des revenus familiaux, de chômeuses qui peuvent accepter de faire des heures de "ménages" non déclarés, ou de chômeurs travaillant dans le bâtiment au noir, ou chez un maraîcher à Mauguio, "rétribués" en légumes pour quelques heures hebdomadaires de ramassage.

Dans un certains sens, cette rareté relative des situations de "petite production urbaine" pourrait expliquer le rôle joué à un moment donné par le SEL de Montpellier devenant

1 3 0 Bien sûr causée pour partie par la faillite du CIEPAD, qui licencia nombre de ses salariés, en 1999, dont beaucoup appartenait au SEL de la garrigue, et qui durent trouver un nouvel emploi. 131 Cf Roulleau-Berger L : 1999 "le travail en friche", Ed de L'Aube.

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pour certains exclus, l'espace implicite d'un marché noir, où l'usage exclusif des "vagues" se trouvait contesté. Ce recours mercenaire à une stratégie économique informelle dans le SEL n'est explicable que parce que les réseaux traditionnels du travail au noir de la société languedocienne sont monopolisés par des autochtones et des résidents plus anciens, mais aussi parce que Montpellier offre peu de terrains agricoles disponibles susceptibles d'être exploités132. Certains adhérents du SEL de la garrigue, résident urbain de Sète, de Frontignan ou de Montpellier, donc loin du siège social de cette association partagent la même situation que celle du SEL de la mer.

Il est donc particulièrement difficile d'identifier systématiquement dans une telle population, les disponibilités de temps et les niveaux de ressources individuelles déterminant les conduites d'échanges, aussi doit-on se contenter des indicateurs que peuvent constituer les catégories socioprofessionnelles, en étant attentif en particulier aux catégories extrêmes : chômeurs133/rmistes, salariés.

Si l'on regroupe les caractéristiques traditionnelles socio-professionnelles des populations des deux SEL, en étant attentif aux effets de la gestion personnelle du temps et au pouvoir d'achat, les deux SEL présentent des différences manifestes.

Composition socioprofessionnelle des 2 SEL

CSP

Artisans, ojinta 11 isagiruleus,

poflibérales

Salariés, fonctionnaires

Chômeurs, rmistes

Individus en CES

Mères au foyer ,

retraités, étudiants

Sel de la mer

(fin 1999/2000)

3 %

4 7 %

2 9 %

2 1 %

Sel de la garrigue

(1999/2000)

27%

27%

32%

12%

Sel de la garrigue

(199697)

14%

22%

22%

16%

26%

1 i ¿ A une exception cependant, évoquée précédemment, voir page 44. 1 3 3 Certains chômeurs disposant des ressources de leur assurance-chômage échappent bien sûr, à une détermination strictement économique. Ils sont moins nombreux que les rmistes. ' 3 4 La composition du SEL de la mer a été obtenue grâce à l'enquête quantitative, celle du SEL de la garrigue par identification des listes nominales auprès de personnes ressources. 1 3 5 n'étant pas chômeurs/rmistes;

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La comparaison sociologique pour l'époque récente entre le SEL urbain et le SEL des ' petits villages" montre dans ce dernier, une véritable surreprésentation relative des petits entrepreneurs (artisans/commerçants/agriculteurs) ; tandis qu'émerge dans le SEL urbain, le poids des salariés des secteurs public et privé. La part des chômeurs et des Rmistes semble assez comparable dans chaque SEL, entre le quart et le tiers des populations. Les inactifs tels les retraités, mères de famille ou étudiants qui, au sein des deux SEL au moment de l'enquête, n'ont pas les mêmes problèmes de pouvoir d'achat que les chômeurs/rmistes, forment entre 10 et 20% des effectifs.

Si l'on fait une évaluation des situations précaires, des différences sensibles entre SEL apparaissent. Ainsi, l'examen des situations individuelles en juin 2000 au sein du SEL de la garrigue, montre que 58% de cette population est dans ce cas. (En 1996/97, ce groupe d'individus atteignait 65%, une proportion qui s'est donc à peu prés maintenue en 4 ans).

Si la même information pour le SEL de la mer n'a pu être obtenue systématiquement, l'analyse du tableau précèdent peut laisser supposer qu'à peine un tiers environ (29 %) des adhérents est dans la même situation (calcul réalisé en excluant de la base 100, les salariés, les inactifs non défavorisés, et les personnes installées en libéral composant l'essentiel du groupe "Artisans/commerçants..."), depuis que des conflits internes et des pratiques informelles de travail négocié en francs, ont conduit nombre de selistes dans la. précarité, libertaires radicaux à quitter le SEL.

On peut tenter, pour le SEL de la garrigue, de situer l'évolution de sa composition sociale à partir des travaux de recherches réalisés en début de son existence136. La comparaison des résultats sur ces deux époques, montre que la part des groupes sociaux au chômage, au rmi ou en contrat précaire a légèrement reculé, comme celle des retraités et mères au foyer, tandis que s'accroissaient la proportion de salariés et celle des artisans/commerçants/professions libérales/agriculteurs. Tout se passe comme si une partie non négligeable des adhérents du SEL de la garrigue avait été remplacée par des individus économiquement mieux insérés. Une conclusion qui n'est pas si éloignée des intuitions de nombre de selistes du SEL de la mer, sur leur propre organisation, mais qui reste abstraite des pratiques d'échange réelles.

1 3 6 Cf Isabelle Guérin : 1996/97, "Les SEL, un nouveau monde de convivialité" (opus cité) p 6

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2.2 - Les échanges entre groupes : sociologisme et dualisme

Dans la plupart des SEL, un partage spontanée est fait par les adhérents entre ceux qui

viennent au SEL "à l'issue d'une démarche intellectuelle" qui donne naissance à

l'adhésion, et les autres, dont les besoins de services, de liens sociaux sont censés

éclairer les motivations. Cette distinction ne se fonde donc pas sur une pure séparation

socio-économique même si elle peut la recouper. Mais elle est souvent renforcée par une

autre qui la complète, où la disponibilité des personnes est mise en avant et qui donne

tout son sens au statut économique et social des adhérents.

"Je me souviens d'une femme à qui j'avais téléphoné, et qui travaillait comme kiné, qui proposait des séances de massage chez elle. Je l'avais contacté plusieurs fois, et elle m'avait dit à force : je regrette, je ne peux pas, j'y arrive pas, j'ai pas le temps, je vais me dés-inscrire ; C'était un choix idéologique, sympa, mais elle pouvait pas..."

Ces deux types de conditions - la disponibilité et les besoins matériels et relationnels -

sont souvent présentés comme des éléments constitutifs contingents, des SEL. Ils

révèlent aussi nécessairement que des groupes sociaux différents par leurs situations

économiques et sociales, en sont les porteurs. Les SEL sous ce regard, ne sont donc

jamais que le reflet de la société dont ils procèdent ; comme si les systèmes d'échanges.

locaux ne faisaient au fond, qu'hériter d'une stratification sociale qui les traverse.

Ces différenciations sociologiques ne sont pourtant pas vécues avec le même sens selon

les organisations. Il y a même plusieurs manières de vivre cette dépendance au sein des

SEL étudiés ; entre une évocation presque fataliste137 telle que nombre de selistes du

SEL de la mer la vivent, et une invocation stratégique et volontariste telle qu'elle est

construite par certains vieux militants138 du SEL de la garrigue, qui tentent ici de

raccorder l'échange à la diversité sociale, contre la menace possible de la

ghéttoïsation139, les groupes sociaux prennent un rôle différent dans les représentations

internes.

"Si un SEL fonctionne en autarcie, il se plante, Imaginons un SEL de jardiniers. Il ne marcherait pas ; ce serait un syndicat. Il faut qu'on soit tous différents pour apporter des choses différentes."

•37 e t quelquefois même abusée. 138

une appréciation qui n'est ici sans doute aussi pas étrangère à la diffusion interne des travaux d'enquêtes et de recherches déjà entrepris ¡I y a quelques années par Isabelle Guerin, Opus cité 139

identifiée à la maison des chômeurs de Montpellier

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s

"Les SEL attirent toujours des public différents : des gens qui sont en galère, au rmi, et des gens qui bossent. Mais ceux qui sont en galère, ce sont des gens qui n'ont aucun réseau, aucun ami, qui sont isolés. Ceux qui ont un soutien familial ou amical, ils s'en sortent toujours à peu prés, ils ont de quoi se loger ou se nourrir. Mais il y a aussi des Rmistes qui vont bien aussi, et des salariés qui sont mal dans leur peau et qui sont isolés. II n'y a qu'à voir la consommation des psychotropes en France!"

Au sein du SEL de la mer, si les deux types de "publics" sont spontanément repérés, la légitimité de l'un d'entre eux ou plutôt sa raison d'être n'apparaît pas si spontanément compréhensible pour tous. Et sans nécessairement qu'une critique particulière puisse lui être portée, les individus qui disposent d'un status social reconnus, ont toujours implicitement à justifier du bien-fondé de leur présence au SEL, en particulier vis à vis des individus en situation matérielle difficile.

Ces derniers sont donc souvent à s'interroger sur la raison de la venue de ces individus au SEL, et les explications (même idéologiques) que ces derniers apportent avec eux ne suffisent pas toujours à lever ces interrogations.

"Du fait que certains sont salariés ou bossent, c'est dur à trouver un rendez-vous. Et puis quand tu travailles pas aussi ; c'est drôle, on n'a pas de repères dans le temps, on oublie les rendez-vous, c'est pour ça que j ai un agenda... Le temps, on n'en a pas non plus, mais autrement. Donc il y a deux catégories de gens au SEL : les gens qui bossent, et ceux qui bossent pas et qui ont du temps. Du coup leurs notions du temps ne sont pas les mêmes et je pense que l'adhésion et les échanges dans le SEL ne correspondent pas à la même chose ; les gens qui bossent ont plus de fric... alors on se demande ce qu'ils viennent chercher !"

Ces représentations sur la participation inégale des groupes des SEL aux échanges sont confirmées de manière nuancée, par les tendances des résultats d'enquêtes ou de comptages réalisés sur les pratiques d'échanges selon les groupes sociaux dans ces deux associations ; puisque si l'on s'en tient aux nombres d'échanges respectifs (comparés à leur proportion respective dans chaqucSEL), on constate qu'ils avantagent largement certains des groupes sociaux qui disposent de temps.

Au SEL de la garrigue en particulier, les retraités et les femmes au foyer sont les groupes qui ont le plus grand nombre d'échanges par rapport à leur propre représentation, ils ont même proportionnellement deux fois plus d'échanges en moyenne que les chômeurs/rmistes ou les artisans/commerçants, et quatre fois plus que les salariés. Dans le SEL de la mer, les chômeurs/rmistes sont les adhérents qui échangent le plus : deux fois plus que les retraités/femmes au foyer et plus de quatre fois ce qu'échangent les salariés urbains.

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Dans les deux SEL, on se trouve donc en présence d'une situation particulière où les groupes qui échangent le plus, sont constitués de populations qui, numériquement ne sont pas dominantes dans l'organisation ; mais cette disproportion reste plus évidente au SEL de la mer, où les salariés apparaissent comme l'envers des chômeurs/rmistes. Elle explique sans doute pour partie les conflits internes évoqués plus haut.

Dans l'équilibre général des échanges entre groupes, les salariés apparaissent donc largement défavorisés ; leurs contraintes personnelles de disponibilités ont les mêmes effets en ville ou à la campagne, puisque globalement dans les deux lieux, ils échangent deux fois moins que ce qu'ils sont nombreux.

Structures de groupes et structures des pratiques d'échanges

(Base 100 en colonnes) :

Salariés

Piof. Liber, artisans

comrrocariis, Agnc

Chômeuis/Rmistes

Retraités, étudiants,

femmes au foyer...

SEL de la Garrigue

les pratiques

relatives

d'échanges de 140

services

12%

26%

36%

26%

la part du groupe

dans la population

du SEL

27%

27%

32%

12%

SEL de la Mer

les pratiques

relatives

d'échanges de

services

19%

6%

56%

19%

la part du

groupe dans la

population du

SEL

47%

3 %

29%

21%

Dans les SEL abordés, ces données confirment donc que se joue réellement au plan des pratiques, un enjeu global entre ceux qui disposent de temps : Retraités/femmes-au-

140Le calcul des pratiques d'échange par groupes a été fait sur la base des 3 années cumulées 1997, 98, 99, afin de disposer d'un échantillon plus robuste. 141 L'hétérogénéité de cette catégorie qui met en regard professions libérales du SEL de la mer et agriculteurs ou artisans/commerçants du SEL de la garrigue est manifeste.

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foyer/étudiants, et Chômeurs/rmistes dont la somme cumulée du nombre des échanges dépassent alors les 50% des transactions totales, et les autres... que ce soit au SEL de la garrigue et au SEL de la mer. On comprend mieux du coup la permanence de cette représentation duelle vis à vis des adhérents de SEL. Et l'inégalité de traitement qui menace les adhérents indisponibles ayant un status social.

Ces questionnements sur la présence au sein du SEL de "ceux qui n'en auraient pas besoin", n'épargnent pas non plus bien sûr certains vieux militants du SEL de la garrigue142, qui ont connu la période des projets d'économie alternative, sans que ces représentations aient ici la même portée qu'au SEL de la mer. Souvent les adhérents favorisés du SEL sont renvoyés alors par les autres à une aliénation plus générale vis à vis de la société marchande dans une sorte de détermination collective qui éclaire le sens de leur participation.

"Le SEL, c'est une convergence de facteurs, avec des gens qui n'ont pas trop de boulot, pas trop de fric et qui aimeraient être dans une situation moins précaire, et ceux qui ont de quoi bouffer, un boulot, mais qui n'ont pas envie d'être pris dans le système, et qui viennent au SEL car ça les rapproche de gens différents d'eux. C'est enfermant le milieu professionnel aussi. Quand on est dans son boulot, on est forcément entouré de gens comme soi, forcément qui se ressemblent. Le SEL, c'est cette rencontre entre ceux qui veulent pas se laisser happer par le système financier ou professionnel et qui veulent y échapper, et ceux qui veulent se stabiliser professionnellement et financièrement. Chacun de ces groupes veut échapper à son enfermement, à sa manière! "

Dans un sens, les deux SEL s'opposent, en particulier dans l'esprit des adhérents les plus assidus, par l'image attribuée aux groupes sociaux : le SEL de la garrigue par certains de ses portes-paroles en particulier, dont l'histoire se révèle moins "sociale", veut affirmer une relation de complémentarité fonctionnelle entre groupes que les données chiffrées n'infirment pas.

Le SEL urbain, travaillé par une représentation socio-politique des groupes sociaux, (que lui ont léguées certains de ces militants libertaires), est partagé entre des images contradictoires de conflit et de participation, qui ne sont pas étrangères à une évolution fragile et problématique de son organisation. Comme on l'a vu avec le rite d'agrégation sélectif conjoncturel des nouveaux. Il y a là une appréciation sociologique des selistes, une représentation de leur stratification sociale, qui ne favorise sans doute pas leur

Le plus souvent, ces regrets viennent pour conforter le regret de ne pouvoir renforcer leur assistance auprès des plus démunis, comme si la trop grande présence des groupes sociaux favorisés, dissuadait les exclus d'y venir, en particulier les SDF ; tout ce passe comme si l'impuissance et l'insuffisance vécue de la solidarité avaient à trouver ici son bouc-émissaire.

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communication, héritée des Rmistes de la "Maison des chômeurs", transfuges venus au SEL de la mer.

Ce n'est pas un hasard si les sorties de week-end organisées pendant quelques mois (dans la première moitié de 1999), qui pouvaient réunir des individus intégrés au monde du travail et d'autres, "inactifs", se sont brutalement arrêtées, faute de véhicules et de volontaires actifs disposant de quelques moyens. Certains chômeurs ayant aussi retrouvé un emploi. Une grande partie des adhérents vivent désormais ce SEL comme un espace de relations sociales plus que d'échanges de services.

Par contraste le SEL de la garrigue, ne traite pas ses groupes sociaux sur le mode d'univers sociaux aux intérêts différents, et son insistance à privilégier la richesse de chaque sujet n'est que la traduction de cette volonté d'harmonie ; les termes de "bourges" ou de "prolo" ne font pas partie des registres d'évocation de ses adhérents, comme on l'a vu quelquefois, au SEL de la mer. L'emploi pour définir le SEL, de la périphrase "des gens qui ont des biens, et des gens qui ont du temps", a été employée au fond contre tout regard sociologique des adhérents en termes de classes sociales, dans une tentative pour concilier la communication de groupes sociaux qui peuvent disposer de contraintes et de modes de vie différents. Ces représentations sont donc pour partie explicables par les pratiques réelles d'échanges des groupes sociaux qui composent les deux SEL.

Il faut noter ici que les données nécessaires pour identifier les relations en réseaux des divers groupes sociaux ne sont pas également disponibles pour caractériser le SEL de la mer et le SEL de la garrigue. Si les décomptes de gestion de "l'administration" du SEL rural permettent de mettre sous forme de matrice croisée les flux d'échanges reliant les 4 groupes que sont : les salariés, les Artisans/commerçants/professions libérales /agriculteurs, les Chômeurs/rmistes, et les Retraités/femmes-au-foyer (non chômeuses), les résultats d'enquêtes sur les changeurs et leurs pratiques d'échanges individuelles du SEL de Montpellier ne permettent de saisir ces réseaux, qu'en pointillé, et davantage en s'appuyant sur l'observation et le témoignage empiriques. L'"unité statistique" de l'un étant l'échange, celui de l'autre étant le seliste.

Ces deux méthodes d'identification des réseaux de relations qui traduisent souvent deux types de souci dominant143, sont ici déterminées par des contraintes d'investigation très fortes qui n'ont pas favorisé l'emploi de la même démarche. L'esprit libertaire de

1 4 3 Voir les débats sur les méthodologies des études de réseaux qui ont opposé les quantitativistes tel Heran (Enquête 1982/83 : Contacts entre les personnes) aux études plus qualitatives des anthropologues : Cf Revue "Sociétés contemporaines", N°5 / mars 1991, Réseaux sociaux, Ed L'Harmattan.

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nombre de militants du SEL de la mer, comme la relégation des comptages individuels,

restent difficilement compatibles avec l'identification systématique de tous leurs

partenaires d'échange (en l'absence de feuilles de richesse à jour des échanges réalisés).

L'analyse au sein du SEL de la garrigue, des réseaux sociaux constitués par les

partenaires des échanges pour chaque groupe, met en évidence des relations

préférentielles mais relativement équilibrées.

Les pratiques a" échange de services, en réseaux selon les groupes ,

calcul cumulé'44 entre 1997 et ¡999 :

base 100 en ligne

(SEL de la garrigue)

Salariés

Aitisns / ocm-

noçms,agriajlt/ prof. Lib

ttEÉÉs/ Funresaufcijer

RmisËS / chômais

Salariés

5%

15%

4%

19%

Aitisa ß/cu ii i H£i us,

agricuft./

prof. Lib

32%

• 9%

34%

24%

RdrailÉs/Femmes

aufcjer

7%

' 44%

5%

36%

Rrnras/chomeuis

56%

32%

49%

21%

Pour donner toute leur portée aux résultats ci dessus, il faut garder à l'esprit que pour

comparer les groupes identifiés, leurs pratiques d'échanges calculées en pourcentages

sont là pour favoriser la mise en évidence des spécificités de groupes et de leurs réseaux

de relations. Ils neutralisent donc le nombre réel d'échanges réalisés (voir supra) dans

chaque groupe.

Si l'on focalise l'examen sur les deux groupes sociaux qui disposent de temps et qui ont

le nombre d'échanges réels le plus important : les chômeurs/rmistes et les

retraités/femmes au foyer/étudiants, on constate que leurs interrelations réciproques

présentées dans le tableau ci dessus, nourrissent une grande partie des échanges

144 Le cumul des 3 années de pratiques d'échanges vise à disposer d'un échantillon plus robuste, et à saisir une forme d'organisation moins conjoncturelle.

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globaux145 ; les individus sans emploi échangeant fortement avec les retraités / femmes au foyer / étudiants, plus du tiers de leurs échanges, tandis que ces derniers ont consacré en retour plus de la moitié de leurs relations avec les sans-emploi. Au SEL de la garrigue, cet usage en particulier est favorisé parce que les Rmistes et les chômeurs ont eu tendance à réaliser des échanges répétées avec ces mêmes personnes ; des retraités et des femmes au foyer qui traduisent des cercles de sociabilité récurrents et qui semblent traverser les années 1997 à 1999, avec une grande constance.

C'est sans nul doute ce nœud permanent d'échanges entre ces deux groupes qui explique la continuité du SEL. On voit aussi que les échanges entre retraités/femmes au foyer et artisans/commerçants/professions libérales restent importants car ce dernier groupe assez hétérogène admet des personnes qui travaillent à temps partiels, ou qui disposent de grandes variations de charge de travail dans l'année (certains agriculteurs et des commerçants). Les autres groupes ne sont pas exclus des échanges, et l'on voit ici que les salariés aux pratiques peu nombreuses (12% de l'ensemble des échanges) nouent presque la moitié de leurs relations avec les individus sans emploi, comme les petits patrons (artisans/commerçants...). Ces données témoignent donc du caractère dualiste de cette organisation, et révèlent des échanges entre "ceux qui ont du temps et ceux qui ont des biens".

Ces relations entre groupes ont pourtant été largement dépendantes de mouvements conjoncturels entre 1997 et 1999, avec des variations d'effectifs ou des participations changeantes des uns et des autres. Ainsi un grand nombre de salariés du CIEPAD, soutenus par une idéologie de l'entraide et largement impliqués dans le SEL de la garrigue en 1998, vont surmonter leurs contraintes de temps, et multiplier des échanges avec des personnes d'autres groupes sociaux, en particulier avec les individus sans emploi ; une implication de salariés qui se réduira avec le temps/surtout dés 1999146, et qui explique dés lors la diminution de ce type d'échange avec les salariés.

De même les petits patrons (artisans/commerçants...) révèlent des attitudes changeantes. En 1997, par exemple leurs échanges s'orientent d'abord vers les retraités/femmes au foyer, pour favoriser les années suivantes les sans-emploi. Parmi eux, les agriculteurs incités à proposer une partie de leurs produits frais en surplus, seront amenés à y

,45Rapporté a la masse globale des échanges entre selistes, ce trafic Rmistes/chômeurs-Retraités/femmes au foyer, dans les deux sens, est égal à plus de 25% de la totalité des échanges. 146Avec la détérioration de la situation interne du CIEPAD, et le licenciement de ses salariés.

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renoncer progressivement à partir de 1998 et surtout en 1999, et à réduire de fait leur 147 participation ' au SEL.

"Le statut de producteur de légumes est devenu problématique au SEL. Ce dernier ne veut surtout pas faire passer ces légumes dans le circuit des échanges du SEL, car quand on dit : une heure de travail c'est soixante grains, ça paraît clair quand c'est du service. Quand c'est des biens ça oblige à faire des calculs. Quand tu as un objet, une chaise chez toi, que tu veux t'en débarrasser, tu négocies avec l'acheteur... tu montes ou tu baisses le prix, c'est ton problème. Mais avec les légumes que tu produits, quand c'est ton kilo de tomates que tu avais l'intention de vendre 15 francs au marché et qu'on te dit : je veux te les prendre au titre du SEL, c'est pas évident. La personne ne se demande pas le temps qu'il a fallu au maraîcher pour les produire. Si je te dis le kg de carottes = 60 grains, ça ne correspond pas à la réalité du temps de travail. Le producteur va vouloir revaloriser son légumes en fonction du temps qu'il y a passé. Et personne ne va vouloir payer le montant en grains qu'il demande. Et expliquer tout ça pour justifier le montant en grains demandé, c'est trop compliqué ! Et ça te renvoie à une réalité qui est que dans le système français Vagriculteur est subventionné, et ça permet d'avoir des prix plus bas que ça devrait être sur le marché. Ou alors il est assassiné comme dans les supermarchés où tu as le kg de carottes pour rien".

On observera un mouvement très comparable à celui des agriculteurs à partir de 1999,

en particulier pour certaines personnes installées en libéral. Deux mouvements qui

fragilisent largement la complémentarité fonctionnelle entre les groupes qui ont du

temps, et ceux qui disposent de biens.

"Par exemple tu as Jean-Marc qui fait de la PAO à Puechabon établi en libéral et qui gagne sa vie grâce à ça ; celui qui va lui demander un service de PAO, pour son CV par exemple comme c'est arrivé plusieurs fois, quel tarif en grains il peut lui proposer ? Si c'est le même que sur le marché, ça sera largement au dessus de ce qu'on donne ici, avec une heure = 60 grains. Alors, s'il accepte ce tarif, il le fera une fois ou deux, trois peut-être, puis il essayera d'obtenir plus; mais ça sera pas évident et s'il le fait ce ne sera jamais au niveau du marché où il gagne sa vie ; alors il va s'épuiser, ou faire ça gratos mais le moins souvent possible...Cest aussi le problème de tous les artisans, commerçants, agriculteurs, ils n'y trouvent pas leurs comptes, et c'est pour ça que ça coince,car ils ne sont pas favorisés par le système".

Ces évolutions qui peuvent se lire aussi dans les résultats annuels du nombre des

échanges enregistrés sur le livre des comptes, expliquent sans nul doute la baisse

i an Les rencontres de Salvagnac à l'été 1999, montrèrent que ceux des agriculteurs qui avaient accumulé des "grains"

en cédant leurs produits, ne purent trouver de candidats pour les aider vis à vis des nouvelles récoltes ou du travail de la terre.

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générale et considérable du nombre des échanges évoquée plus haut en 1999 et 2000 ; et sans doute aussi traduisent un véritable changement dans le fonctionnement du SEL.

Certaines constantes demeurent cependant. On voit ainsi que la matrice des relations entre groupes, a tendance à mettre en évidence la faiblesse des relations internes aux groupés de même type : Rmistes/chômeurs—Rmistes/chômeurs, Salariés—Salariés, Artisans/commerçants—Artisans/commerçants, Retraités /Femmes au foyer—Retraités/Fèmmes au foyer, dans une sorte de propension générale à échanger hors de son groupe, un comportement qui transparaissait déjà dans la faible tendance relative du SEL de la garrigue à échanger avec les mêmes individus ( tableau p 65 ).

Par contraste, on peut tenter d'apprécier comment les groupes sociaux du SEL de la mer échangent entre eux, même si l'absence de comptabilité générale et l'enquête par questionnaire148 n'ont pas pu permettre d'établir de matrice croisée des échanges de services.

La mise en cohérence des résultats quantitatifs présentés plus haut témoigne d'un triple phénomène confirmé par l'observation empirique : la part dominante des échanges réalisés par les adhérents en situation de chômage, leur propension à privilégier des échanges avec les mêmes personnes, et la faiblesse numérique des échanges de gens qui disposent d'un statut social, les salariés en particulier.

Ces données ont tendance à soutenir le concept d'"homophilie" proposé par les sociologues mertoniens149 pour désigner la tendance à voir "se développer des relations d'amitié pour les individus qui se ressemblent". Elles pourraient aussi expliquer nombre de représentations dominantes au SEL de la mer. Cette tendance forte des échanges entre personnes en situation précaire, n'exclut pas les relations avec les autres groupes sociaux mais elles restent ponctuelles, avec les adhérents qui disposent de temps en particulier. Et si les échanges avec des salariés ne sont pas absents, ils se sont focalisés sur quelques uns dont l'idéologie et l'amitié en faisaient des partenaires spontanées, en particulier depuis que ces derniers ont renoncé à maîtriser la gestion "et l'administration du SEL de la mer. On peut même avancer l'idée que ces quelques personnes, informaticiens d'établissement public, ouvriers du bâtiment, infirmière, transporteur, sont d'autant plus valorisés par les selistes en situation précaire les plus assidus, qu'ils constituent des ressources rares et précieuses vis à vis de services très demandés.

, 4 8qui permettait d'identifier séparément le nombre d'échanges réalisés et le nombre de partenaires rencontrés (dans l'année, et depuis le moment de l'adhésion), par personnes enquêtées. l 4 9Cf Lazarsfeld PF et Merton RK, 1954 : "Friendship as social process : a substantive and methodological analysis" cité par Claire Bidart, Opus cité, p41.

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s

Cette situation, comme au SEL de la garrigue, laisse aux salariés, aux professions libérales et aux femmes au foyer ou retraités, une certaine latitude à échanger entre eux, hors des individus en situations de chômage, à partir de cercles de relations qui s'organisent de manière relativement autonome et qui expliquent la permanence d'usages comptables isolés fait en vagues mais sans enregistrement centralisé, ou d'îlots vécus comme regroupant "des électrons libres".

Il est difficile d'identifier l'effet de ces organisations en réseaux sur les services échangés, une partie importante d'entre eux étant indifférents aux situations personnelles des adhérents. On peut cependant avancer quelques hypothèses ponctuelles. Au delà des services liés au espace urbains ou ruraux, qui tirent leurs réalisations du fait de leurs implantations (bois de chauffage, petits aménagements agricoles, sorties culturelles en ville aux spectacles, aux expositions...), les services de réparation et de dépannage ou d'aménagement de l'espace domestique, mais aussi les gardes d'enfants et les soutiens scolaires semblent largement partagés dans les pratiques des deux SEL, et relient souvent les individus disponibles à ceux qui ont des contraintes professionnelles, mais aussi les inactifs entre eux ; l'importance des aides alimentaires cuisinées ou pas, semble assez explicable par le type d'organisation en réseau du SEL de la garrigue, comme les services domestiques de repassage, ménage ou couture, très rares au SEL de la mer, (malgré leur demande).

Les services d'aides destinés à faciliter la recherche d'emploi (CV, aide à la gestion, conseil, savoirs professionnels, cours de langue et traductions...) restent l'exception au SEL de la mer, et se font l'écho du faible nombre de relations entre salariés et rmistes, alors qu'ils ont longtemps constitué une forme d'entraide convenue au SEL de la garrigue, où nombre de chômeurs tentent de créer leur propre entreprise, tandis que d'autres (artisans, commerçants et artistes) essaient de la développer.

Il faut noter aussi que cette complémentarité a tendance à se réduire dans certains domaines, les services d'entraide entre personnes sans emploi et agriculteurs ou artisans du bâtiment devenant problématiques. Ces conclusions négatives sur la réduction du nombre de services complémentaires entre groupes expliquent aussi probablement pourquoi les SEL analysés, se mettent à développer des services moins spécifiques (services pour le corps - coupes de cheveux, massages -, développement personnel, divertissements culturels, petits dépannages...)- qui conduisent à réduire leur nombre, à renoncer au bénéfice des spécialisations professionnelles et des métiers, et à encourager une sociabilité privilégiant la relation humaine avant tout service.

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Enfin depuis l'année 1999, au SEL de la garrigue, de nouveaux services échangés apparaissent avec "la route des SEL", organisation hexagonale, offrant en particulier la possibilité de pouvoir être hébergé hors de l'Hérault, ou d'héberger soi-même contre des grains, ceux qui adhérent à cette association. Ces services150 et leur développement ont pour effet d'éloigner pour des périodes qui peuvent être assez longues les personnes (disponibles) qui se trouvaient être les leaders du SEL local, souvent retraités et/ou célibataires, en tout cas disponibles. Leur éloignement ampute de fait un part importante des échanges de services réalisés localement.

La crise traversée aujourd'hui par les SEL de l'Hérault n'est pas étrangère à cet ensemble de mouvements.

dont la valeur est imputable sur le solde personnel du seliste de la garrigue.

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3- Les foires, les objets échangés et les SEL.

Les foires constituent pour les SEL des moments spécifiques, parce qu'elles permettent d'échanger des objets, dont la place et les représentations les distinguent des services échangés. Elles forment les seules opportunités qui permettent aussi de mettre en relations les différents SEL qui coexistent sur des territoires proches, en favorisant au moins théoriquement des échanges inter-SEL.

Les recherches réalisées jusqu'ici sur les SEL, ont le plus souvent minoré le rôle spécifique des objets dans le fonctionnement des systèmes d'échange locaux ; elles ont même considéré que ces derniers étaient à traiter comme des services, se laissant abuser par nombre de représentations endogènes.

Il est vrai que dans la plupart des SEL, des objets sont proposés dans les annuaires au même titre que les autres annonces, et rentrent dans les échanges interindividuels hors de toutes manifestations collectives, mais leur part dans le trafic global reste mineure. Le SEL de la mer est l'exemple le plus évident de cette marginalisation. L'assimilation générale des biens au statut du service vient aussi probablement des objets qui appellent un effort complémentaire151 de transport ou d'installation ; du coup leur matérialité se trouvent "noyée" dans l'image de ce dernier service ( tels : l'installation d'un logiciel piraté, la plantation de graines ou de plans, l'échange de bois de chauffage, l'apport de matériaux de construction ou de réparation : bois, pierres sèches.. ).

En réalité, les foires des SEL sont les lieux majeurs d'échanges des objets. Elles forment une manifestation souvent festive, emblématique où s'expriment en fait les contradictions et les choix idéologiques des SEL, et où le rapport au temps et aux objets trouve le mieux à s'exprimer. Au temps d'abord, car ces événements collectifs sont toujours organisés un jour de fin de semaine, et peuvent donc théoriquement permettre de réunir ceux qui ont du temps comme ceux qui en ont peu ; elles sont aussi là pour permettre à ceux qui ont des biens, de venir les y échanger, par exemple (mais pas seulement) avec ceux qui en ont moins. Cet espace constitue donc le foyer d'émergence potentiel d'une organisation dualiste entre ceux qui ont du temps et ceux qui ont des biens ; ce partage pouvant du reste s'évanouir chez les retraités, les mères au foyer, les enseignants, les intermittents du spectacles ou certaines professions libérales qui

Paradoxalement, les objets trop lourds qui peuvent difficilement être transportés tels : poêle de chauffage, véhicules, gros outils de jardinage, moteurs de bateaux... en particulier sur les lieux de foire, sont en quelque sorte engloutis dans l'effort nécessaire à leur échange et glissent subrepticement dans le registre du service.

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disposent des deux. Ou plutôt qui incarnent dans leur propre situation sociale, la

rencontre optimale de ces deux modes de vie.

Ce qui ne signifie pas la foire soit destinée exclusivement à cette seule fonction visant à

assurer la complémentarité entre ces deux groupes, mais elle présente les conditions

optimales de temps, d'espace et d'objets pour la favoriser. Elle doit même, pour rendre

cette relation moins sensible et diluer les effets de distance sociale, rendre possible les

échanges internes au groupe qui a du temps, comme ceux qui sont spécifiques au groupe

qui a des biens.

Au sein du SEL de la mer, l'organisation des foires a été largement empêchée par les

contraintes de l'espace urbain ; et en particulier par la faible disponibilité et la cherté de

locaux assez grands, comme par les difficiles conditions d'accès et de parking

nécessaires pour ceux qui ont des biens (à y transporter). Ce SEL qui a tenté une fois152

en trois ans de favoriser l'échange d'objets par ce biais, y a renoncé progressivement153.

Mais si le contexte urbain se révèle être assez dissuasif pour contrarier l'organisation

des foires, d'autres facteurs peuvent converger pour rendre ce projet moins attractif

encore. Ainsi, les représentations et le statut des objets dans l'échange peuvent être

largement dévalorisés, en particulier de la part des individus les plus critiques vis à vis

du système marchand.

"Moi, je pense qu'acquérir des objets avec des vagues, je suis pas tellement pour Les objets, ça rappelle trop l'argent. Or, le SEL, c'est un système d'échange. Les objets matériels en général on sait combien ça coûte sur le marché, et là d'un coup, on peut acheter un matériel avec des vagues . Des objets comme le téléphone, les disques, ça vient du marché, du système commercial, et quand tu n'en as plus besoin, tu t'en débarrasses au SEL. La pain ou la confiture, le miel, c'est pas pareil c'est pas des objets comme un téléphone ou une lampe. Celui qui les a fait, y a mis de l'intention dedans, il les a fait peut-être pour le SEL. Il y a mis du sien, c'est comme les légumes, ça peut être toi qui les fait, tu y as mis du temps dedans... " Tu n'achètes pas un poireau en francs, pour le revendre en "vagues"- au SEL ; s'il est proposé au SEL, c'est que tu l'as fait pousser, tu y as mis du temps, c'est comme donner des cours !"

152 En réalité, ce type d'initiative a été tenté deux fois, mais la première n'avait attiré que quelques personnes ; cet échec douloureux pour les organisateurs a donc refoulé sa remémoration. 153 Abandonnant l'initiative de la dernière prévue, à deux adhérentes "qui avaient des biens", les animateurs du SEL de Montpellier ont dû constater leur manque de volontarisme et leur renoncement. 154 La remise en question de l'unité d'échange "vague" par les anciens, est ici oubliée un instant car elle incarne l'esprit du SEL antimarchand.

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On ne s'étonnera point du fait que ce type de représentation soit partagé par de vieux

militants du SEL de la mer, par ceux qui s'affirment libertaires et pour partie par ceux

qui sont en situation de précarité. Seule solution pour ces objets à voir leur statut

marchand ou leur image de déchet neutralisés : la gratuité qui du coup réintroduit la

relation généreuse et le don entre deux personnes155.

"Renoncer à tirer de l'argent de la vente d'occasion d'un répondeur téléphonique par exemple, en échangeant cet objet contre des vagues, je me dis que ça peut demander beaucoup de vagues, et conduire à dépasser les limites des plus 2000 vagues qu'on permet, à moins que tu le donnes et que tu fasses un cadeau. Mais par exemple 300 vagues - c'est un prix moyen pour une occasion comme ça, ça équivaudrait à beaucoup d'heures de services pour ce prix-là...Les objets, ça devrait être que des cadeaux, là c'est bien!"

Certains objets particuliers, qui témoignent d'un luxe ou d'une élégance particulières,

peuvent en outre témoigner d'une manière plus ostentatoire encore de la participation

des individus du SEL à la société de consommation. Et les signes d'appartenance de

groupe (de classe?) qu'ils recèlent, comme la portée compétitive qu'ils affichent156, ne

favorisent pas leur intégration au monde de la foire du SEL.

"A cette foire du SEL de Montpellier, j'avais porté des habits de mon fils, devenus trop petits, qui étaient de marque avec des couleurs, encore neufs. Ils étaient pas du style des gens qui étaient là finalement. Je ne les ai même pas sorti du sac. Les jeunes aujourd'hui, ils achètent que des marques déjeunes de 600 ou 700 balles, et à cette foire, il n'y avait ni jeunes ni ados, d'ailleurs, c'était que des femmes qui exposaient et vendaient et des hommes qui achetaient. Mais ces gens-là c'est un certain style, c'est plus années 68 que BC-BG".

Mais une autre raison ici proprement économique peut jouer comme obstacle à

l'intégration des objets dans le cycle des échanges internes au SEL montpelliérain : en

particulier, leur valeur proprement marchande pour ceux qui tirent des ressources de la

vente d'objets d'occasion, en particulier aux "puces" organisées* au marché de la

Mosson.

"C'est vrai que j'ai pas de boulot et que j'ai des problèmes de fric ; ce dont j'ai besoin, en retour de ce que je peux céder, c'est d'abord du fric. A partir du moment où on m'échange en vagues, un objet, un vêtement que je peux espérer vendre aux puces 3 ronds, je me retrouve avec un manque à gagner. Je vais donc

155 On se souvient que c'est là le modèle superlatif de sociabilité d'échange, promu par les leader du SEL de la mer. 156 Cf Baudrillard J : 1970, "La société de consommation, ses mythes, ses structures", Le Seuil.

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choisir les puces où je vends, plutôt que les foires des SEL. Mais j'achète aussi aux puces et j'y rencontre aussi des gens du SEL. Mais, quand j'ai des objets dont je veux me séparer, je préfère les vendre"..

Ces stratégies de recherche de ressources financières annexes donnent donc à nombre d'objets susceptibles d'être proposés sur les foires des SEL, une valeur de rareté économique qui confirme bien pour certains selistes, leur association à l'image de la société marchande. On pressent donc combien l'organisation de foires au sein des SEL pourra être pour partie dépendante de l'existence de manifestations du même type organisée par la société civile languedocienne. Ces dernières, dans un certains sens, sont d'autant plus concurrentes aux foires des SEL, qu'elles peuvent être une source de revenus d'appoint pour certains selistes dans le besoin157.

L'indulgence vis à vis des échanges mercenaires et sauvages en francs, internes au SEL de la mer, dont témoignent une part de ses adhérents, ne va pas jusqu'à encourager à les concrétiser vis à vis des objets. Ce rapport "anxieux" aux objets, pour reprendre le concept de Georges Bataille, de la part de selistes sans emploi mais calculateurs et qui "pratiquent les puces", explique aussi pourquoi, sans dissuader ces derniers de participer aux foires des SEL, ces dernières puissent mieux convenir à "gens qui ont des biens".

Ces représentations dévalorisant les objets (manufacturés) dans les échanges internes au-SEL de la mer, que l'on peut difficilement ne pas traiter comme des rationalisations à posteriori, ont contribué à faciliter le renoncement aux foires, à Montpellier. Il faut noter du reste que si certains selistes regrettent régulièrement la non-reconduction de ces moments d'échange collectif, c'est d'abord pour déplorer que leur fonction de rassemblement ne soit plus assurée. Parmi ces derniers, certains ont participé quelques rares fois, aux foires du SEL de la garrigue.

Se confirme en creux ici la primeur dujien social que le service incarne au sel urbain, contre l'objet. On ne peut s'empêcher non plus, de relier cette défiance vis à vis de l'objet trop marqué158 par son origine industrielle et marchande, à celle qu'encourent plus généralement "ceux qui ont des biens" et qui doivent témoigner de leur maîtrise de "l'esprit du SEL" dans le rite d'agrégation décrit plus haut, comme si l'objet contaminait sociologiquement son propriétaire. On comprend mieux par contraste, la portée sociologique de la valeur attribuée aux objets et produits faits-main au SEL de la mer.

157 Les manifestations de type spectacle ( ou culturelles destinées à favoriser le lien social ) constituent aussi de plus en plus, des activités concurrentielles à ces foires ; leur multiplications aux périodes de vacances rend l'organisation du calendrier de ces foires plus difficile à calculer. 158 Cf Dagognet F : 1989, "Éloge de l'objet", Vrin.

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Le "SEL de la Garrigue" a multiplié les foires, en particulier à partir du moment où la

baisse des effectifs s'est faite sentir. Depuis 1997 précisément, il a tenté de mettre en

place des "foires tournantes" (au nombre variable d'une année à l'autre) dans les

villages où les administrateurs de l'association arrivent à négocier un local suffisamment

grand, soit avec les municipalités, soit avec des personnes privées.

"Au début, l'activité du SEL de la garrigue était très réduite, et puis, en 1997, il y a eu une ou deux foires, dont celle de Puechabon, restée célèbre ; c'était très beau ; une en juillet, une à Noël. C'était de grandes foires. En 1998, on a décidé de faire une foire tous les deux mois, et on a tenu le pari et dans des communes différentes. Ca nous a amené des gens de milieux différents, de villages différents, alors on a fait autant d'échanges durant nos foires que ceux de l'annuaire proprement dits. Du fait qu'il y ait plus d'ouverture, ça a ouvert sur plusieurs milieux. Au début c'était les mêmes générations et les mêmes activités professionnelles, souvent des gens issus du CIEPAD : des gens plus agricoles et plus marginaux, des néo­ruraux quoi /Aujourd'hui c'est moins agricole, plus diversifié".

Ici les foires, réinterprétées sur le mode de traditions locales prolongées, sont

considérées comme un des moments fondateurs de la vie de l'association, un événement

collectif où se retrouvent administrateurs et adhérents dans la mise en scène du groupe.

En réalité, leur organisation est le moyen de mettre en évidence la population du SEL"

visitante, qui n'affiche nulle part ailleurs son unité et sa consistance numérique, puisque

en général, les échanges se réalisent chaque fois dans une relation duelle et dans le

territoire de l'un des deux partenaires.

"La foire, c'est le seul moment où les adhérents peuvent se rencontrer ; on est présent et c'est le seul moment où on se rend compte que les gens existent et peuvent y être nombreux ; des fois on est quelques uns, d'autres fois on est 30140. Les gens se disent alors : le SEL existe. Si on n'a pas de foires pendant longtemps, il y a des gens qui disent : alors le SEL ça marche plus ? Et puis il y a des gens qui ont besoin de ça. Ils font pas la démarche de prendre le téléphone pour échanger, il leur faut la foire, même s'ils se contentent de 2 ou 3 échanges dans l'année".

Mais elles permettent aussi de susciter l'adhésion des nouveaux ; et les affiches

publicitaires que l'association distribuent et affichent dans les villages à ces occasions,

invitent les étrangers au SEL à venir chiner. Ce n'est du reste pas sans ambiguïté que ces

invitations à la foire, "ouverte à tous" sont libellées, puisque elles ne mentionnent pas le

mode de transaction en grains, spécifique au SEL, pas plus que la morale des échanges,

du reste difficile à traduire dans une communication ramassée.

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Du coup se retrouvent à ces manifestations, à coté des adhérents eux-mêmes ou des

groupes d'autres SEL, des personnes inconnues dont l'intérêt central relève souvent de

la brocante, même si d'autres aux motivations moins matérielles peuvent s'y retrouver.

Si certains d'entre eux s'aperçoivent rapidement de la singularité de la manifestation et

la quittent, d'autres se voient interpellés par les animateurs et les selistes qui leur

expliquent les règles du jeu des échanges et l'usage des grains. Ici, la stratégie

d'agrégation "ouverte" des nouveaux est donc l'inverse de celle du SEL de la mer ;

l'intérêt préalable des nouveaux pour l'objet apparaît même comme moteur. Ce succès

est tel début 1999, que les administrateurs estiment que "les 2/3 des nouveaux au moins

se sont ainsi inscrits à l'association à cette occasion."

La foire du SEL simplifie en outre l'apprentissage de l'échange car elle propose

exclusivement des grains à l'entrée, et les transactions se font aux yeux de tous ! Elles

sont aussi l'occasion de repas collectifs159, qui sont là autant pour susciter

l'interconnaissance entre selistes (les nouveaux par exemple) afin d'encourager des

échanges de services ultérieurs que pour neutraliser l'effet trop objectivant des échanges

d'objets.

Si l'on retrouve ici aussi affirmée, au SEL de la garrigue, la hiérarchie entre objets dans

un sens qui donne la priorité bien évidemment à l'objet personnalisé, c'est en partie

parce que les périodes de développement de l'association firent la part belle aux produits

agricoles. Les agriculteurs apportant aux foires du SEL leur surplus de légumes destinés

à ceux qui pouvaient en manquer, incarnaient la figure superlative de l'échange ;

complémentarité précieuse qui pouvait à elle seule suffire à qualifier le dispositif d'une

fonction d'entraide aux plus démunis.

"Le SEL a mis deux ans à accepter d'organiser des puces avec des objets pas faits soi-même. Il était très prudent et craignait de faire une concurrence déloyale d'économie monétaire. Car au début, ils se contentaient d'échanger des choses qu'ils faisaient eux-mêmes ou des connaissances. Même un garagiste ou celui qui avait des connaissances mécaniques ne réparait pas de véhicule sans apprendre à son propriétaire à le faire lui-même, même si ce dernier n'était pas doué. Ceux qui ont fait changé la situation, je les connais, ils ont libéralisé le SEL, maintenant il s'en porte pas plus mal. "

159 Les selistes qui déjeunent ensemble apportent des plats à partager en commun, qu'ils réalisent eux-mêmes quand ils en ont le temps ou qu'ils achètent tout prêt. Là se rejoue la mise en œuvre des valeurs internes au SEL et les individus qui travaillent mais qui ont pris le temps de fabriquer un plat, se voient donc particulièrement félicités.

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En dépit de l'évolution des échanges, dans les représentations collectives la hiérarchie

des objets échangeables en grains reste la même, d'autant que nombre d'adhérents

confectionnent toujours eux-mêmes des plats à consommer avant l'ouverture de la foire

proprement dite, et que ces derniers sont assimilés alors à un service adressé aux autres

personnes présentes. Entre l'objet industriel au statut anonyme, l'objet de famille qui

porte la mémoire du propriétaire, l'objet qui tire sa valeur symbolique de la fabrication

individuelle de son auteur, la même image court, comparable à celle qui existe au SEL

de la mer

Cette prévalence est pourtant menacée, car les nouveaux selistes qui adhérent, révèlent

souvent une vision plus instrumentale des objets, d'autant qu'ils sont eux-mêmes

souvent mieux insérés dans la société de consommation.

"Moi, à la foire du SEL, j'ose pas trop vendre en grains les objets abîmés, comme ces chaussures d'enfants ; leurs talons sont trop usés au talon, ça la fout mal, c'est comme si on se débarrassait de quelques chose ".

C'est donc bien dans ce double statut des objets apportés aux foires - entre l'objet

industriel qui porte en lui la trace de la société industrielle qui l'a créé et l'objet conçu

par son propriétaire - que se nichent les ambiguïtés de l'organisation et les conflits de

représentations entre groupes sociaux.

Car la foire proprement dite accueille tous ces objets, et ceux qui sont d'origine

manufacturée en constituent en général l'immense majorité. L'évaluation négociée de

l'objet y est la règle, dans un usage qui peut être très libéral160, où les nouveaux

s'essaient à l'exercice. Selon les partenaires, l'évaluation de l'objet en grains pourra

donc tenir à l'importance affective qu'on lui attribue, à l'amitié que l'on a pour le

changeur ou en référence aux prix du marché, usage le plus fréquent-

"A la foire de Canet, c'était pour les fêtes de Noël - la meilleure période -, il y avait beaucoup de livres, et des jouets pour les enfants mais aussi des vêtements et des chaussures. Un musicien avait amené un ampli et une guitare. Au dernier moment, il n'a pas eu le cœur de les céder en grains et il a dit : non finalement je la garde, quand quelqu'un a voulu la lui prendre. Il l'a ramené chez lui. C'est assez rigolo au fond. "

Mais l'argent ici, n'a donc pas droit de cité. C'est aussi l'occasion, pour ceux qui ont un

solde en grains trop positif, et qui n'osent pas se "poser en demandeur", de dépenser ces

Au SEL de la garrigue, les objets apportés ne figurent pas nécessairement sur l'annuaire.

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derniers. De même que ceux qui ont un solde insuffisant peuvent renflouer leur compte en proposant des objets à la vente, en grains, puisque le calcul des grains se fait ici à somme non nulle : ce que l'un gagne (en grains), l'autre ne le perd pas en cédant un bien, contrairement aux services. Ainsi peuvent échanger aussi, ceux qui n'ont pas le temps de réaliser eux-mêmes des services consommateurs de disponibilité, en fournissant un bien, mais aussi ceux qui disposent de beaucoup de grains pour acquérir des objets.

Les comptes des échanges de biens qui sont enregistrés sur le livre de comptabilité en grains, n'identifient pas individuellement le montant en grains de chaque objet échangé ; puisque pour simplifier la procédure, seul le solde final161 - positif ou négatif - de l'ensemble des échanges réalisés par chaque individu pendant la foire, est consigné par le SEL de la garrigue en fin de manifestation. Ce type d'information permet de prendre seulement connaissance des mouvements de soldes qui caractérisent annuellement les changeurs qui participent aux foires en vendant ou en achetant des objets en grains ; mais il permet d'identifier quelle fut la présence relative de chaque groupe dans les foires.

Si on cumule les années 1997/1998162/1999, où les deux premières furent plus favorables aux foires, sur l'ensemble des personnes qui se sont présentées à ces manifestations, on constate qu'elles font une large place aux chômeurs/rmistes mais aussi aux agriculteurs/artisans... ; tandis que les salariés témoignent enfin d'une présence à peu prés proportionnelle à leur nombre dans l'organisation, comme les femmes au foyer/retraités.

Les groupes et leur présence aux foires (Base 100 en ligne)

leur nombre relatif dans les

participants aux foires

leur part dans les échanges

de services

leur part dans le SEL

Salariés

21%

12%

27%

Agrie, prof lib

artisans/commerçants

32%

26%

27%

Chômeurs/

rmistes

36%

36%

32%

Retraités / étud.

femmes au foyers

11%

26%

12%

161 La responsable de la comptabilité distribue sous forme de billets de : 1,5, 10,50 grains, la somme de 200 grains à chaque participant à la foire, et récupère en fin de soirée, les billets restant chez chacun, mettant entre parenthèses ainsi chaque achat et vente. 1 6 2 Cette année là, il y eu une cinquantaine de personnes différentes qui sont venues aux diverses foires organisées, l'année précédante 36, et la dernière : 23

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Mais ce tableau signale de manière indistincte et cumulée la participation aux foires, sans identifier la nature des échanges réalisés : achat ou vente de biens ? Le seul type d'information utilisable pour aborder cette question reste le solde annuel en grains que chaque seliste obtient de sa participation (achat et vente d'objets) aux seules foires. Cet indicateur permet de saisir de manière synchronique, l'état des débits et des crédits individuels à un moment donné.

L'une des hypothèses primitives de ce travail posaient que parmi les formes de complémentarité que les groupes sociaux pouvaient organiser dans les SEL, l'une avait rapport à l'articulation services/objets. Les changeurs les plus investis dans la réalisation d'échanges de services, pouvaient réduire leur solde excédant en grains par l'acquisition d'objets, en particulier en s'adressant à des groupes qui en disposent.

Une deuxième hypothèse, inversion de la première, pouvait être avancée dans les termes suivants : si les personnes qui ont du temps, sont à même de fournir des services notamment à ceux qui sont moins disponibles ("les gens qui ont des biens"), ces derniers peuvent compenser leur participation moins forte aux échanges de services, en vendant des objets à la foire, susceptibles de renflouer leurs comptes individuels. On pressent déjà que la rationalité "financière" qui détermine ces règles de fonctionnement ne sera pas intégrée de la même manière par tous les selistes. Et leur prégnance dans les. comportements d'échange sera fonction de l'implication des adhérents dans l'organisation et de leur capacité à en comprendre et à vouloir en exploiter toutes les formes de fonctionnement. Cette remarque module assurément sans les infirmer, la vigueur des hypothèses précédantes, sur les deux formes de complémentarité services/biens, ou groupes qui ont du temps / groupes qui ont des biens, les groupes concernés témoignant d'implications inégales dans le SEL.

L'examen des soldes des achats et des dépenses de foire pour chaque groupe, confirme que certains groupes "qui ont du temp?', rééquilibrent par l'acquisition d'objets, leurs excédents comptables. Les retraités et femmes au foyer qui se montrent actifs au plan des services échangés et conscients de la rationalité comptable de l'organisation, ont largement intégré la règle de complémentarité avec les biens163, puisque leurs comptes en grains propres aux foires, sont pour les 2/3 d'entre eux en débit. Leurs échanges de services plus nombreux trouvent ici dans les objets une compensation stratégique.

6 3 En tout cas ceux qui viennent régulièrement aux foires, c'est à dire la moitié d'entre eux.

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Les chômeurs/rmistes qui sont les changeurs de services les plus actifs (en valeur absolue seulement) sont pour la moitié seulement dans le même cas que les retraités/femmes au foyer. Leur exploitation de la règle de complémentarité biens/services est donc partielle ; seule une partie d'entre eux tente d'acheter plus systématiquement des biens parce que leurs pratiques d'échanges de services leur laissent un compte positif ou nul. Ce principe de précaution est même souvent énoncé dans des propos manifestes.

"Actuellement mon compte est dans le vert, alors f en profite, c'est pas que f en ai besoin,

mais ça fait plaisir de revenir chez soi avec des CD. ou des bouquins, même si c'est pas

beaucoup qu'on dépense. Mais tout le monde fait pas comme ça, On en connaît qui sont à

moins 1500 grains et qui ne se gênent pas pour acheter à la foire., ils se rattraperont plus

tard., qu'ils disent".

Cette stratégie comptable est dépendante de l'intensité de leur pratique d'échange qui dévoile aussi leur volonté d'exploiter toutes les règles du jeu du SEL, mais elle reste entravée par le modèle repoussoir de la société environnante fondé sur la dévalorisation des dettes, qu'ils peuvent vivre douloureusement. Cette règle se trouve en outre pour partie compromise par le renoncement ou l'incapacité du SEL à poursuivre une. dynamique de développement qui le rende crédible aux yeux des plus démunis164.

Les artisans/commerçants... qui constituent un groupe entre deux, du point de vue du temps et des biens, vendent dans ces foires plus de biens que ce qu'ils en achètent165, et confortent par ailleurs ainsi leurs pratiques d'échange de services. On constate en réalité que ceux qui ont la pratique de services la plus intense, ne sont pas nécessairement les plus vendeurs en foire. C'est plutôt ceux qui ont une pratique moyenne ou faible qui viennent vendre leurs objets à la foire, reprenant ici la règle de complémentarité entre les biens et les services ; les agriculteurs en particulier pris sur la durée illustrent ce cas de figure. Il est probable aussi que leurs propres habitus professionnels facilitent leur participation aux foires du SEL. Ce qui ne signifie pas que certains n'échappent pas à cette tendance générale tels quelques individus de professions libérales, se vivant comme des collectionneurs, férus de brocante.

164 Ce n'est pas un hasard si les soldes négatifs en grains les plus lourds concernent quelques personnes en situation précaire de ce groupe. 165 58% des soldes individuels en grains de ce groupe fréquentant les foires sont positifs. Et parmi ces soldes positifs, on trouve les scores les plus élevés, signe d'une activité de ventes d'objets plus importante chez quelques uns.

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"Moi j'ai toujours aimé collectionné les objets de curiosité. Quand j'étais dans les

Pyrénées avec des copains dans le village où j'habitais, le dimanche on faisait des puces

entre copains, tout le monde pouvait y venir, on faisait du troc mais c'était pas un SEL. Il y

avait de tout comme objets. J'ai continué de le faire en achetant, avec le SEL ici...."

Enfin les salariés que le tableau précédant présentait comme relativement nombreux à ces foires, se révèlent autant acheteurs que vendeurs d'objets, la moitié de ce groupe ayant un solde positif, l'autre moitié négatif. Une partie seulement des salariés a donc repris à sa charge (vis à vis de ses comptes en "grains") la stratégie de complémentarité biens/services évoquée plus haut, en apportant des biens à vendre à ces foires, en particulier nombre de salariés du CIEPAD, familiers avec la rationalité de l'organisation.

L'autre moitié des salariés, "dépensière", qui a tendance à accepter les débits dus à l'acquisition de biens, présente des soldes d'échanges négatifs très faibles (la plupart entre -1 et -100 grains) qui démontrent malgré tout, une volonté globale de ne pas trop s'endetter. On a vu plus haut que les salariés constituent le groupe social qui noue les échanges de services les moins nombreux, comparativement à leur nombre ; ce comportement traduit nécessairement les contraintes de leur mode de vie, mais il entraîne une moindre familiarité avec les subtilités comptables de l'organisation, quand ce n'est pas une forme d'indifférence à leur force symbolique.

Les foires du SEL de la garrigue (1997 à 1999).

Répartition du nombre de comptes annuels issus des échanges de foires, selon les tranches de dépenses

„ 199? 3 !2 14 5 2 36

11998 J 6 24 11 7 2 50

i" ' ' Í

¡1999 j 1 15 5 2 0 23

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Conclusion

Dans la reproduction sociale des SEL, les relations de groupes réalisées par le biais de services ou d'objets favorisent donc inégalement selon les institutions, une organisation dualiste, en acceptant plus ou moins les contraintes des modes de vie, et les effets de leurs différenciation sociales.

Au SEL de la garrigue, son application n'a pas si à être si rigide parce qu'elle admet des groupes sociaux numériquement importants qui sont situés justement dans l'entre-deux et qui ont pu donc échanger sans trop de contraintes (de lieux ou de temps) : retraités, mères au foyer, professions libérales/artisans, commerçants et une partie des salariés. Cette population importante pourrait dans un sens, être considérée comme une troisième "force" de l'échange global, mais elle est souvent écartelée entre les mêmes pressions de temps et de moyens. Les administrateurs de cette organisation eux mêmes sont l'illustration la plus évidente de cette "ternarisation" pour reprendre le terme de Lévi-strauss166 ; stratégie de mobilisation de médiateurs intermédiaires dans leur situation sociale, par lesquels les autres groupes sont raccordés à l'organisation.

Il y a donc sans doute ici avec le SEL de la garrigue, l'application d'un modèle dualiste167 conscient que ses anciens fondateurs ont du reste décrit, en qualifiant le SEL. de "lieu où se rencontrent des gens qui ont du temps et ceux qui ont des biens", même s'il est contrarié par des facteurs sous-jacents qui peuvent le contredire. Ces facteurs organisationnels sont du reste devenus si dissuasifs que, depuis la fin de l'année 1998, l'équilibre et l'importance des échanges obtenus, ne seront pas renouvelés à l'identique notamment en 1999 et en 2000.

Le départ de groupes idéologiquement impliqués (CIEPAD) dans l'association, ou la déconvenue d'individus en désaccord avec les règles tarifaires égalitaires de rétribution des biens et des services, comme la difficulté d'organisation des foires168, ne sont pas sans effet sur cette évolution. Les nouveaux adhérents aux motivations moins idéologiques, qui sont souvent issus des couches moyennes de la société, ne présentent pas en outre les mêmes dispositions volontaristes à l'échange.

1 6 6 Cf 1958, "Anthropologie structurale", Pion. 1 6 7 Largement soutenu par la réflexivité des sciences humaines disponibles dans ce champ social. 1 6 8 Due en particulier aux difficiles recherches de salles disponibles et à l'attitude de municipalités locales pas toujours favorables à leur déploiement.

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"Ceux qui appellent les autres, c'est souvent ceux qui en ont besoin, ce sont des rmistres

surtout. Les nouveaux s'ils en ont pas besoin, ils attendent qu'on les appelle, ça peut durer

longtemps. Puis au début les gens du SEL faisait partie des mêmes associations : les

calandrettes, la coop de Clermont, l'association des parents d'élèves..., ils s'y voyaient et

pouvaient se donner rendez-vous."

Les nouveaux services d'hébergement de la "Route des SEL" détournent aussi depuis peu à leur profit une part des disponibilités donc des échanges qui alimentaient le SEL de la garrigue.

Quant aux relations interSEL, elles ont toujours été marginales malgré les tentatives répétée du SEL de la garrigue à vouloir les développer, en particulier en 1998169, et n'ont pas concouru à développer sur des "chaînes d'alliance" (Dan Sperber) plus longues, les échanges que l'organisation locale peinait à trouver. Ainsi, les derniers échanges d'objets réalisées à l'occasion de foires où étaient invités les adhérents du "SEL de la plaine" (Pézenas/Cabrière), ont même été vécus comme prédateurs, c'est à dire comme un moyen exclusif de renflouer leurs propres comptes170, sans nouer de relations sociales particulières avec le SEL de la garrigue. Dans ce type de comportement jugé comme utilitariste, les SEL invitant ne sont pas loin de jouer le rôle "d'armée de réserve d'unités de compte" pour les SEL invités, instrumentalisation à l'opposé des buts conviviaux recherchés. La réciprocité de l'invitation à revenir est donc incertaine.

Quant aux relations rural/urbain dont l'espoir hantait symétriquement et également le SEL de la mer, et le SEL de la garrigue sous la forme d'échanges complémentaires de produits agricoles contre des services informatiques, ils n'eurent jamais aucune concrétisation durable. Les adhérents urbains du SEL de la mer qui viennent (de loin) épisodiquement du reste aux foires du SEL de la garrigue sont en outre caractérisés comme étant peu coutumiers de l'apport d'objets.

A cela s'ajoute aussi, sans doute la multiplication d'événements culturels concurrents, en période de vacances ou de week-end, pour une population ayant évolué, devenue en partie peut-être plus attirée par ces dernières distractions.

169 Cf annexes 170 Ces SEL ont organisé une parité de fait de leur monnaie respective : un grain - une vague - un grain de sel - une minute ; seul le genêt lodévois reste extérieur car sa monnaie , un genêt égale 60 minutes.

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La relation entre "moitiés sociales" qui est donc toujours difficile à organiser, est quelques fois traitée par d'autres stratégies que celle des status sociaux mixtes ou entre­deux, et des foires du week-end ; le SEL-d'abord des hauts cantons du St ponais-minervois (d'une cinquantaine d'adhérents), par exemple qui a rompu avec la fascination des temps primitifs des fondateurs idéologues, a favorisé l'intégration des couples et des familles (où le plus souvent un seul travaille), qui représentent la moitié des adhérents de leur SEL.

Cette spécificité sociale, leur permet donc d'amortir les effets de contradiction entre ceux qui ont du temps et ceux qui ont des biens, en favorisant la solution de ménages dont l'un des membres est plus disponible. Les foires fréquentes et courtes (une heure ou deux, une fois par mois, avant déjeuner le week-end) servent à échanger les objets présentés sur l'annuaire, à l'intérieur du groupe, qui désormais recrute peu. Au même titre que les services administratifs non discriminés au plan des tarifs en grains et susceptibles d'être assurés par n'importe lequel des adhérents qui le désire, les foires sont ici vécues comme un moyen facile de rééquilibrer les soldes individuels dans une association marquée par le souci d'aider les exclus, sur un mode familialiste171.

Par contraste, le SEL de la mer dont l'histoire est marquée par des conflits sociologiques liés aussi à son caractère urbain, arrive difficilement à organiser ce dualisme entre groupes sociaux parce qu'il est marqué par la mémoire et l'existence implicite des luttes de groupes peu favorables à une forte complémentarité172 ; le refus plus ou moins prescrit d'assurer des services et travaux demandant beaucoup de temps, a été rendu d'autant plus facile à intérioriser qu'ils étaient discriminés par la jurisprudence visant le SEL pyrénéen.

Il n'a pas poursuivi la tentative d'organiser des foires sur Montpellier, par manque de locaux mais aussi parce que les objets y sont souvent pris dans des représentations critiques dés lors qu'ils sont industrie^ trop marqués par le signe de l'argent et qu'ils peuvent constituer pour nombre de selistes dans la précarité, une source de revenu d'appoint dans les puces municipales locales. Focalisé autour d'une conception de l'échange privilégiant la sociabilité et la gratuité (sans vague), ce SEL court le risque de l'atomisation ou du repli communautaire.

1 7 1 Un conseil d'administration sans président est constitué de femmes exclusivement.

1 7 2 Le modèle dïvans Prichard constatant chez les Nuers la pertinence d'oppositions complémentaires entre groupes

faisant l'économie d'un appareil de régulation, semble ici inadéquat.

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Une dimension pourtant soutient la continuité de ce système d'échange local urbain, diffuse mais incontestable : les relations hommes/femmes, qui sont vécues ici comme indépendantes des groupes sociaux, et marquées par des formes d'interaction mêlant la collaboration et la séduction, quand ce n'est pas le maternage. On peut se demander si leur dynamisme rarement souligné dans les discours des adhérents, mais réel dans les échanges entre selistes, (leur volontarisme dans la seule foire organisée au SEL de la mer, et leur candidature même velléitaire à les poursuivre), ne fait pas d'elles, l'un des véritables ressorts latents173 du mode de reproduction de ce SEL, en favorisant l'émergence potentielle d'une autre organisation dualiste, fondée sur des complémentarités différentes, moins techniciennes. Ce rôle pourrait peut-être expliquer la facilité avec laquelle la comptabilité centralisée a été reléguée par une idéologie libertaire, redoublant ici un modèle féminin de négociation « non comptable » que l'on retrouve au sein des tâches domestiques et des relations conjugales174.

Dans chacun de ces SEL, les sciences humaines ont fourni nombre de pattern de représentations rebricolées ou adaptées à l'idéologie ou au système de pensée de leur organisation qui donnent un sens au concept de réflexivité175. Leur influence ne révèle jamais que la force des valeurs de notre société moderne : I'équistatuarité, la symétrie, l'échange égalitaire, par rapport auxquels les SEL tentent de se définir et qui les éloignent définitivement des sociétés hiérarchiques176 et de leur propre organisation dualiste177.

173 Le SEL de la mer est doté d'une légende fondatrice révélatrice, selon laquelle parmi les premiers selistes, une jeune adhérent démuni, n'aurait trouvé que son propre corps à proposer sur l'annuaire des services, et aurait trouvé à l'échanger...avec une candidate. 174 Cf Kaufmann JC : Opus cité.

Cf Giddens A : 1994, "Les conséquences de la modernité", L'Harmattan. 176 Cf Dumont L: 1979, "Homo hierarchicus", Gallimard / Tel. 177 Cf Tcherkézoff S : 1983, "Le roi niamwézi, la droite et la gauche : révision comparative des systèmes dualistes. Voir la conclusion : Pour une étude comparative du symbolisme dualiste. pl45, Ed MSH, Cambridge University Press.

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s

119

Annexes

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r

Propositions pouf monter.un réseau d'échange sans centre et sans frontière, faire l'économie d'une comptabilité centrale et répartir cette fonction sur l'ensemble des partenaires.

Texte de Daniel Fargeas, 66600 Vlngrau, tél. 04.63.29.40.89, Juillet 98.

1940, Louis Even, directeur du Journal Vers ¡main, écrit "L'Ile des Naufragés* où II apparaît irement que la monnaie n'est en tait qu un simple ¡tème comptable et un système de mesure delà eur de3 biens et services échangés. 1994, je ne fais que nVlnspirer de cette "Ile des ufragés" en introduisant la feuille de richesse ns les rése aux d'échange. En janvier 1998, je ' sente le JEU, Jardin d'Echange Universel, ijourdtiul en Juillet, le JEU s'étend sur plusieurs Ions de France. terme "Feuille de richesses partagáes"est

'portó en 94 par Jean Rocharon, president du SEL , tél. 04.68.29.42.63. Le shle J.E.U. Jardin Echange Universel est de .Cteé, tél. 04 66.25 28 37.

. p r a t i q u e , dans le JEU, chacun tient ses mptes sur un simple cahier d'écolier (c'est la irtô et l'honnêteté qui Importent). Un centre imptabte n'est plus nécessaire. S'il nous est réable de disposer d'un carnet ou d'une feuille aux ees préimprimées, un modèle est proposé en bas » page. L'Individu affirme ainsi sa souveraineté sur création de richesse et la création des unités de

esure correspondantes. Il se met à Tabri du arasltjsme et de la bureaucratie. Les Inscriptions int croisées et simultanées. L'un note le crédit sur document de son partenaire pendant que celui-ci ïta le débit correspondant sur l'autre feuille ou ihler. Chacun peut noter ses coordonnées pour îuvoir prolonger cette relation et authentifier change.

' I n n o v a t i o n p r i n c i p a l e estlacase "solde j partenaire après échange". Si un cahier de impte se perd, son prop riétaire peut retrouver son side en contactant son d emier partenaire et repartir s un nouveau carnet ap rès que celui-ci lui ait né un transfert de solde.

expérience de passage d'une comptabilité centrale srs une comptabilité répartie sur l'ensemble des artenalres d'échange peut se faire en deux temps : on abandonne la transcription des comptes sur

troisième partenaire fait naître la monnaie. La monnaie naît et devient universelle par tous ces accords successifs. Vous pouvez en effet être le troisième ou le dix milliardième Individu qui reconnaisse l'accord initial. Les partenaires Initiaux ne doivent pas commettre l'erreur de déléguer leur souvenalneté. En cherchant la sécurité ces trois partenaires peuvent tomber dans un autre risque, l'esclavage. Achaque tournant, mistoire nous en donne l'exemple. SI nous voulons nous garder de la bureaucratie et du parasitisme nous devons dissoudre les territoires ou les répartir différemment Sans centre, plus de frontière et plus de séparation. San3 centre, plus de territoire. Plu3 de territoire, plus de pouvoir.

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** ^® JUL La monnaie est un système de m

système comptable ; un tableau no feuille suffit à régler nos échanges, de la 'Fable des naufragés" publiée

VersDemaln, Maison Saint Mich* Rougemont, P.Q. Canada, JC

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1 ÍÍ /

'{(i ssureetun r, une simple Dessin extrait par le journal 3l.CP.130, H.1M0.

Nous avons deux stratégies : 1 ) on se contente de publier un périodique avec un statut associatif. Les associés sont les quelques membres du comité de rédaction. C'est un statut classique pour de nombreux petits périodiques. Il n'y a pas d'adhésion ni d'adhérents mais seulement des annonceurs qui donnent une participation aux fräs d'insertion et publication d'une annonce. Un service "Courrier des lecteurs" prend en charge les annonças et un comité de rédaction équilibre les • annonces, les textes plus généraux et les reportages. 2) une stratégie complètement décentralisée : chacun rédige et fait composer une carte "Offres-Demandes". C'est notre carte d'entrée dans le JEU. Nous pouvons rédiger cette carte nous-même de notre plus belle écriture, la faire taper dans un copie-service ou l'obtenir auprès de l'écrivain public lors de la prochaine rencontre du JEU. Nous échangeons ces cartes avec nos partenaires, puis les regroupons sur des feuilles que nous photocopions et échangeons à nouveau. Cartomanla aidant, chacun se retrouve avec une collection de cartes ou de photocopies, qui constitue un véritable répertoire des offres et demandes des partenaires du JEU. Une carte écrite à la machine peut tenir dans un format de carte "téléphone".

Quelle valeur pour l'unité de mesure? Je propose que l'unité d'échange ait la valeur moyenne d'une minute de travail, d'attention humaine. Son nom peut-être "unité". La minute est un étalon extrêmement fiable. Dans 100.000 ans la minute sera toujours la minute.

Peut-on mettre en place l'idée : "1 minute a 1 minute" ? L'équation "1 minute = 1 minute", ou "t heure = 1 heure" est souvent examinée dans les réunions de -travail. 20.000 personnes utilisent ce principe dans le système Timo dollars aux Etats*Uniset Ralph Nader a adhéré à cette Idée. La personne qui offre un travail manuel se sent réévaluée. C'est bien un des buts d'un réseau que de promouvoir l'Insertion de plus démunis. Je peux dire également : Tout m'est donné; la chance de naître, grandir, étudier dans une famille ordonnée et dans une société qui a su entretenir et faire fructifier son patrimoine. Seul mon temps de travail vient apporter une contribution personnelle à cette richesse collective.* A ce stade

ndlnateur, mais on conti nue à collecter les feuilles our vérification. Exemples: le SEL du Pay3 de C o m m e n t t ra i te r l e s g r o s déb i ta ? ayence (Pierre Pralus, 04 94 84 38 36 de 19 h. à 21 Pour répondre àcette question, Il y a une grande , 30), le SEL Vençol3 (Josiane Calmes 04 93 58 93 liberté de choix comme dans tous Ie3 Jeux 3), le SEL d'Houilles (OérengèreVoinot 01396887 Intéressants. On peut, ¡Imagine : qui consacre près d'une page dans son - se montrer coopératif, solidaire, sensible à

ériodlqueàla "comptabilité réciproque"), le SEL 66 l'urgence ou la détresse dans laquelle se trouve ce • . , . . , , - . ,„ ,. . ean Rocheron. 04 68 29 42 63) partenaire et préférer maintenir le contact à la faveur «»la réflexion, les uns disent qu 11 n'y a pa3 de les feuilles ?,e sont plus collectées, les comptes du service rendu. • justification à une disparité des valeurs des temps de

-: w i t tenus aulndlviduellement comme en • . être seulement intéressé par le crédit t r a v a " ^ les autres disent : pourquoi ne pas laisser úrdogne'iBemard Ponzévéra 05 53 87 40 84) ou en 'supplémentaire que fon reçoit et se montrer - eux psrtcr;sfre3 te Bfccrtt de se raconte'2!¿n!v»p.i. endée ttvferc Groussaln 0Z51.98.60.95) ou à Indifférent à l'idée que l'autre devienne un parasite Va l e u r P3 /3" acceptable à tous deux. SI I on veut arAàs(Jean-JacquesRose0299537612)ouà dugroupe. /• comprendre ce qui se passeau niveau des anyuls(Anne-MarieAbellanet0468.8ari&36). »n'y - se dire que "c'est la faute du système si des garde- renranfrw est-il approprié de commencer aies plus d'inscription ni de cotisation, ni d'association, fous ne sont pas mis en place. codifier ? De toute façon, le chirurgien-dentiste devra n ne parle plus de SELmais de JEU diffus ou

lutogeré, personne n'a l'air traumatisé et tes Ranges continuent comme par le passé.

Comment est née l'Idée d'une 'omptabillté diffuse ? •ette Idée est une réponse à une question qui irnerge souvent dans le silence et la beauté de la allée et des montagnes de Vlngrau : "où est Terreur :achée derrière la pagaille dans laquelle les r»«™,™««> , . „ „ „ - , ? • , „ i „ _ -4«,a<, „ • ommes se sont places ?Puisque1es hommes sont p o m m e n t conna î t r e les o f f res e t rôateurs des richesses par leurs efforts et leurs '

avoir envie de trouver une solution et participer à l'amélioration du système. - demander conseil à un tiers. • jouer le leu de recevoir un crédit pour que l'autre ne se sente pas redevable à notre égard. - Prendre le temps de découvrir avec l'autre les nouveaux services qu'il pourrait apporter à la communauté. - offrir le service gatultement..

xords, comment peuvent-Ils se laisser epouäler ? Où est l'erreur ? " a réponse vient également dans ce silence f les lommes ne sont pas conscients de rasped andamental de leurs accords. C'est l'accord entre eux partenaires (et les postulat associés à cet xord) qui crée réchange, a mesure de cet échange vient ensuite dans le ¡ystème débit-crédit si brillamment Imaginé par Hchaêl Unton, où chacun est banquier de l'autre. .es unités de valeur viennent habiller l'échange, lui onner une civilité. Mais pour cela il n'est pas lécessaire d'en référer à un centre de contrôle. Ine fois l'accord établi par deux partenaires, Il jfflt qu'un troisième soit aussi d accord. Ce

les demandes partenaires ?

des autres

ajouter au temps de son intervention, les temp3 de son asslstant-te, du standardiste, de l'homme ou de la femme de ménage, du prothésiste qui travaillent avec lui. B faut un peu de bon sens. ,

Assemblées - rencontres • bourses

Les rencontres peuvent offrir plusieurs services dans la même Journée : - le matin un forum-table ronde pennet à chacun de présenter les péripéties de ses échanges les plus intéressants, afin que tous profitent de son expérience et de ses trouvailles. - un espace pour le pique-nique

Date

nature de l'échange

Nom, prénom, n* de téléphone, signature du partenaire lors d'un échange ou du témoin d'un transfert de solde

solde du partenaire après réchange

Plus ou moins, montant en toutes lettres, unités

Montant en chiffres de réchange

Solde personnel après rechange

É c h a n g e P a r t e n a i r e C o m p t e La nouvelle feuille, en format A3 recto verso, contient 75 cadres semblables.

La version üvret en format poche, comporte près de 200 cadres.

Page 122: Les syst mes d' changes locaux de l'H rault, repr

n espace pour déballer iè bric à brac un écrivain public pour composer les cartas jffres-demande". et pour intervenir avant des :hanges Importants, aflff d'aider à rédiger un escrlptll de l'échange, cerner les ««n^m qm? leg eux partenaires y Investissent, et'éviter les malentendus futures. îête le soir pour ceux et celles qui ont encore de énergie ou qui ont pris le train en marche. Le •Âme "Marché* est développé dans le document : Réseaux d'échanges, outils de développement jcal."

organisme ds courtage. Par contre, sans comptabilité centrale, sans association, sans cotisation, un groupe diffus peut difficilement être considéré comme un organisme de courtage Seuls les individus peuvent etra

5139 i7,LasB1ardonnas, 24540 SIEulaJie d'Ara.

Quelle placa réserver aux enfants? Comment décourager la fraude ?

Réaeaux d'échanga, orilla eis deveiepp-sroerrt Icccl. Commentaires ds Daniel Fargea3 sur lea systèmes d'échange etd'entraide, exemples ds misa en page ds bulletins, articles (67) Afonnfl finca, dividendes, crédit social pour

poursuivis s'ils s'écartent du droit chemin. Le travail tous, livre de L Even, grand public (90 F) clandestin par exempte est un bon motif de AMI (accord multilatéral sur les Investissements) poursuite, voir détails dans le dossier "Réseaux l'horreur économique, (2) d'échange, outils de développement" ou auprès de Argent aspects philosophiques, spirituels et SaraTwo.Tapia, 09600 Dun, 05.61.68.72.82 ou dans psychanalytiques (15) un autre cas auprès de Philippe Kou, téL et tax 05 53 Argent assodattf, argent privé ; faites-le entre vous , . „ „ , , , -™—> » „ . . » r . , . , . « . . en abondance, c'esttoutslmple(12)

Argent, aujourd'hui détourné au profit

'ai observé une petite voisine de 10 ans. Elle piaffait La fraude consiste à s'attribuer un bénéfice sans Impatience en me voyant procéder aux Tscrlptlons croisées avec sa mère. Je lui al tendu ¡ne feuille mais sa mère a eu peur, nous sommes ans un peut village. H peut en être autrement dans ira ville ou un collège anonyme. Les parents ou TStftuteure d'avant garde vont certainement mettre ette feuille dans les mains des peftouts qui ipprenent à compter et à lire et après, qui peut dire >u s'arrêtera la contagion..!

4e c ra ignez-vous pas que les ns t l t u t l ons f r oncen t les s o u r c i l s ?

:n France, en Europe, une tradition de solidarité irend une forme Institutionalises : sécurité sociale, locations familiales ou de solidarité. Le système

solidarité mis en place par les monnaies locales

des banques privées, est une Imposture et réduftla monde à 1amisère (69) Argent, exerdess pour en faire venir (16) offrir en échange de services réels :1a communauté . - • . . .--

ne s'enrichit pas d'une nouvelle production. Ceux qui Argent fondant, non thésaurisable (60) s'attribuent des unités dans ces conditions sa Argent, htetoJfe, pourquoi est-il si rare ? <25) comportent en parasites de la communauté. 0 est normal que la fraude et la délinquance soient une préocupatlonmaj-euredans le système monétaire national et international qui organise la pénurie et donne l'exemple du pillage à l'aide des Institutions financières. Inversement Je pense que la fraude devrait être très rare dans un système d'échange qui organise l'abondance. Ici la fraude ne peut pas Jèser un individu en particulier. Elle ns pourrait qu'atteindra la communauté dans son ensemble. Pour être à la hauteur du système de piratage institutionnalisa sous la forme du système financier d'aujourd'hui. Il

,_ ., .,_,, . , . . faudrait que la fraude soit massive et continue, liest appoint (LETS.Time-Dollars, SEL) semblent venir peU probable que ce9 deux conditions soient réunies. a concurrencer. La soHdarfté organisée au niveau lin état coûte très chère en charges sociales. ."Europe pour rester compétitive sur le marché iternsUorval des devises comme des narchandises, devra bien s'aligner unpetit peu, nême si ça parait douloureux. Edgar S. Cann ondateur du système Time DoDars" (P.O. Box 2160, Washington D.C. 20015, USA), nous irévlent: "on ne trouve plus d'argent aux Et :ur s'occuper des enfants, des personnes âgées,

La peur que nous avons du fraudeur, nous freine dans notre élan, ampute la communauté de notre créativité, nous pénalise par des mesures de contrôle et de sécurité, frest-elle pas ptus coûteuse que la fraude elle-mêrne ? - SI une anomalie est détectée par un partenaire celui-ci peut choisir d'éciatreir immédiatement la situation et poser des questions à la personne

;tal3-Unis concernée. SI le doute subsiste, ce partenaire sera

Argent «aie, la grande lessive mondiale (16) Banques et Investissements étntqties (28) Banque mondiale et F.M.I (25) Banque solidaire La Nef (23) Capitalisme, pourquoi, comment (10) Chômage, premier pas vers l'autonomie (36) Chômage, travail, les solutions (18) Création monétaire, SEL, crédit 6oclal (19) Crédit sodal selon Douglas (36) Crimesflnancîers contre rhumanfté (32) Croissance-pillage, course à l'abîme (5) Dette publique, le racket das financiers (12) Doi tare-temps aux USA, monnaie de secours, sociale et associative, non Imposée (23) Douglas, pionnier du cedit social, (8) Echange-marchandise, monnaie privée (11) Economie distributive, mesures de transition vers un monde plus humain (19) Fausse monnaie (7) Finance saine efficace par Douglas (32) Flnanse 2drewe I skuteczn, (polonais) (40) Fortune assurée. Intérêts composés (15) Franklin, Lincoln et Kennedy, histoire du contrôle bancaire aux U S A (11)

sans doute tenté d'édaïreir la question avecun liera. Histoire des monnaies sociales (16) issurer la propreté de nos rues, la sécurité. L'argent Ainsi un groupe de personnes concernées parla " • d e a naufragés, fable pour comprendre le , - - « H - — i — - ^ „ . . ^ - — - • — K = ~ . » ! ™ . « , I bQrme roareneduaystème p ^ naître spontanément mystère oe l'argent, àjouer ensemble (14) e porte maintenant sur des comptes bancaires qui légagent plus de profil Etil ajoute: seule une normale d'appoint non soumise aux séductions du narché mondial peut participer à la reconstruction es familles, des quartiers et de la société dévastés larlesderècfementatiorB^tracoricurrenca rendíale effrénée." ce propos, "al trouvé cette semaine dans une rande surîace'de l'outillage électrique "Black et ecker " made In "P.R.C" (People Republic of

ihlna). Qui peut soutenir la concurrence avec les Tisonniers chinois ou les enfants-esclaves aklstanals, dont on retrouve aujourd'hui la traduction dans nos super-marchés, si nous ne lettons pas en place uno monnaie locale ?

Un mode de contrôle ponctuel peut s'exercer à la faveur des rencontres-forum qui précèdent les pique-nique et les bourses : les échanges Intéressants, pittoresques ou suceptfbles de figurer dans le livre des records, peuvent être portés sous les projecteurs (par exemple à l'occasion de marches ou fêtes locales). Les partenaires d'un échange spectaculaire peuventdevelopper devant tous les participants les péripéties, les difficultés et les Joies de leur aventure.,

Illustrations, 150 dessins sur l'argent (30) Isla de los náufragos, en espagnol (21 ) lina dos náufragos, en portugais (10) Insel der Schiffbrüchigen, en allemand (11) loots del naufraghi, en Italien {12) Impôts, comment limiter les dégâts (23) Im pets dus au controle de la haute banque sur la création monétaire (15) Inflatlon,hypofhèses,exemplede1974(14) " Ithaca, papier-monnaie associatif (10)

'omment les réseaux d'échange ¡ont-ils perçus par le fisc ? LUX États-Unis, Edgar S. Cahn, présente son istèmeTlme Dollars comme une "monnaie de

scours, libre- ¿Irnpils, ouvrant de nouvelles S r ^ S : t , v ^ aux personnes etaux f amnieaqul p r o b a b | a i q u e P é c o n o m t o r é a n¿ á a p a r h énéfldenl des aides sodales et permet à chacun de SuDoresalon de laMmDt^nttéœn^le e nvertir son temps libre en pouvoirvîachat, d'aider Ï S ^ ^ S S S e ^ S r t t e t e

« autres, de reconstruire lafamDIe.Te quartier et la S S f ^ ^ K e S f f i u n e nouvelle ammunauté." (texte extrait d'un tract de u u e . l a Peur'.P0 mua. e!fP0SS P33-3 u n e nouvelle réservation des Time Dollars) ' -.n France, le SEL Pyrénéen ( Claude Fressonnet, (residente, 05 a i 682810, tel et fax 61 681744) a sué également la carte de la reconnaissance ocíale. En première réponse, radmlnistraflon des npôts semble vouloir taxer ce système comme un

- Lesoccaslonsde fraudeou d'erreur pourraient être JJ=-U-» Jardin d'Échange Universel, mise en place listées afin que chacun soit outJIlépour les détecter. "" ' " " -—" • - " " ' * '"-*••'* - " - * " • — - " — — * - * • • Pour toutes ces fraudes, le Jeu n en vaut pas la chandelle. Le lai d'être surpris en train de parasiter un groupe alors que ce groupe est tout disposé à se montrer solidaire, engendre un sentiment de honte et mmouvementd'auto-punition et d'auto-exclus Ion. Sil y a véritablement fraude, H suffit que la lumière sott portée sur les faits pour que les auteurs se retirait de la scène surta pcintede3 pieds. Falsorfâ Fessai et constatons, comme c'est •

;est

; prêts à nous "tondre la

Pour ent rer dans le JEU

D a n i e l Fargeas, 66600 V lngrau , tél. 04.68.29.40.89 de 9 h. à 23 h., jull.1998

Offre amandes du pays, documents 'Les fiches écologiques* et 'documents sur Ie3 réseaux", terrain pour camper, accueil pour lézarder ou se former auprès desfiches écologiques' ou travailler à la diffusion du JEU dans le monde (entant bienvenu), séances de Souffle (rebirth tree doux et respectueux des résistances de chacun) pour thérapie personnelle ou formation, promenades-cueillette de plantes sauvages, Information-santé par téléphone, composition de cartes, pièces pour R6.

Demande traduction francas-anglais, machine à plier les feuilles A4 ou A3, valet d'établi, outils de sculpteur sur bols, coups de mains divers à Vlngrau dans la maison ou au Jardin: greffage d'oliviers et cerisiers, pose d'un plancher, classement d'archives, jardinage, grapülonnage-fabrication de Jus de raisin, etc... —1 En exemple, ma carta "Uflre-demande', soit 85* 54 mm.

Je peux composer une planche de cartes à votre nom : Sur votre manuscrit, n'oubliez pas le n" de

téléphone, ouïe téléphone .d'un voisin complaisant pour recevoir des messages et très Important, les heures d'appel. Je vous envoie cette carte gratuitement et si vous voulez exprimer votre reconnalsance, c'est quand, comment et à qui vous voulez. Je vous donnerais également ta collection de

d'une comptabilité individuelle, diffuse décentralisée ou réciproque, 5 exemples (25) LETS, 200 adresses dans le monde (26) LETS, suggestions adressées aux décideurs pour aider les chômeurs (Colin C. Williams) (18) LETS, traduction de llnfo-pack anglais (18) Magasins pieins, porte-monnaie vides (3) Marchande d'argent, ou le mythe de la révolution

.populairede 1789(12) .. r^.îersd'eppointet'iierjeud'l^porterio*?",;»«?. d'inscription au registre des métiers (4) Micro-crédit, banque des pauvres (9) MonnaJessociales (16) Réseaux d'échange de savoir ( 19) Revenu d'existence, droit à la vie (30) SEL, aspects Juridiques et sociaux (33) SEL, création du bien et du lien (13) SEL, dossier de presse 87-94 (21) SEL, dossier de presse 95 (55) SEL, dossier de presse 95 (26) SEL, dossier de presse 97 (23) SEL, dossier de presse 98 (10) SEL, mode d'emploi (67) SE L, n" spécial revue Silence (50) Time dollars, principe de co-production (4) Tontines, banques populaires (56) Travail, chômage, partage (35) Travalllerpendant le chômage, très possible (6) Travail au noir, France, 81 milliards /an (11) Troc, échanges divers ( 14) Troc-Temps, à Pau, comment un réseau s'empêtre

cartes dont je dispose à ce jour. dan3 ses propres règlements (29)

Pour approfondir Je vouspropose les documents suivants à 1 F la page + 40F de port Port gratuit au dessus de 400 pages. Le nombre de page de chaque document figure entre parenthèses.:

Wir, réseau monétaire associatif, né en 34 en Suisse, 60.000 adhérents aujourd'hui (22) Wir, magazine mensuel, spécimen (32) 1 carnet pour entrer dans le JEU, 168 cases (10) 1 feulle pour entrer dans le JEU, 72 cases (4)

L'ensemble des documents : 1657 pages, arrondi à 1600 F, port compris.

Page 123: Les syst mes d' changes locaux de l'H rault, repr

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La dernière foire...

C'était à Montpeyroux, nouveau village, même plaisir de se rencontrer à cette 6° foire du Sel.

L'efficacité de l'affichage public permet la visite de nombreuses personnes de l'extérieur curieuses de découvrir une dynamique économique originale et conviviale.

Le Sel de la Plaine est bien représenté, celui de la Mer reste un complice fidèle. Nous avons trouvé des stands très attractifs : CD de Hip-Hop et BD pour les jeunes, boutures de saules et plants pour les jardiniers, fringues à gogo, crêpes.

Les plus petits profitent d'une récréation: contée. Malheureusement il nous faudra quitter le lieu un peu trop tôt, mais, d'un avis partagé, la qualité était au rendez-vous.

Sept nouvelles adhésions ont été faite ce jour là et de nombreuses personnes sont reparties avec les formulaires...

La prochaine se tiendra le 1 ^ décembre, espérons qu'elle sera aussi réussie !

Jean-Luc Gervais

Le 7 de chaque Mois à 7 Heures du soir au Bar l'Ambiance à Clermont l'Hérault

Le 19 de chaque mois à 19 Heures au Café de l'Esplanade Près de l'Esplanade Gignac Q^OUQJVNÎ'

Attention ! A cause de la foire, la

rencontre au troquet du 19 à Gignac est reportée au

19 Janvier 99

Matthieu va faire figurer le SEL de la Garrigue sur le site Internet de SELTDAIRE adresse :

HTTP/AvWW.selidaire.ORG

Page 125: Les syst mes d' changes locaux de l'H rault, repr

N f - n g c a , » O O l C - M

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"^contre InterS^ de l'Hérault Ufa

Lors de l'un des célèbres 19ème jour de chaque mois à 19h sur les chaises de l'Esplanade à Aniane... 1' ambassadeur de nos voisins de la Plaine (le SEL de Margon) est venu trinquer et discuter des possibilités d'échange entre les différents SELs de l'Hérault. Mais quels SELs? Où et qui ? Nous en sommes rapidement arrivés à la conclusion suivante : il faut faire une rencontre internationale des SELs de l'Hérault...

Cette rencontre s'est déroulée au CEEPAD le 3-lOjjernier, et nous avons invité les 13 SELs recensés dans le département. Huit se sont déplacés et voici un bref compte rendu de cet historique après-midi :

Proposition de départ : chaque SEL se présente et propose des sujets à mettre à l'ordre du jour.

A la suite du tour de table très animé, qui nous a permis d'avoir un aperçu des points communs et des différences entre les huit SELs représentés, il est apparu que la principale préoccupation de l'après-midi était : "Comment organiser des activités intersel dans l'Hérault, et quelles activités ?".

Activités proposées : Foires Inter-SEL : c'était une des principales motivations de la réunion pour

plusieurs d'entre nous. Les différences de valeur entre les unités d'échange de chaque SEL posant beaucoup de problèmes, on a opté pour la solution suivante :

Chaque SEL de son coté tentera d'ouvrir ses foires aux autres en réglant les problèmes de compatibilité des unités d'échange au coup par coup avec chaque SEL. Pour faciliter les échanges téléphoniques,( dates des foires...), chaque SEL donne les coordonnées d'une personne responsable de la communication intersel.

Au printemps, on aimerait faire une grande fête-rencontre de tous les SELs héraultais (on en saura plus quand l'un d'eux s'y mettra)

Le SEL de la Garrigue propose de créer une plaquette pour présenter au public tous les SEL du département. Cette proposition n'a pas été jugée intéressante.

Un bulletin de liaison intersel de l'Hérault paraît nécessaire pour se tenir au courant de nos activités. Il pourrait par exemple regrouper : les offres originales pouvant intéresser des gens d'un autre SEL, les initiatives originales, les dates des foires, la création- de nouveaux SEL... Univers-SEL se propose pour coordonner et publier ce bulletin dont un exemplaire sera envoyé à chaque SEL.

En conclusion, il est ressorti de cette réunion que, si tous étaient plus que d'accord pour développer l'échange hors de chaque SEL, il s'est avéré plus que difficile de mettre en place un système central d'échanges intersel de l'Hérault, soit que certains ne le souhaitent pas, soit que les modalités (différence de valeurs d'unités notamment ) semblent insolubles. Mais cela n'a pas empêché les nombreux échanges informels qui se sont faits après la réunion, les foires du 10-10 à Montpeyroux et celle du 25-10 à Margon, organisées entre les SELs de la Plaine et de la Garrigue par exemple.

Vos délégués...*plone*tce *Duauu, Siata (^eíátctn, THattúieu Jlém.