Repr ́esentations du foncier en Nouvelle-Cal ́edonie et identit ́e culturelle kanak. E ́volution de ces repr ́esentations li ́ee `a la revendication identitaire et aux processus

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    Representations du foncier en Nouvelle-Caledonie et

    identite culturelle kanak. Evolution de cesrepresentations liee a la revendication identitaire et aux

    processus de developpement economique

    Isabelle Leblic

    To cite this version:

    Isabelle Leblic. Representations du foncier en Nouvelle-Caledonie et identite culturelle kanak.Evolution de ces representations liee a la revendication identitaire et aux processus dedeveloppement economique. 3e journees scientifiques de la Societe decologie humaine, Per-ceptions et representations de lenvironnement, Nov 1991, Aix-en-Provence, France.

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    AU FONDEMENT DE L'IDENTIT CULTURELLE KANAK,

    LES REPRSENTATIONS DU FONCIER1

    Isabelle LEBLIC

    Ethnologue (CNRS - LACITO)

    En Nouvelle-Caldonie, l'identit kanak est essentiellement foncire. La colonisation,

    rapidement, a impos de nombreux changements concernant les terres. Les diverses tapes de

    la colonisation en la matire, qui seront dveloppes ci-dessous, peuvent tre brivement

    rsumes comme suit. Au dbut de l're coloniale, la terre est prsente par beaucoup comme

    ayant, pour les Kanaks, un sens "mythique". L'arrive des premiers colons, dans un premier

    temps, s'est passe sans doute sans trop de heurts en vertu de la rgle d'accueil de l'tranger

    propre la socit kanak. Mais, la dpossession massive de terres qui s'en suivit engendra

    vite le mcontentement des Kanaks et des rvoltes localises. Aussi la terre est-elle devenue

    le fondement de la revendication identitaire, qui se transforme dans les annes 1970 en

    revendication pour l'indpendance kanak et socialiste. Nanmoins, malgr l'opposition qui

    s'est dveloppe entre la conception occidentale de la terre et celle des Kanaks, quelque chose

    de la reprsentation traditionnelle de la terre a perdur. Ceci permet toujours aux Kanaks

    d'affirmer cette identit.

    L'identit foncire, qui fut l'objet de rsistances kanak jusqu' la rvolte de 1917, est

    devenue le premier lment de la revendication indpendantiste. Si le contexte colonial a

    transform beaucoup de choses comme nous l'voquerons ci-dessous, la contradiction qui enest issue, entre deux socits diffrentes bien des points de vue, s'exprime donc dans les

    reprsentations que les uns et les autres ont du foncier. Quelque chose sest sans doute

    modifi dernirement. Face l'chec d'un certain nombre de projets de dveloppement et

    1 Une premire version de ce texte a fait l'objet d'une communication aux IIImes journes scientifiques de laSocit d'Ecologie humaine, Perceptions et reprsentations de l'environnement, Aix-en-Provence, les 22 et 23novembre 1991. Ce colloque n'ayant pas donn lieu la publication d'actes, j'ai dvelopp cette communicationpour en faire l'article prsent ici. Par ailleurs, je remercie les membres du GRAAD (Atelier de la diffrence,

    groupe de travail en anthropologie) pour leur lecture critique.

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    nous avons montr ailleurs2 que, pour une grande part, ce que les Europens considrent

    comme un chec n'en est peut-tre pas un pour les Kanaks , on constate l'mergence d'une

    problmatique nouvelle au sein du mouvement indpendantiste.

    Un des objets de cette prsentation est de montrer comment les reprsentations du foncierpeuvent aujourd'hui tre amenes se transformer, compte tenu de la revendication kanak et

    de l'importance grandissante de certains lments exognes tels que par exemple les

    processus de dveloppement conomique. Nombre de Kanaks se posent de plus en plus de

    questions : Comment intgrer la valeur conomique de la terre ? Faut-il pour cela modifier le

    statut juridique des terres ? Si, plusieurs reprises par le pass, le gouvernement franais a

    envisag de changer le statut des terres3, le mouvement indpendantiste s'y est toujours

    vivement oppos4:

    Ces dispositions violent l'article 75 de la constitution qui garantit aux citoyens de statut civil particulierla conservation de leur statut personnel coutumier tant qu'ils n'y ont pas renonc. Elles constituent la"solution finale" pour liquider l'identit du Kanak sur le plan juridique (). C'est sur le clan, c'est--direla grande famille largie et sur son nom que reposent les rapports coutumiers, les liens de parent et enmme temps les liens avec le sol. () C'est la suppression du lien entre le clan et la terre, fondement de latenure des terres et de la demeure du clan qui est vise par la suppression possible du nom de clan commeentit juridique de droit civil particulier. C'est la racine de la famille kanak et de l'homme kanak qui estarrache par de telles dispositions lgales. () Avec la mise en application des articles 6 et 36 de la loistatutaire Pons, il ne restera plus rien du statut coutumier et surtout il ne restera plus aucun moyen de

    justifier des droits fonciers sur les terres ancestrales. () Aprs avoir spoli les terres, le rgime colonialentend spolier le Kanak dans son identit et dans sa personne juridique. (Anonyme, L'Avenircaldonien, fv. 1988).

    Bernard Pons avait bien compris l'poque que la revendication identitaire et indpendantistekanak plongeait ses racines dans la lutte pour la rcupration des terres. Et le meilleur moyen

    2Cf. notamment p. 379 et suivantes de l'ouvrageLes Kanak face au dveloppement.(cf.Leblic, 1993).3B. Pons, ministre des DOM-TOM, qui avait dclar le peuple kanak n'existe pas , avait prvu, dans le statutsoumis aux lections rgionales le 24 avril 1988, l'abolition du statut de droit civil particulier. J.-P. Besset avaitcrit ce propos dans Politis le citoyen (n 10, 24 avril 1988, p. 18-19) : L'imposture est de taille : sousprtexte de placer les Kanaks au niveau du droit commun, comme n'importe quel citoyen franais, legouvernement dissout l'identit mlansienne. () Consquence espre : la dissolution de la socit kanaktraditionnelle qui constitue le ciment de la rsistance de ce peuple. Le nouveau statut implique en effet deux

    changements radicaux. D'une part, la terre n'est plus concde par l'Etat franais sous forme de rserves pour queles Kanaks en usent selon les rgles de leur coutume. De proprit clanique, elle devient proprit individuelle,c'est--dire strictement conomique. D'autre part, l'infrastructure constitutive de la socit mlansienne tantmise en pices, c'est tout l'difice des relations sociales qui s'effondre. Chefferies, conseils des anciens, droitcoutumier toutes les institutions particulires des Mlansiens perdent leur sens. Le Kanak se voit imposerune "citoyennet" qui l'affaiblit. Dmuni des signes et des formes de son identit, coup de ses racinescollectives, il devient un individu parmi d'autres, isol face au march, condamn une exploitation accrue ou une marginalisation acclre. () C'est l'achvement du processus colonial : une socit diffrente se voitrefuser le droit de vivre selon ses propres lois, hrites de son histoire et de sa culture. L'exclusion ainsiinstitutionnalise touche au plus profond des racines mlansiennes. () 4L'opposition massive des Kanaks ce nouveau statut, impos par Pons, a dbouch sur les vnementsd'Ouva, l'opration "Victor" par l'arme franaise et le GIGN, et le massacre de dix-neuf Kanak qui s'en suivitle 5 mai 1988 au matin.

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    qu'il avait trouv pour contrecarrer ces revendications tait donc de supprimer

    institutionnellement ce qui garantissait les spcificits de l'identit kanak.

    Alors pourquoi aujourd'hui certains responsables politiques kanak posent-ils ce problme

    du statut juridique des terres ? Le mouvement indpendantiste va-t-il arriver faire ce que legouvernement franais n'a jamais pu faire ? Pour rpondre toutes ces questions, je vais donc

    prsenter la socit kanak et la conception traditionnelle de la terre pour montrer comment

    cette insertion de nombre de Kanaks dans des projets conomiques incitent certains d'entre

    eux repenser leur rapport la terre.

    *

    LA SOCIT KANAK "TRADITIONNELLE" ET LE RAPPORT LA TERRE

    Avant toute chose, revenons sur les termes "tradition", "traditionnel" Gnralement,

    dans son opposition la modernit, la tradition est conue par beaucoup comme quelque

    chose d'immuable et de fig. Il s'agit donc d'une conception restreinte et statique de la

    tradition qui n'est pas opratoire ici. Je pense que l'on doit plutt voir la tradition comme une

    continuit par opposition la rupture de la colonisation et de la modernit. Aussi en

    employant le terme tradition, je fais rfrence l'ensemble du systme social kanak qui, non

    seulement n'est pas fig, mais est en perptuelle volution, adaptation, transformation. Cette

    tradition kanak a donc toujours chang avant et pendant l're coloniale et continuera dele faire dans l'avenir. Mais, les termes "tradition", "traditionnel" font rfrence son

    changement interne, pens par et pour les Kanak dynamique endogne et non pas

    extrieur, par le systme colonial dynamique exogne. Ce que les Kanaks revendiquent

    aujourd'hui comme leur tradition, leur "coutume", ne sont pas identiques celles de la priode

    prcoloniale. Elles ont chang au cours des cent quarante ans de colonisation : certains

    lments ont perdur, d'autres se sont modifis. C'est le rsultat de ce processus historique qui

    constitue actuellement la structure traditionnelle de la socit kanak et qui rgit l'ensemble

    des domaines et des rapports sociaux l'intrieur de cette socit. Ainsi, les valeurs etinstitutions kanak, bien que transformes par la colonisation, continuent de servir de rfrence

    tout un mode de vie et de pense. De plus, elles constituent la base de la revendication

    identitaire et foncire kanak, de la lutte contre le systme colonial et mme de la production

    de "La" socit kanak, comme nous le montre le prambule du projet de constitution fait par

    le FLNKS dont voici un extrait :

    Fier de notre pass et de nos anctres qui se sont levs contre l'oppression et ont fait don de leursang la lutte pour la libert. Profondment attachs nos traditions. () Affirmons solennellement quenotre coutume, expression de nos valeurs culturelles fondamentales, constitue la base de notre vie sociale.Affirmons galement que le clan, lment organique de la socit kanak, est le dtenteur traditionnel de laterre selon les rgles coutumires dans le respect des intrts de la collectivit nationale. Constituonsl'Etat kanak qui est une rpublique dmocratique, laque et socialiste o la souverainet nationale

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    appartient au peuple qui l'exerce par le vote. La coutume concourt l'expression de la souverainetpopulaire. Les dispositions du prsent prambule ont valeur constitutionnelle.

    Les principaux fondements de la socit kanak d'aujourd'hui peuvent donc tre ramens au

    nombre de quatre : d'une part, deux purement endognes, la terre et les hirarchies sociales et

    politiques incluant les changes et, d'autre part, l'influence des glises parl'intgration d'un certain nombre de valeurs chrtiennes et l'exprience politique dans le

    systme colonial qui sont deux phnomnes exognes ayant marqu l'identit kanak actuelle.

    Dans le cadre de cet article, nous ne prsenterons que le premier.

    Le rapport la terre peut tre apprhender diffrents niveaux. La terre reprsente donc

    bien plus qu'un seul primtre foncier. Elle dfinit l'identit sociale des individus par

    rfrence un tertre fondateur et l'itinraire qui a conduit les anctres de ce lieu d'origine

    l'habitat actuel. C'est sans doute le niveau premier duquel dcoule notamment celui plusgnral et plus englobant de "pays kanak" : l'ensemble des terres de Nouvelle-Caldonie sont

    des terres kanak et, dans le discours de nombreux partis politiques kanak, l'indpendance

    prsuppose la restitution des terres en totalit. Chaque toponyme est un patronyme marquant

    l'appartenance d'un groupe familial un terroir. Chaque groupe porte donc un nom, nom des

    terres dont il est issu, point d'mergence du groupe. Comme le disait Jean-Marie Tjibaou

    (1976, p. 284-285) :

    Paysages, dessin de village, socit, dfunts et tres mythiques ne forment qu'un ensemble nonseulement indivisible, mais encore pratiquement indiffrenci. Ce qui veut dire que l'espace ici est peu

    intressant par sa ralit objective. On ne peut donc l'hypothquer, le vendre ou le violer par des travauxqui en bouleversent la physionomie, car ce serait porter atteinte des aspects divers de l'incarnation dumythe. C'est en effet un espace connu de chacun et reconnu par tous les membres de la tribu. Chaqueparcelle est identifie par tous, car elle est nomme et chacun la dsigne par son nom, connu commefaisant partie des lieux attachs un autre nom, celui de tel ou tel clan. Il n'y pas d'espace vide ou deterres vierges dans cet univers. Et constamment les conversations, les rcits des vnements qui se sontpasss la tribu, les lgendes, les berceuses, les chants de pilous et les discours coutumiers qui reviennentfrquemment dans l'anne rappellent ces noms. L'espace de la tribu apparat ainsi comme la scneimmense d'un thtre perptuel o chacun joue son rle une place assigne.

    Il faut ajouter une certaine rpartition du sol qui essaie de tenir compte de la hirarchie sociale, telleque l'a dtermine le mythe originel. () L'espace fait partie du rseau de relations homme-terre-mythe-dieu. Il recle des lieux privilgis o se sont vcues des expriences, plus ou moins denses, de rencontreentre l'homme et la divinit. C'est cette exprience mythique sacre en elle-mme qui rend ce lieu tabou.

    D'autre part, il sera considr comme le lieu qui rappelle la prsence de la divinit et galement l'autel odoivent s'oprer les rencontres nouvelles entre l'homme et son dieu. C'est le lieu de l'inter-prsence entreles vivants et la parole gnratrice du clan. C'est l que s'actualise chaque sacrifice l'vnementprimordial qui a vu la naissance du clan et qui le soutient au cours de son existence. On ne saurait tropinsister sur l'importance du territoire pour une tribu donne. En effet, comme il est dit plus haut, l'espacepour le monde mlansien n'est pas seulement la terre nourricire ou la terre charge de l'histoire du clan.Il est un des lments constitutifs de la socit globale. ()

    Il est aussi remarquer que les parcelles de terre, partir des tertres qui les runissent en leurdonnant une structure d'organisation, se trouvent dans un rseau de relations qui les relient les uns auxautres ; tout comme les clans ont un rseau d'alliance qui suit les rivires, traverse les chanes et lesvalles suivant des itinraires prcis. L'espace ainsi n'est pas peru comme tel, mais comme le tissuimprgn du rseau de relations des humains. Il sert d'archives vivantes du groupe et comme tel constitueune des bases du monde mlansien et, par le fait mme, apparat comme un des lments fondamentauxde la personnalit canaque. Il est donc en dfinitive non pas seulement un lment du cosmos, mais undes aspects essentiels du mythe. Par rapport la personne, il n'apparat pas seulement comme le support

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    matriel, mais une de ses qualits. L'homme de la tribu accde la personnalit par sa relation au mytheet par sa relation avec l'espace.

    Localit et filiation sont donc indissociables dans les reprsentations. Ainsi, les groupes

    tirent leur identit sociale d'un enracinement dans le terroir dont ils portent encore les noms

    malgr les dplacements soit volontaires par segmentation des groupes , soit imposspar la colonisation dplacements involontaires dus l'avance des colons et la politique

    de cantonnement. La composition et l'identit des groupes sont donc indissociables de

    l'histoire de l'apparition des hommes dans la rgion, exprime par le mythe d'origine qui

    renvoie une histoire sociale beaucoup plus englobante , et de leur faon particulire

    d'occuper et de penser l'espace. Chaque gnalogie, parallle au mythe, correspond donc

    une succession, autant de rfrences spatiales, d'anciens habitats occups tout au long des

    dplacements des membres du clan, que d'anctres. Il n'est pas une occasion de rencontres de

    Kanak venant de diffrents lieux, que ce soit une runion politique ou religieuse, qui necommence par une remise de coutumes par les arrivants aux matres du lieu. Les prsents

    donns sont accompagns d'un discours situant les participants dans leur parent et rappelant

    les liens d'alliance qu'ils peuvent avoir avec les groupes qui les accueillent. Chaque groupe

    garde la mmoire des dplacements dans la tradition orale, par les rcits historico-mythiques,

    les histoires de clans, de migrations, d'alliance, etc., qui sont les supports essentiels des

    relations entre groupes, entre personnes, soit autant d'lments formaliss d'un savoir non pas

    mort, fig ou folklorique, mais opratoire tous les niveaux de la vie sociale. Les groupes se

    dplacent ici en fonction des rseaux de relations (maternelles et paternelles) dont ilsdisposent ; cette mobilit permet par l-mme de faire vivre ces rseaux. La terre dfinit donc

    une identit sociale mobile.

    La socit kanak repose ainsi sur l'articulation de petits groupes familiaux disperss dans

    un territoire, articulation qui se fait suivant le principe suivant : le premier arrivant ou le

    premier dfricheur, appel "matre de la terre", accueille sur ce terroir les autres groupes en

    fonction de leurs capacits offrir la communaut une connaissance, un savoir ou une

    technique originale. On accueillera ainsi un "donneur" de femmes ; tel autre comme guetteur

    charg de surveiller les alentours ; ou encore, un pourvoyeur de magies pour les cultures oupour la pche, de connaissances pour faire venir la pluie ou le soleil, pour favoriser la

    navigation, etc. ; l'ultime fonction dvolue en gnral au dernier arrivant est celle que l'on a

    improprement appele chef.

    Les Kanaks conoivent leur organisation sociale comme une hirarchie opposant les ans

    aux cadets, en fonction de l'anciennet. Les clans et les lignages sont donc hirarchiss, les

    anciens, "matres de la terre", tant plus prestigieux que les nouveaux venus, les ans plus

    que les cadets. Les trangers sont adopts par leur intgration au systme existant, chaque

    clan tant plac dans un systme de relations complmentaires. L'opposition entre rang lev

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    et rang infrieur, bien que traversant toute la socit, ne correspond pas l'exercice d'une

    autorit, mais plutt une distribution de rles et de fonctions entre les diffrents groupes

    composant une unit territoriale. Les units sociales et les personnes sont intgres dans des

    ensembles sociopolitiques cohrents assurant un partage quilibr des tches, des

    responsabilits et des pouvoirs l'intrieur d'un territoire. Ce systme social traditionnelaccorde une place prpondrante au "fondateur", ancien du pays, qui, en accueillant

    "l'tranger", le nouveau venu, le place dans une situation dpendante et prcaire. C'est ainsi

    que, souvent, le dernier arrivant est install "chef" et on lui dlgue la fonction de

    reprsentation du groupe, tout en continuant le contrler dans l'ombre.

    Ce systme d'adoption/dispersion fait que chaque ensemble sociopolitique kanak a une

    histoire particulire et sa faon de s'organiser dans un canevas gnral commun de rles et de

    fonctions. Les anciens, matres de la terre, sont ceux qui dtiennent les magies et les rites

    propitiatoires ncessaires la russite de toute entreprise ou de toute activit technique

    (culture, chasse, pche). Ce sont, dit-on, les gnies qui ont donn au tout premier arrivant

    les techniques de pche, de chasse et de cueillette et les premiers tubercules planter. La

    mobilit des groupes fait qu'on peut tre matre de la terre un endroit et devenir, par

    exemple, chef l o l'on est accueilli. De mme, quand le clan des matres de la terre disparat

    faute de descendants ou parce qu'il est parti ailleurs, un autre clan prend sa place de par des

    liens d'alliance5ou bien parce qu'il est arriv juste aprs lui.

    Pour rsumer, on peut donc dire que la terre est fondatrice de cette socit travers deuxrapports prcis que les Kanaks entretiennent avec elle :

    d'une part, un processus d'empilement des groupes l'intrieur d'un mme terroir ; en

    gnral, les groupes gardent leurs fonctions au cours de leurs dplacements car celles-ci sont

    lies aux pouvoirs magiques qu'ils dtiennent ;

    d'autre part, le maintien des liens aux diffrents sols occups tout au long des itinraires

    suivis au fil des gnrations car, la plupart du temps, ceux qui partent d'un terroir en gardent

    le nom, sauf sil y a une volont de se cacher sous un autre nom, ou lors des processus de

    segmentation. Dans ce cas, le changement se fait selon un processus d'embotement, c'est--

    dire que tout le monde sait, l'heure actuelle, que les X sont des Y qui sont eux-mmes des Z,

    etc.

    L'identit d'un groupe tant constitue par l'accumulation de son histoire, depuis son point

    d'origine jusqu' son implantation actuelle, il se dfinit donc autant par la localit (noms des

    5On parle souvent ainsi de clans devenus matre de la terre par les femmes , c'est--dire que ces clans ont pu

    prendre ce titre en raison d'une alliance avec une femme de l'ancien clan matre de la terre qui n'avait pas dedescendants.

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    terres, des tertres, des maisons) que par l'histoire de son cheminement. Ce systme de

    double localit, qui est la fois diachronique et synchronique, est le rsultat de deux processus

    complmentaires qui impliquent deux points de vue diffrents sur le foncier. Ainsi, le rgime

    foncier repose donc sur deux donnes essentielles : d'une part, l'embotement des droits (en

    raison des itinraires) et, d'autre part, un acte fondateur qui se situe au sommet de cetembotement et qui renvoie ce que l'on appelle couramment les "matres du terrain" et

    leurs liens avec les gnies. Comme le prcise Alain Saussol (1979, p. 36) propos du droit

    d'usage du sol :

    Une terre dont on ne respectait pas les possesseurs pouvait () cesser de produire et devenir strile,dans la mesure o se trouvait rompu le lien mythique avec l'anctre dfricheur.

    Les droits traditionnels sur la terre peuvent tre acquis ou transmis, de manire dfinitive

    ou temporelle, de plusieurs faons mais toujours sous forme de don : c'est la dot l'occasion

    d'un mariage, un cadeau rcompensant un service rendu ou un fait de guerre, etc. Fote Trolue

    (1991, p. 31) fait une distinction entre les matres et les gardiens de la terre. Ces derniers sont

    des familles arrives plus rcemment auxquelles les matres du terrain, en les accueillant,

    accordent des droits permanents et transmissibles d'usage des sols, ou bien de jouissance

    usufruitire, et parfois mme leur propre nom, prcise ce propos :

    Le don dfinitif a pour consquence de dpossder un clan d'une terre au profit d'un autre. Il peuttre assimil une vente dans le droit moderne. Le don temporaire a pour consquence de suspendre lesdroits d'un clan sur une terre pendant une priode limite dans le temps aligne parfois sur la dure de vied'une personne. () Le gardiennage peut tre limit dans le temps comme il peut tre illimit et il

    entrane des obligations respectives du gardien et du matre de la terre.

    On peut rsumer ces obligations respectives ainsi : d'un ct, les usufruitiers doivent soutenir

    les matres de la terre par diverses offrandes, soit dans les obligations coutumires de ces

    derniers, soit lors des crmonies de prmices des rcoltes ; de l'autre, les matres de la terre

    garantissent ceux qui vivent sur leurs terres une jouissance paisible en assurant notamment

    les pratiques magiques propitiatoires ncessaires la bonne russite de toute entreprise

    (cultures, pche, chasse).

    Puisque la terre est () dote d'un sens mythique, puisque tout ce qu'elle reprsente lui confre unedimension sacre, elle se trouve par le fait mme juge inalinable quoi qu'il arrive, le sol, dans l'esprit duMlansien est tout jamais la proprit des matres de la terre. () Toutefois, le caractre inalinable duterroir n'empche pas pour autant les autres clans d'en dtenir des parcelles qu'ils cultivent et dont il ontl'usufruit. (Groupe d'autochtones mlansiens, 1976, p. 16).

    Un autre niveau d'apprhension de la terre est celui du lieu cultiv qui permet la

    subsistance des gens. ce propos, Paul Naoutyine prcise les diffrents usage du foncier :

    () le foncier dtenu par les membres d'une mme case (clan) est en gnral rparti en zones usage communautaire et en zones usage particulier. [Le foncier usage communautaire] est dvolu enprincipe de plusieurs manires. L'homme qui prend femme est attributaire de terres claniques, d'une part

    pour implanter son habitat et d'autre part pour y raliser les cultures vivrires devant lui permettre desubvenir aux besoins de sa famille et de participer aux changes coutumiers des membres de la case (ou

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    du clan). D'une faon gnrale, le foncier se transmet par filiation. Le foncier clanique peut galementtre dvolu en dot. Dans ce cas, il y a transfert du foncier l'autre clan au sein de laquelle la femme semarie. Le troisime cas de dvolution correspond la tradition de l'hospitalit. L'accueil d'une personneou d'un groupe peut en effet se traduire par l'attribution de terres. [Le foncier usage communautaire :] ils'agit des terres non attribues l'usage particulier des membres de la case (du clan). Ces terres sont enfait sollicites de faon ponctuelle : soit pour des cultures (ignames, taros) grande chelle en

    prvision d'vnements importants et programms, soit comme zone de prlvement de matriauxutiles des constructions ou des fabrications diverses (maisons, pirogues, canaux d'irrigation, sculptures,etc.), soit comme zones de pche ou de chasse. Le foncier usage communautaire est accessible selondes rgles coutumires tablies, d'abord aux membres directs de la case (clan), mais galement aux autrescommunauts avec lesquelles des rapports ou liens coutumiers ont t tablis. C'est cet ensemble dergles gnrales de gestion sociale de l'espace foncier qui sera profondment dsarticul par le processusde colonisation. (mai 1993, p. 29-30)

    Dans le domaine qui nous occupe ici, la colonisation va se traduire notamment par un

    conflit de pouvoirs entre le droit traditionnel et le droit europen en matire d'appropriation et

    d'usage du sol.

    LA SOCIT KANAK FACE LA COLONISATION EUROPENNE

    Ds la prise de possession de la Nouvelle-Caldonie par la Francele 24 septembre 1853,

    les premires acquisitions de sol par les Europens se font par le biais de tractations drisoires

    au dtriment des Kanaks. Elles sont stoppes par le gouvernement franais qui, en janvier

    1855, se rserve la proprit exclusive des terres non occupes par les Mlansiens. Pour

    ce faire, le territoire est rparti arbitrairement en terres vacantes et terres occupes en

    mconnaissant donc la conception kanak de la terre et mme, pour partie, son occupation

    concrte.

    l'arrive des Europens, il n'y avait pas de res nullius, de ces "terres vacantes et sans matres" dontparlent les premiers textes coloniaux. Tout tait appropri ; l'accs au sol (culture, cueillette, chasse,pche) faisait l'objet d'une tradition prcise, aussi bien que les droits de pche la cte ou le long desrivires (Guiart, 1981).

    En effet, l'exploitation des terres est ralise par des groupes familiaux, trs disperss qui

    pratiquent l'horticulture cultures mobiles d'ignames et de taros, brlis et jachre tournante

    ainsi que la pche, la chasse et la cueillette, l'intrieur de territoires dfinis. D'o la

    prsence d'espaces apparemment vacants, puisqu'une des caractristiques de ces cultures estleur mobilit. Mais en fait, tout le pays tait occup et l'agriculture vivrire utilisait ainsi

    toutes les bonnes terres disponibles, soit en cultures sches champs d'ignames drains ,

    soit en culture irrigues en terrasses difies flancs de collines ou en plaines et couvrant des

    espaces considrables tarodires irrigues notamment. Les Europens, ignorant tout du

    mode de vie des Kanak ou l'occultant volontairement6 , considrent que la culture

    6Ainsi, dans l'introduction du livre de Jol Dauphin (1987, p. 6), Alain Saussol fait remarquer que parfois,

    certaines donnes connues ont t occultes volontairement : La confrontation d'un manuscrit original avec saversion imprime peut, par les omissions ou les substitutions qu'elle fait apparatre, rvler une arrire-pense,

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    pratique par ces derniers sur de longues jachres tournantes reprsente un gaspillage de

    l'espace. Cette ide engendra la cration des rserves primtres collectifs et

    inalinables rservs aux Kanaks, pour viter leur dpossession totale. En ralit, la

    proccupation majeure de l'administration n'est pas tant de protger les Kanaks des

    spoliations que de dgager des terres pour les colons. Cette pratique du cantonnement a eupour consquences le dplacement de nombreux clans, forcs par l'administration d'aller

    s'installer sur des terres de rserves o ils taient trangers. Leur accueil sur ces nouvelles

    terres s'est fait selon le principe propre au systme coutumier kanak d'intgration de

    l'tranger. La constitution de l'identit d'un groupe travers son itinraire a donc continu de

    jouer son rle. D'o la constatation souvent faite du peu de consquences de la colonisation

    sur l'organisation sociale kanak.

    Aussi, ds le dpart, la notion de rserve est-elle frappe d'ambigut : protection des

    Kanak, pour ceux qui acceptent de traiter avec l'administration, dans un march de dupes ;

    sanctions pour ceux qui se rebellent contre l'ordre colonial ; mais, dans tous les cas,

    dpossessions foncires au profit de la colonisation. Face cette situation, les Kanaks se

    rvoltent plusieurs reprises et ces affrontements constituent le fondement de la rsistance

    kanak au systme colonial. Cette rsistance, active jusqu'en 1917 et devenue plus "passive"

    aprs cette date, a lourdement pes dans la constitution de l'identit foncire kanak. Non

    seulement les Kanaks ne disposaient plus de suffisamment de terres pour leurs cultures, mais

    il ne leur tait laiss que celles de qualit mdiocre.

    C'est lors de cette priode d'expansion des colons que la dimension foncire de la terre

    au sens de primtre foncier exploitable prit une place particulire. Comme le note Alain

    Saussol (1985, p. 1612) :

    () toute l'histoire coloniale de la Nouvelle-Caldonie est celle d'une lutte dont la terre fut l'enjeu.

    Car il ne faut pas oublier que, pour les Kanaks, la terre ne peut pas tre vendue ; comme ils

    aiment le dire, ce n'est pas la terre qui appartient l'homme, mais l'homme qui appartient

    la terre . Habitue l'intgration de l'tranger, la socit kanak lui accorde facilement des

    droits de mise en valeur de parcelles limites pour un temps donn et lui laisse la proprit

    des plantations qu'il a effectues et entretenues. S'il est parfois question de don de terres,

    jamais la vente n'est-elle envisage. Ainsi, par le pass comme alors pour les colons, les

    propritaires coutumiers ont-ils "prt" des terres c'est--dire des droits d'usage aux

    donc une stratgie. De cette faon, Jol Dauphin apporte, pour la premire fois, la preuve que le gouverneurGuillain connaissait l'existence d'une proprit mlansienne, qu'il cherchait l'occulter et que son parti-pris de"proprit collective et incommutable de la tribu" tait politique. Il prfrait avoir comme interlocuteurs deschefs qu'il avait nomms ou agrs, sur lesquels il pouvait peser, plutt qu'une pluralit incontrlable de "matresde terres".

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    nouveaux venus sous-entendu les colons sans pour autant remettre en cause leurs droits

    fonciers de clan "possesseur".

    Non seulement le systme colonial enlve aux Kanaks les terres pour ce qu'elles

    reprsentent, mais les prive galement de terres ncessaires aux cultures, sans compter langation faite par la socit coloniale des "rgles du jeu7", c'est--dire de la socit et de

    l'identit kanak. La spoliation foncire reprsente donc pour les Kanaks un vritable

    traumatisme qui s'exprime dans la violence des conflits pour la possession du sol. D'o

    l'importance aussi du mouvement de revendication foncire et de la lutte politique actuelle :

    La terre est premire, elle est nous-mmes. Sans la reconqute de la terre, nous demeurons un peuplesans racines et sans identit vritable. (Dput Pidjot, runion publique d'information, Paris, 18.12.84.)

    Pour toutes ces raisons, la terre devient de plus en plus un enjeu vital car le systme

    colonial naissant place les Kanaks dans une situation d'exclusion absolue.

    L'alination des terres et les remaniements fonciers n'ont pas seulement dplac les tribus, mais lesont fondamentalement dsagrges. Un clan qui perd son territoire, c'est un clan qui perd sa personnalit.Il perd son tertre, ses lieux sacrs, ses points de rfrences gographiques mais galement sociologiques.C'est tout son univers qui est branl, son rseau de relations avec ses frres, avec le protocole affrentqui se trouve plong dans une confusion gnrale. (Tjibaou, 1976, p. 284-285)

    Si, par le pass, il existait des conflits et des guerres entre Kanaks propos de la terre, les

    groupes chasss avaient toujours la possibilit d'aller s'installer ailleurs o ils taient

    accueillis. Avec l'implantation des rserves et l'interdiction de se dplacer hors de leurs

    primtres, cela n'tait plus possible.

    Dans ce domaine comme dans beaucoup d'autres8, deux rationalits radicalement

    diffrentes s'affrontent car, pour les colons europens, la terre a une tout autre valeur et

    signification. C'est d'abord un enjeu conomique, mais c'est aussi, comme le remarque Alain

    Saussol (1985, p. 1612), la marque tangible de leur russite conqurante et le terreau de

    l'enracinement colonial.

    AFFIRMATION DE L'IDENTIT KANAK ET REVENDICATION FONCIRE

    Aprs la fin du rgime de l'Indignat, au dbut des annes cinquante, l'entre des Kanak

    dans la vie politique est vite marque par un certain nombre de revendications concrtes,

    notamment sur le plan foncier. Au dbut des annes 1970, la revendication foncire s'amplifie

    pour contrer la poursuite de l'accaparement des terres par une nouvelle gnration de colons.

    7J'entends par l les rgles d'accueil des nouveaux venus.8Le dveloppement conomique est galement un domaine o l'on voit clairement ces deux rationalits

    s'opposer, comme je l'ai montr dansLes Kanak face au dveloppement(cf. Leblic, 1993).

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    C'est le Groupe 18789qui, le premier, fit de la revendication foncire la base de son action en

    liant ce problme l'indpendance du pays :

    Les deux principaux buts de la lutte que mnent les membres du Groupe 1878 sont () :l'indpendance kanak et la reprise de toutes les terres des tribus kanak pilles par le gouvernement

    franais colonialiste. Ces deux buts sont profondment lis l'un l'autre puisque nous savons que sans uneliquidation totale du systme colonial qui nous opprime aujourd'hui dans notre pays, toutes lesrevendications du peuple kanak se retrouveront dans les poubelles du haut-commissaire ou de l'lyse. (Nouvelle 1878 Andi ma Dh10, n 7, 1975)

    Pour le Groupe 1878 :

    () les terres doivent tre rendues sans aucune condition pour la simple et unique raison qu'elles ontt voles. () la terre est synonyme de vie pour le Kanak. Aussi il rclame son droit la vie. Il rclameses terres. (Nouvelle 1878 Andi ma Dh, n 30, mars-avril 1976)

    Si tous les groupes indpendantistes sont d'accord pour le mot d'ordre de revendication

    totale et de restitution sans condition, certains divergent notamment sur la faon de mener

    bien cette revendication. Au sein du Front indpendantiste11, c'est essentiellement l'Union

    caldonienne qui a dvelopp la position de "revendication clanique" des terres : les terres

    doivent tre revendiques et redistribues aux clans car :

    () malgr toutes les perturbations subies par la notion de proprit chez les Kanak, celle-cidemeure et restera toujours base clanique. () l'accueil coutumier doit tre respect puis rendu. Cecisuppose pour le clan accueillantle respect de la coutume faite en son temps, mme aprs la restitution auclan spoli, c'est--dire au clan accueilli, de sa terre d'origine. De son ct, le clan accueilli doitconsidrer comme un devoir de revendiquer son tertre d'origine. Impos par la colonisation chez un autreclan, il devient la longue une charge pour ce dernier qui doit tenir compte de lui dans le partage de sesbiens au dtriment de ses autres membres. () Ceci suppose encore pour le clan accueilli unereconnaissance constante envers son hte qui doit se concrtiser au moment de la restitution de la terreancestrale. La coutume faite devant tre rendue, ceci peut se traduire par le don d'une parcelle de terreclanique rendue soit par le partage de celle-ci entre les lments jeunes des deux clans sous une formelibrement discute par les deux clans. (L'Avenir caldonien, n 776, mai 1980).

    Cette position, bien diffrente de celle du Palika qualifie par certains de "collectiviste",

    fut l'origine d'un long dbat entre les deux groupes de pression sur le thme "pour ou contre

    les revendications claniques des terres". Pour simplifier, on peut dire que le Palika reproche

    l'UC d'avoir fait du problme de la terre :

    () une source de discorde et de division12alors que jusque l ce mme problme a permis l'unitdu peuple kanak (Kanak, n 82, aot 83).

    L'UC rpond cette critique en disant que :

    9Le Groupe 1878 et les groupes Atsai (Ouva), Ciciquadry (Lifou) et Wayagi (Mari) issus des Foulards Rougesse sont regroups en 1976 pour crer le Palika.10Andi ma Dhsignifie "la monnaie et la terre".11Le Front indpendantiste (FI) est cr en 1979 pour rassembler tous les groupes de pression indpendantistes

    kanak.12 Toutes les revendications claniques sur le territoire se sont soldes, dans la majeure partie, par des conflitsclaniques, soit des conflits de tribus tribus () (Kanak, n 82, aot 83)

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    () la revendication clanique est la forme de revendication susceptible d'tre la moins contesteparmi les Kanak. La revendication sous une autre forme ne fera qu'aggraver les problmes dj existantsentre les diffrents clans ou en crera de nouveau (L'Avenir caldonien, n 776, mai 1980).

    La terre situe les clans et la recherche des chemins coutumiers redit la socit kanak. Et militer pourl'indpendance kanak, c'est en mme temps situer les clans sur les terres et retrouver les liens entre lesclans. Autrement dit, retrouver lepays, lapatrie, c'est en mme temps retrouver le tissu socialqui fait le

    peuple de cette patrie. (Synthse de la commission des terres, Congrs de l'UC de Couli, dcembre1982, inUnion caldonienne, 1991)

    Si les arguments sont diffrents, les conclusions tires quant aux consquences de tel ou tel

    type de revendication sont bien les mmes. Et tous sont d'accord pour dire que ma terre n'est

    pas vendre13 :

    L'ide d'achat d'une terre en Caldonie ne doit en aucune faon effleurer l'esprit du Kanak quirevendique toutes les terres de Caldonie comme assise de son indpendance kanak et son tertre d'originecomme signe de son appartenance au peuple kanak. (L'Avenir caldonien, n 776, mai 1980)

    Il faut attendre 1978 pour que le gouvernement franais mette en place la premire rformefoncire, dite rforme Dijoud , du nom du ministre des DOM-TOM de l'poque. Il devient

    absolument ncessaire pour le gouvernement de dsamorcer une situation explosive. Selon

    R. Groussard (1984), en 1982, on trouve face face14:

    prs de 30 000 Kanaks rpartis sur 165 000 ha de rserves, soit 5,5 ha en moyenne mais

    avec des rpartitions trs ingales, et environ 35 000 ha de proprits prives ou socitaires,

    en attributions individuelles soumises au droit commun ;

    environ 20 000 non-Kanaks rpartis sur 500 000 ha, soit 25 ha en moyenne. Si l'on

    dtaille les exploitations europennes, on trouve 2 035 exploitants individuels15 pour

    350 000 ha (172 ha en moyenne) et 58 socits exploitant prs de 100 000 ha (1 724 ha en

    moyenne) ; prs de la moiti de la surface approprie est le fait de 308 propritaires et 58

    socits qui possdent de vastes domaines, alors que 1 137 "petits colons" ne possdent que

    des proprits infrieures 10 ha ; beaucoup de ces grandes exploitations sont en fermage,

    mtayage ou grance.

    Dans le cadre de cette rforme foncire, un inventaire des surfaces revendiques par les

    Kanak est ralis, faisant apparatre, fin 1982, une demande globale de prs de 270 000 ha(172 500 ha de proprits prives, 39 000 ha de locations domaniales et 56 000 ha de terres

    du territoire) alors qu'un recensement des terres immdiatement disponibles pour une telle

    rforme donnait dj 166 000 ha ainsi rpartis : 92 000 ha exploits par des agriculteurs de

    13Conclusion du compte rendu de la partie des discussions consacres aux revendications foncires dudeuxime congrs du Palika Mar en dcembre 1977.14Ne sont pas comprises, dans les donnes fournies pour la Grande Terre, celles concernant les communes dominantes urbaines (Nouma, Mont Dore et Dumba).15

    La moiti des exploitants individuels ont plusieurs activits et un tiers seulement des exploitants titreprincipal ont moins de cinquante ans (cf.Groussard, 1984).

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    plus de 60 ans, 13 000 ha en indivision et l'abandon, 26 000 ha lous des doubles actifs et

    dont les contrats peuvent tre rsilis et 35 000 ha appartenant des socits et susceptibles

    d'tre mis en vente. De fin 1977 fin 1982, environ 36 000 ha de terres ont t rachets ou

    ont fait l'objet de rsiliation de titres de concession et environ 8 000 ha ont t retirs des

    locations. Mais seuls 42 800 ha ont t redistribus de 1978 1983, 11 100 ha en attributionsclaniques, 25 600 ha en agrandissements de rserve et 6 100 ha en attributions sous le rgime

    de droit commun. (Cf. Groussard, 1984, p. 16-17.)

    La rforme Dijoud, mal engage et fortement controverse par les Europens, s'enlise. Le

    gouvernement socialiste en propose alors une deuxime version, reprenant en compte une

    partie des propositions formules par le Palika16et le FI l'encontre de la prcdente rforme

    foncire et marquant la volont d'activer les transferts fonciers. Avec la cration de l'Office

    foncier par l'ordonnance de 1982, fin 1984, Alain Saussol pense que prs de 45 000 ha ont t

    redistribus aux Kanak. Il faut noter que l'apport principal de cette ordonnance est :

    () la reconnaissance d'un droit foncier coutumier prexistant sur le sol de la Nouvelle-Caldonie,[ce qui] constitue une base juridique nouvelle et donne valeur juridique nouvelle ce qui, jusqu'alors,n'tait que des "revendications" foncires considres comme pouvant troubler l'ordre public. (Groussard, 1984, p. 22)

    ces revendications kanak, essentiellement identitaires et fortement lies la conception

    de la terre, le gouvernement rpond donc par une politique de rquilibrage conomique et

    par une rforme foncire. Mais, venue trop tardivement, cette deuxime rforme ne russit

    pas dsamorcer les revendications du peuple kanak qui, du plan foncier, ont de plus en plusgliss sur le plan politique. Ds 1979, le Front indpendantiste a commenc revendiquer

    l'indpendance kanak et socialiste. Ce nouvel objectif s'est trouv au cur de l'ensemble des

    revendications et de la lutte mene depuis le 18 novembre 1984. Comme le signale Alain

    Saussol (1985, p. 1622) :

    () au terme de ce rapide survol de 130 annes d'antagonismes fonciers en Nouvelle-Caldonie, leproblme des terres apparat comme la concrtisation spatiale d'un concept politique. La chimre de "laFrance australe" se fondait sur la ralit de l'accaparement colonial. L'inversion du rapport de forces,patent dans une large partie de la brousse, s'effectue au nom de l'indpendance de "Kanaky" dont on peut

    se demander s'il n'est pas la transcription politique contemporaine du rve sculaire du retour au "vieuxpays canaque".

    Contrairement ce que dit Saussol en ce qui concerne le "rve sculaire du retour au vieux

    pays kanak", je dirais qu'il s'agit plutt de la construction d'une identit traditionnelle

    nouvelle, comme le prcise Jean-Marie Tjibaou (1985, p. 1601) :

    16Une des principales critiques adresse par le Palika cette rforme, en dehors du fait qu'elle ne correspondaitpas au mot d'ordre de "rtrocession totale des terres sans condition", est que ces attributions de terre taientconditionnes par leur mise en valeur, ce qui poussait les Kanaks entrer dans le systme du crdit bancaire qui

    instaurait un processus d'endettement des Kanak par le biais du FADIL qu'il dnonait galement.

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    Le retour la tradition, c'est un mythe ; je m'efforce de le dire et de le rpter. C'est un mythe.Aucun peuple ne l'a jamais vcu. La recherche d'identit, le modle, pour moi il est devant soi, jamais enarrire. C'est une reformulation permanente. Et je dirais que c'est notre lutte actuelle, c'est de pouvoirmettre le plus possible d'lments appartenant notre pass, notre culture dans la construction dumodle d'homme et de socit que nous voulons proposer pour l'dification de la cit.

    Ds les annes 1970, la revendication foncire premire revendication indpendantiste est donc essentiellement identitaire. Elle est passe, selon les poques et les mouvements

    politiques, par une revendication clanique ou par une revendication collective ; d'une

    revendication totale avec une restitution sans condition une revendication partielle et lie

    une mise en valeur conomique, par l'intermdiaire de Groupements de droit particulier

    locaux (GDPL17). Certains en viennent mme poser la ncessit de redfinir, d'une part, le

    statut des terres de rserves et des terres coutumires et, d'autre part, la place de chacune des

    autorits coutumires, politiques et administratives par rapport au foncier et au

    dveloppement conomique. En novembre 1984, la commission des terres du congrs annuelde l'UC prcise quel pourrait tre le statut des terres dans le futur tat indpendant :

    Avant l'indpendance, la terre a plusieurs fonctions : une fonction mystico-religieuse et une fonctionnourricire pour les clans. Ces deux fonctions essentielles ont plusieurs rles, en particulier celui de lasurvie de la socit kanak dans son univers. Dans l'indpendance, ces fonctions ne doivent pas trevacues, mais la terre doit devenir un instrument de libration, de promotion et de production. C'est--dire qu'elle doit avoir un rle conomique important. Cela veut dire que la terre qui est envisage commeun instrument de production doit tre source de richesse, et pour l'individu, et pour tous les citoyens, etpour la nation, et non pas pour quelques-uns seulement. Pour lgifrer sur le statut des terres, lelgislateur devra tenir compte des principes d'une conomie socialiste. Comment concilier le droit fonciercoutumier et le dveloppement ? Quelles sont les conditions remplir pour raliser une conomie

    planifie ? Notre rle pour le moment est d'tudier un certain nombre de rgles qui devront nous dire lestatut des terres dans l'indpendance kanak et socialiste.

    Le Groupe 1878 l'avait dj prcis comme suit en 1976 :

    Dans l'indpendance kanak, les valeurs fondamentales de la socit traditionnelle seront conserves.En ce qui concerne les terres, on distinguera deux catgories. 1 - Les terres collectives : il y a d'abord lesterres appartenant au clan (proprit mlansienne) et ensuite il y a les terres appartenant des

    17Guy Agniel (juin 93,p. 12), qui prsente le GDPL comme une des crations les plus originales de la loi ,en retrace l'histoire : c'est une notion qui apparat pour la premire fois dans l'ordonnance du 15 octobre 1982

    relative l'amnagement foncier, sous l'appellation de "groupement relevant du droit particulier", ce qui prsentealors la caractristique de ne correspondre rien de concret en droit positif : tous les groupements connusrelvent du droit commun ; le droit particulier s'intresse aux seuls individus et ignore les groupements.L'ordonnance du 13 novembre 1985 devait permettre de mieux cerner le sujet : son rapport de prsentationvoque en effet les "besoins des groupements de droit particulier local et des propritaires de droit commun" ; acontrario le GDPL apparat donc comme un groupement de personnes physiques relevant du statut civilparticulier, moins que de manire plus restrictive, il ne vise que les "propritaires dont les biens neressortissent pas au droit commun". Le concept sera repris dans l'article 42 de la loi du 17 juillet 1986 et, depuislors, il a trouv sa place dans le droit positif o il est peru comme une entit mi-chemin entre la socitcommerciale et l'association de type "loi de 1901" ; il est cependant tout fait remarquable qu'il n'pouse lescontraintes et obligations ni de l'une ni de l'autre forme, en raison de la dfinition on ne peut plus lapidaire deson fonctionnement ; "la personnalit morale est reconnue aux GDPL qui ont dpos une dclaration auprs duprsident de l'Assemble de province et dsign un mandataire". Bouds assez longtemps par les tablissementsbancaires, il a eu le mrite de pallier une carence : le clan n'avait pas de personnalit morale ; par ce biais, il peutdsormais l'obtenir.

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    collectivits de production agricole ou pastorale (proprit collective). 2 - Les terres appartenant l'Etat :il y a les terrains miniers, les terres vocation agricole ou pastorale, les terrains forestiers ; le domaine del'Etat est le domaine inoccup par les tribus et les collectivits de production. (Nouvelles 1878, n 30,mars-avril 1976)

    Aprs cette prsentation des revendications foncires constitutives en partie de

    l'affirmation de l'identit kanak et de la revendication indpendantiste, voyons maintenant

    concrtement si le statut du foncier a des incidences sur la mise en uvre du dveloppement

    conomique, et vice versa.

    STATUT DU FONCIER ET DVELOPPEMENT CONOMIQUE

    Support d'une horticulture vivrire traditionnelle, la terre devient aujourd'hui, par le biais

    de la multiplication des projets de dveloppement, le support d'une activit conomique

    marchande. Aussi, on peut se demander comment, dans ce cadre nouveau, le rapport aufoncier va ou non se modifier et si la revendication foncire va changer de nature et de forme.

    Aujourd'hui en effet, les reprsentations du milieu et du foncier, qui ont sous-tendu la

    revendication identitaire, commencent tre remis en cause par certains. Quelques Kanaks

    parlent de changer le statut des terres, de remplacer la proprit clanique ou tribale pour

    les rserves par une proprit individuelle des terres18. Ils pensent que cela permettrait de

    rsoudre un certain nombre de problmes lis au dveloppement des projets de mise en valeur

    conomique des terres. Ainsi, pour Fote Trolue (mai 1993, p. 27), seul juge d'instruction

    kanak, cette redfinition du foncier peut permettre de concilier culturel et modernit pour la

    constitution d'une nouvelle identit kanak :

    Justement, la rflexion sur le foncier va changer dans sa faon d'tre pose, avec les nouvellesgnrations qui n'ont plus de relations directes avec la terre, ces gens qui vont tre de plus en plushabitus Nouma, d'autres valeurs, et ne plus regarder la terre uniquement comme le domaine desanctres mais aussi comme quelque chose dont on peut tirer profit. C'est pour cela qu'il faut vite lancer ledbat du foncier, pour viter que les terres soient brades demain. Les gens pensent quand mme la terrecomme un lment de leur identit, et cela rend difficile d'apprhender la terre comme marchandise ;toute la difficult est l. D'autant plus que de plus en plus de Kanak, notamment des jeunes, s'loignent dufoncier, et du foncier en tant qu'lment de leur identit. Il faut vite dfinir une nouvelle structure foncirequi permette aux Kanaks de vivre ce qui a chang en eux.

    Pour concilier l'aspect "terre" et l'aspect "foncier" ou encore la valeur culturelle et la valeur

    conomique de la terre, Fote Trolue pense que :

    C'est d'abord un problme d'information et d'ducation, parce qu'on est conditionn. La terre, mmesi c'est d'abord le domaine des anctres, tait dj l'assise de l'existence ou de la subsistance des clans, parle biais des cultures qui se font dessus. Demain, mme si elle change de dimension par rapport auxexigences d'une modernit, la terre peut justement continuer tre l'assise de la subsistance d'un clan. Il ya possibilit de conciliation. Ce qui est difficile vaincre, ce sont les contradictions nes d'une rencontre

    18 Un cadastre coutumier doit tre ralis aux les Loyauts et a t commenc titre exprimental dans ledistrict de Gaica, Lifou.

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    entre deux socits donnes une poque donne, ce qui a sem les graines de division dans la tte desgens. Il fallait penser la fois traditionnel et moderne, paen et chrtien Ce n'tait pas vident et vouloir concilier, on avait parfois l'impression de trahir nos propres valeurs culturelles. C'est pourquoi ilfaut un dbat public, qui permette tout le monde de participer cette discussion, de pouvoir matriserces contradictions, de ne pas avoir honte (tiens, je ne suis pas le seul penser comme a, l'autre aussi). Onpeut concilier. On n'volue que par contradictions, malheureusement ou heureusement () le foncier

    peut tre la fois lment d'volution et lment de sauvegarde, concilier le culturel et la modernit. (ibidem, p. 27-28).

    Paul Naoutyine pense aussi que la russite du dveloppement passe aujourd'hui par la

    capacit qu'auront les Kanaks mobiliser la terre sur de longues priodes grce une matrise

    du foncier coutumier. Pour ce faire :

    Des formules juridiques doivent tre trouves pour garantir la fois les intrts des dtenteurs de laterre et ceux des acteurs du dveloppement qui utilisent la terre. Notre point de vue est qu'il faut enpriorit mettre disposition les terres (mme coutumires) ncessaires pour la ralisation desinfrastructures et des quipements publics. L'autre aspect est que les dtenteurs de la terre, notamment au

    niveau coutumier, doivent s'engager dans les activits conomiques en fonction des moyens financiersdisponibles et de leurs capacits. Sinon, ils doivent mettre ce foncier la disposition de groupements oud'autres acteurs de dveloppement porteurs de projets rentables pour la collectivit. () La terreretrouve doit, dans notre esprit, tre replace dans ses fonctions de support des activits garantissantune vie panouie pour ceux qui l'habitent. La terre doit ainsi pouvoir tre mise disposition pour portertoutes les infrastructures et quipements publics ncessaires au dveloppement des activits des citoyens(zones usage communautaire). La terre doit aussi pouvoir tre attribue ou mise disposition pour desactivits conomiques capables de rpondre aux besoins immdiats et long terme de la population. Cesprincipes constituent nos axes de mobilisation actuelle afin que l'usage de la terre nous conforte dansnotre culture et rponde nos objectifs de dveloppement dans le monde moderne. (1993, p. 32)

    Ces exigences affirmes par nombre de responsables kanak d'utiliser le foncier pour le

    support d'une activit conomique marchande sans pour autant nier la valeur traditionnelle dela terre ne sont pas toujours ralises sans poser de problmes. Si, traditionnellement, des

    parcelles de terre pouvaient tre laisses en usufruit quelqu'un pour une dure dtermine, le

    clan propritaire de cette terre gardait ses droits dessus. Aussi, aucune plantation d'arbres ne

    pouvaient tre ralise sur ces parcelles "prtes" momentanment. Car le fait de planter un

    arbre ou quelques cultures prennes que ce soient, marque l'appropriation de la parcelle.

    Aujourd'hui, lorsqu'un Kanak veut faire une plantation de caf ou d'arbres fruitiers sur une

    terre de rserve, il doit obtenir un palabre du conseil des anciens l'autorisant utiliser une

    parcelle pour cet usage. Mais souvent, ce type de projet suscite nombre de problmes car unefois les arbres plants, le promoteur peut revendiquer la proprit de la parcelle.

    Cet exemple nous montre comment l'utilisation de la terre dans une conomie de march

    peut amener une distorsion avec les reprsentations traditionnelles du foncier. Mme si

    souvent, ce genre d'argument n'est mis en avant que pour masquer le manque d'intrt de

    certains pour le dveloppement conomique, les Kanak doivent aujourd'hui essayer de

    rpondre ces questions :

    Le problme de la terre est un problme capital et non rsolu, mme avec le GDPL. La terre les

    intresse parce que c'est leur rfrence culturelle et identitaire. Mais la terre peut-elle servir pour ledveloppement ? Pour cela, elle doit tre soumise une dfinition plus prcise au niveau spatial, rapport

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    aux promoteurs. On est face deux contraintes pas forcment solubles de faon correcte. Il n'y a pas desolutions a priori. Il faut distinguer le mode d'appropriation communautaire et l'utilisation conomiqued'un membre, d'un groupe ou de gens extrieurs. Parfois, il y a une entente, mais il n'existe pas desolutions juridique, technique ou administrative ; ce serait une erreur de le croire. Il y a seulement unesolution culturelle et politique. Le modle fidjien19n'est pas forcment applicable ici au sens strict20.

    ct des problmes fonciers, la difficult, pour un promoteur kanak de runir l'apportpersonnel en argent ncessaire toute demande de subvention pour un projet de

    dveloppement, peut tre galement dpasse par la concession de baux. Un clan attributaire

    d'un terrain revendiqu peut en concder l'exploitation une socit grce un bail ce qui,

    tout en fournissant quelques revenus au clan possesseur du terrain, permet de raliser des

    projets plus importants et de pallier au manque d'argent ncessaire pour l'apport personnel :

    () l'exemple de l'htel de Hienghne permet un clan kanak possdant le titre de proprit sur cesite choisi, de ngocier avec la socit htelire exploitante, l'usage du foncier. L'valuation de leurproprit foncire leur offrant par ailleurs la possibilit d'intgrer le capital de la dite socit. Cesexemples signifient que le sujet foncier en milieu kanak n'est pas rellement un frein au dveloppement. Ilconvient seulement de trouver les formules adaptes au contexte, formules qui offrent aux personnesconcernes une participation active, donc une responsabilit dans les projets labors sur leur patrimoinefoncier. Si la finalit d'un cadastre coutumier ne consiste prcisment et simplement qu' permettre desfinanciers de nantir le foncier, nous en concluons que tout projet ralis en milieu kanak est vou l'chec. () Le foncier doit voluer et volue avec l'accession progressive des Kanaks l'conomie demarch. Mais il faut compter avec le temps. (Jordi, oct. 1990).

    On constate donc, travers ces quelques exemples, que les questions poses aujourd'hui

    propos du statut des terres et des rserves sont nombreuses. Dans l'ensemble, il s'agit de

    savoir si le statut actuel est ou non un obstacle au dveloppement, si l'absence de proprit

    prive empche ou non l'initiative conomique et si on doit dissocier les droits coutumiers sur

    la terre d'une certaine utilisation conomique21, notamment quand il s'agit d'implanter des

    structures publiques telles que coles, hpitaux, btiments administratifs, etc. Dans ce

    domaine, plusieurs interprtations possibles ont cours en Nouvelle-Caldonie :

    dans le cas d'un projet d'envergure qui demande des financements trs importants, s'il

    faut recourir l'emprunt, les banques demandent des garanties avec hypothque ; alors, le

    19 Le systme fidjien, bas sur les deux points essentiels que sont l'existence d'un cadastre coutumier et cellede baux de location de longue dure grs par un organisme gouvernemental, est n en 1936 d'une prise deposition du grand conseil des chefs () il prsente un certain nombre d'avantages : cadastre coutumierpermettant de dire qui est propritaire de quoi, droits reconnus aux propritaires mlansiens dans le respect dela tradition coutumire mais aussi garanties offertes aux investisseurs par le biais de baux de longue dure, nonremise en cause de la proprit prive (au demeurant rduite 8 % des terres), etc. Par contre, le systme auraittendance figer l'organisation coutumire et, parce qu'il instaure des loyers qui sont autant de rentes, dmotiver face au travail personnel tout en dsquilibrant les revenus des uns et des autres puisque les terres"touristiques", par exemple, rapportent davantage que les terres "agricoles". (Cf. Anonyme, 1990a, p. 21)20Interview de Paul Naoutyine que j'ai ralise Poindimi le 6 dcembre 1990.21Selon Andr Gpwa (interview ralise en nov.-dc. 1990) : Pour le dveloppement, il faut d'abord rglerles problmes fonciers entre Kanak. Le dveloppement vient aprs. Il n'y a pas de rflexions sur les problmes

    fonciers en milieu kanak, ni sur quel modle de dveloppement.

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    statut des terres de rserve peut tre considr comme un blocage car elles ne peuvent pas

    servir de garanties ;

    un dbut de solution existe pour certains grce la forme juridiquement reconnue du

    GDPL qui, constitu lors d'une attribution foncire pour regrouper les diffrents propritaires,

    permet de greffer des projets conomiques importants sur les terres rcupres, comme nousl'avons vu ci-dessus pour le Club Med Hienghne ;

    mais la solution clanique ne peut tre considre comme la panace car il arrive que les

    clans ne s'entendent pas ; aussi il ne faut considrer que la proprit clanique pourrait

    remplacer avantageusement le caractre insaisissable, inalinable et incommutable des terres

    des rserves ; l'poque (1986-88), le gouvernement de droite avait mme voulu aller plus

    loin en supprimant le statut des rserves pour installer la proprit prive

    Les revendications foncires Lifou l'occasion de la construction du port et de

    l'immeuble de la province ont suscit de nombreux dbats sur les liens entre coutume et

    politique, et sur leurs rles respectifs. Autrement dit, toutes les questions poses propos du

    statut des terres et des rserves reviennent dfinir la place de la coutume face la

    reprsentation politique22. Pour Richard Kaloi, prsident de la province des Iles, c'est aux

    liens de dfinir la place de la coutume :

    C'est sr que les coutumiers ne peuvent pas, par exemple, venir me demander de changer leprsident de la commission du dveloppement conomique. Je ne peux pas accepter, car a, c'est le rledes politiques. Mais nous, lus kanak des Loyauts, nous sommes des hommes politiques et en mmetemps des coutumiers et il n'y a que nous qui puissions apprcier la place de la coutume dans l'arne

    politique. On ne peut pas dire non plus qu'il y a une rgle pour tout le territoire, chaque cas s'apprcie aucoup par coup. Par ailleurs, aux Loyauts, en ce qui concerne par exemple le foncier, nous sommesobligs d'approcher les coutumiers puisque la terre est quelque chose de fondamental dans la culturekanak. Pour le dveloppement conomique, on est oblig, car la terre est considre comme une source devie pour le Kanak, c'est une valeur sacre. Sur la Grande Terre, il y a des terres domaniales, etc. maisdans les les, c'est une rserve intgrale. Et puis la coutume, ce n'est pas seulement les grands chefs, c'estun vaste domaine : il y a le grand chef, il y a les clans, il y a la terre, la vie sociale, les mariages, lescrmonies mortuaires, c'est tout a la coutume. On ne peut pas rgler a par des codes. Au niveau de laProvince, on peut toutefois imaginer certaines rgles privilgies de la coutume, mais on ne peut pas lescrire. Par contre, dans la situation o nous voluons, il faut qu'il y ait une avance dans le traitement dudossier du foncier. C'est du reste ce qui a t dfini lors du colloque de Hapetra propos de la terre. Il fautqu'il y ait une convergence, une rencontre, entre les politiques et les coutumiers sur le problme de laterre, et cela en regard de la situation actuelle, en tenant compte du dveloppement conomique. Audbut, la terre tait nourricire pour le Kanak, aujourd'hui elle doit permettre aux populations desretombes conomiques. () Je pense que le politique et le coutumier doivent travailler dans le mmesens, mais chacun dans son domaine. Je prends l'exemple de la religion : elle a t si parfaitementaccepte et intgre par la coutume qu'elle est totalement implique dans la structure coutumire. Je penseque notre dveloppement conomique, dans un monde moderne en perptuelle volution, va toujoursprovoquer des grincements pour s'installer par rapport la coutume. Il y a des choses qui vont se perdredans l'volution vers une socit plus moderne, mais cela on sera forc de l'accepter. Mais je resteconvaincu que la coutume peut tre une machine pour le dveloppement conomique, et non pas un freincomme pensent certains. Elle peut tre au contraire une structure, un outil qui relance les choses en milieukanak. () Ceci est l'analyse au jour d'aujourd'hui. Ds prsent, il faut s'interroger sur la place du

    22Pourquoi est-il ncessaire de faire une telle sparation entre reprsentation politique et coutume ? Leshommes politiques seraient-ils les nouveaux chefs qui dpendraient des coutumiers ?

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    Kanak dans la socit de demain. C'est la question prpondrante qu'il s'agit de poser dans le cadre de lardaction de la constitution de Kanaky. () Je pense que le dveloppement que nous voulons doitprendre sa source dans la vie culturelle. Prenons garde de ne pas perdre nos rfrences. Dans un circuitconomique o la comptition prime, un peuple qui perd ses racines est oblig de mourir. Pour la socitfuture, ne nous laissons jamais entraner par un courant qui nous empche de savoir exactement o noussommes.

    Si les problmes sont nombreux, les rflexions le sont galement. Mais ce qui manque sans

    doute aujourd'hui, ce sont des lieux et des occasions de concertations. Pourtant, certaines

    tentatives de concilier les deux conceptions du foncier existent dj et mritent d'tre releves

    ici. Ainsi en est-il de la cration Ponrihouen du centre de formation et d'appui au

    dveloppement de la Npia.

    L'exemple de la Npia

    l'origine de la cration de la Npia, on trouve, d'un ct, une revendication foncire parl'ensemble des clans de la tribu de Nouta sur la valle de la Npia et, de l'autre, un projet de

    centre exprimental territorial ; le rsultat, c'est l'association Pwa ma wara Npia23 et le

    centre de formation et d'appui au dveloppement (CFAD-Npia). Entre les deux, quatre

    annes d'un pari impossible plus d'un titre24. En effet, la forme prise par la revendication

    foncire n'est pas habituelle. Les terrains ont t revendiqus par l'ensemble des habitants de

    la tribu. Pour ce faire, il a t demand aux matres du terrain, les Poompour le fond de la

    valle et les Grat, originaires de Tchamba, pour le bas, leur accord pour la revendication

    et l'utilisation tribales de cette valle. Un geste coutumier a donc t fait auprs de ces deuxclans en signe de reconnaissance de leurs droits fonciers. Si les droits des "propritaires

    fonciers" ont t reconnus ds le dpart, le terrain attribu "appartient" maintenant toute la

    tribu de Nouta. Et, quelles que soient l'origine et l'anciennet des clans qui y sont prsents,

    tous ont accs aux terres rcupres au nom de la tribu, selon le principe d'accueil et

    d'intgration de l'tranger, comme nous le rappelle ce propos Andr Gpwa 25, afin d'viter

    les problmes rencontrs au niveau des attributions claniques :

    Les Gru, il n'y a pas longtemps qu'ils sont arrivs Nouta. Mais partir du moment o ils ont

    t accepts par les vieux, l, ils ont autant de droits que nous sur les nouvelles terres.

    Retraons brivement l'histoire de cette revendication exemplaire. Elle a commenc

    officiellement par une lettre en date du 18 mai 1982 :

    les gens de Nouta () y formulaient leurs rflexions et leurs propositions quant au devenir de lavalle de Nato-Npia-Nbondy. Ils entendaient ainsi manifester leur volont "d'entrer de plein pied dans

    23Ce qui signifie enpaic"faire comme Npia".24Je ne reviendrais ici que sur la revendication foncire. Pour plus d'information sur le centre de formation de la

    Npia, cf. le chapitre qui y est consacr dansLes Kanak face au dveloppement (p. 335-351).25Toutes les citations d'Andr Gpwa, sauf mention contraire, proviennent des entretiens que j'ai eus avec lui Ponrihouen en nov.-dc. 1990.

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    la prise de responsabilit en matire de dveloppement" et disaient en substance ne pas s'opposer l'implantation d'un centre d'exprimentation, sous rserve de devenir propritaires des terres, de les louerau territoire et d'tre associs trs troitement la mise en place du projet. Revendication ne signifie pasforcment blocage, prcisaient encore les gens de Nouta en assurant que "la prparation de l'avenir nepeut se faire que dans le dialogue et la comprhension". Ce qui suppose, ajoutaient-ils, "qu'il faut sedcider commencer enfin faire confiance aux Kanaks et que cette confiance soit sincre, qu'elle

    reconnaisse les possibilits et les faiblesses de chacun, qu'elle les accepte pour mieux essayer de mettre enplace les moyens d'y pallier". (Anonyme, 1990b)

    Dans cette tribu o les indpendantistes sont majoritaires, nombreux taient ceux qui, au

    dpart, ne souhaitaient associer dans ce projet que ses membres indpendantistes. Mais

    quelques-uns, voulant tout prix conserver l'unit de la tribu, ont insist pour y associer tout

    le monde, quelle que soit l'appartenance politique, afin de dmontrer leur capacit

    construire quelque chose d'unitaire, de viable et bnficiant tous. Quelques jeunes, pas

    d'accord avec cette ouverture du projet aux non-indpendantistes, ont menac de brler les

    ralisations ainsi faites. Quoi qu'il en soit, les initiateurs du projet russirent entraner aveceux des Kanaks non indpendantistes. Andr Gpwa, militant UPM26, explique leur

    motivation comme suit :

    Mme si on a t critiqu ds le dpart par des indpendantistes, on a prfr faire comme a etprouver aux Kanaks non indpendantistes qu'on tait capable de faire quelque chose.

    Mais cette dmarche d'ouverture allait plus loin en essayant galement de ne pas exclure tous

    les colons. Pour cela, des discussions ont t menes avec certains d'entre eux, ce qui donna

    lieu galement de nombreuses critiques car le mot d'ordre de l'poque tait, rappelons-le,

    "revendication sans condition". Il a donc fallu six mois pour ngocier au sein de la tribu. Lespremiers avoir fait le pas sont les vieux. Les jeunes, aprs avoir critiqu la dmarche, sont

    maintenant en train de prendre en charge la Npia, ce qui prouve la russite de cette initiative.

    Un seul colon27de Nouta a dcid de rester avec les Kanaks et a demand quelle serait sa

    place et comment travailler avec eux. Ici encore, la dmarche n'est pas habituelle, ce qui fait

    dire Andr Gpwa :

    a nous pose un problme car on n'a pas l'habitude. Il est l mais il y a quand mme unerevendication sur son terrain. Il dit qu'il va laisser son terrain et juste garder pour lui un ou deux hectares.Mais est-ce que c'est acceptable ou non au niveau politique ?

    Un autre colon qui avait dcid de partager sa terre avec la tribu a t rejet par sa famille et

    est parti. Ce sont les deux seuls tre venus discuter ave les Kanaks de Nouta.

    La dmarche originale initie lors de la revendication foncire de la valle de la Npia s'est

    poursuivie par une rflexion sur la manire d'attribuer les terres encore disponibles des

    projets individuels :

    26Union progressiste mlansienne, une des composantes du FLNKS.27C'est un ancien conseiller de gouvernement, l'poque de tendance UC, qui est devenu FNSC.

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    Est-ce qu'on ne peut pas faire des attributions au projet ou l'individu mais que le terrain reste lacollectivit ? On pourrait faire une sorte de bail !

    C'est effectivement ce que les gens de Nouta ont commenc faire en 1990, sans savoir si

    cela marcherait correctement. Comme tout le monde n'a pas pu bnficier directement des

    avantages donns par le centre de formation de la Npia, que peu sont ceux qui y travaillent eten retirent un salaire, il fallait trouver une solution pour aider ceux qui ont d'autres projets.

    Ainsi, la tribu a-t-elle dcid de faire des sortes de "baux" au profit des titulaires de projets

    ncessitant des terres qu'ils n'ont pas. Mais tout cela est fait en respectant la base coutumire :

    On essaie que l'assise coutumire ait toujours la dcision, mais en essayant d'insuffler quelque chosede nouveau, le bail On avance bien car on tient des runions rgulirement.

    Pour ce faire, un processus d'attribution a t labor au sein de la tribu de Nouta :

    Si l'on doit attribuer une parcelle un groupement ou un individu, il nous paie 1 000 F CFP[55 FF] par hectare et par an ; mais la terre reste entre les mains de la tribu. L o il construit une maison,la parcelle lui est affecte par la tribu. Sinon, on fait des baux de neuf ans pour les projets. Celui quirompt le contrat, GIE ou individu, perd tout.

    Trois cents hectares peuvent tre ainsi allous sous forme de baux, ce qui peut faire un revenu

    annuel de 300 000 F CFP (16 500 FF) pour la tribu. Cette somme pourra aider

    l'amnagement de la tribu mais galement servir aider ceux qui n'ont pas pu bnficier d'une

    parcelle. Les gens de Nouta essaient ainsi de trouver des solutions pratiques aux problmes

    fonciers. Ils semblent donc tre ici des prcurseurs. Cette pratique de baux28 pour une

    utilisation conomique des terres traditionnelles illustre comment les Kanaks peuventjuxtaposer bon escient deux systmes de reprsentations29.

    Depuis quelque temps d'ailleurs, une rflexion est engage plusieurs niveaux sur

    l'application de baux de location et la ralisation de cadastres coutumiers. L'ADRAF essaie ici

    de jouer un rle incitatif en rflchissant partir de l'exemple fidjien sur la faon dont on

    pourrait dvelopper ces systmes en Nouvelle-Caldonie, dans une volont de concilier

    tradition et modernit :

    Comment concilier coutume et modernit ? Ou plus prcisment, tout en prservant la tradition,notamment la tradition foncire "puisqu'il n'y a pas de lien plus fort en Ocanie que celui qui unitl'homme mlansien la terre de ses anctres", comment susciter un dveloppement conomique desterres de rserve en offrant des garanties suffisantes aux investisseurs potentiels ? Ce dbat presqueexclusivement mlansien puisque modifier les rapports la terre revient toucher aux rapports l'intrieur mme de la socit mlansienne, et donc poser une question de socit autant que politique est celui lanc le 20 septembre l'occasion d'un conseil d'administration exceptionnel de l'ADRAF. Ony a parl de cadastre coutumier et baux de location. Si les Mlansiens eux-mmes le veulent, puisque ce

    28Si cette pratique de baux pour l'utilisation conomique des terres se gnralise partout, cela ne reviendrait-ilpas reconstruire le systme traditionnel d'accueil de nouveaux venus sur les terres par les clans possesseurs ?

    29 Nous avons montr ailleurs et pour bien d'autres domaines (techniques de pche, religion, etc.) que lesKanaks sont trs habiles dans cette pratique de juxtaposition d'lments et de valeurs, traditionnels et europens.

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    dbat leur appartient, l'ADRAF est prte lancer l'exprience ds le dbut de l'anne. (Anonyme,1990a)

    Seul l'avenir pourra nous dire si ces choix sont viables. Mais, quoi qu'il en soit, ils ne peuvent

    tre appliqus que dans une tribu o les gens s'entendent bien et sont souds autour d'une

    volont commune de mener bien une telle dmarche, ce qui n'est pas partout le cas. Car leproblme foncier peut apparatre, dans certains cas, comme un obstacle majeur la mise en

    place de nombreux projets de dveloppement. Chacun le souligne, que ce soit les diffrents

    groupes de pression indpendantistes lors de leurs congrs en novembre 1990, ou des

    militants ou responsables investis dans des structures.

    Quoi qu'il en soit, l'exemple de la Npia nous montre que quand les intresss engagent un

    rel processus de discussion et de concertation, celui-ci permet de rsoudre bien des

    problmes. Il montre galement que le statut du foncier n'est pas toujours le vritable obstacleau dveloppement et l'on peut se demander si ce n'est pas parfois l'alibi mis en avant face un

    manque de questionnement sur la vision du dveloppement que l'on veut mettre en uvre

    aujourd'hui. Focaliser l'ensemble des problmes du dveloppement conomique sur le foncier

    risque d'occulter le dbat incontournable sur le projet de socit pour Kanaky.

    Aujourd'hui, il ne s'agit plus seulement pour les Kanaks de revendication d'indpendance

    et de rcupration des terres spolies par la colonisation. Depuis quelques annes, et

    beaucoup plus fortement depuis les accords de Matignon (t 1988), le discours tenu par les

    responsables politiques kanak a lgrement chang et un glissement certain du contenu s'estopr. Un des paris sous-jacents dans les accords de Matignon est, pour les Kanaks, de

    prouver leur capacit faire comme et aussi bien que les Blancs dans bien des domaines. Et

    dans ce cadre, l'observateur extrieur peut avoir l'impression que les discours sur le

    dveloppement de nombre de responsables politiques ne diffrent gure de ceux tenus par les

    diffrents gouvernements franais. Le dveloppement devient le nouvel alibi de la domination

    coloniale comme la mission civilisatrice tait celui de l'expansion de la colonisation : de l'tat

    de sauvages, les Kanaks sont passs celui de sous-dvelopps

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