Upload
abdmisael
View
225
Download
0
Embed Size (px)
Citation preview
7/23/2019 Les Theories Esthetiques Propres a Saint Thomas
1/18
IX.
Les
Thories
Esthtiques propres
saint
Thomas
Saint Thomas d'Aquin est
mort
l'ge
de
quarante-huit
ans, dans
tout
l'clat d'une carrire d'enseignement
et
d'tude.
A
une
poque de la vie
o
tant
d'autres
penseurs
commencent
peine
d'crire,
il
laisse
comme
fruit
de
ses
labeurs
la
matire
d'une trentaine
de volumes
in-folio
;
et
l'on se
demande
avec
tonnement ce qu'il faut admirer surtout chez ce prince de
la
science mdivale,
ou
sa
fcondit prodigieuse ou
la
pntration
de
ses gniales
visions.
Il va
sans dire
que
la
vaste
synthse philosophique
et
tho
logique
qui
se dveloppe si majestueuse sous
la
plume
de
saint Thomas, n'est
pas
la soudaine
conqute d'une intelligence
suprieure aprs
un
pass
d'ignorance.
La
doctrine
scolastique
n'a pas jailli un
jour
du cerveau d'un homme de
gnie.
C'est
un
organisme
qu'on voit se dvelopper
dans
une
progression
lente
et paisible.
Les
gnrations
de
philosophes qui
se
succdent depuis
le ixe jusqu' la fin du xne sicle apportent
toutes
leur contingent
d'ides, et posent une
une les pierres de
l'difice qui, au xme sicle, se dresse dans toute son
ampleur
}).
La scolastique n'est pas seulement redevable de
sa gloire
ses
premiers
pionniers,
elle
est
encore
tributaire
de
la
philosophie grecque.
C'est surtout
dans
XOrganon
d'Aristote
que
le
moyen ge apprend peu
peu
rflchir et raisonner,
et
l'on sait le
respect reconnaissant
de la
scolastique
toute
entire pour le Stagyrite.
')
Voir
mon Histoire de la Philosophie
scolastique
dans
les Pays-Bas et
la
Principaut de T/ige. (Louvain, Uystpruyst et Paris,
Alcan
1895) p. xi et xn.
7/23/2019 Les Theories Esthetiques Propres a Saint Thomas
2/18
LES
THORIES ESTHTIQUES PROPRES A SAINT THOMAS.
189
II serait utile et
intressant de
dmler dans
la
doctrine
thomiste, ce
qui
d'une part constitue l'acqut de son originalit,
et ce
qui
d'autre part est un
emprunt
au
passe.
Sans compter
que
cette
uvre
d'impartiale
justice
jetterait
un
jour
nouveau
sur
la
valeur scientifique d'une foule
de
personnalits
philoso
phiques,
elle aurait pour rsultat, pensons-nous,
de magnifier
la
grande
figure
de
saint Thomas devant l'histoire, et
de
fonder
sa gloire sur des bases
inbranlables.
Nous
en
sommes
con
vaincus,
on
ne
pourrait rendre au thomisme
de
plus eminent
service que
de le livrer tout entier au
crible
de la
critique
historique.
Le
jour
o ce travail sera
termin,
bien des prjugs
tomberont,
et
l'on
cessera
de
rpter
le
vieux
thme
sceptique
que
la
doctrine scolastique est le
dcalque
inintelligent du
pass.
Ce travail, pour tre men bonne
fin,
exigerait
de
colos
sales analyses ;
mais
saint Thomas lui-mme y
viendrait
en aide.
En effet,
il a conscience
de ce
qu'il doit
au
pass,
et
il
indique
loyalement et
minutieusement
les sources o il puise. On
peut
dire
qu'il
professe
pour
la
proprit scientifique un respect
scrupuleux
que
ne
connat gure
la
philosophie
moderne.
Depuis
Descartes, les philosophes raillent Aristote et les scolastiques,
tout en subissant leur influence. La
Bruyre les compare
finement
des enfants qui, aprs
s'tre
repus
et
fortifis d'un
bon lait, battent
leurs
nourrices.
Loin
de renier
ses
prdcess
eurs,aint Thomas
exalte
leur
savoir, et
trs souvent, comme
nous aurons
l'occasion
de le dire,
il leur
cde la priorit
d'une
pense dont
lui-mme
pourrait revendiquer
tout
l'honneur.
Nous avons, dans
ces tudes, dtach
de
la synthse thomiste
quelques
questions
relatives au beau.
Nous
essaierons de
montrer comment on les
avait
rsolues avant saint Thomas et
comment lui-mme
les
a comprises.
Cet expos
comparatif nous permettra
de
dterminer
si
le
matre
n'a
fait
que
rpter
les enseignements
d'autrui, ou si, au
7/23/2019 Les Theories Esthetiques Propres a Saint Thomas
3/18
190
M. DE WULP.
contraire, en
donnant
sa
doctrine un
cachet
de
nouveaut, il
a contribu au progrs
des ides
esthtiques.
Les
limites que nous nous imposerons
feront de ce
travail
non un
aperu
complet sur ce
qu'il
y
a
d'original dans
l 'Esth
tique e saint
Thomas,
mais une monographie consacre
des
problmes
spciaux. Toutefois, avant
de
les aborder, il importe
de
faire quelques remarques
prliminaires
sur
la
manire
dont
saint
Thomas
tudie
le
beau.
Avant
Baumgarten
et
Lessing,
on
n'a gure tudi,
dans
des traits
spciaux
aux
cadres
didactiques,
les diverses
questions
que
soulve une thorie intgrale du beau. A ce
point
de vue, qui
est
purement mthodique
d'ailleurs, on peut
dire
que l'Esthtique
mdivale
est fragmentaire, tout comme
l'Esthtique ancienne.
Saint Thomas parle du beau incidemment, propos d'autres
matires ;
son
Esthtique est
noye
dans sa
Mtaphysique et
sa Psychologie.
Cette
remarque
n'est
pas sans importance.
Elle
explique
notamment
qu'on
peut
se mprendre sur sa pense, si on
s'attache
la
lettre
de
quelque
formule
isole ; pour dgager
l'entire signification
de son
systme
esthtique,
il faut se
livrer
une tude comparative d'un grand
nombre de textes,
les
complter
les
uns
par les autres et rapprocher les
enseigne
ments
ui
s'en dgagent
des
conclusions
fondamentales
de
sa philosophie.
Voici
un
autre
procd
auquel
saint
Thomas
recourt
volont
iers
dans
ses
tudes esthtiques, et qui pourrait
induire en
erreur : il suit
la
voie
de
la
commentation.
Mais
cet expos
de la
doctrine d'autrui
ne
se
perd
pas dans
de
verbeuses
et
striles exgses. Rien n'est plus
contraire au
gnie
du
xine sicle que ces
allures
des scolastiques
de la
dcadence
dont on
a
pu
dire
qu' ils commentaient les commentaires
7/23/2019 Les Theories Esthetiques Propres a Saint Thomas
4/18
LES THORIES ESTHTIQUES PROPRES A SAINT THOMAS. 191
des commentaires
. Saint Thomas n'est
pas
un
mendiant
d'ides et, sous ses commentaires, on
sent
vibrer
la
personnalit
dans
toute
sa
puissance.
*
*
Quels
sont les auteurs que saint Thomas tudie
?
Les noms dont
il se rclame
de
prfrence
quand
il s'agit
du
beau
sont
ceux
d'Aristote, de
Cicron,
de
saint Augustin,
mais
surtout de
saint Denys l'Aropagite.
On
sait
de
quelle influence et
de
quelle
autorit jouissent
pendant
le moyen
ge,
les
traits attribus
au
disciple de
saint
Paul1).
Tous ceux
qui
se sont occups d'esthtique
ont
fait
leurs dlices
du trait des
Noms
divins
ou plutt
d'une
seule
page
de
ce trait. C'est cette
page que saint
Thomas
renvoie
presque invariablement
le
lecteur.
Aussi, avec quelle
minutieuse
attention
il
la
commente,
et
cherche pntrer
la
pense
complte
travers
le laconisme
des
mots car
la
langue que
parle
saint
Denys est
concise et
voile.
quia
plerwnque
rationbus efficacibus utitur (Dionysius)
ad
propositum osten-
dendum,
et
multoties
paucis
verbis,
vel
etiam
uno verbo
eas
implicat r 2).
Plusieurs questions esthtiques que saint Thomas traite
avec une
prdilection
marque se rattachent directement ce
passage
de
l'Aropagite,
et
comme
nous les avons
choisies
pour en
faire la
matire de
cette
tude, nous demanderons
la
permission
de
citer in extenso le texte
qui les
a inspires.
C'est le chap.
IV,
7 du
trait
des
Noms divins :
')
Ce
sont
: les traits de la Hirarchie cleste, de la Hirarchie ecclsia
stique,des Noms divins, de la Thologie mystique
et une
srie de
lettres.
Surtout
la thologie et le mysticisme du moyen ge se sont largement inspi
rs e ces crits.
Cfr.
Mgr Darboy, uvres
de
saint Denys l'Aropagite,
traduites du grec. (Nouvelle
dit.,
Paris, 1892.) Introd. p. cxlviii.
2) In
librwn
Beati
Dionysii
de
divinis
nominibus commentaria. Prologus.
Edit.
Vives.
Nous citons ce texte avec une rserve, car l'authenticit de
cet opuscule est conteste.
7/23/2019 Les Theories Esthetiques Propres a Saint Thomas
5/18
192
M. DE AVULF.
Aprs
avoir tabli que
la
bont est
le
premier
des
attributs
divins,
et
le
principe
de toutes
choses
( 1 4);
aprs avoir
montr
que Dieu
est la
lumire intellectuelle et
le soleil des
esprits
(
5,
6)
;
l'auteur, dans
le
langage
mystique
qu'il
affectionne,
dcrit
en
ces termes la
beaut
divine [) :
Nos
thologiens sacrs,
en
clbrant l'infiniment
bon,
disent
encore
qu'il est
beau
et la beaut mme, qu'il est la
dilection
et le
bien-aim;
et
ils lui
donnent
tous
les autres noms
qui peuvent convenir
la
beaut
pleine de charmes
et
mre des choses gracieuses. Or, le beau
et la
beaut se
confondent dans
cette cause qui rsume
tout
en sa
puissante unit,
et
se distinguent, au
contraire,
chez
le reste des
tres,
en
quelque
chose
qui
reoit
et
en
quelque
chose
qui
est
reu.
Voil pourquoi, dans le
fini,
nous nommons beau ce qui participe
la
beaut,
et
nous nommons
beaut
ce vestige imprim sur
la
crature par
le principe
qui fait toutes choses belles. Mais
l'infini
est appel beaut, parce que tous les
tres,
chacun sa manire,
empruntent
de lui leur beaut
; parce qu'il
cre
en eux l'harmonie
des proportions et le resplendissement 2), leur versant, comme
un
flot
de
lumire, les radieuses
manations de
sa beaut originale
et fconde ;
parce qu'il
appelle tout
lui (ce
que
les Grecs marquent
bien
en
drivant
xa/,
beau, de xocXe'cu, j'appelle,)
et
qu'en sou sein
il
ressemble
tout
en
tout.
Et
il
est
la
fois
appel
beau,
parce
qu'il a une
beaut absolue,
surminente
et
radicalement immuable,
qui
ne peut commencer ni finir,
qui
ne
peut
augmenter
ni dcrotre;
une beaut o
nulle laideur
ne
se mle,
que nulle
altration
n'atteint,
parfaite
sous tous les aspects, pour tous les
pays
aux
yeux
de tous les hommes; parce que
de
lui-mme et en son essence,
il
a une
beaut
qui
ne rsulte pas
de
la
varit
; parce
qu'il
a excellemment
1) Nous
citons
d'aprs la traduction de
Mgr
Darboy.
2) Nous
nous (''cartons
ici de la
traduction
de Mgr Darboy. Celle-ci
porte
:
parce
qu'il
cre eu
eux
l'harmonie des
proportions
et
les
charmes
blouissants.
Voici le texte grec (edit. Migne, Patrol. Grecque t. Ill , to Se uTrspoocnov xaXov
xaXXoc [xv XysTai Sit. ttjv
arc'
auxou Traat zoic o7i f/.Ei:aiSo[iiv7)v oixsi'to
exaarifj
xaXXov/)v;
xai
oc tj iravriov euxpfjioTTta xa'i yXcaac a'ttiov. Le terme yXatx
signifie
clat, resplendissement,
tandis
que l'expression
charmes
blouissants
implique, outre l'ide
d'clat,
celle de
plaisir ressenti,
(v. p. 1.) Migne
traduit
fort
imparfaitem
eut les
mots e'J^puo txu et yAaia par
pulchritudo
et venustas.
Bien plus conformes
au
texte sont les
tenues
dont se sert saint Thomas :
Gonsonantia
ou proportio et claritas.
7/23/2019 Les Theories Esthetiques Propres a Saint Thomas
6/18
LES THORIES ESTHTIQUES PROPRES A SAINT
THOMAS. 193
et
avec antriorit le
fonds
inpuisable d'o mane
tout ce
qui est
beau. Effectivement, la
beaut
et les choses belles prexistent comme
dans
leur cause,
en la
simplicit
et en
l'unit de
cette nature si
minemment
riche.
C'est
d'elle que
tous
les
tres
ont
reu
la beaut
dont ils sont
susceptibles
; c'est par
elle que tous
se
coordonnent,
sympathisent
et
s'allient ; c'est
en
elle que tous
ne
font
qu'un.
Elle
est leur
principe, car
elle les produit, les meut
et
les
conserve
par
amour pour leur beaut relative.
Elle
est leur fin
et
ils ont t conus
sur
ce type sublime. Aussi le
bon
et
le beau sont identiques, toutes
choses
aspirant
avec gale
force vers l'un et l'autre, et n'y ayant rien
en
ralit qui
ne
participe
de
l'un et
de
l'autre. Mme,
j'oserai
bien
dire
qu'on
trouve du beau
et
du
bon jusque dans
le
non-tre ;
aussi
quand
la thologie
dsigne
excellemment Dieu
par une sublime
et
universelle
ngation,
cette
ngation
est
chose
bonne
et
belle.
Le
bon
et
le beau, essentielle unit, est donc
la
cause gnrale de
toutes les
choses belles
et bonnes...
Deux ides
ont
frapp
saint
Thomas dans ce paragraphe.
C'est
d'abord
le
parallle gnral
du
beau
et du
bien
et
leur
fusion intime
dans
l'Infini.
Il faut
se reporter
cet
endroit de
saint Denys pour comprendre avec quelle ardeur le
Docteur
anglique
a
scrut
les
rapports du
beau
et
du
bien.
S'il s'est moins empress
de
rapprocher le beau et le vrai,
malgr les
nombreux points de contact
qui surgissent
entre
ces deux
notions dans son
systme
esthtique,
le silence de
l'Aropagite en
est,
croyons-nous,
la
cause
principale.
La seconde ide que saint Thomas va reprendre jaillit
d'une
phrase incidente ainsi conue : Mais l'infini est appel beaut,
parce
que
tous
les
tres,
chacun
sa manire,
empruntent de
lui leur
beaut , parce qu'il cre en eux Yharmonie
des
proportions
et
le
resplendissement
l)
C'est
autour
de ce texte, dont
l'importance
est capitale,
que
l) Nous avons
cit
le texte grec dans la not e prcdente. Voici la traduction
latine insre en tte du Commentaire des Noms divins, attribu
saint
Tho
mas "
Supersubstantiale vero pulchrum pulchritudo quidem dicitur, propter
traditam
ab
ipso omnibus existentibus juxta proprietatem uniuscujusque
pulchritudinem et sicut universorum consonanU
et
claritatis causa.
REVUE NO-SCOLASTIQUE. 13
7/23/2019 Les Theories Esthetiques Propres a Saint Thomas
7/18
194
M. DE
WULF.
saint Thomas fait pivoter pour
ainsi
dire toute
sa
thorie
du
beau objectif.
Sicut accipi
potest ex
verbis Dionysii
(de div. nom. cap. IV.
p.
1.
lect.
5
et
6)
ad
rationem
pulcri
sive
decori concurrit
et
claritas
et
proportio
* *).
La proportion et
la
splendeur
deviennent
pour saint Thomas
les
lments objectifs de la
beaut. En
divers
passages, il
ajoute
une
troisime condition
aux deux premires : l'intgrit {integritas 2) qu'il appelle aussi
la
grandeur
(magnitudo 3).
Il nous
dit
lui-mme
dans
quel
endroit de
l'Ethique d'Aristote (Chap. VI,
1. IV),
il
a trouv
cette ide
que
la
grandeur rsultant
de
l'intgrit
de l'tre
est
un attribut de
la
beaut
didt (Philosophus) quod
pulcritudo
non est
nisi
in magno corpore ; unde parvi homines possunt
dici commensurati et
formosi, sed
non pulchri.
4)
Nous nous proposons
de suivre
le
Docteur
anglique
dans
les dveloppements qu'il
a donns ces
deux thses
esth
tiques
greffes
sur le texte
de
saint
Deny
s : l'une vise les
rapports
gnraux
du beau et du bien ; l'autre est
la
thorie
du
resplendissement
du
beau
que
saint
Thomas
mne
toujours
de
front avec
celle de
la
proportio dbita,
et
quelquefois
avec
la
doctrine aristotlicienne
de la magnitudo ou de l'intgrit.
C'est cette dernire thorie
que nous
tudierons
d'abord.
Saint
Thomas a fait sienne la doctrine de la
claritas
pulcri
;
mais il
l'interprte
dans
un
sens que
n'a point souponn
celui
dont il se rclame ; il
la
met en connexion
troite
avec ce
qu'il a crit de plus original en
esthtique et
lui donne
ainsi
le
cachet
de la
personnalit.
') S. Theol,
2 2*, q. 145, a.
2. c. Cfr.
ibid.,
q.
142, a. 4
et
q. 180
a.
2
ad. 3.
- 1 . q. 39, a. 8. c.
Ink I
Sentent., Dist. xxxi q. 2. a.
1
etc., etc.
2) S. Theol. 1*,
q. 39, a.
8. c.
s) In
k I
Sent., Dist. xxxi, q. 2,
a. 1, c.
4) Ibid.
7/23/2019 Les Theories Esthetiques Propres a Saint Thomas
8/18
LES
THORIES ESTHTIQUES PROPRES A
SAINT
THOMAS. 195
I.
LE
RESPLENDISSEMENT
DU
BEAU.
Ce n'est pas
dans les
traits de saint
Denys que nous
voyons
apparatre
pour la premire fois la
thorie
de la claritas pulcri
.
Condense dans
une
formule
concise,
que saint
Thomas a pu
lire aussi
bien dans les
crits de
Cicron que dans
ceux de
saint
Augustin,
cette thorie a
une
histoire
plusieurs
fois
sculaire. Elle apparat au berceau mme
de la
philosophie
grecque,
pour
traduire
un sentiment
esthtique
profondment
ancr dans l'esprit populaire ; les gnrations
la
lguent aux
gnrations, et
de
Socrate saint
Thomas elle peut
revendiquer
pour elle une tradition continue.
Ce
n'est
pas dire qu'elle se retrouve
partout identique.
Elle est emporte par le mouvement des ides ; elle s'adapte
aux systmes
gnraux,
et
suit
assez exactement
la
lente
transformation
qui
travaille l'esthtique
pendant
l'antiquit
et
les
premiers
sicles du
moyen
ge.
Si
nous nous
en
tenons
aux grandes
lignes
de son
histoire,
la
thorie
de
l'clat du beau revt dans
la
philosophie
grecque
deux acceptions principales
que nous prciserons d'abord.
Saint
Thomas
en proposa une troisime, plus
comprehensive,
plus profonde, celle
qui
vint donner au problme
esthtique
une solution dcisive, et dont les influences
dominent toute
l'esthtique
moderne.
*
* *
Au
dbut
du
chapitre 10
du
livre
III
de ses
Mmorables,
Xnophon met en
scne
Socrate et le peintre Parrhasius.
Pench sur l'paule
de
l'artiste,
le
philosophe regarde
d'un
oeil
ironique
le portrait qu'il achve, et,
faisant
allusion
la
thorie
courante de l'antiquit
sur
la
nature de
l'art,
il
l ' inte
rrompt avec
le
sourire complaisant
de l'homme
sr
de lui-mme.
7/23/2019 Les Theories Esthetiques Propres a Saint Thomas
9/18
196
M. DE WULP.
Vous
dites, mon cher Parrhasius,
que
l'art n'est qu'une
imitation.
Mais
quoi ce
qu'il
y
a de plus
attrayant, de
plus
ravissant,
de
plus aimable,
de
plus
dsirable,
de
plus sduisant,
l'expression
morale
de
l'me, vous
ne l'imitez point
?
Ou
bien
est-elle
inimitable
?
Mais le moyen, Socrate,
de l'imiter ?
rpond
l'artiste
embarass?
Car peut-on
bien
imiter ce
qui
ne
possde ni
proportion ni couleur
?
S pr;T
7/23/2019 Les Theories Esthetiques Propres a Saint Thomas
10/18
LES THORIES ESTHTIQUES PROPRES A SAINT THOMAS.
197
lment de
la
beaut
qu'il faut
ajouter
l'ordre, to yp -/.alhv
v
pysGt v.c raqn (Pot. vu). Le beau consiste dans l'ordre
uni
la
grandeur.
On
peut dire
que l'antiquit,
e
moyen ge,
etl'
poque moderne
ont
recueilli ces enseignements
sur
la signification
esthtique
de l'ordre
; aujourd'hui encore ils retentissent
travers
les
sicles comme
la
voix sonore
de
la
vrit.
Nous devons tudier plus
attentivement l'autre condition
dont Parrhasius nous parle,
savoir
la
coule ar.
Et d'abord, dans
la
conception
grecque,
la
couleur est-elle
essentielle
la
beaut,
au
mme
titre
que
la
proportion?
Platon
ne
parle pas
de la
couleur comme d'une condition
indispensable
au
beau. S'il
insiste
sur
la
beaut d'une couleur
uniforme le
blanc
uni, par exemple l), c'est qu'il y dcouvre
une image
trs
apprciable
de
Yunit une entit qui, con
formment
la
mtaphysique platonicienne, habite les sphres
du monde suprasensible.
Cependant,
quand
Parrhasius
nous
dit
qu'une toile
est
belle
par les
nuances
de
ses
couleurs
autant
que
par les
proportions
de l'objet qu'elle reprsente, il
n'en
exprime
pas
moins un
sentiment universel, puisque
deux sicles plus tard, nous
retrouvons dans
la
bouche des stociens et
des clectiques cette
mme
association de la proportion
et du
coloris.
C'est
Cicron
qui nous apprendra
la
porte
exacte de
la
formule que nous
avons
rencontre
chez
Xnophon.
L'il humain a horreur des tnbres ; il est
fait
pour
la
lumire
et
la
lumire lui plait.
Ceux
qui
ont
visit
la
grotte
de Han
se rappellent comme un
des
plus charmants pisodes
de
cette excursion
dans les
souterrains le saisissant
eifet
du
jour
au
sortir de la
Lesse.
Aprs
avoir march dans une demi-
obscurit pendant
trois heures, le
voyageur
brusquement, au
])
Kant
reprendra
cette ide.
7/23/2019 Les Theories Esthetiques Propres a Saint Thomas
11/18
198 M.
DE
WULP.
coude
de la rivire,
dans l'encadrement
noir
de la
roche, voit
ruisseler un rayon
de
lumire, tincelant comme une pierrerie,
mais
si
doux et
si
limpide que
la
vue
s'y
arrte repose et
ravie.
Aprs
le
simple jeu
de
lumire, que
dire de la
couleur
?
Il
suffit
d'avoir
vu
quelques toiles
de
Rubens ou
de
Michel-Ange
pour
avoir
got le
plaisir des carnations vivantes
ou
des
coloris moelleux.
Or, Cicron le
dit trs
bien c'est l'ide
de
charme,
de dlectation (suavitas coloris)
que
traduit cet apophtegme
grec
:
la
beaut consiste dans
la proportion
et
la
couleur.
"
Et,
ut
corporis
est
qudam
apta
figura
membrorwm
cum
coloris
quadam
suaviiate, eaque
dicitur
pulchritudo sic in
animo, opinionumque judiciorumque quabilitas et covMantia,
cum
firmitate
quadam
et stabilitate virtutem
subsequens
aut
virtutis
vim ipsam continens, pulchritudo vocatur
l).
Pour
comprendre Cicron, songez l'clat
de
ces
teints
panouis
et
empourprs sous lesquels
on sent
couler,
comme
une sve
de
sant, les chaudes
effluves
du sang. Ce coloris
brillant
dpos
sur
des
membres
bien proportions
constitue
la
beaut du corps humain et, on peut dire, du corps
en
gnral.
Notons que
la
thse
du philosophe
romain ne se rapporte
qu'au monde sensible. Nous ne retrouvons
point
le charme
de
de
la couleur
dans
la
beaut spirituelle
que Cicron
met en
parallle
avec
la
beaut corporelle.
videmment,
il
s'agit
ici
de couleurs
que
nos yeux
voient et
dont le chatoiement
nous
plat
(suavitas
coloris). En d'autres termes,
la
couleur est cet
accident extrinsque qui
court
la
surface
des choses.
Ni pour
Parrhasius ni pour
Cicron
il n'est question
de
quelque
dter
mination
intrinsque, dont la
couleur serait
en
quelque
sorte
l'emblme.
') Cicron, Tusculanes,
L.
IV,
c. 13. Cicron reprend ici la pense familire
aux
Stociens
que la sant de l'me
est semblable
celle du corps.
Cfr.
Sobe. Eclog. Ethic.
p. 168.
7/23/2019 Les Theories Esthetiques Propres a Saint Thomas
12/18
LES
THORIES ESTHTIQUES PROPRES A SAINT THOMAS. 199
Chez saint Augustin,
qui
s'inspire de
la
mme pense
stocienne,
la
formule
dont
nous
poursuivons
l'histoire parat
non
moins
restreinte au
sens littral.
Omnis
enim
corporis
pulchritudo
est
partium
congruentia cum
quadam coloris
suavitate
Toute
la
beaut
des corps consiste
dans
l ordo
nnancement des parties relev par un certain charme
de la
couleur. Et
un
peu
plus loin,
en parlant
du resplendissement
dont brillera le corps humain au glorieux
jour de la
rsurrect
ionl ajoute. Coloris
porro suavitas quanta
eril,
ubi justi
fulgbunl sicut sol in regno
Patris sui
x).
Bref,
quand la
philosophie ancienne parle
de la
couleur
comme d'un lment
du
beau, elle
vise le charme
que
nous
prouvons
regarder des choses
colories.
Ces remarques paratront banales peut-tre
devant la clart
des textes
et l'vidence
de la
pense. Il convenait cependant
de
bien fixer
la
signification
de
cette premire thse
esthtique
;
car la
philosophie grecque elle-mme,
son
dclin, assignera
la
lumire et
la
couleur
un rle
diffrent dans
la
thorie
du beau.
Cette
innovation est l'uvre
de la
philosophie no-platoni
cienne,a
grande hritire de l'esprit grec
l'poque de
dcadence. La thorie du beau, telle qu'elle se profile dans les
Ennades
de
Plotin,
marque
une importante volution dans
le
mouvement
des ides
esthtiques ~).
Ds le dbut de son trait
sur
le Beau
(Ennade
1, 1.VI,
1),
Plotin
veut briser
avec les cadres
traditionnels ; il prend
des
allures aggressives
et
fait
le
procs
la
formule
stocienne
de
la
beaut : Est-ce comme tous le
rptent,
la proportion
des
parties, relativement les unes
aux
autres et
relativement
0 De
civit.
Dei,
XXII, 19.
2) On peut dire
que
toute la
philosophie
no-platonicienne se rsume dans
Plotin. Ses
successeurs
n'ont
fait que des compilations mthodiques des
Ennades.
7/23/2019 Les Theories Esthetiques Propres a Saint Thomas
13/18
200
M.
DE
WULF,
l'ensemble, jointe
la
grce
des
couleurs, qui constitue
la
beaut
quand elle s'adresse
la vue ?
Non,
rpond le
novat
eur. Dans ce
cas,
la
beaut
des
corps en
gnral
consistant
dans
la
symtrie
et la
juste
proportion
de
leurs parties,
elle
ne
saurait
se trouver
dans rien
de
simple,
elle ne peut nces
sairement
apparatre que dans
le
compos
l).
Nous regrettons
de ne
pouvoir suivre Plotin dans
le
dve
loppement
de ce rquisitoire.
Il
se rsume
assez
exactement
dans
cette pense de Hegel qu'il ne
faut pas
se borner
observer
la
forme du beau, mais qu'il faut pntrer
son
contenu mme. Plotin voit large ; pour
lui
le domaine du
beau
est
vaste
comme
celui de
l'tre.
Tout
tre, dit-il,
a
reu en partage
l'attribut de la
beaut dans
la
mesure mme
o
il a reu
la
ralit.
Le
beau
est un
transcendantal ;
le
principe
de l'tre
est en mme temps le principe
de
sa beaut.
Aprs
ces critiques, Plotin s'lvera,, semble-t-il, contre
le
second
terme
de la formule
stocienne :
la
grce
des
cou
leurs.
Il
n'en fait rien.
Bien
au contraire,
la
lumire
et
la
couleur occupent une place prpondrante dans
sa conception
esthtique, mais il en parle dans
un
sens que n'auraient
saisi
ni Parrhasius ni
Cicron.
Pour le comprendre,
il faut rappeler les grandes lignes
de
sa mtaphysique,
car la
thorie que nous
devons
exposer en
est
une
troite
dpendance.
Au
sommet du
panthisme no-platonicien trne une
essence vide comme une abstraction, appele tantt
VUn, le
Premier, tantt
le Bien. Son
inaltrable puissance
gnratrice
donne
naissance au
monde
intelligible
comme
au
monde
sen
sible. Les choses dcoulent les unes
des
autres
suivant un
processus
de dchance dont le fonctionnement est un des
singularits
du systme alexandrin
; en
vertu de ce processus
le
principe engendr
est toujours infrieur au
principe gn-
IIJVgus citons d'aprs la traductiondesiMwead&9parM.Bouillet(Paris,1857)
7/23/2019 Les Theories Esthetiques Propres a Saint Thomas
14/18
LES
THORIES ESTHTIQUES PROPRES A SAINT
THOMAS.
201
rateur.
De l'essence
suprme (l'Un,
le Bien) jaillit
d'abord
l'Intelligence
(vo;)
et
de
celle-ci drive l'me du monde.
L'me
du
monde n'est pas
seulement le
principe
de la
force
propre
chaque
substance
naturelle,
elle
donne
aussi naissance
la
matire,
le non-tre,
que Plotin
identifie
avec
le mal
et
le laid : les
choses
sensibles rsultent ainsi d'un alliage, dans
lequel
une
activit de
l'me
du
monde,
la forme
(eido)
vient
compntrer,
vaincre
la
matire1).
Ainsi
le monde phnomnal
n'est
qu'un jet momentan
de la
vie unique qui s'chappe
en
flots
intarrissables du
sein
de
l'essence souveraine,
et
descend,
par
cascades,
tous
les chelons
de la ralit.
A cette hirarchie
de l'tre
correspond adquatement une
hirarchie de la
beaut
:
Tout
ce
qui
est, est bon et beau
dans
la
mesure o il est ; l'optimisme esthtique est pour Plotin
le
corollaire
de l'optimisme
mtaphysique.
Or, pour expliquer
la
marche descendante du Bien, Plotin
s'est empar d'une comparaison
dont
Platon
est
l'auteur.
Le
sixime livre
de la
Rpublique nous apprend que l'ide du
Bien
occupe
dans
le
monde intelligible
la place
que
le soleil
occupe
dans le monde
visible.
L'un
claire le monde
des
essences comme l'autre claire
celui des
phnomnes.
Plotin
explique
la
diffusion panthistique du Bien en
la
comparant
la
diffusion
de la
lumire.
L'Un,
le Bien,
sans
rien
perdre
de-
son
immutabilit,
s'claire,
resplendit.
Il
devient
l'intelligence
(vo) ; les
ides exemplaires
sont les rayons
de
ce phare central
et
les existences phmres
n'en
sont
que
le
reflet.
De mme
que
l'image
d'un
objet
disparat dans
un miroir ds
que l'objet
se
retire, de
mme
les
choses sensibles s'vanouiraient
si
elles
taient soustraites
un
instant
l'influence des ides
qui les
clairent
2).
1 Pour
Plotin,
comme pour Platoja,le non-tre ou la
matire
est le lieu
vide,
rceptacle des
choses. Cfr.
Zeller, Die Philosophie
der
Griechen in ihrer
geschichtlichen
Entwicklung,
32, p.
544
et suiv.
2) Cette ide
est
familire Plotin. V. p.
ex.,
Ennade I, 8
14;
III, 6,
7
et
13, etc.
7/23/2019 Les Theories Esthetiques Propres a Saint Thomas
15/18
202 M.
DE
WULF.
L'ide de lumire
a
hant
le cerveau de Plotin, et,
chose
trange,
le
philosophe alexandrin ne
lui
donne pas seulement
la
valeur d'une comparaison ; un moment donn, grce
une
transposition,
il
l'identifie
avec
le
bien.
Le
bien,
l'tre
n'est
plus
seulement semblable
la
lumire, il est
la lumire
mme.
Et puisque tout tre
est
beau en tant qu'tre, les
notions
:
tre, beau, bien, lumire sont convertibles.
On
comprend
ds lors le rle
que
la
lumire
joue
dans
l'esthtique
de
Plotin. Elle vise une ralit purement objective,
ce
qui se conoit
aisment
dans
un
systme o l'esthtique
est
un
membre
de
la
mtaphysique.
Tout
brille
dans
le
monde intelligible
et,
en couvrant
de
splendeur ceux qui
le
contemplent,
les
fait
paratre
beaux eux-mmes. Ainsi,
des
hommes qui
ont
gravi une haute montagne
brillent
tout
coup au
sommet, de la
couleur dore reflte par le sol. Or,
la
couleur
qui
revt le
monde intelligible
c'est
la
beaut
qui
s'y
panouit dans sa
fleur, ou plutt, tout est couleur,
tout est
beaut dans
ses
profondeurs les plus
intimes
x)
Conformment
cette
pense
fondamentale,
dans
le
monde
sensible les
corps
qui ont
le plus de
lumire
ont aussi le plus
de
beaut ...
la
beaut
de la
couleur, quoique
simple
par sa
forme, soumet son empire
les
tnbres de
la
matire, parla
prsence
de la
lumire, qui est une chose incorporelle, une
raison,
une forme.
Le plus beau corps est le feu. Voil encore pourquoi le
feu est suprieur
en beaut
tous
les
autres corps :
c'est
qu'il
joue l'gard des
autres
lments
le rle
de forme
; il
occupe
les rgions
les
plus
leves
; il est le plus subtil des corps,
parce qu'il
est
celui qui
se
rapproche le plus
des
tres
incor
porels;
c'est encore le seul
qui, sans
se laisser pntrer par les
autres
corps,
les
pntre tous
;
il leur
communique
la
chaleur
sans se refroidir ;
il
possde
la
couleur par
son
essence
mme,
1) Enn.
Y,
8.
10.
7/23/2019 Les Theories Esthetiques Propres a Saint Thomas
16/18
LES
THORIES ESTHTIQUES PROPRES A
SAINT
THOMAS. 203
et
c'est lui
qui
la
communique
aux autres ; il brille, il
resplendit
parce qu'il est
une
forme. Le corps
o il
ne
domine
pas,
n'offrant
qu'une teinte dcolore, n'est plus beau, parce qu'il
ne
participe pas
toute la forme de la
couleur
l).
Nous
verrons plus loin
combien
cette
ide
est outre,
quand nous tudierons avec saint Thomas les lois psycholo
giques
e la
perception du
beau.
Rsumons-nous
et concluons.
A
la
diffrence
des
doctrines
professes
jusque-l
par
les
coles esthtiques
de
la
Grce :
1)
la
lumire et
la
couleur ne
sont
pas seulement celles que
voient
les yeux
du
corps
dans
le
monde
sensible. Au-dessus
d'elles
Plotin
admet
une lumire et une couleur intelligibles
couvrant
de
splendeur ceux qui
la
contemplent.
2)
la
lumire n'est pas cet
accident
extrinsque qui s'tend
la surface des
choses sans atteindre leur
fonds constitutif.
Elle
est la
substance mme.
Ce n'est
pas le
Beau
comme
tel
qui s'illumine
; c'est le Bien, en un
mot
c'est l'Etre
dans
la
rayonnante diffusion
de
lui-mme.
Plotin n'a pas t le familier des scolastiques.Mais on croit
communment qu'ils ont connu les spculations alexandrines
par
l'intermdiaire
de
saint
Deny
s l'Aropagite.
Il est certain que les doctrines alexandrines se
sont infi
ltres dans plus d'un ouvrage
de la
littrature patristique.
Tmoin
ce texte
de
saint
Basile
qu'on peut rapprocher du
passage
des
Ennades
cit
plus
haut
:
Si
c'est
la
proportion
des parties relativement les unes aux autres, jointe
la
grce
des couleurs qui
constitue
la
beaut
dans
le corps, comment
retrouver
l'essence de la
beaut dans
la
lumire, qui est simple
de
sa
nature
et
compose
de
parties semblables l 2)
1) 1,
6.
3.
2) Hexamron,
IL
7.
T. I. p.
19-20
dit.
Garnier.
7/23/2019 Les Theories Esthetiques Propres a Saint Thomas
17/18
204 M.
DE
WULF.
Les traits
que le
moyen
ge
a
vnrs sous le
nom de
saint
Denys sont-ils
l'uvre
du
glorieux disciple de
saint Paul,
membre
de
l'Aropage, ou ne sont-ils qu'une compilation
alexandrine
adapte au
christianisme
par
quelque
disciple
de
Plotin ou de Proclus? La controverse est sculaire,
et
bien que
la critique
moderne
soit
presque unanime
attribuer
les
traits
en question
quelque
Pseudo-Denys, on peut se demander si
cette
attribution est
dfinitive
et
premptoire.
Quoiqu'il en
soit,
ceux
qui revendiquent
pour saint
Denys
la proprit de ces
ouvrages
)
comme ceux qui
la lui con
testent sont
d'accord
pour
affirmer la
ressemblance indniable
entre
les
doctrines
qu'ils
contiennent
et
les
thories des
no-platoniciens.
Nous l'avons
vu,
saint Denys parle
de la
lumire du beau.
Au chapitre
4
7
des
Noms
divins, il rappelle
expressment-
une formule
qui
nous est familire
que
le beau rside dans
le
resplendissement et
la proportion des parties . Mais
dans
quel sens saint
Denys
parle-t-il de la
valeur esthtique de
la
lumire? Entend-il
par
l
avec
les
stociens
le
plaisir de l'il
la
vue
des
couleurs, ou
plutt
s'agit-il
chez
lui, comme
chez
les
alexandrins, d'une signification
la
fois plus vaste
et
plus
profonde? Ce
qui nous
porterait
adopter
cette
seconde
manire de voir
c'est que dans les noms
divins le beau est
synonyme de
bien et que
son
extension est large comme celle
de l'tre. Aussi le bon
et
le beau
sont identiques,
toutes
choses aspirant avec gale
force
vers l'un et
l'autre,
et
n'y
ayant rien
en
ralit
qui ne participe
de
l'un et
de
l'autre.
La
lumire
sur
laquelle
saint
Denys
s'tend
avec
une prolixit
toute
alexandrine 2)
est
l'image
de la bont.
Car
la
lumire
1)
Mgr Darboy, op.
cit. Introduct. p.
xx.
2)
Les
termes
yXata, 7t'ajj.Tcsr/
reviennent
chaque page
sous la plume
de
saint Denys. C'est l'emploi
frquent
du
mot
yXata qui a fait dire Creuzer
(dans son dition de
pulcro
de Plotin p. 334, note)
que saint
Denys est le
singe de Plotin.
7/23/2019 Les Theories Esthetiques Propres a Saint Thomas
18/18
LES
THORIES ESTHTIQUES PROPRES A SAINT THOMAS. 205
vient du bon,
et
elle est une figure de
la
bont ;
et
le bon
pourrait
se
nommer
lumire,
l'archtype
pouvant
tre
dsign
par son
image
2).
Mais
qu'importe tout
cela dans
la question
qui nous occupe,
puisque
la
thorie de
la
clart
ou de
la
lumire
du beau reoit
dans l'esthtique
thomiste un
sens
profondment
diffrent
de
celui
que
lui donne l'antiquit. Saint Thomas reprend une
formule, un
mot, claritas
pulcri,
mais
ce
mot
se transforme
sous sa plume, il traduit des ides nouvelles.
Aprs
le travail
prliminaire que nous
venons de
faire, il
ne sera pas difficile
de montrer
la
supriorit
du
docteur
anglique
sur
la
philoso
phie
ncienne.
M.
De
Wulf.
( suivre.)
i) Noms divins,
Ch.
IV
4.