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L'escouade fiasco, tome 2, La trahison du cornichon...peine ouvert la bouche que mon interlocutrice entame la conversation. — Émilie, approche-toi des fenêtres! ... oscillant entre

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  • l’escouadefiasco

  • Les éditions de la courte échelle inc. 160, rue Saint-Viateur Est, bureau 404 Montréal (Québec)  H2T 1A8

    Dépôt légal, 4e trimestre 2013 Bibliothèque nationale du Québec Bibliothèque nationale du Canada

    La courte échelle reconnaît l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds du livre du Canada pour ses activités d’édition. La courte échelle est aussi inscrite au programme de subvention globale du Conseil des arts du Canada et reçoit l’appui du gouvernement du Québec par l’intermédiaire de la SODEC.

    La courte échelle bénéficie également du Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres Gestion SODEC du gouvernement du Québec.

    Données de catalogage disponibles sur le site de Bibliothèque et Archives nationales du Québec

    Champagne, Julie L’escouade Fiasco t. 2. La trahison du cornichon

    ISBN 978-2-89695-676-0 (vol. 2) (version imprimée) ISBN 978-2-89695-740-8 (vol. 2) (PDF) ISBN 978-2-89695-739-2 (vol. 2) (EPUB)

    Copyright © 2013 Les éditions de la courte échelle [email protected]

    http://www.courteechelle.commailto:info%40courteechelle.com?subject=

  • l’escouadefiasco

    La trahison du cornichontome 2

    Julie Champagne

  • À ma grande amie Marie-FranceQui m’a appris à rire de la vie

    Dans ses hauts comme dans ses bas…

  • Avertissement

    Les opérations tactiques de ce roman ont été réalisées sans trucages par des professionnels. N’essayez en aucun cas de reproduire ces gestes. Votre honneur en dépend.

  • JOUR 1

  • 13

    LE BRANLE-BAS DE COMBAT

    Mes cheveux dégoulinent comme une vieille vadrouille, mes ballerines s’enlisent dans la boue et mes genoux risquent de flancher sous la pression de ma contorsion ridicule. Recroquevillée comme une crevette, luisante de pluie, j’essaie de me cacher derrière un arbuste. En vain.

    Voulez-vous bien me dire pourquoi les paysa-gistes plantent des buissons aussi maigres et rabou-gris ? Pour ma part, je suspecte une conspiration contre les jeunes filles en mal de camouflage.

    Mon cellulaire est pris de convulsions. J’ai à peine ouvert la bouche que mon interlocutrice entame la conversation.

    — Émilie, approche-toi des fenêtres ! Celle de droite donne sur sa chambre.

    Perchée en haut d’un chêne, Marisol surveille les opérations à la jumelle et me beugle ses ordres tactiques avec un aplomb quasi militaire.

    Facile de se prendre pour une caporale de l’ar-mée russe, du sommet de sa tour de contrôle…

  • 14

    Ce n’est pas elle qui risque de passer pour une cambrioleuse !

    — Je fais mon possible, mais imagine-toi que l’espionnage n’est pas mon passe-temps préféré… Sans compter que je risque de me taper une enge-lure de la fesse sous cette pluie battante. C’est un mois de juin drôlement frisquet !

    — Tu protégerais mieux tes arrières si tu dor-mais avec quelque chose de plus couvrant que ce minuscule boxeur à motifs de chatons…

    Je vous rassure tout de suite. En temps normal, je ne me balade jamais en tenue de nuit hors de la maison, surtout quand le pyjama en question est couvert de minets jouant avec des pelotes de laine. Seulement, j’ai des circonstances atténuantes.

    En début de soirée, Marisol a interrompu mon émission favorite en tambourinant sauvagement contre ma porte d’entrée. Dans un étrange dialecte oscillant entre le serbo-croate et le langage des sourds-muets, elle m’a baragouiné que son beau Adam venait tout juste d’annuler leur anniversaire de couple. Il prétextait une obscure indigestion de moules marinière.

    Folle de rage, la tigresse n’en croyait pas un mot.Selon ma meilleure amie, la gravité de la situa-

    tion exigeait une action immédiate, sous peine de compromettre nos chances de coincer son amou-reux en flagrant délit de mensonge. Pas le temps de

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    remonter dans ma chambre pour enfiler une tenue plus digne.

    En ma qualité de complice cinq étoiles, j’ai doci-lement suivi Marisol vers la demeure du suspect.

    Sous la pluie.En pyjama.Et comment ma meilleure amie me remercie de

    sacrifier mon samedi télé-popcorn sous la couver-ture ? En se moquant de ma tenue !

    — Tu sauras que c’est un cadeau de Tim et Lucas. À leur âge, mes demi-frères ignorent encore que les motifs de chatons sont formellement inter-dits aux plus de six ans.

    — Bien sûr, conclut-elle d’un ton sceptique.Je balaie la rue du regard. Aucun passant.

    Aucune voiture. Le bungalow de notre cible se trouve dans un quartier paisible reconnu pour ses arbres matures, une couverture parfaite pour les espions amateurs. Marisol peut ainsi surveiller les opérations du terrain voisin, une cinquantaine de mètres plus loin, alors que je patauge dans les plate-bandes dégarnies du clan Brodeur.

    Mon amie aurait pu attendre une journée plus ensoleillée pour sauter les plombs au rayon jalousie. J’ai connu plus confortable que ces rigoles humides qui coulent dans mon dos et ces grains de terre mouillés qui s’incrustent entre mes orteils. Je me sens comme un rosier qui se noie par les racines.

  • 16

    Je longe les murs de la maison, aussi habile qu’un ninja en mission. Dieu merci, la chambre du suspect se trouve au sous-sol, un emplacement relativement accessible qui me réconcilie avec mon nouveau rôle d’agent secret.

    Je m’incline subtilement vers la fenêtre du pré-sumé menteur. J’analyse le lieu du crime. Aucune âme qui vive ou qui trépasse pour cause de mol-lusques périmés.

    Des posters de starlettes hollywoodiennes cou-vrent les murs de son bunker. Je crois discerner du plancher flottant sous un amas de magazines, de chips et de chaussettes à la fragrance de cheddar bicentenaire. Rien de trop choquant, quoi. Excepté une répugnante pointe de pizza datant de l’époque de Louis XVI. On s’étonnera ensuite que le glouton se plaigne d’inconforts digestifs…

    — Et puis, qu’est-ce que tu vois ?Marisol ne répond plus de son corps d’amou-

    reuse rongée par le doute. Souhaitant lui éviter une crise de nerfs, je décris le panorama telle la soldate au rapport.

    — Rien à signaler. Adam n’est pas dans sa chambre.— Je le savais ! crache-t-elle avec fureur. Trop

    malade pour célébrer notre anniversaire, mais pas assez pour se ruiner aux arcades avec Martin-Pier !

    Je tiens à vous préciser ici que le couple ne devait pas fêter ses noces de diamant, comme le

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    laisse supposer la réaction explosive de Marisol. Les tourtereaux se fréquentent depuis seulement deux semaines et un jour. Il se trouve cependant que mon amie souligne chaque événement de leur relation avec un enthousiasme démesuré. Ce soir, elle souhaitait commémorer leur premier message texte.

    Sans commentaire.De mon poste, je discerne la silhouette de Mari-

    sol qui gesticule tel un pantin désarticulé. Je crains qu’elle glisse de sa branche. Autant la rassurer au plus vite.

    — Pas nécessairement, dis-je pour l’encoura-ger. Il agonise peut-être devant la télévision. Ou il est tellement mal en point qu’il fait la navette entre le lit et les toilettes. Ou encore, il croupit à la cli-nique en attendant qu’un médecin lui annonce sa mort imminente.

    — Tu as raison… Avant de tirer des conclu-sions, il faudrait d’abord savoir ce qu’il fait exacte-ment. Peux-tu jeter un coup d’œil aux fenêtres du haut ? Il joue souvent aux jeux vidéo avec son frère.

    Elle nage en plein délire, ma parole !— Comment veux-tu que je grimpe au

    deuxième étage ? Même avec une échelle, ce serait suicidaire !

    — Et si tu te hissais le long de la gouttière ? s’écrie-t-elle dans une illumination soudaine.

  • 18

    Question divagation, Marisol a atteint un point de non-retour. La preuve, elle envisage réellement de me faire escalader ce machin pendouillant qui menace de s’écraser à la moindre brise.

    Alors que je cherche un argument pour raison-ner cette inconsciente sans égard pour ma survie, Adam entre dans la chambre. Panique générale ! Le roi du dépotoir se dirige droit vers moi.

    Je me redresse à toute allure et me plaque contre le mur de briques. Ma posture clownesque laisse croire que je me lance dans la démonstration du premier origami humain. Même les contorsion-nistes du Cirque du Soleil refuseraient de se livrer à une telle torture.

    Je maintiens la position malgré la douleur. Pas question que le souverain des ordures remarque ma présence injustifiée et signale mon effraction à la police municipale.

    Je vois d’ici la réaction de mes parents en découvrant mon casier judiciaire. Le mois dernier, une innocente histoire de facture téléphonique trop salée m’avait valu deux semaines de gar-diennage bénévole. Surveiller mes demi-frangins, des jumeaux hyperactifs de cinq ans, est un châ-timent horriblement cruel. Je n’ose pas imaginer quelle serait la sentence en cas d’espionnage civil… Peut-être une interdiction de sorties pour le reste de mes jours, sans droit de visite, avec possibilité

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    de libération conditionnelle en 2098, si conduite exemplaire ?

    Adam entrouvre la fenêtre et pointe son nez dehors. Je ferme les yeux en priant pour qu’il ne me remarque pas. Si le copain de ma meilleure amie me surprend dans ce pyjama, les étudiants de notre école secondaire me ridiculiseront pour la vie et au-delà !

    Je ne bouge plus. Je ne respire plus. Je souffre tellement que je crains de perdre l’usage de mes deux jambes. Pour meubler mon esprit, je compte les fourmis rouges qui grimpent sur mes pieds boueux. Impossible de les chasser sans perdre l’équilibre.

    J’en suis à vingt-six envahisseurs et trois mor-sures quand Marisol me signale que la voie est libre. Miracle ! Je lance un regard furtif vers le repaire de la cible.

    — Est-ce qu’il se tord de douleur ? Est-ce qu’il rédige son testament ? S’il joue à la PlayStation, je te jure que je descends lui faire manger sa manette par la narine !

    Ma charmante complice peut facilement passer pour une tortionnaire sans pitié. Mais au-delà de ses instincts vengeurs, je sais que Marisol est une fragile petite chose. Je peux même vous certifier, sous le sceau de la confidentialité, que mon amie pleure à chaudes larmes en regardant les finales de téléréalité. Sans rire !

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    — Inutile de quitter ton observatoire. Adam a effectivement un teint de flétan. Quoique j’ai tou-jours trouvé que son look rebello-gothique lui don-nait un petit air spectral…

    — Tu peux bien jouer les critiques de mode, riposte mon amie du tac au tac.

    Pas moyen de donner mon opinion sans offus-quer son âme sensible. Il suffit visiblement d’une simple crisette conjugale pour que Marisol perde tout sens de l’humour.

    — Je ne dis pas qu’il pourrait passer pour le cousin de Gargamel. Seulement, il serait encore plus mignon s’il réalisait qu’il existe d’autres cou-leurs que le noir corbeau.

    — Pff ! Mieux vaut porter des vêtements noirs que des bas blancs.

    Pour ceux qui auraient loupé un épisode, Marisol fait référence à Thomas Saint-Louis, mon grand amour et futur mari. Le seul petit hic, c’est qu’il ne le sait pas encore. Le demi-dieu est tou-jours aveuglé par Vanessa, un long reptile aux yeux jaune moutarde qu’il prend pour sa bien-aimée.

    — Pour sa défense, les bas blancs sont recom-mandés pour faire du sport. Ce n’est pas une coquet-terie volontaire. Un peu comme un plongeur qui doit obligatoirement se rabaisser au port du slip moulant.

    — Est-ce que tu pourrais te contenter de com-menter la vue ? soupire mon amie.

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    — À vos ordres, mon commandant. Suspect en mouvement. Circule autour du lit. Écrase une chips au ketchup. Démarre son lect… Oh non !

    Je fige subitement tel un raton laveur devant les phares d’un camion citerne. Ce qui se déroule sous mes yeux dépasse de loin toutes les atrocités jamais captées par les jumelles de l’Association des détec-tives privés.

    — Tu ne me croiras jamais…— Qu’est-ce qui se passe ? Il applique une

    couche de vernis rose bonbon sur les orteils de Martin-Pier ?

    — Pire, il écoute le dernier album de Dario Pelchose !

    — Noooon ! ?Armé d’une bouteille de ce gel archi-collant

    dont il abuse au quotidien, Adam fait mine de chan-ter au micro une ballade dégoulinante de roman-tisme. Pire, il dodeline bêtement de la tête. S’il ne portait pas de bracelets en piquants métalliques, il ressemblerait en tous points au pigeon domestique de mon grand-père.

    — Tu es certaine que ton chum souffre de maux de ventre ? Je miserais plutôt sur des crampes au cerveau…

    Le chanteur de charme s’époumone de plus belle en admirant son reflet dans la glace. Mieux vaut se rendre à l’évidence : les vapeurs de sa pizza

  • radioactive provoquent de troublantes pannes neurologiques.

    Agressée par la complainte du duo Pelchose-Brodeur, une abeille folle furieuse menace de me perforer le bras. Je porte une camisole jaune. J’ima-gine qu’elle me prend pour une énorme jonquille.

    Je m’agite frénétiquement. Gifle vers la droite. Coup de hanche vers la gauche. Arabesque tordue. Un passant se croirait en pleine représentation du ballet des dingos.

    Ma chorégraphie anti-bourdon est interrom-pue par un soudain vent de panique qui s’élève de la tour de contrôle.

    — Émilie, on a un problème.

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    LA DOUBLE VIE DU CORNICHON

    Traitez-moi de pessimiste si vous voulez, mais je ne suis absolument pas surprise que le ciel nous tombe une fois de plus sur la tête. Et moi qui me faisais une joie que la pluie soit enfin terminée…

    Avec mon pragmatisme légendaire, je recense mentalement tous les éléments problématiques nécessitant une solution immédiate.

    Rapport des dangers environnantsréalisé par le cerveau alarmiste d’Émilie Robinson

    Menaces naturelles : Une abeille en furie me bourdonne dans les oreilles et projette de me cribler de piqûres avec son aiguillon venimeux.Désastres capillaires : Mes cheveux gonflent et frisent autant que le pelage bouleux de Mademoiselle Carmen, le caniche royal de mon voisin d’en face.Déboires judiciaires : La police est sur le point de m’arrê-ter pour introduction par effraction sur un terrain privé. Ce qui implique une photo de détenue particulièrement catastrophique, rapport au point numéro deux.

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    Mais soyons lucide. Je sais bien que mes pro-blèmes de frisottis intéressent autant Marisol que la protection des grenouilles antillaises. Je cherche donc la catastrophe susceptible d’alarmer mon adjudante-chef.

    Alerte générale ! Un enfant portant un imper-méable jaune citron se tient au pied du chêne.

    — Une petite fille vient de me repérer, chuchote nerveusement mon amie. Qu’est-ce que je fais ? J’imite le chant du rouge-gorge pour faire diversion ?

    — Trop tard pour les tactiques de dissimulation. Il faut trouver autre chose.

    La minibanane salue Marisol de ses doigts grassouillets. Elle croit sans doute observer une créature fascinante et magique qui habite les arbres de notre quartier.

    — Il faut qu’elle déguerpisse au plus vite, panique la jeune caporale. Si ça se trouve, elle risque de sabo-ter notre plan !

    — Parce que selon toi, tout était sous contrôle avant son apparition ?

    Marisol ne relève pas le sarcasme.— Mon sort repose entre les mains d’une

    gamine de cinq ans, se lamente la grande tragé-dienne… Je ne peux imaginer un pire cauchemar ! Et pourquoi me fixe-t-elle avec la bouche entrou-verte, comme une carpe hors de l’eau ? Peut-être que j’ai un truc qui cloche…

  • Dans la même série

    L’escouade Fiasco, tome 1 : Le demi-dieu aux bas blancs