LETTRE A MONSIEUR L'ÉDITEUR DE LA REVUE ARCHÉOLOGIQUE SUR LE POINT DE DÉPART ET LA DATE PREMIÈRE DES POIDS INSCRITS DU MIDI DE LA FRANCE

LETTRE A MONSIEUR L'ÉDITEUR DE LA REVUE ARCHÉOLOGIQUE SUR LE POINT DE DÉPARTET LA DATE PREMIÈRE DES POIDS INSCRITS DU MIDI DE LA FRANCEAuthor(s): Edw. BarrySource: Revue Archéologique, 15e Année, No. 1 (AVRIL A SEPTEMBRE 1858), pp. 362-368Published by: Presses Universitaires de FranceStable URL: http://www.jstor.org/stable/41746481 .

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LETTRE

A MONSIEUR L'ÉDITEUR DE LA BEVVE ARCHÉOLOGIQUE

SUR LE POINT DB DÉPART ET LÀ DATE PREMIÈRE DES POIDS INSCRITS Dû MIDI DE LA FRANCE.

Monsieur,

Les lecteurs de la Revue n'ont certainement point oublié un inté- ressant article, dans lequel un de nos collaborateurs, M. Chabouillet, restituait à la ville d'Albi un poids inscrit que l'on avait à tort attri- bué à celle de Limoges. A la réfutation spirituelle des mépri- ses auxquelles avait donné lieu l'attribution de ce petit monument, où l'on croyait reconnaître le buste de saint Martial, patron des Lemovices , dans la tête du léopard qui rampe (au XVI* siècle), sur la porte crénelée de la cité épiscopale des Albiges (Albigae, Albigenses), l'auteur ajoutait en terminant d'ingénieuses con- jectures sur le'sens de la sigle monumentale (B) que nous offrent sans exception tous les poids inscrits de cette ancienne métropole, et nous n'aurions, comme tous ceux qui ont lu ce petit travail, que des éloges sans restriction à adresser à l'auteur, s'il n'avait tranché incidemment une question de chronologie stathmétique dont vous allez comprendre en deux mots l'importance. Il a lu ou cru lire sur l'un des poids qu'il invoque à l'appui de sa restitution, la date de 1 193, qui aurait pour résultat, si elle était admise, de reculer d'un demi-siècle (de 46 ans au moins) l'époque de la fabrication des poids inscrits dans le midi, et d'en placer à Albi le point de dé- part et le premier type.

Avant de passer dans mon cabinet, si ce mot n'est pas trop pré- tentieux, le petit monument dont il s'agit faisait partie de la richo collection de poids qu'avait réunie M. Jules Soulages, récemment enlevé à l'archéologie. Il lui appartenait encore à l'époque où pa- rut dans la Revue (1854) le travail dont nous nous occupons, et je me souviens qu'en parcourant ensemble l'exemplaire que lui en avait adressé l'auteur, nous nous communiquions un soir les diffi- cultés et les objections de plus d'un genre, que provoquait dans nos



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esprits une assertion aussi nouvelle. Sags accorder plus d'attention que n'en méritent ces caractères accidentels à l'emploi exclusif ici de l'idiome roman, qui se mêle presque toujours sur les poids de date ancienne à l'idiome latin réservé d'ordinaire pour le revers du monument; sans nous préoccuper outre mesure dela formule insolite de la légende : l'an de nostre señor (1) que nous n'avions encore vue comme le mot de siutat placé avant le nom propre de la ville, que sur des poids d'un âge relativement récent, sur ceux de la cieutat de Rhodez par exemple, qui sont de l'année 1520, nous étions surtout frappés de la fabrique du poids lui-même qui ne rappelle plus rien du style monumental et de l'épigraphie caractéristique de l'époque romane. L'allure serrée et le galbe gothique de son écri- ture nous eussent reporté plutôt à l'époque de barbarie qui précède immédiatement la renaissance, ou les A aussi larges du haut que du bas affectent une forme à peu près carrée, ou les L étroites de base sont armées d'un hameçon démesuré, qui les rapproche à leur tour de la forme carrée des A, où l'arc ouvert et grêle des C (dans le millésime par exemple) diffère autant du C en plein-cintre de l'é- poque romane (voy. tous les poids du XIIIe siècle) que de celui du XIV* dont les deux bras sont enchaînés verticalement par un trait aminci (2). Ces objections et d'autres que je vous épargne tiraient une valeur particulière de cette circonstance, que l'exemplaire assez bien conservé d'ailleurs, sur lequel M. Chabouillet ap- puyait cette conjecture hardie, est précisément mutilé à l'endroit du millésime, que I'M gothique du millénaire a disparu à peu près complètement dans une dépression de la fonte qu'il reproduit dans son dessin, sans lui accorder dans sa traduction l'attention qu'elle mérite, et que les arcs rapprochés et confus dans lesquels il a cru la retrouver plus loin, sont eux-mêmes défigurés par une soufflure circulaire , de la taille d'une lentille dont son dessinateur n'a tenu cette fois aucun compte.

La découverte successive de trois nouveaux échantillons de cette rare série dont la légende et le millésime surtout sont beaucoup mieux conservés que ceux de l'exemplaire dont s'était servi M. Cha- bouillet (voyez le dessin ci-dessous), nous permettent de vider aujour- d'hui cette petite difficulté de chronologie et de restituer à la ville de Toulouse l'honneur incontestable jusqu'ici d'avoir conçu ou ap-

(1) Elle est très-commune en latin : Anno incarnacionis Domini ,l incarnatione Domini ; mais insolite en roman. (2) J'ai déjà signalé dans un article publié par la Revue , en 1856, quelques-uns

de ces traits caractéristiques de l'épigraphie stathmétique au XIVe et au XVe siècles.



364 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.

pliqué la première un système de poids qui s'est propagé de là dans la plus grande partie du pays de langue romane, et qui n'en a disparu qu'après six siècles de durée (1).

Loin d'être comme le dit l'auteur « le plus ancien ou l'un des plus anciens monuments de ce genre, aujourd'hui connu » {Ib., p. 5, tirage à part), le poids dont il s'agit n'est pas même, il s'en faut de beaucoup , le premier en date de ceux qu'a successivement émis l'ancienne métropole de l'Albigeois, puisqu'il appartient comme on le voit, à l'année 1493 de notre ère. Mais en perdant l'espèce d'au- réole archaïque dont on l'avait gratuitement entourée, la série toujours rare à laquelle il appartient, n'en conserve pas moins une

(1) Je dois l'un de ces échantillons qui sont tous les trois des demi-livres [meia livra), à l'amitié de M. Souleyrat de Cordes, jeune médecin plein d'intelligence et d'activité. Les deux autres, mieux conservés encore, me sont communiqués avec beaucoup d'obligeance par un collecteur d'Albi, M. Baynac, auquel je dois le dessin fort exact que reproduit la planche ci-dessus. S'il n'y a point de doute possible sur la date générale du poids ou le chiffre MCGCG est incontestable sur les trois exem- plaires, il peut rester quelqu'hésitation sur les dizaines et unités de ce millésime, resserrées et comme entassées les unes sur les autres par défaut d'espace. M. Baynac est tenté d'y reconnaître le chiffre XIII (1413), ce qui constituerait sur cette seule donnée une série nouvelle, distincte de toutes les séries connues. En adoptant le chiffre (XGIII) qui s'explique lui-môme par la forme presque rectiligne du C (V. le dessin), adhérent et confondu ici avec l'X qui le précède, j'ai été dominé par l'identité frappante de type, de style, de légende, de disposition même, que



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place et un rang honorables, entre les nombreuses séries de cette ancienne capitale, queje vous demanderai la permission de rétablir, en terminant, dans leur ordre chronologique, interverti et bouleversé presque partout, dans la liste de M. Chabouillet lui-même (Ib., p. 5 et 6), par des erreurs d'attributions qui tiennent le plus souvent à des erreurs de lecture. Pour les éviter autant que possible, je ne m'appuierai que sur des poids datés, d'une conservation irrépro- chable, et que j'ai pu étudier par moi-même, sur les calibres suc- cessifs d'une même série.

Série de 1335 (ou 36).

+ roeiA LIVRA D£ LA S1VTAT DALBI

Porte de ville ouverte dans un mur crénelé de cinq créneaux et sur- monté de la croix épiscopale : sur les créneaux un léopard passant à

gauche; à dextre le soleil rayonnant, à senestre ,1a lune en dé- cours.

+ IAN (*) • C • C • C • X • X • X • V.

Dans le champ un grand B de forme gothique accosté de deux

points. - Dans le quart et le demi-quart de la même série qui portent simplement pour légende I Cartaro d'Albi, et mieg. cart.

d'Albi, sous les signe du soleil et de la lune, le chiffre 1335 est po- sitivement suivi d'un I qui donnerait l'année 1336, à moins que l'on ne veuille y voir une L qui commencerait le mot l'an par lequel s'ouvre la légende. - A partir de l'once, onsa, le léopard disparaît tout à fait des créneaux.

présentent ces demi-livres et la livre de M. Chabouillet, où la fin du mime chiffre est écrite en toutes lettres (LXXXXIII) et l'impossibilité à peu près absolue d'admettre des ressemblances aussi multipliées entre deux séries séparées l'une de l'autre par 80 ans d'intervalle. -Ceux de nos lecteurs qui ont quelque habitude de la stathmétique remarqueront d'eux-mêmes que l'article (L) est séparé parla croix du mot an qui le gouverne. Quant au signe bizarre qui précède "a l'avers le mot livra, j'ai hésité et j'hésite encore entre l'initiale du mot meia écrit d'une manière cou- chée et cursive et la moitié du signe numéral H qui remplace quelquefois le mot livra sur des poids d'un âge assez reculé. Je songe en écrivant ceci à la belle série de poids en bronze du XVI« siècle (1590) , dont j'ai pu étudier récemment dans les archives de Montauban les calibres supérieurs, depuis les quatre livres où s'arrê- tent les séries en forme de disques jusqu'au quintal de 104 H qui termine dans cette ville la série des poids étalons en forme de cloche et suspendus par un anneau.



266 REVUE ARCHÉOLOGIQUE .

Série de 138 .

« I CARTAR«} DALBI

Crosse, lion et tour des armes d'Albi

LAN M CCC lili XX- Dans le champ B. »

C'est sur la foi de M. Chabouillet qui l'emprunte lui-même (ib., ib., p. 5), à l'ancienne collection Kollin et Meynaerts proba- blement dispersée aujourd'hui que je reproduis ce spécimen d'une série très-rare. Je ne l'ai point encore rencontré pour ma part parmi les poids très-nombreux d'Albi que j'ai eus entre les mains, et je peux ajouter qu'elle est entièrement inconnue aux stathmétistes locaux, à M. Baynac, par exemple, que je citais tout à l'heure. Le chiffre quatre-vingts est écrit à peu de chose près comme il l'est ici

(par quatre traits suivis du mot »in) sur une série de Montauban qui appartient aussi au XIV* siècle. La question de lecture et d'attribution chronologique que soulève ce petit monument serait à peu près tranchée pour moi s'il était certain que les trois C du millé- sime soient enchaînés par un trait vertical, ce qu'un dessin exact

pourrait seul nous apprendre.

Série de 1493.

+ VNE LIVRA DC LA SIVTAT DALBI

Dans le champ un grand B de forme gothique. A droite un point

+ AN D£ NOSTRE SGNOR M CCCCLXXXXI1I

Porte de ville, etc., identique à l'éffigie de l'émission de 1336. V. Supra, la demi-livre de la même série.

Série de 1557.

(sic) + POIS DVNE LIVRE DE L • A CITE DBI

Porte de ville crénelée, etc.

+ LAN MIL • CINCENCINOVANTE 7

Dans le champ un grand B accosté des deux lettres CB (cité,



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bourg ? ). - C'est incontestablement à cette série qu'appartient le poids que M. Chabouillet attribue à l'année 1551, confondant sur un exemplaire d'une faible conservation sans doute, le chiffre 7 avec le chiffre t . La demi-livre de cette série remarquable par ses di- versités de fabrique d'un calibre à l'autre, porte pour légende : + POIX • DE • M • LIVRE • D • L • C • DLI. La porte avec le léo- pard tourné à droite. LAN • M • CINQ • CENIS- 57 au grand B ac- costé de deux points : le cartaro POES * DEVN • C • DE LA • C * DALBI, porte crénelée de 4 créneaux, etc. Le léopard marchant à gauche + LAN • MIL • CINQ • CEN • 57 le B accosté de deux points.

Série de 1581.

POIS • DALBI • DE • VNO • LIVES

La porte à 4 créneaux, la crosse, le léopard couché à droite accosté de deux points et d'une croix : dans le champ -f- c'est sans doute la croix initiale de la légende que le fondeur aura supprimée faute d'espace.

+ LAN • MILLE • SIN • C • 4 VIN • I

Dans le champ le B cantonné de quatre points ; à gauche au-dessus d'un de ces points un I. - C'est certainement à celte série commune comme celle qui précède, qu'appartient un prétendu poids de l'année 1506 , dans lequel M. Chabouillet prend pour une croix le 4 fort bizarre, il est vrai, de 81, et pour le chiffre VI les deux pre- mières lettres du mot VIN * 1, trompé suivant toute apparence par la faible conservation de l'exemplaire dont il se servait. Le 4 est écrit de même en chiffres arabes, mais régulièrement cette fois (4), dans la légende d'un des poids à anneau de Montauban, que je signalais tout à l'heure QVINTAL DE 104H. On pourrait induire de celte res- semblance, qui est à elle seule une date, que cette belle série éta- lon appartient à peu de chose près au même temps qu'une série étalon de mesures de capacité du même musée (coup, demi-coup, quart de coup), qui porte dans un cartouche au-dessous des armoi- ries de la ville, la date de 1590. - Les deux livres et les trois livres de cette série (POIS • DALBI • DE • DVS * LIVES- POIS ■ DALBI • TROIS • LIVES) n'offrent rien de caractéristique; la demi-livre et le quart portent pour légende -f POIS • DEMI • LIVES • DALBI, ut Suprà , sans léopard, et P • DALBI • DE • CAR toujours avec la même date.



368 RKVUB ARCHÉOLOGIQUE .

Série de 1673.

POIX • DALBI • DE • I • LIVRE 1673.

La porte à quatre créneaux, la crosse (ce n'est qu'en 1676, comme on le sait, que l'évêché a été érigé en archevêché), le léopard debout à gauche, dans le champ le disque radié du soleil et la lune en dé- cours.

La légende est remplacée par une sorte de ruban en saillie qui dessine des ondes régulières; dans le champ le B accosté des lettres P, M. -Les deux et les trois livres que possèdent plusieurs collections n'offrent de différences caractéristiques que dans la disposition du ruban partagé en festons distincts et arrondis ou coupé de loin en loin par des rosaces. La demi-livre offre au revers le chiffre du millésime 1673 coupé en deux par la croix initiale de la légende. Le ruban est remplacé par un grénetis de points évidés. Dans le quart ( | • CAR • )> le B du revers est accosté des deux sigles A, S.

Veuillez agréer, Monsieur, etc.,

Edw. Barri.



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