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Lettre d'un chrétien modéré aux musulmans de France Je suis chrétien. Je suis laïc. Quoi ? Ben, oui, "laïc" est un mot chrétien. Ça désigne quelqu'un qui n'est pas prêtre ou moine, bref quelqu'un qui ne consacre pas sa vie à la religion. J'ai beau croire en Dieu et aller à la messe tous les dimanches, je suis un laïc complet. Je suis donc un chrétien neutre. Mettons que je suis un chrétien modéré, pour que le titre "modéré" ne soit pas réservé aux gentils musulmans. La laïcité, à l'origine, c'est le statut des chrétiens qui ne sont pas religieux au sens institutionnel. La Laïcité avec un grand L dont on parle aujourd'hui, c'est une manière de séparer l'état, non-religieux, des autorités religieuses consacrées. Mais ça reste un concept entièrement chrétien. Il va falloir revenir sur les origines chrétiennes de la France. N'en déplaise aux laïcards, la France mérite assez bien son surnom de "fille aînée de l'Église". Comme je l'ai appris à l'école, sans doute dans une version simplifiée de l'Histoire, les premiers rois de France étaient chrétiens catholiques. Clovis, le premier dont j'entende parler, se fait baptiser vers l'an 500. On me parle de Charles Martel, qui a repoussé les Arabes à Poitiers en 732 (mais d'où viennent ces Arabes ? Charles Martel l'ignorait sans doute, tout comme l'écolier que je suis). Son fils Pépin le Bref se fait sacrer roi par des évêques en 751. Mais l'étape marquante, c'est le couronnement impérial de Charlemagne par le Pape Léon III en 800. La scène est à mettre en parallèle avec le sacre biblique de David par le prophète Samuel, qui introduit l'époque glorieuse du grand royaume d'Israël. On aurait du mal, dans un contexte chrétien, à imaginer une intimité plus grande entre religion et politique, avec ce qui se joue au couronnement de Charlemagne. Les rois de France qui ne sont pas consacrés religieusement sont des exceptions. La coutume a duré jusqu'en 1825. Il y a à peine deux cents ans ! Au plus fort de l'intimité entre religion et politique, on a eu les Croisades, où l'Occident a commencé à faire de l'ingérence au Moyen-Orient. Saladin, en reprenant Jérusalem aux Croisés, calme la folie des grandeurs de la chrétienté. Bientôt, ces chrétiens résoudront le problème épineux de se trouver un ennemi : la Réforme protestante entraîne des guerres de religions internes. Puis, lentement, les enjeux politiques et religieux se distinguent de plus en plus. Ce sera le siècle des Lumières, l'avènement de la révolution industrielle, la colonisation, les guerres mondiales... bientôt, presque plus rien ne se fait au nom de la religion chrétienne. Je simplifie, mais c'est pour exposer mon idée. La laïcité dont on hérite est tout simplement une neutralité chrétienne. L'État n'est pas chrétien, certes. Mais les administrés le sont, d'origine au moins. Ils ont beau clamer fort leur athéisme ou leur anticléricalisme, ils doivent se retenir de ne pas finir la formule « au nom du Père, du Fils, et du Saint-Esprit... » par « amen ». On a beau être laïque, on est toujours chrétien. Quand on parle de Dieu, c'est toujours Dieu le Père. Notre culture est profondément chrétienne, elle nous marque jusque dans les gestes les plus anodins, rien que dans l'expression « Oh mon Dieu ! » et tous les jurons qui font intervenir le Créateur. Bien sûr, on est chrétiens mais on n'est pas chrétiens. L'abstinence avant le mariage, confesser ses péchés au prêtre, tout ça c'est de la moralité dépassée. Dieu le Père, on ne l'aime pas, parce que c'est un papa envahissant. Alors, on se débarrasse des papas qui nous font trop penser à lui. On coupe la tête du roi, on chahute De Gaulle, on n'est jamais content du président. Nous autres chrétiens, nous sommes complètement névrosés du père. Et manque de bol, c'est retombé sur vous autres musulmans.

Lettre d´un chrétien modéré aux musulmans de france

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Premier article de la série « Etudiant(e)s, à ta plume !» Plume d´Etudiants Etudiants Musulmans de France

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Page 1: Lettre d´un chrétien modéré aux musulmans de france

Lettre d'un chrétien modéré aux musulmans de France

Je suis chrétien. Je suis laïc.

Quoi ?

Ben, oui, "laïc" est un mot chrétien. Ça désigne quelqu'un qui n'est pas prêtre ou moine, bref quelqu'un qui ne consacre pas sa vie à la religion. J'ai beau croire en Dieu et aller à la messe tous les dimanches, je suis un laïc complet.

Je suis donc un chrétien neutre. Mettons que je suis un chrétien modéré, pour que le titre "modéré" ne soit pas réservé aux gentils musulmans.

La laïcité, à l'origine, c'est le statut des chrétiens qui ne sont pas religieux au sens institutionnel. La Laïcité avec un grand L dont on parle aujourd'hui, c'est une manière de séparer l'état, non-religieux, des autorités religieuses consacrées. Mais ça reste un concept entièrement chrétien. Il va falloir revenir sur les origines chrétiennes de la France.

N'en déplaise aux laïcards, la France mérite assez bien son surnom de "fille aînée de l'Église". Comme je l'ai appris à l'école, sans doute dans une version simplifiée de l'Histoire, les premiers rois de France étaient chrétiens catholiques. Clovis, le premier dont j'entende parler, se fait baptiser vers l'an 500. On me parle de Charles Martel, qui a repoussé les Arabes à Poitiers en 732 (mais d'où viennent ces Arabes ? Charles Martel l'ignorait sans doute, tout comme l'écolier que je suis). Son fils Pépin le Bref se fait sacrer roi par des évêques en 751.

Mais l'étape marquante, c'est le couronnement impérial de Charlemagne par le Pape Léon III en 800. La scène est à mettre en parallèle avec le sacre biblique de David par le prophète Samuel, qui introduit l'époque glorieuse du grand royaume d'Israël. On aurait du mal, dans un contexte chrétien, à imaginer une intimité plus grande entre religion et politique, avec ce qui se joue au couronnement de Charlemagne.

Les rois de France qui ne sont pas consacrés religieusement sont des exceptions. La coutume a duré jusqu'en 1825. Il y a à peine deux cents ans !

Au plus fort de l'intimité entre religion et politique, on a eu les Croisades, où l'Occident a commencé à faire de l'ingérence au Moyen-Orient. Saladin, en reprenant Jérusalem aux Croisés, calme la folie des grandeurs de la chrétienté. Bientôt, ces chrétiens résoudront le problème épineux de se trouver un ennemi : la Réforme protestante entraîne des guerres de religions internes. Puis, lentement, les enjeux politiques et religieux se distinguent de plus en plus. Ce sera le siècle des Lumières, l'avènement de la révolution industrielle, la colonisation, les guerres mondiales... bientôt, presque plus rien ne se fait au nom de la religion chrétienne.

Je simplifie, mais c'est pour exposer mon idée.

La laïcité dont on hérite est tout simplement une neutralité chrétienne. L'État n'est pas chrétien, certes. Mais les administrés le sont, d'origine au moins. Ils ont beau clamer fort leur athéisme ou leur anticléricalisme, ils doivent se retenir de ne pas finir la formule « au nom du Père, du Fils, et du Saint-Esprit... » par « amen ». On a beau être laïque, on est toujours chrétien. Quand on parle de Dieu, c'est toujours Dieu le Père. Notre culture est profondément chrétienne, elle nous marque jusque dans les gestes les plus anodins, rien que dans l'expression « Oh mon Dieu ! » et tous les jurons qui font intervenir le Créateur.

Bien sûr, on est chrétiens mais on n'est pas chrétiens. L'abstinence avant le mariage, confesser ses péchés au prêtre, tout ça c'est de la moralité dépassée. Dieu le Père, on ne l'aime pas, parce que c'est un papa envahissant. Alors, on se débarrasse des papas qui nous font trop penser à lui. On coupe la tête du roi, on chahute De Gaulle, on n'est jamais content du président.

Nous autres chrétiens, nous sommes complètement névrosés du père. Et manque de bol, c'est retombé sur vous autres musulmans.

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Nous n'avons jamais pensé à vous. Pour nous, les musulmans, c'était tantôt des envahisseurs Arabes qu'il fallait repousser, tantôt des infidèles qu'on allait massacrer en Palestine pour s'acheter une place au paradis, tantôt des rivaux militaires autour de la méditerranée, et pour finir de pauvres primitifs qu'on allait civiliser-coloniser-exploiter. Sans jamais les connaître.

Et voilà que vous arrivez parmi nous parce qu'on a besoin de vous pour reconstruire le pays, et que vous vivez avec nous, et d'un seul coup on se pose la question : mais qui sont ces gens ?

Sont-ce les envahisseurs Arabes que Charles Martel avait repoussés ?

Sont-ce des infidèles ?

Sont-ce des primitifs ?

Bref, on ne les connaît pas. Une chose est sûre : ils ne sont pas chrétiens et ils ne partagent pas notre névrose du Père soigneusement mise au point depuis des centaines d'années. Et c'est surtout ça le problème. Les musulmans ont continué à croire en Dieu, c'est plutôt choquant.

Ça ne va pas du tout, ça, des gens qui croient encore en Dieu. Chez nous, les chrétiens croyants vivent cachés, leur foi est quelque chose de privé. Exprimer sa foi en public, c'est assez malpoli, parce qu'en France, l'athéisme officiel est de bon ton pour toutes les raisons citées plus haut. Les croyants ont du adopter une posture d'humilité.

Et voilà que les musulmans débarquent, portent le voile, parlent du Coran, de la sunna, et ponctuent leurs phrases par « inch'Allah » ou « hemdu'lah ». Quel comportement éhonté ! Ces gens n'ont donc pas appris à respecter les autres ! La religion doit être une affaire privée ! Porter sa religion en public, c'est de l'indécence !

Eh oui, on en est arrivés là, n'en déplaise à l'article 18 de la déclaration universelle des droits de l'homme.

C'est pourquoi, en tant que citoyen français et chrétien modéré, chers concitoyens musulmans, je vous demande pardon.

Oui, je vous demande pardon. On ne vous a pas compris. On a beau vouloir respecter l'islam, on ne connaît pas l'islam et on n'a pas envie de le connaître, parce que ça nous remettrait en face de notre névrose congénitale.

Je vous demande pardon. Ça n'a rien à voir avec vous. Nous sommes allergiques au voile, parce que ça nous rappelle le voile de la Vierge Marie, des religieuses, bref de toutes les femmes soumises à Dieu le Père, et donc ça nous rappelle Dieu le Père.

Je vous demande pardon. Nous ne sommes pas au clair avec Dieu, et ça retombe sur vous et votre Prophète. Si les athées de souche chrétienne étaient de bons athées, c'est-à-dire s'ils ne pensaient pas à Dieu et menaient leur vie tranquillement, ils n'auraient pas cette allergie à la religion.

Il va falloir que nous apprenions à vous connaître, et à vous reconnaître. Il faudra que nous, Français de souche chrétienne, reconnaissions que l'islam, la soumission ultime au Dieu Unique, ça compte pour vous, musulmans, même si ça nous dérange. Il va falloir que chacun d'entre nous se mette au clair avec Dieu le Père, pour ça. Et ça va prendre du temps.

De votre côté, il vous faudra du courage et de la patience. Sans doute le même courage et la même patience dont a fait preuve votre Prophète face à l'intolérance et aux persécutions. Courage, oui ! N'ayez pas peur de la peur des autres, surtout.

Pour finir, je voudrais citer des paroles du Jésus biblique. Ces paroles ont soutenu, et soutiennent toujours, des générations de chrétiens persécutés. Aujourd'hui, en France, c'est malheureusement vous qui êtes concernés :

« Heureux êtes-vous si l’on vous insulte, si l’on vous persécute,

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Et si l’on dit faussement toute sorte de mal contre vous, à cause de moi.

Réjouissez-vous, soyez dans l’allégresse,

Car votre récompense est grande dans les cieux !

C’est ainsi qu’on a persécuté les prophètes qui vous ont précédés. » (Matthieu 5, 11-12)

Emmanuel Bosquet