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Pratiques psychologiques 14 (2008) 223–236 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com Dossier L’évolution des interêts professionnels des lycéens de classe de première : 1970–2005 The evolution of vocational interests of eleventh grade students: 1970–2005 Y. Forner a,,1 , A. Duvergne b,2 , H. Gabet a,3 , D. Holl b,2 , C. Pollet a,3 , M. Willems a,3 a Laboratoire PSITEC, université Charles de Gaulle-Lille-3, domaine universitaire Pont-de-Bois, B.P. 653, 59653 Villeneuve d’Ascq, France b Centre de formation de Lille, université Charles de Gaulle-Lille-3, domaine universitaire Pont-de-Bois, B.P. 653, 59653 Villeneuve d’Ascq, France Rec ¸u le 1 er janvier 2007 ; accepté le 1 er novembre 2007 Résumé Les deux formes (masculine et féminine) d’un questionnaire d’intérêts, les QIP/m et QIP/f, ont été remplies par deux échantillons de lycéens de classes de première en 2005 : l’un de 200 garc ¸ons et 337 filles, l’autre de 181 garc ¸ons et 268 filles. Les résultats ont été comparés à ceux obtenus en 1970. On observe, d’une part, des hausses : hausse des intérêts pour les métiers de relations d’affaire ; hausse des inté- rêts pour les métiers administratifs chez les garc ¸ons (alors que ces intérêts sont stables chez les filles) et des intérêts pour les métiers de type foyer chez les filles (intérêts non évalués chez les garc ¸ons). On observe, d’autre part, des baisses : baisse des intérêts pour les métiers scientifiques (particulièrement chez les filles), pour les métiers techniques, ainsi que pour les métiers au contact de la nature chez les garc ¸ons (intérêts non évalués chez les filles). Les intérêts pour les métiers littéraires, altruistes et sportifs ne paraissent pas varier nettement et les différences intersexes ne paraissent pas notablement modifiées. Toutes ces variations sont cohérentes avec celles observées ailleurs sur les intérêts généraux et les valeurs des jeunes : elles semblent globalement suivre une évolution sociale générale, mais font envisager de Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (Y. Forner). 1 Professeur à l’université Charles de Gaulle. 2 Conseillère d’orientation psychologue en stage au centre de formation de Lille. 3 Étudiant(e) en psychologie à l’université Charles de Gaulle. 1269-1763/$ – see front matter © 2008 Société franc ¸aise de psychologie. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.prps.2007.11.007

L’évolution des interêts professionnels des lycéens de classe de première : 1970–2005

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Pratiques psychologiques 14 (2008) 223–236

Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com

Dossier

L’évolution des interêts professionnels des lycéensde classe de première : 1970–2005

The evolution of vocational interests of eleventhgrade students: 1970–2005

Y. Forner a,∗,1, A. Duvergne b,2, H. Gabet a,3, D. Holl b,2,C. Pollet a,3, M. Willems a,3

a Laboratoire PSITEC, université Charles de Gaulle-Lille-3, domaine universitaire Pont-de-Bois,B.P. 653, 59653 Villeneuve d’Ascq, France

b Centre de formation de Lille, université Charles de Gaulle-Lille-3, domaine universitaire Pont-de-Bois,B.P. 653, 59653 Villeneuve d’Ascq, France

Recu le 1er janvier 2007 ; accepté le 1er novembre 2007

Résumé

Les deux formes (masculine et féminine) d’un questionnaire d’intérêts, les QIP/m et QIP/f, ont étéremplies par deux échantillons de lycéens de classes de première en 2005 : l’un de 200 garcons et 337filles, l’autre de 181 garcons et 268 filles. Les résultats ont été comparés à ceux obtenus en 1970. Onobserve, d’une part, des hausses : hausse des intérêts pour les métiers de relations d’affaire ; hausse des inté-rêts pour les métiers administratifs chez les garcons (alors que ces intérêts sont stables chez les filles)et des intérêts pour les métiers de type foyer chez les filles (intérêts non évalués chez les garcons).On observe, d’autre part, des baisses : baisse des intérêts pour les métiers scientifiques (particulièrementchez les filles), pour les métiers techniques, ainsi que pour les métiers au contact de la nature chez lesgarcons (intérêts non évalués chez les filles). Les intérêts pour les métiers littéraires, altruistes et sportifsne paraissent pas varier nettement et les différences intersexes ne paraissent pas notablement modifiées.Toutes ces variations sont cohérentes avec celles observées ailleurs sur les intérêts généraux et les valeursdes jeunes : elles semblent globalement suivre une évolution sociale générale, mais font envisager de

∗ Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected] (Y. Forner).

1 Professeur à l’université Charles de Gaulle.2 Conseillère d’orientation psychologue en stage au centre de formation de Lille.3 Étudiant(e) en psychologie à l’université Charles de Gaulle.

1269-1763/$ – see front matter © 2008 Société francaise de psychologie. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.doi:10.1016/j.prps.2007.11.007

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futures dissonances entre les attentes des jeunes et l’offre d’emploi lors de l’entrée sur le marché dutravail.© 2008 Société francaise de psychologie. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Abstract

Both (male and female) forms of an interests inventory, the QIP/m and QIP/f, have been completed by twosamples of students in eleventh grade in 2005: one of 200 males and 337 females, the other of 181 males and268 females. Results have been compared with those obtained in 1970. On the one hand appear rises: riseof interests for business occupations; rise of interests for administrative occupations in males (when theseinterests are stable in females) and of interests for home occupations in females (not assessed in males). Onthe other hand appear falls: fall of interests for scientific occupations (especially in females) and for technicaloccupations; fall of interests for occupations close to nature in males (not assessed in females). Variations ininterests for literary, altruistic and sport occupations are inconsistent and differences between genders do notseem notably modified. All these variations are coherent with those elsewhere observed on general interestsand values of students; they seem to follow a global social evolution, but they indicate future discrepanciesbetween expectations of the young and offers of the labour market.© 2008 Société francaise de psychologie. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Évaluation ; Intérêts professionnels ; Orientation professionnelle ; Évolution

Keywords: Assessment; Vocational interests; Vocational guidance (Careers guidance); Evolution

Les « intérêts » désignent « des tendances ou dispositions relativement stables ou durables[. . .] orientées vers différents domaines d’objets [. . .], d’activités et d’expériences vécues dans unmilieu culturel donné » (Dupont et al., 1979, p. 11). Ils ont été l’objet d’études diverses centrées,pour l’essentiel, sur le devenir scolaire, universitaire puis professionnel des personnes. Il s’agissaitinitialement d’anticiper le comportement ultérieur des jeunes en matière de choix d’orientation etde fournir au conseiller des éléments pour une recommandation. Maintenant, il s’agit plutôt d’aiderla personne à élaborer une représentation de soi comportant des descripteurs professionnels etainsi de « l’armer » pour ses propres décisions actuelles et futures.

Parmi les formulations opérationnelles des intérêts (exprimés, manifestés, testés et inventoriés)c’est celle des questionnaires, ou « inventaires », qui a été la plus utilisée. Les inventaires peuventutiliser des stimulus verbaux : principalement des descriptions d’activités (professionnelles ounon) et des noms de métiers, mais aussi divers autres objets (des noms de personnages célèbres,par exemple) ; ils utilisent aussi des stimulus non verbaux, comme des dessins ou des photos. Cesstimulus sont souvent présentés sur un support papier mais aussi, de plus en plus fréquemment,à l’aide d’un ordinateur (Vrignaud et Bernaud, 2005, pp. 162–172).

De fait, tant dans les outils d’évaluation des intérêts que dans les théories sur lesquelles ilss’appuient, on n’établit habituellement pas de relations « directes » entre personnes et professionsmais on installe des « construits intermédiaires ». Ces construits ont d’abord été surtout formulésen « dimensions » d’intérêts professionnels (Larcebeau, 1967, par exemple), ils le sont mainte-nant aussi en « types », à la fois personnels et professionnels, sous l’influence des propositionsde Holland (1985). Une approche en dimensions suppose une variation continue du construit,appelle l’usage d’une échelle d’intervalle, attribue aux personnes des scores d’intérêts (littérairesou artistiques, par exemple) : elle est précise et rigoureuse, mais ses résultats sont souvent difficilesà mémoriser et à intégrer. Une approche en types suppose une variation qualitative du construit,appelle l’usage d’une échelle nominale, attribue aux personnes des qualificatifs (réaliste ou inves-

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tigatif, par exemple) : elle est plus globale et intuitive, mais ses résultats peuvent être d’autantplus aisément intégrés que, d’une part, ces types sont en nombre restreint et que, d’autre part, destechniques spécifiques ont été élaborées pour maximiser ces processus : on peut voir notammentHexanime (Loss et Bernaud, 1995) qui s’adresse à des groupes et vise à l’apprentissage d’uneméthode d’exploration et de décision appuyée à la typologie de Holland (1985).

Le fort développement de l’évaluation des intérêts à l’aide de questionnaires tient àdivers facteurs, comme leur facilité d’utilisation, leur potentiel aspect ludique, les faiblescontraintes psychologiques qu’ils imposent au sujet ou la possibilité qu’ils offrent auconseiller de procéder à des évaluations collectives ; il tient aussi à leurs qualités métro-logiques : une fidélité habituellement élevée (Prediger, 1998, par ex.) et une validitéprédictive généralement satisfaisante, même si elle a pu être surestimée (Spokane et al.,2000).

Les déterminants, ou les facteurs de variabilité, des intérêts ont été bien étudiés.Au premier rang de ces déterminants vient le genre : les différences intersexes sont bien

connues, indiscutables et si importantes qu’il est nécessaire de différencier selon les sexesl’intensité des intérêts voire, parfois, leur nature et leur structure. Botteman et al. (1997) opposentdes intérêts relativement plus « masculins », pour la mécanique ou pour le plein air, à des intérêtsrelativement plus « féminins », pour le service social ou pour le travail de bureau. Des différencesstructurelles ont été décrites : on a, par exemple, dégagé par analyse factorielle une dimension de« soin » qui serait spécifique aux femmes (Lapan et al., 1990).

Les traits de personnalité entretiennent avec les intérêts des liens logiquement compréhensiblesmais généralement très faibles, dépassant rarement 0,30. Ces liens peuvent être concus comme desimples concomitances (Larson et al., 2002) ou comme les effets de l’organisation (causale) de lapersonnalité sur les intérêts : par exemple, la structuration hexagonale ou circulaire des types deHolland serait déterminée par l’importance de deux dimensions de personnalité, la sociabilité et leconformisme (Rounds et Tracey, 1993). Aptitudes et compétences entretiennent, elles aussi, desliens cohérents et faibles avec les intérêts. Pour Strong (1943) l’intérêt pour une activité naît dela performance à cette activité, et la performance est sous l’influence de l’aptitude. Les relationsentre intérêt et performance sont concues à l’inverse dans la théorie sociocognitive de Bandura(Betz, 2000) : pour qu’une personne puisse réussir à une tâche, il convient d’abord qu’elle s’y soitintéressée.

Parmi ces déterminants « internes » des intérêts, on a décrit des influences génétiques. Celles-ciseraient assurées (Betsworth et al., 1994), mais peut-être pas les plus intéressantes en psychologieet ce sont surtout les facteurs environnementaux qui ont été envisagés et étudiés. Au nombrede ces déterminants contextuels, on peut compter des déterminants « proches » : famille, école,expériences de loisir, préprofessionnelles ou professionnelles et relations amicales (Vrignaud etBernaud, 2005, chap. 4). Les processus d’élaboration d’un intérêt iraient du simple apprentissageaux régulations complexes du « concept de soi » (Bujold et Gingras, 2000).

À côté de ces déterminants de l’environnement « proche », d’autres plus « distants » ont étéenvisagés. Les différences culturelles ont été étudiées par la comparaison de groupes de personnesde pays différents (Fouad et Dancer, 1992, par ex.) et celle de groupes d’un même pays maisdifférents par leur appartenance sociale ou ethnique (Lattimore et Borgen, 1999).

Pour mieux décrire les effets de ces déterminants plus distants de l’environnement peut-onenvisager un effet de période (ou un effet de cohorte) ? La question de l’évolution générale desintérêts est rarement posée. On dispose de peu d’indications dans ce domaine, même dans lesouvrages récents (Vrignaud et Bernaud, 2005) à l’inverse de l’intelligence dont l’évolution aété bien étudiée (pour une synthèse voir Flieller, 2001). La présente étude est centrée sur deux

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déterminants potentiels : les récentes évolutions professionnelles et l’affaiblissement attendu desreprésentations sexuées de soi et des activités.

Selon Holland (1985), les stéréotypes en matière d’activités professionnelles, sont « vrais » :des professions différentes requièrent des comportements différents, ces différences sont stableset sont percues comme telles. Ces différences sont-elles vraiment stables ? À long terme sansdoute pas : les évolutions du monde du travail lors des trois dernières décennies (qu’on pourraitrapidement caractériser : minimisation de l’emploi dans le secteur primaire, déclin du secondaire,développement des services, tertiarisation de l’ensemble des activités, développement des diversesformes de communication, complexité croissante des tâches, institutionnalisation du temps libre etdes loisirs mais aussi augmentation du chômage, croissance de la précarité, etc.) devrait entraînerune modification isomorphe des intérêts.

Cette évolution générale du monde vocationnel pourrait être également marquée par un relatifeffacement des différences intersexes dans les rôles sociaux. Selon Gottfredson (1981), les pré-férences professionnelles visent à réaliser une représentation de soi qui s’organise précocement,notamment selon le genre. On s’attend donc ici à observer, en cours de scolarité de «lycée », uneffet du genre dans la détermination des préférences professionnelles, même si cet effet a étémodéré par celui d’autres déterminants. Selon Hansen (1988) les différences intersexes d’intérêtsseraient stables dans leur organisation, mais en progressive diminution. L’observation ne sembletoutefois pas systématique : « malgré les changements sociaux [. . .] et malgré les efforts pouréliminer les biais sexuels dans les items des inventaires d’intérêts [. . .], les scores obtenus par leshommes et les femmes à ces inventaires continuent de mettre en relief des profils [. . .] d’intérêtsdifférents » et, selon Tétreau (2005, p. 90).

Ces deux hypothèses ont guidé très généralement plusieurs recherches sur l’évolution desintérêts généraux des élèves de cinquième (Forner et al., 2006a) et de troisième (Forner et al.,2006b), ainsi que des valeurs des lycéens de première (Forner et al., 2007). La présente étude estcentrée sur les intérêts strictement professionnels des lycéens.

1. Première enquête

Deux cents lycéens et 337 lycéennes de classes de « première » ont rempli l’une ou l’autreforme du questionnaire d’intérêts professionnels : QIP/m (à l’intention des garcons) et QIP/f (àl’intention des filles), construites dans le cadre des activités du service de recherche de l’INETOP.par Larcebeau en 1974. Utilisant l’approche ipsative ou relative de Kuder, l’épreuve permet dedéterminer relativement à la moyenne du groupe (de même sexe, de même niveau de formation etde même type d’enseignement suivi), l’importance de l’intérêt pour huit catégories de professions :littéraires (lit), artistiques (art), scientifiques (sci), sportives (spo), altruistes (alt), administratives(adm), techniques (tec) et pour les relations d’affaires (aff). À ces catégories communes aux deuxsexes s’ajoutent deux dernières catégories : celle des professions « au contact de la nature » (nat),spécifique à la forme masculine de l’épreuve, et celle des intérêts de type foyer (foy) spécifiquesà la forme féminine.

Le QIP/m comporte dix items composés chacun de neuf propositions qu’il convient de clas-ser par ordre de préférence décroissant. Par exemple, l’item 1 demande d’ordonner les métierssuivants : archiviste (lit), concertiste (art), biologiste (sci), guide de montagne (spo), rééducateurd’enfants inadaptés (alt), horticulteur – pépiniériste (nat), receveur des contributions (adm), opti-cien (tec), assureur (aff). Pour le QIP/f, les neuf propositions de l’item 1 sont : bibliothécaire (lit),modéliste en haute couture (art), botaniste (sci), entraîneuse sportive (spo), psychothérapeute (alt),professeur de coupe et couture (foy), documentaliste (adm), programmatrice sur ordinateur (tec),

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représentante d’une maison d’édition (aff). Chaque catégorie d’intérêts étant présentée dix fois,les scores bruts peuvent varier de « 10 » (intérêt maximum) à « 90 » (intérêt minimum).

Ce questionnaire a été construit pour les élèves des classes de première et des classes terminalesde lycée et étalonné sur des groupes d’élèves suivant un enseignement : – littéraire ou économiqueet social (A ou B en 1970 ; L ou ES en 2005), – scientifique (C ou D en 1970 ; S en 2005), –scientifique et technique (E en 1970), sans équivalent en 2005. L’étude porte sur l’évolution desintérêts des élèves des deux premiers types d’enseignement que l’on abrégera en « littéraire »d’une part, « scientifique » d’autre part. Les données ont été recueillies dans quatre lycées del’académie de Lille.

La consigne était identique à l’originale : « vous venez de recevoir un questionnaire imprimérecto–verso. Celui-ci comporte dix grilles accompagnées chacune d’une lettre (A–J). Dans chaquegrille, il y a neuf noms de professions. Vous devez classer par ordre de préférence ces professionsen les numérotant de un à neuf ; un correspondant à la profession que vous préférez. Répondezde manière spontanée et sans tenir compte du salaire, du prestige et de vos aptitudes ».

Les traitements des données ont été effectués à l’aide du logiciel SPSS.

1.1. Résultats

1.1.1. Les qualités psychométriques actuelles de l’épreuve1.1.1.1. Sensibilité. Les caractéristiques des échelles figurent en annexes A (garcons) et B (filles).Les scores théoriquement observables sont presque tous pratiquement observés. La normalité desdistributions a été vérifiée par le test Z de Kolmogorov-Smirnov : celui-ci ne s’avère (faiblement)significatif que dans deux cas (sur 18) qui pourraient être aléatoires.

1.1.1.2. Fidélité (homogénéité). Elle est globalement bonne : les coefficients α varient de 0,68 à0,85 avec une médiane de 0,79 pour les garcons et de 0,63 à 0,83 avec une médiane de 0,71 pourles filles (voir annexe C). Ces valeurs pourraient être améliorées par la suppression d’items qui nesont pas, ou plus, en corrélation suffisante avec le score total de leur échelle. Bien que les indicesd’homogénéité soient parfois un peu faibles, l’hypothèse d’unidimensionnalité des échelles nesemble pas devoir être remise en cause et l’homogénéité est considérée suffisante pour comparerdes groupes.

1.1.2. L’évolution des intérêts professionnelsLa signification de la différence a été appréciée par le test t de Student pour échantillons

indépendants. L’importance de l’effet a été appréciée par la différence des moyennes de 1970(m′) et de 2005 (m′′) rapportée à l’écart-type de 1970 (s′), soit : d = (m′ − m′′)/s′.

Il apparaît, très globalement, trois groupes d’intérêts :

• ceux qui régressent : intérêts pour les professions scientifiques, techniques et au contact avecla nature et – peut-être – pour les professions littéraires ;

• ceux qui sont à peu près stables : intérêts pour les professions altruistes et sportives ;• ceux qui progressent : intérêts pour les professions d’affaires, pour les professions administra-

tives (chez les garcons), pour les professions de type foyer et pour les professions artistiques.

1.1.3. L’évolution des différences intersexes entre 1970 et 2005Garcons et filles ne répondant pas strictement aux mêmes items dans ces questionnaires, il

est impossible de procéder à des comparaisons de leurs scores moyens. Pourtant on considère

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habituellement que – même si les outils de mesure sont différents – les faits sous-jacents (lescatégories d’intérêts) qu’ils apprécient sont comparables (à l’exception des professions prochesde la nature et de celles de type foyer). Si l’on ne peut donc pas mesurer les différences desévolutions des garcons et des filles, il reste justifié de comparer leur sens de variation, i.e., le scoredes garcons et celui des filles varient-ils de manière concordante (tous deux en hausse ou tousdeux en baisse) ou discordante (l’un en hausse et l’autre en baisse) ?

Si l’on s’en tient à ce seul critère de covariation, on peut comparer pour un même intérêtles signes des évolutions des filles et des garcons (Tableau 1, dernière colonne). On note quel’évolution pourrait être divergente :

• pour la catégorie des professions sportives, qui semblent maintenant davantage attirer lesgarcons et moins attirer les filles ;

• pour la catégorie des professions administratives, qui paraissent maintenant plus attirantes auxgarcons sans qu’il y ait d’évolution pour les filles. On doit surtout observer que la tendancegénérale de l’évolution de ces différences semble une covariation.

2. Deuxième enquête

L’enquête a été répliquée auprès d’un échantillon de 181 lycéens et 248 lycéennes de classesde première d’un lycée de l’académie de Lille et d’un autre de l’académie de Nancy-Metz. Lesconditions de passation de l’épreuve et les traitements des données ont été analogues à ceux dela première étude.

2.1. Résultats

2.1.1. L’évolution des intérêts (voir Tableau 2)Comme précédemment on observe :

• la baisse des intérêts pour les professions scientifiques, les professions techniques et celles aucontact de la nature ;

• la stabilité des intérêts pour les professions altruistes et les professions sportives ;• la hausse des intérêts pour les professions d’affaire, les professions administratives (garcons),

les professions de type foyer (filles) et les professions artistiques.

2.1.2. L’évolution des différences intersexesSi l’on s’en tient au seul critère de covariation précédent et si l’on compare pour un même

intérêt les évolutions des filles et des garcons (voir la dernière colonne du Tableau 2), on observeque les différences intersexes se maintiennent.

Lors de la première enquête, des différences intersexes d’évolution avaient été envisagées pourles professions sportives et – surtout – pour les professions administratives :

• pour les premières, l’hypothèse d’une évolution différenciée semble se confirmer : augmenta-tion chez les garcons, diminution chez les filles ;

• pour les secondes (professions administratives), la différence d’évolution semble patente. Ondoit toutefois noter un biais potentiel : les professions administratives présentées aux garconscorrespondent souvent à des responsabilités élevées, un fort niveau de qualification et uneimportante rémunération (receveur des contributions, banquier, administrateur d’une société,

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ratiquespsychologiques

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Tableau 1Moyennes (écarts-types) et effectifs des intérêts professionnels selon le genre et l’enseignement suivi en 1970 et 2005, signification et taille de l’effet

Intérêts pour les métiers Genre Section Moyenne (écart-type) effectif Test t Seuil Taille de l’effet

1970 2005

Au contact de la nature G Littéraire 55,2 (15,0) 112 62,0 (15,0) 75 3,04 p < 0,01 −0,45Scientif. 48,2 (15,1) 123 56,2 (14,9) 125 4,20 p < 0,01 −0,53

Techniques G Littéraire 59,0 (14,3) 112 55,6 (11,1) 75 1,74 N.S. +0,24Scientif. 38,3 (11,7) 123 42,6 (11,4) 125 2,93 p < 0,01 −0,37

F Littéraire 55,3 (11,5) 206 56,7 (10,2) 197 1,29 N.S. −0,12Scientif. 44,9 (12,9) 158 48,8 (11,4) 140 2,75 p < 0,01 −0,30

Scientifiques G Littéraire 53,3 (14,3) 112 55,6 (11,9) 75 1,15 N.S. −0,16Scientif. 36,5 (13,7) 123 40,3 (13,8) 125 2,18 p < 0,01 −0,28

F Littéraire 51,2 (14,2) 206 62,1 (11,6) 197 8,42 p < 0,01 −0,77Scientif. 36,7 (11,8) 158 42,7 (12,0) 140 4,35 p < 0,01 −0,68

Littéraires G Littéraire 39,0 (15,4) 112 46,9 (16,3) 75 3,36 p < 0,01 −0,51Scientif. 60,4 (13,9) 123 60,8 (14,3) 125 0,22 N.S. −0,03

F Littéraire 44,9 (13,7) 206 47,0 (15,8) 197 1,43 N.S. −0,15Scientif. 54,1 (13,5) 158 54,5 (14,3) 140 0,25 N.S. −0,03

Altruistes G Littéraire 44,7 (15,1) 112 48,7 (13,2) 75 1,87 N.S. −0,26Scientif. 55,0 (13,7) 123 55,0 (11,3) 125 0,00 N.S. ±0,00

F Littéraire 39,6 (13,1) 206 38,2 (12,5) 197 1,10 N.S. +0,11Scientif. 37,1 (12,8) 158 38,2 (11 8) 140 0,77 N.S. −0,09

Sportifs G Littéraire 44,7 (17,3) 112 40,8 (17,8) 75 1,49 N.S. +0,23Scientif. 39,6 (16,3) 123 39,0 (16,8) 125 0,29 N,S. +0,04

F Littéraire. 49,7 (15,3) 206 54,0 (12,6) 197 3,07 p < 0,01 −0,28Scientif. 51,3 (15,4) 158 53,8 (14,6) 140 1,43 N.S. −0,16

Artistiques G Littéraire 45,8 (16,4) 112 49,3 (12,9) 75 1,55 N.S. +0,21Scientif. 57,7 (14,3) 123 53,4 (13,4) 125 2,44 p < 0,02 +0,30

F Littéraire 50,7 (13,0) 206 50,6 (11,9) 197 0,08 N.S +0,01Scientif. 54,8 (13,7) 158 46,8 (12,0) 140 5,33 p < 0,01 +0,58

De type foyer F Littéraire 54,5 (13,4) 206 46,9 (11,0) 197 6,21 p < 0,01 +0,57Scientif. 55,0 (14,8) 158 49,1 (11,4) 140 3,82 p < 0,01 +0,40

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Tableau 1 (Suite )

Intérêts pour les métiers Genre Section Moyenne (écart-type) effectif Test t Seuil Taille de l’effet

1970 2005

Administratifs G Littéraire 55,9 (16,2) 112 49,5 (13,6) 75 2,82 p < 0,01 +0,40Scientif. 59,8 (14,1) 123 54,9 (12,9) 125 2,86 p < 0,01 +0,35

F Littéraire 55,4 (13,3) 206 55,7 (12,2) 197 0,24 N.S −0,02Scientif. 60,3 (12,8) 158 60,5 (12,1) 140 0,14 N.S −0,02

D’affaire G Littéraire 50,1 (14,7) 112 41,6 (14,8) 75 3,87 p < 0,01 +0,58Scientif. 54,9 (13,0) 123 47,8 (12,8) 125 4,33 p < 0,01 +0,55

F Littéraire 49,2 (11,5) 206 42,7 (10,9) 197 5,82 p < 0,01 +0,57Scientif. 56,0 (10,7) 158 51,9 (11,5) 140 3,19 p < 0,01 +0,38

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Y.Forneretal./P

ratiquespsychologiques

14(2008)

223–236231

Tableau 2Deuxième étude : moyennes (écarts-types) et effectifs des intérêts professionnels selon le genre et l’enseignement suivi en 1970 et 2005, signification et taille de l’effet

Intérêts pour les métiers Genre Section Moyenne (écart-type) effectif Test t Seuil Taille de l’effet

1970 2005

Au contact de la nature G Littéraire 55,2 (15,0) 112 61,2 (14,2) 59 2,53 p < 0,02 −0,40Scientif. 48,2 (15,1) 123 59,0 (13,1) 122 5,98 p < 0,01 −0,73

Techniques G Littéraire 59,0 (14,3) 112 54,1 (11,7) 59 2,26 p < 0,05 +0,34Scientif. 38,3 (11,7) 123 44,3 (11,7) 122 4,01 p < 0,01 −0,51

F Littéraire 55,3 (11,5) 206 58,3 (9,5) 59 1,83 N.S. −0,26Scientif. 44,9 (12,9) 158 49,2 (9,8) 98 2,81 p < 0,01 −0,33

Scientifiques G Littéraire 53,3 (14,3) 112 54,1 (14,5) 59 0,35 N.S. −0,06Scientif. 36,5 (13,7) 123 40,0 (13,3) 122 2,03 p < 0,01 −0,26

F Littéraire 51,2 (14,2) 206 61,2 (11,4) 150 7,12 p < 0,01 −0,70Scientif. 36,7 (11,8) 158 40,6 (12,4) 98 2,52 p < 0,01 −0,33

Littéraires G Littéraire 39,0 (15,4) 112 49,1 (17,8) 59 3,86 p < 0,01 −0,66Scientif. 60,4 (13,9) 123 59,6 (13,2) 122 0,46 N.S. +,06

F Littéraire 44,9 (13,7) 206 47,4 (15,5) 150 1,61 N.S. −0,18Scientif. 54,1 (13,5) 158 55,1 (14,0) 98 0,27 N.S. −0,07

Altruistes G Littéraire 44,7 (15,1) 112 45,5 (12,1) 59 0,35 N.S. +0,05Scientif. 55,0 (13,7) 123 54,2 (11,9) 122 0,49 N.S. +0,06

F Littéraire 39,6 (13,1) 206 43,5 (10,9) 150 2,97 p < 0,01 −0,30Scientif. 37,1 (12,8) 158 38,8 (11,4) 98 1,08 N.S. −0,13

Sportifs G Littéraire 44,7 (17,3) 112 40,0 (17,4) 59 1,69 N.S. +0,27Scientif. 39,6 (16,3) 123 39,0 (16,8) 122 0,28 N.S. +0,04

F Littéraire 49,7 (15,3) 206 52,9 (15,0) 150 1,97 p < 0,05 −0,21Scientif. 51,3 (15,4) 158 53,6 (15,2) 98 1,17 N.S. −0,15

Artistiques G Littéraire 45,8 (16,4) 112 51,6 (15,1) 59 2,26 p < 0,05 −0,35Scientif. 57,7 (14,3) 123 53,7 (11,7) 122 2,40 p < 0,02 +0,28

F Littéraire 50,7 (13,0) 206 46,8 (12,3) 150 2,86 p < 0,01 +0,30Scientif. 54,8 (13,7) 158 50,3 (12,4) 98 2,65 p < 0,01 +0,33

De type foyer F Littéraire 54,5 (13,4) 206 47,2 (10,2) 150 5,60 p < 0,01 +0,54Scientif. 55,0 (14,8) 158 50,4 (12,2) 98 2,58 p < 0,01 +0,31

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232Y.Forner

etal./Pratiques

psychologiques14

(2008)223–236

Tableau 2 (Suite )

Intérêts pour les métiers Genre Section Moyenne (écart-type) effectif Test t Seuil Taille de l’effet

1970 2005

Administratifs G Littéraire 55,9 (16,2) 112 50,5 (13,0) 59 2,21 p < 0,05 +0,33Scientif. 59,8 (14,1) 123 53,8 (13,1) 122 3,45 p < 0,01 +0,43

F Littéraire 55,4 (13,3) 206 58,6 (10,6) 150 2,44 p < 0,02 −0,24Scientif. 60,3 (12,8) 158 62,9 (11,3) 98 1,65 N.S. −0,20

D’affaire G Littéraire 50,1 (14,7) 112 43,7 (14,6) 59 2,71 p < 0,01 +0,44Scientif. 54,9 (13,0) 123 45,4 (12,9) 122 5,74 p < 0,01 +1,21

F Littéraire 49,2 (11,5) 206 43,2 (10,9) 150 4,97 p < 0,01 +0,52Scientif. 56,0 (10,7) 158 49,3 (11,0) 98 6,98 p < 0,01 +0,63

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Y. Forner et al. / Pratiques psychologiques 14 (2008) 223–236 233

secrétaire général d’une entreprise, etc.). À l’inverse, les professions administratives présentéesaux filles se limitent davantage à des fonctions d’exécution (documentaliste, secrétaire de direc-tion, intendante d’un établissement scolaire, secrétaire bilingue, etc.). On ne peut strictementconclure à l’une ou l’autre hypothèse : évolution différenciée selon le sexe d’une part, recherchecroissante du pouvoir administratif et décroissante de l’exécution administrative d’autre part.

Les autres biais seront envisagés dans la discussion.

2.2. Discussion

Baisse des intérêts pour les professions scientifiques, techniques et proches de la nature ; haussedes intérêts pour les professions d’affaire, des intérêts pour les professions administratives chezles garcons et des intérêts des professions de type « foyer » chez les filles ; maintien des différencesintersexes. Que ce soit dans une optique de progrès général des idées ou d’égalisation des rôlesattribués aux deux sexes, le constat global n’est guère enthousiasmant !

On pourrait le contester en évoquant divers biais d’évaluation.L’explication d’une différence intergroupe peut en effet procéder de deux grandes attitudes :

soit l’acceptation a priori de la réalité de cette différence, soit le rejet a priori en invoquant desbiais de mesure, chaque attitude menant à évoquer des processus différents.

On pourrait d’abord évoquer des biais très généraux dus au matériel, qui remettraient en causel’idée d’unicité du processus de détermination des préférences entre 1970 et 2005 ou entre lesfilles et les garcons. Ainsi, devant cette même tâche, les participants de 1970 auraient été ensituation réaliste et ceux de 2005 en situation non réaliste. De fait les uns et les autres étaienten situation irréaliste du simple fait de la consigne : « [. . .] Répondez de manière spontanée etsans tenir compte du salaire, du prestige et de vos aptitudes ». On pourrait dire, de même, queproposer des questionnaires différents selon le sexe aurait été acceptable en 1970 mais choquanten 2005. De fait, d’un point de vue de validité de facade, l’utilisation d’un questionnaire uniqueest souhaitable – même si elle conduit à des modifications du sens du questionnaire – mais pour laprésente étude l’utilisation d’une telle forme unisexe ne pouvait évidemment pas être envisagée.L’invocation de tels biais relève un peu de la pétition de principe et ne s’appuie sur aucune donnéeobjective.

Les biais de contenu seraient très voisins des précédents. Par exemple, pour certaines échelles,des items adaptés il y a trois décennies seraient devenus obsolètes. La catégorie des métiers de typefoyer serait particulièrement désuète par son principe comme par ses items (citons : « professeurde coupe et de couture, jardinière d’enfants ou première dans une maison de couture ») et devrait serévéler particulièrement peu attirante ; pourtant le score moyen sur cette catégorie s’est clairementélevé ! À l’inverse, les activités au contact de la nature devraient être à l’ordre du jour : les intitulésde cette catégorie (citons : « exploitant agricole, viticulteur ou ingénieur agronome ») gardenttoute leur actualité et les préoccupations écologiques devraient rendre ces activités encore plusattrayantes ; pourtant les intérêts professionnels correspondants sont en très forte baisse !

Les biais d’échantillonnage sont sans doute plus importants. On peut en considérer deux : lepremier porterait sur les différences entre les échantillons des deux passations. On ne connaît pas,par exemple, l’origine géographique des jeunes interrogés en 1970 et il est probable qu’elle diffèrede celle de 2005. On peut pourtant répondre que cette variable n’a pas fait l’objet d’études montrantson importance dans la détermination des intérêts. Le second biais porterait sur les populationsd’origine de 1970 et de 2005 ; la population des lycéens n’est pas la même parce que l’accès d’une

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classe d’âge au niveau du baccalauréat était de l’ordre de 10 % à la fin des années 1950, de 30 %au début des années 1970 et de 70 % actuellement. C’est un fait, mais est-ce pour autant un biais ?Quoi qu’il en soit, une étude déjà citée (Forner et al., 2006a) portant sur l’évolution des intérêts desélèves de cinquième de collège aboutissait à des résultats très voisins et, que ce soit actuellementou il y a trente ans, la classe de cinquième était suivie par la quasi-totalité des élèves. Certainsintérêts étaient en baisse : scientifiques et pour la nature (« ceux qui nécessitent relativementmoins de contacts humains et qui inscrivent l’activité dans une certaine perspective temporelle »),d’autres étaient en hausse : ceux qui « correspondent, d’une part, à une possibilité de contactsqu’ils soient plutôt altruistes (intérêts « sociaux ») ou plus intéressés (intérêts « commerciaux »)et, d’autre part, à une orientation vers les loisirs (intérêts « artistiques ») ». Des observationscomparables étaient relevées en classe de troisième et les conclusions quasi-identiques : « baissedes intérêts correspondant à un investissement personnel autonome inscrit dans une perspectivetemporelle (intérêts scientifiques et pour la nature) », « hausse des intérêts correspondant à despossibilités de communication immédiate, lors de contacts humains plutôt intéressés (intérêtspour les relations d’affaire et, particulièrement pour les garcons, intérêts commerciaux et intérêtsaltruistes) ».

L’observation d’une forte résistance de la répartition des intérêts professionnels moyens desgarcons et des filles semble conforter les conceptions de Gottfredson ; elle paraît décevante pourles attentes des pouvoirs publics, mais cohérente avec des observations également réalisées dansles études signalées ci-dessus (Forner et al., 2006) où les évolutions des intérêts des filles et desgarcons semblent au mieux parallèles, voire plutôt légèrement divergentes. Plus précisément,Forner et al. montraient entre 1978 et 2004 l’augmentation de la différence intersexes sur lesintérêts (non professionnels) littéraires, artistiques, scientifiques et sportifs et la diminution de ladifférence sur les intérêts altruiste, commerciaux, pratiques et pour la nature. Ils remarquaient queles premiers correspondent à des matières enseignées au collège, tandis que les seconds sont –relativement – plus étrangers au système éducatif. Sans débattre la question du rôle de l’école ence domaine (Crée-t-elle les différences ? Les accentue-t-elle ? Se contente-t-elle de les révéler ?),on peut noter que les présentes données vont en ce même sens.

Au-delà de biais éventuels, on peut craindre un manque d’adéquation des attentes profession-nelles des jeunes avec, d’une part, les possibilités de formation de l’enseignement postbaccalauréatet, d’autre part, les offres du marché de l’emploi. On peut certes se féliciter de voir certaines évolu-tions qui semblent suivre l’évolution sociale, comme le net progrès des intérêts pour les professionsimpliquant des relations d’affaire, qui pourraient être amenées à se développer (voir, plus généra-lement, le rapport de la DARES, 2007). On peut aussi considérer positive la nette désaffection desprofessions au contact de la nature, qui depuis longtemps ne peuvent plus fournir d’emplois peuqualifiés, sinon saisonniers. Encore faudrait-il que cette tendance ne décourage pas l’orientationvers des activités qui émergent dans ce domaine et qui exigent un niveau élevé et spécifique deformation.

Il est, en revanche, plus inquiétant, de voir décroître nettement les intérêts pour les métiers tech-niques qui ne se résument pas aux activités industrielles (avec des professions comme « opticien »ou « géomètre-topographe ») et l’on ne peut que confirmer une autre baisse, celle des intérêtsscientifiques des jeunes (Ourisson, 2002).

Pour ces jeunes, un travail d’information et d’élaboration des intérêts spontanés s’impose, carl’évolution des intérêts professionnels depuis une trentaine d’année montre soit qu’ils auront desdifficultés à parvenir à exercer les professions qui les intéressent actuellement, soit qu’ils aurontà faire un effort pour s’adapter à des professions qui ne les intéressent pas – ou pas encore. Cesdeux exigences d’adaptation ne sont pas nouvelles ; visiblement, elles ne vont pas décroître.

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Y. Forner et al. / Pratiques psychologiques 14 (2008) 223–236 235

Annexe A

Caractéristiques des variables du QIP/m (n = 200 garcons).

Intérêts pourles métiers

Minimum Maximum Moyenne Écart-type Asymétrie Aplatissement Normalité(Kolmogorov-Smirnov)

Littéraires 13 85 55,59 16,53 −0,46 −0,65 1,27 (n.s.)Artistiques 16 85 51,85 13,36 −0,21 −0,58 0,95 (n.s.)Scientifiques 15 76 46,05 15,04 −0,12 −0,86 1,01 (n.s.)Sportifs 10 79 9,71 17,17 0,34 −0,85 1,11 (n.s.)Altruistes 22 83 52,66 12,25 −0,16 −0,49 0,90 (n.s.)Près de la nature 14 86 58,35 15,13 −0,62 −0,05 1,59 (p < 0,05)Administratifs 19 79 52,89 13,39 −0,14 −0,72 1,02 (n.s.)Techniques 19 76 47,45 12,90 0,11 −0,59 0,85 (n.s.)D’affaire 14 82 45,46 13,87 0,00 −0,29 0,49 (n.s.)

Annexe B

Caractéristiques des variables du QIP/f (n = 337 filles).

Intérêts pourles métiers

Minimum Maximum Moyenne Écart-type Asymétrie Aplatissement Normalité(Kolmogorov-Smirnov)

Littéraires 13 85 50,10 15,60 −0,16 −0,70 1,16 (n.s.)Artistiques 11 76 48,35 12,03 −0,11 −0,35 1,08 (n.s.)Scientifiques 16 81 54,04 15,13 −0,25 −0,77 1,48 (p < 0,05)Sportifs 14 88 53,93 13,47 −0,01 −0,40 0,63 (n.s.)Altruistes 13 74 38,23 12,22 0,48 −0,03 1,27 (n.s.)Près de la nature 18 83 47,80 11,20 0,09 −0,24 0,78 (n.s.)Administratifs 16 87 57,65 12,35 −0,29 −0,04 0,87 (n.s.)Techniques 21 77 53,39 11,42 −0,41 −0,35 1,14 (n.s.)D’affaire 18 77 46,51 12,03 0,12 −0,38 0,76 (n.s.)

Annexe C

Fidélités des échelles : coefficients � de Cronbach (n′ = 200 garcons ; n′′ = 337 filles).

Échelles d’intérêts pour les métiers Garcons Filles

Littéraires 0,85 0,83Artistiques 0,74 0,66Scientifiques 0,79 0,78Sportifs 0,85 0,70Altruistes 0,68 0,71Proches de la nature (G) 0,85De type foyer (F) 0,63Administratifs 0,79 0,74Techniques 0,75 0,66D’affaires 0,79 0,71

Page 14: L’évolution des interêts professionnels des lycéens de classe de première : 1970–2005

236 Y. Forner et al. / Pratiques psychologiques 14 (2008) 223–236

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