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L'EXCEDENT DANS LE TAKAFUL 28/02/2015 Question du partage de l'excédent dans les produits du Takaful D’après une étude de Sheikh Younes Soualhi Par Thibaut Rouillon ا ا

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L'EXCEDENT DANS LE TAKAFUL

28/02/2015 Question du partage de l'excédent dans les produits du Takaful

D’après une étude de Sheikh Younes Soualhi

Par Thibaut Rouillon ا���ا�� ����

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Table des matières

DISTRIBUTION DE L’EXCEDENT : PRINCIPES ET IDEES ...................................... 3

Différenciation du « Profit » de « l’Excédent » ............................................................................. 3

Modes de distribution de l’excédent ................................................................................................... 6

Mudharabah modifiée à la Wakalah modifiée .................................................................................. 8

Principes islamiques de distribution du surplus ............................................................................. 10

Cas du Hibat al-Thawab ................................................................................................................... 12 Nahd , motif de répartition de l'excédent exclusivement aux Participants ............................. 13 Partage de l’excédent, sorte de prise injustifiée du bien d’autrui ? ......................................... 14 Distribution équitable de l’excédent VS Distribution arbitraire ................................................. 15

CAS CONCRETS A TRAVERS LE MONDE ................................................................ 17

Le cas Saoudien ..................................................................................................................................... 17

L’expérience Malaisienne ................................................................................................................... 18

CONCLUSION ................................................................................................................. 21

GLOSSAIRE ..................................................................................................................... 22

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La distribution du surplus ou de l’excédent est une question importante dans la problématique du Takaful, tant dans sa conception financière que juridique, mais également en terme de fonctionnement social.

La vocation finale et substantielle de l’opération Takaful a pour but "Ta’awuni" de l’arabe 3awana, aider, dont la déclinaison implique un dualisme, une binarité, en fait un pluralisme. Cette distinction parait importante à souligner dans la mesure où la confusion règne lorsqu’il s’agit de parler de Takaful, présenté comme un système d’assurance. Or, il convient de distinguer avant toute chose le Takaful (de l’arabe Kafala), s’apparentant en réalité à une situation juridique et de responsabilité, et le Ta’awun, que l’on peut traduire par la coopération ou la mutualité. C’est bien ce concept que l’on peut plus correctement considérer au niveau macro comme une opération d’assurance, le Takaful n’étant que le mécanisme définissant la transaction.

Cette distinction est primordiale quant à l’expertise et l’analyse de la question du Takaful dans le contexte français. En effet, la diffusion contemporaine des produits Takaful s’effectue en majeure partie à l'international dans un contexte de droit anglo-saxon. La particularité du droit français est que la distinction est faite entre une opération d’assurance et une opération de mutualité, ce qui doit de facto et de jure, changer l’angle de vue et de considération autour de la micro-question de Takaful : une composante dans un processus macro appelé Ta’awun, le contenant.

Dans cette étude, nous emploierons par commodité le terme « Takaful » pour parler de l’industrie des produits d’assurance sharia-compilant. Nous préciserons la nuance Takaful/Ta’awun quand cela s’avèrera nécessaire et pertinent.

Cette précision importante faite, il convient à présent d’apporter un éclairage sur la source de divergence mondiale parmi les acteurs de l’industrie Takaful, en tentant d’apporter une réflexion supplémentaire quand à cette question du particularisme français du statut du surplus (ou de l’excédent). Il est à noter que 2 principales visions du statut du surplus sont connues dans la Finance Islamique contemporaine : le modèle Moyen Oriental et le modèle Sud Est Asiatique. Chacun comprenant leurs spécificités.

Dans un premier temps, il sera rappelé les principes généraux sur le sort de l’excédent en Finance Islamique, puis d’en dresser un état des lieux, et enfin d'en déduire quelques pistes de réflexion générale dans le contexte français.

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DISTRIBUTION DE L’EXCEDENT : PRINCIPES ET IDEES

Lors d’un exercice assurantiel, on considère un portefeuille peu sinistré par rapport aux estimations actuarielles initiales. La branche connait peu de sinistre durant l’année de souscription, mais avait perçu les primes de participation basées sur ces estimations, couvrant les frais de sinistres. Ces sinistres n’ont pas eu lieu, l’opérateur Takaful n’a donc pas eu à en payer la totalité, il lui reste donc une somme d’argent ne rentrant pas dans les frais généraux et ne servant pas non plus dans le paiement des sinistres. C’est le Surplus ou l’Excédent.

Du point de vue Shari’a, ainsi que de l’articulation juridique, quel est le statut connu de ce surplus ? On trouve plusieurs réponses convergentes et divergentes du point de la part des savants musulmans et des praticiens, notamment selon la Shari’a mais également en fonction du cadre juridique dans lequel la question est posée.

Dans son étude, Sheikh Younes Soualhi considère que 3 idées doivent être rappelées sur ce point :

• les concepts, • les modes,

• l'évolution récente de la Mudharabah au modèle de Wakalah1

Différenciation du « Profit » de « l’Excédent » Afin de clarifier dans l’esprit du lecteur ce qui relève de l’opération assurantiel elle-même et ce qui relève de l’opération commerciale, il convient d’en définir la nuance pour éviter toute confusion et appréhender au mieux les enjeux liés aux considérations encadrant « l’excédent ».

Couramment, on distingue rarement la notion d’excédent de celle de profit (ou bénéfice). En effet, il s’agit, pour l’individu, de la part dégagée par l’activité qui le concerne. Pour le consommateur comme le technicien, le profit est simplement le but recherché alors que l’excédent, lui, est un état qui est la matérialisation de ce qui définira le profit. Dans le cadre de l’assurance, l’excédent caractérise le profit, qui revient à la société d’assurance.

Dans la mutuelle, le distinguo est plus pertinent dans la mesure où l’excédent caractérise aussi un profit, mais ce profit qui appartient de jure à la mutuelle « personne morale », appartient aussi de facto aux « sociétaires » qui sont également les « clients ».

1 Soualhi, Younes (2009) Shari'ah inspection of surplus distribution in Takaful operations. In: IIiBF Series in Islamic Banking and Finance: 1. IIUM Institute of Islamic Banking and Finance, Kuala Lumpur, pp. 125-151. ISBN 9789834456801

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Du point de vue Takaful, la distinction s’opère selon le modèle Sharia-Compliant adopté par l’opérateur :

• Pendant longtemps, le modèle malaisien Mudharabah parlait de « profit » pour définir l’excédent de souscription c'est-à-dire ce qui reste de l’assiette de prime après paiement des sinistres, auquel il ajoutait les profits liés à l’investissement du Mudharabah. Cette configuration permit à l’opérateur de dégager initialement un retour sur l’investissement sans avoir à partager l’excédent de souscription dégagé lors de l’exercice assurantiel par un « captage » de l’excédent en tant que « profit ».

C’est le modèle Mudharabah modifié qui justifia le partage de cet excédent de souscription. Le but est de permettre à l’opérateur de disposer de plus d’aisance financière, entre autre de liquidité mais surtout de capacité, afin de rester compétitif au niveau du pricing et d'éviter une désertion des participants Takaful; Désertion au profit des produits d’assurance conventionnelle2, moins chers, avec une antériorité financière plus ancienne donc des possibilités plus larges de modulation des prix.

Ce procédé se justifie par le fait qu’il n’y a rien de connu dans la Shari'a qui interdit un tel partage d’excédent. Ce point sera détaillé plus loin dans le document.

• Du point de vue du modèle Wakalah, modèle choisi dans la plupart des pays du Moyen Orient, on a affaire à une dynamique juridique ayant d’autres implications. On différencie ici ce qui relève de l’exercice de souscription, c'est-à-dire l’excédent des primes sur les sinistres et les rendements

2 Muhammad Obeidullah, Islamic Financial services (Jeddah: Islamic Economics Research Center, King Abdul Aziz University, n.d), p.133.

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en investissement du fond de Tabarru’3. S’opère donc une autre distinction fondamentale, celle réalisée sur le « bénéfice ». Il s’agit des rendements positifs liés au placement de l’opérateur Takaful, autorisés à être partagé sur une base définie contractuellement.

L’excédent ne peut être partagé :

• il est restitué aux participants l’année suivante après l’exercice assurantiel,

• il est utilisé pour établir de nouvelles réserves qui serviront potentiellement à répondre à l’impératif de solvabilité en cas de sinistre mais également au financement de nouveaux produits ou de nouvelles branches,

• il est utilisé pour faire baisser le montant de la prime à la souscription suivante. C’est également le cas en droit français, pour une mutuelle, dont l’excédent permet de maintenir, voire faire baisser le coût des adhésions et de rester compétitif au niveau tarifaire.

L’un des principaux reproches fait couramment à ce modèle est sa modélisation qui incite à mettre l’accent sur le nombre de souscriptions au détriment de la qualité de celle-ci. Cela ne permet pas de pouvoir conserver un fond à long terme si les risques souscrits ne sont pas qualitatifs et la tenue de la souscription négligée.

L’AAOIFI, quant à elle, précise cette norme dans ses standards :

5/5 It is permissible for the policy to contain a provision to deal with the underwriting surplus according to maslaha4, as stated in the terms of the policy, such as the establishment of reserves, the reduction of prices, donating to charities, or distributing it or a part thereof to the participants, provided the Takaful operator does not share in it.

On peut noter que ce standard de l’AAOIFI va à l’encontre des choix conséquents du modèle malaisien, correspondant bien plus au modèle Wakalah choisi dans la plupart des pays du Moyen Orient. Ce point sera détaillé plus loin dans le document.

A ce stade, nous avons distingué ce qui dans Takaful relevé de "l’excédent," le résultat positif de l’exercice de souscription (cotisations Totales- couts des sinistres) de ce qui relève du "profit", le bénéfice découlant des investissements qui lui se partage et se restitue.

3 Ahmad Zakirullah Mohamed Shaarani : Shariah Contracts : Tabarru` (Charity) Contracts. IBFIM 2011 4 Intérêt public, intérêt général

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Modes de distribution de l’excédent On note à ce jour 3 principales méthodes de distribution du surplus :

• Le pro rata : Ici, qu’il s’agisse de l’excédent et du profit, ou simplement de l’excédent seul, il sera redistribué en proportion de la prime payée par les adhérents (ex : 12% de la prime� 12% de l’excédent). Et ce, sans que soit fait le distinguo entre un compte-client sinistré avec un compte-client non sinistré. On considère uniquement la globalité de l’excédent et la proportion que compte sa cotisation dans la globalité de l’encaissement de cotisation ayant servi à l’exercice assurantiel.

Cette conception est en parfait accord avec l’esprit Ta’awuni de Takaful, où il s’agit de fournir une garantie mutuelle et réciproque en cas de sinistre5. C’est également le choix en terme de politique de redistribution qu’a fait l’Opérateur au Soudan. Ici, on sent l’intérêt "macro" d’une société pour un tel modèle qui, ne relève plus uniquement de la question technico-financière et dont la structure évoque à priori plus le droit des sociétés en France que le droit des assurances. A l’échelle systémique, la vertu d’une telle redistribution peut avoir des effets des plus bénéfiques sur la solidarité au sein d’une corporation mais aussi tout simplement au sein d’un Etat. Il peut s’avérer positive en terme d’apport de souscription car le fait de « prémunir » prenant tout son sens.

• Le modèle sélectif : Il s’agit ici d’un modèle plus connu par les professionnels de l’assurance,

consistant à partager l’excédent uniquement avec les adhérents n’ayant pas connu de sinistre. Il a pour but d’encourager la globalité des adhérents à faire preuve de prudence, de diligence et d'éviter tout sinistre qui pourrait empêcher le dégagement d'un excédent et donc d'engendrer de mauvais résultats sur le fond Takaful auquel ont également adhéré les autres sociétaires.

La terminologue « Sociétaire » prend ici tout son sens car c’est bien de la Sharia que l’on tire le principe de « l’Excédent, propriété des participants au fond ». Ce point de compréhension nous sera très utile si l’on évoque les considérations en terme de droit de la mutualité en France. En effet, les mutualités considèrent les cotisants comme propriétaires du fond détenu par la personne morale qu’est la mutuelle. L’intérêt de chacun, en tant qu’adhérant propriétaire du fond, est qu'il est le moins de sinistres possibles réclamés.

Ce modèle a d’ailleurs une incidence directe sur le principe de Sharia concernant la propriété de l’excédent.

• Le modèle dit « Off setting » ou Compensation (Muqassah): c'est un modèle amélioré du modèle précédent qui est beaucoup plus parlant pour les professionnels de l’assurance conventionnelle, principalement les mutualistes dans le cas français. Ici l’allocation de l’excédent se fait uniquement entre les participants dont le montant des sinistres réclamés est inferieur à leur contribution. Il s’agit ici de tous les participants dont le ratio "sinistre à cotisation" est inferieur à 100% (ou S/P négatif). En d’autres termes, on compense le partage de l’excédent de souscription en fonction du montant du sinistre réclamé6. Ce dernier mode est plus parlant pour les professionnels de l’assurance conventionnelle et notamment pour les mutualistes car il permet un calcul plus précis et efficient du fond Takaful. En outre, il est un mode de redistribution plus juste

5 Ali Muhyiddin al-Qurgaghi, Al-Ta’min al-Islami (Beirut: Dar al-Basha’ir al-Islamiyyah,2006), p.311. See also Fatawa al-Tamin, compiled and edited by Dr.Abdussatar Abu-Guddah and Dr. ‘Izzuddin Khojah (Dallah al-Barrkah). 6 Tobias Frenz & Younes Soualhi “Takaful and Retakaful, Advanced Principles and Practice”. Ed 2010 P.177

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et plus équitable, respectant l’objectif Ta’awuni, objectif ayant constitué et initié le fond Takaful. On peut citer le cas de l’Islamic Insurance Company of Jordan, qui a fait le choix de ce mode de redistribution du surplus. Il est toutefois à noter que pour ce mode, dans le cas où le participant renonce à sa police (son contrat) avant que la répartition de l’excédent ait lieu, il renonce également à son droit sur l’excédent, car il n’est dès lors plus un participant du pool de l’Opérateur.7

Les modes de distribution définis ci-dessus sont Sharia compliant comme le rappelle Sheikh Soualhi. Cela permet aux praticiens sur la base des principes de Maslaha et de ‘urf8 de déterminer le mode de redistribution selon les circonstances, la politique de souscription et en accord avec la vocation de la constitution du fond. En effet, on reverra plus tard que selon le but des initiateurs du fond et celui des adhérents, on peut opter pour différentes souscriptions.

Ces modes sont valables aussi bien pour une branche de produits que pour une politique globale de redistribution. Ainsi, il est possible de faire varier les modes de redistribution selon les différentes branches d’une même compagnie, de la destination de l’établissement du fond et de la souscription. On peut concevoir assez aisément qu’en cas de survenance d'une catastrophe naturelle sur des biens matériels, un participant du fond à destination d’entraide ne soit pas dans la même optique que les autres participants, puisqu’il cherche avant tout à protéger l’intégrité des personnes dont la sienne.

Dans le premier cas, le consommateur cherche surtout la possibilité de protéger son bien matériel ou le remplacer en cas de sinistre, il peut avoir un intérêt en terme de mode redistribution qui diffère complétement du mode de distribution à envisager lorsqu’il s’agit par exemple de cotiser pour assurer un complément de revenu à des travailleurs retraités. La démarche du cotisant n’est donc pas la même selon la branche à laquelle il cotise, le mode de redistribution varie donc dans ce sens, selon l’intérêt qu’a et que cherche le cotisant.

7 Nashmi, 2010, étude précitée 8 « Us et coutume » ou « le convenable ». Considération du droit et habitudes coutumières locales, selon les écoles de Jurisprudence.

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Mudharabah modifiée à la Wakalah modifiée La plupart des opérateurs Takaful en Malaisie ont adopté le modèle de Wakalah après l'utilisation du modèle de Mudharabah pendant plus de deux décennies. Dans ce modèle de Mudharabah, l’opérateur Takaful partage uniquement les retours sur les investissements (le profit), pour lesquel à la fois l’excédent et les profits sont partagés entre l’opérateur et les participants. A celui-ci a succédé le modèle Wakalah que les praticiens ont tenté d’optimiser. Ce modèle Wakalah a subi une modification permettant à l’opérateur Takaful de prendre part au partage de l’excédent. En effet, beaucoup d’opérateur considère comme raisonnable le fait de récompenser un opérateur rétrospectivement par un partage du surplus généré suite à une bonne performance. Evidemment, il est nécessaire de formuler clairement cette pratique afin d’éviter le Gharar dans ce type d’opération.

L’incitation à la performance peut prendre la forme d’un cadeau (Hibah), d’une commission sur la performance (par un contrat de Ju’alah) ou encore être issu d’une renonciation (Tanazul) lorsque les participants renoncent à leur propre droit sur l’excédent9. Une question se pose cependant puisque deux contrats relatifs à la même chose sont fusionnés. Cela n’est pas accepté par tous les savants en cas de violation des principes de forme car cela revient à contourner les principes de Sharia. Cette pratique est cependant très répandue : elle est approuvée par le Conseil National Malaisien de la Sharia et également appliquée en Indonésie où elle est connue sous l’appellation Wakalah bi’l-urjah, la Wakalah avec frais de services. 2 raisons énoncées par les savants, chercheurs et praticiens pour justifier leur refus :

• Le premier est que l’opérateur tire un profit de l’excédent, mais qu’il n’est pas responsable des pertes, comme pourrait l’être un Mudharib. Ainsi la règle des 3P (Partages des Pertes et Profits) est bafouée. Cela implique un système inéquitable et déformé.

• La seconde, plus importante, est la réserve globale de la part de nombreux savants de la Sharia envers le partage de l’excédent provenant du pool des dons, qui appartient aux participants.

Parce ce que cette question des frais incitatifs est un débat entre juristes musulmans, les opérateurs Takaful sont invités à résoudre cette question et à proposer des modèles évitant toute polémique sur ce point. D’ici là, d’autres moyens peuvent être mis en œuvre pour compenser l’application efficace des économies d’échelle, augmenter les frais de Wakalah ou adopter des pratiques plus rentables grâce à la diversification du portefeuille et des investissements.

Reste que les opérateurs optent de plus en plus pour ce modèle, essentiellement pour leur permet d’avoir une part de l’excédent.

Ce modèle de Wakalah modifié, issu du modèle Wakalah classique, est répandu dans le Moyen Orient, qui à l’origine d'exclusion de l’admissibilité de l’opérateur Takaful au surplus10.

Ainsi, l’admissibilité permise par le modèle Wakalah modifié laisse à l’opérateur Takaful la possibilité d’avoir comme retours :

• les frais initiaux à même titre que dans le modèle Wakalah de base,

• ce qui excède du fond des adhérents (excédent),

• excédent sur les résultats des investissements.

9 Tobias Frentz : Takaful and Retakaful, Advenced Practices. 2010 10 Takaful Operational Framework, Bank Negara Malaysia, p.9.

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Du point de vue actuarielle, on comprend assez aisément que le passage au modèle Wakalah modifié ait des implications conséquentes au niveau de l’industrie financière. D’abord, le développement de l’industrie Takaful et Retakaful connaît une croissance certaine qui incite à la diversification des modèles : soit en terme d’innovation (comme la Wakalah modifiée), soit en terme de multiplication des modes de souscription pour optimiser les portefeuilles d’affaires. D’un autre côté, la question de la tarification et de ce que le cadre juridique peut fournir comme aisance contextuelle sont à la fois des conditions incitatives à la diversification des modèles et l’innovation, mais aussi de lourd interrogation n’ayant encore que peu de retour sur les dits modèles. C’est ainsi que dans des pays de droits civils, comme en France, loin des considérations juridiques et contextuelles des pays de Common-Law, la question des lancements de produits Takaful est sujette aux mêmes défis en terme d’innovation. De plus, la quasi-inexistence du moindre retour rend les investisseurs et les acteurs de l’assurance des plus frileux en termes de lancement alors que les chercheurs sont si enthousiastes.

Dans le cas de la Wakalah modifiée, on peut considérer que les prix peuvent être abaissés sur le marché, comme on peut considérer que cette baisse des prix va être compensée par la part récupérée au moment du partage de l’excédent, permis dans cette Wakalah modifiée.

Sheikh Younes Soualhi souligne que l’on peut envisager comme hypothèse que, si le changement conduit à des prix plus compétitifs sur le Marché, l’ensemble du modèle est alors plus proche d’un modèle Ta’awuni, ou coopératif, que d’un modèle strictement commercial. Les acteurs du secteur considéreront alors comme positive la modélisation d’un Wakalah modifiée en tant qu’outil pertinent de l’objectif Ta’awuni.

Dans une autre hypothèse, si ce changement se traduit par le simple ajout d’une source supplémentaire de rentabilité pour les actionnaires, à savoir les frais de Wakalah à la charge des adhérents, surtout quand ils récupèrent un très faible pourcentage de l’excédent, alors l’objectif, l’idée même de Ta’amin Ta’awuni dont la Wakalah modifiée est l’outil, peut se trouver complètement perturbé, notamment si les prix ne baissent pas ou encore dans le cas où les adhérents doivent intervenir financièrement en cas de forte sinistralité. Ainsi, le nouveau modèle sera perçu comme une tentative de mercantilisation de l’outil, ayant 3 possibilités de diffusions du profit alors qu’il n’y en avait que 2 dans le modèle Mudharabah.

Cette question est assez différente dans le cadre français de la Mutualité. L’adhérant étant lui-même sociétaire, il trouve son intérêt aussi bien en tant que bénéficiaire du service ou de la prestation qu’en tant qu’apporteur en fond. Le défi est de bien identifier le besoin de la clientèle cible ainsi que sa stratégie d’attraction car il est nécessaire d’impliquer activement l’adhérent sociétaire selon qu’il cherche de l’épargne ou qu’il cherche de la protection. Cela modifie également le Risk Management ainsi que toute la politique d’investissement, le pricing, mais aussi la gouvernance de l’opérateur Takaful.

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Principes islamiques de distribution du surplus La controverse entre les compagnies d’assurance islamique du monde musulman, du Moyen Orient et d’Asie, reste donc principalement la question du partage de l’excédent. Cette question de l’excédent est encore une question en amont dans le contexte franco-français quant à l’avancée du Takaful, selon Sheikh Mohammed Patel d’ACERFI « … [un des] problème majeur est la définition du statut de la prime ». En effet, définir juridiquement cette prime revient à pouvoir l’envisager dans un cadre juridique qui correspondrait à un cadre Ta’awuni (dont le Takaful serait l’outil); principalement ses possibilités de répartition et d’utilisation par l’opérateur en tant que mandataire ou encore en tant que gestionnaire. Dans le débat mondial des industries Takaful existantes, on trouve plusieurs positions que nous allons ici affiner en partant de la position généralement reconnue par l’AAOIFI en tant que telle.

Les adversaires de la répartition de l’excédent qui se basent sur les décisions mêmes des standards AAOIFI au niveau du Takaful : “The Takaful operator does not share in the (underwriting surplus)”

Quelques raisons à cette position de l’AAOIFI:

Elle dispose dans ses standards: “The underwriting surplus and its returns, less expenses, and payment of claims, remain the property of the policyholders, which is the distributable surplus. This is not applied in commercial insurance, where the premiums become the property of the (insurance) company, by virtue of contract and acquisition, which would make it revenue and a profit for commercial insurance”.

En d’autres termes, contrairement à l’assurance conventionnelle, l’excédent, les rendements de celui-ci, une fois les sinistres et chargements payés, appartiennent aux titulaires de la police d’assurance. Cet aspect dans le contexte franco-français exclut donc l’application en globalité du code des assurances en matière d’assurance commerciale du Takaful, l’excédent n’appartenant pas à la société. En revanche, il nous ramène au code de la Mutualité, qui stipule que les détenteurs de la police ont également le statut de sociétaire, ce qui n’est pas le cas dans l’assurance commercial où le détenteur de la police n’a aucun rapport avec l’actionnaire de la société de manière juridique quand bien même ils seraient la même personne physique. De facto, il conviendrait aussi de mener une étude commerciale concernant le comportement du client en recherche d’assurance. Il est peu probable dans les circonstances contemporaines et devant les stratégies marketing des compagnies que celui-ci qui conscience de participer à un fond, cherche plus à adhérer à une protection personnelle quand il ne s’agit pas tout simplement d’épargne.

Cette disposition de l’AAOIFI pose clairement la question de la propriété revendiquée de l’excédent : le participant verse une prime, Tabarru’, équivalent d’une donation, il perd donc son droit dessus en la transférant au fond Takaful selon ce que définit la Sharia puisque cela s'apparente à du Hibah équivalent d’un don, un cadeau unilatéral. Mais le participant est censé avoir des droits sur l’excédent engendré par cette prime ! D’où la nécessité de focaliser sur la notion juridique du Hibah et ses implications dans la mécanique juridique Takaful, du point de vue Shara’an.

Pour un certain nombre de juristes musulmans, le Hibah implique que le Wahib (ici le donateur) doit renoncer à son droit de propriété sur l’objet du Hibah.

Comme le rappelle Cheikh Soualhi dans son étude, Ibn Qudamah affirme que « Al Hibah tamalik » (un Hibah complet) implique que le Wahib se défasse complètement du Hibah pour permettre au bénéficiaire d’en revendiquer la pleine propriété.

Al Shirazi, lui, précise que « Al Hibah Tamlik bighayri ‘iwadd », l’acte de Hibah permet au bénéficiaire l’objet du Hibah sans échange.

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A ce sujet, Ibn Nujaym al Hanafi affirme que l’implication juridique du Hibah en soi est son transfert au bénéficiaire, donnant titre sur l’objet du Hibah, devenu sa propriété (thubut al-milk li mawhub lahu).11 Concernant les avis des madhahib (écoles légales de jurisprudence), on retient ces travaux :

• Le madhab Shafii considère le Hibah comme le transfert de la propriété d’un actif, sans échange, durant son existence et de manière volontaire,

• Les autres madhahib ont la même considération. Ils se différencient toutefois des Shaféites sur l’aspect dit « Sans échange » (bi ghayri iwadd.)12. Le transfert de Hibah serait alors efficient par la simple voie d’acquisition (Qabd), qui est l’avis des écoles Shaféite13 et Hanafi14; par voie d’offre et d’acceptation (Ijab wa Qabul) qui est l’avis de l’école Malikite15.

De ces avis, l’on comprend que l’efficience de Tabarru’ est liée à l’abandon de la propriété du Hibah, qui se retrouve propriété d’une entité juridique (shakhsiyyah i’tibāriyyah), celle du fond Takaful, administré par l’opérateur Takaful sur la base de Wakalah ou tout autre contrat Sharia-compatible16. Toutefois, les opérateurs Takaful et les participants restent les gardiens de la caisse et sont libres de décider la façon dont l’excédent doit être distribué, invoquant la doctrine des Shurut (conditions) dans les contrats articulés en Jurisprudence Islamique. On retombe dans le principe de liberté contractuelle cher au droit français, ce qui, considérant l’objectif Ta’awuni, peut s’avérer des plus intéressants quant à l’utilisation éventuelle de l’excédent selon les principes Mutualistes, ici, celui de la coopération presque corporatiste.

Cheikh Ali al-Khafif réitère que la propriété nécessite pleine possession de l'objet par le propriétaire, indiquant que la propriété nécessite une exclusivité (Ikhtisas) et le déni (al-Hajiz). La première se réfère au droit du propriétaire exclusif d'utiliser l'objet dont il est propriétaire, et le dernier fait référence au fait que le droit des autres à utiliser le même objet est refusé 17.

Dans le contexte de Takaful, les caractéristiques d’exclusivité et de déni ne peuvent être matérialisé que si les participants perdent leur titre en vertu du Tabarru’. Le participant « abandonne » en quelque sorte sa cotisation au fond Takaful.

En conséquence, l’application de Tabarru’ Tamlik implique que ce fond est donc « sans propriété », ce qui ramène donc à la question du statut de l’excédent. D’une manière générale, la richesse ne peut pas « être détenue », sauf dans des cas particuliers prévus tels que le Waqf ou la coopération, y compris le Takaful. Appliqué les principes de Tabarru’ à Takaful ne parait pas approprié car cela a pour conséquence que l’excédent demeure sans propriétaire, ce qui est un non-sens économique et financier, posant ainsi un grand problème juridique.

Le seul cas où le Wahib a encore des droits sur son don est un principe connu sous le nom de Hibat al Thawab.

D’ailleurs, à ce stade il est important de faire cette suggestion : on associe la question de la propriété du fond forcément à celle de la répartition de l’excédent, c’est de là que va partir la légitimité d’un mode de

11 Même étude de Sheikh Younes Soualhi précitée 12 Almash, 1984 13 Shirbini, Mughni al-Muhtaj Sharh al-Minhaj, 1958 14 Al Kasani Bada’I’ al-Sana’I’I, 1982 15 Ibn Rushd, Bidayat al-Mujtahid, 1988 16 Al-Zarqa’, 1999 17 al-Khafif, 1996 et Abu Zahra, 1996

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répartition. S’il est établi que le fond est la propriété des adhérents, alors l’excédent aussi. Or, cela n’est pas le cas. Le Tabarru’ Tamlik, ou même « iltizām bi tabarru » (engagement à faire acte de Tabarru) sème le doute sur les droits des participants à posséder le fond, du fait de la notion de « dépossession ». Pour résoudre ce problème, Sheikh Younes Soualhi suggère de regarder du coté du concept de la «contribution conditionnée » à un fond coopératif (Ta’awuni). Dans cette approche, le contributeur apporte un don en somme d’argent à des fins coopératives, à conditions que le solde potentiel lui soit remis. Cela permet de conserver un droit sur le versement initial tout en mettant cette somme à disposition pour indemniser les autres participants.

On peut également envisager le problème de Takaful en considérant l’adhérant comme un déposant plutôt que comme un donateur. L’opérateur Takaful agit donc comme une institution de dépôt, en garantissant les dépôts, sur le principe du wadi’ah yad damanah. En général, ce modèle prévoit une clause de renonciation dans laquelle le participant renoncerait à son droit à recevoir une partie de sa Wadi’ah (dépôt) qui est utilisé pour indemniser les autres participants. Cette solution pourrait plus convenir à l’esprit du code français de la Mutualité, bien que la notion de « sociétaire » n’y apparaisse pas.

Restant sur le Hibah Al Thawab, et toujours selon Cheikh Younes Soualhi, l’on en déduit à juste titre que le Mutabarri’ (le donateur) ne détient aucun droit légal ou revendication sur le bien donné. Il conviendra pour éclairer sur cette notion de développer ce principe de par lequel le Mutabarri’ peut encore profiter de la détention de son titre quand il effectue un don en échange d’une contre-valeur.

Cas du Hibat al-Thawab

Les savants et chercheurs contemporains comme Cheikh Al Qurdaghi du Qatar estiment que le principe de Hibah at Thawab est un principe valable, justifiant la détention de l’excédent par les adhérents exclusivement.

Cette affirmation trouve plusieurs contestations :

1. Tous les hadiths susceptibles de justifier le Hibah at Thawab sont basés sur la distinction entre le Hibah d’un côté et le Thawab de l’autre, indépendamment. L’imam Sana’ani se réfère à un hadith rapporté par ‘Aisha (ra) dans lequel elle dit : « Le Prophète sws acceptait les cadeaux (Haddiyyah) et récompensait le donneur »18. De toute évidence, l’excédent est entendu en tant que Thawab au sens du hadith. Dans le contexte de Takaful, l’excédent est une part initiale du Hibah, pour lequel un Thawab (compensation, récompense) est demandé, alors que dans Hibah al Thawab, le Thawab est une chose différente de Hibah et non pas une partie de celui-ci. Même si le Hibah est retourné au même donneur, il est alors appelé « umari » dans certaines conditions délimitées par les recueils de jurisprudence islamique. (Ali Muhyiddin al-Qurdaghi, 2006)

2. Il est vrai que certains des hadiths se rapportant à Hibah al-Thawab ont garanti un droit de propriété des donneurs après le don. Ibn Qayyim a abordé la question en rappelant certains hadiths qui sont apparemment en conflit :

18 Rapporté par Al Boukhari dans son Sahih n°2585, hadith déclaré faible (daïf) par Al Albani dans son travail sur Sunan Tirmidihi n°2130

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• Le hadith d'Ibn Abbas: « […] Et l'exemple de celui qui revient sur son don ou son cadeau est comme le chien qui mange puis une fois rassasié il vomit et ensuite il mange son vomi». 19 Ce hadith rendrait donc haram le fait de rétracter le cadeau, quel que soit le domaine au sujet duquel se déroule la rétractation. Le donneur perd son titre sur le Hibah et ne peut pas en bénéficier à nouveau.

• D’autre part, quelques hadiths fixent en quelques sortes un droit de propriété du Hibah par le Wahib, même après le don. Ibn Qayyim mentionne ce hadith selon Abou Hourayra : « Le donneur est titulaire [d’un droit exclusif] de propriété sur son Hibah, à condition qu’il ne soit pas récompensé pour cela. » Ce hadith est la seule preuve attestant d’une propriété conditionnée du Wahib sur le Hibah, qui lui permet de se rétracter s’il n’est pas récompensé ou s’il est insatisfait de la récompense. Cependant, ce qu’il faut comprendre du hadith, c’est que cette preuve repose sur le fait de se rétracter de son Hibah. Il ne s’agit pas ici d’excédent. Dans le cas de Takaful, on ne peut pas appliquer ce hadith concernant le sort de l’excédent, il s’agit plutôt de rétractation du Hibah. Il n’est pas invocable concernant la propriété du Wahib sur l’excédent.

Tout comme Cheikh Younes Soualhi20, nous ne prétendrons pas que les partisans de cette « théorie de la propriété » s’appuient sur ce hadith. Toutefois, la tendance est de le présenter comme la référence de cette théorie.

Le conflit entre ces deux hadiths repose sur le traitement du contexte de l’un et de l’autre. Ibn Qayyim envisageait les deux hadiths comme valides. Cependant il considérait celui d’Abou Hourayra plus faible car l’interdiction de se rétracter du Hibah est réalisée sans recherche de Thawab (récompense). Quant au hadith sur le caractère halal de la rétractation, il repose sur le présupposé que le Wahib a stipulé un Hibah,et qu’il s’en rétracte ou pas, ne satisfait pas le Thawab.

Nahd , motif de répartition de l'excédent exclusivement aux Participants

Le Nahd, en tant qu'idée et concept à la fois, tiré de la Sunna, est un des éléments le plus pertinent. Cependant, il est le moins considéré, en dehors des grands centres de la Finance Islamique notamment en Europe car les savants et chercheurs persistent pour créer une méthodologie à vouloir se coller au maximum à l'idée finale, celle d’assurance, au lieu de chercher dans les sources de la Sharia, un modèle applicable à grand échelle. Pourtant, le Nahd a directement attrait à la notion de répartition commune d’un bien personnel. Toutefois, la majorité des avis des théologiens sont avis de son inapplicabilité au domaine des transactions. C’est d’ailleurs en substance la position partagée par le Mufti Chakil Omarjee d’ACERFI au sujet du Nahd.

Sheikh Quradahi fait partie également de ceux qui font valoir que le Nahd est un concept pertinent permettant de confier la répartition de l’excédent aux seuls adhérents.

Selon Jurjani, le Tanahud, est défini comme un acte de contribution à une dépense dans un voyage, similaire aux dépenses des autres compagnons comme partie prenante à un voyage.21 iEn effet, Bukhari

19 Rapporté par Abou Daoud dans ses Sounan authentifié par Al Albani dans son travail sur Sounan Abi Daoud et egalement dans Sahih Targhib n°2612 20 idem

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affirme dans son Sahih « Les musulmans n’ont pas vu de haram dans le Nahd ». Ibn Hajar donne cette définition du Nahd : "l’allocation d’un fond en proportion du nombre de participant [à ce fond]". Cette conception était pratique et très utile notamment dans les voyages, cela assurait une couverture mutuelle, nous sommes donc complètement dans un système de partage de risque.

Ibn Jabir Abdillah rapporte « … Puis le Prophète (sws) a envoyé un bataillon sur la côte, avec la nomination d'Abu Ubaidah Ibn Al Jarrah comme chef alors qu’ils étaient 300, moi y comprit. Comme nous arrivions à un endroit, notre nourriture était très diminuée. Alors Abu Ubaidah ordonna de mettre toute la nourriture du bataillon en commun, ma part était composée de datte. Chaque jour, il nous donnait un peu de nourriture jusqu'à ce qu’elle soit terminée et alors nous recommencions à donner une datte chacun ». Le hadith poursuit en mentionnant qu’ils ont trouvé un énorme poisson en arrivant sur la côte dont ils se sont nourris, évitant ainsi jusque-là que certains meurent de faim.22

Citant le même hadith, l’AAOIFI23 explique cette conception d'Ibn Hajar du Nahd se rapporte à l’excédent. Il devrait donc devrait être redistribué aux participants, par exemple afin d’être utilisé pour un autre voyage.

En révisant l’avis d’Ibn Hajar dans son Fath ul Bari24, (une étude du Sahih Bukhari), Sheikh Younes Soualhi soulève la difficulté qu’il y a à comprendre ce que l’AAOIFI entend dans le hadith. Selon lui encore, la définition et l’explication d’Ibn Hajar concernant le Nahd ne se réfère à aucun moment à la distribution de l’excédent aux mêmes adhérents. Le hadith est silencieux sur les excédents, il n’y a aucune preuve ici de surplus du pool (ici, de la nourriture), c’est donc un travail d’Ijtihad qu’il faut fournir pour les experts en considérant Maqasid Sharia et les principes généraux de la Finance Islamique.

Partage de l’excédent, sorte de prise injustifiée du bien d’autrui ?

Cette affirmation est celle d’éminents spécialistes du domaine, tel que Cheikh Hussein Hamid Hassan (2004) ou Cheikh Al Qurdaghi (2006). Ce point de vue trouve des justificatifs très plausibles lorsque l’on sait par exemple que certains opérateurs Takaful prennent la plus grosse partie de l’excédent.

Cheikh Younes Soualhi est toutefois d’avis que le partage de l’excédent est conforme à la Sharia, du moment qu’il répond aux paramètres des conditions reconnues (Shurut) ainsi que dans la Rida (la satisfaction). Pour lui, le point de vue de ces 2 savants de renoms ne trouve pas d’argument selon lequel le partage de l’excédent reviendrait à prendre la richesse des gens injustement.

Pour ce faire, il préconise l’utilisation de cadres réglementaires solides, notamment de plafonds qui empêcheront les opérateurs Takaful de récupérer dans des proportions injustes ce qui relève fondamentalement de la propriété des adhérents. Il n’est pas imaginable, en effet, que les Sharia Board de ces opérateurs Takaful tolèrent une telle injustice. C’est alors qu’une dualité peut s’opérer car il est fort possible que peu de compagnies Takaful ou même d’assurance dans le cadre d’une window, seraient enclin à un tel plafonnement. Tout simplement pour des raisons de profit mais également pour des raisons de solvabilité selon le contexte.

21 (Jurjāni, 1405H and Ibn Quddāmah, 1405H 22 Sahih Bukhari, Hadith n°2483 23 AAOIFI Standards, p.447. 24 Ibn Hajar al- ‘Asqalani, Fath al-Bari Sharh Sahih al- Bukhari e.d. Muhibuddin Al-Khatib (Beirut: Dar al-Ma’rifah, n.d), 5/129

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C’est en tout cas l’idée retenue par la Bank Negara Malaysia (Banque Nationale de Malaisie) de manière non-officielle encore : la reconnaissance du principe de l’appartenance de l’excédent au Pool des adhérents et la possibilité de le partager pour l’opérateur Takaful avec un plafonnement par produit.

En France, l’article R 322-93 du code des assurances précise que c’est l’assemblée des actionnaires qui dispose de l’excédent. Le conseil d’administration convoque cette assemblée générale et fixe l’ordre du jour. C’est ensuite au conseil d’administration, composé des représentants des adhérents, qui a le dernier mot pour tout ce qui concerne le fond. On peut trouver une autre preuve de cela en cas de non convocation de l’assemblée générale (L. 114-8 al 1 code de la Mutualité)

Reste encore à l’heure actuelle à déterminer les implications de la notion de « Personne morale » dans le cadre de la Finance Islamique afin d’être le plus précis et le plus clair possible quant à la détention effective du fond.

Distribution équitable de l’excédent VS Distribution arbitraire

C’est une question cruciale concernant la répartition actuelle de l’excédent.

Considérant l’autorisation de la Sharia de distribuer l’excédent selon ce qui a été suggéré préalablement par Sheikh Younes Soualhi, il existe plusieurs manières de distribuer ce dernier dans l’industrie Takaful. Sheikh Soualhi, dans son étude, met l’accent sur la notion d’équité dans la répartition : la question relève bien de l’Ijtihad dans lequel la Maslaha et le ‘urf ont une place très importante. Dans la question actuarielle également, où il se peut que l’excédent existe, mais ne soit pas redistribué et soit destiné plutôt augmenter les réserves.

Cette question est d’autant plus pertinente en 2014, en Europe, avec l’arrivé de la directive Solvency 2. En effet, il en va de même pour les contingences légales existantes en matière de solvabilité en France, ou les contingences affairant à la bonne tenue financière et économique d’un produit nouvellement lancé sans historique sur sa commercialisation dans un marché donné. Toujours est-il que l’excédent n’appartient plus véritablement à l’opérateur Takaful puisque constituant en fait sa réserve qui lui permet de fonctionner et non pas à une prise de bénéfice, ni aux adhérents non plus. Notons toutefois que la constitution de réserve se fait dans l’intérêt des adhérents pour une couverture en cas de survenance de sinistre, de coût de cotisation ou d’élargissement de garantie. Ce constat prend encore plus d’intérêt dans le cadre d’une mutuelle.

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Récapitulons :

- L’Excédent peut être :

a. Excédent de souscription (surplus de primes sur les sinistres)

b. Souscription excédentaire et rendement sur investissement

- L’Opérateur Takaful peut ou non prendre une part de l’Excédent selon le modèle adopté et selon ce que préconise le Sharia Board.

- L’Opérateur peut disposer de l’Excédent avec l’accord préalable des participants.

- Différents types de redistribution si différents types de produits.

- Pour une distribution équitable, l’Opérateur peut adopter l’un de ces 3 modes : au prorata, sélectif, et par compensation

- Le ratio de distribution de l’Excédent est décidé à deux; l’Opérateur Takaful et les participants ou leur conseil d’administration. Enormément de Shouyoukh insistent sur la représentation des adhérents au sein d’un CA, car le fond mutualisé leur appartient.

- Ce ratio reflète une équité basée sur la Maslaha plutôt que sur des rapports numériques. Par exemple, un rapport de 50/50 entre l’Opérateur et les participants n’est pas forcement équitable. Par contre un ration 40/60 pourrait l’être s’il se base sur la Maslaha, ‘Urf et Adalah. C’est un vrai travail de Mujtahid pour déterminer le ratio le plus conforme à la Sharia.

- Il est possible de préciser dans la police d’assurance la possibilité de révision du ratio en cas de défaillance de l’adhérent. Cette mesure permet d’inciter les adhérents à payer leurs contributions à temps, et à être plus juste vis-à-vis de ceux qui sont réguliers dans le paiement des cotisations.

- On peut différencier un mode de redistribution selon qu’il s’agisse de Takaful General ou de Takaful Family. Les mécaniques juridiques et financiers contraignent à différencier entre une mutualisation sur une branche à développement long comme la vie, et plus court, tel le dommage au bien, concernant la tenue actuarielle du fond mutualisé.

- Il est permis de redistribuer l’Excédent sous forme de prime de réversion au participant sur sa cotisation.

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CAS CONCRETS A TRAVERS LE MONDE

Les répartitions de l’Excédent varient selon les modèles Sharia adoptés à travers le monde. Nous donnerons des exemples au travers d’un Operateur international, et un autre malaisien.

Le cas Saoudien L’un des principaux fournisseurs d’assurance islamique au Moyen Orient est la Bank Aljazira en Arabie Saoudite, modèle Wakalah. La société compense les frais d’agence par un pourcentage de contribution, qui couvre le coût d’exploitation du programme Takaful, ainsi que par une commission sur les performances donc l’excédent de souscription est défini comme le surplus des cotisations, une fois, les sinistres payés.

Cette commission (Ju’ala) est considérée comme une incitation à une souscription scrupuleuse et prudente pour une optimisation des investissements du fonds Takaful et une réduction des frais directs du fonds (ex : coût d’émission, coût de la réassurance, frais, …), ainsi qu’une incitation à surveiller avec vigilance les demandes frauduleuses25. Tout cela optimise le résultat de la sinistralité donc de l’excédent.

L’autorité monétaire Saoudienne a approuvé que 10% de l’excédent de souscription pouvait être redistribué aux participants et 90% aux actionnaires26.

Bien qu’il soit entendu sur le site de la Bank Al Jazira que 10% est l’engagement minimum dans la part à redistribuer, le point de vue de Sheikh Younes Soualhi est que cette ligne directrice de redistribution est arbitraire et ne justifie pas des éléments incitatifs. La poursuite d’une telle pratique peut mettre en danger le but ultime du Takaful, à savoir l’établissement d’une coopération Ta’awuni. Il serait à craindre que cet établissement ne se transforme finalement qu’en un établissement en recherche de profit capitalistique.

L’injustice est d’autant plus grande que les participants ne sont pas invités à prendre par à la détermination du taux de distribution de l’excédent. Le problème ne se pose pas dans le contexte du droit français de la mutualité, puisque l’assemblée générale, constituée des membres adhérents et honoraires (ou leurs représentants), est nécessairement réunie une fois par an sur convocation du président et peut donc statuer sur ce qui peut être fait en terme de répartition d’un tel excédent (L. 114-9 code de la Mutualité ; L. 310-4 du même code). Concernant le cas saoudien ici présenté, le ratio de 10/90 est manifestement arbitraire et peut jeter l’opprobre selon Cheikh Younes Soualhi sur sa conformité Sharia-compatible compte tenu des paramètres.

25 www.baj,com.sa 26 www.sama.gov.sa/ar/insurance . Egalement Dr. Mohd. Liba, al-Ta’min al-Ta’awuni wa tatbiqatuhu fi Bank al-Jazirah wa Shrikat Ikhlas lil Takaful bi Malaysia , PhD Dissertation, 2006, p.249.

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L’expérience Malaisienne L’expérience Malaisienne, dans le Takaful, a connu 2 phases principales. La première, celle de l’émergence du marché, avec l’introduction de la loi Takaful de 1984.

Le premier opérateur, MNI Takaful, a adopté le modèle de Mudharabah modifiée, selon lequel le « résultat » (entendu concrètement comme l’excédent de souscription avec le rendement des investissements) est partagé entre l’opérateur Takaful et les adhérents, sur un ratio convenu et déterminé à l’avance. Les ratios connus sont respectivement de 20/80 chez MNI Takaful, et 30/70 chez Syarikat Takaful. Ces 20% et 30% sont crédités sur le compte des actionnaires des opérateurs. 27

La deuxième phase est celle de la migration de tous les opérateurs Takaful Malaisiens vers le modèle Wakalah, à l’exception notable de Takaful Malaisie, qui applique encore le modèle Mudharabah. Plus récemment, les opérateurs Takaful ont adopté le modèle Wakalah modifiée, ce qui leur permet de gagner les frais en tant que Wakil, le rendement des placements de la caisse des adhérents et une part de l’excédent.

La Banque Nationale Malaisienne (Bank Negara Malaysia), fixe en 2006 les limites au niveau du partage de l’excédent mais ces limites restent encore inappliquées en 2010 dans ses lignes directrices. Cependant, suite à ces limites, la banque peut bénéficier :

• Produits comprenant des éléments d'épargne o Maximum 30% du bénéfice de l'investissement, o ou Maximum 10% de l'excédent.

• Produit avec un but de protection o Maximum 50% de l'excédent, o et 10% supplémentaires de l'excédent pour l'opérateur Takaful sans les frais initiaux.

• Produit avec élément de protection et d'épargne o Pondération de ce qui précède28.

Il existe différents ratios de distribution de l’excédent appliqués par les différents opérateurs Takaful, basés sur différents principes de la Sharia. Syarikat Takaful Malaysia, seule compagnie appliquant encore le système Mudharabah, distribue l’excédent sur un ratio de 70/30 en Takaful Family et 60/40 en Takaful General. A ce stade, on peut se poser une question celle du sort des partisans en cas de pertes, dans ce modèle de distribution.

En effet, Mouhammed Ayub note que « L’opérateur Takaful (ici, de Mudharabah) obtient l’excédent mais ne supporte pas les pertes du fonds de souscription », 200729. Cependant, l’injection de Qard Hassan que l’opérateur Takaful fournit en cas de déficit l’exposerait à des pertes telles que le Qard ne pourrait jamais être récupéré à partir des excédents futurs, largement insuffisants. En outre, la marge de solvabilité, qui stipule qu’un risque de capitaux (Risk based Capital) garantie par le fonds des détenteurs de part (ou des actionnaires), exigerait une obligation financière supplémentaire pour l’opérateur Takaful, l’incite à faire preuve de prudence pour protéger le fonds Takaful et le fonds des actionnaires en les séparant. 27 5. Professor Obeidullah relied on information provided by http://www.takaful-malaysia.com and http://www.takaful.com at the time he wrote his book. The same information is still available on the same sites at the time of writing this article, with an addition of a clarification related to the 70:30 ratio whereby this ratio is for family takāful, and 60:40 for general takāful. 28 Takaful operational frame work, 2006, Bank Negara. P.13. 29 Muhammad Ayub, Understanding Islamic Finance (London: John Wiley, 2007), p.424

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En outre, la pratique actuelle qui consiste à combiner les bénéfices des investissements et de l’excédent dans un pool, comme dans la Mudharabah modifiée, peut être une source de confusion.

Dans ce modèle, à la signature du contrat, le participant agit à la fois comme un Mutabarri(le donateur) et comme un Rabb el mal (fournisseur, ici « apporteur de capital »). Cela pose un problème du point de vue Shara’an que ces 2 capacités soient simultanément en vigueur. La conséquence est que le même montant d’argent est donné à la fois en Tabarru’ et à la fois comme capital, ce qui soulève une question relevant de la Niyyah (intention) avec laquelle le contrat est fondé et pose donc une ambiguïté complexe, quoiqu’étant un pilier fondamental d’une relation contractuelle islamique et doit faire l’objet en lui-même d’une étude auprès des juristes musulmans et des théologiens.

Contrairement aux contrats hybrides où la légitimité est fondée sur leur nature séquentielle (ex : Ijarah thumma al bay30, Musharakah Mutanaqisah31), le Tabarru’ et les dispositions Mudharabah dans Takaful soulèveraient, à n’en pas douter, une question sur le respect de la Sharia, à moins que ces 2 notions, de donateur et d’apporteur de capital, ne soient clairement définis et clarifié aux yeux de l’adhérent au préalable.

L’autre problème est que les adhérents ne sont pas vraiment impliqués dans la détermination des ratios de distribution de l’excédent, en dépit de l’affirmation de la Bank Negara Malaysia en 2006 sur le fait que « Le surplus du fonds de risque appartient exclusivement au pool des participants et les opérateurs Takaful sont autorisés à partager l’excédent ou le profit sur investissement sur la cause du contrat entre les participants et l’Opérateur Takaful »

Même si nous avons fait valoir auparavant que l’excédent n’appartient ni aux participants, ni aux opérateurs en cas de Tabarru’, les 2 parties doivent être impliquées dans la détermination des ratios et des mécanismes de traitement du surplus. Une manière pratique pour l’opérateur Takaful de disposer de l’excédent comme bon lui semble, sous réserve bien sûr d’avoir obtenu l’accord préalable des adhérents (Kassim, 2005). Une autre manifestation de la répartition équitable serait la répartition de l’excédent aux assurés par le biais de primes de réversion sur 1, 2, ou 3 ans, pourcentage à définir actuariellement par l’opérateur Takaful (Ariff, 1991).

Takaful Ikhlas, un autre opérateur Takaful, retranché du marché malaisien, déclare ce qui suit, concernant son certificat Takaful Family :

« Toutes les contributions versées en vertu du présent certificat additionnel seront allouées au compte participant au placement à risque (PRIA). Pour tout revenu de placement provenant du PRIA, la compagnie facturera une commission de performance de 10%. Le revenu de placement net résultant sera intégralement affecté au participant. Le participant/adhérent aura également droit à un excédent net de la ‘‘caisse du risque’’ (après déduction des frais administratif de l’Excédent chaque mois) 32».

La charge de 10% trouve sa justification Shara’an suivante :

• Ces 10% sont une prime d’encouragement sur la base du contrat Ju’alah (frais de performance),

• Le verset Quranique (S4. V29) qui amène à considérer le Rida comme l’une des bases d’un contrat valide,

30 Al-Ijara Thumma Al-Bai (AITAB) est un type de contrat de location dans lequel le titre juridique de l'actif loué sera transmis au locataire à la fin de la période de location 31 Musharakah Dégressive 32 8. Ikhlas Family Takaful Certificate, p. 21

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• Le hadith d'At Tirmidhi : « Les musulmans sont liés [i.e. : tenus] par les conditions [qu’ils imposent à l’autre], excepté d’une condition qui interdit le halal ou permet le haram ».

Selon Cheikh Younes Soualhi, le contrat reposant sur Ju’alah arrange le dispositif choisi par Takaful Ikhlas tant que la taxe perçue l’est en fonction de l’excédent comme elle peut aussi ne pas exister à la fin de l’année. C’est en ligne directe avec le concept de Ju’alah, que l’on peut envisager le « paiement/rétribution d’une récompense pour l’accomplissement d’une œuvre incertaine/inattendue » (Shirbini 1977).

On peut s’attarder sur le cas français. Cette définition est également cruciale dans la compréhension que nous pouvons avoir du Takaful dans le cadre du code de la Mutualité. En effet, dans l’article L 114-26, les administrateurs ne sont pas rémunérés par principe sauf au-delà d’un certain seuil d’importance. Ce seuil est défini en conseil d’Etat et il s’agit plutôt d’une indemnité. La rémunération générale ne peut pas être liée au nombre des souscripteurs. On peut déduire, de ce fait, qu’il faudrait éliminer la rémunération en tant que Wakil, ce qui rend le modèle Walakah moins attrayant pour les entrepreneurs. On note également, qu’on ne rentre pas d’argent en fonction du résultat notamment l’excédent sauf dans le cas particulier du dépassement de seuil. Nous retrouvons donc la même impasse concernant l’intérêt du modèle Mudhabara.

Concernant le modèle malaisien, bien qu’il n’y ait pas de problème Shara’an à la commission de performance de 10%, ce qui peut être préoccupant du point de vue de la Sharia est la mention de « frais d’administration d’excédent », déduit du fonds d’investissement en faveur de Takaful Ikhlas. Dallah al Barakah Sharia Comitee serait en désaccord avec l’imposition de frais administratifs sur l’excédent. Le comité affirme que les frais administratifs doivent être connus et payés à l’avance, indépendamment de l’existence vraie ou supposée d’un excédent potentiel (Abu Ghuddah et Khojah, 1997).

D’autre part, HSBC Amanah Takaful, aujourd’hui arrêtée, prévoyait de prendre 80% du fonds du risque en tant qu’incitation, tandis que 20% était réservés pour la redistribution aux adhérents admissibles. La répartition de l’excédent est basée sur prorata de la base des cotisations versées au cours de l’année financière, s’il s’agissait de plus de 10 RM (Ringgit Malaysia). Cependant, la pratique de HSBC Amanah varia selon les produits. Le point de vue de Sheikh Younes Soualhi, lui-même Sharia-Board de la compagnie, est que la part de 80% est assez élevée et qu'une révision de ce ratio serait pertinente, conforme à la nature et à l’objectif de Takaful, sans bien sûr parler de la répartition équitable.

A l’opposé de HSBC Amanah Takaful se trouve Etiqa, qui privilégie sur la branche Family, un ratio de 80/20, à savoir 80% pour les adhérents. Sur leur branche Takaful General, le ratio de 50/50 a été adopté, ce qui semblerait tout à fait équitable et conforme aux lignes directrices non officielles de Bank Negara Malaysia. Le partage de l’excédent se lit comme suit :

« Nous recevrons 50% de l’excédent comme incitation à la responsabilisation dans l’exploitation et la gestion du fonds. Le solde sera réservé pour la distribution entre les adhérents, sous réserve des dispositions du certificat Takaful. L’excédent ne sera pas payable si le participant a déclaré un sinistre en vertu de son adhésion ».

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L'excédent dans le TAKAFUL

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CONCLUSION

Deux importantes conclusions s’imposent.

La première concerne à la fois l’opérateur Takaful et le participant pour partage de l’excédent. Considérant que l’excédent n’appartient à aucun, les deux doivent agir en tant que dépositaire du fonds Takaful et devront donc être libre de décider de la meilleure façon d’en disposer. Y compris pour la rétribution sur un rapport consenti et à la lumière de la Maqasid et des principes de Sharia. En France, l’articulation juridique du code de la Mutualité, faisant des adhérents à la couverture-protection, les sociétaires de jure de la personne morale recevant les cotisations, le problème semble grandement allégé, levant ainsi un certain nombre d’ambiguïtés quant à la propriété du fonds et impliquant juridiquement une gestion forcement conjointe avec des intérêts communs entre les adhérents et leur mandataires gérants. Toutefois, comme on l’a mentionné, le code de la Mutualité française ne permet pas la transposition exacte des modèles Wakalah ou Mudharabah, considérant le mode de rémunération inexistant en principe des administrateurs, ce qui nous invite à explorer la piste d’autres modèles Takaful, d’autres modèles commerciaux, voire peut-être simplement d’autres vocations à la création de fonds dans l’optique Ta’awuni.

Quel que soit le rapport proposé, il doit être approuvé par le Sharia Board de l’opérateur Takaful.

Il ressort de la discussion et des bases doctrinales qu’il semble cependant plus pertinent voire fortement recommandé pour les opérateurs Takaful, autant que possible, de ne pas partager l’excédent afin d'éviter toute polémique sur cette question, ce qui conviendrait tout à fait aux dispositions légales et factuelles de la mutuelle. Dans cette optique, des modèles conventionnels, tel que l’intérêt social de la Mutuelle française, que le modèle Takaful Waqf adopté en Asie du Sud, sont d’excellentes pistes de réflexion qu’il convient d’envisager entant que tel, et pas simplement entant que modèles exhaustifs à transposer plus ou moins adroitement.

La deuxième, c’est souligner l’importance de la formulation des paramètres adéquats de la Sharia pour une distribution équitable de l’excédent. Nous avons tenté de faire la lumière sur ces paramètres, mais surtout sur l’Ijtihad nécessaire au sujet des paramètres apparents et pratiques permettant d’améliorer l’industrie localement notamment dans le cadre de création, mais également à l’étranger compte tenu des problématiques spécifiques que soulèvent le cadre français par rapport aux modélisations majoritairement en place.

Pour résumer, certains opérateurs Takaful adoptent des rapports équitables de répartitions, mais d’autres doivent encore revoir leurs ratios, non seulement pour satisfaire les exigences de Takaful et sa vocation Ta’awuni, mais aussi pour rester compétitif sur le marché. Ce sont bien ces défis, ces entraves, ces problématiques et ces facilités qui restent à relever en terme de création et d’innovation de nouveaux produits en Europe. Et notamment en France avec sa longue tradition mutualiste qui est un particularisme mondial souvent évoqué dans la littérature francophone sur la thématique de la Finance Islamique, mais finalement encore peut envisager en terme d’application. Les professionnels et acteurs de la Finance islamique disposent donc d’une large latitude, d’un contexte historique et intellectuel des plus favorables en terme d’innovation, sous réserve de définir au mieux leur objectif économique et non uniquement financier, conjointement avec l’ensemble des futurs participants.

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L'excédent dans le TAKAFUL

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GLOSSAIRE

Al-Hajiz : déni

Hibah : cadeau

Ikhtisas : exclusivité

Ju’ala : la commission

Madhahib : écoles légales de jurisprudence

Mutabarri : le donateur

Niyyah : l'intention

Rabb el mal : fournisseur, mais « apporteur de capital »

Rida : la satisfaction

Shurut : les conditions reconnues

Ta’awun : fonds coopératif

Tabarru’ Tamlik, ou même « iltizām bi tabarru » : l'engagement à faire acte de Tabarru

Tanazul : renonciation

Thawab : la récompense