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Pierre Gobeil L’Hiver à Cape Cod récit Extrait de la publication

L'Hiver à Cape Cod

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Pierre Gobeil

L’Hiver à Cape Cod

r é c i t

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L ' H I V E R À C A P E C O D

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Du même auteur

Le jardin de Peter Pan, roman, Triptyque, 2009.

La cloche de verre, récits, Triptyque, 2005.

Sur le toit des maisons, roman, Lanctôt éditeur, 1998.

Cent jours sur le Mékong, roman, L’Hexagone, 1995.

Dessins et cartes du territoire, roman, L’Hexagone, 1993.

La mort de Marlon Brando, roman, Triptyque, 1989.

Tout l’été dans la cabane à bateau, roman, Québec Amérique, 1988 - épuisé.

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Pierre Gobeil

L’Hiver à Cape Codr é c i t

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Direction littéraire : Éric Simard

Révision : France Brûlé

Correction d’épreuves : Marie-Michèle Rheault

Mise en pages et maquette de la couverture : Pierre-Louis Cauchon

Photographie de la couverture : © Marie-Charlotte Aubin (mariecharlotteaubin.blogspot.com)

Si vous désirez être tenu au courant des publicationsde la collection HAMAC vous pouvez nous écrire par courrier,par courriel à [email protected],par télécopieur au 418 527-4978ou consulter notre catalogue sur Internet :www.hamac.qc.ca

© Les éditions du Septentrion Diffusion au Canada :1300, av. Maguire Diffusion DimediaQuébec (Québec) 539, boul. LebeauG1T 1Z3 Montréal (Québec) H4N 1S2Dépôt légal :Bibliothèque et Archives Ventes en Europe :nationales du Québec, 2011 Distribution du Nouveau MondeISBN papier : 978-2-89448-660-3 30, rue Gay-LussacISBN PDF : 978-2-89664-616-6 75005 Paris

Les éditions du Septentrion remercient le Conseil des Arts du Canada et la Société de dévelop pement des entreprises culturelles du Québec (SODEC) pour le soutien accordé à leur programme d’édition, ainsi que le gouvernement du Québec pour son Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres.  Nous reconnaissons également l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds du livre du Canada (FLC) pour nos activités d’édition.

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À la mémoire de Pierre Vadeboncœur…pour qui les mots courage et liberté

étaient des mots de tous les jours.

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Prologue

Le récit qui va suivre commence lorsque mon fils Peter, qui vient d’abandonner l’école, et moi quittons Montréal pour filer tout droit vers la côte américaine.

C’est l’hiver. Et sans autre rêve que l’appren-tissage d’une langue seconde, seuls avec Nouky qui n’est encore guère plus qu’un chiot indisci-pliné, pendant plusieurs mois nous arpentons la Nouvelle-Angleterre jusqu’à Hyannis, au cœur du Cape Cod.

Il y a du bon. Sans raison, venant de lui ou de moi parfois, quelques découragements, la vie va comme ça quand on voyage, pourtant nous gardons tous les deux un excellent souvenir de cette aventure improvisée et, si nous pouvons maintenant parler d’un virage, à tout le moins d’un tournant rendu nécessaire à cause d’une situation où le principal intéressé s’enlisait chaque jour un peu plus dans un système scolaire

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qui ne répondait pas à ses attentes, c’est que bien des choses ont changé depuis ce jour-là et que nous ne voyions plus l’école de la même façon aujourd’hui.

Le Vermont, le New Hampshire, puis la tour-mente du Maine jusqu’au Massachusetts. Je me rappelle, c’était au milieu de ce mois de janvier neigeux que fut celui de 2008 ; au cœur d’une année scolaire filant tout droit à la catastrophe… et prendre le large pour tenter de résoudre une situation devenue intenable en vivant avec  mon fils de dix ans quelque chose de neuf, c’est l’histoire que je veux raconter.

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Tout est blanc. Et la phrase qui veut que nos rêves finissent toujours par se réaliser me trotte dans la tête comme si je savais qu’on en viendrait à connaître une situation comme celle-là depuis des années. Avec l’apparition de l’aube, les champs de neige et d’herbes jaunies me rappellent que je ne me suis jamais senti autant au cœur d’une toile de Jean-Paul Lemieux que dans ce désert de neige, de poteaux et de désolation, qui va des Adirondacks jusqu’à la mer de Champlain. Mais j’arrête ici. On va croire que je cherche à fuir un pays tout à coup trop grand pour moi alors que sur la banquette arrière l’enfant et le chien s’agitent. Levés trop tôt sans doute, inquiets… comme si l’un et l’autre ressentaient l’angoisse qui m’habite chaque fois que je m’apprête à franchir la frontière américaine.

Je repasse mes papiers dans ma tête.Bizarre cette impression d’impuissance devant

cet imposant voisin à moins de 50 kilomètres de

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Montréal pour quelqu’un qui a déjà franchi des dizaines de frontières de par le monde. Peut-être est-il trop proche, ce voisin omniprésent ? Si je me laissais aller, je dirais que d’aussi loin que je me souvienne, c’est le seul pays où je ne me sens pas spécialement bienvenu, la seule frontière terrestre devant laquelle j’ai l’impression qu’on préférerait que je fasse demi-tour. Mais j’exagère. En tout cas, je me répète que j’exagère, même si ce qui m’attend au bout de la 15 par ce matin de janvier ne tarde pas à me donner en partie raison. À preuve qu’il faut se méfier de ses cauchemars comme de toute autre considération qui nous semblent de prime abord farfelus !

Par je ne sais plus quelle maladresse reliée à un ensemble de travaux en cours, je me retrouve dans l’allée réservée aux poids lourds, ce qui place le douanier à plus de trois mètres du sol ; et j’ai beau crier, sortir de la voiture pour tenter de me faire comprendre en faisant des gestes, rien n’y fait. La tête renversée en arrière, comme si j’essayais de communiquer avec le ciel, tout s’embrouille et à peine hors de chez moi, ce cauchemar que j’appréhendais à propos de la frontière américaine, là où ils sont si grands, si forts, et nous autres si petits, se réalise.

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J’ignore si mon appréhension est partagée. Il y a tellement d’histoires qui courent à ce sujet. J’en ai entendu plusieurs et même vécu person-nellement quelques-unes au fil des ans… mais je ne sais pas si cette impuissance ressentie devant les agents frontaliers u.s., les autres qui sont comme moi, blancs, et sur la plupart des points, irréprochables, la ressentent aussi vivement que moi. Impression que je n’ai retrouvée nulle part ailleurs de par le monde, j’insiste là-dessus. Et j’en ai traversé des frontières depuis que j’ai atteint l’âge adulte. En Afrique, même en Asie du Sud-Est au temps des Khmers rouges et des communistes. Chaque été, nous débarquons en Europe comme si nous allions au dépanneur du coin. Une fois, nous y avions même oublié une valise sur une banquette que les artificiers ont vite fait de faire exploser. Pourtant, le lendemain, tout s’est passé avec éclats de rire et poignée de main lorsqu’on s’est présentés pour récupérer les restes de nos pyjamas encore fumants. Mais c’est en France que tout ça se trouve.

J’imagine l’imbroglio vécu quotidiennement dans chaque aéroport de la planète et repense sans trop savoir pourquoi à cette histoire de Richard Ford, où le héros tente de sortir son fils de l’impasse dans laquelle il se trouve sans jamais

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y parvenir. Independance. Un roman où, malgré tout ce qui les unit, le père et le fils restent des étrangers. Independance. Un mot fort, un titre puissant. Prix Pulitzer 1991. Peut-être le prix le plus important de tous les États-Unis. Je tends difficilement nos passeports en me hissant sur la pointe des pieds et me demande comment il se fait qu’ils réussissent à clamer ici si haut et si fort un mot et une situation qui, de notre côté de la frontière, nous font si peur.

Finalement, ce matin de janvier, tout finit par s’arranger, et, après quelques questions supplé-mentaires à propos de notre chienne, qui devra revenir se faire stériliser dans les mois à venir, et après avoir encore un peu cafouillé entre les bretelles d’autoroutes (je l’ai déjà dit : tout est en travaux autour de la passoire canadienne en cet hiver 2008), nous voilà prêts à nous élancer sur les routes du Vermont, dont les ciels noirs ou blancs, blancs ou noirs, c’est selon, ne laissent présager rien de bon.

Pourtant, en scrutant le Canal Météo, on s’était dit  qu’en cas de problème, on bifurque-rait vers l’est ; puis, avec un peu de chance, on zigzaguerait jusqu’à la mer avant la nuit… Mais Homère a sans doute constaté que si les dieux des frontières nous laissent passer, c’est pour

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mieux nous harceler par la suite, quand il a écrit l’Odyssée. Une fois engagés sur le chemin, nous n’avons pas eu d’autre choix que de continuer.

Nous sommes dans la première moitié de ce mois de janvier exceptionnel que fut celui de 2008, et après avoir fait un premier arrêt du côté de Burlington, où la situation s’est encore détério-rée, le lac Champlain nous empêchant de revenir en arrière, nous continuons sur la 89 jusqu’à ce que la tempête nous pousse plus à l’est.

C’est blanc, enfin on imagine que c’est blanc partout, puisque nous ne voyons rien, et la première nuit, je note dans mon calepin :

La petite ville où nous nous arrêtons pour dormir est ensevelie sous la neige. C’est beau les Montagnes Blanches la nuit, je veux dire quand elles sont immaculées sous leur grand ciel gris comme ont dû les apercevoir ceux du temps jadis qui les ont parcourues pour la première fois.

Dans les boutiques trônent d’énormes gâteaux confectionnés pour le Super Bowl qui s’en vient et, juste à côté, comme si c’était mis là pour se donner bonne conscience, se trouvent d’immenses plateaux, qui doivent bien faire un mètre de long, recouverts de carottes, de raves et de branches de céleri.

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— C’est l’Amérique que t’as devant toi, dis-je à Peter, qui ne semble pas faire de différence avec ce qu’on trouve chez nous.

Bien sûr, de temps en temps, on remarque un drapeau se déployer sur fond d’une vitrine couverte de givre, mais pas autant que dans les images que j’ai gardées de ce pays que j’évite depuis dix ans. En tournant jusqu’à la lettre d les pages de l’English Lessons rapporté de Montréal, je me dis que c’est toujours ça de pris.

Il y avait eu l’invasion de l’Irak, l’aveuglément sur Kyoto, Georges Bush encore… mais j’aurai sans doute l’occasion d’expliquer plus tard pour-quoi j’ai préféré me tenir loin des States pendant toutes ses années et revenir à ces villages enrobés de ouate dont j’ai du mal à retenir le nom.

Bath, Brunswick, peut-être après c’est St.  Johnsbury ou Littleton… Partout où on s’arrête, les routiers ont envahi les lieux et on nous indique bien qu’il y a encore un hôtel ou un bed and breakfast un peu plus loin, mais il faut encore chercher et parfois, après plusieurs heures d’acharnement, nous finissons par découvrir une maison isolée pour nous faire dire qu’il n’y a plus de place. On nous propose alors quelque chose vers l’intérieur, mais il faut retourner sur nos pas.

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— L’important est de chaque fois garder le cap…, je dis à Peter, sans trop y croire, et une fois la tempête derrière, il nous sera facile de filer là où  l’hiver ne sera plus qu’un mauvais souvenir.

En attendant, les villages se succèdent et partout on s’installe pour y engouffrer d’im-menses platées de toasts, de saucisses et d’œufs accompagnés de fèves au lard, de crêpes au sirop et de cafés servis avec une extrême gentillesse, aux gens du village comme aux étrangers que nous sommes. C’est, je crois, la première surprise de ce voyage.

Vers vingt heures, nous en sommes encore à déguster de la morue fraîche, des french fries et de la Boston cream pie pour toute une armée lorsque, s’apercevant que nous avons abandonné notre chienne dans la voiture, on nous exhorte de la faire venir au chaud, à condition qu’elle reste derrière le comptoir.

— Comme en Italie ! lance le propriétaire dont le faciès laisse entrevoir des origines médi-terranéennes.

Il n’en faut pas plus pour que tout le monde y aille de son commentaire alors que miss Nouky, que je soupçonne de ne rien aimer autant que d’attirer l’attention, est ravie.

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C’est super d’arriver comme ça chez des gens et, malgré notre horaire perturbé, pour la première fois depuis notre départ, nous nous sentons à des années lumières des appréhensions de la frontière. J’aimerais le faire savoir à Gina qui doit s’inquiéter en suivant la météo comme nous avons l’habitude de le faire le soir, mais je n’ai pas mon cell et comme je ne déteste rien autant que de faire le pied de grue au bord de la route, je me dis qu’elle va deviner, que, me connaissant, elle doit savoir que je donnerai des nouvelles une fois la tempête passée, que là tout va trop vite pour que j’aie déjà quelque chose à raconter.

Dans mon calepin, je note encore :

Les villes et villages que nous traversons sont tous plus beaux les uns que les autres, avec leurs maisons victoriennes, leurs grands ormes dégarnis et leurs sapins chargés comme des arbres de Noël. Malgré notre anglais passablement rouillé, partout où nous allons, on nous pose des questions, comme si, ici aussi, dans cette immense contrée dont le sky is the limit, c’était tout à fait incongru de voir un homme et son petit garçon sortir de la nuit. Chaque fois, Nouky fait des siennes, alimente le propos, surtout lorsque j’avance qu’elle est en attente d’une stérilisation à cause de son jeune âge, sur quoi les avis sont partagés.

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Et j’hésite encore entre la méfiance que j’éprouve pour ce pays trop fort et ce que j’y découvre de l’intérieur.

Je l’ai déjà dit, ce même chien, qui nous créera bien des maux plus tard, est souvent prétexte à rapprochements, mais c’est l’idée d’avoir traversé la frontière en cette saison qui étonne et, partout où on s’arrête, la conversation se tourne vers l’école.

— Still hollydays up there ? puisqu’il faut bien être en vacances pour partir avec un enfant de dix ans en cette période de l’année. Canada is différent, Quebecers so funny.

Parfois, pour faire court, je raconte qu’on se balade pour pratiquer notre anglais, puis, à d’autres occasions, sans même que je sache pourquoi, je déballe tout : la dyslexie, la dysor-thographie, les troubles d’apprentissages qui finissent par influencer l’attitude générale de l’enfant, nos craintes pour l’avenir, même cette invitation fictive d’une association d’écrivains dont j’ai oublié le nom… Tout j’ai dit, comme si, certains jours, las de jouer un jeu dont on n’a pas l’habitude, il nous fallait mettre les pendules à l’heure pour continuer.

On écoute en penchant un peu la tête comme si c’étaient des données reliées à la vie moderne

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dont on faisait maintenant partout les frais, puis on avance qu’on devrait continuer vers le sud puisque Hyannis, la capitale du Cape Cod, est peut-être le meilleur endroit de tous les États-Unis pour apprendre l’anglais.

L’ai-je déjà dit, même si j’en avais déjà rêvé, ce n’est pas un voyage d’agrément qu’on entre-prend en ce matin d’hiver 2008 et si je raconte à certains depuis déjà deux semaines que j’ai reçu une bourse du New England Writers Association tandis qu’à d’autres je parle d’une subvention du American Atlantic Writers Club, c’est que je mens à tout le monde depuis que je cherche un prétexte pour que Peter quitte l’école avec un motif raisonnable.

Ça se fait facilement abandonner l’école en plein hiver, mais il faut savoir convaincre les autorités avec de bonnes raisons. D’habitude, c’est pour cause de santé ou de déménagement. Il peut y avoir d’autres circonstances aussi. Et c’est Gina qui a eu l’idée de cette bourse pour terminer l’écriture d’un roman qui parlerait de la mer, des poissons et des habitants des côtes en général. J’ai hésité pendant quelques jours. Après, on s’est mis à voir cette invitation comme une

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Entièrement consacrée à la fiction, la collection Hamac propose des textes

profondément humains qui brillent par leur qualité littéraire.

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Vous aurez certainement du plaisir à les lire

Pour soumettre un manuscrit ou obtenir plus d’informations, visitez le site www.hamac.qc.ca

La collection Hamac est dirigée par Éric Simard.

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cet ouvrage est composé en arno pro corps 13selon une maquette réalisée par pierre-louis cauchon

et achevé d’imprimer en août 2011sur les presses de l’imprimerie marquis

à cap-saint-ignacepour le compte de gilles herman

éditeur à l’enseigne du septentrion

Tous les livres de la collection Hamac sont imprimés sur du papier recyclé, traité sans chlore et contenant 100 % de fibres

postconsommation, selon les recommandations d’ÉcoInitiatives (www.oldgrowthfree.com/ecoinitiatives).

En respectant les forêts, le Septentrion espère qu’il restera toujours assez d’arbres sur terre pour accrocher des hamacs.

Pour effectuer une recherche libre par mot-clé à l’intérieur de cet ouvrage, rendez-vous sur notre site Internet au www.septentrion.qc.ca

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