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L'homme qui m'a choisie · L'HOMME QUI M'A CHOISIE CHAPITRE PREMIER L'aube était lointaine, le ciel restait noir, une blancheur diffuse, montant du sol, pâlissait les vitres. Avant

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L'HOMME QUI M'A CHOISIE.

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L'HOMME QUI M'A CHOISIE

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D U M E M E A U T E U R

Aux Editions Tallandier

Etre sa femme. L'Etang des Brouil lards. Le Chant du Retour. La Maison des Trois Trèfles. Georgina. L'Il lusion sentimentale. Promesse de Mariage.

J e u n e s Cœurs. Deux Anges. Azur et Or. Le Ruisseau d'Ombre. La Sixième Fenêtre. Les Voies de l 'Amour. La Force du Bonheur. Sans Amour. Le Temple inachevé. Droits d'aînesse. Jeux du Hasard. La Tour Sarrazine. Le Roman d'une jeune fille laide. Le Logis des Ombrages. Le Pon t du Secret. Pour un si Grand Amour ! Romance à Grenade. Lune de Miel. J ' a imais un Vagabond. L'Amour s'en va... Combat contre mon Cœur. Je l 'appelais Sweetie. Quand les Filles sont belles. Si j 'avais su ! Pourquoi lui ? Loin de mes yeux. Un Cœur tout neuf. Un Regard bleu. Ma Belle Aventureuse. D'Orgueil et de Passion. Je ne sais pas pourquoi. Amour, peux-tu revenir ? Une Fille comme toi. Je suis faible et tu m'aimes. Le Sourire aux lèvres. Piège pour deux cœurs. Bonheur en sursis. Des mots pour rêver. Quand le Bonheur passe. L'Amour vous guette.

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CLAUDE JAUNIÈRE

L'HOMME

QUI M'A CHOISIE

PARIS ÉDITIONS J U L E S TALLANDIER

17, rue Remy-Dumoncel ( X I V

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© 1964 by Librairie Jules Tallandier. Tous droits de traduction, de reproduction et d'adaptation

réservés pour tous les pays y compris la Suède et la Norvège.

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L'HOMME QUI M'A CHOISIE

CHAPITRE PREMIER

L'aube était lointaine, le ciel restait noir, une blancheur diffuse, montant du sol, pâlissait les vitres. Avant même d'ouvrir sa porte, Gareil savait qu'il avait neigé une partie de la nuit. Enfilant ses bottes, il grogna :

— Maudit temps ! Maudit temps ! Ça ne finira donc pas ?

La tempête et le froid qui, depuis une semaine, sévissaient sur le pays, rendaient les chemins impraticables. Par habitude plutôt que par nécessité, le garde-chasse se levait bien avant le jour, pour sa tournée quotidienne. Une fois de plus, il enfoncerait dans la neige, ayant peine, malgré sa connaissance du bois, à suivre

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les layons, au point qu'il lui était arrivé, la veille, de se perdre dans le broussis. Cependant, les braconniers ne manqueraient pas une si belle occasion de traquer le gibier paralysé par le froid et il se serait fait, à la grande fureur du garde, une véritable hécatombe de chevreuils s'il n'avait, comme à l'ordinaire, effectué ses rondes, en dépit du thermomètre qui baissait un peu plus chaque nuit, verglaçant la neige qui cédait sous son poids en arêtes coupantes comme du verre.

L'odeur du café embaumait la pièce tandis qu'il achevait de se barder de lainages. Silen- cieuse, la Mariette préparait le déjeuner de son homme. Dans l'âtre, la flamme d'un fagot luttait de clarté avec l'ampoule allumée au-dessus de la table de la cuisine. Sur la nappe de tissu plastifié, les larges tasses étaient disposées, avec le pain dans sa corbeille, le beurre et les confi- tures.

Malgré sa mauvaise humeur, Gareil sourit à ce spectacle de sa femme enveloppée dans sa robe chaudement molletonnée, surveillant la soupe qui chauffait sur le réchaud électrique et le café, qui passait lentement, exhalant son arôme. On peut être des paysans et vivre dans un décor soigné et plaisant. Tel était le principe de Mariette qui, après douze années de ménage, restait coquette et travailleuse, ajoutant à ses qualités de ménagère méticuleusement propre, le raffinement d'une dame.

La modeste maison, où ils vivaient depuis leur mariage demeuré sans enfant, était un modèle de confort et de grâce, ceci par la vertu

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de cette petite femme active qui avait fait à son grand diable d'époux une existence plai- sante, saine, harmonieuse.

A la perspective de la froidure qui l'atten- dait dehors, Gareil s'engourdissait et Mariette dit doucement :

— Va, Edouard. Je garde du café au chaud pour quand tu rentreras.

Il passa son bras autour de la taille restée mince de sa femme :

— Tu te recouches, j'espère. — Non, j 'ai du travail. Va et fais vite ; si tu

as trop froid abrège ta tournée. Il n'insista pas, boutonna sa canadienne, noua

l'épaisse écharpe de laine, enfonça sur son crâne la casquette doublée de mouton : ses gants, son fusil complétèrent son équipement.

Il tira le verrou, poussa la porte. Un souffle glacé se rua dans la pièce, cependant que la lumière découpait un long rectangle jaune sur la blancheur du seuil. Gareil huma l'air, scruta le ciel d'encre.

— A tout à l'heure, Mariette, ça va encore neiger.

La porte retomba derrière lui et il fut dans un noir si opaque qu'il hésita, puis ses yeux s'habituèrent à l'obscurité ; il fit un pas en avant et, très vite, trouva son rythme de marche. Sur la gauche, la maison du patron se déta- chait, à peine plus claire ; sur sa droite, les communs avec le garage, les étables, le chenil, la grange. En face, la pièce d'eau, blanche comme tout le reste. avec sa croûte de glace.

Rien ne bougeait, il n'y eut même pas un

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grognement du côté des chiens, quand il passa à proximité de leur abri. Paralysés eux aussi par le froid, ils devaient être entassés les uns contre les autres, se protégeant mutuellement.

La forêt commençait là, tout de suite, et Gareil distingua la masse que formait, sous la neige qui l'avait recouvert, le tas de foin mis la veille à l'intention des chevreuils. La nouvelle chute de neige de la nuit rendait inutile cette précau- tion de leur fournir la subsistance et, au dégel, on trouverait nombre de carcasses.

Exaspéré par son impuissance, le garde donna un coup de pied à u n amas qui se dessinait devant lui et il faillit tomber, déséquilibré par la résistance contre laquelle sa botte s'était heur- tée.

La lueur, qui naissait enfin à l'est, permettait de distinguer quelques contours et cette masse, à côté du chêne qui marquait le début du layon. il ne la connaissait pas. Il se pencha et gratta la neige, certain de trouver là un brocard (1), les pattes raidies par la mort, quand il sentit sous ses doigts gourds, non un pelage mais une étoffe. Il étouffa un juron, ôta ses gants pour prendre dans sa poche sa torche électrique. Le faisceau lumineux lui montra une forme longue et, dans l'espace déblayé, une couverture brune.

Il posa sa torche, s'activa à casser la couche croûteuse et, bien que le doute ne fût guère permis, il ne parvenait pas à croire qu'il se trouvait en présence d 'un être humain. Tenté d'aller chercher de l'aide, il se hâtait de dégager

(1) Brocard : jeune chevreuil.

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le corps en pensant que, s'il vivait encore, il n'y avait pas un instant à perdre. Aussi vite que ses mains puissantes, son esprit travaillait. Depuis combien de temps était-il là ? L'absence de traces, recouvertes comme tout le reste, d'un uniforme tapis immaculé, permettait de suppo- ser qu'il était venu ou qu'on l'avait amené là après une heure du matin. A ce moment, Gareil, qui se levait pour scruter le ciel, avait constaté qu'il ne neigeait pas.

Entièrement enroulé, y compris la tête, dans la couverture raidie, le corps était posé « en chien de fusil » et le garde le souleva. Il fut surpris par sa légèreté et il pensa immédiate- ment à un enfant, à une femme. Il ne prit pas le temps de vérifier. Cinquante mètres seu- lement le séparaient de sa maison et, marchant aussi vite que le lui permettaient sa charge et et le sol qui craquait sous ses semelles, il attei- gnit sa porte qu'il heurta brutalement en criant :

— Mariette ! Ouvre vite ! Tout aussitôt, la lumière l'aveugla, par le bat-

tant tiré. La tiédeur de la cuisine lui sauta au visage avec sa clarté. Sur la table débarrassée, il posa son fardeau, tandis que sa femme, les yeux démesurément agrandis par la stupeur, bal- butiait machinalement :

— Qu'est-ce que c'est ? — Du diable si je le sais ! Je viens de trouver

ça à côté du chêne d'angle. Elle connaissait l'endroit et déjà aidait son

mari à défaire la couverture, sans phrase inu- tile, sans cri, sans même une exclamation quand,

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sous une seconde couverture, blanche celle-là, elle découvrit un visage, celui d'une femme, d'une très jeune fille plutôt, dont le front et tout le crâne était serrés dans un énorme pansement qui laissait voir des traits menus d'une pâleur mortelle.

— Mon Dieu ! prononça seulement Mariette, tandis que son mari ne trouvait rien à dire.

Ils se regardèrent un instant, puis, très vite, la femme se ressaisit et ordonna :

— Active le feu ! En même temps, elle ramenait de la chambre

une couverture que son mari tendit devant le foyer. Elle achevait de libérer le corps inerte de ses enveloppes glacées. Il était vêtu d'un manteau et d'une robe qu'elle ôta avec peine, puis elle l'enroula dans la laine chauffée, exa- mina le visage sans vie, souleva les paupières aux longues franges de cils blonds, découvrant des prunelles sans regard qui apparurent, sous la lumière de l'ampoule, d 'un bleu sombre.

— Est-elle ?... chuchota Gareil. — Je ne crois pas. Mariette glissait sa main sous la couverture,

cherchait la place du cœur. — Il me semble qu'il bat faiblement. — Qu'est-ce qu'on fait ? dit-il encore. — Il faudrait prévenir le médecin... les gen-

darmes. II hocha la tête en signe d'assentiment, mais

elle savait le temps qu'il faudrait avant que puisse arriver le secours. La propriété ne com- portait pas de téléphone. Quatre kilomètres à franchir à pied pour atteindre le village, réveil-

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1er la postière, appeler le docteur Vierney, alerter la gendarmerie, demanderaient encore un bon moment ; ensuite, ce serait le retour, sur la route gelée, dans l'allée quasi impraticable. D'ici là, qu'adviendrait-il de cette créature mena- cée ?

— Maudit temps ! gronda Gareil. — Va, Edouard, va aussi vite que possible.

Avant, il faudrait la coucher. Sans attendre, elle s'affairait déjà à changer

dans la pièce contiguë les draps de son propre lit. Quelques instants plus tard, l'inconnue, tou- jours privée de sens, était installée sous l'édre- don de duvet, avec des briques chaudes placées autour d'elle. Le garde était parti et, dans la cheminée de la chambre, Mariette allumait du feu. Bientôt, il régna dans tout le logis exigu une douce température. Parfois, la jeune femme se penchait au-dessus du lit. Le visage restait blême, inerte, mais un peu de tiédeur était venue à la peau. Dans la crainte d'une manoeuvre mala- droite, Mariette se contentait d'entretenir de la chaleur autour de la blessée, n'osant toucher au pansement qui enveloppait sa tête, inquiète de la tache de sang coagulé visible à la hauteur de la tempe. Au poignet frêle, elle pouvait à présent sentir les pulsations rapides, indice de la vie qui demeurait, en dépit de la plaie, du séjour prolongé dans le froid mortel d'une rude nuit d'hiver.

Il faisait presque jour, avec un ciel qui res- tait bas. Au-delà de la fenêtre, tout était blanc. Une heure s'était écoulée depuis le départ de Gareil, que Mariette avait mise à profit pour

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ranger sa maison, faire sa toilette tout en sur- veillant l'inconnue prostrée dans la même inconscience.

Les questions qui se posaient à elle, Mariette ne pouvait les résoudre. Comment expliquer la présence de cette jeune fille au cœur d'une forêt, dans un endroit si éloigné de toute agglo- mération ? Le lieu où elle avait été découverte, par miracle, car Edouard aurait pu passer près d'elle sans deviner un être déjà enfoui sous un linceul, était à plusieurs centaines de mètres de la route. Qui l'avait amenée là, blessée et probablement inconsciente ? Qui l'avait aban- donnée à cette place où elle devait promptement succomber au froid ? Qui ? Sinon son agresseur lequel, n'ayant pas eu le courage de l'achever, espérait sa mort.

Laissés dans la cuisine, les vêtements ne révé- laient rien : robe et manteau de citadine, chaus- sures de cuir souple, peu faites pour affronter une température aussi rigoureuse, étaient tachés de sang.

Depuis longtemps, le moment était passé d'aller nourrir la basse-cour, de donner la pâtée aux chiens. Du côté des communs, il se faisait un peu d'animation, mais Mariette n'osait s'éloi- gner et, faute de pouvoir se livrer à ses occu- pations habituelles, elle prit machinalement son tricot, s'interrompant à tout instant pour sur- veiller un signe, un frémissement, un retour à la conscience.

Enfin, le ronronnement lointain d'un moteur lui parvint. Elle fut aussitôt sur pied, courut à la porte. Elle reconnut l'auto du docteur Vier-

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ney qui avançait avec une lenteur extrême sur le sol brillant et glissant comme une patinoire. Le médecin, qui ramena Gareil, immobilisa, après quelques zigzags, son véhicule devant la maison. Les deux hommes descendirent, mais, avant même qu'il fussent entrés, apparaissait, conduite avec la même prudence calculée, la voiture de la gendarmerie.

Le docteur Vierney savait déjà tout de l'inci- dent et, à la suite de Mariette, pénétrait dans la chambre. Tout e n se débarrassant de sa pelisse, il réclamait sa trousse.

— Bien, dit-il, approuvant les précautions prises par Mariette pour réchauffer la malheu- reuse.

Il écouta longuement le cœur, stéthoscope aux oreilles, souleva les paupières, bougea les membres assouplis, palpa le torse.

— Rien de cassé, dit-il, à mi-voix. La tête à présent.

Il souleva le buste menu, acceptant d'un signe l'aide de Mariette pour dresser les oreillers. Il remonta les couvertures, commença à défaire le pansement. Il était fait maladroitement, avec un souci évident d'arrêter le sang. Une serviette, pas très propre, déchirée en bandes juxtaposées, un paquet de coton, indiquaient qu'on avait uti- lisé ce qu'on possédait à portée de la main.

Des cheveux blond cendré apparurent, poissés sur tout le côté gauche par le sang coagulé. Prompte à deviner ce qu'il fallait, Mariette apportait une cuvette d'eau chaude. Le médecin découvrit la plaie qui se remit à saigner, la sonda, fit la grimace, ses doigts suivirent les

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contours du crâne, puis, se redressant, il con- clut :

— Non, il n'y a pas de fracture, du moins je ne le crois pas. La transporter à l'hôpital ?

Il se tourna vers la cuisine. Dans l'embrasure de la porte, le brigadier et son adjoint silencieux attendaient. Ils eurent un geste d'impuissance que le praticien interpréta :

— Evidemment, vingt kilomètres, avec ce temps !... Pouvez-vous la garder ?

Il s'adressait à Mariette qui répondit spon- tanément :

— Bien sûr, si je peux la soigner. — Oui. La blessure est large, mais peu pro-

fonde. Je vais faire une suture. — Elle est en danger ? Il fit un geste évasif. — Elle a eu une violente commotion, c'est

évident. Son séjour dans la neige lui vaudra- t-il une congestion pulmonaire ? Je ne saurais le préciser.

Il griffonnait rapidement une ordonnance, mais s'interrompit pour jeter un coup d'œil vers la fenêtre. Les flocons serrés descendaient len- tement du ciel gris. Il remit le capuchon de son stylo, sans achever d'écrire les prescriptions.

— Je reviendrai dans l'après-midi, j 'appor- terai les médicaments.

— Si elle s'éveille ? — Donnez-lui à boire un peu de lait. Main-

tenez-la couchée, empêchez-la de s'agiter. Il est probable qu'elle va rester prostrée quelques heures encore.

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Il reprit son manteau et, comme les gendarmes s'effaçaient pour le laisser passer, il dit :

— Même si elle reprend connaissance, n'es- sayez pas de l'interroger à présent. La blessure est due à un choc violent : chute ou coup porté avec un objet contondant. Plus grave est le fait de l'avoir transportée là où Gareil l'a découverte. A mon sens, il y a eu agression et, si on n'a pas osé achever la malheureuse, on a pensé qu'elle succomberait au froid. Voilà, messieurs, pour commencer votre enquête. Si je puis vous donner mon avis, je trouve cette affaire assez inquiétante et cette jeune personne ne me paraît pas à l'abri d'une nouvelle attaque, si ceux qui l'on amenée ici apprennent qu'elle est sauve. Soyez prudents dans vos conclusions. Quant à vous, dit-il aux époux Gareil, ne la perdez pas de vue jusqu'à ce qu'on puisse la transporter à l'hôpital.

Il prit congé après s'être à nouveau penché sur la jeune fille dont le pansement, fait par le praticien, accentuait la pâleur.

Quand son auto eut, après avoir patiné dans la neige, disparu au tournant de l'allée, les gendarmes s'installèrent, avec le garde, autour de la table de la cuisine et le rapport, répétant le peu que savait le ménage Gareil, fut dressé. Les vêtements, comme les couvertures qui enve- loppaient la blessée, ne révélaient rien, sinon que les uns et les autres étaient d'une bonne qualité courante, sans marque d'origine. Les poches ne contenaient rien et, à l'exception d'un bracelet-montre en or, d'origine suisse, à son poignet gauche, elle ne portait aucun bijou.

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Les gendarmes se rendirent, sous la conduite d'Edouard, à l'endroit où il avait fait sa décou- verte. Déjà la neige effaçait les pas du garde et l'emplacement, d'où il avait dégagé le corps, offrait une dépression qui s'atténuait. Ensemble, les trois hommes grattèrent la nouvelle couche qui se gelait, mais ne trouvèrent ni un objet ni une trace qui pût révéler comment le corps avait été amené là. Peut-être la fonte des neiges donnerait-elle des indices ? Pour l'heure, il fal- lait se contenter d'attendre le moment où la malheureuse serait en état de répondre.

La difficulté de circuler, l'isolement de la forêt, représentaient la meilleure protection contre un retour éventuel des agresseurs. Pour les mêmes raisons, la presse locale avait peu de chance de s'emparer de l'événement. Tant que se prolongerait l'inclémence de la tempé- rature, la jeune fille serait à peu près en sécu- rité. Restait à savoir si son organisme était pro- fondément atteint et si elle-même était capable de surmonter une semblable épreuve.

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CHAPITRE II

C'est seulement vers six heures du soir, alors que derrière les rideaux de la fenêtre la nuit était totalement opaque, qu 'un faible mouve- ment alerta Mariette aux aguets. Elle s'approcha du lit et, dans la lumière atténuée de la lampe de chevet, elle vit les yeux, agrandis par une expression d'angoisse, se fixer sur elle.

— Ne craignez rien, chuchota la jeune femme, vous êtes en sécurité.

Les paupières retombèrent et une détente défit la crispation du visage, tandis qu 'un gémis- sement s'échappait de ses lèvres. Une main tremblante se dégagea de dessous les couver- tures, monta vers le pansement du front.

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— Ne bougez pas, dit encore Mariette, vous êtes blessée, mais ce n'est pas grave.

Le docteur Vierney, en revenant au début de l'après-midi, avait confirmé son diagnostic. Sauf complications du point de vue pulmonaire, il semblait que l'inconnue se tirerait, par une chance prodigieuse, d'une aventure mortelle.

Un peu de couleur naissait aux pommettes et ce n'était pas celle d'une fièvre intense. Docile, la jeune fille se laissa soulever, s'appuya sur l'épaule qui la soutenait, but la tasse de lait dans laquelle le calmant, prescrit par le méde- cin, devait lui assurer un sommeil normal, mais elle n'ouvrit pas les yeux, ne prononça pas une parole et, de nouveau, s'abandonna au creux de l'oreiller, sans un geste.

Pourtant, Mariette aurait pu affirmer qu'elle ne dormait pas, en dépit de son immobilité. Sous les paupières closes, les prunelles bougeaient, indice d'une agitation intérieure, d'une peur peut-être, d 'un cauchemar qui se poursuivait dans une demi-inconscience.

Dans la cuisine où Edouard, rentré tard de sa tournée infructueuse, établissait ses comptes de fin de mois, Mariette avait préparé le lit qui servait seulement quand il leur arrivait des parents en visite. Elle-même ne comptait guère se coucher, mais, se relayant peut-être avec son mari, veiller cette première nuit au chevet de leur pensionnaire involontaire.

Avec la même docilité et le même mutisme, celle-ci devait accepter les boissons ou les médi- caments qui lui étaient administrés. La fièvre ne monta que fort peu et quand, au matin, le

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médecin revint, il put affirmer que tout danger était écarté. Cependant, il n'obtint aucune réponse lorsque, le pansement refait sur une plaie recousue qui déjà, comme toutes celles qui intéressent la tête, paraissait en voie de cica- trisation, il tenta de la questionner. Elle atta- chait sur lui ses pupilles dilatées et ne semblait ni entendre ni comprendre ce qu'il disait. Le traumatisme avait-il été si fort qu'il lui avait enlevé la conscience de ce qui lui était arrivé, de ce qui se passait autour d'elle?

— Pourtant, commentait le médecin, je ne pense pas qu'il y ait lésion grave. Si le temps le permettait, je remmènerais à l'hôpital pour faire des radios.

Il désigna la fenêtre. Depuis la veille il n'avait guère cessé de neiger et l'allée, devenue impra- ticable, ne lui avait pas permis d'arriver avec sa voiture jusqu'à la maison. Il lui avait fallu la quitter à la route et c'est à pied, en enfonçant presque jusqu'aux genoux, qu'il avait parcouru la distance.

— Elle n'est pas en danger. Laissez-la se reposer. Tâchez de l'alimenter. Je reviendrai seulement demain.

Durant trois jours, sans qu 'aucun change- ment se fût manifesté dans le comportement de la blessée, la forêt et ses habitants se trou- vèrent bloqués dans la neige, dans la glace,

Pas une fois la malade ne marqua l'éton- nement de se trouver dans cette maison, avec

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des gens inconnus. Physiquement, elle se remet- tait de son étrange aventure, mais son esprit, sa compréhension des événements, de sa situa- tion, paraissaient absents. Elle ne parlait pas, souriait à peine, comme pour remercier ou aprpouver, mangeait ou buvait ce qu'on lui offrait, repoussait bientôt, après une ou deux bouchées, les aliments ou les breuvages.

Les gendarmes étaient revenus à pied, mais, pas plus que le médecin ou Mariette, ils n'avaient pu lui tirer une parole.

— Amnésique, prononçaient les uns et les autres.

Le médecin hochait la tête : — Le choc qui a causé la plaie n'était pas

si violent. Choc moral ? Possible. Patientons. On ne pouvait faire autre chose, bloqués

comme on l'était. Gareil n'avait pas diminué le rythme de ses tournées. Plus souvent, il renou- velait les tas de foin destinés à empêcher les animaux sauvages de périr, mais les auges de bois dans lesquelles il versait de l'eau chaude, ne tardaient guère à se prendre en glace, comme la pièce d'eau où il cassait chaque matin une ouverture refermée rapidement par le gel.

— Cela ne finira donc jamais ! grondait-il. Tout concourait à aggraver leur isolement.

Des coupures de courant se produisaient, qui les plongeaient brusquement dans une nuit remplie d'anxiété. Le facteur ne venait plus et les nouvelles, diffusées par la radio, laissaient présager que le froid, qui sévissait sur presque toute l'Europe, ne desserrerait pas de si tôt son étreinte.

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La présence chez eux de cette créature muette, le mystère qui l'entourait, la vague menace qui pesait sur elle, ajoutaient à cette atmosphère lourde et angoissante.

Les gendarmes venus, à plusieurs reprises, au prix de grandes difficultés, avaient renoncé, sur les instances du médecin, à poursuivre un interrogatoire inutile. Lui-même, au cinquième jour, déclara qu'il fallait attendre que les facul- tés revinssent à la jeune victime d'une forte commotion et, comme les Gareil acceptaient de la garder chez eux, elle ne pouvait être en meil- leures mains.

L'épais pansement de la tête avait été rem- placé par un simple bandeau d'où s'échappait la chevelure légère que Mariette démêlait dou- cement en faisant chaque jour la toilette de la jeune fille. Un matin, elle l'aida à se lever. Ses vêtements, comme son linge, nettoyés et lavés, elle l'habilla, la conduisit près de l'âtre et l'installa dans le fauteuil. Son regard avait perdu un peu de sa fixité et cherchait à recon- naître ce qui l'entourait. Elle sourit à Mariette penchée sur elle, qui répétait, une fois de plus la question :

— Souffrez-vous ?

A l'incompréhension qui se peignait sur le visage menu, elle supposa que, peut-être, cette jolie créature, à la chevelure pâle, aux yeux de violette, n'était pas Française et elle tenta avec des gestes, une mimique appropriée, en mon- trant la place de la blessure, de se faire entendre, sans plus de résultat.

Page 25: L'homme qui m'a choisie · L'HOMME QUI M'A CHOISIE CHAPITRE PREMIER L'aube était lointaine, le ciel restait noir, une blancheur diffuse, montant du sol, pâlissait les vitres. Avant

CHAPITRE III

La neige, enfin, cessa à la fin de la semaine. Sous le soleil tard venu dans la matinée, l'éten- due immaculée scintillait. Mariette ouvrit la fenêtre pour aérer la salle et la jeune fille se leva, s'avança en s'appuyant à la table, jusqu'au- près d'elle. Celle-ci étendit un bras pour l'aider et elle remercia d 'un signe, regarda, avec une expression charmée, le décor de rêve que for- maient les arbres givrés autour de l'immense tapis nacré de la pièce d'eau gelée.

Aux gouttières des communs, les stalactites de cristal formaient des guirlandes. Les lèvres de la malade se mirent à trembler, ses yeux

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s'emplirent de larmes qui roulèrent sur ses joues, tandis que Mariette, bouleversée, n'osait bouger par crainte de couper ce qui semblait être une reprise de contact avec la réalité.

Déjà les traits délicats se figeaient de nou- veau. Les yeux perdaient toute expression et l'inconnue revint, à pas mesurés, reprendre sa place dans le fauteuil, opposant aux tenta- tives patientes de Mariette pour la faire parler, un mutisme de totale incompréhension. Pour- tant, à plusieurs reprises, il lui sembla que la convalescente suivait chacun de ses gestes, écou- tait, attentive, les propos qu'elle échangeait avec son mari.

Deux jours passèrent encore, durant lesquels, murés dans leur solitude, les Gareil ne virent âme qui vive, puis, brusquement, le froid céda, le ciel devint clair, le soleil reparut avec une ardeur qui hâta le dégel.

Le docteur Vierney reparut, puis les gen- darmes, mais c'est sans aucun succès qu'ils reprirent leur interrogatoire précis. Intrigué par une si totale absence de réactions, par ce mur qui séparait la blessée du reste du monde, le médecin décida, les routes redevenues prati- cables et l 'état de la patiente suffisamment amé- lioré, de l'emmener en voiture à Nancy, pour la soumettre aux examens qui détermineraient l'importance des dégâts causés dans son orga- nisme par le traumatisme subi et, éventuelle- ment, lui appliquer le traitement approprié.

Se concertant avec les gendarmes qui se trouvaient dans l'obligation de laisser leur rap- port sans conclusion, faute de déclaration de