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L'HÉRITAGE KANTIEN ET LA RÉVOLUTION COPERNICIENNE

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L'HÉRITAGE KANTIEN

ET LA RÉVOLUTION COPERNICIENNE

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DU MÊME AUTEUR

Aux PRESSES UNIVERSITAIRES DE FRANCE :

Essai sur la signification de la mort, 1948.

L'être et le travail, Les conditions dialectiques de la psychologie et de la socio- logie, 1949.

Aux ÉDITIONS DE LA BACONNIÈRE, Neuchâtel, en collaboration avec Louis GUILLERMIT :

Le sens du destin, 1948.

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BIBLIOTHÈQUE DE PHILOSOPHIE CONTEMPORAINE HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE ET PHILOSOPHIE GÉNÉRALE

SECTION diRiGÉE pAR PiERRE-MAXiME SCHUHL, PROFESSEUR À LA SORBONNE

L'HÉRITAGE KANTIEN ET LA RÉVOLUTION

COPERNICIENNE FICHTE — COHEN — HEIDEGGER

PAR

JULES VUILLEMIN PROFESSEUR À LA FACULTÉ DES LETTRES DE CLERMONT-FERRAND

PRESSES UNIVERSITAIRES DE FRANCE 108, BOULEVARD SAiNT-GERMAiN, PARIS

1954

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DÉPOT LÉGAL 1 édition 1 trimestre 1954

TOUS DROITS de traduction, de reproduction et d'adaptation

réservés pour tous pays COPYRIGHT

by Presses Universitaires de France, 1954

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A Monsieur Martial GUÉROULT

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CHAPITRE PREMIER

L E D É P L A C E M E N T D E S C O N C E P T S

E T L A R É V O L U T I O N C O P E R N I C I E N N E

§ 1. La Révolution copernicienne et la critique hégélienne des « déplacements »

Dans la Phénoménologie de l'Esprit, Hegel entreprend, à propos de la « vision morale du monde », une critique systéma- t i q u e de l'idéalisme kantien. Il en analyse l'ambition philoso-

phique; il montre combien peu le résultat lui répond. Sous l'unité de la Révolution copernicienne, il découvre une dualité réelle ; il expose les moyens par lesquels cette dualité se cache ; il dénombre enfin sous ces divers faux-fuyants deux positions philosophique- ment et existentiellement contradictoires, de telle sorte que l'ap- parente cohésion du kantisme ne résulte que de la rapidité avec laquelle ce dernier passe de la première position à la seconde et inversement. Résultat d'autant plus surprenant que la décou- verte critique promettait d'éviter les erreurs de l'ancienne méta- physique et que dans la Dialectique transcendantale elle préten- dait même décrire la genèse de ces représentations doubles et contraires dont la philosophie avait été encombrée jusqu'à elle.

T e l était le projet de la célèbre Révolution copernicienne, qui. faisant tourner l'objet autour du sujet au lieu de faire tourner le sujet autour de l'objet, trouvait un moyen d'opérer le passage de la certitude à la vérité, du Moi au Monde, et semblait achever ainsi les efforts que depuis Descartes la pensée avait accumulés au profit de la subjectivité. Si l'esprit ne connaît a priori des choses que ce qu'il a introduit implicitement en elles, l'analyse transcendantale n'aura-t-elle pas précisément pour fin dans sa

, déduction de recréer devant nous cette unité primitive du sujet et de l'objet, du moi et de la chose, de la certitude de soi et de la conscience vraie, alors que la recherche dogmatique, partant de la chose seulement, de la vérité et de l'être, ne pouvait expli-

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quer cette donnée indiscutable qu'en recourant en réalité au moi, au sujet et à la certitude ? « C'est donc ici que le savoir semble enfin être devenu parfaitement égal à sa vérité ; en effet sa vérité est ce savoir même, et toute opposition des deux côtés a disparu ; elle a disparu non seulement pour nous ou en soi, mais encore pour la conscience elle-même (1). »

Unité déjà présente dans tous les développements théoriques de la philosophie kantienne, si l'acte du Je pense, fondement de l'unité des catégories, est impliqué à l'origine de toute position de l'objet. Elle ne produit cependant tout son effet, c'est-à-dire l'adéquation absolue du sujet et de l'objet — sans aucun apport de celui-ci qui ne serait primitivement contenu dans celui-là — que dans la conscience morale, là où le moi, la liberté ne se définissent que par la conscience du devoir, par la loi. Dans l'autonomie du « Je dois » semble entièrement réalisé le pro- gramme critique. La dualité est vaincue. « Cette pure volonté qui se veut elle-même est l'être en général ou tout être. La critique que Kant fait de l'ontologie classique est destinée à préparer une nouvelle ontologie, celle dans laquelle l'être n'est plus que le sujet qui se pose lui-même, un acte et non un substrat inerte. L'être est liberté (2). » Or cette coïncidence absolue de l'être et de la pensée se vérifie en ce qu'elle implique en elle l'identité contra- dictoire de l'immédiateté et de la médiateté. D'une part en effet le devoir n'est rien d'étranger à la conscience morale ; il est cette conscience même en sa signification la plus haute. Qui suis-je ? demande le héros de l'éthique ; et sa conscience ne lui répond que ceci : « Tu es qui tu dois être. » Mais de ce fait l'immédiateté morale est arrachée à la nature, à l'être-là par lequel se définit l'immédiateté des choses; elle n'appartient ni au lieu, ni au temps, et elle ne retient aucune détermination qui la pourrait limiter. Cet arrachement à l'extériorité, par lequel le criti- cisme se distingue de l'empirisme et s'oppose à lui, implique un mode d'être qu'on définit par la médiateté, l'être de la réflexion. Tel est le sens de l'identité entre la liberté et l'être et, à travers elle, entre le sujet et l'objet, qui domine toute la Révo- lution copernicienne : « Le savoir de la conscience de soi lui est donc la substance même. Pour la conscience de soi cette substance est, dans une unité indivisible, aussi bien immédiate qu'absolu- ment médiate (3). » Comment donc. une fois si nettement défini

(1) HEGEL, Phénoménologie de l'Esprit, trad. HYPPOLITE, II, p. 142. (2) Jean HYPPOLITE, Genèse et structure de la Phénoménologie de l'Esprit,

p. 454. (3) HEGEL, Phénoménologie de l'Esprit, II, p. 143.

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le projet copernicien et avec lui cette identité de la vérité et de la certitude, de l'immédiat et de la médiation. Hegel va-t-il décou- vrir ici une dualité, en retracer les faux-fuyants, les désenchanter enfin de leurs déplacements en reprenant leur histoire, c'est ce que nous apprend l'étude des paragraphes consacrés dans la Phénoménologie à la vision morale du monde (1).

La conscience morale est la clef de voûte du système coper- nicien, précisément parce qu'elle exprime en sa perfection l'iden- tité de la conscience de soi et de la conscience de l'objet La découverte critique montre que l'autonomie n'est rien que la cons- cience du devoir. En ce point, la loi et le moi se confondent ; ou du moins ne se distinguent-ils que dans la mesure où celle-là est la ratio cognoscendi de celui-ci, celui-ci la ratio essendi de celle-là. Encore n'y a-t-il pas lieu d'attribuer à la liberté une transcendance mystérieuse par laquelle elle « dépasserait » la loi. L'immédiateté de la loi confirme la médiateté de la liberté et elle supprime radicalement tout recours aux intuitions délirantes qui cherchent le moi moral hors de la simple conscience du devoir. Or cette identité du sujet et de l'objet, de la médiateté et de l'immédiateté dans la conscience morale semble impliquer d'abord, comme sa conséquence nécessaire, la séparation radi- cale de la nature et de la liberté. Le pathos de la bonne intention dans le kantisme retrouve ainsi naturellement la théorie stoï- cienne des indifférents. C'est à peu près ce qu'exprime le début des Fondements de la Métaphysique des mœurs, où ce qui est absolument bon est réservé à la bonne volonté, tandis que la nature est sans doute susceptible d'appréciations diverses eu égard aux différents intérêts de l'homme, mais ne peut nullement être estimée à la lumière de la valeur absolue, de la moralité ; aussi nous répète-t-on que le succès empirique d'une action ne saurait rien ajouter moralement à son intention. Celle-ci pure, celle-là est parfaite.

Or la Révolution copernicienne ne peut en réalité s'en tenir au stoïcisme et à l'indifférence de la nature. La bonne volonté, si elle est sincère — et comment manquerait-elle de sincérité si elle est vraiment bonne ? — doit en effet vouloir s'actualiser. Elle ne peut vouloir ne pas vouloir. La nature ne doit plus alors rester

(1) P o u r t o u t e c e t t e a n a l y s e n o u s s u i v r o n s e x a c t e m e n t H Y P P O L I T E , op . c i t . , VI Partie, chap. I, p. 453, p. 474.

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en dehors de la loi, mais se soumettre à elle. Un terme non impliqué et même rejeté par l'identité copernicienne entre la certitude et la vérité, entre la médiateté et l'immédiateté, se glisse donc subrepticement à son principe. La nature est reconnue nécessaire si la volonté veut ce qu'elle veut. Mais elle reste d'une part hors de l'immédiateté morale, puisqu'elle définit justement l'être et non le devoir, ce qui est extérieur à la loi et non ce qui lui est intérieur, d'autre part hors de la médiateté morale, puisque, loin d'appartenir à la réflexion, elle figure l'être-là situé dans l'espace et le temps et relevant de ce fait de l'immédiateté la plus brutale. Manquant à la fois les deux critères dont l'identité caractérisait la conscience morale, la nature brise dès lors l'iden- tité de la certitude et de la vérité et elle définit même leur exté- riorité radicale. Ainsi l'effectivité d u devoir contredit sa pureté. La volonté morale est partagée. La vision morale du monde contient en fait deux visions contraires. « Au fondement de ce rapport se trouvent, d'une part la pleine indifférence mutuelle et l'indépendance spécifique de la nature et de la moralité (comme buts moraux et activité morale), mais se trouve aussi bien, d'autre part, la conscience de l'essentialité exclusive du devoir et de la complète inessentialité et dépendance de la nature (1). » L'analyse du système kantien découvre donc dans l'Analytique de la raison pratique l'indépendance de la nature et de la liberté (pureté morale), dans la Dialectique et la théorie des postulats la dépendance de la nature par rapport à cette même liberté (effectivité morale). Déjà nous pressentons l'universalité de la critique hégélienne. Sous le système moral, c'est tout l'édifice critique qui est en cause. Celui-là ne fait qu'exprimer plus claire- ment celui-ci et la difficulté qu'il rencontre de définir le phéno- mène sans faire implicitement appel à ce que le phénomène, en tant qu'identité du sujet et de l'objet dans l'immanence de la conscience transcendantale, rejetait absolument : la chose en soi, l'altérité de l'absolu.

La solution, la synthèse que Kant prétend apporter sur le plan pratique à cette contradiction s'exprime dans les postulats de la Raison pratique. « Nature et moralité sont indifférentes l'une à l'égard de l'autre, et pourtant la nature doit être dépendante de la moralité ; une synthèse doit donc être postulée qui réconcilie

(1) HEGEL, Phénoménologie de l'Esprit, II, p. 145.

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ces termes opposés ; cette synthèse se présente en soi dans le premier postulat (harmonie du bonheur et de la moralité), pour soi dans le deuxième postulat (progrès indéfini de la conscience de soi morale par l'harmonie conquise de sa nature et de la mora- lité), en soi et pour soi dans le troisième postulat (celui d'un saint législateur du monde dans lequel les deux termes s'identifient pleinement). Mais la contradiction qui est au fondement de cette vision morale du monde se manifestera dans le développement de ces postulats ; elle est du reste incluse dans cette notion d'un postulat qui porte sur l'Être (1). » Et en effet les trois postulats pratiques qui ne font naturellement que reprendre les trois idées de la Dialectique de la Raison pure, la nature, l'âme et Dieu, posent un être qu'ils ne se contentent pas de recevoir ; ils possè- dent le privilège, à eux seuls réservé, de faire de l'être un prédicat dans un jugement synthétique a priori, qui sans doute, en tant qu'il exprime une croyance et non un savoir, ne nous fournit aucune connaissance de son objet, mais qui néanmoins, du moment qu'il affirme l'être sans une affection préalable dans la sensation, nous montre à l'œuvre pratiquement la productivité du noumène et transforme la subjectivité de l'intention morale en la création tremblante du monde dans la foi.

En soi la volonté moralement bonne s'affirme, d'une part comme unité de l'immédiateté et de la médiateté, de la certitude de soi et de la vérité : elle s'épuise dans la décision intérieure qui définit la conscience du devoir. D'autre part, cette décision même implique la subordination de la nature extérieure à la moralité ; ici la réflexion doit devenir immédiateté naturelle, tandis que l'immédiateté morale doit devenir médiate en tant qu'absolu- ment extérieure à la certitude de soi de l'intention. Comment se résout cette contradiction ? Il faut que la nature pénètre dans la réflexion morale, et elle le fait par le bonheur. Celui-ci sert donc pour ainsi dire de schème à la synthèse entre le sujet et l'objet, entre le devoir et son effectivité ; — bien entendu ce schème n'appartient pas à l'imagination, et il est posé sans être connu, comme le fait remarquer la rédaction de la Critique de la Raison pratique dans la mesure où, s'écartant des Fondements de la métaphysique des mœurs, elle s'engage à considérer la nature formelle (la nature comme législation) simplement comme un type de la moralité, et non pas comme un schème proprement dit. Si le bonheur peut donc être appelé schème de la moralité, c'est uniquement si l'on entend ce mot en un sens particulier : comme

(1 ) HYPPOLITE, op. cit., p. 459-460.

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un « schème de la foi », comme la construction pratique et vide de toute connaissance de l'immédiateté naturelle dans la réflexion morale. Ainsi s'éclaire la déclaration kantienne de la seconde préface à la Critique de la Raison pure. Si le criticisme remplace le savoir par la foi, c'est que le centre de la doctrine kantienne est bien, comme le prétend Hegel, dans les postulats de la Raison pratique, c'est que le véritable acte copernicien se joue non pas dans la lumière de la raison théorique, mais dans les exigences de la raison pratique, c'est que le bonheur enfin est le véritable jugement synthétique a priori, jugement simplement pratique et premier par rapport à toutes les connaissances futures dont il fonde en dernier ressort la possibilité, puisque, seul, il permet de passer du sujet à l'objet de l'intention à la nature, de la loi à l'effectivité.

L'identité de la nature et de la moralité qu'exprime le bonheur n'est possible en second lieu que par l'acte de la conscience morale de soi comme telle, par le second postulat, par le pour soi. L'acte copernicien se révèle d'abord à lui-même sous la forme aliénée de la nature. Il est bonheur, âme naturelle, objet de l'anthropo- logie morale. Or le bonheur, en tant que postulat de la moralité, n'exprime rien d'autre qu'une action de la réflexion, par laquelle le Moi produit le Monde. Pour qu'une telle action soit possible, il faut que le Moi se produise lui-même, c'est-à-dire qu'il nous donne à croire la synthèse morale de lui-même comme identité de l'immédiateté et de la médiateté, comme volonté rationnelle ou conscience de la loi (Wille), et de lui-même avec son effectivité, comme séparation de l'immédiateté et de la médiateté, comme faculté des mobiles ou libre-arbitre (Willkür). Comment une telle synthèse est-elle possible ? Comment le Moi empirique peut-il s'identifier au Moi moral, sans confondre cependant l'ordre de la connaissance et l'ordre de l'action, sans tomber avec le stoï- cisme dans l'orgueil, dans le péché d'angélisme enfin qui résout la moralité dans la sainteté ? Comment, sinon en faisant de l'immortalité de l'âme le schème de ce jugement pratique, où l'obligation devient spontanéité, mais seulement à titre d'objet de la croyance. « C'est seulement une telle unité qui est la moralité effective, car en elle est contenue l'opposition moyennant laquelle le Soi est conscience, ou est, maintenant seulement, Soi effectif, Soi en fait et en même temps Universel. En d'autres termes c'est ici qu'est exprimée cette médiation qui, comme nous le voyons, est essentielle à la moralité (1). » La vérité de l'âme naturelle,

(1) HEGEL, Phénoménologie de l'Esprit, II, p. 148.

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c'est la conscience. A moins d'exiger d'être immortel, l'agent moral ne parvient qu'au verbiage et c'est alors que l'enfer est pavé de bonnes intentions. Mais ce qui soutient la volonté morale effective, son centre copernicien, c'est encore bien la foi. Le moi produit sa propre nature, condition pour qu'il puisse produire l'univers ; le passage du sujet à l'objet s'intériorise dans le sujet lui-même. La condition du bonheur, c'est l'immortalité. Le second postulat kantien fait donc apparaître la productivité du moi au moi lui-même dans la réflexion de la foi.

Toutefois — et c'est ici que le déplacement apparaît en pleine lumière — au moment où le pour-soi perce à jour l'aliénation de l'en-soi et où nous apercevons dans l'immortalité de l'âme la vérité du bonheur, une nouvelle aliénation devient nécessaire pour conférer un contenu à l'auto-productivité du moi dans la réflexion morale. Quelle est en effet la synthèse de l'universel et du singulier opérée par le pour-soi ? Elle efface le singulier dans l'universel ; grâce au schème pratique de l'immortalité notre nature sensible particulière doit disparaître pour faire place à l'universalité de la loi. Mais l'action effective implique justement la connaissance du particulier comme tel, d'un Soi qui ne signifie plus l'auto-destruction de l'individuel dans l'universel, mais l'auto-construction de l'individuel par et dans cet universel. L'immortalité de l'âme n'a donc de sens que parce que, par elle, devient possible dans la foi non pas une perte de soi dans l'uni- versel, mais une détermination complète et concrète de soi à tout moment, précisément comme être moral. Le passage du second au troisième postulat, de l'en-soi à l'en-soi et pour-soi figure donc en réalité le passage du formalisme à une éthique concrète, de la moralité à la religion. « Puisque les devoirs valent pour cette autre conscience comme devoirs déterminés c'est que le contenu comme tel est pour elle aussi essentiel que l'est la forme en vertu de laquelle le contenu est devoir (1). » Jusqu'ici, nous nous demandions comment l'universel pouvait devenir principe effectif de l'action. Maintenant nous demandons au postulat la justifi- cation du particulier comme tel. Dans le premier moment, le contenu reste indifférent à la forme ; mais c'est dire aussi que le vouloir n'est pas parvenu à son concept et à sa vérité. C'est là le moment du stoïcisme, où le devoir-être ne détermine pas l'être, mais s'identifie avec lui immédiatement ; le sage est heureux, éternel et divin. Or cette possesion de l'être sous la forme de l'immédiateté n'exprime en réalité qu'un refus de l'être et un

(1) HEGEL, Phénoménologie de l'Esprit, II, p. 151.

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renoncement à l'effectivité et à la singularité de la conscience réelle de soi morale. Il ne s'agit au fond que du verbiage de la jactance. Au contraire si le devoir-être doit se donner pour ce qu'il est, c'est seulement dans la mesure où il détermine positive- ment et particulièrement l'être, où la synthèse définitive, en soi et pour soi, s'opère enfin de l 'identité et de l 'altérité absolues de l ' immédiateté et de la médiateté, de la vérité et de la certitude.

La contingence de la nature doit être transformée en nécessité eu égard aux exigences de la loi. Comment cette transformation est-elle possible, sinon parce que la conscience morale, après avoir posé en elle-même la contingence du contenu, se dédouble pour poser en son alter ego la nécessité de ce même contenu ? Telle est la définition du troisième postulat de la raison pratique, qui nous conduit à croire à l'existence de Dieu. D'une part, en t an t que pure conscience morale de l ' intention bonne, elle sépare l'effecti- vité et la pureté ; de l 'autre, en t an t que la raison est au principe de l'action, elle réunit en elle-même ses deux moments. Dieu apparaî t ainsi à la fois comme immanent et t ranscendant à la conscience. Le passage s'opère de la « phénoménologie de l 'Esprit » à ce que l'Encyclopédie des sciences philosophiques appellera plus ta rd la psychologie, ou encore de la conscience à la raison par l ' intermédiaire de la conscience-de-soi et du dédoublement de la conscience. Le caractère concret du moi et, par lui, de la nature, ne prend corps que par le moyen de l 'autre conscience qui le garantit . « Nous agissons, et dans l 'action — du moment qu'elle a lieu et n 'est pas seulement pensée de l 'action — nous nous comportons comme cette autre conscience, nous voulons le par- ticulier, car aut rement nous ne voudrions pas sérieusement, nous prenons l'effectivité comme but, car nous voulons accomplir quelque chose. Le devoir, comme pur devoir, tombe donc dans une autre conscience, dans celle du législateur du pur devoir, et il n 'est sacré pour nous que par la médiation de cette autre cons- cience. Dans les deux hypothèses que nous venons de faire nous sommes conduits à dédoubler notre conscience, et à poser dans l'autre conscience ce que nous ne pouvons poser en nous ; elle est à chaque fois ce que nous ne sommes pas, et par ailleurs ce que nous sommes l'autre fois. Cette autre conscience apparaî t donc, t an tô t comme sanctifiant le particulier comme tel, t an tô t comme sanc- t ifiant le pur devoir, l 'universel abstrait. C'est en allant de l'une à l 'autre de ces hypothèses que nous nous dissimulons la contra- diction incluse dans cette vision morale du monde, et qui repose sur la séparation radicale de la nature et du devoir, du contenu et de la forme. La critique que présente ici Hegel va plus loin

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qu'une critique de la vision morale du monde, elle vise aussi bien son dualisme de l'entendement fini et de l'entendement infini (1). »

A travers la critique du déplacement kant ien se fait donc jour en réalité l 'opposition de deux méthodes philosophiques : la méthode transcendantale et la méthode dialectique. Tandis que celle-ci pousse la conséquence du copernicianisme jusqu 'à intro- duire la négativité et la mort dans l'absolu, celle-là reste hésitante quant aux rapports de l'absolu et du fini. Que dit-elle en effet lorsqu'elle affirme l'existence d'une conscience de soi morale, en déplaçant l'effectivité hors de l ' intention dans une autre cons- cience, posée comme réelle et à laquelle est dû le contenu de l 'action ? Le postulat de l 'existence de Dieu consiste alors à rapporter nécessairement l 'autonomie de la Révolution coperni- cienne à l 'hétéronomie de la religion. A l ' ins tant même que la loi morale me donne la conscience de ma liberté, elle s 'apparaî t inéluctablement sous la forme d 'un ordre divin. Au contraire, lorsque la vision morale du monde nie l 'existence d'une cons-

cience morale de soi, elle place en elle-même l'effectivité, tandis que l 'autre conscience reçoit la charge de la forme et de l 'univer- salité. Mais qui ne voit que cette autre conscience n 'a plus alors le même sens ? qu'elle est en réalité réduite à une simple représen- tat ion ? que la révolution copernicienne ramasse dans l 'acte autonome de l ' intention morale elle-même l'idée qu'elle produi t nécessairement et sans aucun secours extérieur, de sa propre perfection ? Ici, Dieu n'est plus que la sanctification de l 'homme. Là, la moralité étai t une sanctification divine. Dès lors, il semble bien qu'on ne pourra réfuter la critique hégélienne des déplace- ments, en pré tendant que, subrepticement, Hegel est revenu à une position précritique du problème, qu'il a ignoré la distinction kantienne de la théorie et de la prat ique et qu'il n 'a en consé- quence aperçu de contradiction dans les postulats que parce qu'il a demandé à la raison pratique des enseignements réservés à la raison théorique. En fait, c'est la foi elle-même chez Kan t qui demeure ambiguë, et dont on ne sait si elle glorifie l 'homme ou l 'anéanti t en Dieu. C'est cette raison pratique dont on ne sait si elle signifie humanisme ou mysticisme, liberté ou serf-arbitre, Rome ou Byzance. A la critique hégélienne, on ne peut répondre que le bonheur, l ' immortalité de l'âme, l 'existence de Dieu, pré- cisément parce qu'il s'agit ici de postulats de la foi, c'est-à-dire d 'un être non pas reçu passivement dans la sensation, mais impliqué synthét iquement et a priori par le devoir-être et la loi,

(1) HYPPOLITE, op. cit., p. 465-466.

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sont exempts de contradiction et posent une réalité sui generis, celle de la religion morale, dont Hegel mutilerait la signification en l'interprétant à travers des schèmes théorétiques. L'analyse du troisième postulat montre en effet l'ambiguïté de cette notion d'être comme postulat, et la contradiction intime de la Révolu- tion copernicienne qui s'y exprime, déchirée qu'elle est encore entre le fini et l'infini, entre la philosophie moderne et la philo- sophie classique, entre la libertas humana et la libertas christiana. « De cette façon la première proposition — il y a une conscience de soi morale — est rétablie, mais jointe étroitement à la seconde — il n'y a aucune conscience de soi morale — c'est-à-dire qu'il y en a une mais seulement dans la représentation, ou encore il n'y en a précisément pas, mais elle est admise comme morale par une autre conscience (1). »

La théorie des postulats de la raison pratique, loin de pouvoir j être détachée de l'Analytique de la moralité comme l'a prétendu une critique superficielle, fait donc corps avec elle ; mais en même temps elle la contredit. Or n'en va-t-il pas de même pour la Cri- tique de la Raison pure ? La signification de la chose en soi n'implique-t-elle pas une difficulté identique ? D'une part la Révolution copernicienne prétend, dans l'acte transcendantal, décrire le passage immanent du sujet à l'objet, comme le montre l'affirmation de la possibilité de l'expérience en tant que prin- cipe de la déduction des catégories ; l'objectivation, qui s'exprime ici dans les jugements synthétiques a priori proprement dits (à titre de connaissances a priori), a donc lieu à l'intérieur de la subjectivité copernicienne. Dans cette perspective, la chose en soi signifie seulement la totalité idéale des déterminations que dessine le mouvement spontané de la connaissance : elle est idée régulatrice. « En conséquence la conscience paraît ici atteindre son apaisement et sa satisfaction, car cette satisfaction elle peut seulement la trouver là où elle n'a plus besoin d'aller au delà de son objet parce que son objet ne va plus au delà d'elle. » Mais en même temps la définition de la sensation comme affection par la chose en soi renvoie le rapport concret de la détermination épistémologique à une chose en soi entendue tout différemment, comme la source réelle encore qu'inconnaissable de la réalité. La contingence de l'objet s'explique ici par un hasard intelligible

(1) HEGEL, Phénoménologie de l'Esprit, II, p. 156.

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qui implique la réalité transcendante de la chose en soi. « Or cet étant en soi et pour soi est aussi bien posé comme tel qu'il ne soit pas libre de la conscience de soi, mais soit à la disposition et par le moyen de la conscience de soi ( 1). » De même que du moralisme pratique on ne savait pas s'il aboutissait à une doctrine de l'auto- nomie ou de l'hétéronomie, de même de l'idéalisme transcendantal on ne sait pas ce qu'il signifie : il est idéalisme empirique lorsqu'il nie l'existence d'une conscience théorique de soi et il devient en même temps réalisme transcendantal lorsqu'il en affirme l'existence.

La signification profonde des déplacements apparaît désor- mais clairement : la nouvelle métaphysique kantienne est-elle une métaphysique de l'infini ou de la finitude ? La Révolution copernicienne est-elle un acte authentique de libération de l'homme ou un bavardage ambigu ? Le Cogito peut-il définir une forme réelle de finitude et la philosophie moderne peut-elle en conséquence partir du Cogito sans nécessairement se déplacer en un Dieu au statut indéfini et contradictoire ? On comprend dès lors pourquoi la chose en soi a hanté la pensée des héritiers du kantisme. A travers elle il ne s'agissait en réalité de rien d'autre que des rapports nouveaux entre Dieu et l'homme, une fois que la philosophie avait prétendu se dégager de la théologie. La Révo- lution copernicienne retourne-t-elle finalement à une métaphy- sique de l'infini ? La philosophie est de ce fait rendue au service de la théologie. L'autonomie de la méditation implique-t-elle au contraire l'autonomie du sage ? Mais dans la perspective de cette nouvelle métaphysique de la finitude, qui prétend s'être enfin engagée, grâce à la Révolution copernicienne, sur la voie sûre de la science, la signification de la foi est incertaine. La prédesti- nation luthérienne ou l'humanisme d'Érasme ? Et si la Révolu- tion copernicienne reste en réalité hésitante entre deux positions existentielles contradictoires, le philosophe, dont d'après Kant lui-même la première vertu doit être la conséquence avec lui- même, ne doit-il pas prolonger et accomplir cette Révolution apparente pour demeurer fidèle à son esprit et à son invention ?

Tel est le problème qu'évoquent quelques paragraphes de la Phénoménologie de l'Esprit : la philosophie transcendantale réalise-t-elle le programme de la Révolution copernicienne et atteint-elle la source dernière d'une vérité désormais libre, coupée des « arrière-mondes » : la finitude constituante ?

(1) ID., ibid.

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§ 2. Les interprétations du kantisme et la recherche d'une cohérence

Hegel avait posé le problème du sens de la Révolution coper- nicienne : la philosophie de Kant, avait-il montré, n'est pas une, mais deux. Une réponse restait néanmoins possible à cette réfu- tation péremptoire. Peut-être, pouvait-on dire, n'était-ce pas l'attitude transcendantale elle-même, mais seulement l'archi- tecture composite de l'édifice kantien qui était à l'origine de ce manque de cohésion. Ainsi naissait l'espoir de supprimer les déplacements que la méthode dialectique avait reprochés à la méthode transcendantale sans renoncer à cette dernière. Les interprétations du kantisme sont nées de cette ambition : com- prendre Kant mieux que Kant lui-même, débarrasser la Révolu- tion copernicienne des pièces rapportées dont la tradition philo- sophique l'avait chargée dans l'expression historique que Kant lui a donnée, l'exprimer en sa pureté et en son éternité, rejeter ainsi les déplacements dans les conditions « historiques » du kantisme, et, pour tout dire, dans ces éléments extérieurs qui rendent primitivement toute invention philosophique inconsé- quente avec elle-même. On comprend dès lors le mécanisme naturel des interprétations : chacune d'elles va s'efforcer de retrouver le noyau du kantisme, cette invention transcendantale dont Kant a dû partir pour réformer la pensée moderne sans qu'il ait pu lui demeurer fidèle et surtout sans qu'il ait pu éviter de cacher ce noyau sous une écorce empruntée à une tradition caduque. L'intérêt de ces interprétations n'est donc nullement historique : il ne s'agit pas de reconstituer la pensée kantienne avec tous ses éléments et, s'il y a lieu, toutes ses contradictions ; mais il faut détacher l'écorce et le noyau, l'extérieur et l'intérieur, confiant qu'on est dans la santé de celui-ci, toute maladie et pourriture ne pouvant provenir que de celle-là. On va donc

chercher à systématiser Kant à partir d'un élément privilégié du système, supposé essentiel par l'interprétation, et on laissera de côté tout ce qui, ne s'accordant pas avec lui, risque de le contre- dire et de provoquer un déplacement.

Mais dès lors si l'architectonique kantienne est bien compo- site, si même la critique historique peut y trouver plusieurs thèmes analytiquement découverts et réunis peu à peu plus aisément qu'une unique pensée sans cesse développée, les différentes inter- prétations qui se placent du point de vue de l'éternité n'auront, pour découvrir le noyau sous l'écorce, qu'à suivre l'articulation naturelle de la philosophie kantienne. Aux trois parties centrales

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de la Critique de la Raison pure vont correspondre trois lectures successives, trois interprétations qui, pour rendre cohérente cette Critique, vont délibérément partir d'un « élément » et lui subor- donner les autres. Le plan de l'histoire et de la connaissance que notre travail veut en prendre se trouve donc préfiguré chez Kant lui-même. Il y aura une interprétation qui s'appuiera sur la Dialectique, une autre qui s'appuiera sur l'Analytique, une autre enfin qui s'appuiera sur l'Esthétique. De plus toute interprétation éternelle — c'est-à-dire voulant résoudre les difficultés du kan- tisme, fût-ce au prix de sa lettre et de sa signification historique — se rangera nécessairement sous l'un de ces trois chefs. Il nous suffira donc d'étudier un seul des représentants — le plus signifi- catif sans doute — de ces trois tendances pour épuiser en même

t e m p s les possibilités de la philosophie transcendantale. Le post-kantisme est le premier à chercher à établir dans

l'horizon transcendantal la cohérence du kantisme. Son point de départ est la Dialectique et la théorie des idées. D'après lui, le déplacement du fini à l'infini sera évité à la condition de réduire l'affection de la chose en soi à un acte du Je pense impliqué dans le principe même de la possibilité de la conscience de soi. L'idéa- lisme absolu au sein du Moi fini en général, telle est la vision impliquée par cette conception de l'idéalisme transcendantal. Elle s'exprime en particulier dans la première philosophie de J. G. Fichte ou Premier moment de la Doctrine de la Science (1).

Le néo-kantisme cherche le noyau du kantisme dans l'Ana- lytique. Il part donc des principes et non plus des idées, mais comme l'idéalisme absolu de la finitude il réduit le rôle dévolu à l'Esthétique et à l'intuition sensible. Si l'on peut à bon droit nommer l'interprétation précédente un idéalisme transcendantal, celle-ci mérite surtout le nom de Logique transcendantale, car elle prétend réaliser une épistémologie plutôt qu'une ontologie. C'est à une sorte de positivisme transcendantal qu'elle aboutit avec le principe des grandeurs intensives, où elle aperçoit la solution du déplacement des concepts et le lieu de la genèse de toute connaissance finie en général. La philosophie d'Hermann Cohen en sa première période illustre ce second moment de l'interprétation (2).

(1) Ce premier moment comprend les écrits de 1794 (Grundlage der gesam- mten- Wissenschaftslehre) à 1799 (Atheismusstreit).

(2) Cette première période comprend les écrits concernant Kant : elle insiste sur l'idée de sujet comme méthode. (La seconde période : Logik der reinen Erkenntnis interprètera cette méthode comme une création. La troisième période : Die Religion der Vernunft aus der Quellen des Judentums, déplacera dans le Logos johannique la conscience des méthodes).

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L'existentialisme enfin ne voit dans la Logique transcen- dantale tout entière, Dialectique et Analytique, que l'écorce véreuse du kantisme. Mais le fruit, l'Esthétique, n'est pas atteint cependant si l'on veut bien rapporter ces deux pièces à la théorie de l'intuition. Ici la philosophie transcendantale se prolonge en ontologie fondamentale. Dans l'existence et dans la métaphy- sique de la finitude qui se fonde sur la temporalité disparaît la substitution de l'infini au fini : l'être jaillit du temps transcen- dantal. C'est à Martin Heidegger qu'il a appartenu d'exprimer ce dernier moment de la philosophie transcendantale.

— La raison pour laquelle l'histoire des interprétations est « descendue « de la Dialectique à l'Analytique et de l'Analytique à l'Esthétique n'apparaîtra qu'au cours de notre analyse. On peut néanmoins déjà la pressentir. Chaque interprétation nouvelle se dresse contre la précédente, qu'elle accuse d'être en réalité retour- née à une « métaphysique de l'infini », c'est-à-dire à une situa- tion philosophique non conforme aux exigences de la Révolution copernicienne et autorisant par conséquent les déplacements de concepts. L'histoire des interprétations et la descente vers l'intui- tion s'éprouvent donc tout naturellement comme l'approfondis- sement progressif du concept de la finitude.

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P R E M I È R E P A R T I E

L E M O I F I N I E N G É N É R A L

(J. G. FICHTE, Premier moment de la Doctrine de la Science)

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C H A P I T R E I I

SITUATION PHILOSOPHIQUE DE L'INTERPRÉTATION FICHTÉENNE

Lorsque la Doctrine de la Science reprend à son compte les thèmes majeurs du kantisme, sans doute en réforme-t-elle appa- remment l'expression au point même d'en contredire parfois le contenu, mais elle prend garde de n'opérer ces changements, qui lui semblent toujours extérieurs, qu'en vue de préciser le sens de la révolution de pensée que la Critique de la Raison pure a produite en philosophie. Le premier moment de la philosophie de Fichte est donc un éclaircissement que la réflexion apporte à la contexture des thèmes critiques, soit que Kant ait lui-même hésité devant les conséquences propres de cette doctrine, soit que ses héritiers directs aient pris prétexte de l'ambiguïté des sources pour déformer sa pensée. Si sous la triple forme du scepticisme, du fatalisme et du dogmatisme, c'est le préjugé commun de l'ancienne philosophie que le kantisme doit extirper de l'esprit humain, n'est-il pas remarquable de voir ressusciter ces trois erreurs par les adversaires ou même par les disciples directs de la philosophie kantienne ?

En premier lieu l'Énésidème de Schulze mettait en question l'autonomie de la méthode philosophique dans le rapport avec le donné de l'expérience ; or cette ambiguïté dans les relations de l'a priori avec l'a posteriori était dans un certain sens immanente au criticisme lui-même dans ses relations avec le dogmatisme. La nécessité pour Fichte de trouver dans la méthode génétique la vérité de la méthode transcendantale ressort donc autant de l'élucidation qu'appelait l'incohérence des concepts kantiens que de la critique adressée par Schulze à Kant.

En second lieu la querelle toujours renaissante sur la signifi- cation du Spinozisme conduisait sans cesse à confondre les exi- gences d'une philosophie pratique avec la nécessité d'une connais- sance théorique de l'univers. Or la Philosophie des Éléments de

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Reinhold, tout en prétendant systématiser les concepts kantiens, tombait dans la même erreur : une philosophie qui se disait cri- tique ne pouvant donc pas par sa seule force éviter le fatalisme, un nouvel éclaircissement s'avérait nécessaire, visant cette fois le disciple même de Kant : à la méthode génétique devait se joindre le primat de la Raison pratique.

En troisième lieu, la source commune du scepticisme et du fatalisme : le dogmatisme risque à chaque moment de renaître au sein même de la philosophie kantienne, à cause de l'équivocité de la notion de chose en soi au sein des diverses philosophies transcendantales et de leur incertitude au sujet de la révolution copernicienne. L'exemple de la Philosophie de la Différence de Maïmon montre comment, tout en réfutant l'existence de la chose en soi, il était cependant possible de rétablir le dogmatisme, et comment, pour prévenir jusqu'à la possibilité d'une telle erreur, Fichte devait pousser à son extrême conséquence l'analyse du pour-soi, de la subjectivité copernicienne.

§ 3. Le scepticisme et la méthode génétique

Le rapport de Fichte à Schulze reproduit historiquement celui de Kant à Hume, Schulze veut montrer que la méthode trans- cendantale n'a pas réellement dépassé le scepticisme empirique et que la réfutation kantienne de l'empirisme postule la valeur transcendantale du principe de causalité que la critique de Hume avait précisément mise en question (1). Appliquée à la systémati- sation de Reinhold la critique sceptique de Schulze tend sur le plan théorique à mettre en question la nature même de la « Pro-

position de la conscience », dans laquelle la Philosophie des Élé- ments a cru pouvoir rassembler le fondement transcendantal de

(1) L'Evolution et la structure de la Doctrine de la Science chez Fichte par Martial GUÉROULT, p. 138. « Dans la Critique de la Raison Pure, dans la mesure où elle fournit les déterminations originaires de l'esprit humain comme prin- cipe réel (Real-Grund) ou comme source des jugements nécessaires synthé- tiques dans notre connaissance et dans la mesure où, de ce que nous ne pouvons penser comme fondement de ces jugements que la faculté des représentations, on y conclut que l'esprit doit aussi être leur fondement dans la réalité, on a déjà postulé comme indubitablement certain et avéré, d'une part qu'aussi certainement que pour tout ce qui est dans notre connaissance, il est également donné objective- ment un principe réel, le principe de raison suffisante vaut également en général non seulement pour les représentations et pour leur liaison subjective, mais aussi pour les choses en soi et pour leur cohésion objective ; d'autre part que nous sommes fondés à conclure de la propriété d'une chose dans nos représentations à sa propriété objective hors de nous. Ainsi la Critique de la Raison ne cherche à réfuter le scepticisme de Hume qu'en présupposant comme déjà certaines et avérées les propositions contre la solidité desquelles Hume avait précisément dirigé tous

ses doutes sceptiques. « (Aenesidemus, S. 100-101).

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l'objectivité. Cette proposition d'après laquelle la représentation est distincte pour le sujet, du sujet et de l'objet, et se trouve du même coup rapportée aux deux dans la conscience, proposition qui semble donc indiquer la source même de cette nécessité et de cette universalité qui déterminent le domaine de la connaissance, c'est-à-dire du jugement synthétique a priori, ne paraît pas résister, en effet, à la critique de l 'Énésidème, puisqu'au « Sujet- conscience est adjoint un prédicat qui n'est pas contenu dans son concept mais fourni par l'expérience (1). » Le fondement trans- cendantal de l'objectivité se trouve ainsi déchiré entre l'a priori et l'a posteriori, entre le sujet et l'objet, entre la pensée et la réalité, alors qu'il était primitivement destiné à nous montrer leur unité première, avant même toute apparition d'une donnée empirique. Un cercle est donc immanent à la Philosophie des Éléments qui implique l'expérience dans le principe même par lequel celle-ci devait être rendue possible ; c'est ce cercle de la pensée à l'être que Schulze relève constamment dans la philo- sophie de Reinhold : « Toute la Philosophie des Éléments repose sur une espèce de raisonnement ontologique : la représentation doit être pensée comme distincte du sujet et de l'objet, et rap- portée aux deux, donc elle est telle et implique réellement ces deux opérations. On doit penser la matière et la forme comme parties constitutives de la représentation ; la représentation est donc réellement un produit de ces deux facteurs. On doit penser la matière comme donnée, elle est donc réellement donnée. Qui admet une représentation doit aussi admettre une faculté repré- sentative sans laquelle cette représentation ne peut se concevoir, donc une telle faculté existe. Ainsi l'être lui-même est impliqué par la nécessité de la pensée. C'est le postulat dogmatique de la preuve ontologique, ruiné par la Critique elle-même. La faculté représentative doit avoir une existence propre et objective qui cause les représentations, mais nous ne pouvons justifier la connaissance transcendantale d'une telle existence, ni une telle application transcendante du concept de causalité (2). » Or le

(1) GUÉROULT, op. cit., p. 135. « La proposition de conscience n 'est pas une proposition valable universellement, non plus qu'elle exprime un fait qui ne serait lié à aucune expérience déterminée, mais qui accompagnerait, au contraire, toutes les expériences possibles et toutes les pensées dont nous devenons conscients » (Aenesidemus, S.

(2) GUÉROULT, S. 53.).op. cit., p. 136. « Ce raisonnement de la nécessité de pensée ( Gedachtwerdenmüssen) à l'être existant et réel est non seulement entièrement faux et absolument pas probant ; mais il est aussi le fondement de toutes les sophistications vides et réciproquement contradictoires que le dogmatisme a depuis toujours couvées au sujet des choses transcendantales. Et de la sorte, en tant que la philosophie critique veut détruire ces sophistications dans leur

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cercle de la Philosophie des Éléments n'est autre que l'explicitation du cercle immanent à la Critique de la Raison pure elle-même et, pressentant ainsi la critique à laquelle la Phénoménologie hégé- lienne soumettra le déplacement des concepts à l'intérieur du système kantien et le passage inavoué que cette philosophie suppose constamment du criticisme au dogmatisme, du Je pense à la chose en soi, Schulze réfute l'affirmation copernicienne par l'impossibilité où elle se trouve de décider clairement du statut de l'objet, savoir si la déduction de ce qui rend possible celui-ci : la représentation de l'universalité et de la nécessité est concevable en partant de l'esprit autour duquel tournent les objets, ou si elle implique au contraire qu'on parte nécessairement de l'existence en soi des objets (1). Ainsi la subjectivité soi-disant transcendantale n'est qu'une subjectivité psychologique qui s'ignore (2). Kant avait essayé de distinguer soigneusement le sens interne comblé d'événements empiriques et le Je pense catégorial comme source de l'objectivité ; Schulze refuse cette distinction au nom même du copernicianisme, puisqu'elle ne tire

principe même, elle utilise une façon de raisonner qui elle-même constitue à son tour une sophistication vide et qui peut être employée en faveur de toutes les chimères du dogmatisme » (Aenesidemus, S. 307).

(1) « Il va de soi que pour pouvoir affirmer avec raison que l'homme possède une connaissance en ce sens (c'est-à-dire une connaissance a priori) deux choses doivent déjà être prouvées, à savoir : a Que certaines déterminations et cer- tains critères de nos représentations dépendent de la façon d'agir de l'esprit ; b Que d'autres critères en ces représentations dépendent de choses en soi et extérieures à nous ; et tant qu'une de ces deux sortes de dépendance doit demeurer douteuse et incertaine, tant aussi demeure douteux et incertain que l'homme puisse, par elles, participer réellement à une connaissance ; la Cri- tique de la Raison veut savoir le principe réel de la matière des représentations sensibles posé en quelque chose de suprasensible ; mais elle nie à son tour, par la détermination qui lui est propre de la nature de principes synthétiques a priori la possibilité des conditions qui, seules, obligent et permettent d'attri- buer au suprasensible et à l'objectivement existant une influence réelle sur notre esprit » (Aenesidemus, S. 287-289). C'est dans cette contradiction entre l'En-soi et le Pour-soi que HEGEL placera la « nichée de contradictions » dont la Phénoménologie de l'esprit composera la vision morale du monde. D'une part la critique de la possibilité des jugements synthétiques a priori enferme la vérité et l'objet dans les limites du Pour-soi : « La conscience paraît ici atteindre son apaisement et sa satisfaction, car cette satisfaction, elle peut seulement la trouver là où elle n'a plus besoin d'aller au delà de son objet parce que son objet ne va plus au delà d'elle. » De l'autre, l'effectivité du Pour-soi (passage du prin- cipe idéal au principe réel, de l' Ideal- Grund au Real-Grund), nécessaire si l'on veut éviter que les jugements synthétiques a priori ne se perdent dans le jeu pur de la subjectivité et si l'on prétend assurer au sujet une signification trans- cendantale, pose son rapport immanent à l'En-soi et au suprasensible : « Mais cet étant en-soi et pour-soi est aussi bien posé comme tel qu'il ne soit pas libre de la conscience de soi, mais soit à la disposition et par le moyen de la conscience de soi » (HEGEL, Phénoménologie de l'esprit, II, p. 156 ; HYPPOLITE, Genèse et structure de la phénoménologie de l'esprit de Hegel, p. 468).

(2) « Chaque conscience ne contient qu'un fait (Faktum) qui ne procède qu'en nous-même » (Aenesidemus, S. 293).

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sa vraisemblance que de l'intervention d'un réalisme objectif incompatible avec les visées premières de la philosophie kantienne. Aussi, qui voudra sortir de la subjectivité, qui voudra, suivant le principe de conscience de Reinhold, distinguer dans la conscience le sujet et l'objet, la succession subjective dans l'appréhension d'une maison et la succession objective dans le cours d'un fleuve, devra nécessairement faire appel à une harmonie préétablie entre la chose en soi et la représentation ; le Je pense de Kant, le principe de conscience de Reinhold ne tiennent donc pas parole, ils n'évitent pas le scepticisme théorique et par là même ils mani- festent un besoin de croyance irrationnel en l'être divin des choses que supposait le dogmatisme.

Conséquence plus grave, la raison pratique va, elle aussi, s'effondrer. Rien ne justifie, en effet, le passage constant que la Critique de la Raison pratique opère de l'exigence à l'existence, alors que la nature même de cette exigence n'est pas élucidée et que rien n'empêche d'y voir une illusion subjective ou au contraire le produit nécessaire des forces mécaniques de la nature (1). Pour réfuter Schulze, Fichte est conduit à dépasser à la fois Kant et Reinhold. A quelles conditions en effet le principe de conscience de la Philosophie des Éléments contient-il une synthèse pure a priori sans faire intervenir ces éléments empiriques dont la puissance, comme l'indique justement Schulze, ruinerait l'incer- titude et l'immanence du Cogito ? Il faut que cette proposition de conscience livre, de façon purement a priori, et dans l'évi- dence d'un acte transcendantal où le Je pense saisit sa propre fonction d'objectivation, le secret de cette différence et de ce rapport réciproque qu'elle institue entre le sujet et l'objet (2). Prenons un exemple : « Si dans un tel jugement (concernant la détermination complète du troisième côté d'un triangle, quand

(1) « Mais cette nécessité morale n'est que subjective, c'est-à-dire besoin, et non pas objective, c'est-à-dire elle-même devoir » (Aenesidemus, S. 323). Il s'agit des postulats. La défense du scepticisme procède de la même façon que pour la philosophie théorique. « Si de ce qu'on accepte une nécessité de pensée (Gedacht- werdenmüssen) subjective d'une chose, il n'y a jamais d'obligation à en conclure l'être objectif, cette obligation n'a pas non plus lieu d'être dans la théologie morale et à propos des dispositions de la raison pratique. Ainsi la théologie morale ne nous conduit pas plus avant dans la connaissance de Dieu et de notre immortalité que la raison théorique ne pouvait le faire d'après les enseignements de la philosophie critique » (ibid., S. 333).

2 C'est le seul moyen pour répondre — d'une façon non sceptique — a la question sceptique de Schulze : « Si le sujet de nos pensées nous est entiè- rement inconnu, d'où pourrions-nous donc savoir et voir qu'il constitue réelle- ment la source de certains éléments dans notre connaissance ? », que de dénier toute signification à l'hypothèse en admettant a priori la trasparence absolue du Pour-soi dans l'intuition intellectuelle.

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sont donnés l'angle opposé et le deuxième côté), vous croyez énoncer uniquement le jugement d'une perception, à savoir de votre procédé contingent, conditionné par le temps et par les circonstances ou d'une limitation de ce procédé, vous ne pouvez absolument rien dire de plus que : Moi, Caius ou Sempronius, je ne puis construire cet angle, par exemple de 60°, avec ces côtés déterminés qu'en traçant ce troisième côté, le seul devenu pos- sible ; mais vous seriez contraint de vous contenter du fait que votre voisin le plus proche pût être capable de construire à droite ou à gauche (si toutefois, vous pouviez alors n'avoir qu'une droite et qu'une gauche, ou un voisin) le même angle avec les mêmes côtés, peut-être par un nombre plus grand de lignes. Bien plus, vous-même en ce qui concerne les deux premiers angles ou le même angle avec deux autres côtés, vous ne pourriez pas alors savoir si vous n'auriez pas pu les construire avec un nombre plus grand de lignes, jusqu'à ce que vous l'ayez prouvé à propos de chacun d'eux (si d'ailleurs vous étaient possibles en ces conditions plusieurs angles, et une preuve apportée de votre hypothèse pour chacun d'eux). Donc il est évident que vous n'exprimez pas un jugement de perception particulier mais que vous combinez et que vous posez absolument l'infinité et la totalité de toutes les perceptions possibles ; une infinité qui à coup sûr n'est pas condensée à partir du fini mais à partir de laquelle inversement les êtres finis eux-mêmes se produisent et dont ils sont la simple analyse qu'on ne peut épuiser. Ce procédé, si je puis dire, cet acte de pensée ou, à votre préférence, cette manifestation de la totalité absolue, je les nomme intuition intellectuelle ; je la considère, justement parce qu'elle ne dépasse à aucun titre l'intelligence, comme immanente à l'intelligence et je la nomme en conséquence : Moïté, ni subjectivité ni objectivité mais identité absolue des deux ; Moïté qui ne pourrait absolument pas être individualité. Elle contient, pour reprendre vos termes, la possibilité d'une répéti- tion à l'infini. Et par conséquent, pour moi, la science du fini est composée d'une intuition immédiate de l'infini absolu et intem- porel, avec l'identité absolue de la subjectivité et de l'objectivité, et d'une séparation des deux derniers termes et d'une analyse de l'infini poursuivie à l'infini. C'est dans cette analyse que consiste la vie temporelle ; et la séparation en sujet et en objet, dualité dont les termes ne sont maintenus ensemble que par l'intuition intellectuelle, est le point de départ de cette vie temporelle (1). »

(1) FICHTE, Antwortschreiben an Herrn Professor Reinhold, 1801, éd. Fichte, S. W., II, S. 506-507. Par là et par là seulement le principe d'identité cesse d'être en dehors du Pour-soi et de justifier les réserves sceptiques de Schulze : « La

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L a réfutation du scepticisme de Schulze n'est possible que si au delà de la proposition de la conscience, au delà du principe suprême de tous les jugements synthétiques a priori, nous saisis- sons et l 'acte infini et absolu dans lequel le sujet et l 'objet trou- vent leur unité, et le passage de cette activité à la prédication de la représentation, telle qu'elle apparaî t dist inguant le sujet et l 'objet à l ' intérieur du principe de la Critique de la Raison pure aussi bien que de la Philosophie des Éléments. La philosophie ne cessera, en effet, de passer du sujet à l 'objet par un déplacement de concepts, d 'emprunter donc ses déductions à la fois aux modes subjectifs du Je pense et aux modes objectifs de la chose en soi, de s'exposer par conséquent aux critiques du scepticisme et à la nécessité d'en appeler à une harmonie préétablie, que si elle nous permet d'assister à la genèse même de cette représentation sur laquelle elle prétendait s 'appuyer comme sur un thème dernier. La proposition de conscience ne mêle en effet l 'empirique à l 'apriorique que si l 'on continue d'y constater un fait au lieu d'y

apercevoir une présence de l 'action o r ig ina i r e (1 ). C'est parce que

proposition de conscience est déterminée par le principe de contradiction ; mais celui-ci, par contre, s'il a été exprimé dans une formulation exacte, n'est déter- miné que par lui-même et par les critères qui se présentent en lui, et il ne doit être déterminé que par lui-même, parce que, si la possibilité de penser (Gedenk- barkeit) qui s'exprime en lui devait emprunter sa détermination à un autre principe, elle ne pourrait plus être le principe suprême de toute pensée. » (Aene- sidemus, S. 48-49, note). La possibilité de la représentation requiert celle de la pensée Kant et Reinhold impliquent Fichte (même analyse de FICHTE dans la Darstellung der Wissenschaftslehre de 1801, S. W., II, S. 3-7).

(1) Contre Schulze qui n'accorde à la proposition de conscience de Rein- hold qu'une valeur empirique, Reinhold a donc raison de maintenir sa signi- fication apriorique. Mais, ajoute Fichte, c'est à la condition « qu 'elle puisse encore se fonder sur autre chose que sur un simple fait (Tatsache). Le recenseur croit d'ailleurs s'être assuré qu'il s'agit d'une proposition qui se fonde sur un autre principe, dont toutefois elle peut être déduite a priori en toute nécessité et indépendamment de toute expérience. La seule présupposition inexacte que l'exposé de Reinhold propose comme principe de toute philosophie, c 'était assurément qu'on dût partir d'un fait. Certes nous devons avoir un principe réel et non seulement formel; mais un tel principe ne peut justement pas exprimer un fait (Tatsache) encore qu'il puisse exprimer une action ( T at- handlung) » (Recenzion des Aenesidemus, S. W., I, S. 8). Remarque importante ! 1° Reinhold a raison contre Schulze, mais il ne sait pas pourquoi. Si en effet la proposition de conscience repose sur un fait, on ne peut échapper au scepti- cisme et l'on peut se demander : qu'est-ce que la vérité ? Cependant, en remar- quant que le principe d'identité reste en dehors de la proposition de conscience, Schulze fournissait involontairement les éléments de la question laissée pen- dante par Reinhold. C'est, en effet, à travers la formulation abstraite et pure- ment logique du principe d'identité, la présence vivante de l' identité absolue entre le sujet et l'objet, l'intuition intellectuelle, qui sert de principe réel à la proposition de conscience et dont celle-ci peut être déduite sans aucun recours à l'expérience. 2° Le recours à l'intuition intellectuelle préserve Reinhold du scepticisme qui est « formalisme » et dont Schulze l'accusait (Aenesidemus, S. 296). En effet, la liste des « formes qui constituent une connaissance et des

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Reinhold en demeure au fait, au jugement de perception, et qu'il ne passe pas au droit, au jugement d'expérience, qu'il s ' interdit de saisir dans la proposition de conscience la nécessité e t l 'uni- versalité que cette proposition, tou t en les impliquant nécessaire- ment, est néanmoins incapable d'expliquer, e t qu'il nous fait nécessairement recourir à un principe nouveau qu'il n ' indique point : à l 'acte de l ' intuition intellectuelle. Schulze critique le kantisme en rappor tan t la nécessité du jugement mathématique, par exemple, à une chose en soi que nous ne pouvons connaître et dont l 'harmonie avec nos jugements ne peut être possible que

par un acte de foi. Mais si cette critique fait clairement appa- raître chez Énesideme l 'absurdité du dogmatisme, cette absurdité se retrouve bien au moins à t i t re d 'ambiguïté chez Reinhold et chez Kan t eux-mêmes. En adme t t an t en effet la distinction et le

rapport réciproque de l 'objet et du sujet comme un fait ultime de la réflexion (Tatsache), l 'idéalisme t ranscendantal arrêtai t à un terme apparent le procès par lequel le Je pense établissait l 'horizon d'objectivité et de validité du monde. Retrouver ce fondement, c'est cesser de considérer dans le jugement la perception (le fait empirique ou même idéal de tracer telle ligne ou tel angle ou tel triangle) pour saisir la nécessité opératoire des jugements d'expé- rience, pour retrouver donc hors de toute expérience, hors de tou t fait, hors de tou t être l 'a priori, c'est-à-dire l 'action (Tathan- dlung), c'est-à-dire la pensée. En même temps tomben t les objec- tions du scepticisme moral ; on ne peut dire que l'exigence pra- tique est peut-être illusoire, si l 'on a compris la nature de cette exigence et comment elle ne se réduit absolument pas à une cons- ta ta t ion théorique, comment elle reste au delà de la dualité du sujet et de l'objet, du principe de la conscience et de l'exigence de la représentation (1). La réfutation de Schulze nous découvre

actions spontanées de l'esprit » ne cesse d'appartenir au recensement purement subjectif du pour-soi que si celui-ci contient en lui-même et sans nul recours aux déterminations hypothétiques d'une chose en soi le principe de la réalité en même temps que le principe de l'idéalité. Le passage du fait à l'acte et l'in- tervention de l'intuition intellectuelle sont justement destinés à remplir le programme de Reinhold : trouver les déterminations concrètes du Cogito, rendre compte de la conscience et de la représentation.

(1) « Le Je suis lui-même n'a qu'une certitude subjective ; et, autant que nous pouvons penser la conscience de soi de Dieu, Dieu lui-même est pour Dieu subjectivement. Comment parler maintenant d'une existence objective de l'immortalité ! (ce sont les propres mots d'Enesidème). Si un être intuitionnant son existence dans le temps pouvait à un moment de son existence dire : main- tenant je suis éternel, alors il ne serait pas éternel. Il est si peu vrai que la raison pratique doive reconnaître le primat de la raison théorique, qu'au contraire toute son existence se fonde sur le conflit de ce qui en nous se déter- mine soi-même avec ce qui connaît théoriquement et qu'elle serait elle-même

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la genèse profonde du scepticisme qu'avait déjà aperçue la pré- face à la seconde édition de la Critique de la Raison Pure : tant que l'en-soi reste extérieur au pour-soi, tant que la conscience n'engendre pas véritablement l'être, une relation obscure et douteuse s'introduit nécessairement entre ces deux termes. C'est donc faute d'avoir tiré la conséquence de la révolution coper- nicienne et non pas parce qu'il aurait été plus loin que Kant dans sa propre tentative que Schulze a retrouvé l'inspiration sceptique de Hume. On y échappera à la condition de purifier le kan- tisme de tous ses éléments réalistes et d'en faire réellement une théorie du pour-soi ; « le fondement logique de la pensée est nécessairement le fondement de son existence. Cette affirmation capitale en implique plusieurs autres :

a) La pensée est absolument claire pour elle-même et jusqu'en son fond ; l'essence de la pensée est la pensée claire et distincte ; autrement elle échapperait à elle-même et pourrait être dans son principe autre qu'elle n'est pour elle-même ;

b) La pensée (objet) est identique à la pensée de la pensée (sujet). La pensée de la pensée, synonyme de clarté absolue, est la vraie pensée, à laquelle s'identifie l'Originaire. L'identité du sujet et de l'objet est la création du « pour-soi » absolu. Le « pour- soi » ne prend donc pas lui-même sa source dans une identité qui lui serait antérieure ;

c) Conçu comme fondement des formes de la pensée, l'esprit est noumène. Mais si le fondement idéal est ipso facto réel, il doit se réaliser immédiatement dans le pour-soi. Cette réalisation, c'est l'acte de l'intuition intellectuelle, le « Je suis » (je suis abso- lument parce que je suis.)

d) Tout ce qui peut être conçu comme hors de la pensée est ipso facto dans la pensée, et par conséquent par la pensée. Tout est dans la conscience comme l'affirme Maïmon, mais tout ce qui est en elle a nécessairement sa source avec elle dans l'intériorité absolue du « pour-soi ». La réalité tout entière est absorbée par la pensée rationnelle, l'extériorité n'est plus absolue, mais n'est qu'une simple limite de l'intériorité dans l'intuition intellec- tuelle (1) ». Les erreurs de Schulze avaient donc été rendues possibles, non seulement par la subsistance de la chose en soi chez Kant, dont par ailleurs il était possible de donner une interprétation idéaliste en l'identifiant au noumène idéal, mais

anéantie si ce conflit venait à disparaître » (Recenzion des Aenesidemus, S. 23-24). Sur le fondement du Je suis — certitude subjective — dans la certitude absolue du Je dois, voir plus bas § 4.

(1) GUÉROULT, op. cit., p. 144-145.

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bien plutôt par l'incertitude méthodique de l'analyse critique. L'absence de tout point de vue génétique chez Kant, la diver-

sité même des matériaux épars, plus ou moins bien systématisés, montraient en effet, en dépit des affirmations répétées concernant l'unité et l'organicité de la raison, que la philosophie critique n'était pas parvenue à construire l'édifice du monde à partir de la conscience de soi et que pour établir le principe transcendantal elle faisait appel en permanence à des éléments tirés de l'analyse de l'objet. L'impuissance synthétique chez Kant est donc liée manifestement à des survivances dogmatiques, et c'est la même ambiguïté qui dans la doctrine élémentaire de la raison pure présente deux sources hétérogènes de la connaissance et qui soit dans la Dialectique, soit surtout dans l'Esthétique, semble parfois attribuer à la chose en soi une signification réaliste comme source de l'affection empirique. « D'après moi, dit Fichte, la Critique de la raison pure n'est pas dépourvue de fondement ; sans aucun doute elle en possède mais rien n'est construit et les matériaux quoique déjà tout préparés se trouvent amoncelés les uns sur les autres dans un ordre arbitraire (1). » Sans doute les Critiques prétendaient user d'une méthode synthétique allant des principes aux conséquences, non d'une méthode analytique allant des faits aux principes. Cependant d'une part les écrits populaires, tels que les Prolégomènes et les Fondements de la Métaphysique des Mœurs requièrent constamment un fait donné à l'analyse, ici le fait de la conscience morale, là l'existence de la science de Newton ; de la sorte la vérité de principe dépendait d'un postulat, d'une hypothèse en soi non justifiée. Mais surtout d'autre part à l'intérieur des Critiques elles-mêmes surgissent constamment ces faits dont les principes ne visent qu'à établir la possibilité. Kant part ainsi du jugement synthétique a priori (2) et du factum rationis donné dans la conscience morale ; certes s'agit-il là de faits très particuliers qu'on pourrait appeler des « Faits de Conscience », mais en tant que tels ils exigent cons- tamment qu'on découvre leur genèse et qu'on montre la nécessité de leur apparition et de leur développement dans la conscience de soi. Si malgré tout Kant a, dans la révolution copernicienne, dépassé l'innéisme de Platon et de Descartes c'est que son a priori

(1) FICHTE, Zweite Einleitung in die W. L., S. W., I, S. 479 ; cité par GUÉROULT, op. cit., p. 47-48.

(2) Parlant de la mathématique et de la physique, KANT dit ainsi : « Puisque ces sciences sont réellement données, il est convenable de se demander comment elles sont possibles : qu'elles doivent être possibles, c'est démontré par leur réalité » (Critique de la Raison pure, trad. Tremesaygues et Pacaud, P. U. F., 1944, p. 44).

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conduisait de lui-même à l'éclaircissement de sa nature trans- cendantale, c'est qu'il cessait d'apparaître comme une chose idéale dans le sujet pour devenir l'ossature du pour-soi lui-même. Ainsi c'est la méthode génétique qui rend possible la révolution copernicienne, c'est-à-dire le passage du fait à l'acte de conscience (1). « Kant fonde la loi morale sur un fait (ce qui est juste si l'on veut le comprendre justement) et ses successeurs se croient autorisés par là, partout où la preuve et l'explication leur deviennent pénibles, à se réfugier dans un fait « foi d'auteur » ; ils ne ré fié- chissent pas qu'ils devraient accorder le même droit à leurs

(1) Analysant, dans la Quatrième Section de la Discipline de la Raison pure (Discipline de la Raison pure par rapport à ses démonstrations) la raison d'être des démonstrations apagogiques et des démonstrations ostensives, KANT note profondément l'utilisation constante de preuves apagogiques (qui peuvent « sans doute produire la certitude, mais non la compréhension de la vérité au point de vue de l'enchaînement des raisons de sa possibilité ») par le scepticisme dogmatique : « La démonstration apagogique est aussi, dit-il, le vrai prestige auquel se sont laissé prendre ceux qui admirent la solidité de nos raisonneurs dogmatiques ; elle est, pour ainsi dire, le champion qui veut prouver l'honneur et le droit inattaquables du parti qu'il a embrassé, en s'engageant à croiser le fer avec tous ceux qui voudraient en douter, bien que cette fanfaronnade ne prouve rien en faveur de la chose, mais qu'elle montre uniquement les forces respectives des adversaires ou seulement celles de l'agresseur » (Critique, p. 536-537). Les preuves apagogiques sont légitimes en mathématique et dans une moindre mesure en physique, précisément dans la mesure où ces sciences sont tellement constituées qu'il est impossible d'y « substituer le subjectif de nos représentations à l'objectif, je veux dire à la connaissance de ce qui est dans l'objet » (ibid., p. 535). Employer ce genre de preuves en métaphysique, c'est donc concevoir que l'objectif domine cette science et s'appuyer inévita- blement sur des postulats dogmatiques concernant le rapport du sujet et de l'objet. « Mais les tentatives transcendantales de la raison pure sont toutes faites dans le propre médium de l'apparence dialectique, c'est-à-dire du subjectif, qui s'offre ou même qui s'impose à la raison comme objectif dans ses prémisses » (ibid., p. 536).Il n'y a pas d'illusions mathématiques possibles et il y a des illusions transcendantales nécessaires. Telle est la situation particulière de la métaphysique par rapport aux mathématiques et aux sciences de la nature : la substitution de l'objectif et du subjectif y est possible, même inévitable. C'est cette particularité qui explique que tant que la métaphysique est restée dog- matique et qu'elle s'est, en conséquence, servie des démonstrations apagogiques dans la mesure où celles-ci postulent la prééminence de l'objet de la connais- sance sur la connaissance de l'objet, elle n'a pu emprunter la voie royale de la science. Ainsi, le type de démonstration qui convient absolument aux sciences procédant par construction de concepts conduit aux combats dogmatiques et au scepticisme la connaissance philosophique ou connaissance rationnelle par concepts. La découverte copernicienne de la subjectivité transcendantale est en réalité l'horizon qui rend possible et nécessaire l'utilisation des démons- trations ostensives, où la preuve « joint directement à la conviction de la vérité la vue des sources de cette vérité » (ibid., p. 534). Que la Critique de la Raison pure ne pût prouver qu'ostensivement, c'est ce qui ressortait déjà de la possi- bilité de la distinction établie entre le transcendantal et l'empirique, car « cette distinction n'appartient qu'à la critique des connaissances et ne concerne pas le rapport de ces connaissances à leur objet » (ibid., p. 80). Pour se rendre pos- sible comme science, la métaphysique ne saurait dès lors qu 'apercevoir l 'iden- tité profonde entre la genèse copernicienne et l'inconditionnalité de la démonstration.

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BIBLIOTHÈQUE DE PHILOSOPHIE CONTEMPORAINE

Logique et Philosophie des Sciences S e c t i o n d i r i g é e p a r G a s t o n B A C H E L A R D , p r o f e s s e u r à l a S o r b o n n e

BACHELARD (G. ) . — L e r a t i o n a l i s m e a p p l i q u é , i n - 8 ° 4 3 2 fr. — L a d i a l ec t i que de la du rée , i n - 8 ° 2 8 8 » — L ' a c t i v i t é r a t i o n a l i s t e de l a p h y s i q u e c o n t e m p o r a i n e , i n - 8 ° 4 8 0 » — L e m a t é r i a l i s m e r a t i o n n e l , i n - 8 ° 6 7 2 » BERNARD ( C l a u d e ) . — P r i n c i p e s de médec ine e x p é r i m e n t a l e , i n - 8 ° 6 7 2 » BLANCHÉ (R.) . — L a sc ience p h y s i q u e et l a réa l i t é , i n - 8 ° 4 3 2 » BONNOT (L. ) . — E s s a i s u r les f o n d e m e n t s de l a logique et de la méthodologie

c a u s a l e , i n - 8 ° 3 8 0 » BOUNOURE (L . ) . — L ' a u t o n o m i e de l ' ê t re v ivan t , in -8° 5 8 0 » CALLOT ( E . ) . — L a r e n a i s s a n c e des sciences de la vie a u X V I siècle, in -8° 3 8 0 » CAVAILLÈS ( J . ) . — S u r la logique et la théor ie de la sc ience, in -8° 1 4 4 » DARBON (A. ) . — L a p h i l o s o p h i e des m a t h é m a t i q u e s , i n - 8 ° 4 8 0 » DOROLLE (M.) . — L e r a i s o n n e m e n t p a r a n a l o g i e , i n - 8 ° 4 3 2 » FYOT ( J . - L . ) . — D i m e n s i o n s de l ' h o m m e et sc ience économique , in -8° . . . . 1 . 3 4 4 » LUPASCO ( S . ) . — L o g i q u e et c o n t r a d i c t i o n , i n - 8 ° 3 8 0 » MABILLE ( P . ) . — I n i t i a t i o n à l a c o n n a i s s a n c e de l ' h o m m e , i n - 8 ° 5 8 0 » MATISSE (G. ) . — L e r a m e a u v i v a n t d u m o n d e , 3 vo l . i n -8° , e n s e m b l e . . . . 1 . 9 2 0 » MOYSE (A. ) . — B i o l o g i e et p h y s i c o - c h i m i e , i n - 8 ° 3 4 8 » NOGARO (B. ) . — L a va l eu r log ique des théor ies économiques , i n - 8 ° 348 » PIAGET ( J . ) . — I n t r o d u c t i o n à l ' ép i s t émolog ie génét ique , 3 vo l . in -8° ,

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M o r a l e e t V a l e u r s Section dirigée par René LE SENNE

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Histoire de la Philosophie et Philosophie générale Section dirigée par Pierre-Maxime SCHUHL

Professeur à là Sorbonne

P s y c h o l o g i e e t S o c i o l o g i e Section dirigée par Maurice PRADINES

Membre de l 'Institut, professeur à la Sorbonne

Cata logue s u r d e m a n d e

1954. — Imprimerie des Presses Universitaires de France. — Vendôme (France)

ÉDIT. 2 3 . 5 7 4

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