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Liberté du Judaïsme La lettre de L.J.
Présidente d’Honneur : Doris Bensimon ז״ל
Liberté du Judaïsme : Siège social 13 rue du Cambodge 75020 Paris N° 137 Janvier-février 2016 le numéro : 3 €
http://www.liberte-du-judaisme.fr
Editorial
Dans la présente Lettre, notre amie, Ariane Bendavid,
nous parle de Spinoza défenseur de la Liberté de conscience. Il n'est peut-être pas inutile de rappeler
qu'avant d'être frappé par un herem, Spinoza le fut par
le couteau d’un homme, probablement juif, à qui ses idées ne convenaient pas.
Le maniement du couteau - ou de l'arme blanche - a fait
florès ces derniers temps, en Israël, mais pas seulement. Alors une question nous taraudait : Est-il si simple
d'enfoncer un couteau dans le dos de son semblable ?
Cette interrogation a été balayée par les kalachnikovs
du 13 novembre . Ce jour là les loups sont entrés dans
la ville. L’an dernier, certains ont parlé de loups solitaires, ils sont revenus en meute. Leur cheminement
correspond aux trajectoires de leurs balles. Au début,
les cibles furent des Juifs dans des écoles, des épiceries,
puis des humoristes témoins de la vie sociale. A présent c’est n'importe qui, dans la rue, aux terrasses des cafés,
dans une salle de concert, et si la vigilance n'avait pas
été ce qu'elle était, c'est au Stade de France que la meute aurait provoqué une catastrophe.
Ces meutes qui sèment la mort ont été formatées à
aimer la mort. "Viva la muerte!" clamait en 1936, José Millàn général fasciste espagnol, en sortant son
revolver dans un amphithéâtre de l'Université de
Salamanque. Alors comment ne pas parler d'islamo-fascisme ?
C'est dans ce contexte pesant que Liberté du Judaïsme a tenu son Assemblée générale annuelle. Le Conseil
d'Administration. a été renforcé avec pour objectif de
continuer à faire vivre l’association. C’est ce que nous
allons tenter d’accomplir en 2016. Pour ce faire nous avons besoin de vous tous, adhérents et lecteurs en ce
début d’année que nous vous souhaitons – malgré tout -
belle et bonne.
Le Bureau
Aujourd’hui et demain ?
Sept heures moins dix, un début novembre, je sors de
chez moi pour aller à l’office du matin, quelques centaines de mètres plus loin. Je souhaite honorer par la
récitation du Qadish, le souvenir de ma sœur décédée
dix jours plus tôt. La rue est déserte à proximité de la
salle qui fait office de synagogue, seules les silhouettes des trois militaires en faction devant l’entrée se
remarquent au loin. Je m’approche de l’entrée, les salue
et compose le code secret pour ouvrir la porte. Comme tous les matins, je ressens un embarras à croiser le
regard des militaires. Je me sens coupable d’être là, de
les obliger à nous protéger. Nous, une poignée de juifs, tout au plus un minyan.. qui déplaçons l’armée
française.
Que pensent-ils de nous, ces jeunes militaires ? ceux-
ci nous regardent avec une indifférence polie mais au fond d’eux-mêmes, ils doivent se dire que nous sommes
les "enfants gâtés de la République", que nous
pourrions prier chez nous, alors que nous sommes si peu nombreux. En s’engageant, ils espéraient
certainement des missions plus nobles que de protéger
des Juifs, des personnes hors du temps. Comme moi, ils doivent penser que cette opération,
coûteuse et illusoire, devra être revue et circonscrite à
quelques bâtiments dans lesquels les Juifs seraient
invités à se regrouper dans un premier temps pour le culte puis après, pour toutes les activités culturelles
jugées offensantes par certains.
Alors, pour les Juifs, certains quartiers dans des villes comme Paris, Marseille ou Toulouse pourraient-ils
ressembler dans un futur proche à un ensemble de petits
ghettos dans lesquels ils se sentiront à l’abri. Faudra-t-il
afficher une double personnalité comme dans les années 30 en Allemagne ou en Autriche ? Anonyme,
voire antijuive et antisioniste dans la vie professionnelle
et au contraire confraternelle avec ses amis du ghetto ?
Non, soyons optimistes, l’histoire ne se répète jamais de
la même façon même si la tradition exige de nous méfier d’Amalek jusqu’à la fin des temps.
Guershon Essayag
2
Spinoza,
défenseur de la liberté de conscience
Révolutionnaire, Spinoza a payé le prix de ses idées. Il est pourtant sur bien des plans à la source du judaïsme
moderne. Sa position a été difficile, c’est le moins
qu’on puisse dire : pour les juifs, il était hérétique, donc exclu de la communauté, et pour les chrétiens, athée…
mais pourtant toujours juif ! Que ce soit pour la société
calviniste ou pour la communauté juive, il était le
diable en personne. Quels étaient donc ses crimes? Avoir défendu la liberté
de conscience, l’idée d’une religion universelle et non
dogmatique, à laquelle chacun, sans craindre le jugement d’autrui, pourrait ou non adhérer, une religion
à propos de laquelle "nul différend ne pourrait surgir
entre des hommes de bien ". Et enfin, avoir clamé, avec
deux siècles et demi d’avance, la nécessité impérieuse de la séparation de l’Eglise et de l’Etat.
Jusqu’au 17e
siècle en
effet, il était impensable, voire impossible, de ne pas
se situer dans une
perspective religieuse. On n’était socialement
reconnu que si l’on
appartenait à un groupe
religieux. Spinoza l’a appris à ses dépends, et
exprime sa rancœur dans
le chapitre XVII de son Traité Théologique politique (T.T-P) : "Qui manquait à
la religion cessait d’être citoyen, et par cela seul était
tenu pour un ennemi. Qui mourait pour la religion,
était réputé mourir pour la Patrie ". Au-delà des divergences de points de vue, l’autorité intangible des
textes dits sacrés n’était jamais mise en doute, encore
moins en péril. Le fait religieux ne posait pas de problème, si ce n’est précisément quand on s’y
attaquait. Nier le caractère sacré des textes fondateurs,
rejeter la Loi imposée par la Torah, écrite ou orale, n’effleurait même pas les esprits. Avant Spinoza, seuls
quelques penseurs audacieux tels qu’Ibn Ezra avaient
osé émettre – discrètement - des doutes sur
l’authenticité de certains textes bibliques. Spinoza a donc inauguré un nouveau concept, suscitant une
véritable révolution aussi bien dans la communauté
juive que dans le monde chrétien. Si l’attitude de Spinoza, avant même qu’il ait publié la
moindre ligne, a été jugée inacceptable, c’est bien parce
qu’à son époque, les esprits n’étaient pas prêts à voir évoluer la pensée religieuse. Tourner le dos aux
traditions, abandonner les schémas conceptuels hérités
de l’époque biblique, c’était non seulement trahir, mais
aussi ébranler les fondements du judaïsme, et mettre en péril son existence. La violence des termes du herem
prononcé contre lui allait pourtant conforter Spinoza
dans son idée révolutionnaire : le judaïsme devait, pour
franchir le pas de la modernité, se départir de ces modes
de pensée archaïques essentiellement fondés sur la
superstition et une vision erronée de Dieu. Il est vrai
que dans cette communauté d’Amsterdam pourtant réputée pour sa tolérance, le dogmatisme et le fanatisme
laissaient souvent la passion mener les débats, comme
en témoigne ce herem prononcé "à vie": "Que Dieu ne lui pardonne jamais ses péchés. Que la
colère et l’indignation du Seigneur l’environnent et
fument à jamais sur sa tête. Que toutes les malédictions contenues au livre de la Loi reposent sur lui. Que Dieu
l’efface de son Livre... ".
La violence de ces termes est sans doute grandement
responsable de l’attitude souvent haineuse, il faut l’avouer, de Spinoza envers ses coreligionnaires. Mais
on peut le comprendre.
Quelles étaient donc les grandes lignes de cette pensée subversive ? En niant aussi bien la Création volontaire
du monde que le caractère personnel et providentiel
d’un Dieu juge et monarque, distribuant récompenses et
punitions, ou encore la possibilité des miracles, Spinoza a mené une critique systématique de tout ce qui selon
lui altérait la vraie foi. La religion, dit-il, ne consiste
plus qu’en préjugés qui "réduisent les hommes raisonnables à l’état de bêtes brutes, puisqu’ils
empêchent tout libre usage du jugement, toute
distinction du vrai et du faux, et semblent inventés tout exprès pour éteindre toute la lumière de l’entendement.
La piété, grands dieux, et la religion, consistent en
absurdes mystères, et c’est à leur complet mépris de la
raison, à leur dédain, à leur aversion de l’entendement, dont ils disent la nature corrompue, que, par la pire
injustice, on reconnaît les détenteurs de la lumière
divine. " (T.T.P. préface). Il s’est attaché à montrer que, tout au long de l’histoire, les adeptes des religions
monothéistes ont utilisé les textes pour contraindre les
autres, sous le couvert de la religion, à penser et à agir comme eux. Le problème du monothéisme est qu’il est,
par essence, exclusif : chacun croit détenir La Vérité.
Loin de guider les fidèles dans le sens de la Justice et
du Bien, la religion était ainsi devenue prétexte à des luttes fanatiques – et, si le christianisme a dépassé ce
stade, l’islam radical nous offre aujourd’hui la preuve
tragique de la lucidité de Spinoza. Précisons que Spinoza s’en prend aux autorités
religieuses des deux bords : juifs et calvinistes, opposés
à toute forme de libéralisme. On lui a souvent reproché
d’avoir été plus indulgent envers le christianisme. C’est indéniable, et c’est sans doute là l’une des
conséquences des dégâts causés dans les esprits juifs
par le marranisme. Mais comment comprendre qu’il affirme que Jésus a parlé avec Dieu d’esprit à esprit et
qu’il est la voie du salut, sinon comme un simple
règlement de compte vis-à-vis des autorités rabbiniques qui l’ont excommunié ? Spinoza reste résolument
opposé à toute religion révélée. Toutes les religions
"historiques" doivent être dépassées par la religion
universelle qui "se limite au culte de la vertu". On est
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donc en droit de se demander si le terme de "trahison"
repris par Levinas à propos de Spinoza est fondé.
Spinoza ne trahit pas à proprement parler le judaïsme, si
la trahison suppose un " passage à l’ennemi". Il entend essentiellement dépouiller le judaïsme d’un rituel
anachronique, qui entrave son accession à
l’universalisme ; en d’autres termes, il veut le séculariser. Le paradoxe de la critique spinoziste est
qu’en réalité l’idéal prophétique correspond
parfaitement à sa définition de la religion : pour les prophètes, en effet, les seules valeurs susceptibles de
préserver un judaïsme authentique sont la justice et la
charité : "Voici le jeûne que j’aime, dit l’Eternel, c’est
de partager ton pain avec l’affamé et d’offrir un abri aux malheureux sans asile ; si tu vois quelqu’un nu, tu
le couvriras et tu ne te déroberas pas devant celui qui
est ta propre chair" (Isaïe 58, 6-7). Dans le domaine politique, Spinoza pose les jalons de
ce que seront nos sociétés occidentales modernes. Son
analyse met essentiellement en avant la nécessité
impérieuse de la séparation Eglise–Etat. Aucun pouvoir ne peut se fonder sur une Révélation, donc sur les
institutions qui se réclament de cette Révélation. Aucun
pouvoir temporel ne saurait se prétendre l’interprète de la parole divine. En conséquence, toute personnalité
religieuse doit être exclue du pouvoir politique. C’est
également ce que défendra plus tard Mendelssohn, montrant qu’il ne faut pas confondre les vocations : le
rôle de l’Etat est d’assurer le bonheur temporel, celui de
la religion, d’assurer le bonheur spirituel. La politique
ne devrait être que le moyen de réaliser dans un Etat la paix et la concorde, indissociables de la réalisation de
l’éthique : la politique ne crée pas le bonheur ni
l’épanouissement spirituel. Mais elle crée les conditions pour y parvenir. Et pour que ces conditions soient
remplies, il fallait le respect absolu de la liberté de
conscience et de parole. Dans une république digne de ce nom, la liberté en matière de religion devait être
respectée.
Spinoza était un précurseur. S’il avait vécu ne serait-ce
qu’un siècle plus tard, au siècle des Lumières, il n’aurait pas eu à subir les foudres de ses détracteurs. Un
siècle après lui se développait déjà le mouvement de la
critique biblique. Il faudra pourtant attendre encore longtemps avant qu’il ne soit réhabilité, et que ne
s’impose une vision
véritablement libérale du
judaïsme – une vision qui est encore bien loin de faire
l’unanimité, même si, dans les
faits, l’immense majorité des Juifs occidentaux sont, quoi
qu’ils en disent, des libéraux.
Plus qu’il n’était traître, Spinoza était simplement en avance sur son temps.
Ariane Bendavid Ariane Bendavid est Maître de conférences à Paris IV Sorbonne et Directrice du Talmud Torah de l'Ulif-Copernic
Spinoza, une histoire juive
Baruch Spinoza est né en 1632 à Amsterdam. Sa
famille, des marranes fuyant la péninsule ibérique et son Inquisition, s'était installée en Hollande au tout
début des années 1600. Ils étaient parmi les premiers
de ceux qui formeront cette "Nation Portugaise" qui obtiendra l'autorisation en 1614 de construire une
synagogue et d'enterrer ses morts dans son propre
cimetière à Oudekerque, dans la banlieue d'Amsterdam.
Tout cela était encore bien frais lorsque celui qui sera
rejeté par une Communauté sur ses gardes deviendra le
premier grand penseur moderne du rationalisme et de l'athéisme, un athéisme qui ne pouvait pas, à l'époque,
s'afficher publiquement ; mais il n'était pas sorcier de
se rendre compte qu'entre un Dieu qui est partout et un Dieu qui n'est nulle part la marge est étroite.
Chassé par les siens, Spinoza ne rallia jamais une autre religion même s'il changea son prénom en Benoît. Il
fabriqua des optiques et écrivit des livres dont certains
furent publiés sous un pseudonyme et d'autres après sa
mort. Car il était des choses que l'on ne pouvait pas dire publiquement dans la République Batave pourtant à
l'avant-garde du progrès.
Alain Minc, qui lui a consacré un livre, écrit, que
Spinoza est le premier d'une longue liste de Juifs de
renom qui se sont placés délibérément "à la marge",
liste dans laquelle il place Karl Marx, Sigmund Freud et Albert Einstein, et à laquelle on pourrait rajouter
nombre de noms, par exemple ceux de Léon Trotski
ou du Cardinal Lustiger. C'est la raison pour laquelle il a titré son livre : "Spinoza, Un roman juif"
(1). C'est
cette marginalité qui a sans doute fait que lorsque Ben
Gourion demanda aux grands rabbins, après la création de l'Etat d'Israël, de rejuger Spinoza, les rabbins
confirmèrent la sentence et le Herem.
I.J. 1 Alain Minc : Spinoza, un roman juif. Gallimard 1999
Bureau de "Liberté du Judaïsme" Maryse Sicsu Présidente
Isidore Jacubowiez Président adjoint
Marlyse Kalfon-Medioni Secrétaire Odile Volf Trésorière
Noémie Fischer Trésorière adjointe
Contacts L. J. : 13 rue du Cambodge 75020 Paris
Site Internet : www.liberte-du-judaisme.fr
Pensez à régler votre cotisation ou votre abonnement à la Lettre de
L.J, pour l'année 5776 (Sept. 2015 à août 2016). Si vous le pouvez, faites un don à L.J. qui peut être déductible de vos impôts. Un certificat CERFA vous sera délivré. Envoyez vos chèques à notre siège social : Liberté du Judaïsme 13 rue du Cambodge 75020 Paris
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" Le Pletzl"
Du début des années 1880 à la veille de la Seconde
Guerre Mondiale, environ 110 000 Juifs ashkénazes yiddishophones fuyant la misère et les persécutions
dont ils étaient victimes en Europe de l’Est arrivent en
France et s’y installent. Pour l’essentiel à Paris, surtout dans le Marais, appelé alors Pletzl, "petite place" en
yiddish, nom par lequel les Juifs ashkénazes d’avant et
d’après-guerre aimaient désigner ce quartier. On ne s’accorde pas sur le lieu ainsi désigné. Tantôt on
affirme qu’il s’agit de la place des Hospitalières-Saint-
Gervais "petite place" par opposition à la "grande"- La
Place des Vosges -, tantôt de celle où se trouve aujourd’hui l’entrée de la station de métro Saint-Paul.
Cette "petite place" diversement localisée désigne un
quartier qui se réduit vite symboliquement à la rue
des Rosiers, rue qui doit
son tracé au rempart de Philippe Auguste et son
nom aux fleurs qui
poussaient en contrebas de
celui-ci. C’est en quelque sorte "la petite place qui se
déplace".
Il importe peu, sans doute, qu’aucune place ne
corresponde exactement à
ce nom. "Elle n’est peut-
être qu’une évocation pleine de tendresse et d’intimité du shtetl, du mellah, ou
de la place du marché du quartier de résidence qu’a
connu l’immigré dans son pays d’origine" (1)
.
Le Pletzl n’est pas un petit "ghetto" au cœur de
Paris : c’est une plaque tournante, un pôle d’orientation, un réseau très volatile mais dense de figures, de
connaissances, de points de repère. L’un d’eux : la
librairie que tenait au 34, rue des Rosiers, Wolf Speiser,
né à Odessa en 1869, fixé à Paris dans les années 1900 et qui publiera dès 1910 un " Almanach", véritable
"guide des égarés" à l’usage des nouveaux venus…
Certains lieux, dont il ne reste plus rien aujourd’hui, occupaient des positions stratégiques dans le Pletzl.
Ainsi les boutiques des coiffeurs, caisses de résonnance
de ce petit monde, lieux de passage, de convivialité et de sociabilité privilégiés. De même les restaurants et les
cantines d’originaires, dont les patrons et les serveurs -
parce qu’ils connaissent tout le monde et que tout le
monde les connaît - étaient des guides indispensables. Certains de ces restaurants fonctionnaient d’ailleurs
comme de véritables bureaux de placement. Ainsi les
tailleurs, fourreurs, casquettiers et orfèvres se retrouvaient à la maison Rozenstroikhs, rue des
Hospitalières-Saint-Gervais.
Les commerces alimentaires contribuent largement à la
caractérisation identitaire du Pletzl. D’abord parce que
la nourriture est souvent ce qui reste lorsque tout est
déjà presque oublié du lieu d’où l’on vient. Ensuite
parce que les enseignes, fréquemment peintes à même
la vitrine, ont l’impact graphique de l’alphabet hébraïque dans lequel s’écrit le yiddish, qui marque le
paysage. On peut y lire aussi, lorsque le milkhgevelb
devient la "crémerie", la vourshterei, la charcuterie, (translittérées en caractères hébraïques), les étapes
d’une intégration où la familiarisation rapide avec la
langue française joue un rôle essentiel.
Historiquement, il y a toujours eu et il y a encore
d’autres "quartiers juifs" à Paris. Pendant le Moyen-
Age, il y avait des " juiveries" (2)
, dont deux sur la rive droite. Elles ont disparu après l’expulsion des Juifs des
terres de la Couronne en 1394. Par la suite, Paris a
connu d’autres quartiers à forte population juive, (Montmartre, le IXème arrondissement autour de la rue
Richer et du métro Cadet) mais l’implantation de celui
de la rue des Rosiers a résisté à l’épreuve du temps. De
fait, cette rue constitue un pôle où tous se croisent et se rencontrent : le Juif libéral, le hassid, le Juif orthodoxe,
l’ashkénaze de Pologne, de Roumanie, d’Autriche, de
Russie, le sépharade de Turquie, du Maroc, de Tunisie, d’Algérie, l’intellectuel et l’épicier sans oublier les Juifs
étrangers touristes à Paris… (1)
Un peu partout sur les murs, des plaques commémoratives rappellent que le quartier a
énormément souffert sous l’occupation : elles gardent la
mémoire des hommes, femmes et enfants juifs du
quartier qui furent exterminées dans les camps nazis durant la Seconde Guerre mondiale…
L’anthropologue Jeanne Brody écrit, évoquant la rue
des Rosiers et ce que, dans les années quatre-vingt, on a recommencé à appeler le Pletzl après une longue
éclipse et sans considérer la réalité sociologique
profondément différente du lieu : " L’existence de cette communauté est fondée sur un territoire commun – un
demi km2 dans le 4ème
arrondissement de Paris, mais
avec des frontières fluctuantes, sur une mémoire
collective, celle de l’histoire générale du peuple juif, gravée dans les consciences et finalement sur un
sentiment d’appartenir à ce quartier, défini comme
" juif" par ses membres et par les médias". Dans ce cœur de Paris on échappe au temps et à
l’anonymat urbain : le passé résonne dans un présent où
quartier et communauté ne font qu’un…
Sur une petite place généralement considérée comme le centre du Pletzl, l’école des Hospitalières Saint-
Gervais a été frappée par les rafles. Ouverte en 1846
sous le contrôle du Consistoire, elle devient, avec les lois scolaires des années 1880, une école comme les
autres, mais continue d’accueillir une majorité
d’enfants juifs, et de nationalité étrangère. Jusqu’en 1940 elle est fermée le samedi tandis qu’on y travaille
le jeudi.
Au cours de la rafle dite du "Vel’ d’Hiv" des 16 et 17
juillet 1942, des policiers parisiens, sur ordre des nazis
La presse en yiddish
5
et de leurs complices vichystes, arrêtent plus de 13 000
Juifs étrangers, dont près d’un tiers sont des enfants. La
plupart sont déportés à Auschwitz. Parmi eux 165
élèves de l’école. A la rentrée scolaire, le 1er
octobre 1942, il n’y aura que 4 élèves présents. Une plaque
rappelle leur martyre depuis le 7 mai 1971.
Quelques enfants échapperont aux arrestations grâce au courage et au sang-froid du directeur, Joseph
Migneret, honoré comme "Juste" par Yad Vashem.
Le 9 octobre dernier, dans le jardin de la rue des Rosiers qui porte aujourd'hui son nom, il a été dévoilé
une plaque en souvenir des 101 enfants du 4ème
arrondissement assassinés avant même d’avoir atteint
l’âge d'être scolarisés.
On ne peut parler du Pletzl sans évoquer la synagogue
de la rue Pavée, dont l'édification fut confiée par l’association russo-polonaise Agoudah Hakehilot à
Hector Guimard. Inaugurée en 1914, cette synagogue
"Art nouveau", dont la façade est classée, reste
actuellement la synagogue parisienne la plus connue dans le monde ; elle a résisté au dynamitage, ainsi qu’à
l’attentat qui la visait en octobre 1941, attaque
perpétrée par le mouvement d’extrême droite d’Eugène Deloncle, co-fondateur de la Cagoule en 1935.
Moins nettement, mais ici aussi, les traces du passé tendent à disparaître. Paris, aujourd’hui est bourgeois :
le caractère régional, culturel ou national, qui
distinguait certains quartiers s’estompe. Et pourtant le
bulldozer a du mal à venir à bout de cette aire particulière. Elle persiste et s’entête à garder son
étiquette " juive ". Pourquoi ? Y- a - t-il encore autant
de Juifs rue des Rosiers ?
Cette image de "communauté " pauvre mais familiale a
été brisée par la guerre. Henri Bulawko (voir ci-contre) se
souvient des bagarres causées par les groupes fascistes et antisémites qui venaient au "ghetto" casser les
vitrines des magasins et harceler les habitants. Ces
événements sont - hélas - des "préludes" ; la Seconde Guerre mondiale les éclipsera tous.
Bien que leur nombre diminue, la plupart des commerçants et habitants non juifs attestent que " le
cœur du quartier bat à un autre rythme que le reste de
Paris – un rythme juif disent-ils : c’est-à-dire que les
habitudes, les coutumes et les diverses langues que
parle cette population (en plus du français), colorent et animent le quartier tout entier". Ces deux constats en
apparence contradictoires ne sont explicables que si
l’on prend en compte la force du symbole et de l’image du quartier qui transforment la réalité : même si la
plupart des résidents actuels ne sont pas juifs, le
quartier attire ses anciens habitants et d’autres Juifs qui, par leur fidélité, agissent sur son identité.
Le Pletzl n’a pas encore vécu ses derniers jours et
malgré une certaine agressivité de la spéculation immobilière sauvage par la rénovation d’immeubles
habitables "découpés" en petits appartements aux loyers
chers, il n’y a pas de danger que les synagogues disparaissent. Si cet endroit perdure, réussissant à
garder son caractère particulier, c’est surtout parce que
la mémoire collective et individuelle en a fait une sorte
de " lieu sacré" juif. Le souvenir a, dit-on, un rôle réparateur de l’âme. Après la dureté de la fuite, le
travail de réimplantation dans un nouveau lieu,
l’apprentissage d’une nouvelle culture, des années de lutte, de pauvreté, l’itinéraire se conclut enfin par une
intégration. "Sans bouger on est à la fois d’ici et
d’ailleurs" …
Danièle Weill-Wolf
(1)
"Rue des Rosiers : une manière d’être juif " Jeanne Brody,
revue " Autrement" (2) "Vivre et survivre dans le Marais. Au cœur de Paris du Moyen-
Age à nos jours " Sous la direction de Pierre-Azéma Ed. " Le Manuscrit "
Et pour mémoire : "Rendez-vous au métro Saint-Paul" de Cyrille Fleischman "Le Dilettante" Illustrations : Paris 4e (Parigramme)
Henry Bulawko, né le 25 novembre 1918 en Lituanie arrive à Paris à l’âge de 7 ans. Sa langue maternelle est le yiddish.
Très jeune il devient un membre actif du Hachomer Hatzaïr
mouvement de jeunesse juive et sioniste de gauche.
Dès 1940 il rejoint la Résistance. Jusqu’en novembre 1942 il
assure la fabrication de faux titres d’identité et d’alimentation
au dispensaire du "Comité de la rue Amelot" (cf. L.J. n° 116).
Arrêté en novembre 1942 il est interné à Beaune-le-Rolande, puis au camp de Drancy d’où il sera déporté vers Auschwitz
(convoi n° 57). En janvier 1945, il quitte Auschwitz avec
"Les marches de la mort", mais réussit à s’échapper et se
réfugie dans les forêts jusqu’à l’arrivée des troupes
soviétiques.
Président de l’Amicale des déportés d’Auschwitz et de
l’Association des déportés juifs de France, il est l’un des
fondateurs du Cercle Bernard Lazare.
Commandeur de la Légion d’honneur en 1999, il est élevé à
la dignité de Grand officier en 2005. Il meurt à Paris le 27
novembre 2011.
Deux habitants du Pletzl
6
Vu d'Israël
Le printemps arabe et Daech en Israël
Décidément, les événements vont plus vite que la
pensée. La planète des hommes évolue à la vitesse Grand V. A chaque fois que je prends la plume – le
clavier – pour réagir, il faut tout recommencer du
début. Cette fois, je ne recommencerai pas, promis juré.
Automne 2015 : quinze ans après la Deuxième
Intifada, qui éclata au début d'octobre 2000, les
Israéliens revivent une nouvelle vague de violences qui rappellent les deux Intifadas précédentes, mais revêt des
formes à la fois nouvelles et très anciennes.
L'ancien : cette vague a commencé par un appel de la
"Branche nord" du Mouvement Islamique en Israël,
décrétant que la Mosquée El Aqsa à Jérusalem est "en danger" et que les Juifs veulent y changer le statu quo
pour y édifier le "Troisième Temple". Chose démentie
rapidement par le gouvernement israélien, même s'il est
vrai que des activistes religieux d'extrême droite (certains partenaires du gouvernement de Netanyahou)
ont fait des déclarations en ce sens. Le motif/prétexte
religieux est récurent dans l'histoire des rapports entre Juifs et Arabes en Palestine/Israël : il a servi à
déclencher des émeutes de la population arabe en 1919-
1920, en 1929, puis de nouveau en 1936-39 – quand le
rôle d'inspirateur et promoteur fut joué par le Mufti de Jérusalem, Hadj Amine et Husseini, grand prédicateur
enflammé qui s'enfuira en Allemagne et fera acte
d'allégeance à Hitler. A chaque fois, les émeutiers s'en prendront aux Juifs d'abord, à la puissance mandataire
britannique ensuite. L'appel à "défendre les lieux saints"
et à en expurger les "Juifs impies" est le meilleur mobilisateur, le meilleur détonateur. A chaque fois, il y
a des morts juifs, des viols, des pillages, etc.
Ce levier va servir de nouveau – mais pas
exclusivement – lors de la guerre de 1947-48, où l'État d'Israël est créé malgré les armées et les foules arabes,
ce que les Palestiniens appellent depuis une vingtaine
d'année la "Nakba". Mais c'est le motif nationaliste qui prévaut alors et jusqu'aux années 1980. La première
Intifada débute spontanément en décembre 1987,
principalement à cause de "l'occupation et l'exploitation israéliennes". Mais la Seconde Intifada voit le retour du
religieux, à cause de la visite médiatique d'Ariel
Sharon, sur le Mont du Temple en octobre 2000 –
prétexte imparable pour le retour de la violence. Depuis des années, les prédicateurs préparaient le terrain par
leurs prêches dans les mosquées. C'était en partie un
résultat de la grave imprudence des dirigeants israéliens, qui avaient cru bon de lutter contre le
nationalisme de l'OLP en donnant le champ libre aux
organisations religieuses. Dans le fond, on s'aperçoit,
après plus de deux siècles de contact/affrontement entre
l'Occident – dont Israël – et le monde arabe, que c'est
avant tout autre chose, la foi en Allah, la soumission à
Allah qui prime. Or soumission est exactement le sens
du mot "Islam".
Le neuf, en 2015, est double : c'est à la fois une
volonté des jeunes Palestiniens d'imiter les autres jeunes Arabes qui ont provoqué le "printemps arabe",
d'une part, et l'influence des techniques de la
communication électronique, les téléphones portables et les réseaux sociaux – qui galvanisent les insurgés. Alors
que Mahmoud Abbas cherche par tous les moyens
diplomatiques et "non violents" à contraindre Israël à
céder à toutes les exigences palestiniennes – pas seulement au sujet des implantations juives
1 - les jeunes
en colère visent le même objectif par la force et la
violence. Le nouveau, d'ailleurs, c'est aussi la présence de Daech presque aux portes d'Israël, en Syrie : on a là
une sorte de réincarnation de l'idée de "grand soir" à la
sauce islamique.
Ce serait beaucoup dire que d'affirmer qu'Israël sait
exactement comment s'y prendre face à cette situation
nouvelle, il a seulement une longueur d'avance sur les Européens, plutôt idéalistes et enclins à l'angélisme. Le
fait que nous ayons un gouvernement de droite, avec
une majorité parlementaire très mince, n'arrange pas les choses, L'absence d'un accord de paix avec les
Palestiniens est certainement décisive. L'Israélien de la
rue, lui, est assez interloqué par les attentats au couteau,
qui frappent surtout Jérusalem et la Judée-Samarie, il redevient méfiant ou hostile aux Arabes (même
israéliens, puisque quelques-uns ont commis des
attentats), et se répète une fois de plus qu'il n'y a "pas de partenaire pour la paix". Après les événements du 13
novembre à Paris, il penche à dire : "Vous les Français,
vous commencez à connaître ce que nous vivons depuis des dizaines d'années". Beaucoup rappellent la formule
française "A la guerre comme à la guerre". Sauf que le
malheur du voisin ne fait pas notre bonheur, la
compréhension des choses est entièrement différente. En quoi ? En ceci que pour au moins 80 % des
Israéliens, il "faut frapper le terrorisme à la source",
c'est-à dire à la tête. En France, jusqu'à ce jour, la majorité pensaient surtout qu'il s'agit de "poussées de
fièvre" sporadiques et ponctuelles. Mais le Président
Hollande a clairement déclaré que la France est "en
guerre". Les meilleurs spécialistes2
soulignent que la guerre sur le terrain n'a qu'une importance limitée,
l'essentiel étant de mener une guerre idéologique"
contre l'islamisme radical, qui veut assassiner ou convertir tous les infidèles !
Yaïr Biran
1 Dont je n'ai jamais été personnellement un partisan.
2 Dont beaucoup sont originaires des pays arabes ou du Moyen
Orient.
7
Un musicien révolutionnaire,
témoin des bouleversements du 20ème
siècle.
"Le temps guérit toutes les blessures…même celles
infligées par des harmonies dissonantes"
Arnold Schönberg (1874-1951)
La saison lyrique a fait une entrée inattendue et passionnante avec "Moïse
et Aron" d'Arnold Schönberg. Après
40 ans de traversée du désert, la
version scénique, a enfin vu le jour à l'Opéra Bastille. Cette œuvre étrange et
bouleversante nous invite à connaître
la vie et l'époque de son créateur. Schönberg est né en 1874 à Vienne
dans une famille modeste. Son père,
petit commerçant libre-penseur. Sa mère, juive pratiquante, descend d'une famille où les
fils, pendant plusieurs générations, faisaient office de
chantres dans la grande synagogue de Prague. Pendant
longtemps, le seul lien qui attachait Schönberg au judaïsme fut la Bible, une de ses sources d'inspiration.
Compositeur autodidacte, il se considérait héritier de la
tradition classique et romantique malgré la révolution atonale dont il était l'initiateur. La transgression des
codes sacro-saints qui régnaient dans la musique était
déjà en mouvement. Mahler ( 1860-1911), visionnaire
d'un monde qui va être balayé, bouleverse déjà l'harmonie par ses contrastes dissonants. Le trivial fait
irruption dans le sublime. Le lyrisme élégiaque, entaché
par l'intrusion des fanfares tapageuses, annonce les pertes de repères traditionnels et le désenchantement de
la modernité.
L'art est un miroir impitoyable. Il dévoile ce qu'il y a derrière la fameuse "Gemütlichkeit" viennoise –
charme, douceur, cordialité – et derrière le kitch, façade
embellissante d'une réalité qui marche vers l'abîme.
Karl Kraus (1874-1936), célèbre pamphlétaire, écrit en 1915 un drame-fleuve (10 heures): " Les dernières
heures de l'humanité" où les chœurs des enfants
supplient les parents de ne pas les mettre au monde. L'apport de Schönberg à la musique est immense. En
1920, il fonde l'Ecole de Vienne et invente le
dodécaphonisme, qui jette les bases de la musique du 20
è siècle. Cette innovation iconoclaste déchaîne un
véritable scandale. Le public viennois et les autorités
musicales y voient une atteinte morale. On parle
d'impasse, on prévoit la mort prochaine de la musique. Ce sacrilège venant d'un Juif ne se pardonne pas,
Schönberg devient la cible d'attaques antisémites
violentes. En 1924 il quitte Vienne, part à Berlin où il est nommé
à l'Académie de Prusse comme professeur de
composition. La nomination d'un Juif à ce poste est
considérée comme "une provocation, un acte de malfaisance".
L'émancipation des Juifs de l'Empire et la
montée de l'antisémitisme 1860 Le nouveau gouvernement met en place des
réformes libérales qui donnent l'égalité des droits aux
Juifs. Ils peuvent quitter leur "shtetl" de Galicie,
Bukovine, Moravie ; accéder à la propriété, à l'instruction supérieure. Pendant la période où les
libéraux sont au pouvoir, l'intégration des Juifs à la
société et la culture viennoise se déroule sans heurt. En 1875, à la suite d'un krach boursier suivi
d'une crise économique, le Parti conservateur
revient au pouvoir, appuyé par le Parti national-chrétien de Karl Lueger. L'élection de cet
antisémite notoire à la mairie de Vienne met fin,
définitivement, à l'illusion d'une symbiose judéo-
autrichienne. Le courant antisémite, animé par les nationalistes et les pangermanistes, prend le
contrôle de la capitale
Rester juif ? Conversion, reconversion. A la fin du 19
éme siècle, une partie considérable de
l'intelligentsia autrichienne est composée d'artistes,
théoriciens et scientifiques juifs. Nombre de ces
intellectuels considèrent la conversion comme la voie
royale de l'assimilation à la culture allemande. A cette tendance que Théodore Herzl appela "la maladie
assimilationniste" s'oppose une autre conception qui
préconise la reconquête de l'identité juive par la culture, la langue, les traditions, l'histoire.
La conversion vaine. En 1898, Schönberg se convertit au protestantisme.
Pendant longtemps il fait face avec sang-froid aux attaques antisémites. En 1921, il passe des vacances
avec sa famille au village de Mattsee, dans les environs
de Salzbourg. La municipalité fait savoir aux vacanciers
que la présence de non-aryens n'est pas souhaitée, elle nuit à la réputation de la station. Cette humiliation
laisse des traces profondes. Dans une lettre adressée à
Kandinsky, il écrit : "J'ai au moins appris une leçon que je
n'oublierai plus jamais : c'est que je ne suis pas un Allemand,
ni un Européen, peut-être à peine un être humain , car je suis
Juif. J'en suis satisfait ! je ne souhaite pas du tout qu'on fasse
une exception pour moi" Pour Gustav Mahler, un autre viennois converti, la
conversion n'est pas une sinécure non plus. La plainte de Schönberg répond en écho au lamento de Mahler : "Je suis trois fois apatride : Bohémien en Autriche,
Autrichien en Allemagne et Juif dans le monde entier"
Mahler fait des tentatives touchantes pour effacer les "stigmates" de son identité. Il demande à sa femme
Alma de le mettre en garde chaque fois qu'il a des
manières, des gestes juifs. Quant à Schönberg, l'expérience traumatisante de Mattsee le décide à
retourner à ses origines.
En 1933, Hitler prend le pouvoir, Schönberg quitte
Berlin et fait un séjour de quelques mois à Paris avant
8
son exil aux Etats-Unis. Le 24 juillet, il se présente à la
synagogue de la rue Copernic. Au cours d'une
cérémonie inhabituelle il exprime " son désir formel de
rentrer dans la Communauté d'Israël" il est accompagné de Marc Chagall comme témoin. Cette
demande de reconversion est peut-être unique dans son
genre. '"Le droit religieux ne connaît pas la "désertion", un Juif même converti reste Juif."
Une reconversion non moins paradoxale est celle de
Franz Rosenzweig. En 1913, à la veille de sa conversion, ce jeune philosophe, brillant auteur de
"l'Etoile de la Rédemption", décide de passer Yom
Kippour dans une petite synagogue hassidique à
Potsdam. A la suite de cette expérience, il quitte l'Université et se consacre à l'étude de l'hébreu et du
judaïsme. A son cousin prosélyte et déjà converti, il
écrit : "Etant ce que je suis ce n'est pas possible. Je resterai Juif".
Dès les années 1920, le retour, la "techouva", de
Schönberg se reflète par des thèmes bibliques dans son
œuvre : 1922 Echelle de Jacob / 1926 Moîse et Aron
1930 La voie biblique / 1938 Kol Nidre
1949 L'oratorio "Trois fois mille ans" pour la naissance de l'Etat d'Israël
1950 Le Psaume 130 " De profondis"
Selon André Neher, le philosophe talmudiste, les 12
notes de la dodécaphonie symboliseraient les 12 fils de
Jacob et les 12 tribus d'Israël.
Exil et postérité Les musiciens en exil connaissent des fortunes diverses. Kurt Weill, compositeur de l'Opéra de Quat' sous
reçoit un accueil favorable. Il devient spécialiste de
comédies musicales. Alexandre Zemlinsky, compositeur génial à la discographie impressionnante
meurt pauvre et oublié en 1942 à New-York. La
postérité retiendra qu'il fut le professeur et l'amoureux transi d'Alma Schindler, future épouse de Mahler.
En 1933, Schönberg s'exile aux Etats-Unis. Il est un des
rares qui comprennent que Hitler mettra à exécution ses
menaces et adjurent les Juifs de quitter l'Europe. Nommé professeur de composition à l'université de
Californie, il y restera jusqu'à sa mort en 1951. Bien
qu'il soit reconnu comme la figure la plus importante de la musique du 20
ème siècle son œuvre n'est pas intégrée
au grand répertoire des concerts. Admiré ou haï, des
polémiques et une abondante littérature n'ont pas cessé
de s'interroger sur son œuvre et sur sa personnalité. Comme il disait : " Peut-être dans cinquante ans on
saura qui je suis"
Margaret Cohen Sources :
-Yaël Hirsch : "Rester juif ?" (Ed. Perrin 2014)
-René Leibowitzi : "Schönberg" (Seuil 1962)
-Frans C. Lemaire : Le destin juif et la musique (Fayard )
Chagall Si après avoir vu l'exposition "Marc Chagall et le
triomphe de la musique " vous voulez en savoir plus
sur l'homme et le peintre, lisez le livre qu’une journaliste américaine a publié en 2008 et qui à été
traduit en français en 2012. (1)
Ce livre nous prend par la main pour suivre Chagall
dans ses pérégrinations au travers des bouleversements
de l’Europe du 20ème
siècle et nous donne à voir ses
œuvres dans le contexte de leur élaboration. Chagall peintre juif, cela va sans dire ; tous ses
tableaux reflètent les craintes et les nostalgies des Juifs
de l’est de l’Europe toujours en exil, et si cela ne suffit pas, le peintre met les points sur les "i" en ponctuant
ses tableaux de signes ou de lettres hébraïques.
Son prénom était Moyse et s’il avait adopté Marc pour se faire accepter par la France, la France, ou en tous cas
son administration, se refusa à le suivre sur cette voie
et quand il obtint sa naturalisation c’est "Moyse" qui
figurait sur sa carte d’identité.
Mais Chagall était aussi un peintre russe et ce n’est
que tardivement qu’il s’éloigna de la Russie. Né à Vitebsk, petite ville aux confins ouest du pays, il ne
s’arracha jamais complètement à cette ville où il passa
son enfance et où il fit ses premières armes de peintre.
C’est une Vitebsk réelle ou imaginaire qui figure sur nombre de ses tableaux, même les plus tardifs, une
Vitebsk juive qui fut détruite par les nazis.
Chagall né dans une famille de Juifs pauvres fut attiré comme beaucoup d’autres par l’espoir de voir changer
un monde écrasé par l’autocratie tsariste. Il avait 34 ans
quand éclata la Révolution d’Octobre. Après une première période d’apprentissage de son métier à
Vitebsk, il s’était rendu à St Petersbourg pour y parfaire
ses connaissances ; il s’y était heurté à la faim, à la
misère et à l’antisémitisme. A l’époque, les Juifs de l’empire tsariste étaient confinés dans la "zone de
résidence" et la capitale leur était interdite sauf
autorisation spéciale. Après quelques allers et retours entre St. Petersbourg et
Vitebsk, il réussit à se rendre à Paris, "Capitale des
Arts" ; C’était en 1911. Il y séjourna jusqu’en 1914, juste à l’orée de la Grande Guerre. Il y vécut, entre
autres à la Ruche, ce bâtiment du 14éme
arrondissement
de Paris peuplé d’ateliers de peintre. Il y fait la
connaissance de l’avant-garde intellectuelle parisienne, de Blaise Cendrars à Apollinaire en passant bien
évidemment par les peintres de l’Ecole de Paris.
Il retourna à Vitebsk au tout début de la guerre. Vitebsk n’était pas loin de la frontière et les autorités
tsaristes décidèrent du déplacement vers l’est d’un
million de Juifs accusés collectivement d’espionnage au
bénéfice de l’Allemagne(2)
. Il y épousa Bella Rosenfeld, qui fut son égérie et son modèle jusqu’à sa mort en
1944, puis s’installa à St Petersbourg – devenue, entre
9
temps, Petrograd - où il assista aux révolutions de
juillet et d’octobre 1917.
La prise de pouvoir par les bolcheviks fut saluée
chaleureusement par l’avant-garde artistique russe qui y vit sa propre victoire et par les Juifs
que les pogroms sanglants organisés par les
"Blancs", jetèrent dans les bras des "Rouges". Les toutes premières années du régime soviétique
ne les déçurent pas, les artistes reçurent un
ministre de l’Instruction Publique, Lounatcharski, qui était plus ou moins un des leurs, et la
pratique du yiddish fut encouragée pour les Juifs
qui avaient maintenant le droit de vivre en dehors
des limites de la zone de résidence. Lounatcharski proposa à Chagall la Direction d’un
département des Arts Visuels ; il refusa, mais obtint
d’ouvrir à Vitebsk une école des Beaux-arts qu’il dirigea jusqu’en 1920. A cette date, le vent commença à
tourner, la façon de peindre de Chagall n’était plus tout
à fait conforme aux nouveaux canons soviétiques qui,
après quelques balbutiements, s’orientèrent vers le "réalisme socialiste".
Chagall quitta Vitebsk pour Moscou où il entreprit de décorer le futur Théâtre Juif. Il y fit, avec sept
panneaux de grande taille(3)
, une de ses œuvres
majeures qui annonça celles qu’il produisit une cinquantaine d'années plus tard quand il se lança dans
les fresques décoratives et les vitraux de grandes
dimensions.
Commençant à se sentir à l’étroit dans un soviétisme de plus en plus bureaucratique, Chagall décida de
retourner à Paris, et prenant prétexte d’une exposition
de ses œuvres en Lituanie, il quitta, en 1922, la Russie pour toujours. Mais Russe, il le resta toute sa vie même
s’il essaya de se faire accepter comme peintre français
après la seconde guerre mondiale, à son retour d’Amérique. C’est pour cela qu’il accepta avec
empressement d’illustrer, à la demande de Vollard, les
"Ames mortes" de Gogol par un ensemble de 107
gravures. Simultanément, il entreprit de refaire un certain nombre de tableaux qui avaient disparu durant la
guerre et qui, eux, étaient profondément marqués par la
vie juive de Vitebsk et en particulier "Au dessus de
Vitebsk " avec son juif errant que nous avons pu voir
au Musée du Luxembourg. (voir Lettre de LJ n° 122 et
aussi l'article de Jacqueline Karp "Chagall et la Bible dans la
Lettre de LJ n°110)
C’est à la fin des années trente qu’il fut de nouveau
attiré par la Russie soviétique, lorsqu’il s’avéra que
c’est cette Russie qui allait être le principal rempart contre la menace nazie. En 1937, il peignit
" Révolution ", une toile où sont entremêlés des thèmes
révolutionnaires et des personnages juifs typiquement "chagalliens" ; un Lénine, équilibriste, y côtoie un Juif
en prière pendant que des révolutionnaires, drapeaux
rouges en tête, s’élancent vers …
Chagall obtint la nationalité française en 1938. Elle
faillit lui être retirée en 1940 quand le gouvernement de
Vichy décida de dé-nationaliser tous ceux qui l’avaient
été depuis 1928. Il semble que son nom apparut sur les listes des "bénéficiaires" de cette mesure mais qu’il en
fut retiré. Cela n’empêcha pas qu’au cours d’une rafle
il fut arrêté par la police française à Marseille mais très rapidement libéré grâce à une intervention
"musclée" de Varian Fry(4),
avec qui il était déjà en
contact pour fuir vers les Etats-Unis. Chagall resta six ans aux Etats-Unis. En 1943, il y
rencontra ses anciens amis de la période soviétique
post-révolutionnaire, le grand acteur Mickoels, avec qui
il avait travaillé lors de la décoration du théâtre juif de Moscou, et l’écrivain Izik Fefer
(5), venus, tous les
deux, au nom du Comité Antifasciste Juif qu’ils
avaient créé à Moscou, collecter de l’argent pour soutenir l’effort de guerre de l’Union Soviétique. Cela
le rapprocha de l'Union Soviétique, dans laquelle il vit
la seule puissance capable de sauver ce qui restait des
Juifs de l'est après la liquidation du ghetto de Varsovie,
C’est aux USA qu’il perdit, juste avant de revenir en
Europe, sa femme et sa muse depuis Vitebsk, Bella, qui était un lien puissant avec sa jeunesse juive et russe,
Bella qui avait entrepris d’écrire ses souvenirs en
yiddish (6)
Isidore Jacubowiez 1 Jackie Wullschlager : Chagall – Gallimard – 2012. Le
titre anglais est "Chagall, love and exile" 2 Il faut croire que ces déplacements de populations sont
monnaies courantes en Russie, puisque moins de 30 ans plus
tard, les autorités soviétiques firent subir le même sort, pour
les mêmes motifs, aux Allemands qui vivaient, depuis
Catherine II, au bord de la Volga et aux Tatars de Crimée. 3 Que l'on peut voir à l'exposition de la Philharmonie de Paris 4 Varian Fry : Citoyen américain, chargé par "l'Emergency
Rescue Committee" de faciliter la fuite vers les Etats-Unis de
personnalités en danger en Europe 5 Fefer fut fusillé en 1952 pour "cosmopolitisme", Mickoels
fut assassiné en 1948 et son assassinat camouflé en accident
de voiture. 6 Bella Chagall : "Lumières allumées" NRF 1973
10
Le Cimetière de Salonique L'université Aristote de Thessalonique n'est pas bâtie
sur le sable, elle est bâtie sur du solide, les restes de
plus de 300 000 juifs qui furent enterrés là depuis près de 20 siècles.
Ce cimetière se trouvait à l'extérieur du mur de
protection qui joignait la ville haute à son port lorsque les Byzantins tenaient le haut du pavé. Après quatre
siècles d'occupation ottomane, un Sultan de passage
décida que la ville corsetée par ses murailles avait
quelques difficultés à respirer et il les fit démolir. La ville commença à s'étaler et le cimetière se trouva peu
à peu enserré dans le tissus urbain.
Lorsque Salonique fut en 1912 rattachée à la Grèce et
qu'en 1923 près de 100 000 grecophones rapatriés
d'Asie Mineure s'y installèrent, la Municipalité essaya de récupérer le terrain sur lesquel s'elevaient les
tombes juives. La Communauté juive n'accepta que des
modifications mineures et l'affaire en resta là jusqu'à
l'arrivée des nazis. Ceux-ci, bien informés de la situation, se firent un plaisir de répondre positivement à
la demande de la municipalité grecque, trouvant sans
doute là un excellent moyen d'enfoncer un coin entre les Juifs et le reste de la population. La municipalité
ordonna donc un bon matin de décembre 1942 que les
morts devaient vider les lieux et donna six jours à la
communauté juive pour le faire. Six jours ou rien, ce n'était pas très différent et, le septième jour, des
ouvriers grecs commencent à détruire les tombes et
mettre à bas les stèles que l'on retrouva plus tard dans des chantiers de construction et en particulier dans ceux
des églises sans que les autorités ecclésiastiques
orthodoxes y trouvent quelque chose à redire.
Plus tard, sur le terrain ainsi libéré, on construisit ce qui
est le plus grand campus universitaire de la Grèce.
70 000 étudiants le fréquentent et bien peu d'entre eux savent que quand ils viennent au cours ils marchent sur
des ossements.
En tout cas, depuis le mois de novembre 2014, ceux d'entre eux qui veulent le savoir le peuvent. Il suffit
qu'ils se rendent auprès du monument que les
survivants de la déportation à Auschwitz ont réussi à faire ériger dans l'enceinte du campus ; 70 ans plus tard,
car il ne manquait pas de gens pour trainer les pieds,
que ce soit dans l'administration grecque ou dans celle
de l'université.
Le maire actuel, Yannis Boutaris, grâce à qui ce
monument a pu être érigé, n'a guère été tendre pour les
habitants de la ville dont il assure maintenant la gestion.
Ni pour les habitants, ni pour les autorités universitaires qui pendant des décennies ont fait comme si elles
ignoraient que, pendant plusieurs siècles, Thessalonique
avait été une ville dont la majorité des habitants étaient juifs. I.J.
Tous nos remerciements à Mme Hella Matalon de la
Communauté juive de Thessalonique qui nous a fait
connaître ce monument et son histoire et qui a bien voulu
relire et corriger cet article.
Qu'est ce que la musique juive ? C'est la question que se sont posés les participants à la
table ronde au Festival des Cultures Juives du mois de juillet
2015 en prélude au concert que nous a offert Agnès Jaoui. Il n'est guère besoin de préciser que les réponses ont été
multiples. Pour Susana Weich-Shahak(1), qui collecte les
musiques tout autour de la Méditérrannée, une musique juive
est tout simplement une musique chantée par des Juifs, du
temps où ces Juifs étaient réunis autour de structures
communautaires. Pour Benjamin Duvshani (2) c'est plus que
cela, c'est à la fois une façon d'approcher la création musicale
dont Salomone Rossi, Malher et Offenbach sont des
exemples et l'intégration de thèmes juifs tels qu'on peut en
retrouver même chez des musiciens aussi modernes que
György Ligeti et Mauricio Kagel. Pour Hervé Rotten
(3), il est difficile de définir une musique
juive, car toute musique est évolutive dans le temps, elle est
produite dans un cadre historique et social bien défini. Les
musiques jouées ou composées par des Juifs ont été
influencées par le milieu dans lequel elles ont vu le jour - par
exemple les romances ladino. Simultanément des mélodies et
des airs typiquement juifs ont été repris par des muscisiens
non juifs et des musiciens non juifs ont écrit des musiques où
l'influence des mondes juifs est indéniable. Comment ne pas
faire entrer dans le patrimoine juif les mélodies hébraïques de
Ravel ou la symphonie pour Babi Yar de Chostakowitz, tout
deux non juifs, et comment écouter de la Musique arabo-andalouse sans penser à Cheik Raymond, assassiné parce que
ses assassins considéraient, sans doute, que sa musique était
juive ?
C'est à la conservation de cette diversité des musiques que
Hervé Rotten s'est attelé en créant en 2006 le CFMJ (Centre
Français de Musique Juive) devenu en 2012 l'IEMJ
(L'institut Européen des Musiques Juives) qui collecte,
ramasse, copie, répare et numérise tout ce qui a un rapport
avec cette musique juive que l'on a tant de mal à définir. A
l'heure actuelle plus de 7000 documents - vynils, CDs,
bandes magnétiques, photos, partitions , manuscrits- ont été archivés, donc sauvés.Vous en aurez une idée en allant faire
un tour sur le Site internet www.iemj.org, : vous ne serez
qu'un des 6000 visteurs qui chaque mois viennent s'informer
ou écouter ces airs juifs qui nous prennent aux tripes quand
nous les entendons.
I.J.
1) Ethnomusicologue à l'Université Hébraïque de Jérusalem 2) Musicologue et critique musical 3) Directeur de l'IEMJ Le monument inauguré en 2014 © Y.Labbe
11
Echos des conférences de L.J. Mercredi 20 octobre 2015
Remi Huppert : Une communauté juive en Chine
Remi Huppert a plusieurs cordes à son arc qui vont de la sociologie au piano en passant par l'économie et le
journalisme. Il écrit aussi des
romans. C'est à l'occasion de son dernier roman "Destin d'un Juif en
Chine" (1)
qu'il est venu nous parler
de Harbin qui est un des
personnages principaux du livre. Harbin est cette ville d'extrême-
orient dans une province chinoise
qui autrefois s'appelait la Mandchourie. Située sur un affluent de l' Amour elle
est aussi au confluent des deux branches extrême -
orientales du Transibérien, celle qui se termine à Vladivostok et celle qui descend vers Pékin, ce chemin
de fer mythique qui a permis aux Russes d'atteindre le
Pacifique tout comme l'ont fait à la même époque les
Américains dans leur marche vers l'ouest.
Harbin fut fondée en 1898 et s'agrandit notablement
après la défaite de l'empire Tsariste face au Japon en 1905. Des soldats russes démobilisés s'y installèrent et
y retrouvèrent d'autres Russes déjà venus chercher
fortune en extrême orient et des Juifs trop heureux de
s'éloigner du Tsar et de sa "zone de résidence". Après la révolution et la guerre civile qui s'en est
suivie, Harbin vit arriver des Russes blancs fuyant le
pouvoir soviétique. Tout cela fit qu'à la fin des années 1920 la ville comportait une communauté juive
d'environ 20 000 personnes et une communauté russe
de près de 100 000 personnes. On bâtit des bâtiments modernes "art nouveau" et deux synagogues, la
première en 1908 et la seconde en 1921. Tout ce monde
vivait à peu près en paix, entouré d'un océan de
Chinois. Las ! En 1932, les Japonais débarquent en force et en
armes, annexent la province et instaurent un régime à
poigne. Une partie des Russes et des Juifs quitte la région, les autres partiront en 1945 à l'arrivée des
soviétiques puis en 1949 avec la prise de pouvoir de
Mao-tsé Toung en Chine. La ville cosmopolite de Harbin avait vécu et
aujourd'hui il n'en reste que des bâtiments et une
architecture qui rappellent son passé.
Ce passé est soigneusement conservé par la municipalité chinoise qui s'efforce de maintenir en état
ce qu'elle considère être comme partie intégrante de son
histoire. I.J.
1Rémi Huppert "Destin d'un Juif de Chine"
Ed. Michel de Maune. 2014
Mardi 24 novembre 2015
Danielle Rozenberg :
Séfarad revisité dans l'Espagne contemporaine
C'est vers la fin du 19ème
siècle que l'Espagne officielle
découvre le monde sépharade, un monde qui parle espagnol et reste pétri de
culture ibérique.
A cette époque L'Espagne a perdu en totalité son empire
Sud-Américain et à ce lien
qu'est la langue vient s'ajouter
des arrière-pensées de reconstitution d'une zone
d'influence hispanique. C'est un
sénateur, Angel Pulido, qui à la suite d’une rencontre fortuite en 1880 avec un Juif
oriental milite pour la reconnaissance, par l'Espagne, du
lien qui la lie à une population estimée à l'époque à deux millions de personnes.
Dès 1924, le gouvernement de Primo de Rivera
promulgue un décret permettant l'obtention de la
nationalité espagnole aux sépharades "en difficulté ". Mais il faut attendre la chute du franquisme et 1992
pour que soit inscrite, dans la Constitution espagnole,
l'égalité des religions devant l'Etat. 1992, c'est aussi la date anniversaire des 500 ans du décret d'expulsion
des Juifs d'Espagne par Isabelle la Catholique, décret
qui n'a jamais été aboli, ce qui n'a pas empêché une normalisation complète avec les mondes juifs :
-Reconnaissance de la communauté juive en Espagne, -
Etablissement de relations diplomatiques avec Israël, -
Reconnaissance du monde sépharade. Mais c'est surtout la prise en compte par la société
espagnole de ce qu'elle doit aux Juifs d'Espagne ce qui
se traduit par des recherches généalogiques au niveau individuels, et au niveau des collectivités d'une
floraison de lieux de mémoire qui bien sûr se double,
comme ailleurs, d'un encouragement au tourisme
mémoriel. Le point final de cette démarche est la Loi qui a été
promulguée en 2015 accordant la nationalité espagnole
à tous les sépharades qui le souhaiteraient. Les décrets d'application viennent d'être publiés et on pense qu'ils
pourraient concerner 90.000 personnes.
Les communautés juives espagnoles regroupent, actuellement, environ 5000 personnes.
I.J. Pour en savoir plus :
Danielle Rozenberg : "l'Espagne contemporaine et la
question juive" – Presse universitaire du Mirail – 2006
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Activités de L.J.
Conférences Notre thème pour l'année 5776 (2015-2016)
"Les Juifs, d'ici et d'ailleurs" Mercredi 16 Septembre 2015
Edith Bruder : Les Juifs noirs d'Afrique et le Mythe des
Tribus perdues. Mardi 20 Octobre 2015 Rémi Huppert Une communauté juive en Chine Mardi 24 Novembre 2015
Danielle Rozenberg
Sefarad revisitée dans l'Espagne contemporaine.
Mardi 15 Décembre 2015
Gilles Hanus L'itinéraire de Benny Lévy
Mardi 26 janvier 2016
André Lerousseau Claude Vigée ou le pari du vivant Figure par excellence du poète, Claude Vigée est un
combattant dont la parole, plus actuelle que jamais, résonne
doucement, mais avec ténacité, comme un défi lancé à ceux
qui ont fait de la mort une profession de foi, parole
d’ouverture à l’attention des bâtisseurs d’avenir
Mardi 16 février 2016
Jean-Claude Szurek Le passé juif dans la
mémoire polonaise : quelle évolution depuis 1989? Depuis 1989, on assiste en Pologne à une prise de
conscience croissante du passé juif : commémorations,
remémorations et actions culturelles se succèdent à un
rythme soutenu, à l'opposé de l'oubli qui avait entouré les
Juifs durant la période communiste.. Quelles sont les ressorts et les grandes lignes de cette curieuse présence juive dans un
pays quasiment sans Juifs ?
Les conférences débutent à 19 heures. Ouverture des portes à
18 h 45. Elles sont suivies d'un débat et se tiendront au siège de
l'U.S.J.F-Farband : 5 rue des Messageries Paris 10ème
Cercle de Lecture Dimanche 31 janvier 2016 Autour du livre de Patrick Modiano :
"Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier "
Gallimard 2014
Notifiez votre participation au : 01 46 55 73 83
La Lettre de L.J. Janvier février 2016 Rédaction et administration
13 rue du Cambodge 75020 Paris
Directeur de la publication: Isidore Jacubowiez
Comité de Rédaction :
Simone Bismuth, Guershon Essayag ,
Flora Novodorsqui Danièle Weill-Wolf,
Copytoo 281 rue des Pyrénées 75020 Paris
Dépôt légal à la parution ISSN 1145-0584
Les articles signés n'engagent que la responsabilité de leur
auteur
RAJEL Le Réseau des Associations Juives Européennes
Laïques dont fait partie "Liberté du Judaïsme"
organise un débat sur le théme :
"Laïcité et lutte contre le repli indentitaire"
Le samedi 6 février 2016 de 14 h à 18 h
à la Mairie du 3ème
arrondissement de Paris.
Il est impératif de s'inscrire à l'avance par mail à
Et ailleurs Des expositions
A la Philarmonie de Paris
Marc Chagall et le triomphe de la musique
Un régal pour les yeux et pour les oreilles Jusqu'au 31 janvier 2016
Au MAHJ
Moïse. Figures d'un prophète.
Le mythe fondateur du peuple juif. Jusqu'au 21 février 2016
Au Musée de l'Emigration
Frontières : Murs, frontières, passages et migrations à travers le monde, hier et aujourd'hui
Jusqu'au 29 mai 2016
La Lettre de L.J. Sommaire n° 137
Editorial 1
Aujourd'hui et Demain 1
Spinoza
La liberté de concience 2-3
Une histoire juive 3
Le " Pletzl" 4-5
Printemps arabe et Daech 6
Arnold Schönberg 7-8
Marc Chagall 8-9
Le Cimetière de Salonique 10
Qu'est-ce que la musique juive 10
Nos conférences
Rémi Huppert 11
Danielle Rozenberg 11
La vie de l'Association 12