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Mémoire de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec Présenté à la Commission d'enquête sur l'octroi et la gestion des contrats publics dans l'industrie de la construction Libérer l'information publique: un impératif pour lutter contre la corruption et la collusion 20 juin 2014

Libérer l'information publique: un impératif pour …...La FPJQ, principal regroupement de journalistes au Canada avec quelque 2000 membres, estime que l'accès à l'information

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Mémoire de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec

Présenté à la Commission d'enquête sur l'octroi et la gestion des contrats publics dans l'industrie de la construction

Libérer l'information publique: un impératif pour lutter

contre la corruption et la collusion

20 juin 2014

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Table des matières 1. Présentation des auteurs................................................................................................................3 2. Résumé.........................................................................................................................................4 3. Introduction..................................................................................................................................5 4. L'accès à l'information..................................................................................................................6 5. Les lanceurs d'alerte.....................................................................................................................9 6. La divulgation automatique........................................................................................................11 7. La démocratie municipale...........................................................................................................12 8. La transparence des administrations publiques…………………………………………...…..15 9. Conclusion..................................................................................................................................17 10. Liste des recommandations.......................................................................................................17 Annexe I — Mémoire de la FPJQ sur l'accès à l'information Annexe II — Les communications gouvernementales: Ah le bon vieux temps…!!!

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2. Présentation des auteurs Pierre Craig est président de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ) depuis novembre 2013. Il est journaliste depuis 1976, d'abord à Radio-Canada Québec jusqu'en 1981, puis à Radio-Québec (devenu Télé-Québec) jusqu'en 1985 et à Radio-Canada Montréal de 1985 à aujourd'hui. Depuis 11 ans, il anime La Facture, une émission d'affaires publiques fort prisée du public pour la qualité de ses reportages. Il a fait de la transparence et de l'accès à l'information ses principaux chevaux de bataille à titre de président de la FPJQ. Brian Myles est vice-président de la FPJQ. Il est journaliste au quotidien Le Devoir depuis 1994, blogueur pour L'actualité et chargé de cours à l'École des médias de l'UQAM. Il a couvert assidûment les audiences de la commission Charbonneau.

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3. Résumé

Les journalistes d'enquête ont enquêté de façon efficace et soutenue sur la corruption et la collusion au Québec, encourageant la naissance d'un débat récurrent sur l'éthique et l'intégrité dans les processus d'octroi des contrats. Dans ce travail fastidieux, la Loi sur l'accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels a été de faible utilité. Les coûts, les délais et les entraves à la divulgation sont si nombreux que la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ) demande une révision de fond en comble de cette loi qui accuse le poids de ses 32 ans.

La FPJQ, principal regroupement de journalistes au Canada avec quelque 2000 membres, estime que l'accès à l'information et la transparence font partie de l'arsenal des moyens pour lutter contre la corruption et la collusion. Elle invite la Commission d'enquête sur l'octroi et la gestion des contrats publics dans l'industrie de la construction (CEIC) à ne pas négliger l'importance de préserver et d'encourager la liberté de presse dans ses recommandations finales, sachant qu’une presse libre joue le rôle indispensable de chien de garde à l’égard des pouvoirs et des institutions.

La FPJQ plaide en faveur :

• d'une réforme de l'accès à l'information, • de l'amélioration de la politique de divulgation automatique, • de l'adoption d'une loi pour protéger les lanceurs d'alerte, • de la modification de la Loi sur les cités et villes pour accroître la transparence • de la reddition de comptes dans les municipalités et • de l’affirmation, par le plus haut échelon de l’État, d’une volonté ferme de

transformer l’actuelle culture du secret de l’administration publique en une politique de transparence et d’ouverture.

La corruption et la collusion ont impérativement besoin d'une atmosphère de secret pour s'épanouir dans l'administration publique. La FPJQ invite respectueusement la CEIC à reprendre à son compte les dix recommandations qu'elle formule dans son mémoire. Elles visent toutes à rendre le terreau beaucoup moins fertile au développement de la corruption.

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3. Introduction Fondée en 1969, la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ) est le principal regroupement de journalistes au Canada, avec ses quelque 2000 membres répartis dans tous les types de médias au Québec. La Fédération regroupe à la fois des journalistes cadres, des pigistes et des salariés. Son rôle est de défendre la liberté de presse, un acquis fragile, et le droit du public à l'information. La FPJQ s'est dotée de nombreux services pour contribuer à l'avancement professionnel de ses membres (parrainage de pigistes, programme de formation continue, congrès, publications sur support papier et numérique, etc.) La FPJQ contribue, à sa manière, à rehausser et à protéger l'exercice du journalisme de qualité. Ses membres adhèrent aux valeurs de rigueur, d'équité et de véracité contenues dans son guide de déontologie, adopté en 1996, dont le préambule est porteur d'un idéal journalistique, à savoir:

Les informations d’intérêt public doivent circuler librement et en tout temps. Les faits et les idées doivent pouvoir être communiqués sans contraintes ni entraves. Les journalistes ont le devoir de défendre la liberté de presse et le droit du public à l’information, sachant qu’une presse libre joue le rôle indispensable de chien de garde à l’égard des pouvoirs et des institutions. Ils combattent les restrictions, les pressions ou les menaces qui visent à limiter la cueillette et la diffusion des informations.

Cet idéal semble malheureusement inatteignable. Il est pourtant essentiel de limiter et de combattre les entraves au travail des journalistes si l'on souhaite qu'ils jouent pleinement leur rôle de «chien de garde» des pouvoirs et des institutions. Comme vous avez été à même de le constater durant les travaux de cette commission d'enquête, les journalistes du Québec ont bien joué leur rôle sur ce vaste chantier qu'est la lutte à la corruption et à la collusion. Nous ne comptons plus le nombre de fois où des témoins ont fait référence aux enquêtes journalistiques devant vous. Plusieurs dossiers explorés par la commission ont d'abord été fouillés par des journalistes d'enquête teigneux, perspicaces, patients et talentueux. À titre d'exemple, nous vous citerons les dossiers suivants: vente à rabais des terrains du Faubourg Contrecœur, à Montréal, dépenses extravagantes de l'ex-syndicaliste Jocelyn Dupuis, tentatives d'infiltration du crime organisé à la FTQ-Construction et au Fonds de solidarité de la FTQ, influence de la mafia sur l'octroi des contrats publics à Montréal, cartels des entrepreneurs et des ingénieurs à Montréal, à Laval et ailleurs dans la province... Les journalistes d'enquête sont arrivés les premiers sur cette vaste scène de crime faite de corruption et de collusion. Ils ont éclairé des zones d'ombre dans l'octroi des contrats publics avec leurs moyens limités, mais ils ont connu un succès suffisant pour initier un débat national sur l'éthique et l'intégrité. La FPJQ décline toute compétence sur la quasi-totalité des questions à l'étude de la Commission d'enquête sur l'octroi et la gestion des contrats publics dans l'industrie de la construction (CEIC). Nous ne sommes ni spécialistes des processus d'octroi des contrats, ni qualifiés pour évaluer l'efficacité des mécanismes de contrôle mis en place depuis la création de la CEIC.

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Nous possédons cependant une expertise indéniable sur les conditions d'exercice du métier de journaliste, les entraves et les contraintes qui briment la liberté de presse et les pistes de solution possibles pour accroître la transparence dans les affaires de l'État. La FPJQ vous soumet que la libre circulation de l'information et la transparence constituent des variables essentielles de l'équation dans la lutte à la corruption et à la collusion. C'est strictement sur ce sujet que nous vous formulons une série d'observations et de recommandations. 4. L'accès à l'information En 1982, le gouvernement de René Lévesque a adopté la Loi sur l'accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels, dont l'un des principaux objectifs était de casser le monopole des fonctionnaires sur le robinet de l'information détenue par les diverses composantes de l'État du Québec. La loi était assortie d'une disposition de révision quinquennale. Dans leur grand idéalisme, les auteurs du projet étaient persuadés que la loi serait d'une telle efficacité qu'il viendrait un jour où il faudrait l'abolir (d'où l'idée de la clause de révision), puisque l'objectif de la transparence quasi totale serait atteint. Hélas, l'objectif n'a pas été atteint. Depuis 2012, la FPJQ demande une révision de fond en comble de cette loi dont les intentions originelles ont été perverties. La Loi sur l'accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels accuse le poids de ses 32 ans. Ce n'est pas seulement le texte qui pose problème, mais une culture du secret bien ancrée dans la fonction publique. Une culture du secret qui s'est amplifiée depuis 2003, avec la centralisation des politiques de communications gouvernementales. Encore récemment, l'actualité nous a offert un exemple de l'obsolescence du régime québécois d'accès à l'information. À la suite de son enquête annuelle, l'organisme Journaux canadiens a donné la note «F» au Québec pour ses efforts en matière d'accès à l'information. Chaque année, l'organisme mène une enquête exhaustive à travers le Canada pour évaluer la performance des municipalités, des gouvernements provinciaux et du gouvernement fédéral dans l'application des lois d'accès à l'information. Hormis quelques exceptions notoires, dans certaines villes ou ministères, le Québec fait piètre figure. L'enquête nationale révèle que le gouvernement du Québec a divulgué seulement 13 % des documents qui lui ont été demandés dans le cadre de l'enquête. Il a refusé totalement ou partiellement 53 % des requêtes. Le rapport indique:

Le gouvernement du Québec s’est retrouvé en bas de la liste puisqu’il a reçu une note de F (qui en fait était très près d’un D) pour la rapidité de ses réponses et un autre F pour leur exhaustivité. Les vérificatrices n’ont pas reçu un mot en réponse aux cinq demandes de notes d’information pour les nouveaux ministres sous prétexte, le plus souvent, que la loi ne s’applique pas aux dossiers d’un membre de l’Assemblée nationale. Une demande

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de note d’information, acheminée au ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport n’a pas reçu d’accusé de réception. Il a été difficile d’obtenir des données électroniques du Québec, particulièrement du ministère du Transport de la province même si le gouvernement a un site d’accès ouvert aux données. Le ministère du Transport exigeait des frais de 994,65 $ pour fournir des données de sa base de données de collisions sur les autoroutes provinciales, et 522,50  $ pour transmettre de l’information sur sa base de données sur les exigences de réparations et d’entretien sur les ponts et autres structures sur les autoroutes. Dans les deux cas, le ministère a déclaré que l’information serait transmise sur papier en mettant les vérificatrices en garde contre toute atteinte à la « protection de l’intégrité des données. Nos règlementations en matière de gouvernance de la sécurité de l’information ne nous permettent pas d’agir de la sorte. » Le gouvernement a déclaré qu’il en coûterait 69 $ pour transmettre une liste des employés du ministère, leur poste et leur échelle salariale, insistant encore sur la sécurité des données, ce qui exigeait que l’information soit fournie sur papier. Le ministère de la Sécurité publique est allé à l’encontre des autres ministères et a divulgué un fichier Excel en réponse à une demande concernant l’information sur les employés, même si quelques noms avaient été censurés. Québec a dit ne pas avoir de dossier en réponse à une demande en vue d’obtenir la liste des ententes avec les fabricants de médicaments au sujet de leurs produits sur la liste des médicaments de la province.1

Lors des travaux de la CEIC, l'ancien vice-président de Genivar, François Perreault, a déclaré que sa firme effectuait systématiquement des demandes en accès à l'information, afin de connaître l'identité des personnes qui siégeaient aux comités de sélection. Nous vous laisserons le soin de conclure sur ses motivations. La firme réussissait à obtenir ces informations du ministère des Transports sans aucun problème. Pourtant, lorsqu'un journaliste de l'émission Enquête a formulé la même demande, pour obtenir les mêmes informations, le MTQ lui a fermé la porte à double tour. Depuis quelques années, la FPJQ collige des «histoires d'horreur» dans le traitement des demandes d'accès à l'information. La dernière collecte d'informations auprès de nos membres, réalisée en 2013 par Monique Dumont (ancienne chef de la recherche à l'émission Enquête) n'est guère encourageante. Les journalistes se plaignent notamment de:

• Refus abusif de documents; • Délais prolongés indûment ou sans motif valable; • Non-respect systématique des délais de traitement et application automatique et systématique du délai de dix jours additionnels afin de traiter une demande; • Caviardage abusif de documents;

                                                                                                               1  Journaux canadiens. Enquête nationale sur l'accès à l'information, édition 2014, p. 54-55  

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• Incompétence ou manque de formation de certains responsables de l'accès à l'information, notamment dans les municipalités; • Possibles conflits d’intérêts dans la fonction du responsable de l’accès qui peut porter «deux chapeaux» (par exemple responsable de l’accès et du contentieux ou des investissements); • Coûts abusifs pour le traitement des demandes; • Judiciarisation du fonctionnement de la Commission d'accès à l'information (CAI).

Les conclusions de Mme Dumont? Utiliser la loi d'accès à l'information, c'est «la croix et la bannière pour les journalistes qui ne veulent faire que leur travail». Selon notre analyse, cette loi a été de faible utilité pour aider les journalistes d'enquête des différents médias l'information à déterrer les scandales de corruption et de collusion. Ils ont dû s'appuyer sur des lanceurs d'alerte courageux, qui ont payé le prix de leur franchise et des sources confidentielles pour arriver à leurs fins. Lors de la commission parlementaire sur la révision quinquennale de la loi, tenue en mars 2013, la FPJQ a présenté un mémoire axé sur la recherche de l'intérêt public et de la transparence. Sans répéter l'intégrale de ce mémoire, que vous retrouverez en annexe, nous vous partageons quelques observations. L'accès à l’information peut être important ou peu important, tout dépendant de l’organisme dont il est question. C'est un problème majeur qu'il ne faut pas banaliser. La loi ne peut pas être facultative. Elle ne doit pas dépendre des inclinations et de la bonne ou de la mauvaise volonté des dirigeants des organismes publics. La Loi sur l’accès est censée être neutre et technique. Elle n’est pas censée prendre en considération l'identité du demandeur, ses motivations, ni les conséquences de la divulgation d’un document. S’il est public, il est public pour tous et les appréhensions sur l’usage du document ne sont pas des critères qui doivent être pris en compte. C’est la théorie. En pratique, il en va tout autrement. Selon les témoignages recueillis auprès de nos membres, la loi sur l'accès est à géométrie variable. Elle est interprétée à la lumière des impératifs politiques du pouvoir en place à ce moment-là, ce qui est complètement étranger à son économie générale. Cette politisation est amplifiée quand les responsables de l’accès sont d’anciens chefs de cabinets ou d’anciens membres importants du personnel politique, ou encore dans les petites municipalités où le directeur général, en lien constant avec le maire, est aussi le responsable de l'accès. À titre d'exemple, lors de l’écroulement d’un paralume de l’A-720, il y a quelques années, une journaliste de CTV a tenté d'obtenir les rapports d'enquête du ministère des Transports du Québec. On lui a répété que ces documents n’existaient pas, puis qu’ils étaient «trop sensibles» (ce qui n’est pas une exception prévue dans la loi!). Le rapport qui n’existait pas, puis qui était trop sensible, a finalement été rendu public en conférence de presse et affiché sur le site du

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ministère! Le document n'est pas évalué selon son caractère public, mais selon son potentiel de dommages politiques, ce qui n'est pas un critère prévu dans la Loi. Le MTQ a investi des efforts considérables pour accroître la transparence et la diffusion automatique de documents depuis ce triste épisode. Nous vous soumettons cependant qu'il faut s'attaquer au problème de fond, et procéder à une réforme de fond en comble de la loi sur l'accès à l'information. Depuis 2012, aucun gouvernement n'a vécu à la hauteur de ses promesses pour réviser la loi. Le gouvernement Marois a tenu une commission parlementaire, en mars 2013, sur la révision quinquennale, mais elle n'y a pas donné suite en raison du déclenchement des élections. En avril dernier, le premier ministre Philippe Couillard a promis d'inaugurer «une ère de transparence» lors de son assermentation. Il a confié à Jean-Marc Fournier le dossier de l'accès à l'information, et celui-ci a manifesté une réelle ouverture à dépoussiérer la Loi. La CEIC ne peut s'immiscer dans l'élaboration des lois, mais elle possède un sérieux pouvoir d'influence en raison du succès des ses travaux. Nous invitions la CEIC à faire des recommandations qui vont dans le sens des revendications traditionnelles de la FPJQ, afin que la modernisation de la loi se fasse dans un réel souci d'accroître la transparence. À ces fins, la FPJQ recommande que: RECOMMANDATION 1: Que la Loi sur l'accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels soit modifiée dans les plus brefs délais, dans un souci de «dépolitiser» le traitement des demandes, de réduire de manière radicale le nombre et la portée des exceptions à l'accès prévues par la loi, de «déjudiciariser» le mode de fonctionnement de la CAI et d'accroître la transparence de l'État. Une clause dite «d'intérêt public» doit être introduite dans la Loi. Le rôle de la CAI doit être transformé de fond en comble, afin qu'elle prenne «fait et cause» pour le demandeur dans une demande de révision et qu'elle se fasse l'avocat déterminé de l'accès à l'information. 5. Les lanceurs d'alerte Les lanceurs d'alerte ne sont pas protégés dans l'appareil étatique. Pire! Ils sont traqués lorsqu'ils osent fournir des informations anonymes aux journalistes, sous prétexte qu'ils ont contrevenu à leurs obligations de loyauté en divulguant des informations sensibles. Au cours des dernières années, la FPJQ est intervenue pour dénoncer des «chasses aux sources» initiées par le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), dans l'affaire de la vente de listes d'informateurs au crime organisé, et par la Sûreté du Québec (SQ), dans l'échec du volet 2 de l'opération Diligence sur l'infiltration du crime organisé dans la FTQ-Construction. À la Ville de Montréal, un fonctionnaire qui avait dénoncé à La Presse, sous le couvert de l'anonymat, l'effritement des mesures de lutte à la collusion sous l'administration de l'ex-maire Michael Applebaum a été traqué, identifié et puni par une suspension de cinq jours. À la suite d'enquêtes journalistiques embarrassantes, il n'est pas rare que les organismes publics se replient sur eux-mêmes. Plutôt que de faire un examen de conscience sur les dysfonctions révélées dans les médias, ils vont chercher à identifier et punir l'auteur de la fuite. Il

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ne s'agit pas d'un problème isolé, et il a de graves conséquences sur la capacité de l'État de lutter contre la corruption et la collusion. Les chasses aux sources fragilisent le lien de confiance entre les journalistes et leurs informateurs. C'est le moyen par lequel les organismes publics passent un message des plus cyniques aux éventuels lanceurs d'alerte: on vous a à l'œil, taisez-vous! Le but recherché est autant de punir le lanceur d'alerte qui a «fauté» que de dissuader ses collègues de l'imiter. En avril dernier, le Syndicat de professionnelles et professionnels du gouvernement du Québec (SPGQ) a dénoncé l'omerta dans la fonction publique. Selon le syndicat, regroupant 22 500 employés de l'État:

Une omerta basée sur la peur et l'intimidation s'est installée dans les municipalités et dans les ministères et organismes du gouvernement québécois.2

Ce climat délétère freine la dénonciation des actes répréhensibles comme la collusion et la corruption dans l'octroi des contrats des organismes publics et parapublics, en particulier dans des secteurs comme la construction et l'informatique. Le SPGQ demande au gouvernement du Québec de se doter d'une loi pour protéger les lanceurs d'alerte. Il cite à l'appui l'expertise d'organismes non gouvernementaux réputés, selon lesquels le risque de corruption augmente de manière significative lorsqu'il y a absence de mesures pour encourager ou protéger la dénonciation.

L’Organisation des Nations unies (ONU), l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), l’Organisation des États américains (OÉA), le Conseil de l’Europe et le Groupe des vingt (G20), entre autres, ont tous diffusé des avis ou produit des conventions internationales sur la lutte à la corruption qui stipulent qu’une législation visant la protection des divulgateurs est essentielle dans une lutte efficace contre la corruption, autant dans le secteur public que privé.3

Cette loi, applicable autant dans le secteur privé que public, s'appuierait sur une définition du terme divulgateur, la protection de son identité et une protection contre toute forme de représailles. Le SPGQ propose également un renversement du fardeau de la preuve afin de faire en sorte que l'employeur soit forcé de prouver qu'une mesure de représailles n'a pas été prise pour punir l'auteur d'une divulgation. Le SPGQ suggère enfin de confier soit au Protecteur du citoyen, soit au Vérificateur général l'administration de la loi, et de confier à l'organisme responsable un pouvoir de recommandation et de déférence des dossiers à l'Unité permanente anticorruption (UPAC) aux instances judiciaires idoines. Sans se prononcer sur les modalités du régime législatif proposé, la FPJQ appuie l'esprit des recommandations contenues dans le rapport du SPGQ, intitulé La protection des divulgateurs                                                                                                                2  Le Devoir. Le SPGQ veut une loi pour protéger les divulgateurs, 26 avril 2014, p. G4. 3  Syndicat de professionnelles et professionnels du gouvernement du Québec. La protection des divulgateurs : une nécessité pour un État québécois intègre, 2014.

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: une nécessité pour un État québécois intègre. Trop souvent, les journalistes d'enquête ont vu leurs sources subir l'intimidation, les représailles et l'ostracisme pour avoir dénoncé, en leur âme et conscience, des irrégularités qui devaient être dénoncées. Les futurs lanceurs d'alerte doivent avoir l'assurance qu'ils seront protégés; autrement, ils pourraient ne jamais se manifester. RECOMMANDATION 2: Que le gouvernement du Québec se dote d'une loi pour protéger les lanceurs d'alerte. 6. La divulgation automatique En 2004, la Commission de la culture qui s'est penchée sur la révision de la loi d'accès à l'information a formulé comme première recommandation «la mise en œuvre d'une politique de publication automatique de l'information». Il faudra attendre quatre ans avant que cette recommandation soit mise en œuvre, avec un succès mitigé. Le Règlement sur la diffusion de l'information a été appliqué à 140 organismes. Les hauts cris poussés par le monde municipal ont incité le gouvernement de l'époque à exempter les municipalités d'une application de la politique de divulgation automatique. Les cités et villes du Québec, qui gèrent des fonds publics évalués à 19 milliards de dollars, échappent donc à cette nécessaire obligation de transparence. Dans les ministères et organismes concernés, le règlement sur la diffusion de l'information n'a pas donné les résultats escomptés, soit une diffusion accrue des informations publiques. Il n'y a pas d'uniformité dans les données, rapports ou documents rendus publics d'un ministère à l'autre. Certains s'acquittent bien de leur mission, tandis que d'autres sont des cancres. L'article 7 du règlement est en cause. Il stipule que sont diffusés:

Les études, les rapports de recherches ou de statistiques, produits par l’organisme public ou pour son compte dont la diffusion présente un intérêt pour l’information du public. (nos soulignés).

Cet article permet aux organismes de rester aussi peu transparents qu'ils le souhaitent. Cette réserve ouvre la porte à des interprétations arbitraires de la portée du règlement. Qui décidera qu'un document présente «un intérêt pour l'information du public?» Selon quels critères? Avec quel mécanisme de vérification et de contestation? En 2004, la FPJQ s'était opposée à cette réserve qui est contraire à l'esprit de la divulgation automatique. Pour corriger cette erreur la FPJQ recommande que: RECOMMANDATION 3: Que dans le Règlement sur la divulgation, soit biffée la réserve de l'alinéa 7°, selon laquelle on ne doit rendre publiques que les études et rapports dont la diffusion présente un intérêt pour l’information du public. La façon dont les organismes publics s'acquittent de leurs obligations en matière de divulgation automatique pose également problème. Il n'y a pas de façon uniforme (ou un onglet

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unique) pour accéder aux informations sur les sites Internet. Il faut parfois s'armer de patience pour trouver un onglet «Diffusion de l'information», enfoui dans un deuxième ou troisième niveau de navigation du site. Si la diffusion de l'information est une réelle priorité, les organismes publics devraient mettre en valeur et enrichir la section «Diffusion de l'information» de leurs sites respectifs. À cette fin, la FPJQ recommande que: RECOMMANDATION 4: Que les organismes publics soient tenus de créer sur la page d'accueil de leurs sites une porte d'entrée évidente qui ouvre sur tout ce qui concerne la divulgation automatique. Que l'appellation soit uniformisée à tous les niveaux de navigation pour permettre un repérage facile. RECOMMANDATION 5 Que chaque organisme public soit tenu d'identifier l'information de valeur qu'il détient, en plus des études et rapports de recherche, et que leur mise en ligne soit planifiée dans de courts délais. Enfin, il n'y a aucune raison valable de poursuivre la politique d'exemption accordée aux municipalités. Elles ont échappé à l'application du règlement sous de faux prétextes: manque de ressources, craintes d'enfouir le citoyen sous une masse d'informations, etc. Vous avez été à même de constater à quel point les municipalités ont été frappées par les problèmes de corruption et de collusion au cours de vos travaux. Les municipalités sont des organismes publics, et à ce titre, elles doivent être imputables de leurs décisions comme que n'importe quel organisme public. Dans un souci d'accroître la transparence, la FPJQ recommande que: RECOMMANDATION 6: Que le règlement sur la divulgation automatique soit étendu aux municipalités dans les plus brefs délais, sans aucune exception. 7. La démocratie municipale En 2010, la FPJQ a publié un «dossier noir» sur la démocratie municipale, relevant plusieurs accrocs à l'accès à l'information. Ce document, intitulé De nouvelles règles pour une meilleure circulation de l’information municipale au Québec, est encore d'actualité. À la suite des élections de novembre 2013 dans les municipalités, les visages ont changé. De nouveaux venus ont fait leur entrée sur la scène politique, amenant avec eux les mêmes vieux réflexes d'opacité et de contrôle de l'information. Il ne se passe pas une semaine sans que la FPJQ soit interpellée par ses membres pour des entraves à la liberté de presse dans les municipalités. En juin dernier, le conseil municipal de Lacolle a été tout simplement annulé parce qu'une équipe de TVA, présente sur les lieux, insistait pour filmer les débats sur la destitution possible du maire Roland-Luc Béliveau. Le président du conseil a d'abord demandé aux journalistes de cesser de filmer et de quitter les lieux. Devant leur refus, il a préféré reporter la séance à une date ultérieure. À Coteau-du-Lac, le maire Guy Jasmin a menacé de poursuivre une conseillère municipale Nathalie Clermont, en mai dernier, parce qu'elle a osé parler à des journalistes. À Saint-Lambert, en janvier dernier, le maire Alain Dépatie a refusé qu'un journaliste de Radio-Canada enregistre les débats du conseil avant qu'un conseiller de ville le permette, heureusement, deux heures plus tard. À Baie-Comeau, les journalistes et les élus n'ont eu droit qu'à une

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présentation assistée par ordinateur (un PowerPoint), au lieu d'un document étoffé, lors de l'adoption du budget annuel... Nous pourrions faire une longue liste des atteintes à la liberté de presse dans les municipalités. L'addition des exemples, accumulés depuis plus de 15 ans par la FPJQ, démontre l'existence d'un problème systémique. Dans les villes où les maires règnent sans partage, ils finissent par refuser de partager l'information qui est pourtant publique. Les problèmes se répertorient en neuf grandes catégories:

• Refus de permettre l'enregistrement et la diffusion des débats des conseils municipaux malgré une résolution unanime du conseil d'administration de la Fédération québécoise des municipalités, datant du 1er août 2005, qui recommande à ses membres de permettre ces enregistrements au nom de la transparence;

• Refus de transmettre, ou transmission dans des délais déraisonnables, des documents utilisés pour la prise de décision (ordre du jour, résolutions, procès-verbaux, etc.); • Utilisation abusive de la loi sur l’accès à l’information pour éviter de fournir des documents manifestement publics;

• Boycott de journalistes ou de médias d'information dont les élus n'apprécient pas les angles de couverture;

• Intimidation, menaces et injures contre des journalistes pris en grippe par les élus; • Menaces de poursuites judiciaires contre les journalistes et les médias;

• Tenue de réunions des élus à huis clos, ou exclusion des journalistes lors de rendez-vous «citoyens»; • Mesures de représailles économiques comme le retrait des avis publics, qui sont une source importante de financement publicitaire de plusieurs médias locaux ou régionaux;

• Disparités énormes entre les villes qui s'acquittent de leurs obligations en matière de transparence et d'accès à l'information et celles qui les ignorent totalement.

Pour mettre un terme à ces disparités et ces iniquités de traitement, la FPJQ estime qu'il faut un coup de barre de l'État. L'approche volontaire auprès des municipalités ne donne que des résultats partiels. Il n'y a aucune raison d'accepter que les citoyens de certaines administrations municipales, réputées pour leur opacité, soient moins bien informés en raison de décisions arbitraires et antidémocratiques de leurs élus. Sans faire de procès d'intention à ces élus, nous pouvons affirmer qu'ils s'engagent sur une pente dangereuse. Le déficit démocratique dont ils sont responsables alimente le cynisme et le décrochage des électeurs, en plus de faciliter le travail aux responsables de la collusion et de la corruption qui ne demandent qu'à prospérer dans l'ombre.

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La FPJQ estime qu'il faut lever les irritants à la couverture municipale, et favoriser la circulation de l'information dans les municipalités au bénéfice des citoyens. À cet effet, l'un des premiers gestes à poser est de mettre un terme au flou juridique qui permet aux élus de bannir les caméras et les magnétophones de salles de conseil. Le Code municipal et la Loi sur les cités et villes (article 322) prévoient déjà que les réunions des conseils municipaux sont publiques et que même les délibérations «doivent y être faites à haute et intelligible voix» (article 149 du Code). La loi précise aussi que la période de questions des citoyens fait partie de la réunion du conseil. Il n'y aucune raison à l'existence de règlements qui empêchent l'enregistrement et la diffusion des débats à la radio, à la télévision ou dans internet. Dans une société moderne, le caractère public d'une assemblée passe inévitablement par sa diffusion dans les médias. L'existence de pratiques inégales, aléatoires ou arbitraires dans les municipalités fait en sorte que la règle de la publicité des débats n'est pas appliquée uniformément. Par conséquent, la FPJQ recommande: RECOMMANDATION 7: Que la Loi sur les cités et villes soit modifiée afin d'y inclure l'article suivant: «Le Conseil doit permettre l’enregistrement et la diffusion de ses débats dans leur totalité par les médias, sous réserve des règlements qu’il peut adopter quant aux modalités de cet exercice». Cette modification à la loi permettra à la fois de consolider le droit d'enregistrer et de diffusion les débats (incluant la période de questions des citoyens) tout en laissant aux conseils municipaux la latitude voulue pour que le travail des journalistes se fasse dans le respect du décorum. La FPJQ estime qu'il est du devoir des municipalités que les journalistes puissent avoir accès à l'ensemble des documents dont disposent les élus pour prendre des décisions au conseil. Les journalistes ne devraient pas être soumis au ballotage ou au chantage des élus pour obtenir des documents dont le caractère public est indéniable. À ces fins, elle recommande: RECOMMANDATION 8 Que la Loi sur les cités et villes soit modifiée pour y ajouter la disposition suivante: «L'ordre du jour des séances d'un conseil municipal, de même que tous les documents préparatoires remis aux élus, doivent être rendus publics 48 heures avant la tenue des séances». Toujours en matière d'accès à l'information, la création de plus en plus répandue de sociétés de gestion privées destinées à remplir des activités et missions dévolues aux villes contribue à accroître le déficit démocratique et le manque de transparence. Ces sociétés, dotées d'un financement public pour gérer des biens publics, échappent à l'emprise de la loi d'accès à l'information, contrairement aux sociétés paramunicipales. Ainsi, les journalistes peinent à obtenir des informations sur les salaires et dépenses des membres des sociétés, de même qu'un portrait juste de leurs activités. Cette part d'ombre accroît la méfiance et l'incompréhension de la population à l'égard de la gestion municipale, tout en empêchant les médias d'obtenir le portrait complet des activités d'une municipalité. La FPJQ recommande:

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RECOMMANDATION 9: Que la Loi sur l'accès à l'information soit revue afin d'inclure les sociétés de gestion privées qui gèrent des biens publics dans la définition d'organisme public. 8- La transparence des administrations publiques En novembre 2012, un journaliste demande au Centre universitaire de santé McGill (CUSM) quelles sommes cet établissement a versées jusqu’à ce jour à son partenaire privé, le Groupe de santé McGill. Il ne reçoit aucune réponse. Le 28 avril dernier, ce journaliste réitère sa demande. Encore une fois, il ne reçoit pas de réponse. Dans l’année qui vient de passer, une journaliste qui enquêtait sur le prix payé par les patients pour des chambres d’hôpitaux communique avec un hôpital du centre du Québec. Elle pose la question : « combien votre centre hospitalier compte-t-il de chambres privées, de chambres semi-privées et de salles? » À sa grande surprise, l’agent de communication de ce centre hospitalier lui répond que pour obtenir ces informations, elle doit suivre la procédure prévue par la Loi d’accès à l’information! Ces deux exemples illustrent à quel point s’est développée, depuis plusieurs années, une véritable culture du secret dans nos administrations publiques. Les fonctionnaires des ministères, des organismes publics et des municipalités ne considèrent plus que leur mission sacrée est de servir et d’informer les citoyens. On les a convaincus (obligés serait sans doute plus vrai) de plutôt protéger l’image publique de l’organisme, du ministère (du ministre) ou de la municipalité (du maire) qui les emploie. Et pourtant, comme le disait le professeur de l’ÉNAP Robert Bernier, cité dans Le Devoir en avril 2006 : « La séparation entre le politique et l’administratif est l’un des éléments dominants du processus démocratique ». En 2011, la FPJQ a réalisé une étude sur les politiques de communications gouvernementales au Québec. On y apprend qu’en 2006, au sortir des controverses provoquées entre autres par la privatisation du Mont Orford et par le projet de construction de la centrale thermique du Suroît, le gouvernement de Jean Charest décide de rapatrier, sous l’autorité du Conseil exécutif, la supervision de l’ensemble des communications gouvernementales. La direction du Secrétariat à la communication gouvernementale est alors confiée à Marie Claire Ouellet, ex-attachée de presse du ministre Marc-Yvan Côté. Madame Ouellet dira aux journalistes mandatés par la FPJQ pour réaliser cette étude : « En bout de piste, c’est toujours le politique qui intervient… Il y a un encadrement très serré des fonctionnaires qui parlent aux journalistes. » De son côté, le président d’alors du Syndicat des professionnels du gouvernement du Québec, Gilles Dussault, nous dira : « Aujourd’hui, tu ne peux pas faire un pas sans être filtré par le politique. Ce n’est pas le renseignement qui fait peur, c’est l’utilisation qui en sera faite et la perception de la population.» L’exemple qui suit n’illustre que trop bien cette affirmation. Une journaliste qui travaille sur l’accès public aux lacs demande au ministère des Ressources naturelles quel était le niveau du lac St-Joseph, dans les Laurentides, à une période donnée. Quelques semaines après avoir obtenu l’information, elle fait une demande d’entrevue à la ministre de l’époque, Line Beauchamp. L’attaché de presse lui dit alors… « ...ah c’est donc vous qui vouliez connaître le

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niveau du lac St-Joseph… ». Imaginez… les fonctionnaires du ministère avaient fait gravir à cette petite question tous les échelons… jusqu’au sommet de l’Olympe : le cabinet de la ministre! Dans sa conclusion, l’étude réalisée par la FPJQ4 faisait des constats inquiétants à propos des politiques de communications du gouvernement. Entre autres : Des objectifs de communication qui semblent viser le bien de l’organisme public avant l’information du public. Une politisation de l’information gouvernementale par la nécessité de faire approuver par les cabinets les communications avec les journalistes et sa conséquence : une information partiale. Une approche des communications semblable à celle de l’entreprise privée qui doit protéger son image dans un monde très concurrentiel. L’État est au contraire un bien public, sans concurrents et au service des citoyens. Et le pire, c’est que dans les rapports qu’elle a eus ces dernières années avec le Secrétariat à la communication gouvernementale, la FPJQ s’est fait répondre, à plusieurs reprises, y compris lors d’une récente rencontre le 29 mai, que les exemples que nous amenions étaient des extrêmes qui ne représentaient aucunement le taux de satisfaction de la clientèle (entre autres les journalistes) à l’égard des services offerts. Étonnante position de la part de hauts dirigeants de la fonction publique quand on sait que deux mois plus tôt, au soir de l’élection du 7 avril, le Premier ministre élu, Philippe Couillard, déclarait sa ferme intention, d’ailleurs répétée le lendemain, d’amener l’État du Québec à plus de transparence… Cette opacité de l’administration publique peut-elle céder la place à une réelle transparence? Quelques temps après son élection à la vice-présidence de la FPJQ, Pierre Craig avait demandé à une journaliste de La Facture ayant plus de 25 ans de métier, Claude Laflamme, d’écrire un court texte (Annexe II) décrivant l’évolution de ses relations avec la machine de communication du gouvernement. Ce petit texte, à la fois candide et lucide, démontre qu’il fut un temps où on laissait les serviteurs de l’État jouer le rôle qu’ils estiment être le leur : servir l’intérêt public, servir les citoyens. Nous joignons ce texte en annexe sous le titre Les communications gouvernementales: Ah le bon vieux temps…!!! Pour revenir à cet état de transparence et d’ouverture qui caractérisait l’État québécois, il faut un coup de barre rien de moins que radical. RECOMMANDATION 10 : Que le Premier Ministre tende la main à tous les chefs de partis à l’Assemblée Nationale et que d’une seule voix les représentants du peuple ordonnent à                                                                                                                

4 Les politiques de communications gouvernementales du Québec : dans l’intérêt du public ou du gouvernement?, rapport de la FPJQ, 26 novembre 2011, http://www.fpjq.org/pdfs/11-11_Rapport_politiques_comm_QC.pdf?44a552

 

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l’administration publique de prendre tous les moyens nécessaires à l’avènement d’une réelle transparence de l’État québécois. Parmi ces moyens, un changement de fond dans les politiques de communication afin qu'elles servent à libérer l'information gouvernementale plutôt qu'à la garder prisonnière des bureaucraties. 9. Conclusion Le Québec vit dans une culture du secret. Bon an, mal an, des journalistes relatent des exemples criants d'opacité, de cachoteries administratives et politiques. L'État se gargarise d'un idéal de transparence et de reddition de comptes. Dans les faits tout sujet politiquement controversé est traité avec la plus grande des précautions pour préserver l'image et le capital politique des institutions publiques et de leurs représentants. Cette culture du secret est d'autant plus difficile à justifier que nous vivons désormais dans des sociétés du numérique, au sein desquelles l'information est, du moins en théorie, à la portée d'un clic de souris. La CEIC se trouve dans une position unique pour aider à casser cette culture du secret. Aucune société démocratique ne gagne à tolérer et à justifier l'opacité des titulaires de charges publiques. Cette façon de faire alimente un cynisme encore plus grand chez les citoyens que ne le ferait la diffusion d'informations embarrassantes sur la mauvaise utilisation des fonds publics. Dans un contexte de crise économique, les médias d'information ont paradoxalement investi des ressources financières et humaines considérables dans le journalisme d'enquête. Les journalistes, avec des moyens autrement plus limités que ceux des policiers et de la CEIC, ont fait un travail honorable pour débusquer les responsables de la corruption et de la corruption. Nous vous invitions à tenir compte de leur apport inestimable dans votre rapport final, et à leur donner un coup de pouce afin qu'ils obtiennent de l'État les réformes réclamées pour s'acquitter de leur mission. Ces réformes vont dans le sens de l'intérêt public. Donner aux journalistes des outils pour faire leur travail, c'est permettre aux citoyens de prendre des décisions éclairées sur la conduite des affaires de l'État. 10. Liste des recommandations Recommandation 1 Que la Loi sur l'accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels soit modifiée dans les plus brefs délais, dans un souci de «dépolitiser» le traitement des demandes, de réduire de manière radicale le nombre et la portée des exceptions à l'accès prévues par la loi, de «déjudiciariser» le mode de fonctionnement de la CAI et d'accroître la transparence de l'État. Une clause dite «d'intérêt public» doit être introduite dans la Loi. Le rôle de la CAI doit être transformé de fond en comble, afin qu'elle prenne «fait et cause»

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pour le demandeur dans une demande de révision et qu'elle se fasse l'avocat déterminé de l'accès à l'information. Recommandation 2 Que le gouvernement du Québec se dote d'une loi pour protéger les lanceurs d'alerte. Recommandation 3 Que dans le Règlement sur la divulgation, soit biffée la réserve de l'alinéa 7°, selon laquelle on ne doit rendre publiques que les études et rapports dont la diffusion présente un intérêt pour l’information du public. Recommandation 4 Que les organismes publics soient tenus de créer sur la page d'accueil de leurs sites une porte d'entrée évidente qui ouvre sur tout ce qui concerne la divulgation automatique. Que l'appellation soit uniformisée à tous les niveaux de navigation pour permettre un repérage. Recommandation 5 Que chaque organisme public soit tenu d'identifier l'information de valeur qu'il détient, en plus des études et rapports de recherche, et que leur mise en ligne soit planifiée dans de courts délais. Recommandation 6 Que le règlement sur la divulgation automatique soit étendu aux municipalités dans les plus brefs délais, sans aucune exception. Recommandation 7 Que la Loi sur les cités et villes soit modifiée afin d'y inclure l'article suivant: «Le Conseil doit permettre l’enregistrement et la diffusion de ses débats dans leur totalité par les médias, sous réserve des règlements qu’il peut adopter quant aux modalités de cet exercice». Recommandation 8 Que la Loi sur les cités et villes soit modifiée pour y ajouter la disposition suivante: «L'ordre du jour des séances d'un conseil municipal, de même que tous les documents préparatoires remis aux élus, doivent être rendus publics 48 heures avant la tenue des séances». Recommandation 9 Que la Loi d'accès à l'information soit revue afin d'inclure les sociétés de gestion privées qui gèrent des biens publics dans la définition d'organisme public. Recommandation 10 Que le Premier ministre tende la main à tous les chefs de partis à l’Assemblée Nationale et que d’une seule voix les représentants du peuple ordonnent à l’administration publique de prendre tous les moyens nécessaires à l’avènement d’une réelle transparence de l’État québécois. Parmi ces moyens, un changement de fond dans les politiques de communication afin qu'elles servent à libérer l'information gouvernementale plutôt qu'à la garder prisonnière des bureaucraties.      

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Annexe I — Mémoire de la FPJQ sur l'accès à l'information Annexe II — Les communications gouvernementales: Ah le bon vieux temps…!!!  

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Mémoire de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec

Sur la révision quinquennale de la Loi sur l'accès à l'information et la protection des renseignements personnels du Québec

Vers un gouvernement ouvert

30 mars 2012

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Table des matières

Introduction .............................................................................. 3

Section 1 La nécessité d’une volonté politique de transparence ...... 3

Section 2 La nécessité d'une vraie politique de divulgation automatique .............................................................................. 6

2.1 Des responsables de l’accès effrayés .................................................................. 8 2.2 Un document public doit être public .................................................................... 9 2.3 Sur le terrain ...................................................................................................... 10

Navigation hasardeuse ........................................................................................ 10 Études et rapports de recherche ......................................................................... 12 Autres documents diffusés .................................................................................. 14 Dans les municipalités ......................................................................................... 15 Demandes d’accès déjà satisfaites ...................................................................... 16 Les bases de données ouvertes ........................................................................... 17 Plan de classification ........................................................................................... 22

2.4 Participation du public ....................................................................................... 24

Section 3 La loi sur l'accès à l' information ................................. 24

3.1 L’impossibilité pour les journalistes de se représenter en révision ..................... 25 3.2 La politisation de l'accès .................................................................................... 27 3.3 La judiciarisation ................................................................................................ 29 3.4 Les autres problèmes identifiés .......................................................................... 30

A - Les exceptions trop vastes .............................................................................. 30 B - Les délais ....................................................................................................... 31 D- L'utilisation d'internet ...................................................................................... 32 E - La CAI ............................................................................................................. 32

LISTE des RECOMMANDATIONS ................................................. 33

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Introduction Le gouvernement du Québec est entré dans le processus de révision quinquennale de la Loi sur l’accès à l’information qui coïncide avec son 30e anniversaire. La Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ) croit fermement qu’il faut saisir cette occasion pour la refondre et lui donner un nouveau souffle en accord avec l’esprit d’ouverture et de transparence qui a présidé à sa naissance en 1982. Notre présentation s’articule en trois points centraux :

1. La nécessité que le premier ministre déclare clairement sa volonté de rendre l’État transparent et participatif et qu’il infléchisse radicalement la culture de secret et de fermeture qui continue à prévaloir.

2. La nécessité d’adopter une vraie politique de divulgation automatique à la place de la caricature qui en tient lieu maintenant.

3. La nécessité de réformer des points majeurs du fonctionnement de la Loi sur l’accès à l’information.

Section 1 La nécessité d’une volonté politique de transparence Il est bien établi que la qualité du leadership en matière d’accès à l’information est un critère essentiel à son succès. Un organisme public dont la direction est frileuse et portée au secret va donner un organisme frileux et porté au secret. Les fonctionnaires concernés vont savoir implicitement qu’il faut refuser plutôt que de permettre. L’accès aux documents publics sera entravé, et les nombreuses échappatoires seront utilisées au maximum.

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Le rapport de Paul-André Comeau 1 réalisé à partir d’entrevues auprès de 20 responsables de l’accès indique que suite à l’adoption du Règlement sur la divulgation de l'information en 2008 «les réactions varient en fonction de la taille de l’entité, mais aussi de la place que s’y sont taillée (sic) l’accès à l’information et la protection des renseignements personnels». On comprend ici que l’accès à l’information peut être important ou peu important, tout dépendant de l’organisme. Cette situation n’est pas un simple constat qu’il faut banaliser comme le fait le rapport. C’est un problème majeur. On verra tout au cours de ce mémoire une longue série de problèmes d'accès à l'information qui ne se corrigeront pas seulement par l'ajout de nouvelles clauses à la Loi. Si la volonté politique de les mettre en œuvre fait défaut, elles finiront par être contournées ou ignorées. On le constatera plus loin en matière de divulgation automatique de l'information où les organismes ne respectent pas le Règlement. La Loi sur l’accès n’est pas facultative. Elle ne doit pas dépendre des inclinations et de la bonne ou de la mauvaise volonté des dirigeants des organismes publics. Le Québec a obtenu la désastreuse note «F», la pire parmi toutes les provinces, lors de l'enquête annuelle sur l'état de l'accès à l'information au Canada menée par l'Association canadienne des journaux 2. De toutes les provinces étudiées, le Québec s'est révélée la plus secrète. On ne peut plus prendre la situation à la légère et se flatter d'avoir une loi sur l'accès qui fait envie dans le monde. C’est pourquoi la FPJQ lance un appel direct au premier ministre du Québec, M. Jean Charest, à se commettre publiquement, clairement et fermement en faveur de la transparence de l’État. La consigne doit venir du plus haut niveau de l’État pour que chacun à l'intérieur de la machine gouvernementale sache qu’on attend de lui cette ouverture aux citoyens.

1 Paul-André Comeau, La diffusion proactive de documents par les ministères et organismes du Québec, Rapport d’entrevues menées auprès de responsables de l’accès à l’information, septembre 2011, p.12 2 http://www.journauxcanadiens.ca/affaires-publiques/Enquete-nationale-2011

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En cette ère où les pouvoirs politiques tentent plus que jamais de contrôler l’information, cette demande peut avoir l’air d’un vœu pieux. Certes un tel engagement demande du courage. Il demande surtout une vision élevée et noble du rôle de l’État au service des citoyens. Ce courage peut exister au Québec. Il s’est manifesté aux États-Unis. Lors de sa première intervention comme président, Barak Obama a lancé un appel à la transparence de l’État en signant le Memorandum on Transparency and Open Government 3 qui montre le haut degré de priorité qu’il accorde à cette question. «My Administration is committed to creating an unprecedented level of openness in Government. We will work together to ensure the public trust and establish a system of transparency, public participation, and collaboration. Openness will strengthen our democracy and promote efficiency and effectiveness in Government.» Cet appel aux dirigeants des organismes publics américains devrait inspirer le premier ministre du Québec. Le mémorandum a été suivi d'une directive appelée «Open Government Directive».4 Sans en reproduire ici les 11 pages, il faut noter qu’elle est assez détaillée pour qu’aucun organisme ne puisse se soustraire à sa mise en œuvre. On précise par exemple qu'à l'intérieur de 60 jours (pas 18 mois comme au Québec!) les organismes vont devoir créer une page web Open Government. Cette page sera la porte d’entrée de tout ce qui concerne l’Open Government. Voilà un fort contraste avec la situation sur les sites des organismes publics québécois où les documents divulgués peuvent être n’importe où et nulle part à la fois comme on le verra. La directive américaine mentionne aussi qu’il faut créer et institutionnaliser une culture de l’Open Government

3 www.whitehouse.gov/the_press_office/TransparencyandOpenGovernment/ 4 http://www.whitehouse.gov/open/documents/open-government-directive

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Pour la FPJQ, un tel engagement au plus haut niveau, qui doit ensuite se concrétiser par des mesures précises, est un préalable incontournable à une amélioration de l’accès à l’information au Québec. Recommandation 1 : Que le premier ministre du Québec indique publiquement et clairement que l’État s'engage dans un processus d'Open Governement qui repose sur la transparence, la participation du public et la collaboration.

Section 2 La nécessité d'une vraie politique de divulgation automatique Le rapport final et unanime de mai 2004 de la Commission de la culture qui portait sur la réforme de l'accès à l'information avait comme première recommandation «la mise en oeuvre d'une politique de publication automatique de l'information». En avril 2008, le gouvernement promulguait le «Règlement sur la diffusion de l'information» (le Règlement) qui accordait 18 mois aux organismes publics pour préparer la mise en ligne sur leur site web d’une série de documents publics. Le 29 novembre 2009, ces documents devaient être accessibles. Un an et demi plus tard, qu’en est-il réellement? Quel bilan tirer de cet essai de divulgation? La FPJQ a fait une demande d’accès pour obtenir le ou les bilans détenus par l’État sur de la mise en œuvre de ce Règlement. Deux documents lui ont été fournis : le rapport de Paul-André Comeau déjà mentionné, et une étude de l’ÉNAP intitulée État de la situation. 5 Aucune de ces deux études n’a examiné de manière indépendante et factuelle ce qui figurait sur les sites des organismes publics. Leurs méthodologies ont consisté dans le premier cas à interviewer 20 5 ENAP, Laboratoire d’étude sur les politiques publiques et la mondialisation, Règlement sur la diffusion de l’information et sur la protection des renseignements personnels – État de la situation – Rapport présenté au SRIDAI (Ministère du Conseil exécutif) – août 2011

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responsables de l’accès et dans le second à envoyer un questionnaire aux 140 organismes soumis au Règlement. À peine 107 d'entre eux cependant ont répondu. Ce sont donc des bilans faits à partir des auto-déclarations des principaux intéressés, sans contre vérification factuelle. Malgré tout, le rapport de l’ÉNAP laisse transparaître un «étonnement» au sujet du non respect du Règlement dans beaucoup de cas. Les auteurs se posent de «sérieuses questions quant au respect des obligations découlant du Règlement» (p. 5) Voici quelques unes de leurs constatations: 17% des organismes disent mettre en ligne les documents des demandes d’accès satisfaites. Le Règlement prévoit qu'elles doivent l'être lorsqu'elles sont «d'un intérêt pour l'information du public». 86% des responsables affirment qu’aucun des documents transmis suite à une demande d'accès ne représente un intérêt pour le public. 52% à peine ont des critères pour identifier ce qui est «d'intérêt pour l'information du public». 80% disent mettre en ligne les rapports présentant un intérêt pour l’information du public. 65% disent mettre en ligne les renseignements relatifs aux contrats de plus de 25 000$. Le Règlement prévoit qu'ils doivent tous être diffusés. 78% ont, sur leur site, un espace dédié aux documents divulgués. 62% seulement ont élaboré des procédures pour mettre à jour les documents sur leur site. 72% seulement ont mis sur pied le comité sur l’accès prescrit par le Règlement. Comme seulement 76% des organismes sondés ont pris la peine de répondre au questionnaire de l'ÉNAP, il est légitime de penser que ceux qui n’ont pas répondu ne se préoccupent guère de cette question. Les statistiques mentionnées plus haut risquent d’en être faussées en

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retranchant du bilan général tous les cancres de la classe. La situation est vraisemblablement pire que celle qui est présentée. Le rapport Comeau manifeste de son côté la plus grande complaisance. Il s'ouvre ainsi : «Un mot, satisfaction, se dégage de l’appréciation établie par les 20 responsables de l’accès» (Comeau p. 7) et le rapport ne manifeste par la suite aucune distance critique. Ces deux rapports nous apprennent néanmoins bien des choses.

2.1 Des responsables de l’accès effrayés

Les responsables de l’accès interrogés ont été paralysés ou obnubilés par la peur de la transparence quand l’idée de divulgation automatique est apparue dans la dernière mouture de la Loi sur l’accès. Le rapport Comeau en fait largement état. Il mentionne les «questions suscitées et [les] appréhensions» lors de l’adoption de l’article 16.1 de la Loi sur l’accès en 2006. Puis «ces craintes ont été ravivées» à l’adoption du Règlement de 2008. (p. 8). «Craintes et appréhensions étaient au rendez-vous» (p. 9) «À la crainte d’impacts négatifs de la diffusion automatique de certains documents, exprimée par le personnel politique du ministre…» (p. 9) «D’autres bien au contraire, redoutaient de voir se gonfler le volume de demandes» (p. 9) «Peu à peu, bon nombre de ces inquiétudes – dans certains cas rares, de réelles angoisses – a pu être dissipé» (p. 10). «En un mot, inquiétude, malaise…» (p. 11) «Certains responsables redoutent un effet boule de neige en affichant systématiquement de tels documents». (p. 19) Crainte, peur, angoisse… Au lieu de s’enthousiasmer à l’égard d’une nouvelle façon de favoriser l’accès à l’information et de vouloir en tirer le meilleur parti, les responsables interrogés la redoutent. La question se pose : sont-ils à leur place? Sont-ils correctement dirigés? C’est ce vieux réflexe de peur de l'ouverture (ce qu'on appelle parfois «changer les mentalités») qui fonde la nécessité d’une directive du Premier ministre pour commencer à inverser les réticences chroniques qui gangrènent la machine d’État.

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2.2 Un document public doit être public

Les responsables de l’accès n’ont été rassurés que lorsqu’ils ont constaté que le Règlement sur la diffusion de l'information leur permettait sans problème de ne PAS diffuser automatiquement des documents publics. «On a vite réalisé qu’il ne fallait pas tout publier, comme certains l’appréhendaient» (Comeau p. 10) On ne s’étonnera donc pas que leur appréciation de la divulgation automatique ait changé à l’usage. La porte de sortie qui permet aux organismes de rester aussi peu transparents qu'ils le souhaitent se trouve dans le Règlement lui-même. Celui-ci stipule que doivent être diffusés «7° les études, les rapports de recherches ou de statistiques, produits par l’organisme public ou pour son compte dont la diffusion présente un intérêt pour l’information du public» Au lieu de dire que les études, rapports de recherches ou de statistiques sont publics et doivent être diffusés automatiquement, le Règlement place une réserve majeure. Ils doivent présenter un« intérêt pour l’information du public». Qui en décidera? Selon quels critères? Avec quelle transparence? Avec quel mécanisme de vérification et de contestation? Avant l’adoption du Règlement, la FPJQ s’était opposée à cette réserve qui annule l’esprit de la divulgation automatique. Elle avait fait valoir en personne au ministre de l’époque, M. Benoît Pelletier, que cette réserve ouvrait la porte au plus grand arbitraire et qu’elle servirait à cacher des documents publics. C’est exactement ce qui se passe. Le rapport Comeau nous fait voir des responsables de l’accès complètement perdus sur la façon d’appliquer ce critère d’intérêt pour l'information du public. Certains organismes tentent de développer leurs propres critères ou développent des grilles de questions pour essayer d’identifier ce qui est d’intérêt pour le public. Pour ensuite les abandonner quand ils voient qu'un trop grand nombre de documents (ou aucun) ne seraient rendus publics. Un organisme a décidé de publier tous les «documents ou études parvenus à leur stage (sic) final». D’autres organismes on décidé de renoncer à tout critère pour décider cas par cas… Le rapport de l’ÉNAP mentionne que le

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critère retenu «peut parfois [18 réponses sur 61] être assimilé à une condition très précise : être en lien avec la mission de l’organisme» (ENAP p. 12) Comment peut-on réduire ainsi «l’intérêt pour l’information du public»? Bref on patauge dans un marécage où un document public n’est public que si quelque fonctionnaire quelque part a décidé en fonction de critères obscurs et variables ce que le public a l’autorisation de le voir. C’est le contraire de l’accès à l’information. Recommandation 2: Que dans le Règlement sur la divulgation, soit biffée la réserve qui dit en alinéa 7° qu'on ne doit diffuser que les études et rapports dont la diffusion présente un intérêt pour l’information du public.

2.3 Sur le terrain

La FPJQ a parcouru plusieurs sites de ministères à la recherche des documents assujettis à la divulgation automatique, surtout les Études et rapports, comme le ferait un citoyen. Voici les principales constatations de l’expérience.

Navigation hasardeuse Dans plusieurs cas, il n’y a rien d’évident sur la page d’accueil des organismes publics. Rien, aucune indication que les documents publics visés par le Règlement sont divulgués quelque part. Sur certains sites comme celui de Services gouvernementaux, il y a un onglet «Accès à l’information». Ces onglets ne donnent pas toujours accès directement aux documents divulgués. On peut aussi trouver «Accès à l’information» en caractères minuscules, tout en bas de la page, à côté de «Politique de confidentialité» et autres sujets que personne ne lit. Bien souvent, il faut cliquer sur l’onglet «Ministère» pour trouver un sous-onglet qui mentionne «Accès à l’information». C’est le cas par exemple au ministère des Ressources naturelles et de la Faune. Mais dans le cas du ministère de l’Éducation du Loisir et du Sport (MELS), pour trouver les documents prévus au Règlement, il faut d’abord cliquer Ministère, puis le sous-onglet «Ministère» à nouveau, puis cliquer le sous-sous-onglet «Diffusion de l’information».

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À cet endroit, on ne trouvera que les énoncés de la loi et non les documents divulgués eux-mêmes comme on pourrait s'y attendre. On finit par trouver qu’il faut cliquer sur le sous-sous-onglet «Organisation». À cet endroit on trouve certains types de documents qui doivent être divulgués automatiquement comme l’organigramme et les contrats de 25 000$ et plus. Mais pas les études et rapports. Celles-ci sont dans un onglet «Publications ministérielles» en page d’accueil, un mot qui laisse entendre qu’on y trouve les publications officielles du ministère, ce qui n’était pas l’objet de la recherche. On y trouve effectivement à peu près uniquement des publications officielles. Le cas du MELS n'est qu'un exemple où il faut consulter différentes sections du site pour trouver les documents qui doivent être divulgués. Le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation (MAPAQ) ne fait pas mieux. La Commission d'accès à l'information (CAI) au contraire met en page d'accueil un onglet «Diffusion» dans lequel on retrouve tout de suite tous les documents devant être diffusés. Cette dispersion des documents montre la confusion qui résulte du manque de direction du gouvernement sur l’implantation de la divulgation automatique. Les Américains, au contraire, ont encadré le processus pour qu’il donne des résultats. Les directives aux organismes publics ont été précises: vous devez créer rapidement une porte d’entrée unique, en page d’accueil, avec un URL qui devra obligatoirement suivre la syntaxe suivante : www.[agency].gov/open. Au Québec, c’est n’importe quoi au détriment du citoyen qui cherche un document public et qui rebondit d’un onglet à un sous-onglet. Les responsables de l’accès se plaignent que «la démarche [de divulgation automatique] est peu connue du grand public. ‘‘Pas connue du tout’’, renchérissent certains…» (Comeau p. 24). Doit-on s’en étonner quand rien n’est évident sur les sites, voire quand il n’y a aucune mention de la divulgation en page d'accueil?

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La navigation hasardeuse n’est qu’un premier problème qui révèle que la divulgation automatique n’est pas une priorité. On n’enfouit pas une priorité à un deuxième ou troisième niveau de navigation. Recommandation 3: Que les organismes publics soient tenus de créer en page d'accueil de leurs sites une porte d'entrée évidente qui ouvre sur tout ce qui concerne la divulgation automatique. Que l'appellation soit uniformisée à tous les niveaux de navigation pour permettre un repérage facile par les citoyens d'un site public à l'autre.

Études et rapports de recherche Le faible nombre des documents divulgués dans la catégorie Études et rapports est un autre symptôme manifeste que la divulgation n'est pas une priorité. Cinq documents pour toute l'année 2011 au MELS. Au ministère de la Justice, il n’y a que trois entrées en 2011 et une en 2010 dans l’onglet «Politiques, études et rapports». Au ministère de l’Immigration et des Communautés culturelles (MICC), il y a un total de 11 recherches et rapports depuis 1989. Au ministère des Affaires municipales, des Régions et de l'Occupation du territoire (MAMROT), les études et données statistiques sont toutes antérieures à 2009. Le plus souvent elles datent de 2003-2004. Au ministère des Relations internationales (MRI), aucun document d’intérêt pour l'information du public n’a été mis en ligne depuis 2009. Un examen systématique confirmerait sans doute ce qu’un survol rapide permet de constater : les études et rapports de recherche sont peu nombreux et ils remontent souvent à plusieurs années. On comprend mieux le soulagement mentionné plus haut des responsables de l’accès interviewés par M. Comeau. Il y a facilement moyen de ne pas divulguer automatiquement grand chose. Une des objections ministérielles à la divulgation vraiment automatique de l’information était, disait-on, la crainte de «l’infobésité», du trop grand nombre de documents. Cette crainte (encore une) apparaît sans aucun fondement à l’heure où le web regorge de milliards de documents sans que personne ne songe à s’en plaindre. Mais elle a conduit à l’infonorexie, si on peut dire, à un nombre ridiculement petit de documents accessibles.

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Le problème central ici est que personne à l’extérieur de la machine d’État ne peut savoir quels sont les documents qui existent, qui devraient être rendus publics et qui ne le sont pas. Sauf quand une personne en fait elle-même l’expérience directe. Ainsi en est-il des deux rapports déjà mentionnés, celui de Paul-André Comeau et celui de l’ÉNAP. La FPJQ sait qu’ils existent après avoir fait une demande d’accès traditionnelle. Existent-ils sur le site du Conseil exécutif qui les a fournis? Non. Pourquoi? Ces rapports sont éminemment publics et d’intérêt public. Quelqu’un a-t-il jugé que le bilan – pas très reluisant – de la divulgation automatique n’était pas «dans l’intérêt de l’information du public» au moment où ce bilan se discute publiquement? Est-ce négligence de la part du ministère qui abrite un secrétariat voué notamment à l’accès à l’information? Cette expérience de documents publics qui ne sont pas diffusés automatiquement est très troublante. Elle montre à quel point le refus politique d’obliger les organismes à diffuser automatiquement les documents publics est la voie royale pour l’absence de transparence. Seule une étude indépendante, menée par la CAI par exemple auprès d’un certain nombre d’organismes ciblés, pourrait faire le point sur les documents publics qu'ils refusent de diffuser. Les chercheurs devraient avoir accès à toute la documentation de l’organisme visé et pourraient comparer avec ce qui est réellement divulgué sur le web. Il faut donc prendre avec beaucoup de réserves les déclarations des organismes qui disent, pour 80% d’entre eux, placer sur leurs sites les études et rapports. Ce pourcentage ne signifie rien puisqu’il ne prend pas en compte du nombre de documents diffusés et encore moins leur nombre par rapport à ce qui devrait être diffusé. Autre irritant, plus mineur celui-là, il arrive fréquemment que les titres des rapports sont affichés sans aucune mention de leur date. Il faut cliquer sur le PDF, le télécharger, pour s’apercevoir qu’il s’agit d’un document vieux de 10 ans qui n’est plus pertinent. Cette absence de date révèle un manque de considération à l’égard du public qui cherche quelque chose et qui ne veut pas être obligé d’ouvrir en vain un grand nombre de documents

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inappropriés. Même dans ses détails, la divulgation doit être conçue dans l’intérêt du citoyen, pas du gestionnaire. Recommandation 4 : que la CAI mène une enquête ciblée dans quelques organismes publics choisis de manière aléatoire pour vérifier l’application du Règlement sur la divulgation des études et rapports. Que le rapport soit rendu public. Cette recommandation reste valable, comme mécanisme permanent de contrôle externe, même si le Règlement est amendé pour rendre vraiment automatique la publication des études et recherches. Recommandation 5: Qu'il soit clair que les études et rapports de recherche prévus au Règlement incluent les rapports environnementaux, les rapports d'inspection etc.

Autres documents diffusés Le faible nombre des études et rapports ne veut pas dire que les organismes ne diffusent pas des nombres parfois considérables de documents. Le MAPAQ par exemple indique à l’onglet «Publications» qu’il place là 1800 documents et que 5000 autres sont disponibles sur le site externe Agri-Réseau. Il faut voir cependant que les documents en question n’ont rien à voir avec une quelconque divulgation automatique. Ce sont des guides d’élevage, des dépliants ministériels, des trousses d’éducation, des consignes, des conseils, des études techniques, des programmes… bref des documents faits à l’intention du public pour être diffusés dans le public. Ce type de documents se retrouve abondamment sur les sites des organismes, ce qui est normal. Mais en aucune façon ils ne contribuent à rendre l’État plus transparent et plus imputable. Un document aussi public que le mémoire du Québec sur la Commission canadienne des valeurs mobilières, déposé à la Cour suprême, ne se trouve pas sur le site du ministère des Finances. Il vous faut faire une demande d’accès traditionnelle pour vous le procurer, a-t-on répondu à un journaliste qui le voulait. Celui-ci l’a finalement obtenu en partie du ministère fédéral des Finances et il l’a trouvé au complet sur un site privé tenu par un professeur.

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Recommandation 6 : Que chaque organisme public soit tenu d'identifier l'information de valeur qu'il détient, en plus des études et rapports de recherche, et que leur mise en ligne soit planifiée dans de courts délais. L'information de valeur, pour reprendre les mots de la directive américaine déjà citée, «is information that can be used to increase agency accountability and responsiveness; improve public knowledge of the agency and its operations; further the core mission of the agency; create economic opportunity; or respond to need and demand as identified through public consultation.»

Dans les municipalités Des documents aussi publics que les procès-verbaux des municipalités ne sont pas non plus toujours sur leurs sites. Un citoyen a recensé 7 municipalités sur les 81 municipalités les plus importantes du Québec (10 000 habitants et plus) qui ne déposent pas leurs procès-verbaux sur leur site. Cette absence de divulgation automatique entraîne des conflits entre le citoyen qui tentent de les obtenir et la municipalité (Sainte-Sophie) qui les refuse. Le Dossier noir de la FPJQ intitulé «De nouvelles règles pour une meilleure circulation de l’information municipale au Québec» qui a été présenté au MAMROT en novembre 2010 relevait plusieurs accrocs à l'accès à l'information dans les municipalités. On notait le refus de fournir aux journalistes les procès-verbaux des assemblées du conseil et l'obligation faite aux journalistes de passer par la loi, avec les délais que cela implique, pour obtenir des documents publics à leur face même comme les demandes de permis de construction. À Chandler, le responsable de l'accès est le directeur général de la municipalité. Les demandes d'accès qui lui ont été adressées sur le résultat des appels d'offres auxquels ont participé des firmes de génie n'a rien donné. Non seulement l'accès à l'information se porte mal dans plusieurs municipalités, mais beaucoup d'entre elles ont voté des résolutions pour s'opposer à un projet de divulgation automatique de l'information.

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Le village de Saint-Modeste, par exemple, a fait valoir qu'il n'avait pas les ressources humaines et techniques pour s'acquitter de cet «immense fardeau». La résolution allègue que le trop plein d'informationa va nourrir la confusion et l'ambiguïté chez les citoyens. Seuls les élus seraient-ils assez clairvoyants pour s'y retrouver? Mais surtout Saint-Modeste avance un argument purement politique étranger à la Loi sur l'accès: la divulgation automatique pourrait donner des munitions à l'opposition et pourrait permettre des poursuites. Un des effets pervers de la divulgation automatique telle que pratiquée en ce moment au Québec, nous signale une journaliste, est qu’elle donne un nouveau prétexte pour refuser des documents. La journaliste se fait répondre que si un document n’est pas disponible sur le site de l’organisme, c’est qu’il n’existe pas. On a vu à quel point cette affirmation est loin de la vérité. La journaliste se fait alors demander de prouver que le document existe, une preuve extrêmement difficile à faire pour un citoyen. On inverse de la sorte le fardeau de la preuve qui devrait incomber à l’organisme, comme c’est le cas en révision, où c’est lui qui doit prouver, par des témoins assermentés par exemple, que le document recherché n’existe pas. Recommandation 7: Que les municipalités soient assujetties au régime de la divulgation automatique.

Demandes d’accès déjà satisfaites Le Règlement prévoit que les organismes diffusent sur le web «les documents transmis dans le cadre d’une demande d’accès dont la diffusion présente un intérêt pour l’information du public». Très peu de demandes satisfont à ce critère arbitraire. L’ÉNAP, qui n’a pas abdiqué tout sens critique, conclut à ce propos : «L’étonnement est de taille lorsqu’on constate que 86% des responsables affirment qu’aucun des documents ne représente un intérêt pour le public» (ENAP p. 12) À peine 17% des organismes placent donc sur leur site ces demandes satisfaites. Il n’y a aucun document de ce genre au MELS. Au ministère de la Sécurité publique, on en trouve à peine 7 au total, dont 6 sur les radars

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routiers. Au MAMROT, on trouve 12 demandes d'accès sans mention de date. Au Conseil exécutif, on ne trouve que les mémoires des délibérations du Conseil exécutif, le plus récent étant celui du 25 février 1987, ceux ayant moins de 25 ans devant rester confidentiels aux termes de la Loi. Les deux rapports cités dans ce mémoire suite à la demande d’accès de la FPJQ n'y sont pas. Cette situation intolérable, où les organismes violent la loi ou du moins violent son esprit, plaide en faveur d’une vraie divulgation automatique, sans possibilité d’y échapper, pour toute demande d’accès qui ne concerne pas des renseignements personnels. Au gouvernement fédéral, les organismes publics liés aux Finances ont tous sur leurs sites la liste des requêtes en accès qui ont été satisfaites, avec la teneur des documents, leur volume etc. Il suffit à un citoyen de copier-coller ces informations et de les envoyer à une personne désignée dans l’organisme. Rapidement, parfois en moins de 24 heures, un CD et les documents parviennent, sans frais, chez la personne qui en a fait la demande. Voir http://fin.gc.ca/afc/atip-aiprp/cair-daic0212-eng.asp Recommandation 8: Que, dans le Règlement sur la divulgation, soit biffée la réserve qui dit en alinéa 8° qu'on ne doit diffuser que les demandes d'accès satisfaites dont la diffusion présente un intérêt pour l’information du public. Toutes les demandes satisfaites doivent être rendues publiques.

Les bases de données ouvertes Le Règlement prévoit la diffusion de «rapports de statistiques» mais pas celle des bases de données publiques comme le demandait la FPJQ lors de la précédente révision de la Loi. Il s’agit ici d’un enjeu majeur où le Québec est en train de prendre un retard considérable. Après les États-Unis, la Grande-Bretagne en 2009 et d'autres pays, c’est la France qui a commencé à rendre largement disponibles ses bases de données le 5 décembre dernier. Le principe est simple : les États recueillent dans le cours de leurs activités un très grand nombre d’informations sur la société. Cette information n’est pas la propriété des gouvernements, ni des responsables de l’accès. Elle est payée par les impôts des citoyens. Cette information doit être aussi

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accessible au public qu’aux décideurs qui s’en servent pour prendre leurs décisions. D’autres pays s’étant résolument engagés dans cette voie (voir une carte des initiatives privées et publiques en ce sens 6), le Québec n’a pas à rester à la traîne. Or que voit-on sur les sites des organismes publics? Les données statistiques y sont présentées essentiellement sous forme de documents PDF statiques. Par leur format même, les données sont difficilement exploitables et encore plus difficilement mises en relation avec d’autres données. En fait, c’est presque mission impossible. Pendant ce temps, que fait le gouvernement américain ? Il multiplie les bases données accessibles à tous, en format ouvert, et il ENCOURAGE les citoyens à en récupérer les données. Un exemple parmi mille, la Federal Aviation Administration Wildlife Strike Database. On y trouve toutes les collisions rapportées entre les oiseaux et les avions depuis 1990. 7 Ce n’est pas une série de fichiers PDF. C’est une vraie base de données où on peut faire des recherches selon les critères de notre choix et ensuite exporter les résultats dans un fichier Excel dont on fera ce qu’on veut. Il est également possible de télécharger toute la base en format Access. L’État américain, qui dispose de données sur ce sujet comme sur tant d’autres estime que l’information ne lui appartient pas en propre et que tout citoyen peut se l’approprier à sa guise. En ce moment, il y a près de 400 000 bases de données brutes et données géolocalisées qui sont mises à la disposition de qui le veut. La France de son côté a mis en ligne le 5 décembre une plateforme d'accès à 352 000 jeux de données publiques à l'adresse data.gouv.fr. On y trouve des données issues de 90 administrations, ministères, autorités administratives indépendantes, collectivités territoriales, etc. et portant sur les budgets, l'environnement, la sécurité routière, la justice, les impôts, la santé, les subventions, l'agriculture et la culture.

6 http://bit.ly/H5aFwW 7 http://wildlife-mitigation.tc.faa.gov/wildlife/database.aspx

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Cette plateforme permet à chacun d'accéder aux données publiques et de les réutiliser. Entreprises, journalistes, chercheurs, étudiants, développeurs web peuvent y puiser de multiples données brutes dans des formats faciles d'accès (xls, xml, csv…) qu'ils pourront agréger, analyser ou encore exploiter afin de créer des services et applications innovantes, sur le web, sur mobile ou sur tablette.8 Le gouvernement britannique de son côté a embauché l'un des fondateurs du web, M. Tim Berners-Lee, comme conseiller pour élaborer son projet d'ouvrir les bases de données. Sept principes ont été retenus: 1. Les données publiques seront publiées sous une forme réutilisable et lisible par machine. 2. Les données publiques seront accessibles et faciles à trouver dans un site en ligne convivial qui servira de guichet unique (www.data.gov.uk). 3. Les données publiques seront publiées selon des normes ouvertes et conformément aux recommandations du World Wide Web Consortium. 4. Tout ensemble de données « brutes » sera présenté sous forme de données couplées. 5. Un plus grand nombre de données publiques seront divulguées aux termes d’une licence générale qui en autorise la libre réutilisation, y compris à des fins commerciales. 6. Les données des sites Web du gouvernement seront publiées sous une forme que d’autres parties peuvent réutiliser. 7. Les données personnelles, les données classifiées, les données commercialement délicates et les données concernant des tiers continueront d’être protégées.9 La Colombie-Britannique et l'Ontario mettent en ligne des données ouvertes. Au même moment, le Québec met en ligne ses désuets fichiers PDF et met en garde les citoyens contre la violation de ses droits d’auteur (?) tout en

8 http://www.gouvernement.fr/gouvernement/le-portail-des-donnees-publiques-datagouvfr-ouvre-avec-352000-jeux-de-donnees-disponibl 9 Séverine Degueldre Formation des Linked Open Government Data Travail pour le cours d’Architecture des Systèmes d’Information, Décembre 2011, p. 10 http://bit.ly/GSDlMP

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diffusant quelques bases dans des formats qui empêchent le citoyen moyen de s’en servir. C’est le cas au MELS où on trouve des bases de données géospatiales des écoles par commission scolaire. Les bases sont en format MapInfo Tab, un format qui exige du citoyen un logiciel de 2000$ pour pouvoir être utilisé. Pire encore, le ministère avertit le citoyen : «Les produits d’information géographique téléchargeables disponibles sur ce site sont diffusés uniquement pour l’usage personnel de l’utilisateur, qui est autorisé à en faire des reproductions à cette seule fin. Par contre, ces produits ne peuvent être donnés, prêtés, échangés, distribués, vendus, diffusés, présentés ou autrement communiqués à des tiers (…) sans une autorisation écrite expresse du gouvernement du Québec, qui en est le producteur et le titulaire». Bref, alors qu’ailleurs on encourage les citoyens à exploiter les données publiques pour stimuler l’innovation et le développement économique, au Québec, on les enferme à double tour, réservant leur exploitation au gouvernement. Un journaliste économique s’est fait refuser par Emploi-Québec la base de données des entreprises de services financiers, où il n’y a rien de personnel ni de confidentiel puisqu’il s’agit d’un bottin d’entreprises. Il voulait simplement les noms des entreprises et leurs codes postaux pour créer une carte qui montrerait en un coup d’œil leur répartition géographique au Québec. C’est une tendance montante dans les médias que cette forme de journalisme qu’on appelle le data journalism et qui, à partir des informations tirées des bases de données, peut les recouper et les présenter sous une forme visuellement attrayante. Mais encore faut-il avoir accès aux bases de données. Quelle raison Emploi-Québec a-t-il donné pour refuser la base au journaliste québécois? Qu’il y a une entente de confidentialité! Un bottin public d’entreprises qui font affaire avec le public et qui est disponible sur le web, confidentiel ! On lui a aussi répondu qu’il «n’avait pas besoin de ça» et «on ne sait pas ce que vous voulez en faire». Ces arguments pour refuser l’accès ne figurent

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nulle part dans la Loi. Ils sont inventés au fur et à mesure puisqu’il faut bien trouver un prétexte de refus. L’Autorité des marchés financiers a refusé de transmettre une base de données de 23 000 noms qui est pourtant disponible sur internet. La raison? «Confidentialité des données»! Quand la FPJQ soutient qu’il faut un coup de barre radical qui vienne du sommet de l’État, c’est à cause de ce genre de culture qui freine la transparence de l’État. La faible utilisation des bases de données accessibles a comme conséquence de rendre la vie difficile au citoyen qui cherche certains types d’information sur les sites gouvernementaux. Prenons par exemple le citoyen qui irait sur le site du MAMROT pour vérifier si la pizzeria Bravo qu’il fréquente dans sa région en Mauricie a déjà été condamnée au chapitre de l’inspection alimentaire. Cette inspection fait partie du mandat du ministère et les condamnations sont publiques. Mais comment trouver la pizzeria? On indique sur le site «Pour consulter les condamnations, visitez les sites régionaux». Le citoyen de la Mauricie ouvre donc la page de sa région pour y trouver 13 fichiers PDF simplement classés par date, le plus récent remontant à plus de 4 mois (22 septembre au 18 novembre 2011). Chaque PDF rend compte de plusieurs condamnations. Le citoyen doit ouvrir tous ces fichiers PDF, date par date, au cas où il finirait par trouver le restaurant qu’il cherche. C’est absurde. Ce citoyen se tournera peut-être alors vers le moteur de recherche avancé du site. Il tape «Bravo Pizzeria». Le moteur ne permet pas de spécifier une région. Il reçoit 9 résultats, tous des fichiers PDF de condamnations. Dans le descriptif de cinq d’entre eux, il n’y a pas de mention de région. Comme Bravo Pizzeria existe dans plusieurs régions du Québec, le citoyen doit les télécharger et les ouvrir un à un au cas où il s’agirait de sa région. S’il est débrouillard, il quittera le site du ministère et ira sur Google et tapera la formule suivante « "Bravo pizzeria" Trois-Rivières condamnation site:www.mapaq.gouv.qc.ca». Miracle, il tombera directement sur le PDF

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où il verra que le restaurant de sa ville a été condamné à 250$ d’amende en 2007. Ce n’est qu’un exemple bien terre-à-terre, mais il montre comment, dans la vie de tous les jours, l’information gouvernementale n’est pas présentée de manière à être accessible. Est-ce que c’est ce parcours du combattant que l’État veut imposer à l’ensemble de ses citoyens qui ne sont pas tous des hackers? La différence saute aux yeux quand les données sont ouvertes, comme c'est le cas pour l'inspection alimentaire à Montréal. C'est ce qui a permis à des citoyens de créer www.resto-net.ca. Ce site permet de retracer les condamnations très facilement, de les géolocaliser, d'avoir accès aux statistiques etc. Il y a là un véritable service rendu aux citoyens sans que l'État ait eu besoin de développer soi-même l'application. Montréal a commencé à ouvrir ses données, disponibles à donnees.ville.montreal.qc.ca, en expliquant sur ce portail: «En ouvrant ses données à tous, la Ville de Montréal permet qu’elles soient réutilisées à différentes fins, incluant des fins commerciales. Les résultats de cette réutilisation peuvent ensuite être partagés dans la communauté, ce qui crée un effet démultiplicateur. Les données libérées et réutilisées génèrent ainsi des bénéfices à la fois dans les sphères économiques, culturelles, sociales et technologiques». Recommandation 9: que le gouvernement mette en place un système de données ouvertes en suivant les principes de Tim Berners-Lee, crée un portail qui les regroupe et en encourage la réutilisation par la société.

Plan de classification Lors de la réforme de 2008, la FPJQ voyait mal la différence entre un plan de classification des documents – qui doit être divulgué automatiquement – et une liste de documents. La distinction est claire maintenant qu’on peut lire plusieurs plans de classification sur les sites. La différence est qu’un plan de classification ne sert à peu près à rien pour le citoyen alors qu’une liste de documents serait essentielle. Selon le ministère de la Justice «Le plan de classification vous permet de mieux comprendre la structure des activités du Ministère à partir de laquelle ses

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documents ont été classés. Il n’a pas pour objectif de vous relier directement à un dossier ou à un document par l'intermédiaire d'un hyperlien. Il est simplement un outil de référence qui vous permet de vérifier si les documents recherchés font bien partie des activités de l’organisation.» Pour un citoyen qui cherche une information, ces plans qui font des dizaines de pages de rubriques, ne sont d’aucun secours et d’aucune utilité. Il ne permet pas de savoir s'il existe le moindre document dans telle ou telle rubrique. Par contre, une liste des documents existants serait un outil essentiel, qui permettrait de résoudre cette question insoluble pour le citoyen : quels documents possède l’État? Le rapport de 2004 de la Commission de la Culture reconnaissait ce problème et signalait qu'outre le plan de classification et le calendrier de conservation, des «listes des dossiers et des documents reconnus accessibles» apparaissent comme une façon de mettre en oeuvre rapidement et à moindre coût une pratique de divulgation automatique. Il faudrait également la mise en ligne des sommaires décisionnels de manière à rendre processus décisionnel lui-même plus transparent. Ils permettraient de connaître toute la chaîne qui a conduit à telle décision et permettraient de repérer les documents en les situant dans un continuum. S’agit-il d’un avis? D’une étude? Certaines villes publient déjà de tels sommaires décisionnels. Recommandation 10 : que le Règlement soit modifié pour inclure l'obligation de diffuser la liste des documents de l’organisme public, avec une description claire de ce qu’ils sont et de ce qu’ils contiennent. Même les documents inaccessibles au public devraient figurer sur la liste. Recommandation 11: que le Règlement soit modifié pour inclure la publication de sommaires décisionnels qui retracent les étapes menant à une prise de décision.

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2.4 Participation du public

La divulgation automatique de l'information publique est le pivot central d’une politique d’Open Government. Mais elle doit aussi comprendre des éléments pour encourager et faciliter la participation du public à la discussion et à l’élaboration des politiques gouvernementales. Au lieu de concevoir le gouvernement comme un château-fort assiégé par des citoyens malveillants, l’Open Government veut les mettre à contribution, non pas seulement pour leur faire payer davantage de taxes, mais pour tirer profit de leurs idées. En ce moment, le ministère des Transports des États-Unis sollicite ouvertement les idées des citoyens et des experts pour élaborer son deuxième Plan d’action sur l’Open Government. Une plateforme permet de recueillir les idées10 : Le plan doit être présenté en avril 2012. Le ministère sollicite en même temps les idées de tous ses employés. La divulgation automatique est un appel à une toute autre façon de gouverner qui ne pourrait qu’être positive dans le contexte de cynisme actuel de la population envers l’État. Recommandation 12: que le gouvernement inclue dans son approche d'Open Government la participation des citoyens, notamment en utilisant les réseaux sociaux et la collaboration avec la société.

Section 3 La loi sur l 'accès à l ' information La FPJQ a recueilli des témoignages de journalistes qui utilisent au quotidien la Loi sur l’accès au sens traditionnel, celle que nous connaissons et qui exige de déposer une demande auprès du responsable de l’accès de l’organisme public. Celui-ci a 20 jours, pouvant être étendu à 30 jours, pour fournir les documents en tout ou en partie ou les refuser avec motivation. Après 30 ans d’évolution, la Loi est maintenant confrontée à des problèmes majeurs qui finissent de la vider de sa substance. Selon un journaliste

10 https://opendot20.ideascale.com

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spécialisé en accès à l’information, «À 98,9% à Québec, personne ne respecte ça, l’accès à l’information».

3.1 L’impossibilité pour les journalistes de se représenter en révision

Nous avons ici non pas un problème mais un vrai scandale. Des organismes publics, au premier chef Hydro-Québec, ont contesté la légalité pour les journalistes de se défendre eux-mêmes en révision devant la CAI. La révision est le processus d’appel que peut utiliser un demandeur quand un organisme public lui refuse un document en tout ou en partie. Selon l'argumentaire des organismes publics, les journalistes y représenteraient en fait leur média. Or selon la Loi sur le Barreau, seuls les avocats sont autorisés à représenter une tierce partie devant un tribunal comme l'est la CAI. Donc seul un avocat pourrait plaider en révision en faveur de la demande d’accès d’un journaliste. CQFD. La Cour du Québec entendra d’ici quelque temps un appel qui conteste cette interprétation de la loi et la FPJQ fera partie du groupe de médias qui porte cette affaire devant la justice. Mais nonobstant cet appel, la FPJQ est proprement scandalisée de constater que des organismes publics aient déployé des moyens aussi retors pour empêcher la diffusion de documents publics. Peut-on croire que les organismes publics ont soulevé cet argument par profond respect des lois du Québec? Non. Ils respecteraient alors le Règlement sur la diffusion. C’est simplement la nouvelle arme absolue contre les enquêtes journalistiques qui les dérangent. La loi a été adoptée en 1982. Pendant plus de 25 ans les journalistes se sont représentés eux-mêmes en révision, sans que quiconque n’y trouve à redire. Et voilà qu’en cherchant bien, des organismes publics ont trouvé ce nouveau moyen pour ne pas divulguer des documents, sans même avoir à justifier leur caractère non public. Une journaliste d’un journal hebdomadaire de l’ouest de Montréal vient de faire une demande de révision après que la ville de Sainte-Anne-de-Bellevue lui ait refusé un document.

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La CAI elle-même exige qu’elle se fasse représenter par un avocat. Pour les médias, dont le modèle d’affaires est fragilisé par les mutations du secteur, déléguer un avocat à chaque demande de révision est un fardeau financier insoutenable. Au moment d’écrire ces lignes, il est à peu près certain que le média ne pourra pas payer un avocat et la demande de révision va automatiquement tomber à l’eau. Pour le plus grand bonheur de la municipalité. La recherchiste Monique Dumont de Radio-Canada se fait également forcer la main par la CAI sur cette question. Elle a adressé en son nom à la Commission une demande de révision d'un refus d'Hydro-Québec, sans mention de son média, sur une simple feuille blanche sans en-tête. À sa grande surprise elle reçoit un accusé de réception de la Commission avec l'intitulé: Société Radio-Canada (Monique Dumont) c. Hydro-Québec plutôt que Monique Dumont c. Hydro-Québec. Les protestations de la journaliste n'y font rien. Le secrétaire général de la Commission qui a fait cette modification de lui-même ne veut pas la changer. Pourtant ce libellé laisse croire que la Commission se range du côté d'Hydro-Québec qui va sans doute plaider en révision que la journaliste n'a pas le droit de se défendre elle-même puisqu'elle ne peut représenter le véritable requérant qui serait Radio-Canada! Une autre journaliste, qui se bat depuis six ans pour obtenir des documents de la Caisse de Dépôt et Placement, vient de se faire asséner cet argument à la toute fin des audiences devant la commissaire de la CAI pour annuler sa demande. Grâce aux combats d’arrière-garde d’Hydro-Québec et consorts, il s’établit maintenant une pratique qui empêche les journalistes d’avoir recours à la loi sur l’accès. Tout organisme public sait désormais qu’il suffit de refuser un document à un journaliste, fut-ce sous le prétexte le plus futile, et son refus ne pourra probablement pas être contesté devant la CAI. En termes clairs, la Loi sur l’accès à l’information ne s’applique plus aux journalistes.

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Pourtant, signalent des responsables de l’accès, «les demandes d’intérêt public émanent presque toutes de journalistes». (Comeau p. 19) La boucle est bouclée. Ce sont les journalistes qui demandent des documents d’intérêt public, l’organisme les refuse et les journalistes ne peuvent contester la décision. Recommandation 13 : Que les lois pertinentes soient amendées dans les plus courts délais pour qu’il devienne incontestable que les journalistes ont le droit défendre eux-mêmes leurs demandes d’accès en révision devant la CAI.

3.2 La politisation de l'accès

La Loi sur l’accès est censée être aveugle, neutre et technique. Elle n’est pas censé prendre en considération l'identité du demandeur, ses motivations, ni les conséquences de la divulgation d’un document. S’il est public, il est public pour tous et les appréhensions sur l’usage du document ne sont pas des critères qui doivent être pris en compte. C’est la théorie. En pratique, il en va tout autrement. Ainsi une journaliste de CTV a tenté longtemps et en vain d’obtenir les rapports d'enquête sur l’écroulement d’un paralume de l’A720. Transports Québec lui répétait que ces documents n’existaient pas, puis qu’ils étaient «trop sensibles» (ce qui n’est pas une exception prévue dans la loi !). Le rapport qui n’existait pas puis qui était trop sensible a finalement été rendu public en conférence de presse et affiché sur le site du ministère ! Le document n'est pas évalué selon son caractère public mais selon son potentiel de dommages politiques, ce qui n'est pas un critère prévu dans la Loi. The Gazette a connu les mêmes problèmes d'accès. Le ministre des Transports de l'époque, Sam Hamad, a refusé autant comme autant de divulguer les rapports d'inspection du pont Mercier et de l'échangeur Turcot «Trop compliqués à comprendre pour le public» disait-il, ce qui n'est pas non plus une exception prévue à la Loi. Le nouveau ministre des Transport a divulgué ces rapports, son ministère a mis en ligne une base de données des rapports d'inspection pour des milliers d'autres structures provinciales. Montréal a suivi en promettant de publier les rapports d'inspection de nombreuses structures municipales, ce qui n'est pas encore totalement fait.

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Cela ne veut pas dire que tous les rapports d'inspection vont dès lors être divulgués. Au ministère de Transports, ils ne sont pas tous placés sur le site en même temps, mais selon une stratégie de publication. Encore là, on politise ce qui devrait être technique. D'autres rapports du même genre restent obstinément cachés. Le ministère ne rend pas publics les rapports d’inspection de la Régie des installations olympiques. En conférence de presse, le ministre des Transports déclare détenir des rapports montrant que ce ne sont pas les vibrations causées par la construction du CHUM qui ont causé l’effondrement d’un paralume du tunnel Viger à Montréal. Mais impossible d’avoir accès à ce document. La Gazette ne peut obtenir les rapports d'inspection du Square Dorchester, ni les études des coûts d'électrification des trains de banlieue etc. La Loi sur l’accès est à géométrie variable. Elle est interprétée à la lumière des impératifs politiques du pouvoir en place à ce moment-là, ce qui est complètement étranger à son économie générale. Cette politisation est amplifiée quand les responsables de l’accès sont d’anciens chefs de cabinets ou d’anciens membres importants du personnel politique. Un journaliste a dû aller chercher en personne sur place au siège de l'organisme les documents qu’il avait obtenus par la Loi. L’Autorité des marchés financiers, en la personne de son relationniste, voulait lui en expliquer le sens en les lui livrant. Cette procédure est également étrangère à la Loi. Un citoyen a le droit de recevoir un document public sans être convoqué pour se le faire expliquer dans le sens voulu par l'organisme. La Loi par ailleurs doit protéger le responsable de l'accès qui se trouve aujourd'hui dans un conflit d'intérêts constant qui ouvre la porte à la politisation de l'accès. Payé par un organisme, redevable à la direction de son organisme, il doit répondre aux demandes d'accès des citoyens en fournissant des documents qui peuvent montrer l'incurie de son employeur. Il est coincé entre son intérêt à servir son organisme et donc à divulguer le moins possible de documents et son devoir de servir les citoyens que lui impose la Loi. Rien ne le protège s'il déplaît aux dirigeants de l'organisme.

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Dans des petites municipalités, le responsable de l'accès peut être celui-là même qui est visé par la demande d'accès. Il se trouve juge et partie. Une polémique publique en décembre dernier a aussi mis en évidence l'irrationalité de l'article 8 de la Loi qui dit «La personne ayant la plus haute autorité au sein d'un organisme public exerce les fonctions que la présente loi confère à la personne responsable de l'accès aux documents ou de la protection des renseignements personnels». La politisation des demandes d'accès est renforcée en donnant à un ministre ou au président d'un organisme public la responsabilité ultime des demandes d'accès. Même quand il la délègue à quelqu'un d'autre, cette personne ne jouit d'aucune indépendance à son égard. Recommandation 14 : Que la Loi sur l'accès interdise clairement au plus haut responsable d'un organisme, désigné comme le responsable de l'accès, d'intervenir dans l'évaluation d'une demande d'accès et dans la décision sur le caractère public d'un document. Cette fonction doit revenir à un responsable de l'accès. Recommandation 15 : Transformer la fonction de responsable de l'accès en s'inspirant du modèle des ombudsman pour en faire une fonction neutre dont le responsable juge d'un litige potentiel entre un citoyen et un organisme en n'étant soumis qu'aux exigences de la loi.

3.3 La judiciarisation

Au fil des ans, la mise en application de la loi s’est de plus en plus judiciarisée et par le fait même éloignée de son but d’origine. Des documents publics ne sont pas transmis parce qu’ils s’inscrivent dans un contexte juridique plus large et pourraient ouvrir la porte à des poursuites. Un demandeur a été avisé que la révision de sa demande d’accès à des documents relatifs aux Orphelins de Duplessis allait occuper quatre jours d’audience. Quatre jours! S’il devait être représenté par un avocat, il faudrait s’attendre à une facture dépassant les cinq chiffres. Pour obtenir des documents publics! Tout cela parce que l'État craindrait une poursuite, ce qui n'est pas une exception prévue à la Loi.

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Les avocats gouvernementaux sont partout, à toutes les étapes d’une demande. Ils sont responsables de l’accès dans plusieurs cas tout comme ils sont présents en médiation et en révision. Le citoyen a contre lui des experts payés par les deniers publics dont le nombre et la disponibilité semblent illimités et dont l’objectif est de bloquer les demandes d’accès. L’évolution de la loi entérine ainsi une disproportion radicale des forces en présence. Un simple demandeur peut devoir affronter les plus grands cabinets d’avocats embauchés par Hydro-Québec. En reproduisant peu à peu la dynamique du système judiciaire, l’accès à l’information en reprend les principaux travers : lourdeur, coûts, délais, déséquilibre des parties à moins d’y consacrer beaucoup d’argent… Insensiblement, nous nous éloignons d’un système qui permet aux citoyens un accès facile aux documents publics. Recommandation 16: Que les élus organisent une réflexion en profondeur avec les parties intéressées sur la judiciarisation du processus d'accès à l'information.

3.4 Les autres problèmes identifiés

Les témoignages des journalistes ont mis en évidence une vaste série d'autres problèmes dans le fonctionnement de la Loi sur l'accès à l'information. Ces problèmes, sans faire pour l'instant l'objet de recommandations formelles, devront être pris en compte dans la révision de la Loi.

A - Les exceptions trop vastes Les organismes publics interprètent les exceptions prévues à la Loi de manière très large pour leur faire couvrir un vaste champ. Des journalistes ont reçu des refus de documents qui s’appuient en même temps sur une dizaine d’exceptions! Parmi ces exceptions, déjà trop nombreuses, il y a : Entrave à une enquête L’une des pires exceptions invoquée est «entrave à une enquête». Le demandeur est rendu complètement impuissant face à cette objection. Il ne peut rien savoir, même pas si l’enquête existe. Le refus est très difficile à contester dans les circonstances.

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Demande abusive L’exception de «demande abusive» est de plus en plus fréquemment invoquée pour refuser des demandes. Un journaliste s’est fait refuser les procès-verbaux des deux dernières années d’un organisme public pour cette raison, alors qu'il s'agit d'un nombre de documents bien limité et très facilement repérables. À ce jour, il n’a toujours rien reçu. L’UQAM a jugé «abusive» une demande pour obtenir des documents liés au scandale de l’îlot Voyageur. Les documents recherchés n’étant pas numérisés, l'UQAM soutenait qu’elle n’avait pas les ressources pour traiter, numériser et classer ces documents qui avaient été laissés dans le désordre. La demande a été classée abusive, même si la faute en incombe à l’organisme qui ne consacre pas les ressources nécessaires pour organiser ses documents. Le responsable de l’accès a admis en révision ne consacrer que 2 heures par semaines à l’accès à l’information. Communication privilégiée D’autres «exceptions» non prévues se rajoutent insidieusement. Ainsi, il arrive de plus en plus, nous rapporte-t-on, que des documents publics incluent la signature d’un avocat. Celui-ci peut être un haut fonctionnaire, un sous-ministre ou un membre d’un comité. Sa signature sur un document transformerait de ce seul fait le texte en «communication privilégiée» entre un avocat et son client, donc en document inaccessible à sa face même en vertu des lois. Secret industriel, commercial… C'est, entre autres, l'exception de secret industriel, commercial et financier (article 22) qui a été invoquée pour ne pas diffuser les rapports d'inspection du viaduc de la Concorde qui s'est effondré. Une fois les rapports connus, le secret dévoilé était plutôt le mauvais travail du ministère des Transports en matière d'inspection.

B - Les délais Les délais de rigueur pour répondre à une demande d'accès à l’information (20 jours et 30 jours) sont systématiquement étirés d’après l’expérience de plusieurs journalistes. C - Les pénalités Il n’y a pas de sanctions à l’encontre des personnes qui font sciemment de l’obstruction à l’accès à l’information. Il semble qu’aucun organisme public

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n’ait jamais dû payer les modestes amendes prévues dans ces cas. Nous sommes de facto dans un régime d’impunité, ce qui n’encourage pas le respect de la Loi sur l’accès.

D- L'utilisation d'internet Beaucoup de sites publics indiquent que pour faire une demande d'accès, il faut l'envoyer «par télécopieur ou par la poste» au responsable de l'accès. Aucune mention de la possibilité d'envoyer la demande par courriel, même si en pratique elle peut être acceptée. Il faudrait publiciser cette possibilité. De l'autre côté, bien des journalistes aimeraient recevoir les documents publics par courriel, sous forme numérique, ce qui facilite leur utilisation et évite des frais de reproduction. Il faudrait que le demandeur ait le choix du format des documents, papier ou numérique si ce dernier format existe.

E - La CAI La Commission d’accès à l’information, maintenant qu’elle est subdivisée en section d’adjudication et section de surveillance, doit sortir de sa relative neutralité passive. Le tribunal doit rester neutre. Mais l'autre section doit devenir une force qui défend et promeut activement l’accès à l'information. La CAI doit pouvoir dénoncer et sanctionner des comportements inacceptables dans des organismes publics et entreprendre une surveillance active de leur bilan. CONCLUSION La FPJQ appuie tout particulièrement les recommandations 12, 13 et 14 du rapport quinquennal de la CAI. Ces recommandations visent à ouvrir le gouvernement et de le rapprocher de la société. C'est le nouveau souffle dont a besoin au Québec le régime de l'accès à l'information. Les technologies existent pour permettre facilement la mise à la disposition du public un très grand nombre d'informations publiques, sans nécessité d'une intervention humaine. La multiplication des exceptions, la politisation et la judiciarisation du processus d'accès à l'information exigent dès maintenant un tel virage majeur qui est largement entrepris ailleurs.

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LISTE des RECOMMANDATIONS Recommandation 1 : Que le premier ministre du Québec indique publiquement et clairement que l’État s'engage dans un processus d'Open Governement qui repose sur la transparence, la participation du public et la collaboration. Recommandation 2: Que dans le Règlement sur la divulgation, soit biffée la réserve qui dit en alinéa 7° qu'on ne doit diffuser que les études et rapports dont la diffusion présente un intérêt pour l’information du public. Recommandation 3: Que les organismes publics soient tenus de créer en page d'accueil de leurs sites une porte d'entrée évidente qui ouvre sur tout ce qui concerne la divulgation automatique. Que l'appellation soit uniformisée à tous les niveaux de navigation pour permettre un repérage facile par les citoyens d'un site public à l'autre. Recommandation 4 : que la CAI mène une enquête ciblée dans quelques organismes publics choisis de manière aléatoire pour vérifier l’application du Règlement sur la divulgation des études et rapports. Que le rapport soit rendu public. Cette recommandation reste valable, comme mécanisme permanent de contrôle externe, même si le Règlement est amendé pour rendre vraiment automatique la publication des études et recherches. Recommandation 5: Qu'il soit clair que les études et rapports de recherche prévus au Règlement incluent les rapports environnementaux, les rapports d'inspection etc. Recommandation 6 : Que chaque organisme public soit tenu d'identifier l'information de valeur qu'il détient, en plus des études et rapports de recherche, et que leur mise en ligne soit planifiée dans de courts délais. L'information de valeur, pour reprendre les mots de la directive américaine déjà citée, «is information that can be used to increase agency accountability and responsiveness; improve public knowledge of the agency and its operations; further the core mission of the agency; create economic opportunity; or respond to need and demand as identified through public consultation.» Recommandation 7: Que les municipalités soient assujetties au régime de la divulgation automatique

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Recommandation 8: Que, dans le Règlement sur la divulgation, soit biffée la réserve qui dit en alinéa 8° qu'on ne doit diffuser que les demandes d'accès satisfaites dont la diffusion présente un intérêt pour l’information du public. Toutes les demandes satisfaites doivent être rendues publiques. Recommandation 9: que le gouvernement mette en place un système de données ouvertes en suivant les principes de Tim Berners-Lee, crée un portail qui les regroupe et en encourage la réutilisation par la société. Recommandation 10 : que le Règlement soit modifié pour inclure l'obligation de diffuser la liste des documents de l’organisme public, avec une description claire de ce qu’ils sont et de ce qu’ils contiennent. Même les documents inaccessibles au public devraient figurer sur la liste. Recommandation 11: que le Règlement soit modifié pour inclure la publication de sommaires décisionnels qui retracent les étapes menant à une prise de décision. Recommandation 12: que le gouvernement inclue dans son approche d'Open Government la participation des citoyens, notamment en utilisant les réseaux sociaux et la collaboration avec la société. Recommandation 13 : Que les lois pertinentes soient amendées dans les plus courts délais pour qu’il devienne incontestable que les journalistes ont le droit défendre eux-mêmes leurs demandes d’accès en révision devant la CAI. Recommandation 14 : Que la Loi sur l'accès interdise clairement au plus haut responsable d'un organisme, désigné comme le responsable de l'accès, d'intervenir dans l'évaluation d'une demande d'accès et dans la décision sur le caractère public d'un document. Cette fonction doit revenir à un responsable de l'accès. Recommandation 15 : Transformer la fonction de responsable de l'accès en s'inspirant du modèle des ombudsman pour en faire une fonction neutre dont le responsable juge d'un litige potentiel entre un citoyen et un organisme en n'étant soumis qu'aux exigences de la loi.

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Recommandation 16: Que les élus organisent une réflexion en profondeur avec les parties intéressées sur la judiciarisation du processus d'accès à l'information.

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Texte pour Pierre Craig de la FPJQ

Communications gouvernementales :Ah le bon vieux temps ... !!!

Par Claude Laflamme, journaliste à la recherche, La Facture

.14 décembre 2012

Quand Yai cornme(Jcé dans le métier, ily a déjà de cela une vingtaine

d'années, les relations avec les instances des ministères et organismes du

gouvernement québécois me semblaient beaucoup plus faciles

qu'aujourd'hui. Il était alors possible pour une journaliste de parler

directement à un fonctionnaire expert du dossier qui nous intéressait, sans

même passer par le service des communications du ministère ou de

l'organisme. Parfois, il fallait tout d'abord contacter le service des

communications, mais le re.lais vers l'expert se faisait facilement.

À mon souvenir, autant le fonctionnaire expert que l'agent de ,.. ~-....... ....... • ... +-· _~,...,... -h""":-"""+ ,!.. 11 . · .....: .... .l. ·-· · ~ -:d ~ ... d --· ..... , • ,...h .,.h-"'o •••••• u.t~Ca..ton "'''cr._ a•c•u. r~e .emeliL d nuu~d• t:• ·ans •• o ... e .e"' .e."'·• ~:::.

Je me souviens avoir eu l'impression que l'un comme l'autre jouait un peu

le rôle d'un journaliste à l'intérieur de son ministère ou organisme à la

recherche de la bonne information réellement pertinente au reportage. Je

sentais que ces gens étaient des alliés. Souvent, il suffisait de leur expliquer

les grandes lignes de notre recherche pour qu'ils soient en mesure 0 e démarrer la leur. Et ils ne se contentaient pas de répondre à une question

pointue, ils nous fournissaient le contexte et, parfois, ils nous donnaient

plus d'information que ce que nous avions demandé.

Au fil des ans, ces relations se sont transformées et, de nos jours, elles ne

ressemblent plus du tout à ce que je viens de décrire. Il est à peu près

impossible de parler directement à un fonctionnaire. Si je réussis à le faire,

il refuse généralement de me répondre tant que je n'ai pas d'abord

contacté l'agent de communication de son organisme. Et il lui faut souvent

obtenir en plus l'autorisation de la direction avant de pouvoir répondre aux

questions d'une journaliste. Si le fonctionnaire finit par pouvoir me parler,

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il sera généralement sur la défensive lors de l'entrevue téléphonique,

donnant l'impression .d'être craintif de me dévoiler un renseignement qu'il

ne doit pas me divulguer.

Du côté des agents de communication, ils exigent souvent qu'on leur

fournisse des questions précises et leurs réponses vont rarement au-delà

des questions que nous avons posées. Si j'ai oublié une question ou si de

nouvelles interrogations surgissent à la lumière des réponses que je reçois,

il faut presque toujours poser de nouvelles questions et subir un nouveau

délai avant d'obtenir des réponses. Il est rare. qu'ils cherchent à

comprendre le contexte et à nous fournir toute l'information pertinente

relative à un dossier.

J'ai souvent l'impression que, au gouvernement du Québec, l'information

est livrée au compte-goüttes. C'est comme si on Voulait nous fournir le

moins d'information possible seulement avec l'objectif qu'on cesse poser . ~ . . . .

des questions.

Je n'ai donc pas une impression d'ouverture de la part du goùvernement

québécois. J'ai plutôt l'impression que toute l'information qu'il détient est

comme un vaste secret et que lés agents de communication et les

fonctionnaires ont comme rôle de préserver ce sec::ret du mieux qu'ils le

peuvent~

'• · '