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1 L'IDÉE DE JEU PEUT-ELLE PRÉTENDRE AU TITRE DE PARADIGME DE LA SCIENCE JURIDIQUE ? par François OST et Michel van de KERCHOVE Facultés universitaires Saint-Louis http://www.legaltheory.net/ (paru dans Revue Interdisciplinaire d’études juridiques, n° 30, 1993, p 191-216) Introduction Entamés il y a une bonne vingtaine d'années, nos travaux en théorie du droit ont progressivement adopté la forme d'une théorie ludique du droit. Il ne s'agit, en l'occurrence, ni d'une théorie anthropologico-littéraire relative aux multiples aspects théâtraux de la pratique du droit, ni d'une théorie économico-stratégique relative à la prise de décision dans des contextes d'incertitude sur le modèle de la "théorie des jeux". La définition du jeu que nous privilégions - "mouvement dans un cadre" - entend, en effet, s'appliquer à toute espèce de jeux (jeux sportifs, jeux de l'esprit, jeux solitaires, jeux de compétition, jeux de hasard, de représentation, jeux mécaniques, jeux de la nature…), ainsi qu'à leurs multiples aspects (stratégie et représentation, coopération et conflit, réalité et fiction, régulation et indétermination, internalité et externalité,…). De sorte que l'objectif théorique poursuivi s'avère extrêmement ambitieux : s'il est vrai que le "mouvement dans un cadre" n'est autre que l'écart qui permet la transformation, la case vide, dans une combinatoire donnée, qui autorise la poursuite du mouvement (y compris le mouvement qui affecte le cadre de la combinatoire lui-même), alors il apparaît qu'avec le modèle du jeu s'annonce une méthode dialectique. Cette théorie dialectique entend fournir une représentation cohérente tant du phénomène juridique lui-même que de l'épistémologie de sa science et de l'éthique de sa mise en oeuvre. Sur chacun de ces plans, la pluralité est substituée à l'unité, la récursivité prend la place de la linéarité, la gradualité est préférée à la binarité, tandis que l'incertitude (qui ne signifie pas pour autant l'aléa complet), adaptée à la complexité des temps présents, est assumée en lieu et place de la pseudo-sécurité que croient garantir les pensées de la simplicité. En 1992, nous avons publié, sous le titre Le droit ou les paradoxes du jeu 1 , un ouvrage synthétisant cette perspective qu'annonçaient de nombreux travaux antérieurs 2 . La 1 . Paris, P.U.F., 1992, 268 p. 2 . Sur l'évolution progressive de nos études dans le sens de l'élaboration d'une théorie ludique du droit, cf. Le droit ou les paradoxes du jeu, op. cit. , p. 50-59.

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L'IDÉE DE JEU PEUT-ELLE PRÉTENDRE AU TITRE DE PARADIGME DE LA SCIENCE JURIDIQUE ?

par

François OST et Michel van de KERCHOVE

Facultés universitaires Saint-Louis

http://www.legaltheory.net/

(paru dans Revue Interdisciplinaire d’études juridiques, n° 30, 1993, p 191-216)

Introduction

Entamés il y a une bonne vingtaine d'années, nos travaux en théorie du droit ont

progressivement adopté la forme d'une théorie ludique du droit. Il ne s'agit, en

l'occurrence, ni d'une théorie anthropologico-littéraire relative aux multiples aspects

théâtraux de la pratique du droit, ni d'une théorie économico-stratégique relative à la

prise de décision dans des contextes d'incertitude sur le modèle de la "théorie des jeux".

La définition du jeu que nous privilégions - "mouvement dans un cadre" - entend, en effet,

s'appliquer à toute espèce de jeux (jeux sportifs, jeux de l'esprit, jeux solitaires, jeux de

compétition, jeux de hasard, de représentation, jeux mécaniques, jeux de la nature…),

ainsi qu'à leurs multiples aspects (stratégie et représentation, coopération et conflit,

réalité et fiction, régulation et indétermination, internalité et externalité,…). De sorte que

l'objectif théorique poursuivi s'avère extrêmement ambitieux : s'il est vrai que le

"mouvement dans un cadre" n'est autre que l'écart qui permet la transformation, la case

vide, dans une combinatoire donnée, qui autorise la poursuite du mouvement (y compris

le mouvement qui affecte le cadre de la combinatoire lui-même), alors il apparaît qu'avec

le modèle du jeu s'annonce une méthode dialectique. Cette théorie dialectique entend

fournir une représentation cohérente tant du phénomène juridique lui-même que de

l'épistémologie de sa science et de l'éthique de sa mise en oeuvre. Sur chacun de ces

plans, la pluralité est substituée à l'unité, la récursivité prend la place de la linéarité, la

gradualité est préférée à la binarité, tandis que l'incertitude (qui ne signifie pas pour

autant l'aléa complet), adaptée à la complexité des temps présents, est assumée en lieu et

place de la pseudo-sécurité que croient garantir les pensées de la simplicité.

En 1992, nous avons publié, sous le titre Le droit ou les paradoxes du jeu1, un

ouvrage synthétisant cette perspective qu'annonçaient de nombreux travaux antérieurs2. La

1. Paris, P.U.F., 1992, 268 p. 2. Sur l'évolution progressive de nos études dans le sens de l'élaboration d'une théorie ludique du droit,

cf. Le droit ou les paradoxes du jeu, op. cit., p. 50-59.

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même année paraissaient, sous le titre Le jeu : un paradigme pour le droit3, les Actes

d'un colloque que nous avions organisé sur ce thème, les 4 et 5 juin 1991, en

collaboration avec la Revue Droit et Société et l'Institut des Hautes Études sur le Justice

(Paris). C'est la thèse évoquée dans le titre de cet ouvrage : "le jeu : un paradigme pour

le droit" que nous voudrions interroger ici. Il s'agira, dans un premier temps, de rappeler

le, ou plutôt les sens exacts du terme "paradigme" dans la pensée de Th. Kuhn. Nous

pourrons ensuite, dans une deuxième section, examiner dans quelle mesure l'idée de jeu

sur laquelle fonder une théorie ludique du droit répond aux spécifications du concept de

paradigme. Nous nous attacherons enfin, dans une troisième section, à confronter le

paradigme ludique (si tant est qu'une telle qualification résulte de nos analyses

antérieures) à quelques autres paradigmes qui s'affrontent dans le domaine des sciences

de l'homme et de la société ; la mise en lumière de ces rapports de proximité et/ou de

rivalité devrait également contribuer à une meilleure intelligence du paradigme ludique.

Section 1. Le concept de paradigme dans la pensée de Th. Kuhn.

Il n'est pas aisé - la chose est bien connue - d'assigner un sens précis au concept de

paradigme tel qu'il apparaît dans l'oeuvre de Th. Kuhn. Un critique attentif, non désavoué

par l'auteur, a dénombré non moins de vingt-deux usages distincts du terme4. Kuhn lui-

même concède que, si son ouvrage La structure des révolutions scientifiques devait être

accompagné d'un index thématique, l'entrée "paradigme" devrait être suivie de la

mention : "pp. 1-172, passim" : autant dire que le concept informe l'ensemble de l'oeuvre

et y prend, inévitablement, des connotations diverses. Il reste que Kuhn croit néanmoins

pouvoir ramener à deux sens principaux les multiples usages de son concept de

paradigme. Nous y reviendrons.

Auparavant, on voudrait expliquer la fonction du paradigme en le replaçant dans le

contexte général de la thèse de Kuhn. Celui-ci entend livrer une théorie des révolutions

scientifiques qui, à certains moments, affectent la marche de la science normale, avant

qu'elle retrouve un nouvel équilibre. L'enjeu de ces mutations n'est autre que le combat en

vue du maintien de l'ancien paradigme ou de l'adoption d'un nouveau, si tant est qu'une

science ne peut produire de résultats satisfaisants qu'autant que le groupe scientifique

concerné s'accorde sur un cadre théorique commun (nous disons provisoirement "cadre

théorique", bien que, on le verra bientôt, le paradigme est une notion plus large que celle

3. Paris, L.G.D.J., 1992, 300 p. L'ouvrage regroupe treize contributions. 4. Th. KUHN, La structure des révolutions scientifiques, Paris, 1972, p. 215 (Il s'agit de la traduction

de la nouvelle édition augmentée de 1970). Dans la suite, nous citerons cet ouvrage directement dans le cours du texte à l'aide de la mention SRS, p.

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de "cadre théorique"). Ce cadre théorique - le paradigme - détermine une tradition de

recherche en fournissant aux scientifiques les hypothèses de travail et les méthodes

nécessaires pour procéder à l'exploration systématique du domaine que couvre, au moins

présomptivement, ce cadre. L'attachement obstiné à celui-ci permet, en période

"normale", la résolution systématique des énigmes (puzzles) qui s'y présentent, ainsi que

l'accumulation d'un savoir cumulatif considérable, au moins dans une direction

déterminée. Paradoxalement, c'est aussi cette fidélité au paradigme qui prépare la voie à

son dépassement (SRS, p. 86). En effet, seul l'attachement à un corps fixe d'hypothèses et

de méthodes permettra de faire surgir, un jour ou l'autre, des "anomalies", qui, si elles

viennent à se répéter sans trouver de solution, ouvriront une période de "crise"

caractéristique de la science "extraordinaire" au cours de laquelle la communauté

procède à la recherche, dispersée et fiévreuse, d'un paradigme plus satisfaisant. On peut

donc dire que le paradigme ancien, fécond dans un premier temps, devient - dans le

langage de G. Bachelard - un "obstacle épistémologique"5 qu'il s'agira de surmonter et de

dépasser dans un deuxième temps.

Le contexte général de la démonstration étant maintenant fixé, nous pouvons revenir

aux sens qui s'attachent au concept de paradigme. Kuhn, disions-nous, croit pouvoir les

ramener à deux (SRS, p. 207)6.

Le premier sens viserait : "tout ce à quoi adhère un groupe scientifique" (TE,

p. 392), ou encore : "l'ensemble des croyances, de valeurs reconnues et de techniques qui

sont communes aux membres d'un groupe donné" (SRS, p. 207). A cet ensemble, Kuhn

donne le nom de "matrice disciplinaire" (SRS, p. 215 ; TE, p. 396).

Quant au second sens, il viserait : "un sous-ensemble du premier" (TE, p. 392), "les

solutions d'énigmes concrètes qui, employées comme modèles ou exemples, peuvent

remplacer les règles explicites en tant que bases de solutions pour les énigmes qui

subsistent dans la science normale" (SRS, p. 207). A ce sous-ensemble, Kuhn donne le

nom d'"exemple commun" (SRS, p. 221) ou d'"exemplaire" (TE, p. 397).

On peut penser néanmoins que cette distinction entre "matrice disciplinaire" et

"exemplaire" ne fait pas suffisamment justice à la richesse des analyses de Kuhn, et qu'il

convient d'en élaborer une seconde qui n'apparaît pas très explicitement sous sa plume,

5. G. BACHELARD, La formation de l'esprit scientifique, Paris, 1977, chap. 1 : "La notion d'obstacle

épistémologique". 6. Voyez aussi Th. KUHN, La tension essentielle. Tradition et changement dans les sciences, trad. de

l'anglais par M. Biezunski, P. Jacobs, A. Lyotard-May et G. Voyat, Paris, 1990 (l'édition anglaise remonte à 1977),p. 392. Dans la suite, nous citerons cet ouvrage directement dans le cours du texte à l'aide de la mention : TE, p.

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notamment parce qu'elle croise partiellement la première. Il s'agirait, selon nous, de

distinguer encore un sens sociologique du paradigme, relatif à sa genèse et sa fonction (en

tant que matrice disciplinaire et exemple commun), et un sens cognitif ou méthodologique

relatif cette fois à son contenu (en tant que matrice disciplinaire et exemple commun).

Au sens sociologique, est paradigme ce qui est accepté par un groupe donné (Kuhn

parle parfois de "communauté") de chercheurs, le groupe scientifique étant défini par

référence aux personnes qui pratiquent une certaine spécialité scientifique (ou un secteur

particulier de cette discipline) (SRS, p. 209). Les critères d'appartenance au groupe ainsi

défini tiennent notamment au fait que ces personnes ont bénéficié d'une formation

professionnelle comparable, ont assimilé la même littérature et en ont tiré les mêmes

leçons, appartiennent à des sociétés savantes et sont abonnés aux mêmes périodiques

scientifiques. De cela se dégage une "relative unanimité" de jugement en matière

professionnelle (TE, p. 394), voire même une activité de recherche "hautement

convergente", fermement fondée sur "un solide consensus" (TE, p. 307). Ce consensus

repose sur une familiarité partagée avec le domaine de recherche concerné, induite par

un apprentissage de terrain, une formation "par l'exemple" (SRS, p. 226) : d'où l'utilité du

paradigme en tant qu'"exemple commun" - il s'agit, en effet, pour les futurs scientifiques,

d'apprendre à voir un nouveau problème comme apparenté à un problème typique

(paradigme) dont on connaît déjà la réponse. Une communauté scientifique se soude ainsi

par un ensemble d'intuitions collectives, de dispositions acquises, de connaissances

tacites, qui ne sont pas nécessairement verbalisées ou théorisées, et qui débordent de loin

les règles explicites qui prétendraient diriger la pratique effective suivie par ce groupe7.

Au sens sociologique, le paradigme s'entend donc d'un ensemble de dispositions acquises

par l'expérience permettant à un groupe de chercheurs de se livrer aux activités de la

science normale.

Au sens cognitif, le paradigme vise la matrice disciplinaire et les exemples

communs. Quant à la matrice disciplinaire, elle contient quatre séries d'éléments (SRS,

p. 216 à 221) :

(1) des "généralisations symboliques" qui prennent la forme de formules ou de lois

scientifiques ("l'action est égale à la réaction"), certaines d'entre elles s'analysant

comme des définitions fondamentales (et souvent tautologiques) de la discipline ;

7. En ce sens, cf. P. DUMOUCHEL, v° Paradigme, in Encyclopédie philosophique universelle. II Les

notions philosophiques, t. II, Paris, 1990, p. 1847-1848. Cf. notamment SRS, p. 64 : dès lors que les paradigmes sont une certaine façon de "voir" le monde (ainsi les astres avant et après Copernic), "il se peut que les paradigmes soient plus anciens, plus complets et plus contraignants que n'importe quel ensemble de règles de recherche qu'on pourrait en abstraire sans équivoque".

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(2) "la partie métaphysique des paradigmes", c'est-à-dire l'adhésion à un certain nombre

de croyances (telle que : "la chaleur est l'énergie cinétique des parties constituantes

des corps"). Ces modèles métaphysiques engendrent des modèles "heuristiques" ("les

molécules de gaz se comportent comme de petites boules de billard élastiques, se

mouvant au hasard") qui, eux-mêmes, se traduisent souvent par un ensemble de

métaphores et d'analogies préférées par les membres du groupe ;

(3) des "valeurs", qui, bien que partagées par les membres de la communauté

scientifique, peuvent néanmoins différer dans leur application concrète ; on

souhaitera, par exemple, que les prédictions soient "vraies", que les théories soient

"simples, cohérentes et plausibles", que les résultats scientifiques présentent une

certaine "utilité sociale" ;

(4) les "exemples communs" qui visent les cas archétypiques identifiés comme modèles

de base par les étudiants et qui concernent des réussites scientifiques

particulièrement exemplaires dans le domaine concerné - nous dirions, mais

l'expression ne se trouve pas chez Kuhn, quelque chose comme un "lieu commun", un

topos de la discipline. Ce quatrième élément de la matrice disciplinaire, on l'aura

compris, ne diffère pas du second sens ("exemplaire") que distingue Kuhn.

Nous en savons ainsi suffisamment pour tenter maintenant de répondre à la question

que nous nous sommes posée : "dans quelle mesure l'idée du jeu peut-elle prétendre au

titre de paradigme de la science juridique" ?

Section 2. Application à la théorie ludique du droit.

L'idée de jeu, telle qu'elle est reçue dans le champ de la théorie du droit, est-elle un

paradigme au sens sociologique ? Pour répondre à cette question, il faut commencer par

identifier le groupe de référence, ce qui, assurément, n'est pas l'opération la plus simple.

Pour nous limiter à ce seul aspect de la question : faut-il, oui ou non, inclure dans la

communauté pratiquant la science du droit, les auteurs dits de "doctrine", ou encore les

auteurs s'inscrivant dans le cadre de la "dogmatique juridique" ? Tout dépendra, bien

entendu, de la définition qu'on adoptera de la science du droit (mutatis mutandis,

comparaison n'est pas raison, on peut aussi demander si l'alchimie relève de la chimie,

ou l'astrologie de l'astronomie). Quant à nous, nous considérons que la dogmatique

juridique ne relève de la science du droit qu'au sens faible : il s'agit d'une rationalisation

du discours pratique qui, si elle contribue très utilement à la définition, classification et

systématisation des solutions juridiques, n'en est pas moins largement tributaire des

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objectifs pratiques qui s'imposent aux acteurs de ce discours (sujets de droit, plaideurs,

juges, législateurs, administrateurs…). Ces objectifs pratiques se traduisent par des

postulats ou des dogmes qui ne sont guère susceptibles de preuves contraires (tels les

postulats de rationalité et souveraineté du législateur). Rien n'interdit de qualifier ces

postulats de "paradigmes" - nous l'avons fait ailleurs8 - mais il s'agit des paradigmes de

la dogmatique juridique et non de ceux de la science du droit au sens strict. Par sens

strict - ou sens fort - de la science du droit, nous visons les théories explicatives de

l'objet "droit", des théories ayant pratiqué un minimum de "rupture épistémologique" à

l'égard de celui-ci et ne se contentant donc pas de le décrire (ou de le reproduire) de

façon interne9. Parmi ces théories "externes", nous privilégions celles qui adoptent un

"point de vue externe modéré", combinant explication et interprétation de l'objet "droit"

(qui est donc à la fois reçu et reconstruit), mais cette précision ne doit pas être

développée ici10.

Il apparaît maintenant que, même ainsi réduite au domaine des théories "externes",

la science du droit n'a pas adopté le paradigme du jeu. On ne trouve pas, en effet, en son

sein, ce "solide consensus", cette recherche "hautement convergente", ni même cette

"relative unanimité" dont parlait Kuhn. Se peut-il que, dans l'avenir, le modèle du jeu

bénéficie d'un tel accord ? Pour répondre à cette question, il convient d'observer que, à

l'heure actuelle, la science juridique (au sens où nous l'avons définie) ne semble s'être

jamais accordée sur aucun paradigme quelconque. Mais alors se pose une nouvelle

interrogation, tout à fait fondamentale : cette absence de convergence traduit-elle une

faiblesse particulière de la science juridique, ou bien s'agit-il d'une situation qui affecte

l'ensemble des sciences de l'homme et de la société ?

Bien qu'on ne puisse nier que l'expression "paradigme" est très souvent utilisée

dans le contexte de ces disciplines, la question mérite d'être reposée au bénéfice d'une

lecture attentive des textes de Kuhn. Tout porte à croire que la situation qui prévaut

généralement est de caractère "pré-paradigmatique", qui est celle des sciences en crise,

ou sciences "extraordinaires", marquées par les traits suivants : prolifération et

affrontement de théories différentes ou de variantes d'une même théorie, absence de

recherche systématique : chacun travaille pour son compte, comme au hasard, et semble

disposé à "essayer n'importe quoi", sentiment général de crise, recours permanent à la

8. F. OST et M. van de KERCHOVE, Jalons pour une théorie critique du droit, Bruxelles, 1987,

chap. II, Rationalité et souveraineté du législateur, "paradigmes" de la dogmatique juridique ?, p. 97 et s.

9. F. OST, v° Science du droit, in Dictionnaire encyclopédique de théorie et sociologie du droit, Paris-Bruxelles, 1988, p. 363 et s.

10. Pour plus de détails, cf., notamment, F. OST et M. van de KERCHOVE, Jalons pour une théorie critique du droit, op. cit., p. 23-95.

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philosophie et aux discussions sur les fondements (SRS, p. 114). Les sciences exactes

connaissent, elles aussi, de tels symptômes lorsqu'elles ont à affronter une mise en cause

de leurs paradigmes : ainsi en fut-il, par exemple, de l'optique physique à la fin du XVIIe

siècle, lorsque s'affrontèrent de nombreuses conceptions différentes au sujet de la nature

de la lumière (TE, p. 311). Cette période pré-paradigmatique est, pourrait-on dire, le

temps des écoles : à défaut de consensus, on rencontre, en effet, des écoles qui se

disputent la domination d'un certain secteur à l'aide de points de vue incompatibles sur

les mêmes sujets (SRS,p. 211). Un grand nombre d'observations sont accumulées, mais,

faute d'un plan systématique d'investigation, ne s'opère aucune accumulation du savoir,

tout étant chaque fois à recommencer à partir d'hypothèses nouvelles.

En dépit de ce sombre diagnostic, Kuhn concède néanmoins que "chacune des

écoles dont la concurrence caractérise la période antérieure est guidée par quelque

chose qui ressemble beaucoup à un paradigme" (SRS, p. 12, nous soulignons)11. Parlant

des sciences sociales, il écrira même : "le siècle actuel semble voir émerger un premier

consensus dans certaines parties d'un petit nombre de sciences sociales" (TE, p. 313).

Par ailleurs, il admettra également qu'"on peut toujours pratiquer une science - comme on

pratique la philosophie, l'art ou la science politique - sans un consensus ferme" ;

simplement, une telle pratique, parce que plus souple, "n'engendrera pas le type de

progrès scientifique substantiel et rapide" que produit la science normale (TE, p. 313).

Comment concilier ces diverses positions ? Nous pensons qu'il est possible de

conclure que, dans le domaine des sciences sociales, la situation est de type "pré-

paradigmatique" caractérisée par l'affrontement des écoles, même si certains secteurs

limités semblent fonctionner de manière quasi-consensuelle (savoir s'il est

intrinsèquement possible aux "sciences de l'esprit" d'atteindre le stade paradigmatique, et

définir si cela représente un idéal souhaitable, sont deux questions que nous n'aborderons

pas ici). Sur le plan constatif, qui est celui auquel nous nous situons, nous nous

contenterons d'observer qu'il n'y a pas de raison que la science du droit bénéficie d'un

autre statut ; il est donc prévisible que n'y prévale pas plus qu'ailleurs de consensus

général sur un paradigme fermement établi (sans doute en va-t-il différemment de la

dogmatique juridique, dès lors que celle-ci partage, pour des raisons pratiques plus que

scientifiques, l'adhésion à quelques postulats fondamentaux). Compris au sens

sociologique du terme, aucun paradigme ne s'est véritablement imposé à la science du

droit.

11. A propos des sciences sociales, Kuhn va plus loin encore : "Les membres de tous les groupes

scientifiques, y compris les écoles de la période pré-paradigmatique, possèdent en commun le genre d'éléments auxquels j'ai donné le nom collectif de paradigme" (SRS, p. 211-212, nous soulignons).

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Il reste que, Kuhn l'admettait, les écoles rivales sont guidées par "quelque chose

qui ressemble beaucoup à un paradigme". La contradiction se résout si l'on entend cette

fois "paradigme" au sens cognitif ou méthodologique. Voilà qui relance notre enquête : il

nous faut maintenant examiner dans quelle mesure la théorie du droit comme jeu répond

aux spécifications du paradigme entendu en ce sens.

On se demandera tout d'abord à quel type de "crise", à quel type d'"anomalies" la

théorie ludique du droit entend apporter une réponse. A une crise fondamentale et

récurrente que nous avons désignée, dans un premier temps, par la "loi de la bipolarité

des erreurs"12, avant de l'appréhender ensuite sous l'angle des paradoxes de la pensée

juridique. Le "bipolarité des erreurs" est une expression de G. Bachelard, qui entendait

ainsi viser le fait que "les obstacles à la culture scientifique se présentent toujours par

paires"13. Tout se passe, en effet, comme si la marche de l'esprit scientifique était "une

oscillation pleine de saccades et de tiraillements", la recherche ne cessant d'être

"entravée par deux obstacles en quelque manière opposée"14. Bachelard précise son

propos en notant une oscillation permanente entre un excès d'empirisme dépourvu de

théorisation, et l'excès inverse de théorie dépourvue d'expérimentation. Appliquant cette

hypothèse à la science du droit, nous dénoncions, quant à nous, deux positions réductrices

: la position interne qui, à défaut d'objectivation critique, reproduit les dogmes de la

pratique (cf. supra), et la position externe radicale qui, à défaut de prendre en compte les

constructions des juristes, ne parvient pas à expliquer ni à interpréter ce qu'on entend

communément par "droit"15. Cette grille de lecture était assurément susceptible de

nombreuses applications dans le champ juridique ; nous en avons proposé six

illustrations en privilégiant six couples de théories à la fois opposés et solidaires dans

leur commune réduction du phénomène "droit" : il s'agissait respectivement du

iusnaturalisme et du iuspositivisme, du subjectivisme et de l'objectivisme, du

rationalisme et de l'irrationalisme, du normativisme et du réalisme, de la hiérarchie et de

la circularité, du monisme et du pluralisme.

S'exprimant dans des termes assez voisins à propos du droit, P. Bourdieu

dénonçait, quant à lui, "l'alternative qui domine le débat scientifique à propos du droit,

celle du formalisme, qui affirme l'autonomie absolue de la forme juridique par rapport au

monde social, et de l'instrumentalisme qui conçoit le droit comme un reflet ou un outil au

12. F. OST et M. van de KERCHOVE, De la "bipolarité des erreurs" ou de quelques paradigmes de la

science du droit, in Archives de philosophie du droit, 1988, t. 33, p. 177 et s. 13. G. BACHELARD, La formation de l'esprit scientifique, op. cit., p. 20. 14. Ibidem. 15. Cf. F. OST et M. van de KERCHOVE, De la "bipolarité des erreurs" ou de quelques paradigmes

de la science du droit, op. cit.

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service des dominants"16. Bien d'autres oppositions du même genre, encombrant la

réflexion juridique de façon aussi récurrente qu'insistante, pourraient être mises en

exergue. Plus important est de montrer que l'explication des phénomènes juridiques

requiert que l'on s'engage résolument dans une troisième voie, qui fait de l'hybridation ou

de l'interaction des pôles opposés son repère systématique : ainsi faudrait-il parler

d'"autonomie relative" du droit, pour reprendre l'opposition observée par Bourdieu, ou

encore de "réalisme normativiste", de "hiérarchie enchevêtrée" ou de "pluralisme

stratifié", pour nous en tenir à l'une ou l'autre de nos propres distinctions.

Cette voie de l'hybridation nous conduisait très directement à penser les paradoxes

de la pensée juridique, dont la théorie du jeu entend directement rendre compte. S'il est

vrai que cette pensée juridique ne cesse de s'empêtrer dans ces dichotomies, c'est que,

peut-être, ces oppositions sont réellement constitutives de la réalité juridique. Plutôt que

de prétendre les occulter ou les dissoudre, il convient alors de les "mettre en tension", de

les faire travailler de concert (littéralement : interagir), afin de les surmonter sans les

abolir pour autant. Si la "crise" de la pensée juridique est, en quelque sorte, structurelle

et récurrente, ce sont cette structure et cette récurrence qu'il faut théoriser et traiter : le

modèle ludique des paradoxes est construit à cette fin. Du même coup se laissaient

entrevoir des paradoxes encore plus fondamentaux que ceux que révélaient les diverses

théories en "ismes" déjà évoquées. On citera notamment ces faits que le droit n'a pas la

maîtrise intégrale du code du légal et de l'illégal que pourtant il régit (quelle est alors la

source de la légalité ?), qu'il n'a pas d'accès direct aux faits que pourtant il commande,

que ses frontières, poreuses et réversibles, lui sont aussi bien internes qu'externes, que

les règles du jeu qu'il instaure pour pacifier les conflits et guider les comportements sont

elles-mêmes l'enjeu d'un conflit permanent, que les acteurs du jeu juridique sont autant

des partenaires que des adversaires, que la connaissance du droit implique de se situer à

la fois dedans et dehors, et que sa légitimité repose tant sur le consensus dont il bénéficie

que sur la possibilité de dissensus. Tous ces faits, qui constituent assurément des

"anomalies", voire même des scandales logiques pour les théories classiques (qui

s'empresseront ou de les occulter ou de les réduire), trouvent au contraire leur

explication dans la théorie dialectique du jeu.

Reste alors à examiner dans quelle mesure cette théorie contient les divers éléments

constitutifs de ce que Kuhn appelait la "matrice disciplinaire". Le premier de ces

éléments, on s'en souvient, consistait dans les "généralisations symboliques" de la

discipline : formules et lois fondamentales de la théorie concernée. Celles-ci sont

facilement identifiables dans la théorie du jeu. Citons, notamment, la définition fondatrice 16. P. BOURDIEU, La force du droit. Éléments pour une sociologie du champ juridique, in Actes de

la recherche en sciences sociales, 1986, n° 64, p. 4.

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du jeu comme "mouvement dans un cadre" (et ses conséquences : trop de mouvement, le

cadre se disloque et cesse le jeu ; trop de contrainte, le mouvement se bloque, et le jeu

cesse pareillement), ou encore des formules comme celles-ci : "au-delà des règles du jeu,

il n'y a pas indétermination, mais sens du jeu", "jouer contre quelqu'un ou quelque chose,

c'est aussi jouer avec quelqu'un ou quelque chose", "sans case vide, pas de jeu possible".

Mais il faudrait également évoquer les très nombreuses formules relatives à la méthode

dialectique sous-jacente au modèle ludique. Par exemple : "chaque terme est sa propre

médiation", "le même est aussi un autre", "l'ordre procède du désordre et le désordre de

l'ordre", "la partie liée plutôt que la part entière", "ni, ni" "le retour du tiers ou le tiers

inclus". Ces formules, quelque peu sibyllines, s'éclairent pleinement à la lumière de la

méthode dialectique. Sans doute n'est-ce pas le lieu de la rappeler ici. Contentons-nous

seulement de dire que cette méthode s'oppose à la logique linéaire de la simplicité (la

dialectique relève d'une logique récursive de la complexité) dont le modèle

"paradigmatique" peut être trouvé chez Descartes. Isoler des objets ("clairs et distincts")

de leur environnement et de l'observateur qui les étudie (au bénéfice de la distinction

radicale entre "substance pensante" et "substance étendue"), établir des relations

linéaires et hiérarchisées entre ces éléments : tel est le propre de la rationalité, du

"paradigme" cartésien. Philosophie du "tiers exclu", qui s'ancre solidement sur les

principes d'identité (A = A) et de non-contradiction (A n'est pas non-A). Le modèle

dialectique de la complexité est, au contraire, celui du "tiers inclus". Ce modèle suppose

que soient établies des relations récursives d'interaction entre les éléments distingués et

pourtant solidaires, qu'il s'agisse de l'objet et de son environnement, de l'observé et de

l'observateur, de la cause et de l'effet, de l'interne et de l'externe, etc.… Chacun de ces

éléments se diversifie en quelque sorte ("chaque terme est sa propre médiation"), leur

identité est traversée par une différence où se recueille quelque chose de l'identité de

l'autre élément, de sorte que leur interaction devient possible. Diverses transformations

s'observent alors entre eux, au sens littéral de "trans-formation" : passage d'une forme à

une autre, et ce dans l'élément tiers de "l'entre-deux" de leurs rapports. Ce champ de

l'"entre-deux" n'est autre que l'espace de jeu où s'expérimentent les propriétés émergentes

du jeu : les enjeux du mouvement ludique. La méthode dialectique n'est autre que la "mise

sous tension" des éléments mis en présence par l'analyse, afin qu'entre eux circule

quelque chose comme un "courant" qui est celui-là même de la vie, de l'histoire - nous

disons : du jeu.

La deuxième série d'éléments constitutifs de la matrice disciplinaire consiste dans

les thèses "métaphysiques" à la base de la théorie, thèses susceptibles de générer des

modèles heuristiques et des réseaux d'analogies et de métaphores. L'ontologie sous-

jacente à la théorie du jeu est, bien entendu, de nature dialectique. De celle-ci, nous

dirons seulement ce qu'en disait déjà Héraclite : elle enseigne la négativité de toute chose

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(qui est, et n'est pas, ce qu'elle est) et la processualité de l'être (qui devient ce qu'il est).

Laissant ici de côté la question de savoir si la dialectique est dans les choses (Platon),

dans les idées (Aristote), ou dans les deux à la fois (Hegel), nous nous contenterons de

souligner, à la suite de M. Merleau-Ponty, que la vraie dialectique est "sans synthèse"

(toujours recommencée, comme le jeu), et que, pour cela, elle se garde tant du positif

absolu que du négatif absolu17. La vraie dialectique est la pensée du rapport (qui

suppose, par hypothèse, un jeu d'identité et de différence) ; on pourrait dire encore :

pensée du "milieu", le milieu étant précisément le champ d'interaction et de

transformation des éléments mis en rapport.

La dialectique n'est pas seulement une ontologie fondamentale ; elle génère

également une méthode (littéralement : un chemin - du grec oJdo"), laquelle est à la

source de modèles heuristiques extrêmement féconds. Pour être plus exact, il faudrait

parler d'une modélisation plutôt que d'une série de modèles distincts. La modélisation

produisant l'effet heuristique recherché tient ici dans une certaine forme standard

("paradigmatique") que revêt l'explication. Dans chaque cas étudié, il s'agira de

problématiser les données d'observation en repérant les positions antagonistes qui

s'affrontent, en pointant le jeu de leur interaction, en notant les propriétés émergentes qui

en résultent ; seront également décrites les contraintes qui pèsent sur ce jeu, la marge de

manoeuvre dont disposent les acteurs, ainsi que les enjeux de la partie. La théorie du jeu

revêt donc une "forme" très aisément identifiable et qui dispose de la sorte d'une grande

capacité d'"information" (ou "mise en forme") des problèmes étudiés. Dans l'ouvrage

déjà cité, Le droit ou les paradoxes du jeu, nous avons appliqué cette "forme" à cinq

couples d'oppositions qui nous ont permis de renouveler l'approche de bon nombre de

problèmes de la théorie du droit : il s'agissait respectivement de "stratégie et

représentation", "coopération et conflit", "réalité et fiction", "régulation et

indétermination", "internalité et externalité". Application systématique de ces cinq paires

de concepts dialectiquement liés fut faite à l'étude de questions comme la définition,

l'interprétation et la validation du droit, mais aussi aux questions de son fondement, de

son épistémologie et de l'éthique de sa mise en oeuvre. Sans pouvoir développer ici les

résultats auxquels cette méthode a conduit dans ces domaines ainsi que dans quelques

autres, nous pensons pouvoir dire qu'elle a contribué à renouveler l'approche qui en est

faite généralement, notamment en les ramenant à une matrice théorique commune. De ce

point de vue, la vertu heuristique de la théorie dialectique du jeu est indéniable.

Kuhn notait encore que la partie métaphysique des paradigmes, outre des modèles

heuristiques, avait encore la particularité de générer des familles d'analogies et de

17. M. MERLEAU-PONTY, Le visible et l'invisible, Paris, 1964, p. 129-130.

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métaphores. En ce qui nous concerne, nous n'aurons guère de difficultés à lui donner

raison : le concept de jeu fonctionne, en effet, au regard de la méthode dialectique,

comme une immense métaphore, qui présente de surcroît la particularité intéressante

d'être elle-même une sorte de matrice métaphorique. Il est clair, en effet, qu'autour de

l'idée de jeu s'articule une chaîne de notions formant véritablement système. Il y a,

pourrait-on dire, un champ lexical du jeu qui enrichit d'autant le pouvoir heuristique de la

métaphore originaire : le jeu implique le joueur, le jouet, l'enjeu, la règle du jeu ; il

suppose aussi une marge de jeu, un but du jeu, un sens du jeu ; il intervient dans une

multitude de locutions et d'expressions convenues ("hors jeu", "double jeu", "être pris au

jeu", "ce n'est pas du jeu"…). Les métaphores sont parfois déconsidérées, dans le

domaine scientifique, comme si elles n'étaient que des pensées approximatives et des

concepts hésitants. C'est le mérite de Kuhn de les avoir réhabilitées en soulignant leur

pouvoir heuristique. Nous sommes ici au coeur de ce qu'il entend par paradigme comme

liaison entre du déjà connu et de l'encore indistinct : la métaphore fait liaison et étend

d'autant le pouvoir d'élucidation de la théorie. Lorsque, de surcroît, comme c'est le cas

pour la métaphore ludique, la métaphore exerce elle-même une fonction précise dans un

vaste système notionnel (ou évoque ce système et ses multiples connexions), la précision

de l'analyse s'ajoute au caractère heuristique du modèle.

Un paradigme s'accompagne également d'un certain nombre de valeurs partagées

par les membres du groupe. En dépit de l'accusation de frivolité, ou même d'immoralité,

que l'on formule souvent à son encontre, la pratique du jeu s'accompagne pourtant de

valeurs fondamentales : qu'il suffise d'évoquer le respect de la parole donnée, la

formation à la règle et aux complexités de son interprétation, l'acceptation de la défaite et

des coups du hasard, la prise au sérieux des enjeux du jeu, l'initiation aux contraintes de

la vie de groupe, la discipline du corps et le réglage de ses performances. Et encore le

fair play et le respect de l'adversaire, qui, vainqueur ou vaincu, est d'abord un

partenaire18. Le jeu lui-même est donc un modèle d'interaction sociale policée par le

respect de valeurs fondamentales. Mais, dira-t-on, il ne s'agit pas tant ici du jeu lui-même

que du paradigme ludique : de quelles valeurs s'accompagne-t-il ? Le paradigme ludique

ne produit pas seulement une "forme", mais également un ejqo"", une éthique, en plus

d'une esthétique. L'ejqo" de ce modèle réside, nous semble-t-il, dans le dialogue

argumenté des perspectives plutôt que dans l'affirmation unilatérale de vérités certifiées.

Cette recherche coopérative de validation des énoncés résulte elle-même de l'acceptation

du pluralisme des points de vue, du gradualisme des solutions, ainsi que du fait qu'est

assumé le risque de l'incertitude du résultat. Le paradigme ludique implique une

communication scientifique sincère (par opposition au modèle du "tricheur") et collective 18. Sur tout ceci, cf. M. van de KERCHOVE et F. OST, Le droit ou les paradoxes du jeu, op. cit., p. 219

et s.

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(par opposition au modèle "monologique") ; il refuse tout autant le scepticisme nihiliste

(arrêt du jeu par refus des enjeux) que l'absolutisme dogmatique (arrêt du jeu par

monopolisation des enjeux) ; il suppose une circulation de la parole dont le caractère

coopératif n'oblitère pas les éléments compétitifs et conflictuels. Sans doute l'éthique

procédurale de la communauté communicationnelle dont parlent Apel et Habermas

donne-t-elle une idée assez exacte des valeurs que nous associons au paradigme du droit

comme jeu. Ajoutons encore ceci : si tant est qu'une théorie peut prétendre exercer des

effets pratiques dans le domaine-objet qu'elle étudie, alors la prétention de la théorie du

droit est une prétention "critique", au sens d'"émancipatoire" que lui donnait Habermas19.

Le simple fait d'introduire un peu de jeu dans le sérieux du droit ne contribue-t-il pas, en

effet, à cette salutaire distanciation ?

Finalement, les quatrièmes éléments constitutifs de la "matrice disciplinaire"

étaient les "exemples communs". En ce qui concerne la genèse de notre propre théorie du

droit comme jeu, les "lieux communs" qui ont été perçus en premier lieu et qui nous ont

mis progressivement sur la voie des autres paradoxes dialectiques de la théorie furent,

d'une part, le fait que toute règle du jeu impliquait nécessairement une dose

d'indétermination, l'espace de jeu où se déploie le sens du jeu des acteurs (cette thèse

peut être mise à la base d'une théorie de l'interprétation de la loi) ; ce fut, d'autre part, la

prise de conscience de ce que toute règle du jeu est susceptible de faire l'objet d'un

conflit quant à son application (conflit "sous" la règle), mais encore d'un conflit au

second degré concernant son élaboration ou sa ré-élaboration (conflit "sur" la règle) :

autrement dit, la règle du jeu peut être elle-même l'enjeu d'un jeu conflictuel à un niveau

supérieur (cette thèse peut être mise à la base d'une théorie de la législation).

Au-delà de notre cas personnel, on peut retenir deux domaines de la théorie du

droit où l'exemple du jeu est évoqué par divers auteurs, même étrangers à la théorie

ludique. Il s'agit du procès, ainsi que de la nature des règles fondamentales du système,

telles ses règles secondaires de reconnaissance. R. Dworkin20 et M. Weber21, notamment,

ont décrit le procès, ainsi que le rôle du juge, à l'aide du modèle du jeu et de l'arbitre

dont on mettra tout à tour en lumière les aspects symboliques et stratégiques. G. Soulier,

A. Garapon, S. Andrini, W. Ackermann et B. Bastard ont apporté récemment, dans les

Actes du colloque déjà cité, de substantielles contributions à ce thème22.

19. J. HABERMAS, La technique et la science comme "idéologie", trad. par J.R. Ladmiral, Paris, 1973,

p. 145. 20. R. DWORKIN, Judicial discretion, in The Journal of philosophy, 60, 21 (october 1963), p. 624-

638. 21. M. WEBER, Gesammelte Aufsätze zur Wissenschaftslehre, Tübingen, 1922, p. 351. 22. Le jeu: un paradigme pour le droit, op. cit., p. 15 à 77.

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Quant au domaine des règles de reconnaissance, c'est évidemment à l'oeuvre de

H. Hart que l'on doit leur présentation sous l'angle de règles du jeu, de même nature que

les "règles constitutives", telles les règles du football ou des échecs, qui "créent pour

ainsi dire la possibilité même d'y jouer"23. Ces règles constitutives - règles secondaires

dans la terminologie de Hart - définissent le cadre institutionnel de chaque jeu (y compris

celui du droit) : elles habilitent les joueurs et définissent leurs pouvoirs respectifs,

déterminent les enjeux de la partie et fixent les buts du jeu. Inutile d'insister sur

l'importance centrale de ces deux exemples : le procès et les règles constitutives sont

assurément au coeur même de l'ordonnancement juridique.

23. J. R. SEARLE, Les actes du langage. Essai de philosophie du langage. trad. par H. Pauchard, Paris,

1972, p. 72 ; en ce qui concerne H. HART, cf. le v° jeu qui figure à l'index de son ouvrage fondamental Le concept de droit, trad. par M. van de KERCHOVE, Bruxelles, 1976.

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o o

L'idée de jeu peut-elle prétendre au titre de paradigme de la science juridique ? Au

terme de ce rapide examen, nous pouvons conclure par la négative en ce qui concerne le

sens sociologique du paradigme (on en reste, de ce point de vue, au stade pré-

paradigmatique et à l'affrontement des écoles) ; en revanche, il est possible de réserver

une réponse positive en ce qui concerne l'aspect cognitif ou méthodologique du

paradigme. La théorie ludique du droit, fermement basée sur une méthode dialectique,

répond bien à une crise récurrente de la pensée juridique classique ; elle présente, par

ailleurs, les quatre éléments constitutifs du paradigme au sens le plus large de matrice

disciplinaire.

Deux observations encore pour conclure cette section.

Première observation : une théorie ne peut évidemment tout expliquer, sous peine

de ne rien expliquer du tout. Le caractère explicatif de la théorie du droit comme jeu

présente donc des limites. Celles-ci sont atteintes dès qu'il n'y a plus "mouvement dans un

cadre", ce qui arrive lorsque le jeu s'arrête par excès de mouvement (à défaut de

contraintes, de règles, de conventions, s'installe le règne du hasard, de l'arbitraire ou de

la violence pure), ou, à l'inverse, par excès de contraintes (dans ce cas, aucune place ne

demeure pour l'intervention des acteurs). Il est cependant permis de se demander si, dans

une très large mesure, les limites du jeu ainsi définies ne correspondent pas avec les

limites du droit lui-même.

Deuxième observation : la théorie ludique - et a fortiori la méthode dialectique- ne

sont pas des instruments de définition de l'objet "droit", pour la raison bien simple

qu'elles s'appliquent avec succès à de nombreux autres domaines, comme l'atteste une

abondante littérature philosophique, psychologique, économique et sociologique

notamment24. Notre paradigme éclaire et explique le droit, il ne le définit pas.

24. Cf. M. van de KERCHOVE et F. OST, Le droit ou les paradoxes du jeu, op. cit., p. 44.

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Section 3. Le paradigme du jeu et quelques-uns de ses concurrents actuels

Après avoir abordé la question de savoir dans quelle mesure l'idée de jeu

possédait les traits essentiels d'un paradigme pour la science du droit, il convient encore

de se demander de quels autres paradigmes il est susceptible de se distinguer et auxquels

il pourrait prétendre se substituer, au moins partiellement.

Pour aborder correctement cette question, il convient cependant de formuler une

triple remarque.

En premier lieu, comme nous l'avons déjà rappelé, la situation des sciences

sociales présente une similitude fondamentale avec ce que Kuhn a appelé la "période

préparadigme" pour les sciences dites exactes, c'est-à-dire une situation où "les

praticiens d'une science sont séparés en un certain nombre d'écoles concurrentes, chacune

prétendant être compétente sur le même sujet, mais chacune l'abordant de manière tout à

fait différente" (TE, p.393, note 1). A la différence des sciences physiques où "le

désaccord sur les fondements est, comme la recherche d'innovations fondamentales,

l'apanage des périodes de crise", les sciences sociales semblent en effet, même en

période normale, "caractérisées par des désaccords fondamentaux qui portent sur la

définition du domaine, la valeur de ses paradigmes et l'énoncé des problèmes" (TE,

p.300-301)25. A la lumière de cette première remarque, il ne saurait dès lors être

question d'envisager la substitution radicale du paradigme du jeu à un paradigme unique

quelconque qui l'aurait précédé. De la même façon qu'une pluralité de paradigmes a,

semble-t-il, de tout temps, divisé la science du droit, il paraît inconcevable que

l'émergence d'un paradigme nouveau tel que l'idée de jeu s'impose aujourd'hui à

l'exclusion de tout autre.

En deuxième lieu, et malgré l'élément fondamental de relativité qu'introduit cette

première remarque, on peut considérer, à la suite de Kuhn, qu'un paradigme ne "s'impose"

ou, tout au moins, ne fait l'objet d'une "reconnaissance partielle" à un certain moment qu'à

deux conditions. La première est qu'il puisse résoudre un problème reconnu qui ne

l'avait pas été; la seconde est que la nouvelle manière de voir les choses préserve les

25. Il est vrai que cette situation est incontestablement encore renforcée dans une période de crise

comme celle d'aujourd'hui. A propos de la sociologie, par exemple, cf. F. DUBET, De l'acteur au sujet, in Cahiers de l'Ecole des sciences philosophiques et religieuses, n°7, 1990, p.114, note 7: "La situation actuelle, telle que peut la percevoir un étudiant en sociologie, est dominée par la diversité des paradigmes et parfois par leur faible communication. Ceci se manifeste par la coexistence de plusieurs Ecoles relativement enfermées dans leur propre univers conceptuel et méthodologique et par la faiblesse de débats centraux, chaque Ecole apparaissant comme autant d'éclats issus de l'explosion d'une sociologie classique, conservatrice ou critique".

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possibilités concrètes que la science avait conquises grâce aux manières antérieures

(SRS, p.200).

Enfin, même si Kuhn a insisté sur le fait que la communication entre théories

différentes est "inévitablement partielle" et que "les discussions sur le choix d'une théorie

ne peuvent prendre la forme d'une preuve logique ou mathématique" (SRS, p.234), il a

également précisé que cette "incommensurabilité"26 n'a qu'une portée relative et n'exclut

pas des efforts de "traduction", voire l'utilisation parfois involontaire d'un langage

théorique différent, qui peuvent constituer un prélude à la persuasion de la supériorité

d'une théorie sur une autre, et éventuellement à une "conversion" proprement dite, c'est-à-

dire à la substitution de l'une à l'autre. Il s'ensuit dès lors que la confrontation de

différents paradigmes à laquelle nous allons tenter de nous livrer n'est pas, même dans la

pensée de Kuhn, une opération dépourvue de sens.

Sans pouvoir étudier ici tous les paradigmes "anciens" -et d'ailleurs toujours

actuels- avec lesquels le paradigme du jeu pourrait entrer en concurrence, nous en

retiendrons quatre qui se partagent très largement les sciences sociales aujourd'hui, aussi

bien dans leurs orientations générales que dans leur approche du phénomène juridique en

particulier. Il s'agit des paradigmes de l'intérêt, du système, de l'acteur et du champ. Tout

en évoquant certains de leurs apports caractéristiques, nous tenterons de montrer en quoi

le paradigme du jeu semble réunir les conditions posées par Kuhn pour les supplanter au

moins partiellement.

1. Le paradigme de l'intérêt

On sait combien, en particulier sous l'impulsion de l'utilitarisme, le paradigme de

l'intérêt a pu envahir, et parfois même dominer, les sciences sociales en général, et

l'économie27, la sociologie28, ainsi que la science administrative29 en particulier. On

n'ignore pas non plus la place importante qui lui a été faite dans la théorie du droit,

depuis les approches philosophiques d'un Bentham30 jusqu'aux approches économiques

26. Sur la discussion de cette notion et les malentendus qu'elle a engendrés, cf. Th. S. KUHN, La

structure des révolutions scientifiques, op.cit., p.234 et s. 27. A cet égard, cf. notamment A. STROWEL, A la recherche de l'intérêt en économie. De l'utilitarisme

à la science économique néo-classique, in Droit et intérêt, vol.1, Approche interdisciplinaire, sous la direction de Ph. Gérard, F. Ost et M. van de Kerchove, Bruxelles, 1990, p.37 et s.

28. Cf. notamment P. LASCOUMES, Intérêt et rationalisation de l'action humaine: la notion d'intérêt en sociologie. Pesanteurs et redéfinition de l'utilitarisme , in Droit et intérêt, vol. 1, op.cit., p.103 et s.

29. Cf. notamment J. CHEVALLIER, Le concept d'intérêt en science administrative, in Droit et intérêt, vol.1, op.cit., p.135 et s.

30. Cf. notamment J. BENTHAM, Traités de législation civile et pénale, in Oeuvres de J. Bentham, jurisconsulte anglais, éd. E. Dumont, t.1, Bruxelles, 1829, p.1 et s. Sur la pensée juridique de

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d'un Posner31, en passant par des théories aussi représentatives que

l'Interessenjurisprudenz d'un auteur comme Heck 32.

La fécondité d'un tel paradigme ne peut être entièrement niée. Il fournit en effet un

modèle d'intelligibilité à la fois flexible et englobant susceptible a priori de rendre

compte de la diversité des niveaux d'activité juridique -création, application et

observance de la norme- tout en permettant d'identifier, au moins partiellement, leurs

logiques réelles de fonctionnement respectives.

Les limites inhérentes au paradigme de l'intérêt paraissent cependant les suivantes.

Détachée de l'étude concrète des acteurs tant individuels que collectifs, de même que des

contextes sociaux dans lesquels elle peut être appréhendée, la notion d'intérêt perd une

grande partie de sa valeur explicative et renvoie seulement soit à une axiomatique

abstraite de la maximisation de ses intérêts personnels ou des intérêts du plus grand

nombre, soit à une tautologie fondamentale, à savoir que toute action se fonde sur la

maximisation des intérêts que cette action a concrètement permis de satisfaire. Dans les

deux cas, la théorie apparaît comme "l'expression d'un processus fondamental de

rationalisation du réel" 33 qui, par un effet de simplification réductrice, ne peut qu'en

fournir un éclairage partiel.

Par ailleurs, si le paradigme de l'intérêt permet d'éclairer la dimension

"instrumentale" ou "stratégique" de l'activité juridique, dimension qui n'est sans doute pas

absente dans la mise en oeuvre législative de certaines politiques publiques34, comme

dans l'élaboration de certaines décisions judiciaires35 ou l'adoption de certains

Bentham, cf. notamment Actualité de la pensée juridique de Jeremy Bentham, sous la direction de Ph. Gérard, F. Ost et M. van de Kerchove, Bruxelles, 1987.

31. Cf. notamment R. POSNER, Economic analysis of law, 3e éd., Boston-Toronto, 1986. Sur l'analyse économique du droit proposée par Posner, cf. notamment A. STROWEL, Utilitarisme et approche économique du droit. Autour de Bentham et de Posner, in Revue interdisciplinaire d'études juridiques, n°18, 1987, p.1 et s.

32. Cf. notamment P. HECK, Interessenjurisprudenz, Gastvorlesung, Tübingen, 1933; Das Problem der Rechtsgewinnung, in R. DUBISCHAR, Das Problem der Rechtsgewinnung. Gesetzauslegung und Interessenjurisprudenz, Bad Homburg von der Höhe, 1968, p.35 et s. A ce sujet, cf. notamment M. BUERGISSER et J.-F. PERRIN, Interessenjurisprudenz. Statut et interprétation de la loi dans l'histoire du mouvement, in Droit et intérêt, vol.1, op.cit., p.327 et s.

33. J. CHEVALLIER, op.cit., p.163. 34. Dans cette perspective, cf. notamment T. DAINTITH (ed.), Law as an instrument of economic policy

: comparative and critical approaches, Berlin -New York, 1988; L'Etat propulsif. Contribution à l'étude des instruments d'action de l'Etat, publié par Ch.-A. Morand, Paris, 1991; P. LASCOUMES et al., Le droit pénal administratif instrument d'action étatique. Incrimination-Transaction, Nemours, 1986.

35. Cf. notamment R. ANDERSEN, Le juge de l'excès de pouvoir et la mise en balance des intérêts en présence, in Droit et intérêt, op.cit. , vol.3, Droit positif, droit comparé et histoire du droit, p.141 et s.

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comportements criminels36, il laisse normalement dans l'ombre -à moins d'élargir

considérablement la notion même d'intérêt 37- ce qu'on peut appeler la dimension

symbolique ou expressive de ces mêmes activités, où le calcul de l'intérêt cède au moins

partiellement la place à "l'affirmation collective d'un sens"38.

En termes comparatifs, le paradigme du jeu semble précisément comporter le

double avantage de préserver les acquis découlant du paradigme de l'intérêt et d'en

combler les lacunes. Si la notion d'"enjeu", indissociable de l'idée même de jeu, permet

en effet de rendre compte de la diversité des intérêts sous-jacents aux activités

juridiques, elle renvoie simultanément aux "joueurs", tantôt individuels, tantôt collectifs,

qui les mettent en oeuvre, de même qu'au "jeu" qui leur donne sens et aux "règles du jeu"

qui les définissent et les organisent. Par ailleurs, si la notion de jeu permet de rendre

compte d'activités stratégiques où domine le calcul, la lutte et la compétition, elle est

également susceptible de rendre compte d'activités expressives ou symboliques où

domine la représentation des valeurs et du sens. Plus fondamentalement encore, elle

permet de rendre compte du lien dialectique qui unit constamment ces deux pôles dans la

réalité juridique39, dans la mesure où, selon l'expression de K. Axelos, "le jeu est lutte

pour et représentation de, lutte et représentation pouvant se combiner, le jeu contenant

toute lutte et représentation"40.

2. Le paradigme du système

36. Cf. notamment G. BECKER, Crime and punishment : an economic approach, in The economic

approach to human behavior, Chicago, 1976, p.32 et s. 37. En ce sens, cf. notamment P. LASCOUMES, Intérêt et rationalisation de l'action humaine, op.cit.,

p.117 où l'auteur distingue trois grands types d' "intérêts protégés" en droit, correspondant aux trois types de rationalité distingués par Max Weber: recherche d'une continuité, poursuite d'un modèle pré-établi, correspondant à la Traditionellrationalität ; recherche d'une valeur, correspondant à la Wertrationalität ; recherche d'un but finalisé, d'un objectif évaluable, correspondant à la Zweckrationalität . Si une telle distinction conserve sans doute toute sa fécondité, on peut se demander cependant si l'utilisation de la notion d'intérêt, pour rendre compte des trois types de rationalité, plutôt que de la seule rationalité intrumentale, n'est pas source de confusion.

38. J.REMY, Comment problématiser le changement social ?, in Le mouvement et la forme. Essais sur le changement social. En hommage à Maurice Chaumont, Bruxelles, 1989, p.126.

39. On peut notamment apercevoir comment le procès illustre parfaitement un tel lien dialectique, sans exclure cependant des pondérations différentes entre ces deux pôles, selon le type de procès considéré. A cet égard, cf. M. van de KERCHOVE et F. OST, Le droit ou les paradoxes du jeu, op.cit., p.134-138.

40. K. AXELOS, Le jeu du monde, Paris, 1969, p.92.

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On a pu dire que "parler du droit comme système" constitue le "thème fondamental

de la théorie du droit moderne"41 et, plus largement, que "le point de vue systémique

représente un nouveau paradigme dans la pensée scientifique"42. Encore faut-il préciser

de quel système il s'agit, dans la mesure où les modèles de systématicité qu'on a pu

invoquer successivement sont multiples43. Il peut s'agir du modèle géométrique du

"système-calcul" tel que Leibniz le concevait déjà pour les juristes de son temps44, du

modèle mécaniciste du "système-machine" sous l'angle duquel Bentham se représentait le

droit45, du modèle vitaliste du "système -organisme" qui, selon Savigny et l'Ecole du

droit historique46, aurait dû renouveler la science du droit, ou, plus récemment, du

"sytème auto-poiétique" transposé dans le domaine juridique par des auteurs comme

Luhmann47 et Teubner48.

Comme nous avons tenté de le montrer ailleurs49, il semble cependant que, bien que

partiellement présentes les unes et les autres, aucune de ces formes de systématicité ne

parvienne à rendre compte adéquatement de la complexité du phénomène juridique.

Malgré la prégnance des "idéaux logiciens" dans la pensée juridique et le style de

raisonnement qu'ils continuent à induire, les limites des caractères déductif, formel et

axiomatique du système juridique peuvent être facilement mises en lumière50. Malgré

l'importance des processus de commande et des dispositifs hiérarchiques qui structurent

l'activité juridique, ceux-ci sont constamment déjoués par de multiples interactions et

enchevêtrements entre niveaux différents51. Bien qu'on ne puisse nier l'importance d'un

certain degré de cohésion fonctionnelle ainsi que d' harmonie téléologique pour la "vie",

voire la "survie" d'un ordre juridique, on ne peut ignorer l'existence de "contradictions

téléologiques" ou d'"inconséquences axiologiques"52 qui limitent la portée réelle d'une

41. R. SEVE, Introduction, in Le système juridique, Archives de philosophie du droit, t.31, 1986, p.1. 42. J. von BERTALANFFY, Théorie générale des systèmes, trad. par J.B. Chabrol, Paris, 1973, p.V. 43. A cet égard, cf. notamment Ch. GRZEGORCYK, Evaluation critique du paradigme systémique

dans la science du droit, in Le système juridique, op.cit., p.281 et s.; M. van de KERCHOVE et F. OST, Le système juridique entre ordre et désordre, Paris, 1988, p.53 et s.

44. G.W. LEIBNIZ, Nova Methodus discendae docendaeque jurisprudentiae, 1667. 45. J. BENTHAM, Of laws in general, in The collected works of Jeremy Bentham, éd. par H.L.A. Hart,

Londres, 1970, p.236. 46. Cf. F.C. von SAVIGNY, Vom Beruf unserer Zeit für GEsetzgebung und Rechtwissenschaft, 1814;

R. von JHERING, L'esprit du droit romain dans les différentes phases de son développement, trad. par O. de Meulenaere, 3e éd., t.I, réimpr. de l'éd. 1886-1888, Bologne, 1969.

47. Cf. notamment Niklas Luhmann observateur du droit, Recueil organisé par A.-J. Arnaud et P. Guibentif, Paris, 1993.

48. G. TEUBNER, Recht als autopoietisches System, Francfort, 1989 (traduit en français sous le titre Le droit, un système autopoiétique, Paris, 1993).

49. M. van de KERCHOVE et F. OST, Le système juridique entre ordre et désordre, op.cit. 50. Ibid., p.66 et s. 51. Ibid., p.105 et s. 52. K. ENGISCH, Einführung in das juristische Denken, 4e éd., Stuttgart e.a., 1956, p.161;

Cl. W. CANARIS, Systemdenken und Systembegriff in der Jurisprudenz entwickelt am Beispiel des deutschen Privatrechts, Berlin, 1969, p.115-116.

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telle forme de systématicité. Enfin, quoique rélle, l'autonomie d'un système juridique est

toujours relative et son aptitude auto-organisatrice nécessairement partielle53. C'est ce

qui nous a permis d'affirmer que le système juridique se situait "entre ordre et désordre"

et que l'enchevêtrement constant de l'un et de l'autre relevait d'une logique à la fois

dialectique et paradoxale dont le paradigme systémique ne peut rendre compte à lui seul.

On pourrait encore ajouter que ce paradigme tend à minimiser, voire occulter

radicalement, l'intervention des acteurs sociaux sur lesquels nous reviendrons ensuite.

A de telles difficultés, il semble, une fois encore, que le paradigme du jeu permette

de faire face, tout en préservant les acquis incontestables du paradigme systémique. En

particulier, tout en rendant compte d'une certaine clôture du phénomène juridique, il

suggère que ses frontières sont partiellement à la fois mouvantes, poreuses et réversibles;

tout en insistant sur la régulation et l'ordonnancement des activités juridiques, il leur

réserve une part nécessaire d'indétermination; tout en soulignant la dimension objective

inhérente au phénomène juridique considéré dans sa globalité ainsi qu'aux règles qui

structurent son fonctionnement, il permet de ne pas oublier la part de subjectivité

créatrice inhérente à l'intervention des différents acteurs juridiques. Plus

fondamentalement, le paradigme du jeu permet précisément de dépasser l'opposition

traditionnelle entre ces différentes catégories et de penser leur relations dialectiques.

3. Le paradigme de l'acteur

Si le paradigme de l'acteur ou, plus traditionnellement, du sujet, a occupé sans

aucun doute une place centrale dans la philosophie du droit moderne, il semble évident

que le développement des sciences sociales en général, et de la science du droit en

particulier, s'est davantage constitué en rupture avec un tel paradigme54. Il n'en est pas

moins certain que l'on assiste, depuis une vingtaine d'années à un véritable "retour de

l'acteur"55 et que cette notion a pu être proposée comme paradigme pour l'étude aussi

bien de la création de la loi56, que de son application57 et de sa transgression58.

53. A cet égard, cf. notamment F. OST, Entre ordre et désordre: le jeu du droit. Discussion du

paradigme autopoiétique appliqué au droit, in Archives de philosophie du droit, t.31, 1986, p.133 et s.; M. van de KERCHOVE et F. OST, Le système juridique entre ordre et désordre, op.cit., p.154 et s

54. En ce qui concerne la sociologie, cf. notamment F. DUBET, Socialisation des acteurs et sujet social, in Acteur social et délinquance. une grille de lecture du système de justice pénale. En hommage au Professeur Christian Debuyst, Liège-Bruxelles, 1990, p. 55: "La sociologie n'a-t-elle pas pour objectif de montrer le caractère social et appris des conduites, des choix et des goûts qui pourraient sembler, naïvement, 'naturels' ou libres ?". En ce qui concerne la science juridique, on citera l'exemple caractéristique de la Théorie pure du droit de Kelsen, dont l'objectivisme radical, a réduit le concept de sujet de droit à une pure fiction.

55. Cf. notamment A. TOURAINE, Le retour de l'acteur. Essai de sociologie, Paris, 1984. 56. Cf. notamment P. LASCOUMES, Pluralité d'acteurs, pluralité d'actions dans la création

contemporaine des lois, in Acteur social et délinquance, op.cit., p.145 et s.; F. TULKENS, Les

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Comme l'a justement fait remarquer F. Dubet, il apparaît cependant que "ce retour

est extrêmement éclaté" et que "l'acteur social y apparaît sous des visages...divers"59. A

sa suite, on peut en distinguer au moins trois différents. Le premier visage est celui de

"l'acteur du marché"60 qui se définit par "la poursuite rationnelle des intérêts"61, et se

heurte aux mêmes limites que celles qui ont déjà évoquées à propos du paradigme de

l'intérêt. Le deuxième visage est celui de l'acteur "construit par son degré d'intégration

sociale" où "la socialisation des acteurs vise l'intériorisation des rôles, des normes et

des codes qui correspondent à des statuts et des positions"62, conception qui renvoye à

une conception fonctionnaliste du paradigme systémique et se heurte aux mêmes limites

que celui-ci. Un troisième visage, enfin, est celui du "sujet historique" qui se définit par

sa "capacité de donner un sens à l'existence"63, c'est-à-dire par une capacité symbolique

propre64. Comme le fait remarquer Dubet, il serait cependant erroné de réduire l'acteur

social à cette troisième figure "ascétique et comme 'aérienne' du sujet personnel". En

réalité, "l'acteur social reste le membre d'un groupe et d'une communauté, il a aussi des

intérêts économiques et statutaires" et il ne devient dès lors un sujet que "dans la tension

entre ces diverses logiques de l'action et images de soi"65.

Si l'on se convainc par conséquent qu'il est essentiel que "la séparation croissante

de l'acteur et du système soit remplacée par leur interdépendance"66 et que la figure de

l'acteur est elle-même plurielle et non singulière, on ne s'étonnera pas de ce que certains

auteurs comme Crozier et Friedberg aient précisément trouvé dans l'idée de jeu la

possibilité d'une telle conciliation67. Si l'on peut considérer que la conception qu'ils s'en

coups et blessures volontaires: approche historique et critique, ibid., p.165 et s.; P. LANDREVILLE, Acteur social et création de la loi, ibid., p.191 et s.; M. MOLITOR, Le jeu des acteurs et la production de la norme: le cas des relations collectives de travail en Belgique, ibid., p.215 et s.

57. Cf. notamment G. HOUCHON, Les acteurs du pénal, hiérarchies ou réseaux ?, ibid., p.253 et s.; R. CASTEL, Bilan: l'application de la loi: l'ordre des interactions et l'ordre des déterminations, ibid., p.295 et s.; H.-D. BOSLY, Police et ministère public: acteurs sociaux ?, ibid., p.305 et s.

58. Cf. notamment F. DIGNEFFE, Le concept d'acteur social et le sens de son utilisation dans les théories criminologiques, ibid., p.351 et s.

59. F. DUBET, Socialisation des acteurs et sujet social, op.cit., p.62. 60. F. DUBET, De l'acteur au sujet, op.cit., p.119. 61. F. DUBET, Socialisation des acteurs et sujet social, op.cit., p.62. 62. Ibidem, p.65. 63. Ibidem, p.67. 64. Ibidem, p.63. 65. Ibidem, p.72. 66. A. TOURAINE, Le retour de l'acteur, op.cit., p.31. 67. M. CROZIER et E. FRIEDBERG, L'acteur et le système. les contraintes de l'action collective,

Paris, 1977, p.212: "La nature et les règles des jeux conditionnent à chaque instant les stratégies des acteurs, mais sont en retour aussi conditionnées par celles-ci...On peut dire que le système n'est pas figé, dans la mesure où il est possible de jouer contre lui et même de tenter consciemment et inconsciemment de le changer".

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font reste trop exclusivement stratégique, rien n'empêche, comme nous l'avons déjà

suggéré de l'élargir.

4. Le paradigme du champ

On peut, enfin , brièvement évoquer le paradigme du champ68, qu'un auteur comme

Bourdieu a récemment défendu dans l'approche sociologique de différents domaines tels

que la religion69, la science70, la politique71, la littérature72 et le droit en particulier73. Si

le concept lui-même ne manque pas de fécondité, comme ses analyses l'ont démontré, on

ne peut qu'être frappé par le fait qu'aucun des traits par lesquels il se trouve défini

n'échappe au registre ludique. Le champ est d'abord caractérisé comme un "espace de

jeu" déterminant "le système des satisfactions (réellement) désirables" (les enjeux),

possédant une "structure" et un "fonctionnement" propres (les règles du jeu), induisant

des "stratégies" mues par un "habitus" ou "sens du jeu", dans lequel les joueurs n'entrent

que moyennant une "forme spécifique d'illusio , au sens d'investissement dans le jeu",

impliquant "une certaine forme d'adhésion au jeu, de croyance dans le jeu et dans la

valeur des enjeux, qui fait que le jeu vaut la peine d'être joué, est au principe du

fonctionnement du jeu et (que) la collusion des agents dans l'illusio est au fondement de

la concurrence qui les oppose et qui fait le jeu lui-même"74. Si l'on ne doit pas

nécessairement interpréter l'usage d'un tel langage ludique comme une conversion de

l'auteur lui-même au paradigme du jeu, il n'est pas interdit d'y voir en quelque sorte un

prélude possible, ni surtout l'invitation, même involontaire, à s'y convertir.

68. A propos du concept de champ, cf. A. DEVILLE, Champ, in Dictionnaire encyclopédique de

théorie et de sociologie du droit, sous la direction de A.-J. Arnaud, Paris-Bruxelles, 1988, p.37-38. 69. P. BOURDIEU, Genèse et structure du champ religieux, in Revue française de sociologie, XII,

1971, p.295 et s. 70. P. BOURDIEU, Le champ scientifique, in Actes de la recherche en sciences sociales, n°2-3, juin

1976. 71. P. BOURDIEU, La représentation politique, élément pour une théorie du champ politique, in

Actes de la recherche en sciences sociales, février-mars 1981. 72. P. BOURDIEU, Le champ littéraire, in Actes de la recherche en sciences sociales, n°89, septembre

1991, p.3 et s. 73. P. BOURDIEU, La force du droit. Eléments pour une sociologie du champ juridique, in Actes de

la recherche en sciences sociales, n°64, septembre 1986, p.3 et s. 74. P. BOURDIEU, Le champ littéraire, op.cit., p.22.