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Le difficile équilibre entre urbanisation galopante et préservation des réservoirs forestiers des centres urbains : exemple du bassin versant de la Gué-Gué à Libreville (Gabon) Magloir-Désiré MOUNGANGA Chercheur, Centre national de la recherche scientifique et technologique (CENAREST) Gabon Magloir-Désiré MOUNGANGA Docteur en géographie de la mer et des littoraux (Université de Bretagne Occidentale, Brest), spécialiste en géomorphologie et aménagement des littoraux, Magloir-Désiré MOUNGANGA est, depuis 2002, chercheur au Centre National de la Recherche Scientifique et Technologique. Il a participé à la création en juin 2003 du Centre National des Données et de l’Information Océanographiques, dont il a été le premier responsable (2003 -2005). Consultant à la Direction Générale de l’Environnement, et responsable scientifique national de la convention RAMASR sur les zones humides, il a participé à la rédaction du premier profil environnemental de la zone côtière du Gabon., et a coordonné la rédaction du document de stratégie nation sur la gestion des ressources marines et côtières du Gabon. il participe également part à la réalisation de nombreuses études d’impacts sur l’environnement pour le compte de l’Agence de Développement de l’Information Environnementale (ADIE). Ayant accédé au grade de Chargé de Recherche (CAMES) depuis 2007, il est aujourd’hui responsable du programme de recherche « Érosion Côtière». Ses recherches actuelles sont orientées vers la problématique des inondations, en lien avec les zones humides et l'aménagement des villes. Résumé L'urbanisation galopante et la recherche d'espace pour l'aménagement des infrastructures et le bâti obligent de plus en plus les autorités et les investisseurs privés, à la destruction des petits réservoirs forestiers des centres urbains, et au remblai des zones humides urbaines. Ces diverses emprises sur ces milieux augmentent malheureusement les risques d'inondation; lorsque ces dernières sont importantes, elles provoquent la destruction des infrastructures et des habitations. Les dégâts matériels se chiffrent souvent à des millions de francs CFA. À Libreville, la perte progressive de ces couverts forestiers urbains autour du bassin versant de la rivière Gué-Gué a augmenté les champs d'inondation de ce bassin et expose désormais un nombre plus important d'infrastructures et des habitations, à ce risque majeur. Plus des trois quarts de la plaine alluviale, où se développait une imposante forêt de palétuviers, ont fait l’objet d’un important remblai qui a obstrué une partie du débouché de la rivière. D’autre part, la hauteur de la lame d’eau a considérablement augmenté, favorisant ainsi un épandage plus important des crues au moment des pluies. Cette situation a rendu inadaptés les nombreux ouvrages hydrauliques situés dans les différentes zones d’emprises humaines, principalement les infrastructures routières. Ces ouvrages qui servaient à l’évacuation des eaux pluviales dans cette dépression naturelle, deviennent aujourd’hui des obstacles à l’écoulement des eaux, tant leur calibrage ne correspond plus aux volumes que les eaux pluviales apportent dans le bas fond. Cette communication devrait permettre et amener à réfléchir de plus en plus sur la mise en œuvre d'une nouvelle approche d'aménagement urbain, orientée ver la préservation de ces réservoirs forestiers situés dans la ville, de façon à intégrer la notion d'écologie urbaine dans les villes africaines. Cette contribution souhaite développer une réflexion autour des potentialités d'adaptation de nos villes africaines, et de nos modes de vie face à l'artificialisation du paysage urbain qui n'intègre pas réellement le couvert végétal et les zones humides dans la planification et l'aménagement urbain. Mots clés : Bassin versant, crue, inondation, occupation, ouvrages hydrauliques, gestion intégrée I. Caractérisation du bassin versant de la Gué-Gué Le bassin versant de la Gué-Gué constitue la limite Nord de la ville de Libreville. La rivière s’étire sur environs 11,6 km, depuis le Mont Boouet au Sud-Est, à son embouchure au pont qui porte le même nom, au Nord-Ouest. Le bassin versant est limité au Nord et à l’Est par la colline d’Ambowé, au sud par les collines de Sotéga et de Gros Bouquet, au Sud-Est par le Mont Boouet, et à l’ouest par l’estuaire du Komo, où se trouve son débouché. La Gué - Gué est l’une des principales rivières de la rive droite, au Nord de l’estuaire du Komo (Figure 1). Le bassin versant couvre une superficie de 730 hectares, et comprend trois principaux sous bassins, à savoir (d’amont en aval) : Lien vers le diaporama

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Le difficile équilibre entre urbanisation galopante et préservation des réservoirs forestiers des centres urbains : exemple du bassin versant de la Gué-Gué à Libreville (Gabon)

Magloir-Désiré MOUNGANGA

Chercheur, Centre national de la recherche scientifique et technologique (CENAREST) Gabon

Magloir-Désiré MOUNGANGA Docteur en géographie de la mer et des littoraux (Université de Bretagne Occidentale, Brest), spécialiste en géomorphologie et aménagement des littoraux, Magloir-Désiré MOUNGANGA est, depuis 2002, chercheur au Centre National de la Recherche Scientifique et Technologique. Il a participé à la création en juin 2003 du Centre National des Données et de l’Information Océanographiques, dont il a été le premier responsable (2003-2005). Consultant à la Direction Générale de l’Environnement, et responsable scientifique national de la convention RAMASR sur les zones humides, il a participé à la rédaction du premier profil environnemental de la zone côtière du Gabon., et a coordonné la rédaction du document de stratégie nation sur la gestion des ressources marines et côtières du Gabon. il participe également part à la réalisation de nombreuses études d’impacts sur l’environnement pour le compte de l’Agence de Développement de l’Information Environnementale (ADIE). Ayant accédé au grade de Chargé de Recherche (CAMES) depuis 2007, il est aujourd’hui responsable du programme de recherche « Érosion Côtière». Ses recherches actuelles sont orientées vers la problématique des inondations, en lien avec les zones humides et l'aménagement des villes. Résumé L'urbanisation galopante et la recherche d'espace pour l'aménagement des infrastructures et le bâti obligent de plus en plus les autorités et les investisseurs privés, à la destruction des petits réservoirs forestiers des centres urbains, et au remblai des zones humides urbaines. Ces diverses emprises sur ces milieux augmentent malheureusement les risques d'inondation; lorsque ces dernières sont importantes, elles provoquent la destruction des infrastructures et des habitations. Les dégâts matériels se chiffrent souvent à des millions de francs CFA. À Libreville, la perte progressive de ces couverts forestiers urbains autour du bassin versant de la rivière Gué-Gué a augmenté les champs d'inondation de ce bassin et expose désormais un nombre plus important d'infrastructures et des habitations, à ce risque majeur. Plus des trois quarts de la plaine alluviale, où se développait une imposante forêt de palétuviers, ont fait l’objet d’un important remblai qui a obstrué une partie du débouché de la rivière. D’autre part, la hauteur de la lame d’eau a considérablement augmenté, favorisant ainsi un épandage plus important des crues au moment des pluies. Cette situation a rendu inadaptés les nombreux ouvrages hydrauliques situés dans les différentes zones d’emprises humaines, principalement les infrastructures routières. Ces ouvrages qui servaient à l’évacuation des eaux pluviales dans cette dépression naturelle, deviennent aujourd’hui des obstacles à l’écoulement des eaux, tant leur calibrage ne correspond plus aux volumes que les eaux pluviales apportent dans le bas fond. Cette communication devrait permettre et amener à réfléchir de plus en plus sur la mise en œuvre d'une nouvelle approche d'aménagement urbain, orientée ver la préservation de ces réservoirs forestiers situés dans la ville, de façon à intégrer la notion d'écologie urbaine dans les villes africaines. Cette contribution souhaite développer une réflexion autour des potentialités d'adaptation de nos villes africaines, et de nos modes de vie face à l'artificialisation du paysage urbain qui n'intègre pas réellement le couvert végétal et les zones humides dans la planification et l'aménagement urbain. Mots clés : Bassin versant, crue, inondation, occupation, ouvrages hydrauliques, gestion intégrée

I. Caractérisation du bassin versant de la Gué-Gué Le bassin versant de la Gué-Gué constitue la limite Nord de la ville de Libreville. La rivière s’étire sur environs 11,6 km, depuis le Mont Boouet au Sud-Est, à son embouchure au pont qui porte le même nom, au Nord-Ouest. Le bassin versant est limité au Nord et à l’Est par la colline d’Ambowé, au sud par les collines de Sotéga et de Gros Bouquet, au Sud-Est par le Mont Boouet, et à l’ouest par l’estuaire du Komo, où se trouve son débouché. La Gué-Gué est l’une des principales rivières de la rive droite, au Nord de l’estuaire du Komo (Figure 1). Le bassin versant couvre une superficie de 730 hectares, et comprend trois principaux sous bassins, à savoir (d’amont en aval) :

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- Le sous bassin du "Lac Bleu", situé en amont, de la source de la Gué-Gué au lieu-dit Lac bleu. C’est la zone d’atterrissage des principaux drains qui alimentent une partie de la Gué-Gué, à la faveur des eaux pluviales. Ce sous bassin forme une large plaine marécageuse, généralement inondée en saison des pluies, et qui se rétrécit avant de se jeter dans les Bas de Gué-Gué.

- Le sous bassin des "Bas de Gué-Gué", dans la zone intermédiaire, entre les collines des Charbonnages et celles des Hauts de Gué-Gué. Elle forme, dans ses cinquante premiers mètres, une vallée étroite et très encaissée; elle se déploie ensuite dans une large plaine alluviale, où est construite la cité des Bas de Gué. Enfin, avant de se jeter dans le dernier sous bassin, il se rétrécit à nouveau pour former deux bras qui se jettent dans le bassin marécageux du Jardin botanique.

- Le sous bassin du "Jardin botanique-Kalikak", situé en aval où il forme une vaste dépression marécageuse. Celle-ci est subdivisée en deux unités. La première comprend la dépression du jardin botanique, qui inclut, en plus de ce dernier, l’unité marécageuse de l’entrée du camp De Gaulle. L’autre unité marécageuse est constituée par la dépression de Kalikak, qui s’étend du Lycée Léon Mba à la cité Kalikak. Ce dernier sous bassin est aussi alimenté par les eaux pluviales en provenance des Gros Bouquets et du Camp de Boys.

Chacun de ses sous bassins constitue donc une petite cellule spécifique, qui assure l’épandage des eaux au sein de la plaine alluviale de la Gué-Gué. Le Bas de Gué-Gué semble être séparé des deux autres sous bassins par deux biefs. L’étroitesse de ces deux sections du cours de la rivière est souvent à l’origine du gonflement du niveau des eaux au moment des pluies. A cet effet, en tenant compte des principaux facteurs de l’écoulement fluvial (eau écoulée, précipitations, quantité d’eau retenue ou libérée, évaporation), et eu égard aux précipitations tombées sur le bassin de la Gué-Gué (en moyenne 2500 mm/an), ces sous bassins semblent jouer le rôle de retenu d’eau, et donc propice aux débordements (crues et inondations). Dans son analyse sur la répartition moyenne mensuelle et saisonnière des pluies, Mounganga (2006) a montré que Libreville se distingue par le volume des précipitations interannuelles qui varient entre 2000 et 3500 mm, et par le nombre de jours de pluie très élevé, entre 170 et 200 jours. D’autre part, la pente relativement faible de la vallée de la Gué-Gué (moins de 2 %, à partir du sous bassin du Lac Bleu), accroît la retenue des eaux dans les différents sous bassins, et favorise ainsi l’épandage des eaux.

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Figure 1 : Morphologie du bassin versant de Gue-gue

Source : Mounganga M.-D. 2011

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II. Conditions d’occupation actuelle du bassin versant Le dernier recensement de la population gabonaise, effectué en 2003 et validé en 2005 par la cour constitutionnelle, a estimé la population de Libreville à 538 195 habitants. Le bassin de Gué-Gué étant situé dans le premier arrondissement de la ville, la population de cette circonscription a été estimée à 92 950 habitants; cela représente 17 % des effectifs de Libreville. Si l’on ramène cette population du bassin de Gué-Gué à la superficie du milieu, on a affaire à une densité d’environ 127 habitants à l’hectare. L’occupation du bassin versant de la Gué-Gué s’est d’abord effectuée le long du linéaire côtier. Elle ne concernait que de petites poches d’occupation entre le lycée Léon Mba et le lycée d’État de l’Estuaire. Ces implantations se sont ensuite poursuivies au niveau des crêtes des collines qui encerclent la rivière et ses divers embranchements ; cela comprenait les collines de Gros Bouquet, des Hauts de Gué-Gué, et des Charbonnages. A la faveur de la construction et la mise en circulation de l’axe routier dénommé "Voie Express", la vallée du sous bassin du Lac Bleu a été progressivement occupée, sans tenir compte d’un quelconque plan d’aménagement spécifique ou planifié. Enfin, le dernier secteur ayant fait l’objet d’une occupation, est le bas de Gué-Gué et la section dite du Jardin Botanique-Kalikak. Ainsi, en faisant abstraction de l’occupation du linéaire côtier, on a affaire à une implantation qui s’est faite selon le même principe que le ruissellement, c’est-à-dire du haut vers le bas Gué-Gué. Au niveau de la structure urbaine actuelle, Ndong Mba (2004) distingue quatre types de quartiers à Libreville, à savoir :

- les quartiers résidentiels de luxe, aux maisons modernes et immeubles de haut standing, localisés sur les collines et le long du littoral;

- les quartiers d’habitat précaire, aux logements de fortune situés dans les bas-fonds marécageux et sur les versants;

- les quartiers d’habitat mixte, alternant constructions spontanées et modernes aux populations de conditions sociales différentes, et;

- les cités planifiées. Ces quatre types de structure urbaine se retrouvent dans le bassin versant de Gué-Gué. Aussi, en dehors du sous bassin du Lac Bleu, et du versant est de la colline du Gros Bouquet où s’entremêlent et se chevauchent des habitats mixtes et des habitats précaires, les autres sections de ce bassin versant semblent avoir fait l’objet d’un aménagement et des lotissements planifiés. C’est le cas des aménagements du bord de mer, des cités des Hauts de Gué-Gué, des Charbonnages et de Kalikak, et des aménagements planifiés des Bas de Gué-Gué. En effet, en observant l’agencement des habitations, leur alignement, et le tracé des routes et voies qui encadrent les différents lotissements, on se rend compte que ces secteurs ont été aménagés en suivant un plan préétabli (Figure 2). À ce jour, les plus importantes concentrations humaines se trouvent dans la plaine alluviale de la Gué-Gué; celle-ci constitue le lit majeur de la rivière, et par conséquent, ces points bas ou bas-fonds, sont déjà naturellement exposés aux débordements des eaux pluviales, et donc propice aux inondations.

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Figure 2 : Bassin versant de Gue-gue, emprise humaine sur la plaine alluviale Source : Mounganga M.-D. 2011

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D’autre part, la construction des voies de communication, principalement la voie Express, et la voie secondaire reliant les Charbonnages aux Hauts de Gué-Gué, a nécessité l’utilisation de remblais pour l’aménagement de l’armature de la route, et la construction d’ouvrages hydrauliques pour le passage des eaux. Sur l’ensemble du réseau routier du bassin versant de la Gué-Gué, on ne dénombre que deux ponts et un dalot. Le reste des ouvrages hydrauliques est composé de buses métalliques, dont le diamètre varie entre 50 et 85 cm. Entre l’échangeur du lycée d’État et l’échangeur de la démocratie, on dénombre douze buses métalliques. Dans la voie secondaire qui relie les Charbonnages aux Hauts de Gué-Gué, on dénombre un dalot. Celui-ci constitue le point de jonction entre le sous bassin du Lac Bleu et celui-ci des Bas de Gué-Gué. En prenant le cas d’une section de l’axe routier de la Voie Express, entre l’échangeur de Tahiti et l’entrée du camp de Gaulle, qui s’étire sur 450 m, l’ensemble du linéaire étant marécageux, seules trois buses métalliques assurent l’évacuation des eaux vers l’aval. Chacune des buses ayant 0,80 m de diamètre, la construction de la route a fait perdre une vanne d’écoulement de 447,6 mètres. On se retrouve ainsi, avec seulement 2,4 m pour l’écoulement des eaux en aval; cela représente donc 0,005 % de linéaire de drainage offert actuellement pour l’évacuation des eaux pluviales. Cette situation se présente ainsi pour l’ensemble des linéaires routiers de la ville de Libreville, dont les ouvrages hydrauliques construits, n’intègrent pas toujours le linéaire du marécage avec le calibrage de l’ouvrage hydraulique destiné à assurer l’écoulement normal des eaux. Il s’en suit généralement des crues et des débordements des eaux au moment des pluies. D’autres infrastructures ont nécessité l’utilisation de remblais et des apports importants en matériaux. C’est le cas de l’aménagement depuis 2007, du Jardin botanique, des immeubles de bureaux et d’habitations, et d’un complexe sportif et esthétique (SPA). Seulement, tous ces aménagements qui occupent aujourd’hui les dernières sections marécageuses du bassin, obstruent considérablement la circulation des eaux. Les conditions actuelles d’aménagement et d’occupation de l’espace dans ce bassin versant, comme c’est le cas dans presque tous les bassins versants de la ville de Libreville, ne facilitent pas l’écoulement normal des eaux. La plaine alluviale (le lit majeur) subit un stress qui réduit considérablement le champ d’épandage des eaux au moment des ruissellements pluviaux. Ainsi, le chenal de circulation des eaux de la Gué-Gué est quasiment réduit de moitié (Figure 3). Sur les 730 ha de superficie de bassin versant de la Gué-Gué, la plaine inondable occupe une superficie de près de 480 ha, soit les deux tiers (2/3) du bassin. Le reste de l’espace comprend les versants et les collines. Ainsi, les contions d’occupation actuelles de ce bassin versant n’obéissent donc pas à un schéma normatif, en dehors de celui proposé par l’aménagement des quatre cités de l’arrondissement. Les autres constructions ne sont ni coordonnées, ni structurées.

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Figure 3 : Champs d’inondation actuels du bassin de Gue-gue Source : Mounganga M.-D. 2011

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III. Effets directs et induits de cette emprise humaine dans la plaine alluviale Mounganga (2006) a montré qu’à Libreville, trop de personnes et de biens sont exposés aux risques d’inondation, parce qu’ils sont concentrés dans les zones alluviales, propices à l’épandage des eaux. Il se crée, comme indiqué ci-dessus, un stress qui réduit le champ d’épandage des eaux au moment des ruissellements pluviaux. La conséquence directe de ce stress de la plaine alluviale est à la fois une augmentation de la quantité d’eau mobilisable, et un temps de concentration plus long, de cette masse d’eau. D’où les débordements occasionnant des inondations, qui sont consécutifs à la propagation des quantités d’eau supérieures à ce que peut évacuer normalement le cours de la rivière. Ces inondations sont d’autant plus préjudiciables qu’elles affectent non seulement les habitations, mais aussi les infrastructures, principalement les routes. Les crues qui occasionnent les inondations sont de trois types :

- Celles qui prédominent en amont (principalement le sous bassin du Lac Bleu), et qui ne sont pas très fortes en aval. Ces crues sont généralement liées à un épisode pluvieux court et intense. Les eaux qui sont brutalement mobilisées en amont, ont des difficultés à s’évacuer rapidement du fait du rétrécissement de la plaine alluviale, combiné à l’obturation du point de jonction entre la zone amont et la zone médiane (ouvrage hydraulique). Il s’en suit un gonflement du niveau des eaux, qui occasionne généralement des débordements dans la zone de transition (Photo 1), et des débordements qui occasionnent des inondations de la plaine alluviale amont (Photo 2).

Photo 1 : Le débordement des eaux occasionné par l’obturation de l’ouvrage hydraulique.

Ouvrage hydraulique obturé

Zone de débordement

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Photo 2 : Inondation occasionnée le débordement des eaux de la Gué-Gué, à la faveur d’un épisode pluvieux court et intense.

- Celles qui prédominent en aval (fortement dans le sous bassin du jardin botanique, et en partie dans celui des Bas de Gué-Gué). Ces crues sont liées à la combinaison de deux événements : la submersion marine (intervenant à marée haute) qui obstrue le débouché de la rivière, et un épisode pluvieux intense. La pente de la plaine alluviale étant quasiment nulle, le débordement des eaux s’étend souvent au-delà du lit majeur, et occasionne des inondations parfois spectaculaires. Depuis les remblais du Jardin botanique, ce type de crues a gagné environ 50 cm de haut, à cause du rétrécissement du champ d’épandage des eaux dans le bassin marécageux dudit espace, aujourd’hui rétréci par les nombreux remblaiements (Photo 3).

Photo 3 : État de la zone marécageuse du sous bassin aval de la Gué-Gué. Tous les secteurs de terres fermes ont fait l’objet de remblais. L’ancien plan d’eau est aujourd’hui canalisé, et les débordements sont devenus plus fréquents, en particulier lorsque les pluies sont associées à la marée haute.

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- Enfin, les crues généralisées, qui affectent l’ensemble du bassin. Elles se produisent le plus souvent en

novembre, mars et avril, à la faveur de longs et intenses épisodes pluvieux. En général, ces crues sont d’autant plus importantes, que la marée est haute. Dans ces conditions, on assiste à de gigantesques débordements des eaux, qui rendent ce bassin versant difficilement accessible.

En établissant la relation entre le nombre d’habitants dans le bassin versant et leur concentration dans la plaine alluviale (lit majeur), Mounganga (2006) a mis en évidence l’exposition de trop de personnes et de biens matériels aux risques d’inondation. L’occurrence de cet aléa dans la ville de Libreville en général, et dans le bassin versant de la Gué-Gué en particulier, devrait amener à prendre conscience du rôle joué par les bassins marécageux, pour la réduction des crues et leur épandage dans le lit majeur. En effet, ces réservoirs forestiers urbains jouent un rôle important dans l’emmagasinement du trop-plein d’eau qui s’écoule dans un versant, avant de s’évacuer en mer. Ces bassins constituent de véritables collecteurs naturels qui limitent la propagation des eaux au-delà des champs d’écoulement. Or, ces milieux sont aujourd’hui sous l’emprise de l’occupation humaine, et ne semblent plus jouer correctement leur rôle. D’autre part, le degré de prévisibilité de ce phénomène est si grand, car les inondations en plaine sont plus faciles à anticiper, qu’un dispositif adéquat peut permettre d’en réduire les effets. Dans ces conditions, la nature règle elle-même une grande partie des débordements, en transférant le trop-plein dans les bassins marécageux. La préservation de ces réservoirs naturels devrait par conséquent, être intégrée dans les politiques et plans d’aménagement et d’occupation des sols, au sein des espaces urbains.

IV. Que peut-on envisager comme possibles équilibres? Les bassins versants étant des environnements particulièrement dynamiques, il peut apparaître difficile d’envisager des équilibres entre l’occupation humaine et le fonctionnement normal de ce réseau hydrographique. En effet, l’absence de schéma directeur d’aménagement et de plan d’occupation des sols, il apparaît difficile d’établir un juste équilibre entre occupation de l’espace, et préservation des bassins marécageux urbains. Le nouveau SMARTCODE pour le Gabon (2011) [Proposition de schéma d’aménagement des villes Gabonaises, conçu pour être adapté aux conditions locales, et idéalement avec la participation des citoyens locaux. Il a été transmis en septembre 2011 au Gouvernement Gabonais], établit un zonage des différents espaces destinés à l’occupation humaine. Parmi les six (6) zones de transition identifiées par ce document, deux (2) zones nous paraissent tout à fait indiquées pour traduire au mieux la prise en compte de ces espaces les possibles équilibres envisagés pour le bassin versant :

- la zone dite naturelle, composée de terrain se rapprochant ou revenant à l’état sauvage, y compris les terres impropres à l’urbanisme, en raison de la topographie, de l’hydrologie ou la végétation. Les types d’espaces publics prévus dans ces zones sont les parcs et les voies vertes; la caractéristique générale étant le paysage naturel;

- la zone dite urbaine générale, comprenant une mixité des usages, avec une prédominance du tissu urbain résidentiel. Il peut y avoir un large éventail de type de bâtiments : maison individuelle en milieu de parcelle, construction en ordre continu ou discontinu. Les retraits par rapport aux limites séparatives et la végétation sont variables. Les rues avec leurs trottoirs et leurs bordures de trottoirs définissent des îlots d’une taille intermédiaire; la caractéristique générale étant la mixité des logements et des constructions.

Ce nouveau code demande donc la prise en compte des espaces humides dans le processus d’aménagement et d’urbanisation des zones de transition. Malheureusement, les zones dites "naturelles" n’ont pas été prises en compte dans les précédents aménagements et occupation.

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Le SMARTCODE pourrait ainsi constituer une opportunité pour recréer des zones humides dans les centres urbains, de façon à intégrer désormais les systèmes hydrologiques dans l’aménagement des villes, pour réduire les inondations. La première action devrait permettre de mieux réglementer l’occupation des sols, de manière à effectuer une bonne affectation des terres. D’autre part, il apparaît important de lutter contre l’artificialisation continue des espaces destinés à l’eau, pour que l’écosystème devienne un allié pour la gestion des crues. Le bassin versant de la Gué-Gué a l’avantage de former trois sous bassins, l’action du possible équilibre pourrait s’établir à partir de chaque unité spécifique, à savoir :

- le sous bassin Lac Bleu; - le sous bassin Bas de Gué-Gué; - le sous bassin du Jardin botanique.

Même si l’emprise humaine est très forte sur les diverses unités de ce bassin versant, il existe de petits espaces susceptibles de pouvoir jouer le rôle de récepteur des crues et des débordements. Ces milieux devraient être disposés au sein de chaque unité paysagère, de préférence à proximité du système d’écoulement naturel. Ce procédé aurait l’avantage de ralentir le plus possible l’épandage des eaux dans le sous bassin. Mais son efficacité ne serait assurée que s’il s’accompagne de deux autres actions : la consolidation du lit principal de la rivière par un curage et un entretien permanent, et le calibrage des ouvrages hydrauliques en fonction des débits d’écoulement pluvieux. Il faut dire ici que tout ralentissement des écoulements des eaux pluviales, occasionne inéluctablement un gonflement et une expansion des crues en amont. Par conséquent, en procédant à un bon calibrage des ouvrages hydrauliques qui se situent dans les différents points de jonction, on pourrait faciliter les écoulements, et réduire l’épandage des eaux.

V. Conclusion Au regard du dispositif d’aménagement actuel, qui réduit le plus souvent la superficie des zones humides urbaines à travers des remblais systématiques, il n’y a pas d’autres choix aujourd’hui que d’intégrer désormais ces espaces dans les schémas d’occupation des sols. La prise en compte de ces milieux dans les politiques publiques d’aménagement des villes, permettrait de lutter en partie contre les crues et les inondations. La mémoire commune semble généralement faire abstraction du rôle joué par ces réservoirs hydrologiques dans l’évolution des milieux. De plus, tout remblai dans ces milieux fait nécessairement perdre un potentiel bassin de rétention des masses d’eau supplémentaires. Aussi, la nature n’a pas d’autre possibilité que d’aller reconquérir un autre espace. Cela a pour conséquence d’accroître l’épandage des eaux pluviales, et de faciliter les crues. Ainsi, il apparaît que la gestion les inondations dans les villes passe par une bonne maîtrise des zones inondables. Il n’y a donc pas d’autres alternatives que de réduire le plus possible, toute intervention humaine dans les champs d’inondation, et de préserver les capacités d’écoulement des rivières, par le bon calibrage des ouvrages hydrauliques. Par ailleurs, les eaux pluviales s’écoulant généralement en masse dans la plaine alluviale, l’aménagement du lit mineur de la Gué-Gué permettrait, à travers une canalisation entretenue et contrôlée, de mieux encadrer la circulation des eaux dans l’ensemble du bassin versant.

VI. Références bibliographiques

Balais J.-L., Chave S., Dupont N., Masson E. et Penven M.-J.; 2011 : La méthode hydrogéomorphologique de détermination des zones inondables. Physio-Géo-collection Ouvrages, 168p. URL : http://physio-geo.revues.org/1618

Bechtel ; 2011 : Smart code pour le Gabon. Gouvernement du Gabon. Libreville.61p.

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Centre Européen de Prévention des Inondations; 2008 : Les digues de protection contre les inondations. L’action du Maire dans la prévention des ruptures. CEPRI. Conseil Général du Loiret. 46 p.

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