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L’incorrect ESPACE DE LIBRES DÉBATS 14 juin 2018 — VALEURS ACTUELLES 87 De la realpolitik au réalisme C’ est à Bernard-Henri Lévy que l’on doit l’initiative de cette rencontre, à Thierry de Montbrial son organisation. Deux conceptions des relations internationales? Valeurs actuelles était le partenaire de l’Ifri, le 29 mai, pour animer ce dialogue. Bernard- Henri Lévy et Thierry de Montbrial viennent en effet de publier l’un et l’autre de très beaux essais, qui couronnent quelque quarante années de réflexions: l’Empire et les Cinq Rois, pour le pre- mier, Vivre le temps des troubles, pour le second. Chacun de ces livres porte en lui la personnalité de son auteur. BHL est normalien, de la généra- tion 1968, agrégé de philosophie; son premier essai, dirigé contre les systèmes totalitaires, s’in- titulait la Barbarie à visage humain, puis ce furent le Testament de Dieu et l’Idéologie française, qui devaient dessiner le parcours d’un philosophe combattant, du Bangladesh à la Bosnie, de la Libye au Kurdistan, cinéaste et aventurier… Thierry de Montbrial est le fondateur de l’Institut français des relations internationales (Ifri), prolongement privé du Centre d’analyse et de prévision, dont il fut le directeur au Quai d’Orsay. Analyse et pré- vision! Polytechnicien, il sera le plus jeune titu- laire d’une chaire d’enseignement à l’X depuis Arago! Ingénieur du corps des mines et parmi les plus jeunes élus de l’Académie des sciences morales et politiques. Une carrière exemplaire d’exper- tise en politique étrangère. Voici donc ce qui les distingue ou les rapproche. François d’Orcival Diplomatie américaine, crise iranienne, conflit isralo-palestinien ou encore menace nord-coréenne : Bernard-Henri Lévy et Thierry de Montbrial se penchent sur les tensions qui secouent notre monde. Débat. Le géopolitologue Thierry de Montbrial et le philosophe Bernard-Henri Lévy : deux visions des relations internationales. PATRICK IAFRATE

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14 juin 2018 — VALEURS ACTUELLES — 87

De la realpolitik au réalisme

C’est à Bernard-Henri Lévy que l’on doitl’initiative de cette rencontre, à Thierryde Montbrial son organisation. Deuxconceptionsdesrelationsinternationales?Valeurs actuelles était le partenaire de

l’Ifri, le29mai,pouranimercedialogue.Bernard-Henri Lévy et Thierry de Montbrial viennent eneffetdepublier l’unet l’autrede trèsbeauxessais,qui couronnent quelque quarante années deréflexions: l’Empire et les CinqRois, pour le pre-

mier,Vivre le tempsdes troubles, pour le second.Chacun de ces livres porte en lui la personnalitéde son auteur. BHL est normalien, de la généra-tion 1968, agrégé de philosophie; son premieressai, dirigécontre les systèmestotalitaires, s’in-titulait laBarbarieàvisagehumain,puiscefurentleTestamentdeDieuet l’Idéologie française, quidevaient dessiner le parcours d’un philosophecombattant,duBangladeshà laBosnie,de laLibyeauKurdistan, cinéasteetaventurier…ThierrydeMontbrial est le fondateur de l’Institut françaisdesrelations internationales (Ifri),prolongementprivéduCentre d’analyse et deprévision, dont ilfut le directeur au Quai d’Orsay. Analyse et pré-vision! Polytechnicien, il sera le plus jeune titu-laire d’une chaire d’enseignement à l’X depuisArago! Ingénieurducorpsdesminesetparmi lesplus jeunesélusdel’Académiedessciencesmoraleset politiques. Une carrière exemplaire d’exper-tise en politique étrangère. Voici donc ce qui lesdistingue ou les rapproche.•François d’Orcival

Diplomatie américaine, crise iranienne,conflit isralo-palestinien ou encoremenace nord-coréenne: Bernard-HenriLévy et Thierry deMontbrialse penchent sur les tensions qui secouentnotre monde. Débat.

Le géopolitologue Thierry de Montbrial et le philosophe Bernard-Henri Lévy : deux visions des relations internationales.

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Selonvousetpourrésumerd’unmot laquestionquienflammeles relations internationales, dequoiTrumpest-il lenom?Bernard-Henri Lévy. Donald Trump est le symptômed’un immense vertige américain, pour faire écho autitre d’un demes livres précédents (AmericanVertigo).Il est le signe d’une Amérique qui tourne le dos à sonpropre credo. Ce qui me désole le plus, chez Trump,c’est la façon dont il contredit le noble génie de l’Amé-rique. Celui-ci se fonde sur le patriotisme, par exemple.Ou sur le respect dû à l’armée et aux anciens combat-tants. Et je ne peux pas ne pas me rappeler les proposchoquants tenus par celui qui n’était encore que candi-dat à l’électionprésidentielle, face à lamère d’un soldatgrièvement blessé en Irak.

Quant à l’amourdupays, quant à cepatriotismepro-fond qui remonte aux racines de l’histoire américaine,il transparaît peu chezTrump: souvenez-vous, lors de lacampagne, comment il célébraitVladimirPoutine et fus-tigeait, au contraire, celui qui était alors, qu’on le veuilleounon, le président dupays, c’est-à-dire BarackObama.Enfin, le nouveau président rompt le lien avec l’Europe,alors qu’il n’y a pas d’Amérique sans un lien de sang etd’esprit: les Pères fondateurs n’étaient-ils pas des Euro-péens nostalgiques de ceque le vieux continent avait demeilleur? N’étaient-ils pas désireux d’aller renouer en

Nouvelle-Angleterre ce que j’appelle le “fil virgilien”de l’étoffe américaine? C’est un fil crépusculaire quicommence à Troie, continue avec la petite Rome, quideviendra l’Empire romain, et se poursuit quand lespersécutés de l’Europe fuient les guerres de religion.Unemanifestation souventméconnue, y compris par lesAméricains, de cefil crépusculaire: sur les billets dedol-lar, on trouve trois vers deVirgile! Oui, l’Amérique s’estinventée, et continuée, dans cette idée d’un recommen-cement de l’Europe. Or, Donald Trump représente lepoint d’aboutissement d’un processus de rupture avecce passé européen.Thierry deMontbrial. Votre livre, l’Empire et les CinqRois, tire son titre du chapitre 14de laGenèse. L’empirea pour patriarche Abraham et les cinq rois désignent,entre autres, ceux de Sodome et Gomorrhe. C’est cetempire qui écrase les rois et les jette dans un puits debitume. Mais Abraham sauve les rois de Sodome etGomorrhe.Dans unedeuxièmeversion tiréedu livre deJosué, au chapitre 10, l’empire écrase les cinq rois qui,défaits, se réfugient dans une caverne. L’empereur lesen extrait et les fait pendre.Nous avons làdeuxhistoiressimilaires, où l’empire représente le bien et les cinq roisdiverses formes dumal, dont les épilogues diffèrent.

Bernard-Henri Lévy relève très justementque lemes-sage biblique est qu’il est très difficile de juger, mêmedans la pire des situations. Dans son livre, l’empire du

bien,malgréTrump, reste lesÉtats-Unis, et les cinq rois sontles dirigeants russe, Poutine,chinois,Xi Jinping, turc,Erdo-gan, iranien,AliKhamenei, etle roiou leprincehéritier saou-dien. Au fur et à mesure dutexte, sa plume s’envole et ilmet les cinq roisdans lemêmesac.À lafin, ilsméritent, dansl’esprit de l’auteur, la condam-nation ultime, version Josué.Cette démarche est très diffé-

rente de lamienne, car je ne considère pas que lesÉtats-Unis,même idéalisés, soient l’empire dubien ni que l’onpuissemettre aumêmeniveau ces cinq rois si différents.

Quant au président américain, il importe de faire ladistinction entre Trump et le “trumpisme”. Lequel sur-vivra à Trump. Ce dernier est peut-être vulgaire, maisil représente une bonne partie de l’Amérique actuelle.Nous devons nous habituer, comme l’a dit MmeMerkel,

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BERNARD-HENRILÉVY : “LES CINQROYAUMES ONTÉTÉ DE GRANDSEMPIRES. ONTCESSÉ DE L’ÊTRE,VEULENTLE REDEVENIR.”

Selon Bernard-Henri Lévy, Trump représente le point d’aboutis-sement d’un processus de rupture avec le passé européen.

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THIERRYDE MONTBRIAL :

“JE VOIS QUEPOUTINE EST

SOUTENU PARUNE MAJORITÉ

ÉCRASANTEDANS SON PAYS.”

certainement à contrecœur, au fait que, dans l’avenir, larelation entre les États-Unis et l’Europe ne sera pluscomme avant et que, d’une certainemanière, l’allianceatlantique est moribonde. Il s’agit là d’un constat, nond’un jugementmoral.B.-H.L.Tout l’intérêt de cette doubleparabole biblique,quevousavezeu lagentillessede rappeler et sur laquellejem’étends en effet longuementdans le livre, est d’insis-ter sur l’impossibilité de faire passer le tranchant dujugement afinde séparer irrévocablement et clairementle bien et le mal: ceux-ci sont mêlés.T.deM.Mais vous tranchez, pourtant, à la fin de votrelivre!B.-H.L.Non, je ne tranchepas, justement, entre le para-digmed’Abrahametceluide Josué. Jedisqu’il faut savoirêtre politiquement intransigeant, voire sans merci,envers les dirigeants totalitaires, commeErdogan.Maisje dis aussi qu’il faut être fraternel envers les opposantsau président turc, les militants des droits de l’hommeenChineou les femmesdévoilées en Iran. Entre les deuxmodèles bibliques, celui de Josué s’applique aux diri-geants et celui d’Abraham à leurs contradicteurs quesont nos frères en humanité, au titre de cette « solida-ritédes ébranlés »dont parlait le Tchèque Jan Patocka.

Quant à la différence entre les cinq royaumes, vousavez raison. La Chine par exemple, qui est en train dedevenir lapremièrepuissancemondiale,n’estpascompa-rable avec la Russie pouti-nienne,devenueunnainéco-nomique.Cependant, j’airéunices dirigeants et leurs payssouscettedénomination (« lescinq rois »), car ils ont troispoints communs: ils ont étéde grands empires; ils ontcessé de l’être; ils veulent leredevenir,mais audétrimentdel’Occident.QuantauxÉtats-Unis, jenedispasqu’ilsconsti-tuentlebien,maisqu’ilsrestent,avec la vieilleEurope, le siègeprincipal dans lequel sontencore défendues, pensées et illustrées les valeurs aux-quelles nous sommes attachés: l’humanisme, le droit, lapensée contradictoire. Cette Europe élargie qui se réin-vente auxÉtats-Unis est la patrie de l’universel.T.deM.Onconstate souvent queBernard-Henri Lévy seveut l’ami des peuples et l’ennemi des gouvernants. Jevois pour ma part, en analyste qui se veut objectif des

Pour Thierry de Montbrial, il importe de faire la distinctionentre Trump et le “trumpisme”.

relations internationales, que Poutine est soutenu parune majorité écrasante dans son pays, tout comme XiJinping. La réalité est plus complexe en Iran, mais lesdécisions deDonaldTrumprisquent demobiliser l’opi-nionpublique iraniennederrière ses dirigeants. QuantàErdogan, il dispose aussi du soutien d’une partie nonnégligeable du peuple turc. Les politologues prennentde cette façon en compte la notion de légitimité.B.-H.L.Lamajoritén’estpasunargumentpourquelqu’unqui croit à la démocratie et au droit. La génération denospèrespouvait bienêtremajoritairementgagnéeauxidées antidémocratiques.Mais uneminoriténe s’y rési-gnait pas et c’est elle qui avait raison. L’alternative quenous avons aujourd’hui n’est pas de faire la guerre oude ne pas la faire, mais de joindre les exigences natu-relles de la realpolitik à notre devoir de démocrates.Celui-ci est de faire savoirà ceuxquipartagentnos idéesdans les pays à régime autoritaire qu’ils ne sont passeuls, que nous ne sommes pas des égoïstes claquemu-rés dans notre laboratoire démocratique. Il nous faut,bien sûr, parler avecPoutine.Mais tout en adressant desgestes ou des armes idéologiques à ses opposants.T. deM. Bernard-Henri Lévy et moi sommes sur desscènes différentes et nous nous adressons à des publicsdifférents.À l’Ifri,nousessayonsdecomprendrecomment

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fonctionnent les pouvoirs. Nous ne nous adressons pasdirectement à l’opinion publique. Nos interlocuteursprincipaux sont lesdécideurspolitiques etéconomiques,ainsi que les milieux universitaires et les médias. Nousnenous engageons pas pour défendre des causes. Nousraisonnons sur tous les aspects des relations internatio-nales. Nous ne dirigeons pas notre laser cérébral danslesmêmesdirections que l’opinionpublique.Mesdiver-gences avecmon interlocuteur sont donc liées auxposi-tions respectives que nous occupons.

Entronsdans l’actualité laplusrécente.DonaldTrumpvientd’agirdansdeuxdirections: enCoréeduNordeten Iran,enseretirantdesaccordsconclusaveccepays.Qu’est-cequecelavous inspire?T.deM. La situation de la Corée du Nord est opposée àcelle de l’Iran, en ce sens que les cinq principales puis-sances concernées par la crise nord-coréenne, la CoréeduSud, laChine, lesÉtats-Unis, le Japonet laRussie, onttoutes intérêt à éviter l’écroulement du régime de KimJong-un. Dans le même temps, aucune ne souhaite quePyongyang accède à l’arme nucléaire. Or, la Corée duNord est devenue un État quasi nucléaire, capable denégocier ce statut enéchanged’une formedereconnais-sance, d’aides extérieures et de la pérennité du régime.

Selon moi, Kim Jong-un est plus malin que Trump.Il s’est assurédu soutiendeXi Jinpinget deMoon Jae-in,puis il a déstabilisé le président américain enprocédantaudémantèlementd’unede ses installations nucléaires.Trumpa cruque sa gestuelle allait permettre d’obtenirimmédiatement la dénucléarisation unilatérale totalede la Corée du Nord, ce qui n’a aucun sens.

B.-H.L. Je suis également consternépar la séquencequis’achève,car laCoréeduNordresteraauseuildunucléaire,ce qui est une catastrophe. J’ai compris ce danger il y avingt ans, lorsque j’ai écritmonenquête sur l’assassinatdu journalisteDaniel Pearl (duWallStreet Journal), endécouvrant les inquiétantes relationsnucléairesqui exis-taient entre des groupes terroristes pakistanais, lesNord-Coréens etAl-Qaïda. Il serait tout aussi déplorableque les Chinois ressortent de cette crise avec l’aura defaiseurs de paix, alors qu’un discrédit supplémentaireserait porté sur la parole présidentielle américaine. Unmondeoù la parole desÉtats-Unis ne vaudrait plus rienserait unmonde extraordinairement dangereux…

Lacrise iranienneest-elle liéeàcequi s’estpasséenCorée?T.deM.Bienqu’il soitmalmenépar lespays lesplus forts,qui le considèrent commeun instrument à leur service,le droit international, comme le rappelle l’expressionlatine Pacta sunt servanda [“Les conventions doiventêtre respectées”, NDLR], stipule que les traités obligentlesÉtats signatairesau-delàdugouvernementdumoment.Quoi que l’on pense de la situation iranienne ou desaccords de 2015, il est gravissime de s’être retiré de cetraité. Il y a fort à parier que le président nord-coréenjouera cette carte le moment venu, en relevant, lors deses futures négociations avec lesÉtats-Unis, que riennegarantit que ce pays respectera sa parole, eu égard auprécédent iranien.

Contrairementaucasde laCoréeduNord,nombreuxsont ceux qui aimeraient contribuer à un changementde régimeen Iran.Leproblèmeestque l’ultimatumposé

Quelle analyse faire de la diplomatie américaine actuelle ? Une question majeure du débat animé par François d’Orcival.

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aurégimedeTéhéranpar le secrétaired’État américain,Mike Pompeo, équivalent à une capitulation totale etsans condition, risque de favoriser le retour des durs aupouvoirparunemobilisationnationale, tant les Iranienssont fiers et patriotes. Même avec des sanctions renfor-cées et parcequ’ils ontunegrande connaissancedu ter-rain au Moyen-Orient, les Iraniens conserveront unecapacité de nuisance qui pourrait se traduire par unaccroissementduchaosdans la région.ÀnoteraussiquelaChine, qui aune stratégieà long termevers leMoyen-Orient, profite de cette situation, et notamment en Iran.B.-H.L.L’accordde2015avecBarackObaman’était certespas une bonne chose, car il ymanquait les instructionspour l’après 2025 et la questiondesmissiles.Maismieuxvalait unmauvais accord que pas d’accord du tout, carrien n’est pire que de laisser des fous totalitaires et desislamo-fascistes loin denotre regard.Quant à l’emprisecroissante de la Chine sur la région, elle est avérée: lescontrats que refusent les entreprises américaines eteuropéennes sont en train de se nouer avec Xi Jinping.C’est une tournure désastreuse. Peut-être est-elle vou-lue, si la façon pour Trump derompre lesamarresavec lavieilleEurope consiste à en faire unmusée des beautés préhisto-riques de l’Occident…Après, jecrois qu’on a toujours raisond’être ferme, très ferme, avecles États voyous. Et l’État ira-nien en est un.

Leséquilibres internationauxactuels sontégalementmenacésnonpluspardesÉtats,maisparderedoutablesmouvementsmigratoires.Celuiqui vientd’OrientpourarriverenEuropes’accompagned’unphénomènepuissant, lamontéede l’islamismeradical…Quelles leçonsen tirez-vous?B.-H. L. Il faut veiller à ne pas lier deux problèmes: lephénomène migratoire et l’islamisme radical. Celui-ciest le problème majeur, dans le sens où il est mondial.Il y a aujourd’hui une véritable guerre de civilisation àl’intérieur de l’islam, qui sépare l’islam du droit, desLumières, de l’islam totalitaire, guerrequi apartout sesrépercussions. Nous devons être intransigeants face àcela, comme nous l’avions été face aux autres totalita-rismes. Nous devons, par exemple, refuser les discoursde ceuxqui nous expliquentque l’islamisme radical “n’a

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IMMIGRATIONET ISLAMISME :

DEUXPHÉNOMÈNESÀ DISTINGUER

ET AUX RACINESÀ EXAMINER.

L’Empire et les cinq rois,de Bernard-Henri Lévy,Grasset, 288 pages, 20 €.

Vivre le temps des troubles,de Thierry de Montbrial,Albin Michel, 176 pages, 15 €. •

rien à voir avec l’islam”. Il faut le reconnaître: il existeune versionde l’islamqui est terroriste, assassine, radi-cale. C’est l’affaire des musulmans d’y faire face et derenouer avec une tradition d’interprétation du Coranqui s’est éteinte depuis quelques siècles.

Quant à la question des “migrants”, c’est une toutautre histoire—qui n’a rien à voir. Notre devoir d’Euro-péens est de conjuguer deux choses. Un devoir d’hospi-talitémoralement inconditionnel. Et une hospitalitéconcrète, conditionnée par la situation des pays d’ac-cueil, l’état de leur économie, leurs finances, les forcespolitiques enprésence, etc. Lesdeux éthiquesde convic-tion et de responsabilité doivent ici s’articuler de façontrès prudente, voire savante.T.deM. Il faut effectivement distinguer les deuxphéno-mènes, migratoire et terroriste. Il me paraît essentielpour ces deux phénomènes, et particulièrement pourle terrorisme, de remonter à leurs racines et de mesu-rer lepoidsdes responsabilités occidentales. Les erreurspolitiques américaines ont été colossales et répétées.Dans Vivre le temps des troubles, je fais aussi une ana-lysedesmanipulationsde la religionàdesfinspolitiques,qui ont marqué et marquent toujours notre époque.

Pour rejoindre ce qu’a dit de façon plus pudiqueBernard-Henri Lévy, quand on ouvre trop grand nosportesparcequ’onveutmontrerque l’ona le cœur large,il faut s’attendre à un boomerang politique. MmeMer-kel ena fait les frais. Sansparler desmouvementspopu-listes qui fleurissent dont l’Italie est la dernière illustra-tion. L’éthique de responsabilité implique d’anticiperautant que faire se peut les conséquences de ses actes. Ilne fautpasconfondrerealpolitiket réalisme.Êtreréaliste,c’est s’efforcer de comprendre objectivement les situa-tionspourmieuxanticiper lesconséquencesdesesactes.•ProposrecueillisparAnne-LaureDebaecker