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Liner notes« Toyballoons »p ar Jean-Marc Gélin Sonia Cat Berro est une chanteuse de Jazz. Avec cela on dit le sens du swing. La proximité intime de la phrase et du rythme. Dit aussi son approche du sensuel. Mais quand bien même on l’aurait dit, on n’aurait pas tout dit. Il faudrait ajouter que si Sonia-Cat Berro a assimilé ce qu’elle doit à celles qui l’ont précédée, elle est aussi une chanteuse de jazz ancrée dans son époque, qui regarde et écoute droit devant elle ce jazz moderne qui se pratique dans les clubs d’aujourd’hui et avec lequel elle crée sa propre esthétique. Celle-ci est moderne et design. Elle est hip et elle est pop. Elle est jazz. Elle est funky un petit peu, elle groove beaucoup. La musique qui la nourrit aujourd’hui, est celle qui se situe maintenant, celle du New York de Mark Turner et Kurt Rosenwinkel, de Fly et de Meldhau. Et Sonia Cat-Berro fait assurément partie de cette jeune génération du jazz qui va chercher son inspiration autant chez Joshua Redman que chez les Pink Floyd ou chez les héros de la pop anglaise. Il fallait juste chanter ce jazz là. Si Sonia Cat-Berro était un lieu, ce serait un loft du côté de Soho au design pop art. Si Sonia Cat Berro était une humeur, elle serait celle d’un groove lunaire d’après funk. Ce qui m’a toujours impressionné chez elle c’est la douce autorité naturelle avec laquelle elle vous emmène toujours exactement là où elle le veut. Avec détermination, Sonia sait exactement ce qu’elle attend de la musique. Elle a cette exigence de ceux qui sont amoureux de leur art. Exigence envers elle-même autant qu’envers les autres. La grâce en plus. Le plaisir en plus. La facétie en plus. Le sens du jeu et de l’amusement en plus. Pas un hasard d’ailleurs si l’album s’appelle « Toyballoons ». Faire de la musique et jouer. Dosage subtil entre des compositions originales et quelques standards. Car Sonia est avant tout une vraie musicienne avec une évidente complicité partagée avec ceux qui jouent avec elle. On dit bien ici « jouent avec elle » et non pas « ceux qui l’accompagnent ». Pierre de Bethmann, aux interventions toujours célestes, petites pépites d’or distillées, Gilles Barikosky le ténor complice musical de toujours, et la fameuse paire rythmique composée de Yoni Zelnik à la contrebasse, et de Karl Jannuska à la batterie, le rythmique certainement la plus demandée actuellement. Si l’on ajoute Gilles Olivesi en magicien du « son » on obtient certainement ce qui se fait de mieux aujourd’hui. Il y a là un alliage spécial, un son à part qui se prête à toutes les audaces sans jamais se départir d’une vraie esthétique. Dès l’entame avec ToyBalloons on entre dans cet univers totalement assumé qui donne voix à ce jazz moderne. Il suffit aussi d’écouter ensuite un standard comme The Man I love : il fallait oser l’affirmer dans cette modernité non pas pour l’interpréter autrement que Billie (impossible) mais plutôt pour y trouver le moyen d’en faire un tout nouveau matériau. L’emmener sur son terrain à elle. Et dans ces choix tranchés il y a autant d’audace que de sens du risque pris comme un moteur à la témérité qu’elle affiche, non pas comme un étendard mais comme une façon très personnelle de se mettre en danger. Il fallait oser s’attaquer dans un disque censé rentrer dans la case « jazz » à un Still Loving You , single culte s’il en est des Scorpions. Et il fallait une sacrée musicalité pour arriver à inclure ce titre en se l’appropriant, en restant

Liner notes Livret «Toyballoons »by JM Gélin

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Liner   notes«   Toyballoons   »par   Jean-Marc   Gélin

Sonia Cat Berro est une chanteuse de Jazz. Avec cela on dit le sens du swing. La proximité intime de la phrase et du rythme. Dit aussi son approche du sensuel. Mais quand bien même on l’aurait dit, on n’aurait pas tout dit. Il faudrait ajouter que si Sonia-Cat Berro a assimilé ce qu’elle doit à celles qui l’ont précédée, elle est aussi une chanteuse de jazz ancrée dans son époque, qui regarde et écoute droit devant elle ce jazz moderne qui se pratique dans les clubs d’aujourd’hui et avec lequel elle crée sa propre esthétique. Celle-ci est moderne et design. Elle est hip et elle est pop. Elle est jazz. Elle est funky un petit peu, elle groove beaucoup. La musique qui la nourrit aujourd’hui, est celle qui se situe maintenant, celle du New York de Mark Turner et Kurt Rosenwinkel, de Fly et de Meldhau. Et Sonia Cat-Berro fait assurément partie de cette jeune génération du jazz qui va chercher son inspiration autant chez Joshua Redman que chez les Pink Floyd ou chez les héros de la pop anglaise. Il fallait juste chanter ce jazz là.Si Sonia Cat-Berro était un lieu, ce serait un loft du côté de Soho au design pop art.Si Sonia Cat Berro était une humeur, elle serait celle d’un groove lunaire d’après funk.

Ce qui m’a toujours impressionné chez elle c’est la douce autorité naturelle avec laquelle elle vous

emmène toujours exactement là où elle le veut. Avec détermination, Sonia sait exactement ce qu’elle attend de la musique. Elle a cette exigence de ceux qui sont amoureux de leur art. Exigence envers elle-même autant qu’envers les autres. La grâce en plus. Le plaisir en plus. La facétie en plus. Le sens du jeu et de l’amusement en plus.Pas un hasard d’ailleurs si l’album s’appelle « Toyballoons ». Faire de la musique et jouer. Dosage subtil entre des compositions originales et quelques standards. Car Sonia est avant tout une vraie musicienne avec une évidente complicité partagée avec ceux qui jouent avec elle. On dit bien ici « jouent avec elle » et non pas «  ceux qui l’accompagnent ». Pierre de Bethmann, aux interventions toujours célestes, petites pépites d’or distillées, Gilles Barikosky le ténor complice musical de toujours, et la fameuse paire rythmique composée de Yoni Zelnik à la contrebasse, et de Karl Jannuska à la batterie, le rythmique certainement la plus demandée actuellement. Si l’on ajoute Gilles Olivesi en magicien du « son » on obtient certainement ce qui se fait de mieux aujourd’hui.Il y a là un alliage spécial, un son à part qui se prête à toutes les audaces sans jamais se départir d’une vraie esthétique. Dès l’entame avec ToyBalloons on entre dans cet univers totalement

assumé qui donne voix à ce jazz moderne. Il suffit aussi d’écouter ensuite un standard comme The Man I love : il fallait oser l’affirmer dans cette modernité non pas pour l’interpréter autrement que Billie (impossible) mais plutôt pour y trouver le moyen d’en faire un tout nouveau matériau. L’emmener sur son terrain à elle. Et dans ces choix tranchés il y a autant d’audace que de sens du risque pris comme un moteur à la témérité qu’elle affiche, non pas comme un étendard mais comme une façon très personnelle de se mettre en danger. Il fallait oser s’attaquer dans un disque censé rentrer dans la case «  jazz » à un Still Loving You , single culte s’il en est des Scorpions. Et il fallait une sacrée musicalité pour arriver à inclure ce titre en se l’appropriant, en restant au plus près des arrangements d’origine et sans rompre pour autant la cohérence de l’album. Pari impossible. On crie au casse gueule. On jure que sur le papier ça ne va pas le faire. Et pourtant, lorsque l’on écoute les ballades de cet album et qu’on le place aux côtés d’un immense standard comme What are you doing the rest of your life de Michel Legrand, moment rare d’intimité entre la chanteuse et Pierre de Bethmann, c’est toujours la même esthétique, le même feeling, toujours la même façon de donner au rythme lent la sensualité du swing mélodieux.

Sur la musique du  superbe saxophoniste ténor Gilles

Barikosky ,au lyrisme net et tranchant, Sonia signe les textes en anglais de 7 des10 titres de l’album. Et là encore cette complicité parfaite. Sur If I par exemple, thème à l’énergie rock sur lequel on entend l’exacte répartition des rôles entre eux,  créateurs d’ambiance et de trame sur laquelle Pierre De Bethmann peut développer ses nappes électro au fender. La chanteuse manie cet esprit New Yorkais avec un humour élégant et un peu décalé comme dans ce Talk and Talk ou encore dans A day in the city, clin d’oeil à la ville du jazz avec en prime une envolée superbe de grâce et de phrasé de Barikosky. Créateurs d’atmosphères disions nous : ce Easy to fall in Love aux arrangements lunaires où Pierre de Bethmann nous transporte, dans une sorte d’état second, dans les étoiles. Puis cette parenthèse magique avec In summer days in summer nights, intro bleutée, duo Sonia et De Bethmann rejoints par le saxophoniste. Douce mélancolie. Moment de suspension aérien dans la stratosphère. Et Infinity. Retour au groove pour faire tourner un riff comme si l’album ne se terminait pas et ouvrait à toutes les impros. Non pas une fin mais plutôt le début d’une jam…. L’énergie transmise. Les portes du club de jazz ouvertes jusqu’au bout de la nuit. Fin de soirée dans un club de Brooklyn. Entre chien et loup.