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L'INFANS CHERCHEUR Jean-François Chiantaretto ERES | Cliniques méditerranéennes 2008/1 - n° 77 pages 195 à 203 ISSN 0762-7491 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-cliniques-mediterraneennes-2008-1-page-195.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Chiantaretto Jean-François, « L'infans chercheur », Cliniques méditerranéennes, 2008/1 n° 77, p. 195-203. DOI : 10.3917/cm.077.0195 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour ERES. © ERES. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - University of Chicago - - 128.135.12.127 - 18/04/2013 18h12. © ERES Document téléchargé depuis www.cairn.info - University of Chicago - - 128.135.12.127 - 18/04/2013 18h12. © ERES

L'infans chercheur

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L'INFANS CHERCHEUR Jean-François Chiantaretto ERES | Cliniques méditerranéennes 2008/1 - n° 77pages 195 à 203

ISSN 0762-7491

Article disponible en ligne à l'adresse:

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Pour citer cet article :

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Chiantaretto Jean-François, « L'infans chercheur »,

Cliniques méditerranéennes, 2008/1 n° 77, p. 195-203. DOI : 10.3917/cm.077.0195

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Jean-François Chiantaretto

L’infans chercheur *

Comment transmettre quelque chose de la psychanalyse à l’université ?La question n’est pas nouvelle, on le sait, elle a été posée par Freud dès 1918,dans « Faut-il enseigner la psychanalyse à l’université 1 ? ». La perspectivefreudienne reste actuelle, pour la plupart de ceux d’entre les analystes quisont aussi des enseignants chercheurs : si la formation des psychanalystesn’exige pas intrinsèquement le recours à l’université, il est souhaitable etnécessaire que l’université ait recours à la psychanalyse pour la formationdes médecins et des psychiatres, mais aussi plus largement pour l’enseigne-ment et la recherche dans les « sciences de l’esprit ». Il s’agirait seulement deprendre acte de l’extension de cette perspective à la formation des psycho-logues cliniciens et à la recherche en psychopathologie 2.

Mais cette extension intervient aujourd’hui dans un contexte marqué parla difficulté de maintenir l’exigence que le recours à la psychanalyse – pourla formation des psychologues cliniciens et la recherche en psychopathologie– soit assuré principalement par des psychanalystes. Un tel contexte, pourdommageable qu’il soit, souligne mieux qu’auparavant les limites de la pers-pective freudienne concernant la psychanalyse à l’université, dans la mesureoù elle n’intègre pas véritablement le problème de la méthode analytique,abordé seulement sous l’aspect de la « fécondation » desdites « sciences del’esprit 3 ». Or la formation des cliniciens questionne en elle-même la

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Jean-François Chiantaretto, psychologue clinicien et psychanalyste, professeur de psychopathologie àl’université Paris 13 ; 99 avenue Jean-Baptiste Clément, F-93430 Villetaneuse. * Ce texte reprend et prolonge une communication prononcée lors du colloque « Un paradoxede Winnicott » (université Paris 7, 27 novembre 2004).1. S. Freud (1919j), « Faut-il enseigner la psychanalyse à l’Université ? », Œuvres complètes. Psy-chanalyse, XV, Paris, PUF, 1996.2. Je laisse délibérément ouverte la question de la formation des psychothérapeutes.3. Ibid., p. 113.

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méthode psychanalytique, et ce questionnement-là ne peut être porté que pardes enseignants qui pratiquent la psychanalyse.

Dès le cas Dora, Freud nous a donné les mots pour comprendre et fairel’expérience de la position d’analyste comme étant intrinsèquement uneposition de chercheur, ce qu’ensuite il ne manquera jamais de rappeler, parexemple dans « L’homme aux loups ». Il y a une association en l’analyste duthérapeute et du chercheur, des exigences thérapeutiques et des exigencesliées à « l’investigation 4 ». Cette association, même si elle est toujours plusou moins conflictuelle, signifie qu’en dernière instance : d’une part, il n’y ade « traitement » psychanalytique qu’en liaison avec le développement despossibilités d’investigation, ensemble et séparément, de l’analyste et de l’ana-lysant, et d’autre part, il n’y a de recherche en psychanalyse qu’en liaisonavec le développement des possibilités thérapeutiques de la psychanalyse.

Comment transmettre quelque chose de la psychanalyse à l’université ? Je vou-drais ici simplement souligner en quoi la question ne se pose pas avec Win-nicott comme avec Freud. Ou plutôt, comment la définition freudienne de laméthode analytique, qui vaut pour ce dernier comme définition en propre dela psychanalyse, peut et doit intégrer l’extension winnicottienne du champpsychanalytique à l’infans, tout particulièrement telle qu’elle est présentéedans La nature humaine.

DE L’ANALYSTE CHERCHEUR À L’ENSEIGNANT CHERCHEUR

Nous sommes presque tous d’accord, au moins officiellement : l’analystechercheur, lorsqu’il est en position d’enseignant-chercheur à l’université, s’ilne forme pas des analystes, ne transmet pas seulement un savoir théorique.Je dirais qu’il s’agit pour lui d’essayer de transmettre un savoir inspiré parson expérience, par nature singulière, de la méthode analytique, une expé-rience au cœur de sa pratique clinique comme des recherches qu’il mène horsla cure. Ainsi l’enseignant-chercheur est-il supposé trouver des modalités quilui soient propres pour ouvrir son discours à ce qui, précisément, fait de lui,en tant qu’analyste, un chercheur.

Dans la situation analytique, cela renvoie à une éthique du connaître,procédant de la tension constitutive entre exigences scientifiques et exigencesthérapeutiques, entre l’universalisable des concepts et le singulier d’une ren-contre par nature inédite. En d’autres termes, une telle éthique renvoie à laconfrontation entre le « déjà-connu d’une théorie et le non-encore-connuauquel nous confronte le discours qu’on écoute 5 ». Cette confrontation, qui

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4. Cf. J.-F. Chiantaretto, L’écriture de cas chez Freud, Paris, Anthropos/Economica, 1999.5. P. Aulagnier, La violence de l’interprétation, Paris, PUF, 1975, p. 13.

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rend la solitude de l’analyste potentiellement partageable avec les autres ana-lystes, suppose ce que j’appelle un public interne 6, c’est-à-dire la mise enœuvre dans le travail de pensée en séance de la dimension tierce de la théo-rie et de la méthode psychanalytiques. Cette mise en œuvre suppose elle-même un dialogue intérieur, notamment avec les analystes référents del’analyste – dialogue sans lequel l’inscription en l’analyste de l’appartenancesymbolique de chacun à la communauté analytique serait empêchée par lesréseaux transférentiels et d’appartenances.

De ce dialogue intérieur, l’analyste en position d’enseignant-chercheurdoit en quelque façon répondre, l’enjeu étant de rendre pensable par les étu-diants, au travers de l’approche psychopathologique, le conflit irréductibleentre l’éthique du connaître liée à la cure et l’éthique universitaire, liée à latransmission des connaissances, entre un registre psychique centré sur le fluxassociatif et l’interaction de deux inconscients et le registre de la penséehypothético-déductive. Cela revient à trouver un style de discursivité qui netrahisse pas trop le style caractérisant le penser en séance : l’enjeu est detémoigner d’une place singulière d’interprète, selon des modalités respectantla dimension du secret caractérisant la séance et permettant de déplacer toutecommunication informative.

Dans la perspective freudienne, je soutiendrais que l’analyste chercheuren position d’enseignant-chercheur est appelé à témoigner, plus ou moinslatéralement, de ses dispositions à mobiliser en soi l’enfant chercheur, c’est-à-dire ce spécialiste des théories sexuelles infantiles dont nous parle si bienFreud dans le deuxième essai de 1905. J’essaierai rapidement de circonscrireune perspective winnicottienne, où il s’agirait de témoigner, plus ou moinslatéralement, de ses dispositions à mobiliser en soi l’infans chercheur, c’est-à-dire ce spécialiste de la nature humaine, au sens où Winnicott en parle dansle recueil du même nom 7. J’ai d’ailleurs relu ce texte issu d’enseignementsdonnés à l’université avec l’espoir de m’éclairer à moi-même la convergence,dans mon parcours, de l’expérience de l’enseignement et de l’importanceprise dans ma pratique clinique par Winnicott, et plus largement, par lemodèle de la relation nourrisson/psyché maternelle, alors même que je rece-vais de moins en moins d’enfants, petits ou grands.

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6. Je me permets ici de renvoyer le lecteur à mes travaux autour de l’idée de « témoin interne »(cf. J.-F. Chiantaretto, Le témoin interne, Paris, Aubier/Flammarion, 2005).7. D.W. Winnicott (1988), La nature humaine, Paris, Gallimard, 1990.

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LA NATURE HUMAINE DE LA CRÉATION/LA NATURE HUMAINE COMME CRÉATION

Cela m’a rendu particulièrement sensible à la démarche régrédiente dulivre pour étudier et définir la nature humaine, de l’enfant de la période œdi-pienne à l’infans jusqu’au nourrisson des premiers mois. Winnicott nousexplique que la méthode ne saurait être la même pour décrire l’enfant et l’in-fans : avec ce dernier, « on ne considérera pas un enfant supposé savoir gérerune relation triangulaire, mais un petit enfant et sa capacité à former unerelation avec une autre personne (la mère) 8 ». Et, ajoute-t-il, « plus notreétude du développement avance sur son chemin rétrograde, et plus nousnous retrouvons à l’évidence impliqués profondément dans l’étude de l’en-vironnement, qui, dans le vocabulaire de la psychothérapie, relève de l’amé-nagement 9 ».

La définition de la nature humaine n’intervient véritablement que dansla quatrième et dernière partie, consacrée au « développement émotionnelprimitif » des premières semaines après la naissance et à la psychose. Elle estprécédée, à la fin de la troisième partie, de considérations sur les quatre caté-gories de matériaux de l’analyse, renvoyant certes au type d’organisation dupatient, mais en sachant que « le type de matériau présenté dépend du lan-gage de l’analyste 10 », c’est-à-dire de ses dispositions à travailler avec cesquatre types de matériaux.

Autrement dit, dans la ligne d’un Ferenczi, l’approche de la naturehumaine n’est pas l’approche d’une essence humaine, mais l’approche desconditions psychiques, à la fois intrapsychiques et intersubjectives, présidantau passage du non-être à l’être, outre la naissance et la satisfaction desbesoins vitaux. Et à ce titre, elle passe par l’approche de ce qui se rejoue deces conditions dans l’implication on pourrait presque dire existentielle del’analyste pour rendre possible un cadre analytique adapté à des phases mas-sives de manifestations archaïques.

On voit au mieux, dans ce texte autour de la nature humaine, le pointpeut-être le plus dérangeant et le plus stimulant chez Winnicott : poser d’unmême geste théorique l’idée d’une dépendance vitale au plan psychique,d’abord absolue et définitivement inconnaissable, vis-à-vis de l’environne-ment – ce qu’il désigne dans d’autres textes sous le terme de mère-environ-nement – et l’idée de créativité primaire. Le fameux trouvé/créé, comme laversion winnicottienne de l’hallucination primaire, supposent une conver-

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8. Ibid., p. 91.9. Ibid., p. 131.10. Ibid., p. 120.

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gence entre la mère et le nourrisson, tout à la fois une adaptation suffisantechez la mère et un « potentiel créatif » chez le bébé.

« Le monde est créé à nouveau par chaque être humain, qui se met à latâche au moins aussitôt qu’il naît et prend son premier repas théorique.Ce que crée le tout-petit dépend très largement de ce qu’on lui présenteau moment créatif : « on », c’est-à-dire la mère et son adaptation activeaux besoins du bébé : mais, que la créativité du tout-petit vienne à man-quer, et les détails présentés par la mère seront dépourvus de sens. 11 »

SOLITUDE ET DÉPENDANCE

À partir de là, Winnicott va proposer une théorie du passage du non-êtreà l’être, c’est-à-dire une définition de la nature humaine en termes de genèse,en lien avec ce qu’il nomme « l’essentielle solitude » ou « la solitude fonda-mentale ». Cette solitude est, dit-il, « la base de la nature humaine 12 », « del’être humain comme membrane limitante avec un dedans et un dehors 13 ».Elle précède la dépendance mais elle est décrite par Winnicott de façon assezambiguë, puisqu’il semble distinguer un état « d’avant l’animation de la vie,où la solitude est un fait 14 », et l’état proprement dit de solitude, à partirduquel l’être émerge, du point de vue individuel.

L’ambiguïté peut être ramenée à la polémique que Winnicott mènecontre l’idée freudienne de pulsion de mort, qui traduit à ses yeux l’évite-ment chez Freud à la fois de « l’agression inhérente à la pulsion d’amour pri-maire » et de celle inhérente à la réaction à « l’interruption de la continuitéd’existence par empiétement 15 ». De ce point de vue, l’argumentation deWinnicott se doit de mettre en avant une théorie de la genèse psychique fon-dée sur la « séquence » : « “Solitude”, double dépendance, pulsion précédantla compassion, puis souci et culpabilité 16. »

Toutefois l’ambiguïté laisse apparaître le paradoxe dès lors qu’on metl’accent sur l’idée de double dépendance. Outre le fait de la solitude, liée à lanon-vie, avant l’animation de la vie, Winnicott postule une capacité de sesoucier de la solitude avant la dépendance, fondée sur cette expérience pre-mière de la solitude. Il définit ainsi un état de solitude, intégralement igno-rant de ses conditions, correspondant à une dépendance absolue

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11. Ibid., p. 146.12. Ibid., p. 172.13. Ibid., p. 127.14. Ibid., p. 172.15. Ibid., p. 174.16. Ibid., p. 174.

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inconnaissable, qui n’a pas de sens, dans la mesure où il n’y a aucuneconscience de l’environnement ni de l’amour de l’environnement (de l’adap-tation active de l’environnement).

Cette solitude fondatrice, sous réserve d’une adaptation active de l’en-vironnement suffisamment consistante pour permettre l’illusion dutrouvé/créé, va être reconnue comme telle. Une telle reconnaissance de lasolitude fondamentale, qui va ensuite rendre possible de supporter l’absencede « contact direct entre la réalité extérieure et moi-même », correspond à laprogressive prise de sens et perception de la dépendance, c’est-à-dire unedépendance seconde, relative, susceptible d’être connue et perçue.

On peut considérer qu’une certaine ambiguïté reste attachée à l’idéed’une solitude avant la dépendance : avant même la dépendance absolue ouavant ce que je nomme ici la dépendance seconde, soit le mouvement pro-gressif de reconnaissance de la dépendance ? Mais il me semble essentiel deprendre acte de l’apport winnicottien sur trois points :– « l’expérience du premier éveil » inscrit psychiquement la possible repré-sentation de l’état de non-vie qui précède, recouverte par l’interrogation surla mort ;– la reconnaissance après coup d’une solitude originelle, qui inscrit enl’homme un état de solitude présent jusqu’à la mort, jusqu’au retour à la non-vie, une solitude « accompagnée par l’absence de conscience des conditionsmêmes qui sont essentielles à l’état de solitude 17 » ;– la distinction entre le fait de la solitude, liée au nécessaire passage de lanon-vie à la vie et l’état de solitude. Cet état de solitude est caractérisé parl’inconnaissable de ses conditions, renvoyant à l’adaptation de l’environne-ment, et par la nécessité qu’il soit reconnu, pour supporter la nature illusoiredu contact entre réalité intérieure et réalité extérieure.

LA SOLITUDE EN L’ANALYSTE

Voilà donc l’approche paradoxale de la solitude caractérisant la naturehumaine dont Winnicott nous dit qu’elle se rejoue dans l’implication del’analyste pour rendre possible un usage vivant et créatif du cadre analy-tique, en particulier chez les patients dits limites !

La régression thérapeutique renvoie chez Winnicott à une utilisation thé-rapeutique du repli dans lequel le sujet « prend en main une partie régresséedu self et le materne, aux dépens des relations extérieures 18 ». Cela suppose

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17. Ibid., p. 172.18. Ibid., p. 182.

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une « capacité de confiance », qui repose sur la capacité chez l’analyste à uneadaptation suffisamment bonne aux besoins psychiques du patient, de tellefaçon qu’il devienne « non conscient des soins de l’environnement et de ladépendance 19 ». Est ainsi exigé de l’analyste qu’il soit capable d’assumerd’être investi d’abord comme figure maternelle idéalisée, aux soins parfaits,puis progressivement aussi comme figure maternelle mauvaise. De telles dis-positions reposent sur la confiance accordée par l’analyste, en lui, à ce que j’aiappelé l’infans chercheur, spécialiste de la solitude, né de l’absence de contactdirect entre réalité intérieure et extérieure, chercheur acceptant l’inconnais-sable, de la créativité primaire comme de la rencontre de l’adaptation activesuffisamment bonne de l’environnement.

Il y a, pour l’analyste en situation, une réactivation, en lui, de l’infanschercheur ainsi défini, c’est-à-dire des racines émotionnelles et affectives deson propre Je. Comme celle de la mère en relation avec le nourrisson, la psy-ché de l’analyste manifeste une pluralité de fonctionnements. Ces fonction-nements tiennent ensemble dans la stricte mesure où l’analyste en situationinvestit la traduction des émotions et affects en mots, et les limites d’une telletraduction, comme une source de questionnement sur sa propre pensée, surles sources inconnaissables de sa propre pensée. Cela correspond à ce quePiera Aulagnier désigne comme les « questions fondamentales » de l’ana-lyste, en référence à son concept de « langage fondamental 20 ».

Mon hypothèse serait de considérer la « théorisation flottante » de l’ana-lyste, au-delà de la fonction pare-excitation/contenante, comme un dialogueinterne donnant lieu au pouvoir identifiant de la psychanalyse, comme l’es-pace d’inscription en situation d’un public interne, d’une communautéinterne. Ainsi, s’inscrit psychiquement le partageable de la solitude de l’ana-lyste, il faudrait dire la dimension à la fois intersubjective et communautairede la métapsychologie, telle qu’elle rend possible de garantir le secret dupenser « en présence de », caractérisant la séance.

Ce dialogue interne, qui met en œuvre l’hétérogénéité de fonctionne-ment du penser de l’analyste, j’ai proposé ailleurs de le comprendre commeune écriture potentielle, donnant fond à la parole, actualisant les fondementsrelationnels de la parole 21. Il concerne en l’analyste l’enfant chercheur freu-dien, mais aussi l’infans chercheur winnicottien. Il met en œuvre non seule-

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19. Ibid., p. 183.20. Cf. P. Aulagnier, L’apprenti-historien et le maître-sorcier, Paris, PUF, 1984 ; Cent fois sur le métier(on remet son écoute), Topique, n° 41, 1988, p. 7-17.21. Cf. J.-F. Chiantaretto, « L’écriture du psychanalyste et la séance. Publication interne etméthode analytique », dans J. André, I. Lasvergnas (sous la direction de), La psychanalyse àl’épreuve du malentendu, Paris, PUF, 2006, p. 117-134.

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ment un style interprétatif, mais aussi un style d’être. Il implique non seule-ment la richesse sémantique des mots mais aussi leurs sources émotionnelles,renvoyant à l’expérience, à jamais en deçà de toute connaissance, d’avoir étépensé par les mots de l’autre. Il implique non seulement le pouvoir interpré-tant du langage, mais aussi son pouvoir identifiant.

LE PLURIEL DE L’ANALYSTE ET LA POSITION D’ENSEIGNANT CHERCHEUR

Dans cette perspective, l’analyste chercheur en position d’enseignant-chercheur va donner à entendre, à son su et son insu, qu’il y consente ou s’yoppose, ce dialogue interne lié à la théorisation flottante en séance. Cela peutdans les meilleurs cas l’amener à inventer un style de discursivité gardanttrace du pluriel à l’œuvre dans la situation analytique. Ledit pluriel corres-pond à la pluralité de ses registres de fonctionnement en séance, l’affect, lesens et la culture engageant tous ensemble l’affectivité comme étant à la foisun mode de connaissance et un mode thérapeutique spécifique à la curecomme « expérience relationnelle », permettant de retisser ou réactiver l’in-terprétation maternelle 22. Il s’agit aussi de la pluralité des figures identifica-toires, des liens d’appartenance et des étayages métapsychologiques mis enjeu avec la fonction analysante.

On pourrait ajouter que ce pluriel se conjugue avec la pluralité desapproches requises pour l’approche génétique de la nature humaine tellequ’elle est proposée par Winnicott.

« Il n’y a pas d’étude plus importante que celle de l’individu au début,quand il est intimement pris dans l’environnement. Là se rencontrent lesnombreuses disciplines de l’investigation scientifique générale, du dia-gnostic et de la pratique psychiatrique et psychothérapeutique, ainsi quede la philosophie, auxquelles nous devons le courage de procéder pas àpas vers une meilleure compréhension de la nature humaine. 23 »

** *

Le témoignage de l’analyste en position d’enseignant-chercheur, qui rendpossible la transmission, est par nature latéral, indirect et parcellaire, du faitde l’hétérogénéité de l’espace analytique et de l’espace universitaire. Il l’est

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22. Cf. P. Aulagnier, 1975, op. cit.23. D.W. Winnicott, op. cit., p. 193.

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Page 10: L'infans chercheur

par nature et doit être assumé comme tel, de façon à préserver l’espace dusecret, constitutif de la séance. Son objet est un mode de penser, donné à pen-ser et non à voir. Plus précisément, il s’agit d’attester de sa place singulièred’interprète et de la relation analytique comme espace de questionnement desa propre pensée et de ses sources, sans exhiber la scène analytique. C’est à cetteposition, difficile voire presque impossible, que nous convie Winnicott, uneposition consistant donc à autoriser jusqu’à un certain point la parole ensei-gnante à être inspirée par le destin interne de l’infans chercheur – soit lasource peut-être première du singulier mis en œuvre avec la méthode analy-tique, méthode indissociablement d’investigation et de traitement.

RésuméLa question de la transmission de la psychanalyse à l’université est à reprendre à par-tir de Winnicott, notamment de sa réflexion autour de l’idée de nature humaine. Avecle statut spécifique conféré à la recherche par la méthode analytique, il s’agit ainsi derepenser la figure freudienne de l’enfant chercheur en intégrant la dimension de l’in-fans.

Mots clésDépendance, dialogue intérieur, méthode analytique, psychanalyse à l’université, solitude.

INFANS AS SEEKER

SummaryThe question of transmission of psychoanalysis at the university needs to be reconsi-dered from Winnicott’s standpoint, especially his thoughts around the idea of humannature. With the specific status conferred on research by the analytical method, thisinvolves rethinking the Freudian figure of the child as seeker of truth taking in thedimension of infans.

KeywordsDependence, interior dialogue, analytical method, psychoanalysis at the university, solitude.

L’INFANS CHERCHEUR 203

Cliniques Méd 77 27/02/08 9:56 Page 203

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