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L’interprétation d’une nouvelle littéraire résistante par des adolescents québécois de 14 à 17 ans Mémoire Cindy Pelletier Maitrise en didactique Maitre ès arts (M.A.) Québec, Canada © Cindy Pelletier, 2017

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L’interprétation d’une nouvelle littéraire résistante

par des adolescents québécois de 14 à 17 ans

Mémoire

Cindy Pelletier

Maitrise en didactique

Maitre ès arts (M.A.)

Québec, Canada

© Cindy Pelletier, 2017

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L’interprétation d’une nouvelle littéraire résistante

par des adolescents québécois de 14 à 17 ans

Mémoire

Cindy Pelletier

Sous la direction de :

Érick Falardeau, directeur de recherche

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Résumé

L’objectif général de notre projet est d’étudier les capacités d’adolescents de 14 à 17 ans à

interpréter une nouvelle littéraire difficile. Des rencontres avec 39 élèves nous ont permis

de collecter nos données par l’intermédiaire de la méthode de la pensée à voix haute et de

l’entretien semi-dirigé. Nous avons effectué une analyse de ces données grâce à la méthode

de l’analyse de contenu. Plus précisément, nous avons d’abord regroupé les élèves dans des

profils d’interprètes selon leurs interprétations du texte Dragon (Bradbury, 1986). Nous

avons ensuite étudié le lien entre l’interprétation proposée par chacun d’eux et leur recours

à des éléments du texte ou à des connaissances personnelles pertinentes pour interpréter.

Enfin, nous avons dégagé le lien entre le degré global de compréhension et la plausibilité

des interprétations avancées pour chaque profil créé. Globalement, nos résultats convergent

vers les observations suivantes :

1) les élèves qui ont proposé les interprétations les plus plausibles sont ceux qui se

sont le plus appuyés sur des éléments du texte et sur des connaissances personnelles

pertinentes;

2) les élèves dont la compréhension des enjeux centraux de l’histoire était adéquate

ont, de façon générale, formulé des interprétations pertinentes pour expliquer le

non-dit;

3) les élèves qui n’ont pas cerné le genre du texte lu ont eu plus de difficulté à le

comprendre et à l’interpréter.

Ces résultats montrent l’importance d’enseigner aux élèves des stratégies métacognitives

polyvalentes à utiliser pour la compréhension et l’interprétation de textes de tous genres,

notamment le retour au texte et l’utilisation de connaissances personnelles. De plus, nos

résultats suggèrent un travail en classe de français sur des textes peu communs afin

d’élargir l’expérience de lecture des élèves et les préparer à surmonter les défis générés par

les singularités des textes.

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Table des matières

RÉSUMÉ III

TABLE DES MATIÈRES IV

LISTE DES TABLEAUX VIII

LISTE DES FIGURES IX

LISTE DES SIGLES ET DES SYMBOLES X

REMERCIEMENTS XI

INTRODUCTION 1

CHAPITRE 1: PROBLÉMATIQUE 3

1.1 L’approche interprétative dans le système scolaire actuel : état des lieux 3

1.1.1 L’émergence de l’interprétation en lecture dans les programmes d’études 3

1.1.2 L’écart entre les pratiques du primaire et celles du secondaire 4

1.1.3 Les pratiques enseignantes observées dans les écoles secondaires 5

1.2 Les capacités des élèves en lecture 8

1.2.1 Les aptitudes à interpréter chez les jeunes lecteurs 8

1.2.2 Les difficultés en compréhension 9

1.2.3 Les difficultés propres à l’interprétation 14

1.3 Le rôle de l’enseignant pour favoriser l’interprétation en lecture 17

1.3.1 L’utilisation de textes résistants 17

1.3.2 La gestion de la multiplicité des interprétations 18

1.3.3 L’explicitation des critères de validité d’une interprétation 19

1.3.4 L’instauration de pratiques pédagogiques propices au développement de la compétence à

interpréter 20

1.4 Problème et objectifs de recherche 21

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1.4.1 Notre étude : un complément pour mieux comprendre les difficultés d’adolescents québécois

à interpréter des textes 22

1.4.2 Objectif général et objectifs spécifiques de notre étude 22

1.4.3 Pertinence de nous intéresser aux capacités d’adolescents québécois en lecture par rapport

au critère interprétation 23

CHAPITRE 2: CADRE THÉORIQUE 24

2.1 La limite entre la compréhension et l’interprétation 24

2.1.1 Définition de la compréhension 24

2.1.2 Définition de l’interprétation 26

2.1.3 L’émergence simultanée de la compréhension et de l’interprétation grâce à l’engagement du

lecteur 27

2.2 Les rôles interactifs de l’auteur, du texte et du lecteur 29

2.2.1 L’auteur 29

2.2.2 Le texte 30

2.2.3 Le lecteur 31

2.2.4 Bilan et présentation du modèle retenu par rapport à la relation entre l’auteur, le texte et le

lecteur 35

2.3 La validation d’une interprétation 36

2.3.1 La source du problème de validation d’une interprétation 36

2.3.2 La définition de critères de validité d’une interprétation 37

2.3.3 La démarche d’analyse d’interprétations 42

2.4 Retour sur les objectifs de recherche 43

CHAPITRE 3: DÉMARCHE DE RECHERCHE 44

3.1 Le projet de recherche duquel proviennent nos données : présentation globale 44

3.2 Le texte soumis aux participants 45

3.2.1 Le choix d’une nouvelle littéraire résistante 45

3.2.2 Le résumé du texte 46

3.2.3 Les difficultés du texte 46

3.3 Les rencontres avec les élèves pour collecter les données 47

3.3.1 La méthode de la pensée à voix haute 47

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3.3.2 L’entretien semi-dirigé 49

3.4 L’analyse de contenu pour traiter l’ensemble des données 52

3.4.1 Le codage et l’extraction de données spécifiques en fonction des objectifs de notre étude 52

CHAPITRE 4: RÉSULTATS 62

4.1 Présentation des quatre profils d’interprètes 62

4.1.1 Portrait du profil A 63

4.1.2 Portrait du profil B 64

4.1.3 Portrait du profil C 65

4.1.4 Portrait du profil D 69

4.2 L’appui sur des éléments du texte Dragon et le recours à des connaissances personnelles

pertinentes pour formuler des interprétations 70

4.2.1 L’aisance de plusieurs élèves du profil A à prouver leur interprétation 70

4.2.2 La difficulté de plusieurs élèves du profil B à prouver leur interprétation 74

4.2.3 Les exceptions des profils A et B 76

4.2.4 Les insuccès des élèves du profil C dans leurs tentatives de prouver leur interprétation 80

4.2.5 Le « silence interprétatif » de l’élève du profil D 83

4.3 L’influence de la compréhension de la nouvelle Dragon sur l’interprétation pour chacun

des profils 84

4.3.1 Le profil A : quand compréhension assurée rime avec interprétation pertinente 84

4.3.2 Le profil B : une compréhension adéquate, mais une interprétation qui fait fi de certains

éléments du texte 85

4.3.3 Les profils C et D : quand la difficulté à lier des éléments du texte entre eux entraine une

escalade de déductions erronées ou stoppe l’imagination 86

4.4 Bilan des résultats présentés 87

CHAPITRE 5: INTERPRÉTATION ET DISCUSSION DES RÉSULTATS 91

5.1 La compréhension globale d’un texte : un tremplin pour les hypothèses interprétatives 91

5.2 S’appuyer sur le texte : une attitude propice à la formulation d’interprétations pertinentes 92

5.3 Les critères de validité d’une interprétation : une balise pour évaluer la nécessité (ou non)

d’aller au-delà du texte pour interpréter 94

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5.4 Les singularités d’un texte : un frein à la compréhension? 96

5.5 Bilan des éléments qui ont nui à l’interprétation des élèves 98

5.5.1 Le format peu conventionnel du texte proposé 98

5.5.2 Les difficultés de compréhension 99

5.5.3 La prise en compte insuffisante des éléments du texte 99

5.5.4 Le format des entretiens semi-dirigés 100

CONCLUSION 102

ANNEXE A: TEXTE LE DRAGON 104

ANNEXE B: SCHÉMA D’ENTRETIEN 107

ANNEXE C: RÉSUMÉ DES RÉPONSES DES ÉLÈVES AUX DEUX

QUESTIONS D’INTERPRÉTATION ANALYSÉES 109

BIBLIOGRAPHIE 117

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viii

Liste des tableaux

Tableau 1: Codes utilisés pour annoter les transcriptions des rencontres avec les

élèves 58

Tableau 2: Comparaison du niveau de compréhension globale et de la pertinence

de l’interprétation des quatre profils d’interprètes 88

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Liste des figures

Figure 1: Évolution de la compréhension et de l’interprétation du lecteur

pendant qu’il lit un texte 28

Figure 2: Les rôles interactifs de l’auteur, du texte et du lecteur 36

Figure 3: Les critères qui permettent de valider une interprétation 39

Figure 4: La subjectivité du lecteur et sa distanciation du texte pour l’interpréter 41

Figure 5: Les étapes pour formuler une interprétation à la suite de la lecture

d’un texte résistant 43

Figure 6: Type de données analysées pour chacun des objectifs de notre étude 53

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Liste des sigles et des symboles

MELS : Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport

MEQ : Ministère de l’Éducation du Québec

MPVH : Méthode de la pensée à voix haute

OCDE : Organisation de coopération et de développement économiques

PISA : Programme international pour le suivi des acquis des élèves

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Remerciements

Je remercie mon directeur de recherche, Érick Falardeau, qui m’a formulé plusieurs

commentaires tout au long du processus de rédaction de mon mémoire. Son sens critique

m’a forcée à préciser certains propos, à les nuancer ou à les appuyer davantage, et ce,

toujours dans l’optique d’augmenter la qualité du produit final que je propose.

Je remercie Marion Sauvaire et Hélène Makdissi, qui ont accepté d’évaluer mon mémoire

et qui m’ont fourni des encouragements et de précieux conseils tout au long de ma

rédaction.

Je remercie également ma sœur Daisy qui a agi comme une conseillère de premier plan

jusqu’à la fin de mon projet. Lorsqu’elle rencontrait des problèmes dans la rédaction de son

propre mémoire, elle les résolvait, puis me transmettait les solutions pour que je sauve du

temps lorsque je ferais face aux mêmes embuches. Au final, j’ai dû lui poser des centaines

de questions – peut-être même que nous frôlons le millier – auxquelles elle a patiemment

pris le temps de répondre.

Je remercie mes parents, Yvon et Helen, qui m’ont toujours encouragée à aller jusqu’au

bout de mes rêves. Depuis que je suis jeune, ils m’enseignent à persévérer pour atteindre

mes objectifs. Ils n’ont jamais remis en question ma décision de poursuivre mes études et

ils ont toujours su que je complèterais ce mémoire.

Je remercie mon conjoint, Jean-Nicol, qui a patiemment écouté le récit de mes aventures de

rédaction. Il m’a encouragée à améliorer l’organisation et la gestion de mon emploi du

temps et m’a soutenue pour que je mène ce projet d’études supérieures à terme.

Je remercie mes collègues de travail du 8e étage de la tour des sciences de l’éducation qui

ont agrémenté mes journées de rédaction par leur humour ou par leurs témoignages :

Sylvie, Anthony, Jessica, Julie-Christine, Florent, Marie-Pierre, Kim et Caroline. Ces gens

comprenaient parfaitement ma situation parce qu’ils sont tous passés par la rédaction d’un

mémoire ou d’une thèse.

Je remercie ma sœur Vicky et mon frère Andy, qui se sont tenus informés de l’avancement

de mes études et qui m’ont mise au défi de terminer ce mémoire.

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Je remercie Nicolas, le conjoint de ma sœur, qui s’est proposé pour m’aider à effectuer la

mise en page de mon travail. Il m’a permis de sauver un temps précieux lors de la dernière

étape avant le dépôt du mémoire.

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1

Introduction

Soucieuse de rédiger un mémoire de maitrise1 répondant à des questions émergeant du

milieu enseignant, nous avons longuement réfléchi à l’orientation à donner à notre

recherche. Nos passages répétés dans diverses écoles secondaires nous ont amenée à

prendre conscience de la difficulté pour plusieurs élèves à générer des inférences, c’est-à-

dire déduire des informations qui ne sont pas mentionnées explicitement dans les textes

qu’ils lisent. Ce problème de lecture peut nuire fortement à la réussite scolaire parce qu’il

n’a pas seulement une incidence en classe de français, mais également dans d’autres cours

(ex. : univers social et mathématiques) où la compréhension d’une mise en situation ou

d’une consigne influence directement la résolution du problème. Nous avons donc choisi de

mettre en évidence certaines procédures appliquées par des adolescents – autant ceux qui

éprouvent des difficultés que ceux qui réussissent – pour interpréter une nouvelle littéraire.

De cette manière, nous croyons que les enseignants et les autres professionnels de

l’éducation auront un portrait concret de la situation et pourront cibler des interventions en

conséquence.

Le premier chapitre permet de dégager des pratiques enseignantes fréquentes observées en

classe de français pour travailler la lecture. Il met également en perspective les difficultés

rencontrées par les élèves pour comprendre et interpréter des textes de même que le rôle de

l’enseignant pour favoriser le développement de la compétence à interpréter. Le deuxième

chapitre présente les définitions de la compréhension et de l’interprétation auxquelles nous

adhérons et précise le type d’interaction qui agit entre ces deux processus. Les rôles de

l’auteur, du texte et du lecteur y sont aussi circonscrits, ce qui permet de converger vers la

définition de deux stratégies centrales dans notre analyse : l’utilisation d’éléments du texte

et l’appui sur des connaissances personnelles pour interpréter. Le troisième chapitre décrit

les outils et les méthodes que nous avons utilisés pour collecter et pour analyser nos

données. Le quatrième chapitre expose les résultats obtenus par rapport à chacun des

objectifs spécifiques que nous avons fixés. Ces résultats sont appuyés par des extraits de

1 Ce texte est conforme aux rectifications de l’orthographe.

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2

rencontres auprès d’élèves ayant participé à notre projet. Finalement, le cinquième chapitre

présente des observations et des tendances qui sont ressorties de l’analyse qualitative des

résultats en mettant en relief, d’une part, la démarche adoptée par les lecteurs qui formulent

des interprétations pertinentes d’un texte et, d’autre part, celle des élèves qui éprouvent des

difficultés à interpréter.

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3

CHAPITRE 1: PROBLÉMATIQUE

Dans ce premier chapitre, nous présenterons d’abord quelques constats par rapport à

l’enseignement de la lecture dans les classes primaires et secondaires du Québec. Nous

décrirons ensuite les difficultés et les aptitudes des élèves pour comprendre et interpréter

des textes. Ce bilan des capacités des élèves nous mènera à nous pencher sur l’influence de

l’enseignant dans le développement de la compétence à interpréter en lecture. À la lumière

de l’ensemble de ces considérations émergeant du milieu scolaire, nous énoncerons notre

problème et nos objectifs de recherche.

1.1 L’approche interprétative dans le système scolaire actuel : état des lieux

Le travail sur l’interprétation des textes en lecture par les enseignants dans les écoles

primaires et secondaires québécoises a énormément évolué au cours des dernières

décennies.

1.1.1 L’émergence de l’interprétation en lecture dans les programmes d’études

Les programmes d’études québécois de 1980 et de 1995 ne traitent pas explicitement de

l’interprétation en lecture bien que certains des objectifs s’y trouvant pourraient y être

associés. Ce n’est qu’en 2000 pour le primaire et en 2006 pour le secondaire que ce terme

est inséré dans les compétences à développer du Programme de formation de l’école

québécoise. Des attentes très ambitieuses sont alors formulées. Pour le primaire,

l’expression de sa propre interprétation d’un texte figure notamment parmi les critères

évalués dès le premier cycle. À la fin de la sixième année, il est attendu que les élèves

dégagent des éléments d’information tant explicites qu’implicites en recourant à des

stratégies variées et appropriées (MEQ, 2006). Pour le secondaire, à la fin du premier cycle,

il est souhaité que les élèves appuient leurs hypothèses interprétatives des textes sur des

extraits ou des exemples. Enfin, en terminant le secondaire, les adolescents devraient

fonder leurs interprétations sur des éléments pertinents d’un texte, sur leurs connaissances

textuelles et linguistiques et sur leurs repères culturels (MEQ, 2006). Cependant, il semble

que les méthodes d’enseignement de la lecture ne se sont pas adaptées rapidement à ces

changements. En effet, si l’interprétation est maintenant une compétence à développer dès

l’entrée à l’école selon les prescriptions ministérielles, plusieurs études (par exemple, De

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4

Croix & Ledur, 2001; Tauveron, 1999; Daunay, 2007) ont pourtant montré qu’en pratique,

le travail conscient sur l’interprétation est principalement effectué par les enseignants du

secondaire.

1.1.2 L’écart entre les pratiques du primaire et celles du secondaire

Hébert (2002) relève un écart considérable entre les habitudes de lecture ancrées au

primaire (« la lecture/plaisir ») et les exigences définies par les principes directeurs du

programme (« la lecture/critique ») (p. 15). Les élèves arrivant du primaire disent préférer

des romans courts et proches de leur contexte immédiat, ce qui pourrait s’expliquer par leur

expérience scolaire et extrascolaire de lecteurs : « ils n’ont pas été exposés, ni à l’école, ni

en dehors […] à des textes plus résistants2 […] et qui seraient de nature à susciter un travail

sur le texte, un début de distanciation » (p. 15). En effet, les œuvres lues au primaire ne

présenteraient pas des caractéristiques dominantes telles que la difficulté, la polysémie ou

la résistance (De Croix & Ledur, 2001). Or, le travail en classe sur des textes d’un niveau

de difficulté adéquat favorise l’engagement des élèves et optimise ainsi leur progression

(Allington & Gabriel, 2016).

La variété des œuvres travaillées (longueur, degré de difficulté, thèmes abordés) ne serait

pas le seul trait distinctif expliquant le fossé entre les deux ordres d’enseignement. Entre le

début du primaire et le secondaire, il y aurait un changement d’attitude majeur des

enseignants par rapport à l’ouverture à la multiplicité des interprétations (Tauveron, 2004).

À la maternelle, l’enseignant laisse les enfants exprimer toute forme d’hypothèse ou de

réaction à la lecture offerte sans nécessairement rectifier leurs propos. À l’opposé, au

secondaire, les droits du texte sont défendus, mais parfois confondus avec ceux que

s’octroie l’enseignant de se servir de sa propre interprétation comme balise pour gérer les

réponses aux questionnaires et les discussions en groupe (Tauveron, 2004).

Plus globalement, Tauveron (1999) critique la conception de l’apprentissage de la lecture à

l’école, « conçu comme l’apprentissage de la plongée sous-marine, par paliers successifs

2 Un texte résistant est un texte difficile à comprendre ou difficile à interpréter. Plus précisément, il sera ardu

de résumer un tel texte ou d’en dégager la symbolique (Tauveron, 1999).

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5

qui ménagent l’organisme » (p. 12). Elle considère que le système scolaire actuel réserve le

travail sur la compréhension littérale aux élèves novices, puis celui sur la compréhension

fine aux élèves du dernier cycle du primaire, pour enfin en arriver à aborder l’interprétation

au secondaire, après avoir appris à comprendre au primaire. D’ailleurs, selon Giasson

(2007), les enseignants du primaire posent cinq fois plus de questions littérales que de

questions inférentielles. Conséquence : les élèves parviennent parfois à répondre à un

questionnaire concernant un texte sans l’avoir réellement compris parce que le repérage des

réponses leur suffit pour répondre aux questions posées. Daunay (2007) appuie lui aussi

l’idée selon laquelle l’interprétation n’est pas travaillée assez tôt dans le cheminement

scolaire. Il affirme que l’accent devrait être mis sur la continuité des apprentissages entre le

primaire et le secondaire plutôt que sur « le corpus disponible selon le développement de

l’élève » (p. 169). Il précise dans quel contexte cette continuité sera réalisable :

Une telle option est possible quand la lecture littéraire n’est pas réifiée

comme une forme de lecture particulière et corrélée à des savoirs ou savoir-

faire spécifiques à un niveau scolaire donné, mais pensée plus généralement

comme une alternance de niveaux d’interprétation, ce qui laisse la place à

une conception longitudinale du développement de l’élève et des variations

dans l’exigence de maîtrise3 de tel ou tel niveau (p. 169).

Somme toute, si la lecture d’œuvres peu résistantes et la prédominance de tâches liées à la

compréhension littérale au primaire compliquent la transition vers le secondaire, il

semblerait que certaines pratiques à ce dernier ordre d’enseignement ne facilitent pas non

plus l’atteinte des objectifs – ambitieux, certes – établis par le Programme de formation de

l’école québécoise.

1.1.3 Les pratiques enseignantes observées dans les écoles secondaires

Plusieurs études ont permis de constater que les questionnaires en lecture étaient une

pratique surreprésentée dans les classes. Dans le cadre de son enquête menée auprès

d’enseignants du secondaire en Belgique francophone, Dufays (2011) a identifié cette tâche

comme la plus fréquente. Il a également observé que les tâches décontextualisées, bien

3 Dans les citations, nous avons choisi de conserver la graphie traditionnelle pour respecter les textes sources.

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qu’elles côtoient de plus en plus les tâches complexes, sont encore très répandues. Cèbe et

Goigoux (2007) ont eux aussi montré « [la place disproportionnée occupée par les

questionnaires] au détriment des tâches de rappel, de résumé et de reformulation » (p. 193).

Une vaste enquête menée par Van Grunderbeeck, Théorêt, Chouinard, Cartier et Garon

(2003) dans des classes de cheminement particulier de première, deuxième et troisième

secondaires a révélé que les pratiques enseignantes ne laissent pas suffisamment de place à

la verbalisation par les élèves de leurs choix de stratégies et de leurs processus

métacognitifs4 : « l’enseignement [est] assez conventionnel, centré sur le texte [et] les

élèves ne sont pas invités à s’exprimer sur leurs stratégies et la prise de conscience de ce

qui se passe dans leur tête pendant la lecture » (Van Grunderbeeck & Paquette, 2007,

p. 75). À ce sujet, Hébert (2004) croit que des tâches traditionnelles comme les

questionnaires de compréhension factuels ne favoriseront pas nécessairement une prise de

conscience par les élèves de la nature évolutive de la compréhension de même que de la

pluralité des interprétations. Le type de questions qui composent les questionnaires est

fortement critiqué par Vaubourg (2007) :

Les élèves sont habitués à des questions faisant suite à la lecture d’un texte,

portant chacune sur un seul élément du texte, concernant peu la levée des

implicites et ne nécessitant pas la mise en lien d’éléments épars. Parfois, ces

questions suivent même l’ordre du texte (p. 287).

Pourtant, un questionnement moins fermé par rapport à une œuvre et impliquant

l’activation des processus de haut niveau permettrait une plus grande implication des élèves

dans la compréhension de cette œuvre. Par exemple, l’enseignant pourrait demander aux

élèves de porter un jugement moral sur les actions d’un personnage ou de justifier pourquoi

ils apprécient ou non sa personnalité plutôt que de les interroger à propos du schéma

4 Les processus sont les opérations effectuées par le lecteur pendant la lecture afin de comprendre un texte

(Giasson, 2011). Plus précisément, les processus métacognitifs incluent la conscience métacognitive et la

capacité d’autorégulation (Irwin, 2007). La conscience métacognitive correspond à la connaissance de ses

propres caractéristiques de lecteur (forces et difficultés), des caractéristiques du texte et de l’éventail de

stratégies pertinentes à utiliser pour le comprendre. Pour ce qui est de la capacité d’autorégulation, il s’agit

globalement du contrôle des stratégies avant, pendant et après la lecture, notamment la détection de bris de

compréhension et la remédiation à ces bris par le biais de stratégies métacognitives (Schmitt, 2005). Dans le

cadre de notre mémoire, nous nous intéressons à l’autorégulation, ce deuxième volet des processus

métacognitifs.

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actanciel (Langlade, 2007). La production d’un tel schéma par les élèves comme objet

d’évaluation est un exemple d’activité liée aux aspects formels de la structure narrative et

souvent non transférable dans d’autres contextes5. Inversement, des activités réflexives qui

mettent l’accent sur le questionnement et le raisonnement permettent aux élèves de retenir

la démarche à laquelle ils ont recouru pour résoudre un problème de lecture et non

seulement la réponse. Ils développent ainsi des compétences en compréhension de textes

qu’ils pourront transférer dans d’autres disciplines ou, du moins, dans d’autres situations de

lecture littéraire. Et à leurs yeux, ce transfert donne du sens aux apprentissages (Dumais,

2011).

Malgré la proportion que semble occuper le questionnaire dans les classes de français,

d’autres types de pratiques, favorables à un travail sur l’interprétation, sont en émergence.

En effet, Rouxel (2005) souligne que des rencontres intersubjectives et des conflits des

interprétations s’observent de plus en plus. Toutefois, l’adoption de pratiques telles que les

cercles de lecture n’implique pas automatiquement un développement de la compétence à

interpréter : tout dépend de la manière dont se déroulent les activités. À ce sujet, les

résultats d’une enquête menée par Hébert (2004) montrent la dominance de la

compréhension littérale (44 %) comme mode de lecture verbalisé dans les cercles littéraires

autonomes par des élèves de première secondaire.

Considérant que les enseignants du primaire et ceux du secondaire semblent rencontrer des

défis semblables sur le plan des choix didactiques, davantage de dialogues entre les deux

ordres d’enseignement serait souhaitable, comme le suggèrent Soussi et al. (2007) : « Une

ouverture et une plus grande collaboration interniveaux d’enseignement permettraient […]

une meilleure compréhension de l’enseignement de la lecture aux différents moments de

son apprentissage » (p. 49). En effet, en commençant le travail interprétatif avec leurs

élèves dès l’entrée à l’école, les enseignants du primaire rendraient un fier service à leurs

collègues du secondaire, qui accueilleraient des adolescents déjà habitués à composer avec

5 La production d’un schéma actantiel pourrait toutefois être pertinente s’il s’agit d’une stratégie choisie par

l’élève pour résumer un texte narratif.

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le non-dit d’un texte. Encore faut-il changer la perception selon laquelle les jeunes enfants

n’ont pas le bagage nécessaire pour interpréter.

1.2 Les capacités des élèves en lecture

Les enseignants peuvent travailler avec leurs élèves la compétence à interpréter en lecture

dès l’entrée à l’école. Un développement précoce de cette compétence est d’autant plus

souhaitable que les difficultés de lecture sont réelles.

1.2.1 Les aptitudes à interpréter chez les jeunes lecteurs

Bien que les enfants développent leur capacité à inférer au fur et à mesure qu’ils

vieillissent, ils fondent dès leur jeune âge leurs inférences sur des expériences antérieures

(Giasson, 2007). Lebrun (2004) affirme qu’il est possible, par l’intermédiaire des comités

de lecture, de former des lecteurs interprètes critiques, et ce, dès l’initiation à la littérature

en classe. Un projet qu’elle a mené a permis de constater que des élèves de la maternelle

peuvent participer avec succès à ce genre de comité : ils formulent un jugement de gout par

rapport à un livre en fonction de critères, ne se laissent pas influencer par l’opinion des

autres et parviennent à se décentrer. Tauveron et Sève (1999) ont également montré à quel

point la lecture en réseau révèle le potentiel d’analyse des enfants et catalyse leur activité

interprétative. Ils ont fourni à des élèves de cycles deux et trois différentes versions d’une

histoire comportant le même titre et les ont jumelés de manière à ce que les membres d’un

réseau n’aient pas en main la même version de l’histoire. Les élèves devaient identifier la

version originale et justifier leur choix. Cette confrontation entre le texte source et ses

adaptations a permis aux enfants de développer leur investigation et leur compréhension

fine en repérant habilement certains stéréotypes. Malgré ce potentiel des jeunes élèves pour

interpréter, il semble que cette compétence ne soit pas suffisamment développée à l’école

primaire. Paradoxalement, les enseignants du premier cycle du primaire travaillent peu

l’inférence parce que cette tâche est jugée trop difficile pour les élèves, tandis que ceux du

deuxième cycle déplorent les difficultés des élèves sur ce plan (Giasson, 2007). Puisque le

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9

travail sur la compréhension littérale domine celui sur la compréhension fine6 (Giasson,

2007), plusieurs élèves arrivent au secondaire avec d’importantes difficultés en lecture.

1.2.2 Les difficultés en compréhension

Les quatre grandes catégories de difficultés que nous présentons dans cette section

n’intègrent pas l’ensemble des obstacles potentiels en compréhension. Cependant, elles

regroupent un grand nombre de difficultés majeures rencontrées par les élèves du

secondaire7 et recensées par plusieurs auteurs. Par ailleurs, les catégories ne sont pas toutes

hiérarchiquement équivalentes, c’est-à-dire que les deux premières – la mobilisation de

stratégies de lecture et l’autorégulation de la lecture – chapeautent les deux dernières – la

prise en compte du texte comme un tout cohérent et la compréhension de l’implicite d’un

texte. Plus précisément, les difficultés incluses dans les deux premières catégories peuvent

être des causes potentielles de celles faisant partie des deux dernières catégories. Enfin, les

quatre ensembles ne sont pas hermétiques, c’est-à-dire que certaines difficultés que nous

avons choisi d’insérer dans une catégorie donnée auraient également pu être classées dans

une autre.

Recourir fréquemment à diverses stratégies de lecture

Le choix des stratégies à utiliser et leur fréquence d’utilisation constituent des traits

distinctifs entre les élèves qui connaissent du succès en lecture et ceux qui réussissent

moins bien. Hébert (2004) compare les caractéristiques des élèves forts et celles des élèves

en difficulté en lecture : « Les bons lecteurs, de même que ceux qui sont très engagés

émotionnellement dans leur lecture, utiliseraient […] une plus grande variété de stratégies,

et cela à une plus grande fréquence » (p. 610). Plus précisément, les résultats de deux

études (Smith, 1991; Ehrlich, Kurtz-Costes, & Loridant, 1993) rapportés par Van

Grunderbeeck et Paquette (2007) montrent que « les bons lecteurs utilisent en moyenne

6 La compréhension fine inclut tout ce qui ne relève pas de la compréhension littérale, c’est-à-dire la

compréhension inférentielle et la compréhension critique. Ces deux concepts, qui seront définis plus

précisément dans le cadre théorique, nécessitent d’aller au-delà des mots du texte. 7 Certaines difficultés relevées sont issues d’études menées auprès d’élèves de la fin du primaire. Nous les

avons tout de même considérées étant donné la proximité entre le dernier cycle du primaire et le premier cycle

du secondaire.

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deux stratégies de plus que les mauvais […], font plus appel à leurs expériences

personnelles pour s’aider dans leur compréhension et […] gèrent plus de stratégies que les

mauvais lecteurs » (p. 79). De plus, les lecteurs avertis utilisent davantage les stratégies

métacognitives8 que les lecteurs en difficulté qui mettent plutôt l’accent sur la connaissance

du vocabulaire d’un texte (Van Grunderbeeck & Paquette, 2007). Enfin, Van Grunderbeeck

et Paquette (2007) soutiennent que la capacité de lecture évolue peu à partir de douze ans

sans aide spécifique. Le début du secondaire serait ainsi un moment clé pour

l’apprentissage et le développement des stratégies de lecture.

Autoréguler son activité de lecture

Au même titre que le recours fréquent à une variété de stratégies de lecture,

l’autorégulation de l’activité de lecture (détecter ses bris de compréhension et y remédier)

départage les lecteurs assurés des lecteurs faibles. Ces derniers éprouvent des difficultés à

remettre en cause les représentations et les interprétations élaborées au début de leur lecture

d’un texte, c’est-à-dire qu’ils ne traitent que les informations congruentes avec le sens

qu’ils ont construit dès le premier paragraphe (Goigoux, 2000). À l’inverse, les élèves forts

sont davantage enclins à réajuster leur hypothèse initiale en cours de lecture : « [ils]

conservent plus longtemps leur interprétation ouverte et attendent d’autres informations du

texte pour donner une interprétation définitive » (p. 151). De plus, les lecteurs en difficulté

régulent peu leurs processus pendant leur lecture puisqu’ils ne mobilisent pas de stratégies

pour détecter ou pour réparer les pertes de compréhension (ex. : moduler la vitesse de

lecture) (Goigoux, 2000).

La dépendance des élèves en difficulté au questionnaire soumis après la lecture d’un

texte représente un autre grand constat : « Leur première lecture d’un texte est souvent

réduite à un repérage thématique et à une localisation des informations qui seront

éventuellement utiles […] pour répondre aux questions posées » (Goigoux, 2000, p. 151).

Le questionnaire semble donc être l’enjeu qui guide leur activité de lecture, ce qui va à

8 Par exemple, il pourrait s’agir pour un lecteur de réaliser qu’il ne comprend plus le texte qu’il lit et de

choisir de relire un passage pour remédier au problème rencontré.

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l’encontre du principe d’autorégulation. De plus, les lecteurs faibles ciblent mal les

difficultés posées par un texte et ne peuvent donc pas adopter des stratégies de lecture

efficaces (De Croix, 2010). Plus encore, ils confondent le travail linguistique et celui de

compréhension : « Habitués à traiter des questions littérales, des questions d’interprétation

et des points de langue à partir des textes, [les élèves] ne savent pas toujours sur quel

registre est placée l’activité du moment » (Vaubourg, 2007, p. 288). Enfin, certains

entretiennent une croyance nuisible par rapport à la manière de lire un texte : « ils pensent

qu’il ne faut pas s’arrêter et que s’ils le faisaient, ils perdraient le fil de la lecture » (p. 288).

Les profils mentaux de bons et de mauvais compreneurs établis par Martel (2003) dans le

cadre de son étude9 résument bien la situation. Une différence entre ces deux groupes a été

observée sur le plan des capacités métacognitives :

Les mauvais compreneurs ont de la difficulté à trouver les mots pour décrire

ce qui se passe dans leur tête, ils sont imprécis et sont peu capables de gérer

avec efficacité leurs évocations. Ces constats confirment que les habiletés

métacognitives des bons élèves sont plus développées que celles des élèves

faibles, ils sont capables de remarquer leurs pertes de compréhension et de

gérer celles-ci alors que les faibles ont du mal à évaluer leur

mécompréhension (Van Grunderbeeck & Paquette, 2007, p. 86).

Le recours insuffisant à des stratégies de lecture efficaces et la faible autorégulation de

l’activité de lecture entrainent souvent d’autres difficultés plus spécifiques.

Considérer le texte comme un tout cohérent

Plusieurs problèmes de lecture sont liés au mode de traitement des informations d’un texte.

En effet, certains élèves l’analysent un paragraphe à la fois ou même une phrase à la fois

sans se prêter à l’exercice de trouver le fil conducteur, c’est-à-dire d’amalgamer l’ensemble

des éléments pour bâtir un tout cohérent. Hébert (2004) rapporte les résultats d’enquêtes

françaises (Leclercq, 1981; ministère de l’Éducation nationale, 1993) selon lesquels

« environ 50 % [des élèves qui entrent au secondaire] seraient encore au stade de la

reconnaissance des mots ou du décodage et 40 % ne dépasseraient pas la compréhension

9 Elle a analysé les verbalisations de huit élèves de 6e année (quatre forts et quatre en difficulté) rencontrés

individuellement.

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d’un texte simple » (p. 607). Goigoux (2000) a d’ailleurs établi un lien entre les difficultés

des lecteurs faibles à identifier les mots écrits et leurs capacités à mobiliser des processus

de compréhension et d’interprétation :

[les processus d’identification des mots] sont souvent très lents, faiblement

automatisés et donc très coûteux en ressources attentionnelles. Dans la

mesure où les capacités cognitives de chaque individu sont limitées,

l’attention portée à l’identification des mots se fait au détriment des autres

traitements qui devraient assurer progressivement la compréhension du texte

(p. 152).

La difficulté à comprendre les mots ou les syntagmes ne serait pas la seule à générer des

problèmes par rapport à la compréhension globale d’un texte. Goigoux (200010) a observé

que les élèves qui contrôlent la compréhension au niveau de la phrase (mais pas au niveau

interphrastique et global) et ceux qui croient que la compréhension de tous les mots d’un

texte mènera nécessairement à une compréhension univoque traitent le texte différemment

de leurs pairs. Ils analysent chacune des phrases comme étant isolée :

[Les lecteurs en difficulté ignorent] la nécessité d’élaborer des

représentations provisoires au fur et à mesure de la lecture du texte, de

consacrer une partie de leur attention à mémoriser les informations les plus

importantes et de procéder à des inférences pour mettre en relation les

diverses données du texte (p. 151).

Puisqu’un texte facile à comprendre signifie pour eux qu’il ne comporte pas trop de mots

difficiles, les microprocessus et les processus d’intégration sont mobilisés au détriment du

troisième niveau, soit la construction d’une représentation mentale du texte (Goigoux,

2000).

La difficulté des lecteurs faibles à considérer le texte comme un tout cohérent leur

complique également la tâche lorsqu’ils doivent sélectionner et combiner des informations

du texte pour construire un sens plausible :

[Les lecteurs en difficulté picorent] des informations éparses dans le texte,

[se construisent] des représentations juxtaposées, fragmentaires, chacune

10 L’étude menée par Goigoux (2000) concernait les élèves en grande difficulté de lecture et les

enseignements adaptés.

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13

renvoyant à des compréhensions partielles […] mais qui ne présentent

aucune articulation d’ensemble. On parle parfois à ce propos de

compréhension « en ilots ». Le plus souvent, le caractère erroné des

interprétations produites échappe au lecteur lui-même et il est donc

incapable de les corriger sans aide (Fayol, 2000, cité dans Cèbe & Goigoux,

2007, p. 192).

Cette sélection laborieuse d’informations peut nuire aux élèves lorsqu’ils répondent à des

questions à propos d’un texte : « ils citent parfois des éléments du texte à l’appui d’une

thèse fausse mais localement cohérente » (Vaubourg, 2007, p. 296). À ce sujet, De Croix

(2010) a montré que les difficultés des élèves à répondre à une question de lecture

surviennent notamment dans les situations suivantes : lorsqu’ils doivent reformuler un

passage du texte; lorsqu’ils doivent mettre en relation plusieurs informations disparates du

texte pour former la réponse; lorsqu’ils doivent considérer le texte comme un tout cohérent

pour construire un sens global et formuler des hypothèses interprétatives11. L’interrelation

entre les processus de lecture explique donc qu’un maillon faible, quel qu’il soit, fragilise la

chaine entière de la compréhension.

Saisir l’implicite d’un texte

Travailler avec le non-dit d’un texte représente un autre défi pour plusieurs élèves du

secondaire. Hébert (2004) rapporte des résultats de l’enquête internationale PISA menée en

2000, selon lesquels « 27 % des élèves québécois âgés de 15 ans ne dépassent pas le niveau

de l’inférence simple et […] seulement 45 % d’entre eux peuvent réussir des tâches de

lecture complexes, comme interpréter le sens à partir de nuances de la langue et évaluer de

manière critique un texte » (p. 607). Parmi les principales difficultés de lecture chez les

adolescents, Hébert (2004) recense « [le manque de tolérance des élèves] aux ambiguïtés du

texte et l’exagération des inférences pour les combler12 » (p. 12). Ce constat semble partagé

par Vaubourg (2007), qui évoque la tendance de certains élèves à extrapoler lorsqu’un

travail sur l’anticipation de la suite du texte est mal encadré.

11 L’étude de De Croix (2010) a été effectuée auprès d’élèves belges francophones. 12 Cette recension de difficultés provient d’études empiriques menées par plusieurs chercheurs (Richards,

1929; Squire, 1964; Dufays & Ledur, 1994; Rouxel, 1996; Reuter, 1992 b).

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14

Parmi les items les moins réussis par les élèves du dernier cycle du primaire à une épreuve

de compréhension en lecture, Van Grunderbeeck et Paquette (2007) rapportent notamment

la reconnaissance de marqueurs temporels implicites13. Or, les élèves qui saisissent plus ou

moins l’implicite d’un texte répondent difficilement à des questions de lecture impliquant

des inférences locales ou globales (De Croix, 2010). Plus précisément, deux types de

lecteurs faibles se distinguent selon leurs capacités à inférer : d’un côté, ceux qui ne

produisent pas suffisamment d’inférences au-delà de la phrase; de l’autre, ceux qui allient

des éléments du texte incompatibles pour construire du sens : « One of these subgroups

appeared to engage in very little inference generation beyond the sentence; the other

appeared to engage in relation-building but with the relations involving relatively

irrelevant pieces of information » (van den Broek, 2012, p. 46).

À ce sujet, Helder, Leijenhorst, Beker et van den Broek (2013) identifient les deux groupes

d’élèves éprouvant des difficultés à inférer comme étant les « elaborators » et les

« paraphrasers ». Les premiers génèrent autant d’inférences que les « bons compreneurs »,

mais celles-ci ne sont pas liées à la structure centrale du texte. Quant aux seconds, ils

tendent très souvent à répéter des passages du texte ou à les reformuler plutôt que de

produire de réelles inférences. Ces difficultés liées à un processus de haut niveau – la

génération d’inférences – embrouillent la compréhension globale du texte et augmentent les

risques d’éprouver des difficultés à interpréter.

1.2.3 Les difficultés propres à l’interprétation

Le recours à des éléments du texte et leur mise en relation pour construire une hypothèse

interprétative

McCormick (1992, cité dans Van Grunderbeeck & Paquette, 2007) a dégagé de son étude

les principales sources d’erreurs des élèves en difficulté14 lorsqu’ils interprètent un texte.

L’une d’elles est le fait que le lecteur « interprète entièrement ou partiellement le texte ou

une section du texte à partir de ses connaissances antérieures sans revenir au texte » (p. 80).

Vaubourg (2007) est du même avis. Il affirme que « le texte est trop peu convoqué par les

13 Leurs constats proviennent d’une enquête du ministère de l’Éducation nationale en France (1993). 14 Les élèves ayant participé à l’étude de McCormick (1992) étaient à la fin du primaire.

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élèves dans les travaux qui touchent à l’interprétation; il est au départ de leur réflexion puis

ne sert plus suffisamment pour étayer les propositions d’interprétation » (p. 288). Soussi et

al. (2007) rapportent les conclusions de deux grandes enquêtes sur les difficultés des élèves

en lecture – l’enquête PISA menée en 200015 et une enquête réalisée en Suisse romande

(Broi, Moreau, Soussi, & Wirthner, 200316). Les observations qui ressortent de ces études

concernent notamment les problèmes des élèves à interpréter un texte et à en traiter tous les

éléments qui ne relèvent pas de l’explicite. Plus précisément, les lecteurs en difficulté

réalisent difficilement des tâches complexes; ils se réfèrent davantage à leurs souvenirs ou à

leurs croyances qu’au texte lui-même; ils tendent à répondre aux questions interprétatives

ou réflexives selon leur propre réalité; ils comprennent difficilement l’implicite d’un texte

et les intentions de l’auteur (Soussi et al., 2007). Dans le même ordre d’idées, Sauvaire

(2013) relève une opération difficile pour certains élèves, soit la sélection et l’ajout

d’éléments du texte pour adopter une posture interprétative :

Lorsque l’interprétation est partielle ou en partie erronée, le lecteur a échoué

à mettre en relation divers éléments interprétatifs dans le but de dégager une

signification plausible du texte. Les failles dans l’opération de recomposition

semblent constituer une cause majeure des difficultés des élèves à interpréter

(p. 302).

Si la considération des éléments du texte pour interpréter représente une difficulté pour

certains adolescents, d’autres buteront davantage sur la liaison de ces éléments à leurs

connaissances personnelles. Effectivement, un lecteur peut, selon son intention de lecture et

selon la structure d’un texte, tendre vers l’un ou l’autre de ces deux extrêmes (van den

Broek, Young, Tzeng, & Linderholm, 1999). Paradoxalement, le défi pour formuler une

interprétation pertinente peut donc être d’entrer dans le texte (repérer et lier entre eux les

indices qu’il contient) ou d’en sortir (faire le pont entre les indices du texte et ses

connaissances).

15 Cette enquête a été effectuée auprès d’élèves en fin de 9e année (15 ans).

16 Cette enquête ciblait des élèves de la fin de la 6e année (11-12 ans).

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La mise en écho d’éléments du texte avec ses connaissances personnelles

Indépendamment de leur degré de compréhension d’un texte, les lecteurs peuvent tendre

vers deux pôles. Soit ils ont tendance à mettre en écho leurs connaissances et les indices du

texte pour générer des hypothèses interprétatives, soit ils sont portés à s’en tenir au contenu

du texte. En ce sens, Martel (2004, cité dans Van Grunderbeeck et Paquette, 2007) dégage

deux profils de lecteurs :

Le premier qu’elle appelle « témoin » est formé d’élèves qui restent collés au

texte, qui veulent être les témoins du contenu du texte et qui restent fidèles à

celui-ci […]. Le deuxième qu’elle appelle « acteur interprète » est formé

d’élèves qui font une large place à l’interprétation et aux hypothèses. Ils

recourent à leurs acquis (p. 86).

Autrement dit, les lecteurs forts et les lecteurs en difficulté peuvent se retrouver autant dans

le profil des acteurs interprètes que dans celui des témoins du contenu du texte. Ces

derniers se limiteront souvent à faire des inférences qui peuvent être prouvées hors de tout

doute par le texte. Cette volonté de ne pas sortir du texte peut provoquer des difficultés

lorsque vient le temps de l’interpréter. Dans le même ordre d’idées, Squire (cité dans

Hébert, 2002) a mené une étude ayant pour objectif d’observer de très bons lecteurs de 10e

et 11e année pendant qu’ils lisaient de brefs récits et verbalisaient leurs réflexions. Or, les

élèves forts n’ont pas formulé le même type de commentaires que les lecteurs moins

assurés : « ce sont les réponses interprétatives qui ont dominé. Par contre, les élèves moins

bons lecteurs, ou de niveaux économiques plus faibles, sont ceux qui en ont fait le moins,

mais qui ont fourni plus de réponses de type résumé » (p. 85). Ces deux études montrent

donc qu’aller au-delà du texte pour se forger une interprétation n’est pas un réflexe

développé par tous les lecteurs.

Sauvaire (2013) est allée encore plus loin dans son analyse en identifiant le type de

ressources mobilisées par les élèves pour interpréter. L’étude de cas qu’elle a menée a

permis de dégager le portrait des élèves connaissant du succès dans la formulation

d’hypothèses interprétatives : « la mise en relation de ressources cognitives, épistémiques,

axiologiques et socioculturelles [est] un facteur de réussite pour interpréter un texte »

(p. 287). En effet, les apprenants ayant eu recours principalement à des ressources

socioculturelles et psychoaffectives ne sont pas parvenus à formuler des interprétations

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claires ou exhaustives : « Ce serait donc l’articulation entre les ressources relevant de

l’expérience vécue et de l’ancrage socioculturel avec les ressources relevant de

l’acquisition de connaissances et d’habiletés en lecture qui permettrait le développement de

l’interprétation, et cela dès la première lecture » (p. 287). Le défi d’en arriver à cette

organisation optimale des ressources du lecteur pour interpréter est encore grand. Hébert

(2002) rapporte en effet les résultats d’une étude menée par Thompson (1987) selon

lesquels « la plupart des adolescents, jusqu’à 14-15 ans, restent au niveau des trois premiers

stades, soit ceux centrés sur la progression de l’action, l’empathie et les analogies avec soi-

même » (p. 83).

Pour expliquer la situation, Hébert (2002) affirme que « [les difficultés des élèves] à

parvenir aux stades d’interprétation et d’évaluation seraient en partie attribuables à une

question de maturation dans leur développement intellectuel et moral et aussi à des

pratiques scolaires inadéquates » (p. 83). Or, les maitres ne semblent pas soupçonner leurs

pratiques pédagogiques comme facteur ayant une incidence sur les compétences

interprétatives des élèves. En effet, Soussi et al. (2007) rapportent que les enseignants

« [attribuent] surtout les difficultés de leurs élèves à des causes externes telles que le milieu

social des élèves, le rapport à l’écrit existant dans leur famille ou encore la motivation à la

lecture. Les méthodes d’enseignement de la lecture ou le rôle de l’école ne sont

pratiquement pas évoqués » (p. 48). Pourtant, les choix pédagogiques de l’enseignant

peuvent fortement influencer les compétences des élèves à interpréter.

1.3 Le rôle de l’enseignant pour favoriser l’interprétation en lecture

L’utilisation de textes résistants par l’enseignant de même que son ouverture à la diversité

des hypothèses de lecture formulées par les élèves sont des conditions favorables au travail

d’interprétation.

1.3.1 L’utilisation de textes résistants

Langlade (2007) est d’avis que les maitres devraient poursuivre l’objectif de stimuler les

élèves en proposant des œuvres qui suscitent des réactions de tous ordres et des lectures

plurielles. Tauveron et Sève (1999) croient eux aussi que le corpus de textes au centre du

dialogue entre élèves doit permettre « de poser ou de résoudre des problèmes de

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compréhension ou d’interprétation » (p. 103). Le ministère de l’Éducation (2006) établit

d’ailleurs un lien direct entre l’utilisation de textes résistants en classe de français et le

développement de la compétence à interpréter :

Plus [les élèves] sont amenés à fréquenter des textes riches offrant des

possibilités d’interprétation multiples et plus l’occasion leur est donnée de

confronter leur manière d’aborder les textes avec celle d’autres lecteurs, plus

ils peuvent s’ouvrir à la réalité de l’interprétation, c’est-à-dire la lecture

plurielle, et se familiariser avec les exigences de plausibilité qui rendent une

interprétation recevable (p. 178).

L’emploi de textes résistants présente des avantages qui vont au-delà du développement des

habiletés à interpréter. Dans le cadre de l’étude qu’elle a menée, De Croix (2010) a observé

que ce type de textes a fortement contribué au développement de la métacognition et à

l’implication des élèves.

À l’opposé, l’emploi répétitif en classe de textes trop courts, trop simples, construits pour

un usage spécifique (ex. : un récit dont la forme originale aurait été modifiée par le maitre

au profit d’une forme qui respecte le schéma narratif traditionnellement enseigné),

manifestant de manière évidente une propriété recherchée et présentant une forme ambigüe

ne permet pas un développement de la compétence des élèves à interpréter (Tauveron,

1999). Néanmoins, le travail sur des textes générant des lectures plurielles permet à

l’enseignant de s’ouvrir aux multiples hypothèses interprétatives qui seront proposées par

les élèves.

1.3.2 La gestion de la multiplicité des interprétations

Selon Tauveron (1999, cité dans Vaubourg, 2007), l’enseignant doit composer avec un rôle

à deux volets pour orienter les élèves dans leurs choix d’hypothèses. Il adopte « [une]

double posture lorsqu’il est à la fois “en réserve” et “garant des droits du texte” » (p. 291).

En effet, « [il] aide […] les élèves à repérer si certaines réponses d’interprétation s’écartent

de ce que le texte peut signifier. Cette position est cruciale lorsque les histoires […] “restent

toujours ouvertes à autre chose” » (Carrière, 1998, cité dans Vaubourg, 2007, p. 292). Il

n’en demeure pas moins que le maitre doit doser ses interventions pour éviter de

s’approcher de l’un ou l’autre des deux extrêmes : d’un côté, la prescription d’idées par

rapport à un texte; de l’autre, la reconnaissance sur un pied d’égalité de toutes les

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hypothèses formulées par les élèves. À ce sujet, Lebrun (2004) pose la question délicate de

la frontière entre le statut de l’enseignant – « détenteur d’un savoir sur les textes et persuadé

[…] que certaines interprétations sont plus légitimes que d’autres » (p. 332) – et la

construction libre de significations par les élèves.

Somme toute, le maitre doit travailler en classe avec le pluriel des interprétations parce que

le texte perdra son intérêt littéraire s’il perd son ambigüité, cette dernière relevant des

multiples voies interprétatives (Lebrun, 2004). Rouxel (2005) précise l’attitude à adopter

par les enseignants pour que la subjectivité demeure au cœur des classes de français :

Il faut travailler en classe avec le pluriel des interprétations, non pour y

substituer, comme c’est le cas aujourd’hui, une seule interprétation, celle

exhaustive et supposée consensuelle qui résulte de l’agrégation de

l’ensemble des propositions, mais pour admettre un faisceau

d’interprétations voisines ou concurrentes (p. 29).

Pour qu’un tel contexte soit favorable, les élèves doivent connaitre les critères qui confèrent

une plausibilité à leurs hypothèses.

1.3.3 L’explicitation des critères de validité d’une interprétation

Hébert (2002) est d’avis que le travail en groupes de pairs serait une formule bénéfique sur

le plan de la validation des interprétations : « la négociation du sens en groupe préviendrait

[…] les interprétations trop subjectives et le consensus collectif agirait ainsi à titre de

processus de validation des interprétations » (p. 109). Parallèlement à ce travail d’équipe,

les interventions du maitre doivent mener vers un certain jugement des interprétations qui

émergent des discussions. Or, le fait de devoir évaluer la pertinence des interprétations

reçues représente un défi pour l’enseignant. En effet, un piège doit être évité, soit celui

d’accepter toutes les hypothèses interprétatives évoquées sans engager un débat quant à leur

validité en fonction des éléments du texte :

Le blanc rempli ad libitum, la tâche de lecture est supposée accomplie. En

coulisses, le texte ronge son frein en silence… (il n’accepte pas avec une

égale bonne volonté chacune des interprétations mais il n’est pas possible

dans l’espace disponible de parler en son nom) (Tauveron, 2004, p. 259).

Tauveron (2004) propose néanmoins que le maitre prenne en considération une

interprétation proposée par un élève même si elle n’est pas la plus probable ou la plus

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populaire. Puis, pour engager l’élève dans la discussion, l’enseignant trouve des preuves

pour l’hypothèse proposée, comme il l’aurait fait pour une interprétation plus probable et

partagée par plusieurs élèves. En agissant ainsi, il sensibilise les élèves à l’importance du

retour au texte pour appuyer une interprétation, mais leur montre également qu’il faut

parfois utiliser des éléments extratextuels (par exemple, ses connaissances personnelles)

pour appuyer une hypothèse. Cependant, le texte lui-même fournit parfois de fausses pistes,

ce qui peut faire en sorte que deux élèves qui s’appuient sur des éléments qui s’y trouvent

formulent des interprétations complètement différentes. Il est alors difficile d’infirmer les

propositions inadéquates. L’enseignant doit repérer ce type de difficultés propres au texte

dès qu’il le choisit (Vaubourg, 2007). Nous le considérons donc comme un médiateur qui

dirigera les débats visant à déterminer si les points de vue prononcés respectent les critères

de validité établis. Ces critères, dont il sera question dans le prochain chapitre, peuvent être

proposés par l’enseignant, puis expérimentés et approuvés par les élèves en classe lorsque

des textes difficiles sont travaillés. Ils peuvent également être suggérés par les élèves, mais

l’enseignant les mettra alors à l’épreuve dans des contextes de lecture avant de les accepter.

1.3.4 L’instauration de pratiques pédagogiques propices au développement de la

compétence à interpréter

Dabène et Quet (1999) affirment que « le professeur dispose […] de connaissances sur les

textes et leur environnement qui lui permettent en principe de formuler des hypothèses plus

pertinentes que celles des élèves » (p. 112). Ils sont donc d’avis qu’un minimum de

« savoirs savants spécifiques » est nécessaire pour apprécier et pour comprendre les textes.

Dans ses interventions didactiques en lecture, le maitre devrait tirer profit de sa propre

expérience de lecture pour accompagner les élèves et susciter leur engagement, ce qui

permettra une ouverture vers d’autres imaginaires individuels (Langlade, 2007). La relation

entre l’enseignant et ses élèves ne doit donc pas être asymétrique, c’est-à-dire que « le

maître a l’initiative de la question et que l’élève répond » (Jorro, 1999, p. 36). Cette relation

unilatérale risque d’empêcher les échanges qui permettent une réflexion approfondie et qui

sont nécessaires pour entrer dans l’écrit en tant qu’interprète (Jorro, 1999). Terwagne,

Vanhulle et Lafontaine (2003) croient d’ailleurs qu’un enseignant efficace incite les élèves

à dépasser la réaction émotionnelle et à approfondir leur point de vue en le confrontant à

celui d’un pair ou en le précisant.

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Les expériences menées par Tauveron et Sève (1999) dans le cadre de leur recherche

montrent l’efficacité de la lecture en réseaux, notamment pour permettre aux élèves

d’expérimenter des pratiques d’interprétation. De Croix (2010) a identifié des avantages

reliés au dialogue entre élèves autour d’un texte, soit le déploiement du dialogue solitaire

avec le texte et le développement des comportements de discussion (la capacité à partager

des impressions et des hypothèses de lecture, à coconstruire et à faire évoluer ses

interprétations). Toutefois, pour que des effets bénéfiques soient observés sur le

développement de la compétence à comprendre et à interpréter des textes, il faut un étayage

constant de l’enseignant. Ce dernier doit notamment relancer les discussions en posant des

questions clés et encourager les élèves à justifier leurs hypothèses à partir d’indices du

texte. Les élèves se sentiront ainsi davantage confiants par rapport à la tâche et

s’impliqueront dans la discussion.

Les journaux de lecture et les cercles littéraires font également partie des activités propices

à un échange entre pairs. Hébert (2004) affirme même qu’ils doivent être considérés

comme des « outils sociaux de construction de sens et une occasion de confronter et de

modéliser les interprétations élaborées pendant et après la lecture » (p. 608). De plus, les

cercles de lecture permettent aux élèves en difficulté d’être exposés à divers modes et

stratégies de lecture. Ils apprivoisent alors certaines stratégies pertinentes utilisées par leurs

pairs, mais qui leur étaient auparavant inconnues (Hébert, 2004). Enfin, les comités de

lecture développent chez les élèves la capacité à verbaliser leur opinion et à négocier avec

leurs pairs pour les convaincre du bienfondé de leur interprétation (Lebrun, 2004). S’il y a

eu préalablement un consensus entre l’enseignant et ses élèves au sujet des critères de

validité d’une interprétation, la confrontation d’opinions pourra mener à une évolution

positive des représentations de chacun.

1.4 Problème et objectifs de recherche

À la lumière des enjeux abordés dans la problématique, nous précisons l’intérêt de notre

recherche par rapport aux autres études déjà menées sur des thèmes connexes et présentons

les objectifs que nous poursuivons.

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1.4.1 Notre étude : un complément pour mieux comprendre les difficultés

d’adolescents québécois à interpréter des textes

Si certaines études anglophones se sont intéressées aux difficultés éprouvées par les élèves

à activer leurs processus d’élaboration – nécessaires pour interpréter des textes17 – elles ne

les ont décrites que sommairement en les catégorisant dans deux grands ensembles : celui

comprenant les lecteurs qui ont tendance à trop se coller au texte (se restreindre aux mots

qu’il contient) et celui formé des lecteurs qui sont portés à trop s’en éloigner (extrapoler en

fonction de certains éléments qu’il contient) (voir par exemple Helder et al., 2013). Notre

étude permettra d’observer plus précisément les difficultés qui font partie de ces deux

grands ensembles en décrivant finement de quelle façon elles se manifestent. De plus, notre

analyse, centrée sur des adolescents du deuxième cycle du secondaire, ouvrira de nouvelles

perspectives aux travaux menés jusqu’à maintenant qui concernent principalement les

élèves du primaire et du premier cycle du secondaire (voir par exemple Buehl, 2007).

Enfin, le fait que nos participants soient issus du secteur régulier nous permettra de dégager

à la fois les procédures employées par les meilleurs lecteurs et celles utilisées par les

lecteurs éprouvant le plus de difficultés pour comprendre et interpréter un texte. Notre

étude constituera ainsi un complément aux travaux de Goigoux (2000), qui se sont

concentrés sur des élèves en difficulté faisant partie de classes d’adaptation scolaire.

1.4.2 Objectif général et objectifs spécifiques de notre étude

L’objectif général de notre recherche est d’étudier les interprétations d’une nouvelle

littéraire résistante formulées par des adolescents québécois de 14 à 17 ans au terme de leur

rencontre avec un intervieweur. Plus précisément, il s’agira de :

1. Dégager des profils d’interprètes en fonction des interprétations formulées par des

adolescents lors d’une rencontre individuelle;

17 Les processus d’élaboration permettent au lecteur d’aller au-delà du texte en effectuant des inférences que

l’auteur n’avait pas nécessairement prévues et qui ne sont pas obligatoires pour la compréhension littérale

d’un texte, mais qui peuvent l’être pour la compréhension fine (ex. : visualiser une partie de l’histoire, activer

une expérience personnelle pour la lier à un passage du texte, prédire la suite d’une histoire, interpréter le

choix du titre d’un texte) (Giasson, 2011 ; Irwin, 2007).

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2. Étudier le lien entre l’interprétation de la nouvelle Dragon formulée par des

adolescents et leur capacité à s’appuyer sur des éléments du texte et sur leurs

connaissances personnelles pour interpréter;

3. Étudier le lien entre l’interprétation de la nouvelle Dragon formulée par des

adolescents et leur compréhension de ce texte.

1.4.3 Pertinence de nous intéresser aux capacités d’adolescents québécois en lecture

par rapport au critère interprétation

Notre étude permettra d’établir un pont entre l’interprétation d’une nouvelle littéraire

retenue par les élèves (le produit) et leur démarche d’analyse (le processus). Notre éclairage

sur le processus ne sera pas exhaustif, c’est-à-dire que nous ne présenterons pas un portrait

de la démarche de chaque participant pour en arriver à un résultat donné – notre méthode et

nos objectifs ne sont d’ailleurs pas orientés en ce sens. Néanmoins, nous ciblerons dans

notre analyse certains aspects qui, selon nous, influencent fortement la plausibilité d’une

interprétation : l’appui sur des éléments du texte et sur des connaissances personnelles

pertinentes. Nous tenterons également de dégager de nos résultats des tendances : est-ce

que les lecteurs qui comprennent adéquatement l’histoire formulent généralement des

interprétations pertinentes? Ou est-ce plutôt l’inverse? Étant donné que notre analyse est

qualitative, nous ne pourrons pas tirer de nos résultats des conclusions généralisables. Nous

présenterons tout de même des exemples concrets de procédures employées par les élèves

pour interpréter une nouvelle littéraire résistante et comprendre ce qui n’y est pas explicité.

Nous croyons qu’une meilleure connaissance de la manière dont les élèves procèdent pour

comprendre et interpréter un texte – les atouts de ceux qui réussissent et les défis de ceux

qui éprouvent des difficultés – favorisera des interventions plus orientées et plus

spécifiques dans les classes de français.

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CHAPITRE 2: CADRE THÉORIQUE

Dans ce chapitre, nous définirons dans un premier temps deux concepts centraux dans notre

analyse : la compréhension et l’interprétation en lecture. Dans un deuxième temps, nous

préciserons le lien entre ces deux concepts selon les modèles théoriques que nous avons

retenus. Dans un troisième temps, nous décrirons le type d’interaction qu’entretient le

lecteur avec le texte et l’auteur lorsqu’il tente de construire le sens d’un texte et de lui

attribuer une signification. Dans un quatrième temps, nous présenterons des aspects à

considérer pour valider des hypothèses interprétatives. Les repères théoriques exposés dans

ce chapitre, qui constitueront les bases de nos outils d’analyse, seront finalement liés à nos

objectifs de recherche.

2.1 La limite entre la compréhension et l’interprétation

Définir la compréhension et l’interprétation nous aidera à établir la frontière qui les

délimite et à préciser le lien qui les unit.

2.1.1 Définition de la compréhension

La compréhension relève d’un travail d’objectivation de la part du lecteur (Falardeau,

2003) qui fait appel à ses ressources linguistiques et psychologiques (MELS, 2009) pour

suivre les directives proposées par le texte et l’interroger (Reuter, 2001). Le lecteur,

lorsqu’il comprend un texte, tente de dégager un sens fidèle aux éléments qu’il contient

(Falardeau, 2003; Reuter, 2001; MELS, 2009) et partagé par un ensemble de lecteurs

(Falardeau, 2003). Le sens du texte, qui est à construire, peut varier d’un lecteur à l’autre,

mais fait généralement consensus sans que des discussions soient nécessaires entre réseaux

de lecteurs (Falardeau, 2003).

Mais cet accord de la majorité des lecteurs sur le sens à construire d’un texte ne signifie pas

du tout que comprendre rime avec simplicité. D’une part, la compréhension est en

constante évolution : le sens n’est pas figé après la première lecture d’un texte (Giasson,

2011) parce que des liens sont toujours à découvrir. D’autre part, lorsqu’il construit le sens

d’un texte, le lecteur ne travaille pas seulement sur l’explicite, mais également sur

l’implicite : il est appelé à combiner des indices textuels pour tirer des conséquences

(Falardeau, 2003). À ce sujet, Giasson (2011) propose trois niveaux de compréhension

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pouvant être observés chez les élèves : 1) la compréhension littérale, qui correspond aux

informations mentionnées explicitement dans un texte; 2) la compréhension inférentielle,

qui mène le lecteur à lier certains éléments du texte dont la relation n’est pas explicitée par

l’auteur; 3) la compréhension critique, qui implique l’utilisation par le lecteur d’éléments

explicites et implicites du texte pour établir un parallèle avec sa propre conception du

monde ou pour évaluer la pertinence d’un texte. Ce troisième niveau s’insère davantage

dans ce que nous considérons comme de l’interprétation – nous y reviendrons dans la

prochaine section.

Les inférences, qui font partie du deuxième niveau de compréhension (Giasson, 2007),

impliquent pour le lecteur d’aller au-delà des éléments présents en surface dans le texte

(donc plus loin que la compréhension littérale). Elles permettent au lecteur de lier des

éléments du texte pour développer une compréhension cohérente ou de lier des éléments du

texte à ses connaissances personnelles pour combler certains blancs du texte (Giasson,

2007). Plus précisément, les inférences peuvent être logiques, pragmatiques ou créatives.

Les inférences logiques sont fondées sur le texte. De plus, leur réponse est contenue

implicitement dans la phrase et est vérifiable. Les inférences pragmatiques sont fondées sur

les connaissances et les expériences du lecteur, ne se vérifient pas nécessairement et sont

communes à une majorité de lecteurs. Les inférences créatives, au même titre que les

inférences pragmatiques, proviennent des connaissances et des expériences du lecteur et

sont possiblement vraies. Cependant, elles ne sont communes qu’à certains lecteurs (sans

pour autant découler de l’imagination ou du jugement) et ne sont pas indispensables pour

comprendre (Giasson, 2007).

Cette dernière catégorie d’inférences – les créatives –, bien qu’elle s’insère dans le travail

de compréhension, est très près du travail interprétatif parce qu’elle implique que le lecteur

fasse appel à des éléments hors texte. Or, elle fait partie de la compréhension à cause du but

poursuivi : reconstituer le sens global du texte. En contrepartie, le travail sur l’interprétation

n’implique pas cet objectif de reconstruction globale du sens. Il implique plutôt de dégager

une signification pour certains éléments précis du texte (Falardeau, 2003).

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2.1.2 Définition de l’interprétation

L’interprétation fait directement appel à la subjectivité du lecteur, qui doit utiliser les signes

qu’il perçoit dans le texte pour en produire de nouveaux. C’est donc dire que les indices du

texte doivent être considérés comme point de départ pour formuler une interprétation. Cette

dernière impliquera l’ajout de nouveaux signes créés par le lecteur qui ne doivent pas

dénaturer ou trahir le sens du texte (Falardeau, 2003). Pour ce faire, il doit y avoir un

certain équilibre entre les droits du texte et les droits du lecteur (MEQ, 2006). Ce dernier

pourra alors trouver une résonance personnelle au texte sans pour autant le contredire

(MEQ, 2006). En effet, les significations qui émergeront s’inspireront directement du texte

(Falardeau, 2003). Bien que l’attitude interprétative se situe selon Reuter (2001) sous la

bannière des droits du lecteur, il n’en demeure pas moins que « ceux-ci [restent] […]

relativement contraints par le texte (on ne peut dire n’importe quoi). Le lecteur se donne

pour tâche de construire le(s) sens (partiellement gisants) dans le texte » (p. 71).

Plus encore, pour être reconnue et légitimée, une interprétation, contrairement à la

compréhension, doit être diffusée et confrontée à d’autres interprétations. Le consensus

social est donc un chemin nécessaire pour que les hypothèses interprétatives dépassent

l’état de créations personnelles. Si une interprétation est reconnue socialement, elle devrait

d’ailleurs contribuer à la compréhension du texte (Falardeau, 2003).

Somme toute, le but poursuivi par l’interprétation est de donner une signification à un

élément précis du texte et non de construire un sens global comme c’est le cas pour la

compréhension. En cas de doute, cette distinction permet de discriminer ce qui relève de la

compréhension inférentielle et ce qui relève de l’interprétation.

Par ailleurs, nous tenons à préciser que Giasson (2011) ne réfère pas à l’interprétation dans

sa terminologie. En contrepartie, ce concept recoupe en partie le troisième niveau de

compréhension qu’elle définit : la compréhension critique. Malgré cette considération, nous

employons le terme interprétation étant donné qu’il se trouve dans le Programme de

formation de l’école québécoise (MEQ, 2006; MELS, 2009) et qu’il est souvent évoqué

dans les travaux de littérature et de didactique de la littérature. Les définitions de la

compréhension et de l’interprétation ne sauraient être exhaustives sans que nous clarifiions

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le lien qui les unit. La précision de ce lien complètera les définitions que nous avons

proposées aux deux sections précédentes.

2.1.3 L’émergence simultanée de la compréhension et de l’interprétation grâce à

l’engagement du lecteur

Terwagne, Vanhulle et Lafontaine (2003) de même que Jorro (1999) n’admettent pas la

succession temporelle entre les processus de compréhension et d’interprétation. Selon

Terwagne et al. (2003), l’interprétation serait un processus très réactionnel qui se

superposerait à celui de la compréhension aussitôt que l’engagement du lecteur et sa

maitrise de certaines compétences seraient suffisants :

Au-delà du travail d’inférence, qui implique des comportements

stratégiques, le lecteur réagit au texte à travers un tissu de transactions

subjectives, de « réponses » affectives, critiques, créatives. Au processus de

compréhension, s’ajoute celui de l’interprétation. Ces trois niveaux

(compréhension littérale et inférentielle, et production de sens personnel sur

la base des évocations offertes par le texte) s’interpénètrent dès lors que le

lecteur est profondément engagé dans sa lecture et qu’il maîtrise des

compétences élaborées de questionnement et d’entrée dans le texte (p. 192).

Jorro (1999) abonde dans le même sens que Terwagne et al. (2003) en évoquant le lien

étroit entre l’investissement du lecteur dans son entreprise de compréhension du texte et la

possibilité d’interprétation :

L’interprétation du texte se prépare dès le moment où le lecteur est conscient

de son projet de compréhension : plus la mobilisation est forte, plus le

lecteur peut produire une interprétation. Un défaut d’investissement par

rapport à l’écrit génère une défaillance interprétative (p. 99).

Nous pensons que l’élève doit s’impliquer dans sa lecture pour que l’interprétation

interagisse avec la compréhension. De plus, nous croyons à l’émergence simultanée de

l’interprétation et de la compréhension (Terwagne et al., 2003). En effet, les raisonnements

d’un lecteur se bousculent tellement rapidement dans sa tête au fur et à mesure qu’il avance

sa lecture d’un texte qu’il nous semble difficile d’affirmer hors de tout doute que l’un

succède à l’autre. Nous adhérons plutôt à une représentation selon laquelle le lecteur

comprend et interprète au fil de sa lecture d’un texte, et ce, parfois simultanément, tel que

proposé par Lebrun (2004) : « la compréhension et l’interprétation sont intimement liées

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sans qu’on puisse les hiérarchiser en attribuant la première pour des opérations de bas

niveau réservées aux débuts de l’apprentissage et la seconde pour les experts » (p. 333).

En somme, nous croyons que pour permettre l’émergence d’interprétations, le lecteur doit

s’engager dans sa lecture. Cet investissement permettra l’interaction entre la

compréhension et l’interprétation. Les interprétations formulées au cours de la lecture

seront donc inspirées des compréhensions et vice versa :

[La compréhension et l’interprétation] agissent en concomitance, l’une

puisant dans les signes produits par l’autre. Ce sera la définition d’une

lecture littéraire riche, productive : les informations comprises sont appelées

à être interprétées, les deux registres devant ainsi être présentés dans leur

concomitance dès les premiers apprentissages de la lecture (Falardeau, 2003,

p. 689).

La figure suivante illustre le caractère simultané de l’émergence de la compréhension et de

l’interprétation en lecture. Au fur et à mesure qu’un lecteur découvre ou redécouvre un

texte, ses représentations évoluent. Le choix de la conjonction et pour lier les

compréhensions et les interprétations signale que l’une ne précède pas nécessairement

l’autre. La flèche bidirectionnelle rappelle la récursivité du processus : il est toujours

possible de revenir aux compréhensions ou aux interprétations formulées précédemment.

Figure 1: Évolution de la compréhension et de l’interprétation du lecteur pendant

qu’il lit un texte

Le lecteur, pour comprendre et interpréter un texte, travaille – parfois inconsciemment – en

étroite collaboration avec l’auteur. Une relation complexe entre l’auteur, le texte et le

lecteur prend donc naissance lors de l’activité de lecture.

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2.2 Les rôles interactifs de l’auteur, du texte et du lecteur

Nous ne saurions aborder les rôles de l’auteur, du texte et du lecteur isolément puisqu’ils

nous semblent interdépendants. Cependant, par souci de structure, nous mettrons tour à tour

l’accent sur la fonction de chacun de ces trois pôles par rapport aux deux autres.

2.2.1 L’auteur

Eco (1985) affirme qu’un auteur doit considérer que les aptitudes nécessaires au lecteur

pour construire un sens au texte sont les mêmes que les siennes. L’auteur insère des indices

dans son texte parce qu’il souhaite que sa coopération avec le lecteur soit fructueuse :

Pour organiser sa stratégie textuelle, un auteur doit […] assumer que

l’ensemble des compétences auquel il se réfère est le même que celui auquel

se réfère son lecteur. C’est pourquoi il prévoira un Lecteur Modèle capable

de coopérer à l’actualisation textuelle de la façon dont lui, l’auteur, le pensait

et capable aussi d’agir interprétativement comme lui a agi générativement

(p. 71).

Langlade (2002) est lui aussi d’avis que l’auteur crée un texte parsemé de détails porteurs

de sens. En contrepartie, il précise que l’auteur ne saurait anticiper toutes les probabilités

d’interprétations de son texte, celles-ci dépendant fortement du lecteur, dont le rôle clé est

complémentaire à celui de l’auteur :

Construire du sens, ce n’est pas comprendre n’importe quoi dans un texte.

Pour qu’un détail puisse être « signifié » en indice, encore faut-il qu’il soit

« signifiable ». Or, ces détails « signifiables » ne se trouvent pas par un pur

hasard dans un texte : ils sont nécessairement le produit d’une activité

créatrice de l’auteur. En revanche, quelque attentif et lucide que soit l’auteur

dans l’élaboration de sa « stratégie textuelle », comment pourrait-il maîtriser

toutes les virtualités signifiantes du texte qu’il écrit? (p. 52).

En bref, nous croyons que l’auteur insère des indices dans son texte pour aider le lecteur à

construire un sens, mais que certaines limites émergent de cette collaboration : 1) l’auteur

ne peut pas prévoir toutes les hypothèses interprétatives que les lecteurs proposeront et 2) le

lecteur doit considérer le plus grand nombre possible d’éléments significatifs du texte pour

que son interprétation soit plausible.

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2.2.2 Le texte

La définition du texte proposée par Eco (1985) réfère directement aux rôles de l’auteur et

du lecteur. En effet, il affirme qu’un texte comporte certaines zones d’ambigüité insérées

volontairement par l’auteur de manière à laisser une marge de manœuvre au lecteur pour

interpréter. La coopération du lecteur s’avère ainsi un préalable pour que le texte soit

fonctionnel :

Le texte est […] un tissu d’espaces blancs, d’interstices à remplir, et celui

qui l’a émis prévoyait qu’ils seraient remplis et les a laissés en blanc pour

deux raisons. D’abord parce qu’un texte est un mécanisme paresseux (ou

économique) qui vit sur la plus-value de sens qui y est introduite par le

destinataire […]. Ensuite parce [qu’] […] un texte veut laisser au lecteur

l’initiative interprétative, même si en général il désire être interprété avec

une marge suffisante d’univocité. Un texte veut que quelqu’un l’aide à

fonctionner (p. 66-67).

Le point de vue proposé par Langlade (2002) accorde une place encore plus importante au

lecteur pour attribuer un sens au texte. Il affirme que le texte présente des indices qui

permettent au lecteur de combler les blancs laissés par l’auteur au fil de la lecture, mais que

d’autres persistent. Chaque lecteur formule ainsi ses propres hypothèses en tirant profit des

indices repérés dans le texte pendant la lecture :

Ainsi, toute œuvre littéraire attend-elle de son lecteur une participation

active. Le texte contient en effet un certain nombre de blancs et de ruptures

narratives, il présente […] une succession d’énigmes, de mystères et de

secrets. Certains de ces derniers sont assez rapidement éclairés par le récit

lui-même, après avoir exercé la sagacité du lecteur, d’autres restent entiers à

l’issue de la lecture. Il revient alors à chacun de bâtir ses propres hypothèses

explicatives en utilisant les indices qu’il a su découvrir tout au long de la

narration (p. 43).

Nous considérons donc que le texte constitue le point de rencontre entre l’auteur et le

lecteur. L’auteur insère des indices dans le texte en fonction d’une ou de plusieurs

significations qu’il a envisagées. Cependant, puisque chaque lecteur porte une expérience

singulière, des significations non prévues par l’auteur peuvent émerger de la lecture d’un

texte.

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2.2.3 Le lecteur

Langlade (2007) est d’avis que le rôle du lecteur est de recourir à ses connaissances sur les

textes et sur le monde pour lier de manière cohérente certains éléments du texte entre eux :

Le texte ne dit pas tout sur l’histoire des personnages, sur leurs motivations

ou sur leurs intentions; le lecteur doit donc établir, en puisant dans sa

connaissance du monde et de la littérature […] des liens de causalité

vraisemblables entre les événements et les actions des personnages (p. 72).

Tel que mentionné précédemment, ces liens seront de l’ordre de la compréhension s’ils sont

établis par le lecteur dans le but de dégager un sens global à un texte, et de l’ordre de

l’interprétation s’ils sont établis pour donner une signification à un élément précis du texte.

Lebrun (2004) abonde dans le même sens : « Le lecteur singulier entre dans le texte avec sa

représentation du monde et de l’autre, et il la confronte aux représentations du monde et de

l’autre portées par le texte » (p. 333).

Dans le même ordre d’idées, Ricœur (1986) affirme que le lecteur doit dégager l’intention

de l’auteur en même temps qu’il construit un sens au texte. En effet, puisque cette intention

n’est pas fournie par l’auteur, elle relève selon lui du travail inévitablement subjectif du

lecteur. Shusterman (1994) appuie cette dernière position : il précise que l’objectif du

lecteur est de proposer un sens éclairé à un texte, sans qu’il s’agisse à tout prix du sens

suggéré par l’auteur, parfois difficile à confirmer. La théorie de Rouxel (2005) résume bien

la situation. Chaque contact entre un lecteur et un texte permet la naissance (ou la

renaissance) de ce texte. Pour cette raison, l’interprétation d’un même texte diffère d’une

personne à l’autre et elle découle ainsi du choix du lecteur d’abandonner les autres

significations.

La subjectivité du lecteur

Selon Langlade (2007), « la lecture subjective concerne […] le processus interactionnel, la

relation dynamique à travers lesquels le lecteur réagit, répond et réplique aux sollicitations

d’une œuvre en puisant dans sa personnalité profonde, sa culture intime, son imaginaire »

(p. 71). En effet, chaque lecteur produirait un texte singulier par l’intermédiaire d’un

« dialogue » entre deux fictions : celle provenant du texte et celle provenant de sa

subjectivité (Langlade, 2007). En ce sens, Reuter (2001) évoque « l’impression » comme

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une composante influente en lecture. Ce terme désigne « les effets produits sur le lecteur,

que ceux-ci soient recherchés ou non, envisagés sur les plans psycho-affectif et/ou socio-

culturel, sur les modes des affects, des réactions de goût ou de dégoût, des sentiments,

etc. » (p. 73). L’impression implique la subjectivité du lecteur et la question de la

vérifiabilité perd son sens « même si le sujet peut éprouver la validité de son impression

dans l’introspection, l’échange interindividuel, les relectures, les choix ultérieurs de

lecture » (p. 73).

Langlade (2004) considère la subjectivité du lecteur comme essentielle pour interpréter un

texte et ne croit pas que la participation de ce dernier puisse dénaturer le ou les sens d’une

œuvre littéraire : « Les réactions subjectives loin de faire tomber les œuvres “hors de la

littérature” seraient en fait des catalyseurs de lecture qui alimenteraient le trajet interprétatif

jusque dans sa dimension réflexive » (p. 85). D’ailleurs, le passage par la subjectivité

permet de travailler l’interprétation grâce à « une interaction complexe entre la

représentation initiale du texte et celle produite à l’issue de la lecture » (Lebrun, 2004,

p. 334).

Chaque lecteur, par sa contribution, donne donc une forme au texte en s’imaginant les

personnages ou les évènements qui y sont rapportés. L’imaginaire permet ainsi de

concrétiser ces éléments fictifs et de les bonifier : « Le contenu fictionnel des œuvres est

toujours, bien qu’à des degrés variables, investi, transformé et singularisé par l’irruption

des univers de référence des lecteurs. Ces derniers procèdent, sous la forme d’inférences

fictionnelles, à un double mouvement de dé-fictionnalisation et de re-fictionnalisation des

œuvres » (Langlade & Fourtanier, 2007, p. 104).

Mais cette implication du lecteur soulève des interrogations lorsqu’elle est considérée

parallèlement aux « droits du texte » qui posent les « limites de l’interprétation » (Eco,

1994). Une question émerge : selon quelles conditions la participation du lecteur et le

respect des droits du texte peuvent-ils coexister? Nous croyons, comme Langlade (2004),

que l’apport subjectif du lecteur peut contribuer à l’élaboration de la signification d’un

texte. Mais en dépit de cette collaboration entre l’auteur, le texte et le lecteur, ce dernier

peut rencontrer des problèmes de compréhension ou d’interprétation que ses ressources

personnelles à elles seules ne permettent pas toujours de résoudre.

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33

Les problèmes de compréhension et d’interprétation liés au lecteur et ceux liés au texte

Tauveron (2001) affirme que les problèmes de compréhension et d’interprétation peuvent

découler soit des caractéristiques du lecteur, soit de celles du texte. Si ces problèmes ne

sont pas programmés, ils sont liés au lecteur. Par exemple, un récit destiné à des enfants

peut à priori n’inclure aucun élément visant à confondre le lecteur. Or, il pourrait

néanmoins générer une confusion chez des enfants qui reconnaissent l’existence d’un

personnage seulement s’il est nommé. Ce qui n’était initialement pas un piège de l’auteur

peut ainsi le devenir pour un apprenti lecteur en difficulté. Si les problèmes sont prévus par

l’auteur, ils sont associés au texte. La présence de ces problèmes qui relèvent du texte

signifie que l’auteur a employé un ensemble de moyens « pour ne pas rendre immédiate la

saisie et le résumé de l’intrigue (et donc pour solliciter la médiation du lecteur) » (p. 12). Le

texte est alors considéré comme réticent. Plus encore, si les problèmes liés au texte

impliquent une ouverture à la pluralité des interprétations, le texte est considéré comme

proliférant. Par exemple, si le mobile d’un personnage n’est pas explicité – ce qui est très

souvent le cas –, l’auteur laisse place à l’interprétation. À ce sujet, Tauveron (1999)

considère que les textes réticents et les textes proliférants sont les deux types de textes qui

composent l’ensemble des textes résistants. Enfin, un texte réticent peut aussi être

proliférant, c’est-à-dire qu’un défi de compréhension peut provoquer un défi

d’interprétation (Tauveron, 2001). Pour pallier ces difficultés potentielles, le lecteur peut

recourir à diverses stratégies de compréhension avant, pendant et après la lecture d’un

texte.

Le retour au texte et l’appui sur des connaissances personnelles : des stratégies

mobilisées par le lecteur

Selon Giasson (2011), une stratégie est déployée « lorsque le lecteur décide consciemment

d’utiliser un moyen ou une combinaison de moyens pour comprendre un texte » (p. 260).

Ce recours à une stratégie surviendrait soit dans un cas de prévention (ex. : le lecteur

anticipe que le texte sera difficile à comprendre et choisit de s’arrêter après chaque

paragraphe pour se résumer l’information dans sa tête et pour prendre des notes en marge),

soit dans un cas d’intervention (ex. : le lecteur réalise qu’il ne comprend plus le texte et

choisit d’en relire un passage). Giasson (2011) est d’avis que les élèves doivent maitriser

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les stratégies qui leur permettent de gérer leur compréhension. Elle observe d’ailleurs des

différences sur ce plan lorsqu’elle compare les élèves en difficulté à leurs pairs :

Ceux qui gèrent bien leur compréhension savent quand ils comprennent ce

qu’ils lisent et quand ils ne le comprennent pas; ils savent quelles stratégies

utiliser pour résoudre leurs problèmes de compréhension. C’est ce qui fait

souvent défaut aux élèves en difficulté (p. 268).

Elle précise que ces stratégies qui permettent de gérer la compréhension sont d’ordre

métacognitif. Elle définit la métacognition comme « la connaissance et le contrôle qu’une

personne a sur ses stratégies cognitives » (p. 268). En résumé, les stratégies constitueraient

un moyen déployé en pleine connaissance de cause par les élèves pour gérer leur

compréhension d’un texte.

Le lecteur utilise notamment des connaissances sur les textes tirées de lectures précédentes,

des connaissances culturelles de même que son expérience sur le monde en général pour

comprendre : « chacun fictionnalise l’œuvre à sa manière en investissant, en complétant ou

en détournant les espaces fictionnels qu’elle lui offre » (Langlade & Fourtanier, 2007,

p. 105). Cette façon de faire s’apparente à ce que nous avons défini précédemment comme

l’activation des processus d’élaboration18. Cette activation, lorsqu’elle est consciente, peut

être considérée comme une stratégie. Les « données fictionnelles » d’une œuvre sont

transformées par le lecteur grâce à des opérations textuelles : l’ajout, la suppression et la

recomposition. L’ajout signifie que le lecteur comble des blancs du texte par l’intermédiaire

de son activité imageante tandis que la suppression survient lorsqu’il écarte de son récit

d’un souvenir de lecture des éléments du texte qu’il considère de moindre importance. En

fonction des ajouts et des suppressions, le lecteur reconstruit le texte partiellement ou

complètement, ce qui correspond à la recomposition. Il propose au final une lecture

singulière teintée de toutes les transformations du texte qu’il a effectuées par la voie des

opérations textuelles. C’est pour cette raison que deux lecteurs lisant le même texte ne se

racontent parfois pas du tout la même histoire (Langlade & Fourtanier, 2007).

18 Voir la note de bas de page à la section 1.4.1.

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35

2.2.4 Bilan et présentation du modèle retenu par rapport à la relation entre l’auteur,

le texte et le lecteur

Notre position par rapport aux rôles de l’auteur, du texte et du lecteur se résume en deux

temps.

1) Chaque lecteur entretient un lien singulier avec le texte. Plus encore, pour un même

lecteur confronté à un même texte, ce lien peut être différent à chaque lecture. À ce sujet,

nous adhérons à la théorie de Rouxel (2004), selon qui les indices insérés dans le texte par

l’auteur mèneront très souvent à diverses interprétations en fonction de la subjectivité du

lecteur :

Tout texte programme son lecteur, porte en lui l’image de son lecteur [...].

D’autre part, le lecteur réel est actif : il produit le texte. La « réception », loin

d’être passive, est une appropriation active du texte. Enfin, concernant le

statut du sens, longtemps perçu comme celui de l’auteur […], il est

désormais admis qu’il se construit dans l’interaction entre texte et lecteur et

qu’il est pluriel dans la synchronie comme dans la diachronie » (p. 16).

Nous appuyons également la théorie de Rosenblatt (cité dans Terwagne & al., 2003), qui

présente la lecture comme un processus vivant et dynamique reposant sur des transactions

entre le lecteur et le texte : « Ces transactions sont toujours uniques. Personne ne lit le

même texte de la même manière et la relation intime vécue avec un texte à un moment

donné ne peut jamais se reproduire exactement » (p. 10). De plus, pour comprendre et

interpréter un texte, le lecteur doit mettre en relation ses idées (parfois préconçues) et celles

suggérées par le texte : « le texte ne dit pas tout : il s’agit d’aller à sa rencontre, quitte à

assumer la confrontation avec certaines des idées qu’il véhicule, à assumer la contradiction

avec nos propres visions du réel » (p. 10).

2) Malgré le caractère inachevé du texte et malgré la subjectivité du lecteur, il n’en

demeure pas moins que le texte (donc l’auteur qui s’y cache) souhaite que le lecteur

l’interprète avec un maximum d’exhaustivité, c’est-à-dire en considérant le plus grand

nombre d’indices possible. Notre position rejoint donc le point de vue d’Eco (1985),

résumé par Langlade (2004) :

[Le texte littéraire] apparaît comme « un tissu d’espaces blancs, d’interstices

à remplir ». Mais […] il n’en contient pas moins des instructions qui

canalisent les inférences interprétatives du lecteur empirique; certes, « un

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texte veut laisser au lecteur l’initiative interprétative », mais « en général il

(le texte) désire être interprété avec une marge suffisante d’unicité ». Le

lecteur est donc en liberté surveillée (p. 87).

La figure suivante résume notre représentation de la collaboration entre l’auteur, le texte et

le lecteur.

Figure 2: Les rôles interactifs de l’auteur, du texte et du lecteur

En somme, en comblant les blancs non comblés par les indices du texte (les questions

laissées en suspens), le lecteur ajoute sa part de subjectivité.

2.3 La validation d’une interprétation

Les critères de validité d’une interprétation agissent comme balises pour permettre à

l’enseignant d’évaluer toutes les propositions d’interprétations reçues des élèves.

2.3.1 La source du problème de validation d’une interprétation

Popper (cité dans Bayard, 2002) déplore le fait que sur le plan de l’interprétation, un

énoncé peut toujours être validé s’il est appuyé sur de bons exemples. Selon lui, la

vérification ne correspond pas à un indice de rigueur sur le plan scientifique parce qu’elle

est liée au sentiment personnel : « sans doute toute interprétation prend-elle soin de

s’appuyer sur des exemples que l’interprète considère comme des preuves, mais c’est en

dernier ressort sa conviction intime qui est déterminante » (p. 86). Il ajoute que « tout

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croyant ne cesse de rencontrer des éléments à l’appui de sa croyance » (p. 86), c’est-à-dire

qu’un lecteur interprète peut vérifier ce qu’il souhaite vérifier. Bayard (2002) soulève le

même problème : lorsqu’un texte est analysé, il y a « sélection des unités textuelles

appelées à venir à l’appui d’une démonstration théorique » (p. 35). Or, les éléments

sélectionnés « ne coïncideront jamais exactement avec ceux qu’aura choisis une autre

approche critique » (p. 35). Bref, la sélection des passages du texte dépend de ce qu’un

lecteur veut prouver. Pour pallier ce problème et ainsi faciliter le traitement des hypothèses

formulées par les élèves, Sauvaire (2013) propose que les enseignants établissent des

critères de recevabilité des interprétations.

2.3.2 La définition de critères de validité d’une interprétation

Jouve (2001) expose trois grands principes que doit respecter une interprétation pour être

valide. Le premier principe, respecter l’objectivité, signifie simplement que le lecteur doit

repérer et considérer le plus grand nombre possible d’indices présents dans le texte. Puisque

ces éléments du texte l’aident à dégager un sens plausible, il doit éviter de s’en éloigner. Le

deuxième principe implique que lecteur choisisse l’ensemble de connaissances qu’il

utilisera pour analyser le texte, pour proposer une hypothèse interprétative et pour la

justifier. Enfin, le troisième principe correspond à l’application rigoureuse des normes qui

balisent l’interprétation à l’ensemble du texte. C’est donc dire que les critères choisis pour

interpréter doivent, pour être cohérents, être transposables à l’œuvre entière.

Reuter (2001) présente des principes semblables à ceux de Jouve (2001) pour établir la

légitimité du sens d’un texte proposé par un lecteur. Il affirme que l’interprétation doit

s’appuyer sur des positions culturelles plausibles et doit tenir compte des informations

contenues dans le texte. Plus précisément, le lecteur doit s’assurer que son hypothèse est

non seulement renforcée par des éléments du texte, mais qu’aucun d’entre eux ne la

contredit. Les critères qu’il soumet se déclinent en trois énoncés :

l’efficacité pragmatique qui résulte [de l’interprétation]; le renvoi à des

positions culturellement possibles; des renvois à la caution du texte sous

forme notamment de prise en compte d’un certain nombre d’éléments du

texte et d’absence de contradiction non justifiée avec les éléments du texte-

source et entre les éléments de l’interprétation (p. 72).

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Si Langlade (2002) croit lui aussi que les éléments du texte doivent être considérés pour

rendre une hypothèse légitime, il ajoute toutefois que le sens d’un texte se construit

inévitablement en fonction du vécu du lecteur. L’évaluation des interprétations reçues

relève selon lui des principes de cohérence, de pertinence et de non-contradiction :

La valeur d’une construction de sens se mesure donc à son aptitude à donner

sens de façon cohérente et dynamique au plus grand nombre possible

d’éléments du texte. À l’évidence, surtout lorsqu’il s’agit d’un texte

littéraire, cette construction de sens possède une dimension subjective : elle

est pour partie liée à la culture, à l’expérience, à la personnalité même du

lecteur. Chacun sait qu’une œuvre peut recevoir plusieurs interprétations de

lecteurs différents, ou d’un même lecteur à des moments différents de sa vie.

Mais elle présente aussi une dimension objective, ou du moins justifiable,

« objectivable » : une lecture n’est pas un délire interprétatif et toute

construction de sens authentique doit pouvoir être légitimée par une analyse

du texte (p. 42).

Les critères relevés par Sauvaire (2013) tiennent comptent des divergences de points de vue

entre les enseignants et les élèves. Pour les enseignants, « le critère d’évaluation de la

recevabilité d’une interprétation le plus valorisé […] est, sans surprise, le retour au texte, en

particulier le relevé de citations ayant valeur de preuve » (p. 305). Toutefois, les élèves, de

leur côté, accordent davantage d’importance à l’instance auctoriale, c’est-à-dire qu’ils

cherchent à déterminer l’intention que l’auteur avait en tête lorsqu’il a écrit son texte. La

réponse à l’énigme d’un texte relèverait ainsi, selon les maitres, de l’analyse textuelle et,

selon les apprentis, des volontés de l’auteur. Le deuxième critère évoqué par Sauvaire,

l’accord intersubjectif, semble partagé par les enseignants et par les élèves. Ces derniers

« établissent le caractère plausible d’une interprétation à partir de deux balises : la

cohérence logico-temporelle et les valeurs partagées […]. [Ils] mobilisent leurs

connaissances de multiples récits (littéraires, filmiques, etc.) qui façonnent leurs

conceptions de la cohérence de l’action » (p. 306). Enfin, Sauvaire relève un dernier critère,

les ressources subjectives, partagé seulement par certains élèves – pas par les enseignants.

Ces ressources pourraient selon eux permettre de valider leurs interprétations : « [ils

recherchent] dans leur propre sensibilité des éléments de justification de leurs hypothèses.

Leur démarche entre en tension avec la recherche de preuves textuelles » (p. 307).

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Pour qu’une hypothèse interprétative soit valide, elle doit d’une part s’appuyer sur le plus

grand nombre possible d’éléments du texte pertinents à l’avancée de l’intrigue et, d’autre

part, n’être contredite par aucun élément du texte. Ces deux critères, s’ils sont respectés,

devraient conférer un degré de validité élevé à une interprétation. Cependant, il arrive que

les éléments contenus dans le texte ne permettent pas de trancher en faveur d’une hypothèse

en particulier. Le cas échéant, le lecteur doit recourir à un troisième critère : l’appui sur des

référents partagés par une communauté de lecteurs tels que des savoirs, des valeurs, des

pratiques et des normes. C’est notamment le cas pour certains poèmes dont l’interprétation

implique une revue de la vie de l’auteur et du contexte de production. La figure suivante

présente les critères que nous retenons. Elle servira d’outil pour l’analyse de nos résultats.

Figure 3: Les critères qui permettent de valider une interprétation

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Des éléments subjectifs tels que les connaissances, les expériences et les intérêts du lecteur

de même que les émotions qu’il ressent lors de la lecture se greffent au maximum d’indices

qu’il repère dans le texte. Plus précisément, un processus d’objectivation intersubjectif se

produit, c’est-à-dire qu’il y a interaction entre la subjectivité du lecteur et sa distanciation

du texte. Le lecteur prend en considération la pensée de ceux avec qui il confronte sa

lecture (par exemple les pairs et l’enseignant) dans son propre jugement, et ce, dans

l’objectif de comprendre le texte et d’élaborer une interprétation (Vanhulle, 2004). Pour

cette raison, les hypothèses interprétatives peuvent différer d’un lecteur à l’autre tout en

étant plausibles. La figure suivante illustre l’interaction entre subjectivité et distanciation

qui amène le lecteur à formuler des interprétations.

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Figure 4: La subjectivité du lecteur et sa distanciation du texte pour l’interpréter

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2.3.3 La démarche d’analyse d’interprétations

Pour vérifier la pertinence d’une interprétation, Jouve (2001) présente une démarche

d’analyse en trois étapes19. Lors de la première étape, le lecteur relève les lieux de certitude

et les lieux d’incertitude d’un texte :

[Le lecteur doit] faire la part […] entre les composants textuels dont le sens

ne fait aucun doute et les endroits du texte qui posent problème. Il y a dans

tout texte des espaces où la lecture est libre et des espaces où elle est

contrainte (p. 30).

Lors de la deuxième étape, le lecteur tente de préciser les lieux d’incertitude. Il s’agit des

éléments résistants du texte qu’il ne parvient pas à intégrer à sa représentation. Il essaie

alors de trouver un point commun entre les éléments problématiques relevés et l’univers du

texte créé par l’auteur. Ce rapprochement permet de dégager un thème qui confère une

cohérence au texte. Enfin, lors de la troisième étape, les hypothèses issues de l’étape

précédente sont analysées en fonction des critères de validité d’une interprétation. Une fois

que le lecteur a intégré plusieurs éléments du texte pour construire un sens, il effectue un

détour vers le « hors-texte » pour interpréter (Jouve, 2001).

La figure suivante illustre les étapes pour analyser des textes résistants et formuler des

hypothèses interprétatives (Jouve, 2001). Les interprétations qui émergeront de ce

processus en trois temps seront le fruit d’une réflexion approfondie.

19 Nous ne considérons pas cette démarche d’analyse comme un protocole rigide à suivre pour interpréter un

texte. D’une part, nous croyons que le processus pour interpréter un texte est itératif. D’autre part, les étapes

proposées ne constituent pas un passage obligé pour le lecteur, mais simplement un outil de référence qui

balisera l’analyse de nos résultats.

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43

Figure 5: Les étapes pour formuler une interprétation à la suite de la lecture d’un

texte résistant

2.4 Retour sur les objectifs de recherche

Plusieurs des concepts que nous avons définis dans ce chapitre serviront à baliser nos

résultats. La démarche d’analyse des interprétations et les critères de validité d’une

interprétation que nous avons retenus nous guideront pour dégager des profils d’interprètes,

mais surtout pour prendre position quant à la plausibilité des hypothèses formulées par

chacun de ces profils. Nous ne pourrons décortiquer l’ensemble des stratégies activées par

les participants pour comprendre et interpréter le texte qui leur a été soumis, mais nous

nous concentrerons sur deux stratégies qui nous semblent essentielles : l’appui sur des

éléments du texte et le recours à des connaissances personnelles pertinentes. Les définitions

de la compréhension et de l’interprétation auxquelles nous adhérons nous permettront de

distinguer les propos d’élèves qui relèvent de la compréhension de ceux qui relèvent de

l’interprétation de la nouvelle littéraire Dragon. Une fois cette limite établie, nous jetterons

un regard sur l’interaction entre la compréhension de ce texte par les lecteurs de notre

échantillon et leur interprétation. Bref, pour chaque profil d’interprètes créé, nous

souhaitons faire ressortir certaines tendances : Quels profils d’élèves s’appuient le plus sur

le texte et sur leurs connaissances personnelles pour interpréter? Quel est le degré de

compréhension des groupes d’élèves qui ont formulé les interprétations les plus plausibles?

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44

CHAPITRE 3: DÉMARCHE DE RECHERCHE

Dans ce chapitre, nous dresserons d’abord un portrait du projet de recherche duquel nos

données sont issues. Nous présenterons ensuite le texte que les élèves rencontrés ont dû lire

de même que les méthodes utilisées lors des rencontres avec les participants. Enfin, nous

décrirons les méthodes d’analyse choisies en fonction de chacun de nos objectifs

spécifiques.

3.1 Le projet de recherche duquel proviennent nos données : présentation globale

Les données que nous analysons émergent d’un projet de recherche subventionné par le

gouvernement du Québec et dirigé par le chercheur Érick Falardeau. Plus précisément, ce

projet portant sur l’enseignement explicite des stratégies de lecture s’inscrit dans le

Chantier 7, un programme de financement instauré par le ministère de l’Éducation, du

Loisir et du Sport (MELS) et dont l’objectif est d’assurer une formation continue du

personnel scolaire dispensée par les universités20. Onze enseignants de français du

deuxième cycle du secondaire travaillant à la Commission scolaire des Navigateurs (Rive-

Sud de Québec) ont participé au projet sur l’enseignement explicite des stratégies de

lecture. Ils ont reçu pendant l’année scolaire 2012-2013 cinq journées de formation au

cours desquelles toutes les étapes de l’enseignement explicite leur ont été présentées. Ils les

ont ensuite expérimentées progressivement dans leur classe.

Pour étudier les capacités des adolescents en lecture, l’équipe de recherche a notamment

rencontré un total de 44 élèves dont les enseignants de français participaient au projet.

Chaque enseignant a dû sélectionner quatre élèves pour participer à ce volet de l’étude

dirigée par Monsieur Érick Falardeau, soit deux ayant de la facilité en lecture et deux

éprouvant des difficultés. L’équipe de recherche n’a pas retenu cette dichotomie pour ses

analyses parce qu’un lecteur n’est jamais « fort » ou « faible » dans l’absolu. Cette façon de

sélectionner les élèves permettait simplement de rencontrer une diversité de lecteurs ayant

20 Pour éviter la confusion entre notre projet de recherche (les données analysées dans le cadre de notre

mémoire de maitrise) et le projet de recherche de Monsieur Érick Falardeau (dans lequel nous étions

impliquée), nous nous exprimerons à la 1re

personne (nous) uniquement lorsqu’il sera question de notre projet

de maitrise.

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des capacités différentes. Lors des rencontres, les participants devaient d’abord lire un texte

et verbaliser leurs pensées selon la méthode de la pensée à voix haute21, puis répondre à des

questions posées sous forme d’entretien semi-dirigé. Chaque rencontre était enregistrée de

manière à ce que le contenu des bandes audio soit ensuite transcrit. Les transcriptions ont

permis de récolter des données discursives pour une analyse qualitative du raisonnement

des élèves lorsqu’ils lisent.

Les rencontres auprès des élèves ont eu lieu en début d’année scolaire (prétest – septembre

2012), c’est-à-dire avant que les enseignants ne soient formés, et vers la fin de l’année

(posttest – mai 2013), soit après que les maitres eurent expérimenté à de nombreuses

reprises l’enseignement explicite des stratégies de lecture dans leur classe. Les données

auxquelles nous nous intéressons proviennent des rencontres effectuées en posttest22 auprès

de 39 élèves (5 des 44 élèves ayant participé à ces rencontres en début d’année ont

abandonné pour différentes raisons).

3.2 Le texte soumis aux participants

L’équipe de recherche devait choisir un texte dont les caractéristiques – le genre, la

longueur et le niveau de difficulté – s’arrimeraient aux besoins du projet.

3.2.1 Le choix d’une nouvelle littéraire résistante

Le texte à lire était Dragon, une nouvelle littéraire de Ray Bradbury23. Deux principales

raisons ont incité l’équipe de recherche à choisir un tel texte. D’une part, la limite de temps

pour rencontrer chaque élève était d’environ 30 minutes. Le texte retenu ne devait donc pas

être trop long parce que des questions à répondre oralement suivaient la lecture. D’autre

part, l’objectif de l’étude était d’évaluer les capacités des élèves québécois du deuxième

cycle du secondaire en lecture et non de générer un apprentissage. Le texte choisi par

21 Cette méthode, qui consiste pour un lecteur à exprimer à voix haute tout ce à quoi il pense pendant qu’il lit,

sera définie plus précisément dans la section 3.3.1. 22

Nous avons favorisé l’analyse des rencontres du posttest plutôt que l’analyse de celles du prétest parce que

le texte à lire au posttest générait un pluriel des interprétations, donc convenait davantage à notre thème de

recherche. 23 Voir annexe A.

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l’équipe de recherche devait donc être assez difficile pour s’assurer de recueillir une

quantité et une diversité satisfaisantes de verbalisations par les lecteurs. À ce sujet, Baker

(2002) affirme que les élèves risquent de ne pas révéler l’emploi de stratégies de régulation

si le degré de difficulté du texte utilisé dans le cadre de la méthode de la pensée à voix

haute n’est pas suffisamment élevé.

3.2.2 Le résumé du texte

La nouvelle littéraire Dragon raconte l’histoire de deux chevaliers qui attendent sur une

plaine l’arrivée d’un dragon pour le combattre. La bête sème la terreur chez les habitants du

village : lorsqu’elle apparait sur la lande décrite comme vaste et obscure, elle ravage tout

sur son passage. On raconte notamment que des victimes sont retrouvées sur la colline au

lever du jour. À l’arrivée de ce qu’ils croient être le dragon, mais qui est plutôt un train, les

deux combattants se dressent devant pour le tuer. Bien qu’ils montent leurs chevaux, qu’ils

soient vêtus de leurs armures et équipés de lances, ils ne font pas le poids. L’un d’eux est

projeté au sol, et l’autre, écrasé. Les chefs de train sont convaincus d’avoir touché des

chevaliers en armures, mais ils choisissent de continuer leur route parce que l’un d’eux

affirme s’être déjà arrêté auparavant dans la lande pour une situation semblable et n’avoir

rien vu du tout.

3.2.3 Les difficultés du texte

Trois grandes difficultés émergent de la lecture de cette nouvelle : l’ambigüité du temps,

celle des lieux et celle liée à l’unification du dragon et du train. Au début du récit, tout

indique que l’histoire se déroule au Moyen Âge : des chevaliers en armures, des lances

comme armes, un château. Puis, à la fin du récit, des indices permettent de déduire que

l’histoire se déroule à l’époque moderne, plus précisément dans les années 1800 ou 1900 :

un train à vapeur, du charbon pour l’alimenter, des chefs de train. Parallèlement à cette

problématique de double univers, le train (décrit comme un dragon tout au long du récit)

heurte et tue les chevaliers. Bref, la rencontre entre des éléments issus de deux époques

distinctes – des chevaliers et un train – génère une première difficulté relative à l’époque du

récit.

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La lande où se trouvent les chevaliers est décrite comme un lieu obscur et effrayant : aucun

oiseau n’y a volé depuis des siècles et seule l’herbe bouge à cause du vent. Tout le paysage

semble figé, inerte, comme s’il n’y avait pas de vie à cet endroit. Les corps des habitants

ayant tenté d’affronter le dragon y sont retrouvés au matin. De plus, personne ne peut dire

d’où arrive la bête et où elle se rend. L’espace est décrit avec un ton mystérieux pour laisser

place à un univers où tout peut arriver, même l’impossible. La description des lieux

représente ainsi une deuxième difficulté de lecture.

Enfin, pour décrire le dragon au fil du récit, l’auteur emploie des caractéristiques qui

pourraient également convenir à un train : un œil jaune, fixe et sans paupière, un souffle

semblable à une fumée blanche, un corps qui ressemble à une masse sombre, une arrivée

qui provoque un fracas de tonnerre et un ouragan d’étincelles. Plus encore, le dragon est

explicitement nommé. Ce n’est que vers la fin de l’histoire qu’il est officiellement question

d’un train, mais le lecteur doit lui-même inférer qu’il n’y a finalement jamais eu de dragon

dans l’histoire. L’auteur a choisi de créer cette ambigüité en mettant de l’avant des traits

pouvant être associés autant à un dragon qu’à un train.

3.3 Les rencontres avec les élèves pour collecter les données

Des rencontres individuelles auprès des 39 participants nous ont permis de collecter les

données. Deux méthodes distinctes ont été utilisées : la méthode de la pensée à voix haute

et l’entretien semi-dirigé.

3.3.1 La méthode de la pensée à voix haute

Déroulement

Dans la première partie des rencontres, chaque élève devait lire le texte Dragon dans sa tête

en verbalisant tout ce à quoi il pensait pendant qu’il lisait, notamment des informations

comprises, des incompréhensions, des réactions, des stratégies mobilisées, des questions

émergentes et des hypothèses. Lorsque l’intervieweur présentait cette consigne, il évitait de

fournir des exemples trop précis du type de verbalisation attendue afin de ne pas biaiser les

données. En effet, mentionner certains processus en particulier aux élèves risque de les

inciter à verbaliser ces processus (Hilden & Pressley, 2011). De plus, il est préférable que

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48

les lecteurs verbalisent ce à quoi ils pensent plutôt que de tenter de nommer les processus

qu’ils activent (Hilden & Pressley, 2011).

Cette méthode, dite méthode de la pensée à voix haute (MPVH), permet de mieux

comprendre les caractéristiques du lecteur, notamment les processus et les stratégies qu’il

utilise, ses émotions, de même que l’interaction de sa motivation et de ses émotions avec

ses verbalisations (Hilden & Pressley, 2011). Les données recueillies par l’intermédiaire de

la MPVH sont de diverses natures : des processus cognitifs et métacognitifs, des

représentations, des conceptualisations et des reconstructions (Forget, 2013). Puisque les

informations sont recueillies dans le vif de l’action et non apostériori, cette méthode permet

de rendre visible la construction de sens progressive par le lecteur au fur et à mesure qu’il

lit, ce qui constitue un avantage (Hilden & Pressley, 2011).

L’intervieweur devait relancer l’élève régulièrement de manière à éviter les silences

prolongés. Ainsi, si environ 15 ou 20 secondes s’écoulaient sans que le lecteur rencontré ne

s’exprime, le membre de l’équipe qui dirigeait la rencontre lui rappelait de verbaliser ses

pensées : « N’oublie pas de me dire tout ce à quoi tu penses pendant que tu lis »;

« Continue de me parler »; « Continue de me formuler des commentaires ». Lors de ces

relances, l’intervieweur évitait dans la mesure du possible de suggérer des actions précises

à l’élève (ex. : « Dis-moi quelle stratégie tu utilises présentement »). Puisqu’interpréter un

texte implique l’activation de processus de haut niveau, il est tout à fait normal qu’il n’y ait

pas eu une abondance d’hypothèses interprétatives formulées par les élèves lors de leur

première lecture du texte, d’autant plus qu’ils devaient verbaliser leurs pensées pendant

qu’ils lisaient.

Limites

Jääskeläinen (2010) relève les principales limites de la MPVH. D’une part, les processus du

lecteur qui sont inconscients ne se retrouvent pas dans sa mémoire de travail, ce qui signifie

qu’il ne les verbalisera pas. D’autre part, la surcharge cognitive générée par la tâche risque

de mobiliser l’ensemble des ressources cognitives disponibles, et ainsi de réduire la

verbalisation du lecteur. Dans les deux cas, l’expert est privé de certaines informations non

explicitées par le lecteur. Les risques d’interférence entre la MPVH et la tâche sont

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49

d’ailleurs encore plus élevés si la tâche est complexe (Van den Haak, De Jong, & Schellens,

2003).

Autre limite de la MPVH : elle peut changer la structure des processus cognitifs impliqués

dans la lecture (Kring, 2001; Jakobsen, 2003). En effet, cette méthode ralentit les processus

du lecteur (Kring, 2001) et l’incite à analyser le texte en le découpant en unités plus petites

qu’à l’habitude (Jakobsen, 2003, cité dans Jääskeläinen, 2010) :

A slowing-down effect of about 30 per cent with think-aloud was found.

Moreover, the subjects working in the think-aloud condition processed texts in

smaller units […]. Think-aloud may change the structure of the cognitive

processes involved in translating, but how and to which extend, is still unclear

(p. 371).

Enfin, lorsque la MPVH est employée, certaines caractéristiques personnelles de l’élève

rencontré (âge, motivation, anxiété, habiletés verbales et volonté de révéler des facettes de

soi-même) peuvent influencer la verbalisation (Baker, 2002). Les stratégies verbalisées par

les lecteurs dépendent également des caractéristiques du texte lu (Hilden & Pressley, 2011).

Pour s’assurer que les verbalisations découlant de la MPVH correspondent réellement aux

actions effectuées par l’élève lorsqu’il lit – donc pour minimiser l’interférence entre ce que

l’élève fait réellement et ce qu’il affirme faire –, Forget (2013) présente deux conditions à

respecter. Premièrement, le degré de difficulté de la tâche devrait dépendre des capacités

cognitives de l’élève qui l’effectue. Deuxièmement, « la verbalisation concomitante à la

tâche » (p. 59) devrait être employée seulement auprès de lecteurs experts. Étant donné le

contexte et les objectifs de la recherche menée par Monsieur Érick Falardeau, l’équipe n’a

pas pu respecter parfaitement ces deux contraintes. En dépit de cet inconvénient, la

combinaison de la méthode de la pensée à voix haute à une méthode complémentaire –

l’entretien semi-dirigé – nous a permis d’optimiser la collecte de nos données.

3.3.2 L’entretien semi-dirigé

Déroulement

Dans la deuxième partie des rencontres, l’intervieweur posait des questions à l’élève selon

la formule de l’entrevue semi-dirigée, « une interaction verbale animée de façon souple par

le chercheur » (Savoie-Zajc, 2003, p. 296). Dans ce contexte qui s’apparente à une

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50

conversation structurée, l’intervieweur adapte le rythme et le contenu au fil de l’interaction

avec le participant, mais s’assure d’aborder les thèmes généraux préétablis (Savoie-Zajc,

2003; Bailey, 2007). Les membres de l’équipe de recherche qui menaient les entretiens

avaient en main un schéma d’entretien, qu’ils ont ajusté en fonction des réponses formulées

par chaque élève rencontré. Plus précisément, les intervieweurs ont eu à modifier l’ordre

des questions, à éviter de poser les questions auxquelles l’élève avait déjà répondu, à

ajouter des sous-questions non prévues en fonction des commentaires du lecteur et à poser

une question à plus d’une reprise selon l’évolution de la compréhension du participant. Ces

mesures d’adaptation propres à l’entretien semi-dirigé sont particulièrement pertinentes

lorsque l’objectif de la recherche est de mener une analyse critique des données (Bailey,

2007) ou de comprendre un phénomène de manière approfondie (Savoie-Zajc, 2003).

Les questions étaient principalement de l’ordre de la compréhension et de l’interprétation24.

En voici quelques exemples :

Résume l’histoire dans tes mots.

Au début de l’histoire (lignes 1 à 44), qui sont les personnages, que font-ils et à

quelle époque sont-ils? Comment le sais-tu?

À la fin de l’histoire (lignes 71 à 84), qui sont les personnages, que font-ils et à

quelle époque sont-ils? Comment le sais-tu?

Aux lignes 46 à 53, à quoi correspond la description?

Pourquoi des chevaliers et un train se côtoient-ils dans la même histoire?

Relis les lignes 35 à 39. Pourquoi un personnage dit-il à l’autre que le Temps

n’existe pas?

Relis les lignes 81 à 84. Pourquoi raconte-t-on à la fin de l’histoire que le train

disparait à tout jamais?

Pourquoi l’auteur a-t-il choisi Dragon comme titre à son histoire?

Certaines questions impliquaient un retour au texte pour la relecture d’un passage en

particulier, qui pouvait être effectuée par l’intervieweur lui-même ou par l’élève (chaque

24 Le schéma d’entretien complet utilisé par les intervieweurs se trouve en annexe B.

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51

intervieweur a fonctionné selon ce qui lui semblait le plus efficace). Ces retours ciblaient

stratégiquement les passages clés du texte, ce qui a permis à plusieurs apprenants de

modifier positivement leur compréhension de l’histoire avec un minimum de soutien.

L’objectif était d’accéder à certaines informations que les élèves ont pu passer sous silence

ou ignorer dans la première partie des rencontres. La méthode de l’entretien semi-dirigé, au

même titre que la MPVH, comportait certaines limites.

Limites

D’abord, les réponses des élèves ont été difficiles à comparer parce que les questions

posées variaient d’un intervieweur à l’autre. Cette flexibilité dans la formulation de

questions s’explique d’abord par la définition même de la méthode choisie, l’entretien

semi-dirigé, dont l’objectif principal est de baser le travail sur les perspectives des

participants (Bailey, 2007). Un deuxième facteur a toutefois accentué légèrement l’écart

entre les questions posées par chaque intervieweur. En effet, malgré le fait qu’une

proportion importante du schéma d’entretien était partagée par les membres de l’équipe de

recherche, quelques questions ont été posées seulement par certains d’entre eux. Un

maximum d’uniformité sur ce plan aurait facilité le traitement des données. Somme toute,

puisque la visée de la recherche était d’évaluer les compétences des élèves du deuxième

cycle du secondaire en lecture, le choix de l’entretien semi-dirigé pour compléter la MPVH

était tout indiqué. Les autres options auraient également présenté des inconvénients, dont la

non-considération de l’évolution de la compréhension de l’élève au cours de la rencontre.

Le manque d’expérience des intervieweurs pour piloter un entretien semi-dirigé représente

une autre limite de l’étude. Les « bons » entretiens requièrent de la pratique (Bailey, 2007)

et aucun entretien pilote n’avait été effectué pour les rencontres impliquant le texte Le

Dragon. Notons toutefois que les intervieweurs avaient comme expérience les rencontres

effectuées en début d’année dans le cadre des prétests. Chacun avait expérimenté la MPVH

et l’entretien semi-dirigé en rencontrant plusieurs élèves de l’échantillon. Le texte utilisé

était alors Solidarité d’Italo Calvino.

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52

3.4 L’analyse de contenu pour traiter l’ensemble des données

Étant donné que l’objectif était de traiter de manière qualitative les données recueillies,

l’analyse de contenu a été favorisée. Cette méthode a pour objectif de découvrir la

signification d’un message étudié « [en classant] ou [en codant] dans des catégories des

éléments du document analysé pour en faire ressortir les différentes caractéristiques »

(Deslauriers, 1987, p. 50). Le document analysé est segmenté en parties significatives pour

le chercheur (Sabourin, 2003) afin de mieux en comprendre le sens (Deslauriers, 1987).

3.4.1 Le codage et l’extraction de données spécifiques en fonction des objectifs de

notre étude

Pour analyser les données qualitatives issues des transcriptions des rencontres avec les 39

élèves, nous avons choisi une méthode adaptée à chacun des trois objectifs spécifiques de

notre étude. L’atteinte du premier objectif – dégager des profils d’interprètes – impliquait

une analyse du produit – l’interprétation favorisée par chacun à la toute fin de leur

rencontre, c’est-à-dire après que toutes les questions ont été posées. À l’opposé, les

deuxième et troisième objectifs spécifiques nous ont permis de mettre en lumière les

processus des élèves, c’est-à-dire leur démarche pour interpréter le texte Dragon. Les

données – qu’elles concernent le processus ou le produit – ont surtout été tirées de la

deuxième partie des rencontres, c’est-à-dire le moment où l’intervieweur posait des

questions. Dans la première partie des rencontres, lorsque les élèves devaient lire le texte,

plusieurs ont été avares de commentaires, ce qui a limité les possibilités d’analyse. La

figure suivante illustre le type de données analysées pour répondre à chacun de nos

objectifs spécifiques.

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53

Figure 6: Type de données analysées pour chacun des objectifs de notre étude

Objectif spécifique 1 : dégager des profils d’interprètes

Pour répondre à notre premier objectif, nous avons tenté de dégager la dernière hypothèse

interprétative retenue par chaque élève au terme de l’entretien pour expliquer pourquoi des

chevaliers sont frappés par un train25. Pour quelques cas, le point de vue énoncé était plus

ou moins clair, mais l’intervieweur a tout de même choisi de poursuivre l’entretien sans

demander au participant de répéter ses propos. Lorsqu’une telle situation a été observée

dans l’analyse, nous avons dû déduire l’idée que l’élève avait voulu formuler.

Pour atteindre l’objectif spécifique de dégager des profils d’interprètes, le choix de nous

concentrer sur les produits (les interprétations formulées par les participants) plutôt que sur

25 Pour certains élèves, cette hypothèse n’a pas été émise à la suite d’une question particulière posée par

l’intervieweur. Ils l’ont plutôt formulée lorsqu’ils ont été interrogés à propos d’autres aspects du texte. Sinon,

ils l’ont formulée de façon spontanée, à un moment ou à un autre pendant la rencontre.

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54

les processus (la démarche pour en arriver à une interprétation du texte) s’est imposé

comme le plus rigoureux. En effet, tel que mentionné dans la section des limites, certains

processus de lecture sont automatisés, donc inconscients et non verbalisés. De surcroit,

plusieurs processus sont conscients, mais n’ont pas été verbalisés par les élèves à cause de

la lourdeur de la tâche – la compréhension du texte Dragon occupait à elle seule une bonne

partie de la mémoire de travail. Pour dégager des profils d’interprètes, nous avons d’abord

construit un tableau dans lequel nous avons compilé les faits saillants de chacune des

rencontres :

Un résumé en quelques mots de l’interprétation de l’histoire formulée par l’élève,

que nous avons dégagée en tenant compte de l’entièreté de la rencontre;

Un résumé des réponses de l’élève aux deux questions d’interprétation suivantes26 :

o Pourquoi un personnage dit-il à l’autre que le temps n’existe pas?

o À la fin de l’histoire, pourquoi dit-on que le train disparait à tout jamais?

Des observations générales, notamment par rapport aux aspects suivants :

o L’élève a-t-il mis beaucoup de temps avant de comprendre adéquatement

l’histoire? A-t-il eu besoin de plusieurs indices?

o A-t-il formulé plusieurs hypothèses interprétatives pendant la rencontre?

o A-t-il tiré profit de l’aide de l’intervieweur?

Une fois que la compilation de ces éléments a été complétée pour tous les participants, nous

avons relu plusieurs fois l’ensemble des observations et avons circonscrit et défini quatre

profils d’interprètes potentiels que nous avons nommés par les lettres A, B, C et D. Les

singularités de chaque profil ont été relevées dans un tableau dont la forme est la suivante :

26 Ces deux questions font partie du schéma d’entretien présenté en annexe B.

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55

Profils Caractéristiques

A …

B …

C …

D …

Puis, nous avons mis à l’épreuve l’exhaustivité de ces quatre ensembles en tentant

d’attribuer un profil à chaque élève. Évidemment, à la première tentative, quelques

participants se sont avérés inclassables. Nous avons donc redéfini (élargi, précisé) certains

profils d’interprètes pour qu’ils soient plus inclusifs. Ainsi, tous les élèves de l’échantillon

ont pu être classés. En somme, chaque profil correspond à une tendance observée. Les

résultats ont été compilés dans un tableau dont la forme est exemplifiée ci-après.

Élèves Résumé des faits saillants des rencontres Profils

d’interprètes

1 … …

2 … …

3 … …

… … …

Objectif spécifique 2 : Étudier le lien entre l’interprétation de la nouvelle Dragon

formulée par des adolescents et leur capacité à s’appuyer sur des éléments du texte et sur

leurs connaissances personnelles

Pour répondre au deuxième objectif de notre étude, nous avons analysé les réponses de

chacun des 39 élèves à deux des questions d’interprétation posées par les intervieweurs lors

de l’entretien semi-dirigé :

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56

Relis les lignes 35 à 39. Pourquoi un chevalier dit-il à l’autre que « sur cette terre

ingrate, le Temps n’existe pas »?

Relis les lignes 81 à 84. Pourquoi l’auteur termine-t-il son histoire en mentionnant

que le train disparait à tout jamais?

Ces deux questions nous paraissaient discriminantes, c’est-à-dire qu’elles nous ont semblé

les plus appropriées pour déterminer si les élèves s’appuyaient ou non sur le texte et sur

leurs connaissances personnelles pour formuler leurs hypothèses interprétatives. En effet,

nous avons réalisé que parmi les questions liées au critère interprétation, elles étaient celles

qui, en moyenne, généraient les réponses les plus étoffées. Elles impliquaient d’ailleurs

chez les élèves l’activation d’un processus complexe : lier plusieurs éléments du texte entre

eux pour interpréter un passage clé.

Pour déterminer si les réponses des participants témoignaient ou pas d’un appui sur le texte,

nous avons utilisé les critères suivants :

1. L’élève réfère directement à des éléments pertinents du texte pour répondre à la

question.

2. L’élève réfère à des éléments pertinents qu’on peut déduire du texte pour répondre à

la question.

Nous avons considéré que les participants dont les réponses référaient à des éléments qui

n’étaient pas dans le texte lu et qu’on ne pouvait pas déduire ne se sont pas appuyés sur des

éléments de la nouvelle littéraire Dragon pour l’interpréter. Ils pouvaient tout de même

avoir recouru à des éléments fictionnels provenant de leur subjectivité (Langlade, 2007).

Pour déterminer si les lecteurs utilisaient des connaissances personnelles pertinentes pour

répondre aux deux questions d’interprétation analysées, nous avons recouru aux critères

suivants :

1. L’élève utilise des connaissances liées à l’univers fantastique (temps, lieux) pour

expliquer comment un mélange de deux époques distinctes (le Moyen Âge et

l’époque moderne) est possible dans la même histoire.

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57

2. L’élève utilise des connaissances liées à l’univers fantastique (temps, lieux) pour

expliquer comment un mélange d’éléments appartenant à deux époques distinctes

(des chevaliers et un train) est possible dans la même histoire.

3. L’élève utilise des connaissances liées à l’univers fantastique (temps, lieux) pour

illustrer certains passages du texte ou pour en permettre la visualisation.

4. L’élève utilise toute autre connaissance personnelle pertinente pour expliquer les

grands enjeux de l’histoire.

À ces six critères – deux pour vérifier l’appui sur le texte et quatre pour vérifier l’appui sur

des connaissances personnelles pertinentes – s’est ajoutée par défaut une considération : les

réponses des élèves devaient être suffisamment développées pour être analysées. Si certains

commentaires n’étaient pas assez étoffés pour que nous en tirions quoi que ce soit, nous les

avons ignorés dans le traitement des données.

Les élèves à qui aucune des deux questions analysées n’a été posée ont été exclus de

l’échantillon pour cette partie de l’analyse, tandis que nous avons choisi de conserver dans

la compilation les quelques élèves à qui une seule question avait été posée. De cette

manière, nous avons évité de trop réduire l’échantillon de participants. La définition même

de la méthode employée dans la deuxième partie des rencontres, l’entretien semi-dirigé,

explique pourquoi les questions ont été posées à la majorité des élèves de l’échantillon,

mais pas à tous.

Pour qu’un élève soit considéré dans la catégorie des lecteurs s’appuyant sur des éléments

du texte Dragon ou sur des connaissances personnelles pour l’interpréter, il devait avoir

répondu positivement à un des six critères discriminants pour au moins une des deux

questions retenues pour l’analyse. Nous souhaitions ainsi laisser une marge de manœuvre

aux élèves étant donné le degré de difficulté élevé des questions.

Lorsque nous avons annoté les transcriptions des rencontres avec les élèves pour répondre à

notre deuxième objectif, nous avons utilisé les codes compilés dans le tableau suivant :

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58

Tableau 1: Codes utilisés pour annoter les transcriptions des rencontres avec les

élèves

Codes Définitions

Recours à des éléments du

texte Dragon pour

l’interpréter

ET Éléments du texte

EDT Éléments qu’on peut déduire du texte

REJ Commentaire de l’élève trop peu

développé pour être analysé (rejeté)

Recours à des

connaissances

personnelles pour

interpréter le texte

Dragon

CPépoques Connaissances personnelles pour

expliquer le mélange d’époques

CPéléments

Connaissances personnelles pour

expliquer le mélange d’éléments

appartenant à deux époques distinctes

CPvisual

Connaissances personnelles pour illustrer

certains passages du texte ou pour en

permettre la visualisation

CPautres

Autres connaissances personnelles

pertinentes pour expliquer les enjeux de

l’histoire

REJ Commentaire de l’élève trop peu

développé pour être analysé (rejeté)

Les résultats qui ont émergé de notre analyse ont été regroupés dans un tableau à cinq

colonnes dont la forme est illustrée ci-dessous :

Numéro

de l’élève

et

prénom

Profil

d’interprète

Résumé de la

réponse à la

question Pourquoi

un personnage dit-

il à l’autre que le

temps n’existe

pas?

Résumé de la

réponse à la

question À la fin de

l’histoire, pourquoi

dit-on que le train

disparait à tout

jamais?

Appui de

l’interprétation

sur des

éléments du

texte ou sur

des

connaissances

personnelles

pertinentes?

… … … … …

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59

Dans un deuxième temps, pour éviter de pénaliser les élèves qui se sont appuyés sur des

éléments du texte et sur leurs connaissances personnelles pour interpréter, mais qui l’ont

fait spontanément à un autre moment qu’au moment où les deux questions couvrant les

enjeux du texte leur ont été posées, nous avons relu tous les passages des transcriptions des

rencontres qui avaient été codées en interprétation par les membres de l’équipe de

recherche27. Lorsque nous avons rencontré un segment codé en interprétation dans lequel

un participant s’exprimait à propos du mélange d’époques ou du mélange d’éléments

associés à deux époques, nous l’avons soumis à l’ensemble des critères listés

précédemment. Nous avons ainsi pu élargir l’analyse et inclure dans nos résultats les élèves

qui se sont exprimés à propos d’enjeux du texte à d’autres moments qu’au moment de

répondre aux deux questions ciblées pour répondre à notre deuxième objectif spécifique.

Objectif spécifique 3 : Étudier le lien entre l’interprétation de la nouvelle Dragon

formulée par des adolescents et leur compréhension de ce texte

Le regroupement des élèves par profils d’interprètes (objectif spécifique 1) a facilité le

traitement des données pour répondre au troisième objectif spécifique. Nous avons pu

dégager des observations pour chacun des quatre profils, qui ont été traités comme des touts

cohérents. Pour ce volet de notre analyse, l’étude de cas aurait été laborieuse étant donné

notre échantillon de 39 élèves. Il nous a donc semblé pertinent d’utiliser les ensembles

d’élèves créés selon la ressemblance de leur interprétation de l’histoire.

Nous avons d’abord évalué, pour chacun des quatre profils d’interprètes, si la

compréhension de l’histoire était adéquate et si l’interprétation formulée était pertinente.

Pour déterminer si la compréhension de la nouvelle Dragon était adéquate ou non, nous

avons recouru aux deux critères suivants :

1. L’élève doit comprendre que le dragon est un train.

2. L’élève doit attribuer une identité plutôt plausible aux deux personnages

principaux : de vrais chevaliers ou des fous.

27 Ce codage auquel nous nous sommes référée n’est pas directement en lien avec notre projet de maitrise. Il a

eu lieu dans le cadre du projet de recherche mené par Monsieur Érick Falardeau, dont l’objectif était d’évaluer

les capacités d’adolescents québécois en lecture.

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60

Ces éléments correspondent selon nous aux enjeux centraux de l’histoire : leur

compréhension permettrait à un lecteur de résumer l’histoire adéquatement à une tierce

personne. Ils nous semblaient discriminants pour cibler les profils de lecteurs qui

comprennent bien l’histoire.

Pour déterminer si l’interprétation de la nouvelle littéraire Dragon proposée par chaque

profil était pertinente ou non, nous nous sommes référée aux critères de validité d’une

interprétation que nous avons retenus dans notre cadre théorique :

1. L’interprétation doit s’appuyer sur le plus grand nombre possible d’éléments du

texte.

2. L’interprétation ne doit être contredite par aucun élément du texte.

3. L’interprétation doit s’appuyer sur des référents partagés par la communauté de

lecteurs : des savoirs, des valeurs, des pratiques et des normes.

Pour choisir l’interprétation la plus plausible de la nouvelle littéraire Dragon, il n’était pas

obligatoire d’aller plus loin que le texte comme tel. Nous avons donc recouru

principalement aux critères 1 et 2. Le critère 3 nous a simplement permis de revalider

l’hypothèse interprétative retenue.

Le fait que les lecteurs soient déjà associés à un profil d’interprète (A, B, C ou D) a

accéléré le classement des participants selon leur degré de compréhension de l’histoire et

selon la pertinence de leur interprétation. En effet, plutôt que de poser un jugement pour

chaque lecteur, nous posions un jugement pour chaque profil d’interprète en nous référant

aux descriptions des profils. Tous les lecteurs appartenant à un même profil bénéficiaient

ainsi du même jugement. Le recours aux profils d’interprètes plutôt qu’aux lecteurs comme

entités distinctes nous a permis de dégager des tendances générales. Globalement, nous

nous sommes posé les questions suivantes :

Est-ce que ceux qui ont compris adéquatement l’histoire l’ont bien interprétée?

Est-ce que ceux qui l’ont mal comprise l’ont également mal interprétée?

Nous avons ensuite analysé individuellement et de manière plus approfondie les exceptions

à la règle, c’est-à-dire les élèves qui ne cadraient pas avec les tendances générales

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61

observées. Nous avons ainsi pu formuler des pistes d’explication par rapport à ces cas

particuliers.

Les résultats ont été compilés dans un tableau dont la forme est présentée ci-après. Après

avoir soumis chaque profil d’interprète aux cinq critères énoncés précédemment – deux

pour évaluer si la compréhension est adéquate et trois pour déterminer si l’interprétation est

plausible –, nous inscrivions oui, non ou plus ou moins dans les colonnes du tableau afin de

répondre à l’objectif d’étudier le lien entre la compréhension et l’interprétation. Nous

précisions également dans le tableau les éléments qui nous ont menée à considérer les

compréhensions adéquates ou non et les interprétations pertinentes ou non.

Profils

d’interprètes

L’interprétation

formulée est-

elle plausible?

La

compréhension

globale est elle

adéquate?

L’interprétation

s’appuie-t-elle

sur des éléments

du texte ou sur

des

connaissances

personnelles

pertinentes?

Observations

… … … … …

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62

CHAPITRE 4: RÉSULTATS

Les résultats que nous présentons dans ce chapitre répondent aux trois objectifs spécifiques

que nous avons fixés dans le cadre de cette étude. Pour répondre au premier objectif, nous

exposerons les caractéristiques des profils d’interprètes qui ont émergé de l’analyse des

données. Ensuite, pour atteindre le deuxième objectif, nous illustrerons des cas d’élèves qui

se sont appuyés sur des éléments de la nouvelle littéraire Dragon pour l’interpréter et

d’autres qui ne l’ont pas fait. Nous montrerons aussi des exemples de lecteurs qui se sont

appuyés ou non sur des connaissances personnelles pertinentes pour interpréter le texte. Ces

comportements – l’appui sur le texte et l’utilisation de connaissances personnelles

pertinentes – seront croisés avec les profils d’interprètes pour dégager certaines tendances.

Enfin, relativement au troisième objectif, nous montrerons, pour chacun des profils

d’interprètes créés, en quoi la compréhension de la nouvelle littéraire Dragon a eu une

incidence sur l’interprétation. À cette étape, les élèves ne seront plus analysés cas par cas :

ce seront plutôt les profils qui seront considérés comme des entités distinctes.

4.1 Présentation des quatre profils d’interprètes

L’analyse des transcriptions nous a permis de dégager la ou les interprétations favorisées

par chaque élève au terme de sa rencontre avec l’intervieweur, à partir desquelles nous

avons regroupé les participants en quatre profils d’interprètes. Le profil A regroupe les

élèves qui évoquent un voyage dans le temps (soit par le train, soit par les chevaliers) ou un

mélange d’époques (27 élèves sur 39). Le profil B inclut ceux qui évoquent le dérèglement

psychologique des chevaliers (13 élèves sur 39). Le profil C correspond aux élèves qui

proposent que les chevaliers ont d’abord été frappés par un dragon, puis par un train, de

même qu’aux élèves qui ont affirmé que les chevaliers n’étaient pas réellement frappés par

un train, mais qu’il s’agissait plutôt d’une métaphore ou d’une comparaison de l’auteur (4

élèves sur 39). Une élève compose à elle seule le dernier profil, le D. Elle croit que les

chevaliers combattent un dragon (sans référence au train). Six élèves ont été classés

conjointement dans deux profils étant donné qu’ils ont retenu deux hypothèses possibles à

la fin de leur rencontre.

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4.1.1 Portrait du profil A

Plusieurs élèves du profil A croient que le train effectue un voyage dans le temps en partant

de l’époque dont il est issu (l’époque moderne) pour se rendre à l’époque des chevaliers (le

Moyen Âge). En voyant arriver le train, les chevaliers sont convaincus qu’il s’agit d’un

dragon puisqu’ils ne connaissent pas ce moyen de transport qui n’est pas encore inventé à

l’époque où ils vivent. Ils tentent alors de « l’affronter », mais sont fauchés. Certains

élèves, moins nombreux, croient plutôt que ce sont les chevaliers qui se retrouvent à l’ère

moderne par le biais d’un voyage dans le temps. Le même scénario se produit : ils

combattent ce qu’ils pensent être un dragon, mais qui est plutôt un train. Alaa est de ceux

qui croient que les chevaliers sont téléportés à une époque ultérieure :

é : Je verrais peut-être deux vrais chevaliers.

I : Hum, hum.

é : Qui ont voyagé dans le temps.

I : Ok.

é : Pour revenir dans le temps moderne.

I : Ok.

é : Puis euh, y croient qu’y sont vraiment dans c’te… Y pensent qu’y sont

encore dans leur époque. Puis y’essaient de chasser le dragon, mais y sont

frapp, y bien…

I : Y savent pas…

é : Y savent pas que, que le, le, y connaissent pas ça le train, mais eux y

pensent que c’est un dragon.

I : Ok. […] Si tu me dis ça, ça veut dire les chevaliers auraient été hum,

téléportés à l’époque moderne, mais à leur insu, ça veut dire qu’y sont pas

conscients qu’y ont changé d’époque.

é : Bah ouais, y seraient pas conscients, mais y penseraient qu’un train c’est

un dragon.

I : Parce qu’y connaissent pas les trains?

é : Ouais.

I : Parce que le train est pas encore inventé.

é : Ouais.

Les élèves classés dans ce profil considèrent que Dragon est un récit invraisemblable.

Qu’ils aient opté pour l’option du voyage dans le temps ou pour celle de la rencontre entre

deux époques, il n’en demeure pas moins que leur interprétation de l’histoire relève de

l’imagination et ne peut pas se produire dans la réalité. Leur lecture du texte – ou la

relecture de passages importants pour plusieurs – les mène sur la piste de

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l’invraisemblance. Au final, les participants classés dans le profil A perçoivent et acceptent

que la trame de l’histoire soit fantastique.

4.1.2 Portrait du profil B

Pour justifier la coexistence saugrenue de chevaliers et d’un train dans le même univers, les

élèves du profil B optent pour l’hypothèse du dérèglement psychologique des personnages.

C’est le cas de Geneviève :

I : Bien là moi ma question c’est comment c’est possible que deux chevaliers

du Moyen Âge se fassent frapper par un train28? En fin de compte là, si…

é : Parce qu’y sont pas bien dans leur tête.

I : Ok. C’est des personnes qui sont dérangées.

é : Ouais.

Puisque les deux personnages sont déséquilibrés, ils se prennent pour des chevaliers. Leur

vision altérée de la réalité justifie également le fait qu’ils s’attaquent à un train, convaincus

qu’il s’agit d’un dragon. Selon cette hypothèse, l’histoire se déroule entièrement à l’ère

moderne, plus précisément dans les années 1800 ou 1900 puisque le train fonctionne à

vapeur.

Louis-Philippe, tout comme Geneviève, est d’avis que les personnages sont dérangés. Il

précise qu’ils sont peut-être fous ou itinérants :

é : Ouais, bien pour finir je pense que je sais pas, ça serait deux personnes

qui seraient sur une rail, un petit peu fous, qui se pensent encore au Moyen

Âge. Puis qui se font… Puis qu’y a un train, puis qu’y le voient pas arriver

parce qu’y a des tunnels de chaque côté fait qu’y savent jamais quand y va

passer.

I : Ok.

é : Mais moi c’est ça que je vois là.

I : C’est ton, c’est ta compréhension de l’histoire?

é : Ouais.

I : Hey, bien c’est intéressant. (rires)

é : Bien c’est ce que je comprends à date.

I : Ok.

é : Parce que non… Bien, puis ce que je comprends pas, bien y’ont un feu,

bien pourquoi ce, bien je verrais des clochards un peu là qui, tu sais qui sont

28 Geneviève avait précédemment fait référence au train.

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là, qui ont leur petit feu là, puis que y’ont peur de se faire prendre pour je

sais pas trop quoi, puis que sont un petit peu fous là.

D’autres raisons sont évoquées pour expliquer que les personnages soient

psychologiquement dérangés : ils vivaient en forêt, isolés de la population (Camille); ils

demeuraient en toute simplicité dans un milieu reculé (Mathias); ils sont sots ou leur vision

est altérée par le brouillard (Hubert). Toutes ces pistes d’explication convergent vers la

même hypothèse : l’existence des trains a échappé aux personnages, si bien qu’ils croient

réellement que ce qui surgit devant eux est un dragon. Les interprétations proposées par les

élèves du profil B sont donc plutôt rationnelles; elles reposent sur la vraisemblance

contrairement aux pistes proposées par les élèves du profil A, qui reposent sur le

fantastique.

4.1.3 Portrait du profil C

Les élèves du profil C comprennent qu’il y a un dragon et un train dans l’histoire ou

attribuent une identité farfelue (automobiles, moustiques) aux chevaliers.

Les deux élèves qui ne parviennent pas à effectuer l’association entre le dragon et le train

au terme de la rencontre croient que les chevaliers sont frappés à deux reprises : d’abord par

un dragon, puis par un train. C’est le cas d’Emma, qui est d’avis que les chevaliers sont

frappés par un dragon, puis que leurs corps sont téléportés à l’époque moderne où ils sont

aussitôt frappés par un train. Lorsque l’engin roule sur les chevaliers, ceux-ci sont donc

déjà morts :

é : Je pense que [les chefs de train] sont passés sur quelque chose.

I : Ok, ils sont passés sur quoi?

é : Euh, j’imagine ça doit être sur les gens.

I : Sur les qui?

é : Bien les deux chevaliers là.

I : Ok.

é : Qui sont supposément morts maintenant que…

I : Fait que là…

é : Fait que le dragon, c’est comme si y serait reparti là, puis que personne

sait y’est où. Qu’y avait laissé deux morts là, puis ce temps-là y faisait de

quoi...

I : Le dragon aurait tué deux personnes, il les aurait comme abandonnées, le

dragon se serait enfui, mais ce que tu comprends de la fin de l’histoire, c’est

que, y’a un train qui arrive avec deux personnes à son bord, dedans.

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é : Ouais.

I : C’est deux personnes qui se parlent, puis là tu me dis que le train aurait

frappé quelque chose, mais le train a frappé quoi?

é : Y frapperait les corps qui seraient restés sur la rail genre.

I : Ok. Les corps qui étaient déjà morts à cause du dragon seraient restés sur

les rails, puis le…

Jean-Sébastien n’infère pas lui non plus le lien entre le dragon et le train. Son avis est que

les chevaliers ont été fauchés deux fois : une première fois par le dragon et une deuxième

fois par le train. Lors du contact avec le train, les chevaliers étaient déjà morts.

Contrairement à Emma, il n’envisage pas que les corps aient été téléportés à une autre

époque. Sa représentation n’est donc pas fantastique. Il pense plutôt que les corps dans les

armures sont restés au sol pendant des centaines d’années jusqu’à ce qu’un jour, à l’époque

moderne, des chefs de train les découvrent en les accrochant avec leur locomotive :

é : Bien, je pense que c’est eux autres qui chauffent le train là, y conduisent

le train.

I : Ok, puis à part de conduire un train, qu’est-ce qui s’est passé dans la

dernière… À la fin de l’histoire?

é : Y’ont trouvé le, le, le squelette d’un chevalier parce que ça fait une

couple d’années là mettons.

I : Ok, toi tu penses qu’y a un délai dans le fond entre le milieu puis la fin de

l’histoire?

é : Ouais. Y’a un délai, puis y trouvent euh, genre des années plus tard y

trouvent le chevalier, euh bien qu’y disaient que y s’est fait propulser quand

même plus loin, qu’y est décédé là.

I : Ok.

é : Probablement, que y’est en armure là, y’est encore en armure.

I : Ok. Ok, puis qu’est-ce qui te ferait dire que c’est une couple d’années

plus tard, plusieurs années plus tard? Sur quoi tu te bases pour dire que ce

serait surement euh… longtemps après que les chevaliers aient été frappés?

é : Bien parce que premièrement y’a un train (rires). Un train, tout ça, puis

y’est impressionné de voir le chevalier en armure, puis y vont voir le

chevalier, puis euh c’est ça là.

I : Ok, mais le chevalier y serait mort comment?

é : Bien, je sais pas, y’est euh... y’est mort… bien y’est arrivé sur une pierre

je pense. Euh y’est… Le dragon l’avait propulsé à trente mètres plus loin y

disaient.

I : Ok, le dragon aurait tué les deux chevaliers?

é : Ouais.

I : Puis là, plusieurs, plusieurs années plus tard, un train serait passé par là?

é : Ouais.

I : Puis y’aurait trouvé les euh…

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é : Y’aurait trouvé un des deux corps là. Mais le corps serait un squelette,

mais y’est en armure.

Les deux autres élèves classés dans le profil C comprennent que les chevaliers ont été

confrontés à un train et non à un dragon, mais ils inventent une tout autre identité aux

chevaliers pour rendre l’histoire plausible. Ils précisent que les chevaliers n’en sont pas

vraiment, mais que ce terme est employé parce que l’auteur effectue des comparaisons ou

des métaphores. Selon Pier-Olivier, ce serait plutôt des moustiques qui seraient heurtés par

un train et non des chevaliers comme le laisse croire le texte. Le parallèle entre des

chevaliers et des moustiques serait ainsi une forme de métaphore. Il soumet cette idée parce

qu’il croit que la rencontre entre des chevaliers et un train à la même époque est insensée :

I : Ok. Puis en, en revenant à cette hypothèse-là, comment on pourrait

expliquer que deux chevaliers se retrouvent à l’époque où y’a des trains? Tu

sais, c’est qui ces hommes-là, est-ce que ce sont de vrais chevaliers?

Quelques secondes de silence.

é : Hum, moi j’crois pas là.

I : Ce serait, ce serait qui?

é : Ça commence, tantôt quand qu’y disait que y se sont fait frapper,

écrabouiller par euh mettons le train là, dans mon hypothèse là, on aurait dit

que ça me fait penser à comme de quoi comme y’a un moustique qui se fait

frapper par un train ou quelque chose comme ça là, je sais pas ça…

I : Qu’est-ce que tu veux dire, un moustique qui se fait frapper par un train?

é : Que le chevalier dans le fond ce serait un moustique ou pas un moustique

mais, mettons…

I : T’es pas si sûr que c’est un chevalier?

é : Non, là non.

I : On a quand même relevé plusieurs indices qui nous laissaient croire que

c’était des chevaliers?

é : Ouais.

I : Ok, mais ce qui te pose problème, c’est le train à l’époque des, des

chevaliers… Que des chevaliers soient à l’époque des trains, c’est ça?

é : Ouais.

I : Ok, est-ce que c’est une histoire qui est vraisemblable?

é : Non.

I : De ce que t’en comprends?

é : Bien… dans le double sens, ça l’aurait du sens, mais si on le prend aux

mots, non ça l’a pas de sens.

Quant à Marc-Étienne, ses relectures de passages lui permettent de confirmer le lien entre

le dragon et le train, mais le mènent aussi à croire que les chevaliers sont comparés à des

automobiles. Il ne trouve aucune preuve dans le texte qui appuie son hypothèse, donc il

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propose lui aussi qu’il s’agit d’une comparaison suggérée par l’auteur de manière

implicite :

é : Ouais tu sais sans paupière, on peut dire que c’est une lumière, la lumière

a pas de paupière. Tu sais quand t’as redit les descriptions, tu sais, un

chevalier en armure, on pourrait le comparer à une automobile aussi.

I : Ok.

é : Par les descriptions, d’autres, quand tu redis, j’ai fait comme des liens,

chevalier en armure, une automobile c’est fait, on peut dire, en métal, le

châssis.

I : Hum, hum.

é : Euh un moteur, ça a des chevaux pour le propulser comme on dit tant de

chevaux-vapeur, donc on pourrait comme présager que les deux chevaliers

c’est comme conducteurs, passagers ou…

I : Ok.

é : Peut-être…

I : Puis le dragon lui?

é : Le dragon dans le fond si on le compare au, comme au train. Son allure tu

sais œil d’ambre clair, sans paupière, tu sais une lumière jaune comme jaune

clair. Euh…

I : Ça, c’est la lumière du train ou hum?

é : Dans le fond, ce serait la lumière du train, tu sais…

I : Ok.

é : Dans la description du dragon qu’on…

I : On peut voir les parallèles.

é : Ouais, des parallèles entre les deux.

I : Ok. Puis hum, donc ton explication la plus plausible c’est que au, début

c’est un dragon, mais le dragon on pouvait le comparer à un train puis les

chevaliers on pourrait les comparer à…

é : À une automobile.

I : À une automobile. Mais, y a-t-il quelque part dans le texte qu’on dit y’a

une automobile?

é : Non, y’a pas de place qu’on le dit.

[…]

é : Peut-être l’auteur a voulu faire un parallèle entre un dragon et un train

avec deux époques différentes, mais que on pourrait à la fin comparer ou…

I : Ok.

é : De façon comme euh, pas écrit dans le texte, mais si tu lis entre les lignes

tu serais peut-être capable de déduire…

I : Déduire quoi?

é : Que le dragon serait un train et les chevaliers seraient comme

automobiles.

En bref, la singularité du profil C repose sur le fait que, contrairement aux profils

précédemment présentés, il regroupe des lecteurs qui éprouvent des difficultés liées aux

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processus d’intégration et qui se livrent à une surenchère de certains éléments du texte. De

plus, les hypothèses des élèves classés dans cette catégorie ne convergent pas toutes dans la

même direction en ce qui a trait à la vraisemblance de l’histoire.

4.1.4 Portrait du profil D

Une élève de l’échantillon, Catherine, a forcé à elle seule la création d’un profil

supplémentaire, le profil D, parce qu’elle ne pouvait être classée dans aucune des trois

catégories précédemment présentées. Contrairement aux autres participants, elle formule

très peu d’hypothèses interprétatives. Le fait qu’elle croit réellement que l’histoire raconte

le combat entre des chevaliers et un dragon limite les possibilités de réponses aux questions

d’interprétation posées, qui la laissent plutôt pantoise. Lorsque l’intervieweur lui demande

de résumer l’histoire dans ses mots, ses propos sont plutôt flous :

é : Euh d’après moi c’est bien euh, premièrement ça commence puis là y’a

deux chevaliers puis là y’ont entendu parler d’une histoire de dragon.

I : Hum, hum.

é : Puis là, y sont pas certains fait que là y l’aperçoivent puis là on dirait que

le dragon y leur court après ou, comme euh…

I : Un duel entre les deux?

é : Un duel. Puis là bien, les chevaliers s’en vont là.

I : C’est ça la fin?

é : Bien fff… J’sais pas trop là.

Catherine répond plutôt brièvement aux questions d’interprétation, qui semblent lui faire

réaliser que certains enjeux de l’histoire lui ont échappé et freinent son raisonnement.

Autrement dit, elle parait parfaitement consciente de son bri de compréhension, causé

principalement par le fait qu’elle n’infère pas l’association entre le dragon et le train.

Cependant, sa particularité – qui justifie qu’elle n’ait pas été incluse dans le profil C – est

qu’elle restreint ses réponses aux questions qui la confondent. Bref, elle n’exploite pas à

outrance les éléments du texte pour se tisser à tout prix une interprétation; elle demeure

plutôt prudente dans ses affirmations.

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4.2 L’appui sur des éléments du texte Dragon et le recours à des connaissances

personnelles pertinentes pour formuler des interprétations

Pour chacun des profils, des participants s’appuient sur des éléments du texte et utilisent

leurs connaissances personnelles pour formuler leur hypothèse interprétative, tandis que

d’autres n’y parviennent pas ou, du moins, ne verbalisent pas qu’ils le font.

4.2.1 L’aisance de plusieurs élèves du profil A à prouver leur interprétation

Les élèves du profil A qui lient des éléments du texte entre eux pour interpréter

Près des trois quarts des élèves du profil A (17/23) lient des informations du texte entre

elles ou lient des informations du texte à leurs connaissances personnelles pour proposer

une interprétation. En réponse à la question d’interprétation Relis les lignes 35 à 39.

Pourquoi un chevalier dit-il à l’autre que « sur cette terre ingrate, le Temps n’existe

pas »?, certains affirment que ce passage signifie que tout est possible et que le contexte est

favorable aux voyages dans le temps. Par exemple, Simon croit que cette information du

texte est un signe avant-coureur de rencontres farfelues :

I : Si on relit les lignes 38 et 39, est-ce que ça renforce ton hypothèse ou ça

la fait changer? Ce n’est pas vrai, murmura le second chevalier en fermant

les yeux. Sur cette terre ingrate, le Temps n’existe pas. […] Y’a un chevalier

qui dit à l’autre que le temps n’existe pas, est-ce que cet extrait-là renforce

ton hypothèse, est-ce que le fait qu’y disent que le Temps n’existe pas, est-ce

que ça annonce quelque chose?

é : Ouais, je pense que c’est sûr c’est annonciateur de, de, un coup que t’as lu

le texte là, c’est annonciateur que les, les deux appartiennent pas au même

temps là, les chevaliers puis les chauffeurs de train.

I : Ok, donc ça nous donnerait un indice comme quoi…

é : Y sont pas à la même époque puis qu’y vont se rencontrer mais qu’y,

y’appartiennent pas au même temps là parce que le Temps n’existe pas dans

cette terre.

Samuel-A est également d’avis que ce passage du texte permet la cohabitation d’éléments

qui pourraient sembler à priori incompatibles :

é : Bien ça c’est, le Temps n’existe pas, c’est, ça veut peut-être dire que dans

le fond, les deux époques peuvent coexister sans pour autant avoir de

rapport.

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Ces deux élèves établissent donc un lien entre la phrase prononcée par un des deux

chevaliers au début de l’histoire et la présence d’un train à la fin de l’histoire. Plus

précisément, ils tirent profit de l’information du texte selon laquelle le Temps n’existe pas

pour résoudre une partie de l’énigme. En effet, ils ont sans doute repéré au fil de leur

lecture de multiples indices qui laissent croire que l’histoire se déroule au Moyen Âge : un

château, des chevaliers, leurs armures, leurs lances, leurs chevaux… Or, ils ont également

relevé des indices à la fin du récit qui suggèrent fortement que l’histoire se déroule à la fin

des années 1800 ou au début des années 1900 : des chefs de train, un train à vapeur, du

charbon pour l’alimenter… Pour trouver la solution à ce problème soulevé par le texte, ils

utilisent les indices fournis par l’auteur.

Pour ce qui est des réponses à la question d’interprétation Relis les lignes 81 à 84. Pourquoi

l’auteur termine-t-il son histoire en mentionnant que le train disparait à tout jamais?, des

élèves mentionnent que le train retourne à l’époque de laquelle il provient. Au départ,

Gabrielle semble perplexe lorsque l’intervieweur lui relit ce passage, mais elle en tire

rapidement profit pour renforcer son interprétation :

I : Ok, super! Maintenant, la dernière, dernière phrase du texte. On va la

relire ensemble, puis tu me diras ce que t’en comprends. Il laissait derrière

lui… Parce que là, on parle du train… une fumée si épaisse qu’elle stagnait

dans l’air froid des minutes après qu’il fut passé et eut disparu à tout jamais.

Pourquoi l’auteur aurait écrit que le train eut disparu à tout jamais, d’après

toi?

Quelques secondes de silence.

é : Euh… je le sais vraiment pas là.

I : Ok.

é : Ah peut-être parce que c’est un train qui vient du futur genre ou…

I : Ok. Ce serait un train qui arriverait du futur?

é : Ouais, puis là, y retourne genre dans son époque là si on veut.

Même chose pour Simon, qui se sert de la question posée par l’intervieweur pour conforter

son point de vue :

I : Dans le dernier paragraphe là, le narrateur dit que le train, à la fin, toute

fin du texte, on dit que Il laissait derrière lui une fumée si épaisse qu’elle

stagnait dans l’air froid des minutes après qu’il fut passé et eut disparu à

tout jamais. Pourquoi tu penses que l’auteur nous dit que le train disparait à

tout jamais?

Quelques secondes de silence.

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é : Euh, bonne question! Pourquoi qu’un train disparaitrait à tout jamais?

Parce que c’est, parce que c’est pas son temps, y’a pas d’affaire là, fait que

ça serait comme si, si y’était pas à la bonne époque là.

Ces lecteurs utilisent la dernière phrase du texte pour confirmer leur hypothèse (Simon) ou

pour la construire (Gabrielle). Cette phrase n’est que la pièce finale du casse-tête assemblé

par les élèves du profil A parce que plusieurs autres indices insérés au fil du récit les

guident vers l’hypothèse du voyage dans le temps par un train ou du mélange d’époques.

Les élèves du profil A qui lient des éléments du texte à des connaissances personnelles

pertinentes pour interpréter

Lorsqu’Anthony affirme que le train passait par un portail temporel pour changer d’époque,

il lie des informations du texte avec certaines de ses connaissances personnelles. Le texte

n’évoque en aucun temps l’existence de ce portail. Il s’agit plutôt d’une représentation de

l’histoire qui combine un concept de science-fiction que l’élève connait – le portail

temporel – à une action centrale du récit – le voyage dans le temps par un train :

I : Mais ça, ça se déroule à l’Ère moderne tu dis ou à l’époque des

chevaliers?

é : Hum, chevaliers. C’est comme si, les trains y’auraient pris un genre de

patente euh, temporelle puis y’étaient rendus là.

I : On serait à l’époque des chevaliers, puis tu me dis que pour expliquer

que… Parce qu’on s’entend que ce sont deux époques là qui normalement ne

se côtoient pas là. Mais toi pour expliquer le, l’apparition du train à l’époque

des chevaliers, tu me dis… Répète ton hypothèse s’il te plait.

é : Un portail temporel là.

I : Un portail?

é : Un genre de truc que tu passes, puis que tu te retrouves un petit peu plus

bas dans le temps.

I : Plus bas dans le temps. Ok, fait que c’est le train qui s’insèrerait à

l’époque des chevaliers.

é : Puis là bien eux autres y, y, y’avaient jamais vu ça de leur vie, fait qu’y

ont peur, puis y se mettent à l’attaquer en pensant que c’est un dragon, puis

là y meurent.

Mathieu-C abonde dans le même sens qu’Anthony, mais il nomme plutôt le dispositif

permettant le passage du train d’une époque à l’autre comme une trace dimensionnelle :

I : Ok, explique-moi donc ton hypothèse voir.

é : Bien, je sais pas moi dans ma tête ça sonne un peu comme dans voyage,

retour dans le passé ou quelque chose de même là.

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I : Ok.

é : Genre que le train avait apparu à un moment donné à cause d’une affaire,

une trace dimensionnelle ou quelque chose de même.

I : (rires) Un truc ultradimensionnel, ok.

é : Puis là, bien en voulant repartir y’ont frappé deux chevaliers puis y’est

retourné dans son époque là.

I : Ok. Puis y venait d’où ce train-là?

é : Du futur.

Philippe propose que l’engin doive atteindre une vitesse plus élevée que celle de la lumière

pour voyager à travers les époques. Encore une fois, le texte n’en fait pas mention, mais il

s’agit d’une hypothèse pertinente basée sur des connaissances sur le monde. Il s’inspire

d’un populaire film de science-fiction pour bâtir sa représentation de l’histoire :

é : Peut-être que c’est comme dans le film Retour vers le futur. Ça c’était un

retour, mais là peut-être que ça va être un genre…

I : Ok.

[…]

I : Mais pourquoi l’auteur ferait ça, le croisement entre deux époques, est-ce

qu’y aurait un but en particulier?

é : Bien j’sais pas, peut-être que ça va avec la vitesse. Parce que y’a certaines

théories qui disent que si on gravit une certaine vitesse on peut reculer ou

avancer dans le temps là.

[…]

I : Bien y’a des façons plus simplistes… Est-ce que tu vois d’autres

possibilités? Le croisement d’époques, est-ce que c’est quelque chose

d’impossible quand on écrit un texte?

é : Bien non.

I : Dans quel genre de texte on peut faire croiser des époques?

é : Science-fiction, fantastique.

Quant à Amélie, elle croit qu’une faille dans le temps serait l’élément magique qui

permettrait au train de voyager. Elle se sert donc de sa connaissance de la science-fiction

pour construire sa représentation de l’histoire :

I : Puis le train, le train arriverait comme tu l’as dit tantôt par magie puis y

disparaitrait par magie.

é : Ouais.

I : Ok.

é : Ce serait comme une faille dans le temps genre.

[…]

I : Une faille dans le temps au moment où le train apparait.

é : Où le train apparait puis là…

I : Puis elle se termine quand cette faille-là?

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é : Quand le train disparait.

I : Quand le train disparait.

é : Fait que le train y fait juste comme je voyage en temps normal, une faille,

900, une faille, je repars.

Pour ces élèves du profil A, le fait de s’appuyer sur l’image d’un dispositif ou d’une

méthode qui permet le passage d’un engin d’une époque à une autre – un portail temporel,

une trace dimensionnelle, une faille dans le temps ou une accélération jusqu’à l’atteinte

d’une vitesse supérieure à celle de la lumière – facilite la visualisation de l’action. Cette

imagerie mentale est particulièrement utile considérant l’ambiance fantastique que propose

le récit. Bref, dans le cas présent, lier des éléments du texte à des connaissances

personnelles ne représentait pas une opération obligatoire pour comprendre et interpréter

adéquatement Dragon, mais bien un atout ou un complément.

4.2.2 La difficulté de plusieurs élèves du profil B à prouver leur interprétation

Dans le profil B, une majorité d’élèves (7/9) peinent à formuler une réponse cohérente aux

questions de l’intervieweur qui font référence aux passages clés, réalisant que ces derniers

ne renforcent pas leur hypothèse. Plus précisément, ils sont portés à écarter les éléments du

texte plutôt que de les utiliser pour prouver leur proposition. Par exemple, lorsque Louis-

Philippe doit tenter une réponse pour expliquer pourquoi un chevalier dit à son allié que le

Temps n’existe pas, il propose que les combattants sont aux pôles, plongés dans la noirceur,

ou n’ont simplement pas de montre. Cette idée entre en contradiction avec des éléments

textuels. L’élève lui-même, en soulevant la possibilité que le train se trouve au pôle Nord,

rit de sa proposition. Puisqu’il est très engagé dans la rencontre, il n’hésite pas à verbaliser

toutes les pistes de solutions qui lui viennent en tête et revient constamment sur ses propres

hypothèses pour les modifier :

I : Pourquoi y dit que le Temps n’existe pas?

é : Le Temps n’existe pas, bien…

Quelques secondes de silence.

é : Une des seules places que le temps n’existe pas là, bien qu’est-ce que je

pourrais comprendre, c’est comme aux pôles, y’a comme des six mois sans

lumière fait qu’y peuvent comme pas s’orienter dans le temps. Sinon, (rires)

un train au pôle Nord, oui, oui.

I : (rires)

é : Euh... sinon peut-être que c’est juste que c’est long parce que sont perdus

ou… j’ai pas plus d’informations.

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I : Ok.

é : Y’ont perdu leur montre, je sais pas.

I : Comment tu dis ça?

é : Y’ont perdu leur montre, leur cadran solaire, je sais pas.

Geneviève est visiblement embêtée lorsqu’elle doit proposer une interprétation pour

expliquer la dernière phrase du texte qui précise que le train disparait à tout jamais. Tout

comme Louis-Philippe, elle s’implique positivement dans la rencontre et rigole lorsqu’elle

réalise que ce qu’elle affirme ne tient pas la route. Sur une note humoristique, elle propose

que le train se retrouve à Poudlard29 – ce qui constitue une ouverture vers l’univers

fantastique malgré le fait que la recherche de vraisemblance dominait largement cette

rencontre :

I : [À] la dernière phrase du texte on dit que Le train laissait derrière lui une

fumée si épaisse qu’elle stagnait dans l’air froid des minutes après qu’il fut

passé et eut disparu à tout jamais. Pourquoi le train, on dit de lui qu’il eut

disparu à tout jamais, d’après toi?

é : Euh parce que je sais pas, y’est parti.

I : (rires)

é : Y’a continué sa route.

I : Y’a continué sa route, mais pourquoi à tout jamais?

Quelques secondes de silence.

é : Parce que c’est à tout jamais?

I : Hum, hum.

é : (rires) Je sais pas.

I : Ça t’embête un peu?

é : Bien ouais là.

I : Ok, pourquoi l’auteur aurait fini l’histoire comme ça? Pourquoi le train

s’en va pour toujours?

é : Peut-être qu’y disparait à Poudlard.

I : (rires) À Poudlard?

é : Oui (rires)!

I : Ok, dans le fond tu ne […] sais pas trop [ce que signifie] cette phrase-là?

é : Non.

En résumé, la plupart des lecteurs du profil B se retrouvent en difficulté lorsque vient le

temps de prouver leur hypothèse, celle des fous qui se jettent devant la locomotive. Leurs

réponses aux questions d’interprétation ciblant des passages clés du récit témoignent du fait

29 École de sorcellerie de Harry Potter.

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que leur hypothèse ne résiste pas à tous les détails textuels. Ajoutons que certains des

éléments du texte qui auraient contribué à discréditer l’idée du dérèglement psychologique

des chevaliers n’ont pas été soulevés par les membres de l’équipe de recherche dans la

deuxième partie des rencontres30 à cause de la contrainte de temps.

4.2.3 Les exceptions des profils A et B

Malgré les deux tendances dégagées ci-haut – l’appui sur le texte et sur des connaissances

personnelles pertinentes par les élèves du profil A pour interpréter et la difficulté des élèves

du profil B à faire de même –, certains cas atypiques de participants ont été dégagés de

l’analyse. Des lecteurs ont formulé des interprétations pertinentes (profil A), mais

semblaient incapables de les prouver par le biais du texte, tandis que d’autres ont retenu des

hypothèses plus ou moins plausibles (profil B), mais ont quand même su tirer leur épingle

du jeu en s’appuyant momentanément sur le texte ou sur des connaissances personnelles

pertinentes.

Les élèves du profil A qui ne parviennent pas à prouver leur interprétation

Environ le quart des élèves du profil A (6/23) reconnait le caractère farfelu de l’histoire,

mais ne peut expliquer pourquoi. Autrement dit, certains adolescents rencontrés

comprennent ce qui se passe, mais ne parviennent pas à le justifier. Par exemple, des

lecteurs verbalisent le fait que l’histoire met en jeu deux époques distinctes, mais ont très

peu de propositions pour expliquer ce mélange d’époques. Ils répondent donc très

brièvement aux questions d’interprétation.

Noémie repère le changement d’époques entre le début et la fin de l’histoire, mais ne tente

aucune explication pour résoudre l’énigme. Son degré de compréhension pourrait

augmenter si elle retournait au texte pour relire quelques passages, mais elle n’utilise pas

cette stratégie. Bien que nous ne détenions aucune mesure de la motivation des élèves de

l’échantillon à participer à l’étude – il ne s’agit d’ailleurs pas d’un objectif visé –,

mentionnons que Noémie dégage une certaine indifférence et semble peu impliquée dans la

30 Il s’agit notamment d’éléments insérés au tout début du récit qui suggèrent une ambiance fantastique. Il en

sera question dans la section 5.3 du chapitre portant sur l’interprétation et la discussion des résultats.

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tâche. Elle ne se prête donc pas au jeu de chercher des preuves qui pourraient appuyer ce

qu’elle affirme :

é : Ouais, parce qu’on dirait qu’y passe d’une époque à une autre genre à la

fin.

I : Hum, hum. Vas-y donc, développe donc un peu ton idée voir.

é : Bien, parce qu’au début y parle de château puis de plein d’affaires de

même puis après y parle d’un train que, quand qu’y avait des châteaux,

y’avait pas de train là, c’était pas, c’était pas ça.

I : Ok. Puis d’après toi, qu’est-ce qui se passe entre les deux pour qu’on en

arrive là?

Quelques secondes de silence.

é : Je sais pas.

Maxime comprend lui aussi le caractère invraisemblable de l’histoire causé par le mélange

d’époques. Il développe partiellement son hypothèse, mais ne réussit pas à utiliser les

phrases clés du texte pour la solidifier. Dans son cas, c’est plutôt le contexte de l’étude qui

semble avoir empêché la pleine émergence de son raisonnement. S’il avait été seul avec le

texte et qu’il avait disposé de davantage de temps, possiblement qu’il aurait pu développer

son interprétation. En effet, il semble sur le point de comprendre certaines subtilités du

texte, mais il manifeste de l’hésitation. Malgré tout, l’intervieweur poursuit l’entretien

semi-dirigé – le temps pour chaque rencontre était limité :

I : […] Pourquoi l’auteur aurait fait le choix d’écrire ça là, que le Temps

n’existait pas?

é : Bien parce qu’y a rajouté le train.

I : Parce qu’y a rajouté le train. Fait que finalement pourquoi…

é : Bien parce que c’est pas vrai en fin de compte, c’est pas une histoire

vraie.

I : C’est une histoire qui est invraisemblable. Fait que pourquoi y’aurait un

train à l’époque…

é : Y’a des mélanges de plein d’objets.

I : De plein…

é : De plein d’histoires ensemble, peut-être genre…

I : De plein d’histoires?

é : Y’a un mélange de Moyen Âge, y rajoute un train avec ça, y disent que le

Temps n’existe pas, y…

I : Donc, c’est un mélange d’époques? C’est ça que tu me dis?

é : C’est ça, c’est un mélange d’époques.

I : Ok.

é : Là, t’as comme le passé, le présent, t’as le futur.

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Cathy se situe sur une piste intéressante. Elle suspecte un lien entre certains passages du

texte pour expliquer le caractère étrange de l’histoire. Par contre, ses hypothèses semblent

difficiles à verbaliser, ce qui la force à interrompre certaines de ses explications. Bien que

son interprétation soit pertinente (comme le veut le fait qu’elle soit classée dans le profil

A), nous ne pouvons affirmer qu’elle l’appuie sur des éléments du texte à cause de

l’incomplétude de ses propos :

I : Maintenant les lignes 37 à 39. […] Pourquoi on dit que le Temps n’existe

pas, d’après toi?

é : Je sais pas, moi je pense que ça fait référence à à tout jamais.

I : Ok, y’aurait un lien entre les deux?

é : Ouais, puis aux siècles, puis…

[…]

I : Depuis des siècles, aucun oiseau n’avait…

é : Hum, je pense que c’est comme des éléments pour nous, pour nous

structurer. Le temps, y’en a pas là, c’est comme si, je sais pas…

I : Mais c’est intéressant.

é : C’est comme si y’était dehors là.

I : Ok.

é : Le temps, puis…

I : Y’a pas de notions de temps.

é : Comme un monde parallèle là.

Somme toute, le contexte de l’étude, notamment la contrainte du temps, semble une piste

pouvant expliquer pourquoi quelques lecteurs du profil A formulent des interprétations

pertinentes, mais ne s’appuient pas sur le texte pour les justifier ou le font sans parvenir à le

verbaliser.

Les élèves du profil B qui parviennent à lier des éléments du texte entre eux ou à lier des

éléments du texte à des connaissances personnelles pertinentes pour interpréter

Seulement deux des élèves classés dans le profil B (2/9) réussissent à lier des informations

du texte entre elles ou à les lier à leurs connaissances personnelles pour renforcer leur

interprétation. Par exemple, Alaa croit qu’un chevalier dit à son complice que le Temps

n’existe pas (première question d’interprétation ayant fait l’objet de notre analyse) parce

que les deux personnages sont désaxés et ont perdu la notion du temps. Cette justification,

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bien qu’elle ne tienne pas compte de tous les indices du texte – notamment la description de

l’ambiance qui suggère une histoire fantastique31 –, renforce l’hypothèse interprétative de

l’élève et témoigne d’un lien entre plusieurs éléments de Dragon.

De plus, Alaa établit un rapprochement entre le fait que les personnages se jettent devant le

train (information du texte) et le fait qu’ils aient perdu la notion du temps (information du

texte) : un trouble psychologique serait selon lui à l’origine de cette perte de repères

(information tirée des connaissances personnelles de l’élève sur les troubles

psychologiques). Pour cette raison, nous considérons que l’élève construit son hypothèse

interprétative à partir d’informations du texte et d’informations plutôt pertinentes provenant

de ses connaissances sur le monde :

I : Pourquoi d’après toi, y disait que le Temps n’existe pas?

Quelques secondes de silence.

é : Parce que y’est désaxé.

I : Ok.

é : J’sais pas.

I : Non, mais ça se peut.

é : Ouais.

I : Ça irait avec ton hypothèse du fait que c’est deux dérangés

psychologiquement.

é : Ouais.

Selon Frédérique, les personnages décrits comme des chevaliers seraient plutôt deux

suicidaires ou deux adeptes de Donjons et Dragons32 qui se sont jetés devant le train. Pour

interpréter la dernière phrase du texte, selon laquelle le train disparait pour toujours

(deuxième question d’interprétation ayant fait l’objet de notre analyse), elle propose que les

chefs de train préfèrent ne jamais repasser par la lande étant donné qu’ils se sentent mal

d’avoir accidentellement provoqué la mort de deux personnes. Son hypothèse est

questionnable puisqu’elle fait fi d’éléments du texte qui orientent les lecteurs vers

l’hypothèse du récit fantastique. Toutefois, elle réussit habilement, à l’instar d’Alaa, à la

renforcer en s’appuyant sur le texte et sur des connaissances personnelles appropriées. Plus

précisément, Frédérique établit une convergence entre le fait que les chefs de train fauchent

31 Il en sera question dans la section 4.4.1. 32

Jeu de rôle de genre médiéval-fantastique.

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deux hommes (information du texte), le fait que le train disparaisse définitivement

(information du texte) et le fait que des travailleurs qui tuent accidentellement deux

personnes dans le cadre de leurs fonctions soient traumatisés et ne souhaitent plus retourner

à l’endroit où s’est produit l’incident (information tirée des connaissances personnelles de

l’élève sur le comportement social) :

I : Il laissait derrière lui une fumée si épaisse qu’elle stagnait dans l’air

froid des minutes après qu’il fut passé et eut disparu à tout jamais. Pourquoi

l’auteur nous dit que le train eut disparu à tout jamais?

é : Bien, veut, veut pas, quand tu fauches quelqu’un, bien tu veux peut-être

pas euh… Plus jamais faire cet emploi-là. Bien c’est ça, c’est les gens qui

ont décidé de plus jamais aller dans cet endroit-là, puisqu’y avait eu

plusieurs accidents là ou bien que celle-là ça été vraiment une, vraiment une,

un moment, tu sais, important dans leur vie. Eut disparu à tout jamais, bien

c’est ça, c’est peut-être aussi encore là, une manière cool de finir un texte là.

En bref, Alaa et Frédérique se démarquent des autres lecteurs classés dans le profil B par

leur capacité à établir des liens entre certains éléments du texte et des connaissances

personnelles. Malgré leur non-considération de plusieurs indices du texte, ils réussissent à

justifier leur point de vue, ce qui en augmente certainement la crédibilité.

4.2.4 Les insuccès des élèves du profil C dans leurs tentatives de prouver leur

interprétation

Étant donné qu’ils inventent certaines informations dont il n’est pas question dans le texte

pour combler leurs incompréhensions, les élèves du profil C butent lorsqu’ils doivent se

référer au texte pour répondre à l’intervieweur. Une question posée à Marc-Étienne permet

de comprendre qu’il n’envisage pas que l’histoire puisse être invraisemblable. Sa

représentation du type de récit nuit à sa compréhension et le pousse à tirer des déductions

erronées en utilisant certains passages du texte comme point de départ pour se construire

une logique. Il affirme que si ce sont réellement des chevaliers qui se font frapper par un

train (et non des automobiles comme le veut son hypothèse), il s’agirait de gens déguisés

pour l’Halloween :

I : Ok, parce que ça pourrait pas être des chevaliers qui sont frappés par un

train?

é : Ouais parce que c’est comme deux époques vraiment distinctes entre les

deux.

I : Ok, ok, j’comprends ce que tu veux dire.

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Quelques secondes de silence.

I : Bien as-tu l’impression de mieux comprendre un peu maintenant?

é : Ouais, un peu mieux ouais.

I : Ok. Est-ce que ça se pourrait que ce soit des chevaliers qui se fassent

frapper par un train?

é : Si ce serait des chevaliers, y seraient comme mettons à une fête

Halloween, mettons comme une fête déguisée, sinon ce serait pas plausible,

dans la vraie vie parce que des chevaliers…

La recherche d’une vraisemblance à l’histoire semble également inciter Pier-Olivier à

inventer des informations et à surinterpréter. Ainsi, lorsque l’aide de l’intervieweur lui

permet progressivement de comprendre que les personnages sont réellement des chevaliers

et non des moustiques, la logique créée par l’adolescent s’écroule et sa compréhension s’en

trouve fragilisée :

I : Ok, qu’est-ce qui fait que c’est invraisemblable?

é : Que, des chevaliers tentent de combattre un dragon.

I : Ok.

é : Que, le dragon c’est invraisemblable puis chevaliers c’est plus

vraiment…

I : Est-ce qu’y a vraiment un dragon dans le texte finalement?

é : Non.

I : Ok, quoi d’autre est invraisemblable outre le fait que les chevaliers

veulent combattre une créature qui n’existe pas?

é : Euh le fait que y’ait des chevaliers dans l’époque de train.

I : Ok.

é : C’est plus invraisemblable.

Jean-Sébastien, qui considère le dragon et le train comme deux entités distinctes, cherche

lui aussi un sens logique à l’histoire. Il établit que les armures contenant les squelettes des

chevaliers étaient demeurées au sol pendant des siècles et il s’accroche à cette

compréhension erronée lorsqu’il répond aux questions de l’intervieweur. Tout comme les

autres élèves classés dans ce profil, il invente donc des informations et crée de faux liens

entre certains éléments :

I : (rires) Maintenant euh ligne 37 à 39, quand on dit Le Temps n’existe pas.

Euh… Sur cette terre ingrate, le Temps n’existe pas. D’après toi, pourquoi

le, l’auteur a dit ça, que le Temps n’existe pas?

Quelques secondes de silence.

é : Bien… comme un peu, bien c’est une, c’est une prière un peu là. Parce

que garde, Le Temps existe pas, y’a comme le, le…

I : Le trois petits points.

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é : Ouais, c’est ça comme si y continuerait sa prière, puis y finit sa prière, sa

prière par Que Dieu nous protège. C’est une prière pour euh… Avant les

combats, les affaires de même.

I : Ok. Ce serait une façon comme de…

é : De se protéger.

I : De souhaiter que ça va bien se passer?

é : Ouais.

Enfin, Emma se démarque des autres lecteurs classés dans le profil C parce qu’elle se

montre ouverte à l’invraisemblance de l’histoire et parce qu’elle appuie son interprétation

sur quelques éléments du texte. Toutefois, elle n’associe pas le dragon et le train comme un

seul tout et cette lacune la pousse à surinterpréter, d’où le fait qu’elle soit classée dans le

profil C. En effet, ses difficultés de compréhension la mènent sur une fausse piste : elle

croit que les chevaliers sont d’abord tués par un dragon, puis par un train. Toutefois, elle

comprend très bien le caractère fantastique de l’histoire et propose des réflexions

intéressantes lorsque l’intervieweur la questionne à propos des passages clés du texte :

I : Il laissait derrière lui une fumée si épaisse qu’elle stagnait dans l’air

froid des minutes après qu’il fut passé et eut disparu à tout jamais. On parle

du euh… du train. Pourquoi on dit que le train eut disparu à tout jamais,

d’après toi?

é : Je sais pas, peut-être que c’est lui qui était pas dans la bonne époque, puis

qu’y a disparu.

I : Le train qui n’était pas dans la bonne époque?

é : Y’était passager dans leur époque dans le fond, je sais pas.

I : Ok.

é : Parce qu’y disparait à tout jamais.

I : Le train ça aurait été l’intrus et non les chevaliers?

é : Bien…

I : Peut-être.

é : Si j’veux comprendre cette phrase-là, j’ai pas le choix de changer des

hypothèses là.

I : Ok, mais tu changes pas tant d’hypothèse, tu dis juste qu’au lieu que ce

soit les corps des chevaliers…

é : Ouais.

I : Qui se feraient déporter, tu sais, à l’époque des trains, ce serait le train qui

ferait un petit passage à l’époque des chevaliers.

[…]

I : Ok, puis hum, les lignes 37 à 39, Neuf cents ans se sont écoulés depuis la

Naissance du Christ. Ce n’est pas vrai murmura le second chevalier en

fermant les yeux. Sur cette terre ingrate, le Temps n’existe pas. Pourquoi on

dit que le Temps n’existe pas?

[…]

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é : Ça veut dire que c’est comme normal que ça se passe de même, je sais

pas.

I : Ok, qu’est-ce que tu veux dire?

é : Bien, c’est normal que genre des, tout se mélange.

I : Le mélange des époques?

é : Ouais parce que le Temps n’existe pas, donc les époques peuvent se

rencontrer puis c’est pas grave.

En somme, les participants à l’étude classés dans le profil C construisent leur hypothèse

interprétative par l’intermédiaire d’informations tirées du texte, certaines justes et d’autres,

erronées. Lorsqu’ils lient des informations véridiques à des informations inexactes, une

interprétation biaisée se manifeste comme résultat final.

4.2.5 Le « silence interprétatif » de l’élève du profil D

Catherine évoque une piste intéressante, soit le fait que deux époques se confondent dans

une histoire invraisemblable, mais n’y revient pas par la suite. En d’autres termes, elle

semble sur le point de construire une hypothèse intéressante, mais elle l’écarte,

possiblement parce qu’elle n’y voit pas de logique :

é : Non. Mais c’est peut-être carrément dans le fantastique, peut-être qu’y

ont inventé là, peut-être quand qu’y ont composé l’histoire là.

I : Ok, qui aurait inventé quoi?

é : Bien l’auteur qui aurait…

I : (rires)

é : confondu deux époques, (rires) je le sais pas là.

Lorsqu’elle doit répondre à des questions qui réfèrent aux passages clés du texte, cette

lectrice formule des réponses qui témoignent d’un faible degré de compréhension.

Contrairement aux élèves du profil C, qui inventent des épisodes à l’histoire pour se

construire leur propre cohérence – ce qui donne lieu à de la surinterprétation –, Catherine

choisit de s’en tenir aux parties de l’histoire qu’elle croit comprendre. Malgré cette

restriction, elle extrapole elle aussi, mais développe moins ses hypothèses. Ses réponses

aux questions d’interprétation sont plutôt brèves et elle semble hésitante :

I : Ok, (rires) puis le train, pourquoi y disparaitrait à tout jamais, d’après toi?

é : Euh, peut-être pour pas avoir à, à retourner dans cette ville-là ou dans,

dans cet endroit-là où est-ce qu’y a le monstre.

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I : Ok, puis hum pourquoi on dirait aux lignes 37 à 39 que le Temps n’existe

pas? Y’a un personnage qui dit à l’autre que Sur cette terre ingrate, le Temps

n’existe pas.

[…]

é : C’est que bien, y’ont le temps de… peut-être qu’y se demandaient si y

devaient aller rencontrer le che… le dragon ou pas. Parce que peut-être qu’y

en avaient peur. Puis y’en a un qui était peut-être plus courageux que l’autre

puis y’a dit garde, on a le temps puis tu sais, le, le temps n’existe pas là, on

peut prendre le, le…

I : Le temps qu’y faut.

é : Les minutes qu’y faut pour aller le…

I : Ok.

é : Le rencontrer là, on perd rien.

Nous sommes d’avis que Catherine, au même titre que certains élèves des autres profils qui

ne sont pas parvenus à prouver leur interprétation, aurait été avantagée par un contexte

différent de celui de l’étude. Si elle avait disposé de davantage de temps pour relire et

annoter le texte et si elle n’avait pas eu à s’arrêter pendant sa lecture pour exprimer ses

commentaires à voix haute, sa compréhension de l’histoire aurait pu être plus approfondie

et il aurait été plus facile pour elle de proposer des pistes d’interprétation.

4.3 L’influence de la compréhension de la nouvelle Dragon sur l’interprétation pour

chacun des profils

Des liens étroits s’observent entre le degré de compréhension de la nouvelle littéraire

Dragon par les participants et les interprétations qu’ils verbalisent.

4.3.1 Le profil A : quand compréhension assurée rime avec interprétation pertinente

La compréhension globale des élèves du profil A est adéquate : ils comprennent

l’association entre le dragon et le train et ils saisissent que les personnages sont réellement

des chevaliers malgré la présence d’un train à la fin de l’histoire. Les adolescents

constituant ce groupe de l’échantillon semblent conscients que l’histoire peut être

invraisemblable. En effet, ils acceptent l’idée que des éléments associés à deux époques

distinctes (les chevaliers et le train) puissent cohabiter dans le même récit. Selon les critères

qui valident une interprétation (Jouve, 2001; Reuter, 2001), les élèves du profil A sont ceux

qui proposent l’hypothèse interprétative la plus plausible. En effet, plusieurs éléments du

texte mentionnés précédemment l’appuient. Le narrateur, non participant, décrit une

ambiance invraisemblable au début du récit : rien du décor ne bougeait sauf l’herbe soufflée

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légèrement par le vent; aucun oiseau n’avait volé à cet endroit depuis des siècles; les pierres

ne s’étaient pas déplacées par quelque mouvement que ce soit depuis une éternité. De plus,

le narrateur mentionne que les chevaliers endossent des armures, possèdent des épées et des

lances, montent des chevaux. Or, il serait très difficile de se doter d’un tel attirail des

siècles après qu’on eut cessé de s’en servir pour se battre. Ajoutons qu’on raconte à la fin

du récit que le train disparait pour toujours. Le choix de mot – à tout jamais – ne peut

simplement signifier que le train n’est plus visible, d’autant plus qu’il relève du narrateur et

que ce dernier n’est pas impliqué dans l’histoire.

Du point de vue des personnages, un chevalier mentionne que personne ne sait d’où arrive

le dragon (le train) et où il se rend puisqu’il disparait. Or, si les lieux étaient réels,

quelqu’un finirait bien par observer à quel endroit il se dirige. De plus, un des chefs de train

affirme à son collègue qu’il souhaite continuer son chemin parce que la lande l’effraie et

qu’il n’a rien vu la dernière fois que la situation s’est produite et qu’il s’est arrêté. Nous

pouvons donc penser que le train, aussitôt qu’il frappe les chevaliers, quitte l’univers irréel

de la lande et retourne à son époque. Sinon, il serait étonnant qu’un des chefs de train qui

jure avoir happé un chevalier en armure ne voie plus rien une fois le train immobilisé.

Enfin, un combattant affirme à son complice que le Temps n’existe pas. Cette déclaration

ne prouve rien, mais il s’agit d’un indice qui, amalgamé aux autres, oriente le lecteur vers

l’hypothèse d’un voyage dans le temps par le train ou d’un mélange d’époques. En résumé,

les lecteurs du profil A formulent des interprétations très plausibles qui vont de pair avec

leur compréhension assurée de l’histoire.

4.3.2 Le profil B : une compréhension adéquate, mais une interprétation qui fait fi

de certains éléments du texte

La compréhension globale des élèves du profil B est plutôt adéquate parce qu’ils

comprennent que le dragon et le train ne font qu’un, c’est-à-dire qu’il n’y a pas réellement

de dragon dans l’histoire. Cependant, ils ne croient pas que les personnages sont vraiment

des chevaliers. Ils considèrent l’histoire comme vraisemblable et y cherchent une logique.

Plus précisément, contrairement aux élèves du profil A, ils semblent exclure la possibilité

que des éléments associés à deux époques différentes se côtoient dans un même récit. Les

lecteurs classés dans le profil B proposent une interprétation que nous considérons comme

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moyennement plausible. En effet, bien qu’elle soit appuyée par quelques éléments du texte,

des passages précédemment cités – les mêmes qui renforcent l’hypothèse des élèves du

profil A – la contredisent de manière plus ou moins explicite (Jouve, 2001; Reuter, 2001).

Mais il y a plus : s’il est difficile pour qui que ce soit de se procurer un équipement de

chevalerie à l’époque moderne, ce l’est d’autant plus pour des fous… Enfin, les indices

énoncés par le narrateur ne mentent pas parce qu’il ne participe pas à l’histoire. D’aucuns

diront que c’est ce même narrateur qui laisse croire au lecteur qu’un dragon fait partie de

l’histoire. Mais il guide tout de même le lecteur vers l’association dragon-train explicitée à

la toute fin du récit. À l’inverse, le narrateur n’énonce aucun indice qui pourrait mener le

lecteur vers une remise en question de l’ambiance surnaturelle décrite au début de

l’histoire. Au final, les élèves du profil B, bien qu’ils comprennent plutôt adéquatement

l’histoire, ne tiennent pas compte de l’ensemble des indices présents dans le texte pour

l’interpréter, ce qui diminue quelque peu la plausibilité de leur hypothèse.

4.3.3 Les profils C et D : quand la difficulté à lier des éléments du texte entre eux

entraine une escalade de déductions erronées ou stoppe l’imagination

La compréhension globale des élèves du profil C est inadéquate : soit ils ne comprennent

pas l’association entre le dragon et le train, soit ils attribuent une identité farfelue aux

chevaliers. Ils ont également la particularité d’esquiver certains éléments du texte et de les

substituer par des segments d’histoire inventés. Autrement dit, ils surinterprètent pour

expliquer « l’inexplicable ». Trois des quatre élèves classés dans ce profil recherchent une

vraisemblance à l’histoire (comme les élèves du profil B) tandis qu’un seul est ouvert à

l’invraisemblance (comme les élèves du profil A). Bref, les lecteurs inclus dans le profil C,

dont la compréhension de l’histoire est lacunaire, suggèrent des hypothèses interprétatives

qui ne sont pas plausibles selon les critères de validité d’une interprétation proposés par

Jouve (2001) et Reuter (2001). Certains éléments du texte leur servent de point de départ

pour élaborer leur hypothèse. Cependant, leurs difficultés liées aux processus d’intégration

les mènent à construire une chaine de liens qui s’éloignent de plus en plus du contenu du

texte et se rapprochent de plus en plus de leur imaginaire.

Pour ce qui est de l’élève classée dans le profil D, comme la plupart des élèves des profils

B et C, elle recherche une vraisemblance à l’histoire. Et à l’instar des élèves du profil C,

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elle éprouve des difficultés majeures de compréhension, c’est-à-dire que non seulement elle

n’établit pas le lien entre le dragon et le train, mais elle ne considère pas qu’il y a un train

dans l’histoire. Cependant, plutôt que d’inventer des éléments à l’histoire comme l’ont fait

les lecteurs du profil C, elle choisit de s’abstenir de proposer quelque forme d’hypothèse

interprétative que ce soit. Dans son cas, les difficultés à activer des processus d’élaboration

ne mènent pas à un éloignement du contenu du texte. Au contraire, elles freinent la

verbalisation.

4.4 Bilan des résultats présentés

Le tableau suivant compile les caractéristiques de chacun des profils d’interprètes créés. La

première colonne présente un résumé des interprétations singularisant chaque profil. Les

deuxième et troisième colonnes indiquent si l’hypothèse interprétative associée à un profil

est plausible et si la compréhension est adéquate. Tel que mentionné préalablement, la

plausibilité des interprétations a été déterminée en fonction du fait qu’elles devaient

s’appuyer sur le plus grand nombre possible d’éléments du texte et ne devaient être

contredites par aucun élément du texte. Pour ce qui est de la compréhension de l’histoire,

elle a été considérée adéquate lorsque les participants établissaient le lien entre le dragon et

le train et lorsqu’ils attribuaient une identité plausible aux chevaliers (de vrais chevaliers ou

des fous). La quatrième colonne indique le nombre d’élèves par profil qui ont appuyé ou

non leur interprétation sur des éléments du texte ou sur des connaissances personnelles

pertinentes. Rappelons que ce décompte s’est effectué par l’intermédiaire de l’analyse des

réponses des élèves à deux questions d’interprétation qui couvraient des enjeux importants

de l’histoire33. Enfin, la dernière colonne annonce simplement si les élèves d’un profil

donné ont reconnu l’invraisemblance de l’histoire ou s’ils ont plutôt cherché une

vraisemblance. Pour dégager cette observation, nous nous sommes référée à l’hypothèse

interprétative qu’ils avaient retenue au terme de leur rencontre avec l’intervieweur.

33 Voir l’annexe C pour un résumé des réponses de chacun des élèves de l’échantillon à ces deux questions.

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Tableau 2: Comparaison du niveau de compréhension globale et de la pertinence de l’interprétation des quatre profils

d’interprètes

Profils

d’interprètes

L’interprétation formulée

est-elle plausible?

La compréhension

globale est elle

adéquate?

L’interprétation s’appuie-t-elle

sur des éléments du texte ou sur

des connaissances personnelles

pertinentes?

Observations

Profil A

(27 élèves/39)

Mélange d’époques

OU

Voyage dans le

temps (effectué par

le train ou par les

chevaliers)

OUI :

Plusieurs passages du texte,

notamment l’ambiance

décrite par le narrateur au

début de l’histoire,

suggèrent fortement un

univers fantastique.

OUI :

Comprennent le lien

entre le dragon et le

train et comprennent

que les personnages

sont réellement des

chevaliers.

OUI (17 élèves/2334) :

Renforcent leur hypothèse avec

des passages clés et des

connaissances personnelles

pertinentes liées à l’univers

fantastique.

NON (6 élèves/23) :

Ne réfèrent pas explicitement aux

indices du texte pour prouver leur

interprétation.

Reconnaissent

l’invraisemblance

de l’histoire.

34 Les huit élèves à qui aucune des deux questions d’interprétation ciblées n’a été posée ont été exclus de l’échantillon pour cette partie de l’analyse. 31 élèves sur

39 ont donc été retenus.

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Profil B

(1335 élèves/39)

Dérèglement

psychologique des

chevaliers

PLUS OU MOINS :

L’hypothèse des

personnages fous implique

un univers vraisemblable

qui cadre plus ou moins

avec l’ambiance fantastique

suggérée par certains

passages du texte,

notamment la description de

la lande.

OUI :

Comprennent le lien

entre le dragon et le

train et attribuent une

identité plausible aux

chevaliers (des fous).

OUI (2 élèves/9) :

Appuient leur hypothèse sur

certains passages clés ou sur des

connaissances personnelles

pertinentes liées à la psychologie.

NON (7 élèves/9) :

Sont confondus par les passages

clés.

Recherchent une

vraisemblance à

l’histoire.

Profil C

(4 élèves/39)

Chevaliers frappés

d’abord par un

dragon, puis par un

train OU

Chevaliers frappés

par un train =

comparaison ou

métaphore de

l’auteur

NON :

L’hypothèse selon laquelle

il y a un dragon dans

l’histoire peut être

contredite par plusieurs

indices du texte. Le fait

d’évoquer une collision

entre autres choses qu’un

train et des personnages

peut également être

contredit par le texte.

NON :

Croient qu’il y a un

dragon et un train

dans l’histoire (deux

élèves) ou attribuent

une identité erronée

aux chevaliers (deux

élèves).

OUI (1 élève/3) :

Appuie son hypothèse sur certains

éléments du texte, mais invente

tout de même des segments à

l’histoire.

NON (2 élèves/3) :

Inventent des segments à

l’histoire.

Recherchent une

vraisemblance à

l’histoire (sauf un

élève).

35 Six élèves ont été classés deux profils (A et B) parce qu’ils ont retenu deux hypothèses interprétatives au terme de leur rencontre avec l’intervieweur. Cette

considération explique que le total des élèves classés dans chaque profil excède 39.

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Profil D

(1 élève/39)

Peu de propositions

d’interprétations

N/A :

L’élève n’a pas

suffisamment étoffé ses

hypothèses interprétatives

pour que nous puissions les

rapporter.

NON :

Croit que les

chevaliers combattent

réellement un dragon

et ne considère pas

qu’il y a un train dans

l’histoire.

N/A (1 élève/1) :

L’élève n’a pas suffisamment

étoffé ses hypothèses

interprétatives pour que nous

puissions les rapporter.

Recherche une

vraisemblance à

l’histoire.

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91

CHAPITRE 5: INTERPRÉTATION ET DISCUSSION DES

RÉSULTATS

Dans ce chapitre, nous proposerons des pistes explicatives liées à chacun des principaux résultats

ayant émergé de notre analyse. Plus précisément, nous tenterons d’expliquer dans quelle mesure

la compréhension adéquate du texte Dragon et l’appui sur des éléments de ce texte ont contribué

à son interprétation. Nous discuterons également de l’importance d’établir des critères de validité

d’une interprétation pour juger de la pertinence des hypothèses proposées par les élèves. Enfin,

notre analyse de l’impact des particularités du texte soumis aux élèves sur leur compréhension

servira de transition vers la dernière section, dans laquelle nous présenterons succinctement les

éléments qui semblent avoir nui à l’interprétation de Dragon par les participants.

5.1 La compréhension globale d’un texte : un tremplin pour les hypothèses

interprétatives

Parmi les 39 élèves de notre échantillon, nous observons que les bons compreneurs de la nouvelle

Dragon tendent à être de bons interprètes. En effet, nous avons considéré que les élèves du profil

A ont formulé les interprétations les plus plausibles – un voyage dans le temps ou un mélange

d’époques. Au terme de leur rencontre, ces élèves avaient tous réussi à inférer l’association entre

le dragon et le train et à déterminer que les personnages étaient de vrais chevaliers, ce qui faisait

foi d’une compréhension globale adéquate. Les élèves du profil B ont proposé une interprétation

que nous avons considérée comme moyennement plausible – un dérèglement psychologique des

chevaliers – et ont relativement bien compris l’histoire. En fait, ils ont mobilisé des processus

d’intégration pour lier le dragon au train et ont attribué une identité plutôt crédible aux

personnages principaux : des fous, des fanatiques de Donjons et Dragons, des idiots ou des

hommes isolés de la population. Certes, plusieurs indices du texte laissent croire qu’il s’agit

réellement de chevaliers, mais nous avons tout de même considéré la compréhension des élèves

de ce profil comme plutôt adéquate. En somme, il semble qu’une tendance (et non une équation)

se dégage : la compréhension assurée de l’histoire a favorisé la formulation d’interprétations

pertinentes. Plus précisément, comprendre que le dragon est un train et que les personnages sont

des chevaliers assurait une représentation globale adéquate du récit par le lecteur. Et

l’établissement de ces liens ouvrait la porte à une réflexion pour tenter d’expliquer la présence

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d’un train à l’époque du Moyen Âge. En effet, la compréhension d’un lecteur alimente son

interprétation et inversement (Tauveron, 1999).

Parallèlement, nous remarquons que les mauvais compreneurs de la nouvelle Dragon ont été de

mauvais interprètes. Plus précisément, les élèves des profils C et D, qui ne sont pas parvenus à

comprendre l’association entre le dragon et le train ou à comprendre l’identité des chevaliers –

deux enjeux centraux – ont inventé des segments à l’histoire (surinterprétation) (profil C) ou

n’ont pratiquement pas verbalisé d’hypothèses interprétatives (profil D). Les lecteurs du profil C

qui ont cru que les chevaliers étaient heurtés à deux reprises – par un dragon et par un train – ont

élaboré des interprétations qui allaient de pair avec cette représentation. Par exemple, Jean-

Sébastien a proposé que les cadavres des chevaliers tués par le dragon étaient demeurés au sol

pendant des siècles jusqu’au jour où un train aurait happé leur squelette. Cette hypothèse

interprétative plutôt farfelue est étroitement liée au fait qu’il n’a pas intégré les éléments du texte

qui permettaient d’associer le dragon et le train. Cette difficulté à comprendre les enjeux de

l’histoire a complexifié grandement la tâche de répondre aux questions d’interprétation qui

référaient directement aux passages clés. Pour ce qui est de la lectrice du profil D, elle n’est pas

parvenue à choisir et à combiner des éléments pertinents du texte pour dégager un sens global

plausible. En effet, puisqu’elle n’a pas su activer les processus d’intégration nécessaires pour

inférer l’association entre le dragon et le train, elle a cru qu’il y avait réellement une créature

dans l’histoire et que cette dernière était responsable de la mort des chevaliers. Lorsque

l’intervieweur l’a questionnée sur la mention d’un train à la fin du récit, elle a semblé d’autant

plus confuse qu’elle avait écarté de son résumé cet élément du texte. Bref, elle a échoué à

l’assemblage final des pièces du casse-tête, sa compréhension semblant en ilots (Fayol, 2000).

Conséquence : ses réponses aux questions d’interprétation ont été plutôt laborieuses.

5.2 S’appuyer sur le texte : une attitude propice à la formulation d’interprétations

pertinentes

Les élèves qui ont formulé des interprétations pertinentes (profil A) ou moyennement pertinentes

(profil B) ne réussissent pas tous à s’appuyer sur des éléments du texte ou, du moins, à expliciter

verbalement cet appui. Bien qu’une majorité des lecteurs inclus dans le profil A (17 élèves/23) et

une minorité de ceux inclus dans le profil B (2 élèves/9) y parviennent, il n’en demeure pas

moins que certains des bons interprètes n’ont pas su prouver leur hypothèse. Ils ont tiré profit du

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texte pour entamer leur réflexion, mais ne s’en sont pas suffisamment servi par la suite pour

étoffer leur interprétation36 (ils se sont fiés à leur intuition), tendance soulevée par Vaubourg

(2007). Par exemple, des élèves du profil A ont reconnu la présence, dans la même histoire,

d’éléments du Moyen Âge (ex. : un château, des chevaliers en armures) et d’éléments propres aux

années 1800 ou 1900 (ex. : un train alimenté au charbon). Ce constat les a menés à proposer

l’hypothèse interprétative d’un mélange d’époques. Or, ils ne sont pas retournés au texte pour

repérer des indices qui les auraient pistés pour expliquer pourquoi ce mélange d’époques

survient (notamment la description de la lande comme un lieu surnaturel et le fait que personne

ne voit jamais où se rend le train). La prise en compte d’un plus grand nombre d’indices laissés

par l’auteur leur aurait probablement permis d’étoffer leur hypothèse. Somme toute, nous croyons

que les élèves qui ont été en mesure d’expliquer le sens de plusieurs des phrases du texte à propos

desquelles nous les avons questionnés ont interprété l’histoire de manière plus approfondie que

leurs pairs qui n’y sont pas parvenus. En effet, nous considérons que plus l’interprétation

proposée par un élève s’appuie sur une quantité élevée d’éléments du texte, et plus ces éléments

sont des preuves de qualité, plus elle est plausible.

Si notre étude nous a menée à regrouper les élèves en profils après avoir analysé les

transcriptions de leur rencontre avec un intervieweur, nous sommes consciente des limites de ce

type de classement. En effet, comme nous avons retenu les interprétations finales des élèves pour

les catégoriser, il est possible que certains aient été inclus dans les profils A ou B à cause de

certaines déclarations pertinentes, et ce, malgré quelques « trous » dans leur compréhension. Les

limites de notre démarche de recherche pourraient donc expliquer en partie que des élèves dont

l’interprétation retenue a été considérée comme pertinente n’aient pas réussi à la justifier par

l’intermédiaire du texte.

Il est beaucoup plus simple de comprendre pourquoi les élèves des profils C et D n’ont

globalement pas appuyé leur interprétation sur des éléments du texte. En effet, puisqu’ils

tendaient, d’une part, à inventer des informations pour combler des vides dans leur

36 C’est possible qu’ils n’aient simplement pas réussi à verbaliser leur appui sur des éléments du texte. Le cas

échéant, la difficulté serait d’ordre métacognitif : il y a toujours un écart entre ce qu’un élève peut effectuer et sa

capacité à expliquer ce qu’il fait.

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compréhension et, d’autre part, à lier entre elles des informations du texte incompatibles, il leur

était difficile de répondre aux questions d’interprétation qui référaient directement à des segments

du texte, ceux-ci s’éloignant parfois de leurs propositions. Devant l’impasse, ils ont donc répondu

aux questions d’interprétation à l’aide d’éléments « inventés », pris hors du texte, plutôt que de se

référer au texte lui-même, problème soulevé par Soussi et al. (2007). Le cas de Pier-Olivier

illustre bien cette tendance à trop s’éloigner du texte. Le fait que le narrateur raconte que les

chevaliers se font écraser par un train évoque pour lui un moustique frappé par un train. Il en

déduit que l’auteur compare peut-être les chevaliers à des moustiques. Cette information provient

des pensées de l’élève, mais n’est corroborée en aucun point par le texte. Jean-Sébastien, quant à

lui, met en relation différents éléments du texte, mais en sélectionne certains qui sont

inconciliables. Par exemple, le fait qu’un chef de train soit impressionné par la présence d’un

chevalier en armure signifie nécessairement pour lui que plusieurs siècles se sont écoulés entre le

début et la fin de l’histoire. Il a combiné deux informations du texte pour développer un

raisonnement erroné. Helder et al. (2013) nomment ce type d’élèves les elaborators : ils

produisent bon nombre d’inférences, mais les éléments du texte qu’ils lient entre eux sont

incompatibles. Bref, les lecteurs classés dans le profil C tantôt ont marié certains indices du texte

qui n’avaient aucun lien entre eux, tantôt sont sortis complètement de ce que suggérait le texte

pour essayer de construire leur propre logique, leur propre histoire.

5.3 Les critères de validité d’une interprétation : une balise pour évaluer la nécessité (ou

non) d’aller au-delà du texte pour interpréter

La nouvelle Dragon, qui représentait un défi de lecture pour les adolescents rencontrés, a soulevé

diverses interprétations. Si ce texte avait été soumis à des lecteurs experts plutôt qu’à des lecteurs

en apprentissage, les chances d’arriver à une interprétation partagée par une majorité auraient été

plus élevées. En effet, les deux premiers critères pour valider une interprétation (elle doit

s’appuyer sur le plus grand nombre possible d’éléments du texte et elle ne doit être contredite par

aucun élément du texte) suffisent pour renforcer l’idée du voyage dans le temps ou du mélange

d’époques. Si le lecteur avait dû puiser des ressources à l’extérieur du texte pour l’interpréter,

notamment en s’appuyant sur des référents partagés tels que la vie de l’auteur, nous aurions

considéré le texte comme insuffisant pour trancher (Jouve, 2001; Reuter, 2001). Dans le cas de

Dragon, le recours au dernier critère, bien que non obligatoire, nous menait à consulter la

biographie de l’auteur, Ray Bradbury, et à réaliser qu’il écrit généralement des textes

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fantastiques. En d’autres termes, le troisième critère confortait l’interprétation selon laquelle deux

époques se rencontrent, mais il n’était pas nécessaire de s’y référer pour retenir cette hypothèse.

Somme toute, les critères de validité permettent de considérer les interprétations proposées par

les élèves du profil A comme les plus plausibles. L’hypothèse du dérèglement psychologique des

chevaliers (profil B) arrive bonne deuxième par rapport à sa plausibilité : les élèves l’ayant

proposée se sont appuyés sur quelques éléments du texte, mais en ont ignoré d’autres. Quant aux

interprétations des élèves des profils C et D, elles ne peuvent être validées par aucun critère parce

qu’elles s’éloignent trop du texte. En contrepartie, rappelons que les élèves rencontrés sont des

lecteurs en apprentissage et que les inférences à effectuer pour arriver à l’hypothèse du voyage

dans le temps étaient complexes (Giasson, 2007). Pour comprendre qu’il n’y a pas de balises de

temps dans le texte, le lecteur devait notamment remarquer les choix lexicaux de l’auteur pour

décrire la lande au début du texte, qui convergeaient vers une ambiance fantastique. Il devait

également porter une attention particulière au passage suivant : sur cette terre ingrate, le Temps

n’existe pas. Or, pour certains élèves, ces segments ont pu sembler banals et passer inaperçus.

Pour déduire que le train voyage dans le temps, il était pertinent de se pencher sur la dernière

phrase du texte dans laquelle le narrateur raconte que le train disparait à tout jamais. Il est tout à

fait normal que des élèves aient simplement compris de cette finale que le train ne reviendra plus,

sans pousser la réflexion plus loin, et ce, surtout s’ils ne l’ont pas liée à d’autres éléments du

texte. Si chaque passage, considéré indépendamment des autres, pouvait sembler anodin, c’est

plutôt la combinaison des indices du texte qui permettait de construire une interprétation

plausible, d’où la difficulté.

Pour ces raisons, le texte soumis, qui est à priori une nouvelle réticente, s’est aussi révélé une

nouvelle proliférante pour les élèves. La réticence s’explique par la saisie de l’intrigue qui n’était

pas immédiate, l’auteur ayant usé de tactiques pour semer le doute chez le lecteur (Tauveron,

2001). En effet, Bradbury a inséré tout au long du récit des caractéristiques ambigües pouvant

référer autant à un train qu’à un dragon. Ce défi de compréhension a provoqué un défi

d’interprétation pour les apprenants : Pourquoi un train se retrouverait-il à l’époque des

chevaliers? Les chevaliers en sont-ils vraiment? Le texte se déroule-t-il réellement à deux

époques différentes? Dans les faits, la nouvelle Dragon s’est donc avérée un double défi de

compréhension et d’interprétation pour des lecteurs de 14 à 17 ans.

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Pour les élèves qui ont compris que l’histoire impliquait un voyage dans le temps ou un mélange

d’époques (profil A), la mobilisation d’inférences créatives (Giasson, 2007) permettait

d’imaginer de quelle manière (grâce à quel dispositif) le train voyageait dans le temps. Cette

réflexion n’était pas essentielle pour comprendre le texte, mais intéressante dans une optique

d’approfondissement. Comment le train procède-t-il pour changer d’époque? Y a-t-il des rails

sous le train? Le train en était-il à son premier voyage dans le temps? Ces questions, posées à

certains élèves du profil A, leur ont permis d’exercer leur créativité pour visualiser certaines

scènes, les lecteurs entretenant un lien unique avec le texte (Rosenblatt, 1978). Aller au-delà du

texte a donc été rentable pour certains élèves du profil A : leurs réponses aux deux questions

d’interprétation analysées se sont révélées plus précises et plus développées que celles des autres

élèves de l’échantillon. Même remarque pour quelques élèves du profil B, qui ont proposé des

pistes intéressantes par rapport à l’état psychologique des personnages. En effet, les hypothèses

selon lesquelles les deux combattants étaient schizophrènes ou extrémistes, par exemple,

témoignent de certaines connaissances sur le monde, plus précisément en psychologie du

comportement. Les lecteurs classés dans le profil C sont eux aussi allés au-delà du contenu du

texte, mais ils ont comblé certains vides par des informations qu’ils ont extrapolées, ce qui a créé

une rupture entre les éléments du texte et les éléments hors texte. Leur hypothèse pouvait donc

être contredite par certains passages du texte.

Inversement, d’autres élèves des profils A et B se sont plutôt limités à ce qu’ils trouvaient dans le

texte. Ils auraient gagné à étoffer davantage leur interprétation, mais ont plutôt agi de manière

prudente pour s’assurer de ne pas induire du texte des informations superflues. Même constat

pour l’élève du profil D, qui a tenté le plus possible de demeurer fidèle au contenu du texte. En

résumé, les deux postures d’interprètes proposées par Helder et al. (2013) ont été observées chez

les lecteurs rencontrés. Tous les adolescents du profil C s’apparentent à des elaborators (qui

tendent à sortir du texte) tandis que l’élève classée dans le profil D est plutôt un paraphraser (qui

souhaite demeurer fidèle au contenu du texte). Pour ce qui est des profils A et B, ils incluent à la

fois des lecteurs qui tendent vers l’élaboration que des lecteurs qui tendent vers la paraphrase.

5.4 Les singularités d’un texte : un frein à la compréhension?

Les élèves ayant proposé les interprétations les plus pertinentes (profil A) ont tous reconnu

l’invraisemblance de l’histoire. En fait, des interprétations telles qu’un voyage dans le temps ou

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un mélange d’époques signifiaient nécessairement que les lecteurs avaient considéré l’histoire

comme invraisemblable. Nous croyons que tous les adolescents ayant participé à la recherche,

dès qu’ils ont entrepris leur lecture, avaient en tête – consciemment ou non – un éventail de

possibilités quant au fond et à la forme que le texte pouvait prendre. Cet éventail s’inspire de leur

expérience de lecteur et de leur expérience sur le monde. C’est ce que Langlade (2002) nomme le

vécu du lecteur.

Or, il semble que plusieurs participants (tous les élèves des profils B, C et D, sauf un) n’avaient

pas en tête que la nouvelle Dragon pouvait être invraisemblable, que l’histoire racontée pouvait

être irréaliste, qu’elle pouvait se dérouler dans un univers autre que le monde réel. La

construction de sens par ces lecteurs s’est donc effectuée par l’intermédiaire d’une recherche de

logique à l’histoire. Devant le mélange d’éléments n’appartenant pas à la même époque (des

chevaliers et un train), certains ont résolu le problème en établissant que les chevaliers étaient

plutôt des hommes fous, simplets ou extrémistes (profil B). Il n’y avait alors plus de mélange

d’époques : toutes les actions se déroulaient à l’ère moderne.

D’autres ont émis l’hypothèse que les chevaliers étaient des moustiques ou des automobiles

(profil C). Malgré le fait que cette idée soit plutôt farfelue et moins défendable que celle des fous,

ces élèves ont utilisé le même mode de résolution du problème posé par le texte que ceux du

profil B : éliminer le mélange d’époques. Pour ce qui est des adolescents qui ont cru que les

chevaliers étaient frappés par un dragon, puis par un train (profil C), nous ne pouvons pas

déterminer avec certitude si la non-association du dragon et du train les a menés à chercher une

logique à l’histoire ou si cette recherche de la vraisemblance n’a pas plutôt créé (ou contribué à

créer) les problèmes de compréhension. Nous croyons tout de même que cette dernière hypothèse

est la plus plausible. Plus précisément, le vécu de ces élèves (leur bagage de lecteur, mais aussi

leur expérience de vie) (Langlade, 2002) les a possiblement incités à chercher une explication

rationnelle à l’histoire. Par le fait même, ils n’ont pas suspecté que l’auteur puisse attribuer des

caractéristiques d’un dragon à un train. Selon Soussi et al. (2007), saisir l’intention de l’auteur

constitue d’ailleurs une tâche ardue pour les élèves en lecture. Pour expliquer la coexistence d’un

dragon et d’un train dans la même histoire, certains lecteurs du profil C ont opté pour un saut

dans le temps, une ellipse non explicitée par le texte. Selon eux, des milliers d’années se seraient

écoulés entre le début et la fin de l’histoire. Encore une fois, cette conception sous-entend une

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recherche de vraisemblance. Même constat pour l’élève classée dans le profil D, pour qui la

tentative de construire une histoire vraisemblable a semblé générer d’importants problèmes de

compréhension.

La reconnaissance d’une particularité de la nouvelle littéraire lue – dans le cas présent, son

invraisemblance – a donc semblé favoriser la formulation d’une interprétation pertinente. En

effet, tel que mentionné précédemment, le texte soumis aux élèves de l’échantillon, Dragon, est

un texte réticent, voire proliférant, étant donné sa forme particulière et le défi de lecture qu’il

représente (Tauveron, 2001).

5.5 Bilan des éléments qui ont nui à l’interprétation des élèves

À la lumière de notre analyse, nous retenons que certains facteurs semblent avoir desservi les

adolescents lorsque ces derniers devaient formuler des hypothèses interprétatives.

5.5.1 Le format peu conventionnel du texte proposé

Le texte proposé était une nouvelle littéraire, genre qui est généralement enseigné en 4e

secondaire selon la Progression des apprentissages en français, langue d’enseignement (Careau,

Chartrand, Nolin, & Paret, 2011). Puisque les rencontres considérées dans notre collecte de

données ont été réalisées en fin d’année scolaire, une majorité des participants – des élèves de la

3e à la 5

e secondaire – devait connaitre ce genre. Or, la nouvelle proposée revêtait certaines

singularités. La première est le caractère invraisemblable de l’histoire. Plusieurs élèves

s’attendaient à une histoire vraisemblable. Plus encore, ils recherchaient une logique pour

expliquer la situation « impossible » à laquelle ils étaient confrontés – la rencontre entre des

chevaliers et un train. Cette difficulté nous laisse croire à deux possibilités : soit les adolescents

de notre échantillon étaient peu familiers avec les textes invraisemblables, soit ils n’ont tout

simplement pas envisagé cette possibilité pour la nouvelle Dragon.

La deuxième singularité du texte soumis était sa forme. Lorsqu’il est question de nouvelles

littéraires, plusieurs adolescents semblent attendre vers la fin de l’histoire le point de chute. Il

s’agit pour eux de l’aboutissement de la nouvelle. Dans le cas de Dragon, il y avait effectivement

un point de chute, soit la confirmation que le dragon évoqué tout au long du récit était plutôt un

train. Bien que l’auteur multipliait les indices en attribuant au dragon des caractéristiques qui

pourraient également concerner une locomotive, ce n’est qu’à la fin de l’histoire que le train était

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officiellement nommé. Cette confirmation constituait en soit le bouleversement de l’histoire : ce

qui se dessinait comme un récit impliquant un combat entre des chevaliers et un dragon au

Moyen Âge devenait pour plusieurs élèves l’histoire d’un voyage dans le temps par un train qui

se retrouve à la mauvaise époque. Pour comprendre ce point de chute, il fallait retourner relire

des passages du texte afin de repérer les indices disséminés par l’auteur – opération qui

représente une difficulté importante chez plusieurs élèves (Vaubourg, 2007; Sauvaire, 2013).

Sans cette démarche, le lecteur pouvait difficilement comprendre la présence d’un train à la fin de

l’histoire. C’est d’ailleurs pour cette raison que certains élèves qui n’ont pas construit le lien entre

le dragon et le train ont qualifié le texte lu de « nouvelle sans punch ». Au final, nous considérons

donc qu’un des principaux défis soulevés par la lecture de la nouvelle Dragon était de

comprendre que le dragon dont il était question tout au long du récit et le train évoqué à la fin ne

faisaient qu’un.

5.5.2 Les difficultés de compréhension

Pour comprendre le récit dans sa globalité, les lecteurs devaient inférer le lien entre le dragon et

le train en activant des processus d’intégration. Les élèves de notre échantillon qui ne sont pas

parvenus à combiner les indices laissés par l’auteur pour déduire que le dragon est un train

malgré l’aide de l’intervieweur ont éprouvé des difficultés à formuler des interprétations

pertinentes. En effet, les hypothèses interprétatives des adolescents s’appuyaient sur leur

compréhension de l’histoire, c’est-à-dire que la compréhension fournissait aux élèves des bases

qui alimentaient leur interprétation (Falardeau, 2003). Ainsi, les interprétations qui nous ont

semblé farfelues – les chevaliers sont plutôt des moustiques frappés par un train; ils sont des

automobiles happées par un train; ils sont frappés une première fois par un dragon et une

deuxième par un train – allaient de pair avec une compréhension déficitaire du texte. Dans le cas

de la nouvelle Dragon, les interprétations s’inspiraient directement de la compréhension du lien

entre le dragon et le train.

5.5.3 La prise en compte insuffisante des éléments du texte

La difficulté à retourner au texte pour répondre oralement aux questions posées par l’intervieweur

dans la deuxième partie des rencontres a également nui à plusieurs adolescents. Ceux-ci se fiaient

à leurs souvenirs du texte plutôt que de relire certains segments, attitude qui est ressortie de

l’enquête PISA menée en 2000 (OCDE, 2002) comme obstacle potentiel à la lecture. De surcroit,

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100

les deux questions liées au critère interprétation sur lesquelles nous avons concentré notre

analyse étaient complexes. Elles impliquaient une réflexion qui tenait compte du texte dans son

ensemble et une relecture de certains passages. Des lecteurs y ont répondu spontanément, sans

même baisser les yeux vers le texte. D’autres ont tenté d’y répondre en cherchant la clé à un seul

endroit dans le texte, ce qui s’est avéré une stratégie peu féconde (Sauvaire, 2013). D’ailleurs, la

solution n’était pas en un seul point : il fallait combiner des éléments relevés à divers endroits

dans le texte pour comprendre que le dragon était un train, ce qui permettait ensuite de formuler

une interprétation pertinente.

La difficulté à aller au-delà du texte a aussi limité le développement des hypothèses

interprétatives de certains élèves rencontrés. À trop vouloir être fidèles au contenu du texte, ceux-

ci se sont empêchés d’élaborer leur interprétation. Martel (2003) nomme ce type de lecteurs les

« témoins » parce qu’ils s’en tiennent à ce qui est écrit. Ils évitent ainsi le risque de proposer une

hypothèse qui s’écarterait trop du texte, mais ils restreignent leur réflexion en contrepartie. À titre

d’exemple, lorsque les intervieweurs demandaient aux élèves pourquoi le train disparait à tout

jamais à la fin de l’histoire, la réponse ne se trouvait pas directement dans le texte. Il fallait plutôt

lier certains éléments du texte avec ses connaissances sur le monde ou sur les textes pour déduire

que le train retournait dans son époque à l’aide de la magie ou d’un dispositif quelconque.

5.5.4 Le format des entretiens semi-dirigés

Enfin, les adolescents n’étaient pas familiers avec le format des rencontres. Premièrement, ils

étaient seuls avec l’intervieweur plutôt que d’être dans une classe avec leur groupe entier comme

à l’habitude. Deuxièmement, ils n’étaient pas interrogés par leur enseignant de français, mais

plutôt par une figure pratiquement inconnue : l’intervieweur qu’ils avaient rencontré une seule

fois en début d’année pour la première phase de la recherche (les prétests). Troisièmement, ils

devaient verbaliser tout ce à quoi ils pensaient pendant qu’ils lisaient, procédure qui n’était pas

coutumière pour eux. De surcroit, puisque le texte à lire était difficile, les participants ont

employé une proportion importante de leurs ressources cognitives pour le lire et le comprendre,

ce qui a limité leurs verbalisations (Hilden & Pressley, 2011). Celles-ci ont également été

restreintes parce que les processus qui sont automatisés échappent au contrôle attentionnel des

lecteurs (Goigoux, 2000). Quatrièmement, les élèves devaient répondre aux questions oralement

alors qu’ils sont plutôt entrainés à répondre à l’écrit. Cinquièmement, le travail sur le texte

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101

Dragon – la lecture et les réponses aux questions – ne comptait pas au bulletin : les élèves

rencontrés savaient très bien qu’ils participaient à un projet de recherche et non à un examen

sommatif. Leur motivation n’était donc peut-être pas élevée à son maximum, bien qu’il s’agisse

d’une hypothèse que nous ne pouvons vérifier. Enfin, le temps de chaque rencontre était limité,

ce qui a pu empêcher les intervieweurs de relancer les élèves qui répondaient trop brièvement à

certaines questions.

Tout compte fait, le format des rencontres, qui ne correspondait pas au fonctionnement quotidien

des adolescents, a pu engendrer des comportements de lecteurs non représentatifs de ceux qui

auraient normalement été observés dans un contexte naturel (Goigoux, Jarlégan, & Piquée, 2015).

Par exemple, certains adolescents qui auraient annoté et relu le texte en situation d’examen – de

leur propre aveu – ne l’ont pas fait dans le cas présent. Plus encore, la méthode de la pensée à

voix haute a généré une surcharge cognitive chez plusieurs élèves. Le fait de ne pas avoir à

verbaliser ses pensées pendant la lecture aurait possiblement aidé certains lecteurs à garder le cap

et à comprendre l’histoire. Ce constat coïncide avec les limites de la méthode de la pensée à voix

haute relevées par Jääskeläinen (2010).

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102

Conclusion

Notre recherche a été menée dans un souci de mieux comprendre la manière dont procèdent les

élèves du deuxième cycle du secondaire pour interpréter des textes, et ce, autant pour ceux qui

éprouvent des difficultés que pour ceux qui connaissent du succès. Nous croyons que notre

analyse des difficultés spécifiques rencontrées par les lecteurs qui se collent trop au texte ou, à

l’opposé, par ceux qui s’en éloignent trop aura permis un accès privilégié aux processus, qui sont

souvent difficiles à inférer des réponses aux questionnaires en lecture. En effet, si les enseignants

sont en mesure d’indiquer aux élèves les éléments manquants ou erronés dans leurs réponses, ils

ne peuvent souvent pas confirmer d’où émergent les problèmes de lecture. Comment l’élève s’y

est-il pris pour remédier aux bris de compréhension qui sont survenus lors de sa lecture du texte?

A-t-il établi des liens entre différentes informations du texte pour tirer ses conclusions? A-t-il

puisé dans ses connaissances personnelles pour construire son interprétation? Après avoir collecté

nos données grâce à la méthode de la pensée à voix haute et à l’entretien semi-dirigé, nous les

avons analysées par l’intermédiaire de l’analyse de contenu. Nos résultats se déclinent en trois

grands constats :

1) l’appui sur un maximum d’indices du texte et le recours à des connaissances personnelles

pertinentes sont des facteurs qui ont favorisé la formulation d’interprétations plausibles

tandis que le fait d’ignorer certains passages du texte ou d’extrapoler en s’inspirant

d’éléments du texte a semblé nuire à la formulation d’interprétations plausibles;

2) de manière générale, les élèves qui ont formulé les interprétations les plus plausibles

avaient un degré élevé de compréhension globale, tandis que ceux qui ont proposé des

interprétations plus ou moins plausibles ne semblaient pas avoir compris les enjeux

centraux de l’histoire;

3) la méconnaissance du genre de texte a entravé la compréhension et l’interprétation.

Nous retenons de ces résultats que l’appui sur des éléments du texte pour comprendre et

interpréter ne semble pas être une stratégie maitrisée ou, du moins, verbalisée par tous les lecteurs

adolescents. Pendant la lecture de Dragon, au fur et à mesure que les indices s’accumulaient,

certains élèves avaient tendance à remettre en question leur représentation initiale de l’histoire et

à retourner dans le texte pour aller relire des segments. D’autres élèves, par contre, effectuaient

une lecture plutôt linéaire sans se permettre de va-et-vient entre le début, le milieu et la fin de

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l’histoire. Nous constatons les mêmes comportements pour les réponses aux questions

d’interprétation. Si des participants sont retournés au texte pour y chercher des pistes de solution,

d’autres se sont fiés essentiellement à leurs souvenirs de lecture. Le recours à des connaissances

personnelles pertinentes pour interpréter ne semble pas non plus être une stratégie acquise par

tous. Des participants se sont permis de construire un pont entre des éléments du texte et des

connaissances qu’ils considéraient comme aidantes pour enrichir leur interprétation et pour

visualiser l’histoire. Toutefois, d’autres n’ont pas osé s’éloigner du texte. Ils ont plutôt cherché à

s’y coller au maximum, comme si toute forme d’explication prise à l’extérieur du texte était une

dérogation au point de vue de l’auteur.

Ces constats rappellent l’importance d’enseigner aux élèves la manière de procéder pour

répondre à des questions d’interprétation. S’ils comprennent qu’interpréter peut impliquer la

liaison de divers indices du texte entre eux ou la liaison d’indices du texte avec des connaissances

prises hors du texte, peut-être auront-ils moins tendance à chercher une réponse explicite en un

seul point. À l’autre extrême, le maitre doit éviter de définir les questions d’interprétation à ses

groupes comme des questions dont les réponses ne se trouvent pas dans le texte. Souvent, le texte

suggère implicitement des pistes. Interpréter ne signifie donc pas inventer de toute pièce. Les

constats de notre étude soulèvent également la pertinence du travail en classe de français sur des

textes résistants. Ceux-ci présentent un défi de lecture qui permettra un enseignement de

stratégies en contexte. Et plus les contextes de lecture seront diversifiés, plus les élèves élargiront

leur expérience de lecture et leurs connaissances sur les textes. L’exploration de différents genres

de textes contribuera ainsi au développement de la compétence à lire.

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104

Annexe A: Texte Le Dragon

LE DRAGON

Ray Bradbury

Le vent de la nuit faisait frémir l’herbe rase de la lande; rien d’autre ne bougeait. Depuis des

siècles, aucun oiseau n’avait rayé de son vol la voûte immense et sombre du ciel. Il y avait une 5

éternité que quelques rares pierres n’avaient, en s’effritant et en tombant en poussière, créé un

semblant de vie. La nuit régnait en maîtresse sur les pensées des deux hommes accroupis auprès

de leur feu solitaire. L’obscurité, lourde de menaces, s’insinuait dans leurs veines et accélérait leur

pouls. Les flammes dansaient sur leurs visages farouches, faisant jaillir au fond de leurs prunelles

sombres des éclairs orangés. Immobiles, effrayés, ils écoutaient leur respiration contenue, 10

mutuellement fascinés par le battement nerveux de leurs paupières. À la fin, l’un d’eux attisa le

feu avec son épée.

« Arrête! Idiot, tu vas révéler notre présence!

- Qu’est-ce que ça peut faire? Le dragon la sentira de toute façon à des kilomètres à la ronde.

Grands dieux! Quel froid! Si seulement j’étais resté au château! 15

- Ce n’est pas le sommeil : c’est le froid de la mort. N’oublie pas que nous sommes là

pour…

- Mais pourquoi nous? Le dragon n’a jamais mis le pied dans notre ville!

- Tu sais bien qu’il dévore les voyageurs solitaires se rendant de notre ville à la ville

voisine… 20

- Qu’il les dévore en paix! Et nous, retournons d’où nous venons!

- Tais-toi! Écoute… » Les deux hommes frissonnèrent.

Ils prêtèrent l’oreille un long moment. En vain. Seul, le tintement des boucles des étriers

d’argent agitées, telles des piécettes de tambourin, par le tremblement convulsif de leurs montures

à la robe noire et soyeuse, trouait le silence. Le second chevalier se mit à se lamenter. 25

« Oh! Quel pays de cauchemar! Tout peut arriver ici! Les choses les plus horribles… Cette

nuit ne finira-t-elle donc jamais? Et ce dragon! On dit que ses yeux sont deux braises ardentes, son

souffle, une fumée blanche et que, tel un trait de feu, il fonce à travers la campagne, dans un fracas

de tonnerre, un ouragan d’étincelles, enflammant l’herbe des champs. À sa vue, pris de panique,

les moutons s’enfuient et périssent piétinés, les femmes accouchent de monstres. Les murs des 30

donjons s’écroulent à son passage. Au lever du jour, on découvre ses malheureuses victimes

éparses sur les collines. Combien de chevaliers, je te le demande, sont partis combattre ce monstre

et ne sont jamais revenus? Comme nous, d’ailleurs…

- Assez! Tais-toi!

- Je ne le dirai jamais assez! Perdu dans cette nuit, je suis même incapable de dire en quelle 35

année nous sommes!

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- Neuf cents ans se sont écoulés depuis la Nativité37

- Ce n’est pas vrai, murmura le second chevalier en fermant les yeux. Sur cette terre ingrate,

le Temps n’existe pas. […] Que Dieu nous protège!

- Si tu as si peur que ça, mets ton armure! 40

- À quoi me servirait-elle? Le dragon surgit d’on ne sait où. Nous ignorons où se trouve son

repaire. Il disparaît comme il est venu. Nous ne pouvons deviner où il se rend. Eh bien, soit!

Revêtons nos armures. Au moins nous mourrons dans nos vêtements de parade. »

Le second chevalier n’avait pas fini d’endosser son pourpoint d’argent qu’il s’interrompit et

détourna la tête. […] 45

« Là! chuchota le premier chevalier. Regarde! Oh! Mon Dieu! »

À plusieurs lieues de là, se précipitant vers eux dans un rugissement grandiose et monotone :

le dragon. Sans dire un mot, les deux chevaliers ajustèrent leurs armures et enfourchèrent leurs

montures. Au fur et à mesure qu’il se rapprochait, sa monstrueuse exubérance déchirait en

lambeaux le manteau de la nuit. Son œil jaune et fixe, dont l’éclat s’accentuait quand il accélérait 50

son allure pour grimper une pente, faisait surgir brusquement une colline de l’ombre puis

disparaissait au fond de quelque vallée. La masse sombre de son corps, tantôt distincte, tantôt

cachée derrière quelque repli, épousait tous les accidents de terrain.

« Dépêchons-nous! »

Ils éperonnèrent leurs chevaux et s’élancèrent en direction d’un vallon voisin. 55

« Il va passer par là! »

De leur poing ganté de fer, ils saisirent leurs lances et rabattirent les visières sur les yeux de

leurs chevaux.

« Seigneur!

- Invoquons Son nom et Son secours! » 60

À cet instant, le dragon contourna la colline. Son œil, sans paupière, couleur d’ambre clair,

les aborda, embrasa leurs armures de lueurs rouges et sinistres. Dans un horrible gémissement, à

une vitesse effrayante, il fondit sur eux.

« Seigneur! Ayez pitié de nous! »

La lance frappa un peu au-dessous de l’œil jaune et fixe. Elle rebondit et l’homme vola dans 65

les airs. Le dragon chargea, désarçonna le cavalier, le projeta à terre, lui passa sur le corps,

l’écrabouilla. Quant au second cheval et à son cavalier, le choc fut d’une violence telle, qu’ils

rebondirent à trente mètres de là et allèrent s’écraser contre un rocher. Dans un hurlement aigu,

des gerbes d’étincelles roses, jaunes et orange, un aveuglant panache de fumée blanche, le dragon

était passé… 70

« Tu as vu? cria une voix. Je te l’avais dit!

- Ça alors! Un chevalier en armure! Nom de tous les tonnerres! Mais c’est que nous l’avons

touché!

- Tu t’arrêtes?

37 Naissance du Christ.

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- Un jour, je me suis arrêté et je n’ai rien vu. Je n’aime pas stopper dans cette lande. J’ai les 75

foies38

.

- Pourtant nous avons touché quelque chose…

- Mon vieux, j’ai appuyé à fond sur le sifflet. Pour un empire, le gars n’aurait pas reculé… »

La vapeur, qui s’échappait par petits jets, coupait le brouillard en deux.

« Faut arriver à l’heure. Fred! Du charbon! » 80

Un second coup de sifflet ébranla le ciel vide. Le train de nuit, dans un grondement sourd,

s’enfonça dans une gorge, gravit une montée et disparut bientôt en direction du nord. Il laissait

derrière lui une fumée si épaisse qu’elle stagnait dans l’air froid des minutes après qu’il fut passé

et eut disparu à tout jamais.

38 J’ai peur.

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Annexe B: Schéma d’entretien

COMPRÉHENSION

1. Résume l’histoire dans tes mots.

2. Au début de l’histoire (lignes 1 à 44), qui sont les personnages qui parlent

entre eux, que font-ils et à quelle époque sont-ils? Comment le sais-tu?

3. À la fin de l’histoire (lignes 71 à 84), qui sont les personnages qui parlent entre

eux, que font-ils et à quelle époque sont-ils? Comment le sais-tu?

COMPRÉHENSION ET INTERPRÉTATION

4. Aux lignes 46 à 53, à quoi correspond la description? (S’agit-il d’un train ou

d’un dragon?)

*Pourquoi le narrateur dit-il explicitement qu’il s’agit d’un dragon (l. 48)?

5. Aux lignes 61 à 63, à quoi correspond la description? (S’agit-il d’un train ou

d’un dragon?)

*Pourquoi le narrateur dit-il explicitement qu’il s’agit d’un dragon (l. 61)?

6. Aux lignes 65 à 70, que se passe-t-il? (Est-ce que les chevaliers ont vraiment été

écrasés par un dragon?)

*Pourquoi le narrateur évoque-t-il encore le fait qu’il s’agisse d’un dragon?

7. À la ligne 81, pourquoi est-il maintenant question d’un train? Où est passé le

dragon? (Pourquoi le narrateur n’en parle-t-il plus?)

8. Au début de l’histoire (lignes 4 à 12), quelle est l’ambiance créée par l’auteur?

Pourquoi?

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9. Relis la dernière phrase du texte. Pourquoi l’auteur écrit-il que le train eut

disparu à tout jamais?

10. Relis les lignes 37 à 39. Pourquoi l’auteur écrit-il que le Temps n’existe pas?

11. À ton avis, pourquoi l’auteur a-t-il choisi Le Dragon comme titre à son histoire?

12. Maintenant que nous avons relu certains passages, crois-tu qu’il existe

différentes façons de comprendre et d’interpréter l’histoire? Si oui, quelles

sont-elles? Appuie chacune de tes hypothèses par des indices. (Crois-tu que

l’histoire est celle d’un train à l’époque des chevaliers ou celle de chevaliers à

l’époque des trains? Pourquoi?)

13. Trouves-tu l’histoire vraisemblable? Pourquoi? (Quels sont les éléments que tu

trouves vraisemblables? Et quels sont ceux que tu trouves invraisemblables?)

RÉACTION

14. As-tu trouvé l’histoire difficile à comprendre? Pourquoi?

15. Quelle est la stratégie qui t’a le plus aidé à comprendre l’histoire? Pourquoi?

16. As-tu aimé l’histoire? Pourquoi?

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109

Annexe C: Résumé des réponses des élèves aux deux questions d’interprétation

analysées

Numéro de

l’élève39

et

prénom

Profil

d’interprète

Résumé de la réponse

à la question

Pourquoi un

personnage dit-il à

l’autre que le temps

n’existe pas?

Résumé de la réponse à

la question À la fin de

l’histoire, pourquoi dit-

on que le train disparait

à tout jamais?

Appui de

l’interprétation

sur des

éléments du

texte ou sur

des

connaissances

personnelles

pertinentes?

1

Cathy A

— C’est peut-être un

rêve.

— Il n’y a pas de

temps, c’est comme un

monde parallèle40

.

Ne sait pas. Oui

2

Marc-

Olivier

A et B

Le texte est imaginatif,

le terrain dont il est

question dans le texte

n’existe pas et tout

peut arriver.

Il y a trop de morts à

cause du train et c’est

trop dangereux (réponse

confuse).

Oui pour A41

3

Maxime A

L’auteur a ajouté le

train à son histoire, ce

n’est pas une histoire

vraie. Il y a des

mélanges de plein

d’objets et de plein

d’époques (on ajoute

un train à une histoire

C’est peut-être un train

de marchandises. Oui

39 Les cinq numéros manquants correspondent aux participants qui n’ont pas participé au posttest, mais qui

avaient participé au prétest de l’étude menée par Monsieur Érick Falardeau. 40 Les réponses d’élèves soulignées sont celles qui, selon nous, témoignent d’un appui sur des éléments du

texte ou sur des connaissances personnelles pertinentes. Tous les élèves qui ont au moins un segment de

réponse de souligné ont donc un oui d’inscrit à la dernière colonne : Appui de l’interprétation sur des

éléments du texte ou sur des connaissances personnelles pertinentes ? 41 Certains élèves, bien qu’ils aient retenu deux interprétations au terme de leur rencontre avec l’intervieweur,

ont seulement appuyé l’une d’elles sur des éléments du texte ou sur des connaissances personnelles

pertinentes selon notre analyse des réponses aux deux questions d’interprétation.

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110

qui se déroule au

Moyen Âge).

4

Shela B Ne sait pas. Ne sait pas. Non

5

Marc-

Étienne

C QNP42

QNP N/A

6

Camille B QNP QNP N/A

7

Mathieu-A A et B QNP QNP N/A

8

Bianca B QNP QNP N/A

9

10

Mathieu-C A

Le personnage se fout

du temps parce que

quelque chose

d’incroyable survient :

il arrive un dragon.

Un train a voyagé dans le

temps (il est retourné

dans le passé) à l’aide

d’un « truc

ultradimensionnel », il a

frappé deux chevaliers et

il est ensuite retourné

dans son époque.

Oui

11

Louis-

Philippe

B

— Le train est au pôle

Nord et aux pôles, il y

a des périodes de six

mois sans lumière qui

empêchent les

personnages de

s’orienter dans le

Le train est rentré dans le

tunnel et on ne le voyait

plus. Les chevaliers ne

l’ont plus jamais revu.

Non

42 QNP signifie question non posée. Lorsqu’aucune des deux questions d’interprétation liées aux passages

clés du texte n’a été posée à un élève, nous avons choisi de ne pas nous prononcer par rapport à son appui sur

le texte ou sur des connaissances personnelles pertinentes pour interpréter. En réponse à la question située à la

dernière colonne du tableau, nous avons donc inscrit N/A pour non applicable.

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111

temps.

— Les personnages

sont perdus, ont perdu

leur montre ou leur

cadran solaire.

12

13

Kristofer A

À l’endroit où les

personnages sont, on

peut être à n’importe

quelle époque et il

peut arriver n’importe

quoi.

L’auteur a croisé les

mondes. Le train a écrasé

les chevaliers et est

retourné dans son monde

(dans son époque).

Oui

14

Emma C

— C’est peut-être une

métaphore.

— C’est normal que

tout se mélange.

C’est le train qui n’était

pas à la bonne époque. Il

était de passage à

l’époque des chevaliers et

il est disparu.

Oui

15

Frédérique B

— Les personnages

méprisent la vie et le

fait d’exister. Ils ne

profitent pas du temps.

— C’est une

personnification pour

travailler avec poésie.

— C’est une manière

pour le personnage de

dire que la vie n’en

vaut pas la peine et

que l’humanité le

dégoute.

— Puisque les

conducteurs de train ont

fauché deux personnes,

ils ne veulent plus

occuper leur emploi ou

ils ne veulent plus

repasser à l’endroit où

l’incident s’est produit,

soit parce que cet

évènement a été

marquant dans leur vie,

soit parce qu’il y a eu

plusieurs accidents à cet

endroit.

— C’est peut-être une

manière cool de finir le

texte.

Oui

16

Jérémy A et B

— C’est peut-être en

lien avec l’élément

fantastique parce que

normalement, le temps

— Le train a peut-être

déraillé et il s’est écrasé

dans une falaise.

— Il n’est peut-être

Oui pour A

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112

existe.

— C’est contradictoire

à « 900 ans se sont

écoulés depuis la

Nativité ».

simplement pas revenu.

— Puisque les chevaliers

sont morts, ils ne l’ont

pas revu.

17

Florence A QNP

— Le train allait quelque

part.

— Ne sait pas.

Non43

18

Samuel-A A

Les deux époques

peuvent coexister sans

pour autant avoir de

rapport.

Le train est entré dans la

montagne et il n’en est

jamais ressorti. Il est

peut-être resté pris.

Oui

19

Mathias A et B

Dans la vallée, tout est

mort. Il n’y a rien, il

n’y a aucune activité.

Ne sait pas. Non

20

Érika-A A

C’est ce qui fait en

sorte que le train part.

Le train ne repassera pas,

il s’en va. Non

21

Anthony A QNP QNP N/A

22

Érika-B A QNP QNP N/A

23

Kimberly B QNP QNP N/A

24

Olivier-A A QNP QNP N/A

25

Simon A

C’est annonciateur du

fait que les chevaliers

et les conducteurs de

Le train n’a pas d’affaire

là où il est. Ce n’est pas

son temps, ce n’est pas la

Oui

43 Puisqu’une seule des deux questions d’interprétation a été posée par l’intervieweur à cet élève, nous avons

considéré la réponse de ce dernier à la question comme seule référence pour déterminer s’il s’appuyait sur le

texte ou sur des connaissances personnelles pertinentes pour interpréter.

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113

train vont se

rencontrer même s’ils

n’appartiennent pas à

la même époque.

bonne époque. Deux

époques distinctes se

rencontrent et le train

retourne à son époque

parce qu’il n’est pas dans

la bonne période de

temps.

26

Olivier-B A et B

Le temps n’existe pas

signifie que l’histoire

se déroule plus près de

notre époque que de

l’an 900.

Il y a peut-être un lien à

faire avec [le train]

fondit sur eux, qui

voudrait dire que le train

disparait sur les

personnages.

Non

27

Pier-

Olivier

C

L’histoire se déroule à

l’époque des trains à

vapeur et les

chevaliers sont

« passés date ».

Le train a tué les deux

chevaliers et il s’en allait

en direction du nord.

Non

28

Amélie A

Si le Temps n’existe

pas, les personnages

ne sont pas

nécessairement en

900. S’il n’y a pas de

spécification du temps

auquel sont les

personnages, le train

pourrait exister parce

que les personnages

peuvent être n’importe

quand.

Le train n’existe pas en

900, il n’a pas encore été

inventé. Il disparait pour

qu’on puisse le

reconstruire en 1900!

Oui

29

Alaa A et B

Le personnage est

désaxé.

Le train ne reviendra pas

parce qu’il vient de tuer

deux personnes.

Oui pour B

30

Geneviève B

Les personnages ne se

sont pas rendu compte

à quel point le temps

passe vite.

— Peut-être qu’il

disparait à Poudlard!

— Ne sait pas.

Non

31

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114

32

Catherine D

— Peut-être que les

personnages se

demandaient s’ils

devaient aller

rencontrer le dragon

ou pas.

— Peut-être que les

chevaliers avaient

peur, mais qu’il y en

avait un, plus

courageux que l’autre,

qui disait qu’ils

pouvaient prendre le

temps qu’il faut pour

aller rencontrer le

dragon.

Pour ne pas avoir à

retourner dans la ville où

il y a le monstre.

Non

33

Noémie A QNP QNP Non

44

34

Jean-

Sébastien

C

C’est une prière que

les chevaliers font

avant les combats. Elle

se termine par Que

Dieu nous protège.

Ne sait pas. Un train ne

disparait pas à tout

jamais.

Non

35

Gabrielle A

Les personnages sont

seuls et perdus depuis

longtemps, donc ils ne

savent plus où ils sont.

Le train arrive du futur,

puis retourne dans son

époque.

Oui

36

37

Roxanne A

— Puisque c’est une

histoire, il n’y a pas

besoin d’avoir de

temps.

Le train n’a pas d’affaire

là, il n’est pas à la bonne

époque.

Oui

44 Les deux questions d’interprétation utilisées pour notre analyse n’ont pas été posées à cette élève parce

qu’elle éprouvait des difficultés majeures de compréhension, à un point tel qu’elle ne formulait pratiquement

pas d’hypothèses interprétatives. Nous posons l’hypothèse qu’elle ne s’appuyait pas sur le texte.

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115

— C’est une

métaphore qui signifie

que la terre est sans

pitié.

— Le temps n’existait

pas pour les

personnages.

38

Laurence A

Les personnages n’ont

pas de montre et ne

peuvent pas savoir

l’heure qu’il est. Le

soleil est le seul repère

qu’ils pourraient avoir,

mais pas la nuit.

Le train retourne à son

époque. Oui

39

Guillaume A

Il y a des personnages

qui viennent du futur

et d’autres du passé. À

la fin de l’histoire, on

ne précise pas le temps

parce qu’on peut

autant être dans le

futur que dans le

passé.

Ne sait pas. Le train ne

reviendra pas. Oui

40

41

Hubert A

Le train a dû changer

de place ou de temps.

Le train est à la mauvaise

époque et les chevaliers

croient que c’est un

dragon parce qu’ils n’ont

jamais vu de train. C’est

un voyage dans le temps.

Oui

42

Marc-

André

A

— Le Temps n’existe

pas est contradictoire à

900 ans se sont

écoulés depuis la

Nativité.

— Finalement, le train

n’est peut-être pas un

anachronisme.

Ne sait pas. S’il n’y a pas

de rail, le train risque de

renverser et tomber et s’il

y a un rail, le train

pourrait accrocher une

roche et dérailler.

Oui

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116

43

Philippe A

S’il y a un endroit où

il n’y a pas de temps,

c’est un endroit parfait

pour faire des voyages

dans le temps. À cet

endroit, il serait plus

facile d’ouvrir un

portail qui envoie les

gens du passé dans le

futur.

Si un train qui est allé

dans le passé veut

retourner dans le futur, il

atteint la vitesse

souhaitée et un portail

s’ouvre. Il s’engouffre

dans ce portail et ne sera

pas là à nouveau parce

qu’il retourne à l’année

de laquelle il est arrivé.

Oui

44

Rosalie A

— Les chevaliers sont

perdus à l’époque des

trains.

— Tout s’est mélangé,

donc les trains

pourraient être là.

Le train est parti et il ne

repassera pas sur la route.

Il ne reviendra plus.

Oui

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