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Livre blanc LA LOI RELATIVE AU DIALOGUE SOCIAL

Livre blanc - Code civil, Code du travail, tous les livres ... · Décret no 2015-773 du 29 juin 2015 portant création d'une aide en faveur des très petites entreprises embauchant

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Livre blanc

LA LOI RELATIVE AU DIALOGUE SOCIAL

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Propos introductifs

La loi n° 2015-994 du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l’emploi dite « Rebsamen » réforme en profondeur le droit de la négociation collective. Rénover et simplifier le dialogue social au sein de l’entreprise, mais aussi favoriser l’emploi et améliorer la prise en compte de la santé au travail, tel sont les objectifs annoncés du texte. L’essentiel de la réforme se concentre ainsi sur l’architecture même des institutions représentatives du personnel dans l’entreprise. Mais la loi du 17 août 2015 accorde également des nouveaux droits aux représentants des salariés, crée le compte personnel d’activité, instaure une prime d’activité, sécurise l’assurance-chômage des intermittents du spectacle, contient plusieurs mesures en matière de santé au travail et apporte de nombreuses retouches au contrat de travail. Une partie de cette panoplie de mesures est directement applicable mais d’autres sont en attente de décrets qui devraient tous être publiés avant le 1er janvier 2016. Nos publications ont depuis relayé nombre d’analyses, de chroniques, d’études, de points de vue sur l’ensemble des thèmes traités par la loi relative au dialogue social et à l’emploi. Ce livre blanc – sans prétendre aucunement à l’exhaustivité – illustre cette variété et permet d’apporter les premiers éclairages sur une loi dont l’efficacité, au regard de la logique de simplification et de rationalisation annoncée, appelle pour l’instant une réponse nuancée.

Caroline Dechristé Responsable du département

Droit social des Éditions Dalloz

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SOMMAIRE

Propos introductifs

1. Panorama sur la loi relative au dialogue social, Caroline Dechristé, RDT sept. 2015, p. 492

I. DIALOGUE SOCIAL – OBJET ET MOYEN DE LA REFORME

2. Commentaire du Mégacode du travail sur la délégation unique du personnel, article L. 2326-1 du code du travail

3. La réforme du dialogue social : une loi en manque d’inspiration, Cécile Nicod, RDT sept. 2015, p. 549

II. PRIME D’ACTIVITÉ

4. Pauvreté laborieuse : la prime d'activité, une bonne réponse ?, Christophe Willmann, Droit social 2015, p. 903

III. ASSURANCE CHOMAGE DES INTERMITTENTS DU SPECTACLE

5. Le régime d'assurance chômage des intermittents du spectacle, Dirk Baugard, Droit social 2015, p. 915

Publication : xx novembre 2015

© Éditions Dalloz 2015

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PANORAMA SUR LA LOI RELATIVE AU DIALOGUE SOCIAL par Caroline Dechristé, Responsable du département Droit social des Éditions Dalloz

Article paru dans la rubrique Actualités de la Revue de Droit du Travail, n° 9/2015

© Éditions Dalloz 2015

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La loi relative au dialogue social et à l’emploi dite« Rebsamen » a été publiée le 18 août après vali-dation par le Conseil constitutionnel, seul l’article 45sur la collecte de la participation des employeursà l’effort de construction ayant été retoqué.L’objectif principal et annoncé de la réforme étaitla modernisation et le renforcement du dialoguesocial, aussi l’essentiel de la réforme se rap-porte à l’architecture même des institutionsreprésentatives du personnel dans l’entreprise.Sur le dialogue social-objet et moyen de laréforme Rebsamen, et notamment sur :• le regroupement des IRP ;• l’extension de la délégation unique du personnel;• l’articulation des attributions des IRP dans lesentreprises complexes ;• la rationalisation des objets de consultation etde négociation ;• la détermination des acteurs dérogatoires dela négociation.V. l’article de Cécile Nicod dans ce numéro,p. 549.

Outre la structure même des IRP, la loi du17 août 2015 accorde des nouveaux droits auxreprésentants des salariés, crée le compte per-sonnel d’activité, instaure une prime d’activité,sécurise l’assurance-chômage des intermittentsdu spectacle, contient plusieurs mesures enmatière de santé au travail et apporte de nom-breuses retouches au contrat de travail.

â Mesures destinées à favoriserl’exercice des mandats électifs ousyndicauxLes parcours professionnels des élus et des titu-laires d’un mandat syndical sont valorisés. Unmécanisme de progression salariale garantie estainsi instauré. Tout salarié dont les heures de délé-gation dépassent 30 % de son temps de travaildoit bénéficier, au cours de son mandat électifou syndical, d’une augmentation au moins égaleà la moyenne des augmentations individuellesperçues pendant cette période par des salariésrelevant de la même catégorie professionnelle etdont l’ancienneté est comparable.Par ailleurs, au début de son mandat, le repré-sentant du personnel titulaire d’un mandat élec-tif ou syndical pourra demander un entretienindividuel avec son employeur sur les modalités

pratiques d’exercice de son mandat dans l’en-treprise au regard de son emploi. Un dispositif de reconnaissance des compé-tences acquises est également mis en place, quipermettra aux salariés visés d’obtenir des dis-penses, dans le cadre, notamment d’une VAE.En outre, Le texte comporte l’obligation d’unereprésentation équilibrée des femmes et deshommes sur les listes aux élections profession-nelles, et obligation que les femmes soient pla-cées en position éligible pour aller vers la paritédans les institutions représentatives du person-nel. Si les listes de candidats ne respectent pasla part d’hommes et de femmes, le juge d’ins-tance pourra annuler l’élection du candidat dusexe surreprésenté.Enfin, la représentation obligatoire des salariésaux conseils d’administration est étendue auxsociétés anonymes employant, avec leursfiliales, au moins 1000 salariés (au lieu de 5000)lorsque les sièges sociaux sont en France ou aumoins 5000 salariés (au lieu de 10000) lorsqu’ilssont en France ou l’étranger. En outre, les socié-tés anonymes sans comité d’entreprise (sontvisées les holdings employant directementmoins de 50 salariés) seraient aussi concernées.Les administrateurs salariés devraient être aumoins deux et satisfaire à l’obligation de repré-sentation équilibrée des femmes et deshommes. Un mécanisme de mise en applicationdifférée de ce nouveau régime est mis en place.

â Création du compte personneld’activitéÀ compter du 1er janvier 2017, un compte per-sonnel d’activité sera mis en place après uneconcertation et, éventuellement, une négocia-tion. Ce compte personnel aurait vocation à ras-sembler les droits sociaux personnels utilespour sécuriser le parcours professionnel dechaque salarié, à savoir : le compte personnel deformation, le compte épargne-temps, lamutuelle, les droits rechargeables à l’assurancechômage et le compte pénibilité qui permet deprendre en compte les situations de travail péni-bilité pour l'alimentation d'un compte permet-tant notamment de partir à la retraite plus tôt.L'objectif du compte est de rendre ces droitsplus lisibles, de consolider la logique des droitsindividuels portables.

Loi relative au dialogue social et à l’emploi

492 I Septembre 2015 - Revue de Droit du Travail

ACTUALITÉS492

Aide à l’embaucheDécret no 2015-806 du 3 juillet 2015 instituantune aide à l'embauche d'un premier salarié,JO 5 juillet.

ApprentissageDécret no 2015-773 du 29 juin 2015 portantcréation d'une aide en faveur des très petitesentreprises embauchant des jeunes apprentis,JO 30 juin.

Contrat de professionnalisationDécret no 2015-1093 du 28 août 2015 relatifaux modalités de dépôt du contrat de profes-sionnalisation, JO 30 août.

Croissance et activitéLoi no 2015-990 du 6 août 2015 pour la crois-sance, l'activité et l'égalité des chances éco-nomiques, Loi no 2015-994 du 17 août 2015relative au dialogue social et à l'emploi, JO18 août. – V. ci-contre.

Dialogue socialLoi no 2015-994 du 17 août 2015 relative audialogue social et à l'emploi, JO 18 août. –V. ci-contre.

Groupement d’employeursDécret no 2015-998 du 17 août 2015 relatifaux groupements d'employeurs pour l'insertionet la qualification, JO 18 août.

Indemnité kilométrique véloLoi no 2015-992 du 17 août 2015 relative à latransition énergétique pour la croissanceverte, JO 18 août. – V. ci-contre

Service public de l’emploiLoi no 2015-991 du 7 août 2015 portant nou-velle organisation territoriale de la Répu-blique, JO 8 août. – V. ci-contre.

Au Journal officiel

Rubrique rédigée par Caroline Dechristé, Alain Moulinier et Anne-Catherine Créplet

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Septembre 2015 - Revue de Droit du Travail I 493

ACTUALITÉSA

C

â Création de la prime d’activité

Parmi les mesures phares de la loi « Rebsamen » figure la suppressionde la prime pour l'emploi et du RSA activité à la faveur d'un nouveau sys-tème d'aide, la « prime d'activité ». Elle sera distribuée à partir de 2016aux personnes aux ressources modestes. La prime d'activité résulte de lafusion de la Prime pour l'emploi (PPE) et du RSA activité (Revenu de soli-darité active). Selon le gouvernement, plus de 5 millions d'actifs devraienty être éligibles. Les jeunes de 18 à 25 ans vont pouvoir la percevoir alorsque ce n'était pas le cas du RSA activité, réservé aux plus de 25 ans. Laprime d'activité sera réservée aux personnes majeures résidant en Franceet qui occupent un emploi salarié. De ce fait, les élèves, étudiants, sta-giaires ou apprentis sont exclus du dispositif, sauf exception. Le barèmede la prime d'activité sera prochainement défini par décret, mais la loi pré-cise d'ores et déjà que son montant sera égal à la différence entre:• d'une part, un montant forfaitaire dont le niveau variera en fonction dela composition du foyer et du nombre d'enfants à charge, augmentéd'une fraction des revenus professionnels des membres du foyer. Ce for-fait pourra faire l'objet de bonifications, ainsi que d'une majoration, pen-dant une durée déterminée par décret, pour les personnes isoléesenceintes ou assumant la charge d'un ou plusieurs enfants ;• et, d'autre part, un plafond de ressources du foyer. Les ressourcesprises en compte sont limitativement énumérées par la loi (revenus pro-fessionnels, prestations et aides sociales, etc.).

â Assurance-chômage des intermittents du spectacleLa loi du 17 août 2015 inscrit dans le Code du travail que la spécificitédes métiers du cinéma, de l’audiovisuel et du spectacle vivant, justifiel’existence de règles de l’assurance chômage spécifiques aux intermit-tents du spectacle, annexées au règlement général annexé à la conven-tion d’assurance chômage.En deuxième lieu, si la négociation des règles de l’assurance-chômageincombe aux partenaires sociaux interprofessionnels au sein de l’Unedic,et à eux seuls, la spécificité de l'intermittence doit être appréhendée, lespartenaires sociaux représentatifs de l’ensemble des professions duspectacle seront invités à négocier entre eux ces règles spécifiques. Undocument de cadrage sera envoyé par les partenaires sociaux au niveauinterprofessionnel qui précisera les objectifs de la négociation en termesnotamment de trajectoire financière et de règles transversales d'équitéayant vocation à s'appliquer à tous les demandeurs d'emplois, intermit-tents ou non. Si un accord qui respecte les orientations définies dans ledocument de cadrage est trouvé par les organisations syndicales etpatronales représentatives de l’ensemble du secteur du spectacle, il serarepris dans la convention générale d'assurance chômage. Si ce n’est pasle cas, les partenaires sociaux interprofessionnels fixeront les règlesapplicables aux intermittents du spectacle.Il est précisé que les organisations représentatives des professionnels ducinéma, de l’audiovisuel et du spectacle négocient d’ici le 31 janvier 2016une actualisation de la liste des métiers ouvrant droit au bénéfice des règlesd’assurance chômage propres aux intermittents du spectacle. En l’absenced’actualisation de cette liste dans le délai fixé, il est précisé que les minis-tres en charge de l’emploi et de la culture peuvent procéder à l’actualisa-tion par arrêté conjoint des ministres en charge du travail et de la culture.

â Mesures en matière de santé au travailAfin de reconnaître les troubles et maladies psychiques comme une mala-die professionnelle, il est prévu un dispositif de reconnaissance spécifique.En effet, les troubles psychiques ne sont pour l’instant pas inscrits autableau des maladies professionnelles. Aujourd’hui, c’est le Comité régio-nal de reconnaissance des maladies professionnelle qui reconnait ou non,au cas par cas, la pathologie psychique comme une maladie profession-nelle (CSS, art. L. 461-1). La reconnaissance des pathologies psychiquescomme maladie professionnelle par le système complémentaire est main-tenant inscrite dans la loi. Un décret définira des modalités spécifiques de

traitement de ce type de dossier pour les adapter à leur complexité. Ledébat devrait donc porter sur l’évitement du burnout ou l’amélioration dela détection des personnes à risque dans le monde du travail, et non passur une tentative de définition de ce qu’est le « burnout ».La loi simplifie par ailleurs la mise en place du compte pénibilité dansles entreprises. Désormais, l’exposition des salariés pourra être évaluéeau regard de référentiels définis par accords de branche étendus ouhomologués par arrêté. En pratique, il revient à confier aux branches pro-fessionnelles le soin de déterminer l’exposition des salariés aux facteursde risques à partir de situations types, en faisant référence aux postes,métiers ou situations de travail. Ainsi, l’employeur a seulement à appli-quer le référentiel de branche (C. trav., art. L. 4161-2). Toutefois, à défautde référentiel, l’employeur reste tenu d’évaluer l’exposition des salariéscomme cela était initialement prévu (C. trav., art. D. 4161-1 à D. 4161-4).L’employeur n’a plus à établir ni à transmettre de fiche individuelle de pré-vention des expositions. Il aura simplement à déclarer les expositions au-delà des seuils fixés par décret aux caisses de retraite, via la DADS (àterme, la DSN). De plus, le délai de contrôle des expositions et desdéclarations par les CARSAT passe de 5 à 3 ans. En matière d’inaptitude, la loi facilite la rupture du contrat de travail dusalarié déclaré inapte, à la suite d’un accident du travail ou d’une mala-die professionnelle. L’employeur pourra le licencier dès lors que l’avis dumédecin du travail mentionne expressément que tout maintien du sala-rié dans l’entreprise serait préjudiciable à sa santé et l’employeur n’au-rait alors pas à respecter l’obligation de reclassement.Par ailleurs, la loi prévoit la transmission (et non plus la mise à disposi-tion) des propositions et des préconisations du médecin du travail et laréponse de l’employeur prévues à l’article L. 4624-3 du Code du travailau CHSCT (ou à défaut, aux délégués du personnel) et à l’inspection dutravail. Par ailleurs, l’article L. 4624-1 du Code du travail prévoit que lemédecin du travail est habilité à proposer des mesures individuelles afinde permettre le maintien dans l’emploi du salarié.Et les salariés affectés à des postes présentant des risques particulierspour leur santé ou leur sécurité, celles de leurs collègues ou de tiers etles salariés dont la situation personnelle le justifie bénéficient d’une sur-veillance médicale spécifique. Un décret déterminera les modalitésd’identification des salariés concernés par cette disposition et les moda-lités de leur surveillance médicale.

â Autres mesures de droit du travailDiverses mesures intéressant essentiellement le contrat de travail ontété ajoutées au fil des débats parlementaires.La loi supprime le caractère obligatoire du CV anonyme prévu par la loidu 31 mars 2006, mais qui n’avait jamais été mise en œuvre faute dedécret d’application.La loi du 17 août 2015 autorise désormais un employeur à renouvelerdeux fois le contrat à durée déterminée d'un salarié, mais seuls lescontrats comportant un terme fixé précisément, peuvent faire l'objetd'un tel renouvellement (il ne pouvait le faire qu'une seule fois aupara-vant) et la durée maximale de 18 mois de ces contrats n’est pas modi-fiée. Cette nouveauté est applicable aux contrats en cours.S’agissant des CDI intérimaires, le délai de carence entre deux missionssur un même poste est supprimé, la durée maximale d’une mission d’in-térim est portée de 18 mois à 36 mois et désormais deux renouvelle-ments de missions sont autorisés au lieu d’un seul.Enfin, la notion d'agissement sexiste est définie et le droit de tout indi-vidu d'être protégé d'agissement de cette nature inscrit dans le Code dutravail. Ainsi, nul ne devra subir d’actes définis comme « tout agissementlié au sexe d’une personne, ayant pour objet ou pour effet de porteratteinte à sa dignité ou de créer un environnement intimidant, hostile,dégradant, humiliant ou offensant ».I Loi no 2015-994 du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l’emploi, JO 18 août.

C. D.

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COMMENTAIRE DU MÉGACODE DU TRAVAIL SUR LA DÉLÉGATION UNIQUE DU PERSONNEL, ARTICLE L. 2326-1 DU MÉGACODE DU TRAVAIL par Christophe Radé,

Professeur à l’Université de Bordeaux

et Magali Gadrat, Maître de conférences à l’Université Paris 13

© Éditions Dalloz 2015

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MÉGACODE DU TRAVAIL 2016 CHAPITRE VI DÉLÉGATION UNIQUE DU PERSONNEL

SECTION PREMIÈRE MISE EN PLACE

Art. L. 2326-1 Dans les entreprises de moins de (L. no 2015-994 du 17 août 2015, art. 13-I) «trois cents [ancienne rédaction: deux cents]» salariés, l'employeur peut décider que les délégués du personnel constituent la délégation du personnel au comité d'entreprise (L. no 2015-994 du 17 août 2015, art. 13-I) «et au comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail. Il prend cette décision après avoir consulté les délégués du personnel et, s'ils existent, le comité d'entreprise et le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail.»

La faculté de mettre en place une délégation unique est ouverte lors de la constitution (L. no 2015-994 du 17 août 2015, art. 13-I) «de l'une des institutions mentionnées au premier alinéa ou du renouvellement de l'une d'entre elles.

«La durée du mandat des délégués du personnel, des membres du comité d'entreprise et du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail peut être prorogée ou réduite dans la limite de deux années, de manière à ce que leur échéance coïncide avec la date de mise en place de la délégation unique.

«Lorsque l’employeur met en place une délégation unique du personnel au niveau d’une entreprise comportant plusieurs établissements, une délégation unique du personnel est mise en place au sein de chaque établissement distinct, au sens de l’article L. 2327-1.»

COMMENTAIRE

Mise en œuvre du cadre juridique. Répondant à une demande régulière du patronat de simplification de l'architecture des institutions représentatives du personnel et d'allégement des coûts induits par leur mise en place dans les petites et moyennes entreprises, la loi no 93-1313 du 20 décembre 1993 a créé la délégation unique du personnel (DUP): les délégués du personnel constituant de plein droit la délégation du personnel au comité d'entreprise. Depuis lors, la loi no 2015-994 du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l’emploi a élargi la faculté de mettre en place une DUP aux entreprises de moins de trois cents salariés et intégré le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail au sein de cette instance.

Champ d'application. La faculté de mettre en place une DUP est réservée aux seules entreprises ou UES employant moins de trois cents salariés, à l'exclusion des établissements de moins de trois cents salariés appartenant à une entreprise franchissant ce seuil d'effectif.

Décision unilatérale de l'employeur. La décision de mettre en place la DUP appartient exclusivement à l'employeur qui est seulement tenu de consulter les délégués du personnel et, s'ils existent, le comité d'entreprise et le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail sur ce projet. La mise sous tutelle patronale des modalités de mise en œuvre du droit fondamental des salariés de participer par l'intermédiaire de leurs délégués à la gestion de l'entreprise (Préambule de la Constitution du 27 oct. 1946, al. 8) a fait l'objet d'un recours devant le Conseil constitutionnel en 1993. Celui-ci a déclaré constitutionnel le principe de l'institution de la DUP sur décision unilatérale de l'employeur au motif, d'une part, que le principe de participation implique seulement que ses modalités de mise en œuvre soient déterminées en concertation avec les salariés ou leurs représentants, ce que prévoit la loi du 20 décembre 1993 puisque la mise en place de la DUP est subordonnée à la consultation préalable des représentants élus; et, d'autre part, que cette loi assure le respect de l'ensemble des attributions des délégués du personnel et du comité

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d'entreprise lorsque est instituée une DUP (Cons. const. 16 déc. 1993, no 93-328 DC, Dr. soc. 1994. 139, obs. Prétot ). Après avoir consulté les représentants du personnel sur la mise en place de la DUP et en dépit d'un avis contraire de leur part, l'employeur peut donc décider d'instituer cette délégation unique. Cette décision ne peut être prise qu'au moment de l'institution ou du renouvellement de l’une des instances représentatives du personnel (art. L. 2326-1), les effectifs de l'entreprise étant dans cette hypothèse appréciés au jour du premier tour (V. note 2 ss. art. L. 2326-1). Si nécessaire, la durée du mandat des membres des différentes instances peut être prorogée ou réduite, dans la limite de deux ans, pour que leur échéance coïncide avec la mise en place de la DUP (art. L. 2326-1).

Modalités de mise en place. La décision d'instaurer la DUP relève du seul chef d'entreprise. Cependant, depuis l’entrée en vigueur de la loi no 2015-994 du 17 août 2015, l'organisation de son élection est soumise aux règles définies par le code du travail pour l'élection des membres du comité d'entreprise (art. L. 2326-2), et non plus des délégués du personnel, comme c’était le cas antérieurement (V. note 4 ss. art. L. 2326-1): le personnel sera donc réparti en trois, et non plus deux, collèges électoraux dès lors que les conditions du dernier alinéa de l’article L. 2324-8 du code du travail sont remplies. Aucun des collèges ne pourra être exclusivement composé de salariés non éligibles à la DUP (V. note 4 ss. art. L. 2314-3-1). L'employeur est donc tenu d'inviter les organisations syndicales visées à l'article L. 2324-4 à négocier le protocole d'accord préélectoral (V. Comm. ss. cet art.), peu important que celles-ci aient manifesté leur désaccord à l'instauration de la DUP (V. note 3 bis ss. art. L. 2326-1). Si, depuis 2008, les conditions de validité du protocole d'accord préélectoral étaient l'objet d'un régime particulièrement complexe puisqu'elles sont fonction de l'objet des différentes stipulations, la loi no 2014-288 du 5 mars 2014 est venue simplifier les dispositions relatives aux conditions de validité du protocole d’accord préélectoral en posant en principe que, sauf dispositions légales contraires, la double majorité prévue à l’article L. 2324-4 du présent code est requise (V. Comm. ss. art. L. 2324-4). En cas d'échec des négociations, la saisine du juge est facultative; il appartient à l'employeur de déterminer unilatéralement les modalités d'organisation et de déroulement du scrutin. Toutefois, si le tribunal d'instance est saisi pour fixer les modalités du scrutin, il peut statuer sur ces questions en dernier ressort en la forme des référés (art. R. 2324-2). Jusqu’à l’entrée en vigueur de la loi du 5 mars 2014, ni le juge judiciaire, ni l'employeur ne pouvaient en l'absence de protocole d'accord préélectoral reconnaître la qualité d'établissement distinct pour la mise en place de la DUP ou répartir le personnel dans les différents collèges électoraux, cela relevait de la compétence exclusive de l'autorité administrative (art. L. 2322-5 et L. 2314-11) et ce quel que soit le motif de l’absence de protocole d’accord préélectoral: non-ouverture de la négociation faute d’organisation syndicale ayant répondu à l’invitation à négocier, désaccord entre les parties à la négociation, non-satisfaction de la condition de double majorité, etc. Désormais, l’employeur n’est tenu de saisir l’administration du travail pour qu’elle procède au découpage de l’entreprise en établissements distincts et/ou à la répartition du personnel dans les différents collèges qu’en l’absence de disposition du protocole d’accord électoral. Pour simplifier le processus électoral, les articles L. 2322-5 et L. 2324-13 du code du travail, dans leur rédaction issue de la loi du 5 mars 2014, autorisent donc l’employeur à déterminer unilatéralement le découpage de l’entreprise en établissements distincts et la répartition du personnel dans les collèges électoraux lorsque aucune organisation syndicale n’a répondu à son invitation de négocier le protocole d’accord préélectoral (sur les répercussions de la saisine de l’administration sur les mandats en cours et le processus électoral, V. Comm. ss. art. L. 2314-3). La Cour de cassation a récemment décidé que, à la condition d'être intégré de façon étroite et permanente à la communauté de travail de l'entreprise utilisatrice et de satisfaire aux conditions de l'article L. 2314-18-1 du présent code, un travailleur mis à disposition peut exercer son droit de vote et de candidature à la DUP de l'entreprise utilisatrice (V. note 4 bis ss. art. L. 2326-1). Il pourra ainsi siéger au comité d’entreprise, alors même qu’en l’absence de DUP, la loi a privé ces mêmes salariés mis à disposition de la possibilité d’être élus au comité d’entreprise, pour éviter la fuite d’informations sensibles concernant l’entreprise; cette dualité de solutions est difficilement compréhensible et pourrait bien poser de délicats problèmes de confidentialité.

Niveau de mise en place de la DUP. Sous l’empire des dispositions antérieures à la loi no 2015-994 du 17 août 2015, la DUP était instituée en principe au niveau de l'entreprise ou de l'UES, mais elle pouvait également l'être dans le cadre des établissements distincts au sens de la législation sur les comités d'établissement, à l'exclusion des établissements distincts au sens de la législation sur les délégués du personnel. Ainsi, si l'entreprise

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n'était composée que de tels établissements, la DUP était instituée au niveau de l'entreprise et faisait obstacle à l'organisation d'élections de délégués du personnel au sein des établissements distincts (V. note 6 ss. art. L. 2326-1). A l'inverse, si l'entreprise était exclusivement constituée d'établissements distincts au sens de la législation sur les comités d'établissement, la DUP était instaurée dans chaque établissement. Enfin, si elle était constituée à la fois d'établissements distincts au sens des délégués du personnel et au sens des comités d'établissement, la circulaire DRT no 94-9 du 21 juin 1994 préconisait le regroupement des établissements distincts au sens des délégués du personnel pour former un ou plusieurs établissements au sens des comités d'établissement et favoriser l'implantation de la DUP dans tous les établissements. Toutefois, en dépit des prescriptions administratives, la Cour de cassation a implicitement reconnu la possibilité que la DUP ne soit instituée que dans certains établissements (V. note 7 ss. art. L. 2326-1). Désormais, afin de simplifier le recours à la DUP quel que soit le «découpage» de l’entreprise, l’article L. 2326-1 du code du travail prévoit expressément que, lorsque l’employeur met en place une DUP au niveau d’une entreprise comprenant plusieurs établissements, une DUP est mise en place au sein de chaque établissement distinct au sens de la mise en place des comités d’établissement (art. L. 2327-1). Sous l’empire des dispositions antérieures à l’entrée en vigueur de la loi du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l’emploi, le nombre de membres de la DUP était fixé à l'article R. 2314-3 en fonction de l'effectif de l'entreprise ou de l'établissement. Il était en tout état de cause inférieur au nombre de représentants du personnel qui auraient été élus dans l'entreprise à effectif égal en cas de mise en place de délégués du personnel et d'un comité d'entreprise. Depuis lors, un décret adopté en Conseil d’État est attendu pour fixer le nombre de représentants du personnel constituant la DUP, nombre qui devrait également être fonction de la taille de l’entreprise ou de l’établissement. En tout état de cause, ce nombre pourra être augmenté par accord (art. L. 2326-2-1).

Cumul des attributions. La DUP ne réalise pas une fusion des délégués du personnel, du comité d'entreprise et du CHSCT: ses membres exercent cumulativement l'intégralité des attributions des trois institutions en respectant les règles propres à chacune d'elle (art. L. 2326-3), sous réserve des adaptations prévues à l’article L. 2326-5 du présent code issu de la loi no 2015-994 du 17 août 2015. La mise en place de la DUP se distingue de l'hypothèse dans laquelle, faute de comité d’entreprise ou de CHSCT, les délégués du personnel suppléent celui-ci dans l'exercice de certaines de ses attributions (art. L. 2313-13 s.). Les membres de la DUP remplissent, en effet, l'ensemble des missions des délégués du personnel, du comité d'entreprise mais aussi du CHSCT: ils doivent donc être informés et consultés sur l'ensemble des projets soumis à la consultation du comité d’entreprise et du CHSCT et sont titulaires du monopole de la gestion des activités sociales et culturelles de l'entreprise. Ils disposent à ce titre des ressources allouées au comité: subvention de fonctionnement (art. L. 2325-43) et contribution patronale aux activités sociales (art. L. 2323-86), et de l'ensemble des moyens accordés au comité parmi lesquels le possible recours à un expert rémunéré par l'entreprise. Sous l’empire des dispositions antérieures à l’entrée en vigueur de la loi no 2015-994 du 17 août 2015, ils ne disposaient que de vingt heures de délégation par mois pour exercer l'ensemble des attributions dévolues aux délégués du personnel et au comité (art. L. 2326-3). Désormais, l’article L. 2326-6 du code du travail définit les règles relatives en matière de crédit d’heures de délégation, dont l’ampleur devrait être fixée par un décret adopté en Conseil d’État. Dans les entreprises ayant mis en place une DUP avant l’entrée en vigueur de la loi «Rebsamen», l’employeur peut décider, après avoir recueilli l’avis de ses membres, de maintenir une DUP exerçant les seules attributions des délégués du personnel et du comité d’entreprise, conformément aux règles applicables avant l’entrée en vigueur de la loi no 2015-994 du 17 août 2015, dans la limite de deux cycles électoraux suivant la fin des mandats en cours à la date d’entrée en vigueur de cette loi (L. no 2015-994 du 17 août 2015, art. 13-VI).

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Livre blanc | Loi relative au dialogue social

LA RÉFORME DU DIALOGUE SOCIAL : UNE LOI EN MANQUE D’INSPIRATION

par Cécile Nicod, Maître de conférences à l’Université Lyon 2

Article paru dans la Revue de Droit du Travail, n° 9/2015

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Septembre 2015 - Revue de Droit du Travail I 549

CHRONIQUES I Droit des relations professionnelles

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Favoriser le dialogue social dans toutes les entre-prises, en améliorer l’efficacité afin qu’il gagne en den-sité et en richesse dans la perspective qu’il contribue àune meilleure performance économique de l’entrepriseet donc à la création d’emploi  1, tels sont les objectifsde la loi relative au dialogue social et à l’emploi, dite« loi Rebsamen » 2. Jamais l’expression dialogue socialn’est définie. Il ressort toutefois des discours comme dutexte de loi dont il est ici question, que le dialoguesocial comprend au niveau de l’entreprise, l’ensembledes institutions et des moyens permettant la défense etl’expression collectives des droits et intérêts des salariés,autrement dit l’ensemble des dispositifs rendant possi-ble la consultation, l’information et la négociation avecles représentants des salariés et les syndicats. L’expres-sion est « envahissante » 3. Voilà maintenant plusieursannées que la question est discutée, il faut moderniserle dialogue social dans les entreprises, jusqu’ici tropcomplexe, lourd, formaliste  4. Le temps serait venu derefonder un système hérité d’une construction en plu-sieurs étapes du droit des relations professionnelles  5.Les discussions engagées entre organisations syndicaleset patronales en 2009 puis relancées à l’automne 2014sur invitation du ministre du Travail ayant échoué 6, legouvernement opta après quelques hésitations pour ledépôt d’un projet de loi 7.

Le texte adopté se veut ambitieux. En témoigne lechoix de favoriser le dialogue social dans toutes les entre-prises, y compris les très petites, celles de moins de onzesalariés, au moyen de la généralisation des commissionsinterprofessionnelles paritaires déjà mises en place dans

certaines branches  8. Sans entrer dans le détail  9, signa-lons que le texte donne à ces commissions une doublecompétence : délivrer aux employeurs et salariés desinformations ou conseils, et apporter toutes informations,avis sur les problématiques propres aux TPE. Néan-moins, les locaux de l’entreprise resteront fermés auxmembres de ces commissions, lesquels seront donc tenusà distance des conditions effectives et singulières de tra-vail dans chaque entreprise, alors même que des accordscollectifs pourront désormais y être négociés 10.

La loi impose également une représentation équilibréedes femmes et des hommes dans les listes électoralesconstituées pour les élections des délégués du personnelet du comité d’entreprise 11. L’exigence de parité n’est pasabsolue afin de permettre la prise en compte des spécifi-cités de chaque environnement de travail. Ainsi le nom-bre de femmes et d’hommes sur la liste est proportionnelà leur nombre global dans l’entreprise, seule la tête deliste étant paritaire.

Mais l’essentiel de la réforme se rapporte à l’archi-tecture même des institutions représentatives du person-nel dans les entreprises. Si les structures existantes per-durent et si les seuils d’effectifs rendant obligatoirel’organisation d’élections professionnelles sont mainte-nus, la loi permet désormais une composition propre àchaque entreprise. Les institutions représentatives dupersonnel deviennent à géométrie variable (I). Leursattributions, les moyens dont elles disposent sont réor-ganisés et ouverts à des aménagements conventionnelsimportants (II). Les conditions de négociation ou de vali-dité des accords ne sont pas bouleversées 12, mais le texte

(1) Le discours est constant. V. not. S. Niel, « Rénover les relations sociales pour améliorer les performances », Les cahiers du DRH 2014. 209.(2) L’ensemble du présent texte est rédigé sur la base de la loi, définitivement adoptée par l’Assemblée nationale, le 23 juill. 2015.(3) A. Jeammaud, « Libres propos introductifs : un débat difficile et nécessaire », in La mesure des flexibilités du droit du travail, Sem. soc. Lamy 2015,suppl. n° 1680; v., égal., P. Rennes, « Dialogue social : les moyens et la fin », Dr. ouvrier 2015. 348.(4) V. not. G. Bélier et F. Petit « Faut-il instaurer un canal unique de représentation dans l’entreprise? », RDT 2010. 76; D. Boulmier, « Les institutions repré-sentatives du personnel dans l’entreprise: de l’interaction à la fusion (?) », JS Lamy, 2011 nos 309 et 310; F. Favennec-Héry, « Une question qui fâche: lemillefeuille des IRP », Dr. soc. 2013. 250; v. M. Grignard, « Les instances de représentation du personnel : quelle évolution? », Dr. soc. 2013. 258.(5) J. Barthélémy, « Droit social : pourquoi et comment le refonder? », Dr. soc. 2012. 763; F. Petit, art. préc.(6) J. Freyssinet, « Le dialogue social interprofessionnel : accident ou rupture? », Sem. soc. Lamy 2015, n° 1666.(7) P. Rennes, « Dialogue social : les moyens et la fin », Dr. ouvrier 2015. 348.(8) C. trav., art. L. 2391-1 à L. 2440-1.(9) La question mériterait à elle seule de longs développements.(10) C. trav., art. L. 2232-24, al. 4.(11) Respectivement, v. C. trav., art. L. 2314-24-1 et L. 2324-22-1.(12) Exception faite des conditions de négociation dérogatoire, en l’absence de délégué syndical dans l’entreprise.

DROIT DES RELATIONS PROFESSIONNELLESSous la responsabilité de Georges Borenfreund et Marie-Armelle Souriac, Professeurs à l’Université Paris-Ouest Nanterre La Défense

La réforme du dialogue social : une loi en manque d’inspiration

Loi n° 2015-994 du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l’emploi, JO 18 août

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prend appui sur l’accord collectif majoritaire, produitidéalisé du dialogue social 13, pour définir les modalitéseffectives des adaptations prévues 14. Le dialogue socialest à la fois objet et moyen de la réforme.

I. - Des institutions représentatives du personnel à géométrie variable

Après le constat d’échec des négociations interpro-fessionnelles le 21 janvier 2015, le gouvernement aopté pour une voie médiane, « le regroupement des ins-titutions représentatives du personnel » 15. L’innovationest présentée comme majeure, de nature à simplifier etpromouvoir les échanges avec les élus sans remettre encause les attributions des différentes institutions repré-sentatives du personnel, une « révolution dans la conti-nuité » 16. Il s’agirait ainsi d’une simple extension desdispositions relatives à la délégation unique du person-nel aux entreprises de moins de 300 salariés, même sile seul fait que s’y trouve désormais incluse la déléga-tion au CHSCT invite à en douter (A). Les entreprisesde plus de 300 salariés pourront, quant à elles, opterpour un « regroupement des institutions représentativesdu personnel  » sous réserve d’avoir conclu un accordmajoritaire. L’accord collectif s’empare ainsi d’un nou-vel objet, jusqu’ici seulement approché au travers desaccords de méthode 17. À même de déterminer l’archi-tecture des institutions représentatives du personnel,l’accord majoritaire devient la clé de la restructuration

des institutions élues dans les entreprises de plus de300 salariés (B).

A. - L’extension en trompe l’œil de la délégation unique

du personnel

La DUP a été créée par la loi dite quinquennale du20 décembre 1993, dans le but déjà affirmé à l’époque de« favoriser le dialogue social » 18. Ce dispositif éprouvé 19,applicable à l’origine aux seules entreprises de moins de200 salariés, reçoit les faveurs du législateur, portant leseuil à 300 salariés  20. Mais la DUP version 2015s’éloigne sensiblement du modèle dessiné en 1993 21.

L’élargissement ne vise pas seulement à englober unnombre plus important d’entreprises  22, il est aussi fonc-tionnel. L’employeur peut décider que les délégués du per-sonnel sont désormais les élus au comité d’entreprise et auCHSCT, lesquels doivent être tous deux préalablementconsultés. Le choix d’opter pour une DUP relève donc tou-jours d’une décision unilatérale de l’employeur 23, lors dela constitution ou du renouvellement de l’une des institu-tions 24. Le niveau de mise en place ne change pas davan-tage. Rappelons que l’effectif s’apprécie au niveau de l’en-treprise tout entière, mais que la DUP peut être mise enplace au sein de chaque établissement distinct au sens ducomité d’entreprise  25. Tout porte donc à considérer quesera maintenue la position selon laquelle, en l’absenced’établissement distinct au sens du comité d’entreprise, laDUP doit être instituée au niveau de l’entreprise et fait obs-tacle à l’élection de délégués du personnel dans des établis-sements distincts au sens des délégués du personnel 26.

(13) P. Lokiec, « Qui dit conventionnel dit juste! L’avènement d’un nouveau dogme », JCP 2015, n° 10-1, p. 282.(14) Sur ce point, la loi s’inscrit dans un mouvement de fond à l’œuvre depuis de nombreuses années, v. E. Peskine, « La célébration de l’accord collec-tif d’entreprise. Quelques enseignements de la loi relative à la sécurisation de l’emploi », Dr. soc. 2014. 438.(15) La question des modalités de la représentation syndicale dans l’entreprise demeure ainsi hors champ de la réforme. Seule la valorisation des par-cours professionnels est envisagée aux articles 2 à 4 de la loi (C. trav., art. L. 2141-5, L. 2141-5-1 et L. 6112-4).(16) C. Mathurin, A. D’Heilly, « La réforme du dialogue social : une révolution dans la continuité! », Sem. soc. Lamy 2015, n° 1683.(17) Créés à titre expérimental par la loi du 3 janv. 2003 et pérennisés par celle du 18 janv. 2005, ces accords de droit commun permettent de définir laprocédure de consultation des représentants du personnel lorsqu’un projet de licenciement collectif est envisagé (C. trav., art. L. 1233-21). Ils se combi-nent depuis la loi du 14 juin 2013 avec les accords relatifs au PSE, soumis à une exigence majoritaire (C. trav., art. L. 1233-24-1 s.), v. F. Géa, « Le droit dulicenciement économique à l’épreuve de la sécurisation de l’emploi », Dr. soc. 2013. 218.(18) V. les déclarations de M. Giraud, ministre du travail de l’époque; v. M. Cohen, « L’application des nouvelles dispositions relatives à la représentationdu personnel », Dr. soc. 1994. 147.(19) 60 % des PME de moins de 200 salariés disposant d’IRP ont opté pour la DUP, la part montant à 66 % pour les entreprises mono établissement:étude d’impact du 21 avr. 2015, p. 74.(20) Si le seuil est franchi, les mandats se poursuivent jusqu’à leur terme mais des élections distinctes devront être ensuite organisées (C. trav., nouv. art.L. 2326-9.(21) Les deux ne sont pas compatibles. La DUP version 1993, excluant la délégation au CHSCT, ne pourra perdurer plus de deux cycles électoraux sui-vant la fin des mandats en cours au jour de la promulgation de la loi. Passé ce délai, l’employeur devra mettre en place une nouvelle DUP ou un comitéd’entreprise, une délégation du personnel et un CHSCT.(22) 3000 entreprises supplémentaires pourraient faire usage de cette possibilité, portant à 30000 le nombre total d’entreprises concernées par la DUP:étude d’impact préc., p. 80.(23) Interrogé sur ce point lors de la création de la DUP, le Conseil constitutionnel avait conclu à l’absence de méconnaissance du principe de participationdes travailleurs à la détermination collective des conditions de travail (Al. 8 du Préambule de la Constitution de 1946), la consultation des représentantssuffisant à justifier l’existence d’une « concertation appropriée entre les employeurs et les salariés ou leurs organisations représentatives » ; Cons. const.,16 déc. 1993, n° 93-328 DC, X. Prétot, « Le Conseil constitutionnel et la participation des travailleurs », Dr. soc. 1994. 139.(24) Le cas échéant, la durée du mandat des élus peut être prolongée ou réduite dans la limite de deux ans (C. trav., art. L. 2326-1 al. 3).(25) La précision figure désormais à l’art. L. 2326-1, al. 4, elle reprend la position antérieure tant de la Cour de cassation que du Conseil d’État, Soc. 14déc. 1995, n° 94-60.158, Dr. soc. 1996. 201, obs. M. Cohen; CE 8 sept. 1995, n° 155287, au Lebon; D. 1995. 206; Dr. soc. 1995. 1043, obs. X. Prétot ; RTDcom. 1996. 256, obs. G. Orsoni.(26) Soc. 14 déc. 1995, préc. Les critères d’identification de l’établissement distinct au sens du CHSCT étant alignés sur ceux du comité d’établissement(Soc. 17 juin 2009, n° 08-60.438, JCP S 2009, p. 1483, note Cottin; Rép. trav., v° Établissement, par C. Wolmark, nos 98 s.), l’intégration du CHSCT dansla DUP ne pose pas de difficulté majeure de ce point de vue. On peut toutefois envisager une coexistence entre DUP dans l’entreprise et CHSCT dansun établissement de moins de 50 salariés, sur décision de l’autorité administrative « notamment en raison de la nature des travaux, de l’agencement oude l’équipement des locaux », C. trav., art. L. 4611-4.

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CHRONIQUES I Droit des relations professionnelles

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Les attributions de chacun sont conservées  27. Defusion, il ne saurait être question ; les institutions demeu-rent distinctes, seuls les élus sont communs. Leur nom-bre 28, ainsi que le volume de leur crédit d’heures 29 serafixé par décret pris en Conseil d’État. Ainsi, le comitéd’entreprise et le CHSCT demeurent des personnesmorales autonomes, dotées d’un budget propre et les élusconservent la possibilité d’agir individuellement en tantque délégués du personnel 30.

Pour autant, la préservation des attributions, l’ab-sence de fusion des différentes institutions, suppose quela loi garantisse la maîtrise de chaque champ d’interven-tion. Le législateur affirme, à cet égard, que sont préser-vées les règles de fonctionnement respectives de chaqueinstitution, avec toutefois des exceptions non négligea-bles  31. Ainsi, le secrétaire et le secrétaire adjoint sontcommuns, la délégation n’est réunie que tous les deuxmois 32, les élus sont consultés sur la base d’un ordre dujour commun et si une question relève à la fois des attri-butions du comité d’entreprise et du CHSCT, elle donnelieu à un avis unique 33, rendu dans les délais applicablesaux avis du comité d’entreprise, éclairé le cas échéantd’une expertise commune 34.

Ainsi, les élus appelés à formuler un avis sur un pro-jet de réorganisation devront au même moment, sur labase d’un rapport d’expertise commun, rendre un aviscommun tenant à la fois aux enjeux du projet annoncésur les conditions générales d’emploi et de travail, et à sesrépercussions sur les conditions réelles de travail, la santéet la sécurité des salariés. Selon les cas, l’exercice pourras’avérer difficile pour des élus dont on attend ici une fortepolyvalence. Les textes n’imposent pas l’expression d’unavis opérant synthèse de ces différents enjeux. Rien n’in-terdit de considérer que l’avis en tant qu’expression desintérêts collectifs des salariés peut traduire une apprécia-

tion différenciée de ces intérêts sur chacun de ces aspects.Du reste, la souplesse accordée par la loi quant à la répar-tition des heures de délégation sur l’année et entre lesmembres titulaires et suppléants de la délégation peutpermettre une forme de spécialisation des élus en fonctiondes sujets à aborder et, pourquoi pas, du calendrier desconsultations  35. Cependant, les marges de manœuvreseront limitées, et l’exigence d’un avis unique pèseralourd dans la manière d’appréhender ces différentes ques-tions. Si les attributions propres aux délégués du person-nel, en particulier le droit d’alerte, semblent pouvoir êtrepréservées, la spécificité du rôle du CHSCT, amené à por-ter un regard sur les conditions effectives de travail, surle travail réel et non simplement prescrit, risque fort dese trouver noyée dans les attributions plus générales ducomité d’entreprise.

Mais l’étude des conditions de mise en place de laDUP version 2015 donne à voir un changement de natureencore plus profond. L’attraction vers le modèle ducomité d’entreprise se révèle très puissante. En effet, sil’unité de représentation reste inchangée  36, les déléguésdu personnel qui forment la délégation unique devrontêtre élus dans les conditions prévues pour l’élection desmembres du comité d’entreprise 37, alors que jusqu’à pré-sent les règles électorales étaient celles applicables auxdélégués du personnel 38. D’ailleurs, signe d’une certaineconfusion, la loi a maintenu l’affirmation selon laquelleles délégués du personnel constituent la délégation aucomité d’entreprise  39, mais désigne ensuite ces élus demanière générique comme des « représentants du person-nel constituant la DUP » 40.

Ce changement de référence aux règles électorales ades incidences concrètes. Si les règles gouvernant l’orga-nisation des élections des délégués du personnel et desmembres élus du comité d’entreprise sont pour l’essen-

(27) C. trav., nouv. art. L. 2326-3.(28) C. trav., nouv. art. L. 2326-2-1. Aux termes de l’étude d’impact, il devrait être compris entre 5 et 12 titulaires (et autant de suppléants) selon l’effectifde l’entreprise, soit deux représentants supplémentaires par tranche d’effectif comparé à la DUP version 1993, afin d’intégrer le CHSCT. Contrairement àce qui a été un temps craint, les suppléants pourront participer aux réunions avec voix consultative (C. trav., art. L. 2326-5, 7).(29) Le crédit d’heures envisagé dans l’étude d’impact varie de 13 à 19 heures par mois, soit moins que ce qui était accordé à la délégation unique jusqu’àprésent (20 heures), alors même que son champ d’action s’étend aux questions relevant de la compétence du CHSCT.(30) Par exemple, pour exercer leur droit d’alerte, les DP n’étant pas une institution collégiale. Il n’est pas nécessaire de réunir la délégation du person-nel pour recueillir l’avis des délégués du personnel. Ainsi jugé s’agissant de l’avis sur les propositions de reclassement d’un salarié victime d’un acci-dent du travail, Soc. 29 avr. 2003, n° 00-46.477, D. 2004. 183, et les obs., obs. A. Arseguel ; Dr. soc. 2003. 787, obs. J. Savatier ; RJS 07/2003, p. 561,obs. P. Lyon-Caen.(31) C. trav., nouv. art. L. 2326-5.(32) Jusqu’à présent, la réunion de la DUP était mensuelle. Quatre de ces six réunions mensuelles doivent porter également sur des questions relevantdu CHSCT.(33) L’avis est rendu dans les délais applicables au comité d’entreprise, prévus par la loi du 14 juin 2013. Le temps de la consultation est encadré par unesérie de délais préfix, distincts selon que la consultation porte sur un projet de grand licenciement pour motif économique ou est liée à la compétencegénérale du comité d’entreprise, v. G. Borenfreund, « Le comité d’entreprise: nouveaux enjeux », RDT 2015. 17.(34) L’expertise doit être commune (C. trav., nouv. art. L. 2326-5, 5), mais répondre à la fois aux exigences de l’art. L. 2325-35 (expertise à la demande duCE) et de l’art. L. 4614-12 (expertise à la demande du CHSCT).(35) Les heures de délégation, dont le montant sera fixé par décret, pourront être annualisées (C. trav., nouv. art. L. 2326-6). Elles pourront égalementêtre réparties entre titulaires et suppléants, à la condition d’en informer l’employeur, le cumul ou la répartition ne pouvant conduire un membre à dispo-ser de plus d’une fois et demie le crédit d’heures dont il dispose (C. trav., nouv. art. L. 2326-6, 1° et 2°).(36) La DUP peut être mise en place au niveau de l’entreprise ou de l’établissement distinct, au sens du comité d’entreprise. En ce sens, v. déjà Soc. 14déc. 1995, n° 94-60.578, Dr. soc. 1996. 201, obs. M. Cohen; CE 8 sept. 1995, n° 160301, au Lebon; D. 1995. 206.(37) C. trav., art. L. 2326-2.(38) La loi de 1993 était parfaitement cohérente sur ce point, les délégués du personnel formant la délégation élue au comité d’entreprise. Les règles rela-tives à l’organisation des élections des membres du comité d’entreprise n’étaient donc pas applicables, v. Soc. 8 juin 2004, n° 03-60.290.(39) C. trav., art. L. 2326-1 et L. 2313-12.(40) Lorsque sont évoquées les conditions de leur élection (C. trav., art. L. 2326-2), leur nombre (C. trav., art. L. 2326-2-1).

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tiel similaires, elles diffèrent quant à la situation des sala-riés mis à disposition de l’entreprise par un employeurextérieur. Depuis la loi du 20 août 2008, ces salariéspeuvent opter pour exercer leur droit de vote dans l’en-treprise qui les emploie ou dans celle où ils exécutentleur prestation de travail 41. En revanche, ils ne sont paséligibles qu’aux fonctions de délégués du personnel 42, ycompris lorsque ces délégués sont appelés à constituer ladélégation au comité d’entreprise  43 ; ils peuvent aussiêtre désignés comme membres du CHSCT. En fondantles élections de la DUP sur les règles électorales relativesau comité d’entreprise, le législateur semble donc excluretoute éligibilité d’un salarié mis à disposition. Si cetteexclusion se vérifiait, elle serait particulièrement lourdede conséquences pour des travailleurs qui partagent lesmêmes conditions de travail, sont soumis aux mêmesexigences dans leur activité quotidienne, subissent lamême pénibilité dans l’exécution de leurs tâches, àl’égard desquels l’employeur est tenu de la même obliga-tion de sécurité et dont on ne voit pas en quoi ils nepourraient pas contribuer eux aussi à l’amélioration desconditions de travail 44.

B. - L’accord collectif, clé d’une restructuration de la

représentation élue du personnel dans les entreprises

de plus de 300 salariés

En principe, les diverses institutions supposées êtremises en place dans les entreprises de plus de 300 sala-riés demeurent. Mais la loi Rebsamen ouvre la possibi-lité d’un regroupement par accord collectif qui pourraréunir en une instance unique les délégués du personnel,le comité d’entreprise et le CHSCT, ou deux de ces ins-titutions 45. L’instance conventionnelle exerce l’ensembledes attributions des institutions faisant l’objet duregroupement. Elle est « dotée de la personnalité civileet gère, le cas échéant  46, son patrimoine ». Les mem-bres sont élus selon les règles gouvernant les élections

au comité d’entreprise si cette institution est convention-nellement intégrée à l’instance, à défaut, selon celles desdélégués du personnel  47. L’instance unique ne com-prend pas les représentants syndicaux désignés en appli-cation de l’article L. 2324-2, lesquels assistent toutefoisavec voix consultative aux réunions lorsqu’elles portentsur les attributions dévolues au comité d’entreprise  48.Notons enfin qu’un accord collectif ne saurait instituercette instance unique à tout moment, la loi prévoyantexpressément sa mise en place lors de la constitution oudu renouvellement de l’une des trois institutionsélues  49, et que la dénonciation de l’accord fait l’objetd’un régime dérogatoire 50.

Hormis quelques dispositions minimales impéra-tives 51, une grande liberté est reconnue à l’accord collec-tif pour définir le nombre d’élus, de réunions, les moda-lités d’élaboration de l’ordre du jour, les attributions destitulaires et suppléants, leur nombre d’heures de déléga-tion, de jours de formation. Pour le surplus, seront appli-cables les règles de fonctionnement du comité d’entre-prise, à défaut celles relatives au CHSCT 52.

L’intégration du CHSCT dans l’instance unique est denature à susciter des réserves plus fortes encore ques’agissant de la DUP. En effet le CHSCT se dilue dansl’instance conventionnelle et perd sa personnalité juri-dique propre pour ne devenir qu’une commission au seinde l’instance 53.

On observera aussi que l’espace de liberté convention-nelle ainsi concédé par le projet de loi est très large. D’ail-leurs, la loi ne dénomme même pas l’instance unique. Ladénomination sera conventionnelle, possiblement propreà chaque entreprise ou établissement. Quant aux attribu-tions de cette instance, elles peuvent être définies demanière différenciée dans les établissements qui compo-sent l’entreprise. Rien n’impose que l’accord d’entrepriseprévoie un modèle uniforme d’organisation des relationsavec les élus. Il pourra même ne concerner que certains

(41) À la condition de justifier d’une ancienneté minimum d’un an de travail dans l’entreprise d’accueil (C. trav., art. L. 2314-18-1 et L. 2324-17-1). Faute deprévisions légales, un vote double n’est pas exclu s’agissant des élections au CHSCT. V., concernant des salariés intérimaires, Soc. 22 sept. 2010, n° 09-60.454, D. 2010. 2298; Dr. soc. 2010. 1262, obs. F. Petit ; sur l’ensemble de la question, v. R. Vatinet, « La mise à disposition de salariés », Dr. soc. 2011. 656.(42) L’art. L. 2324-17-1 exclut expressément l’éligibilité des salariés mis à disposition au comité d’entreprise.(43) Comme l’a souligné la Cour de cassation, malgré une circulaire de la DGT prenant partie pour leur inéligibilité au motif que leur présence n’est pasprévue au sein du comité d’entreprise, v. Soc. 5 déc. 2012, n° 12-13.828, D. 2012. 2969; Dr. soc. 2013. 279, obs. D. Boulmier ; Circ. DGT n° 20 du 13 nov.2008.(44) L’assimilation totale des travailleurs mis à disposition par une entreprise extérieure, dès lors qu’ils sont intégrés de manière permanente à la collecti-vité de travail, n’a décidément pas les faveurs du législateur, v. A. Lyon-Caen, « À la recherche des travailleurs mis à disposition-Finesse des juges et bru-talité de la loi », Sem. soc. Lamy 2008, n° 1375.(45) L’art. 9 du projet de loi complétant le livre III de la deuxième partie du Code du travail par un titre IX, « Regroupement par accord des institutions repré-sentatives du personnel », comprenant les articles L. 2391-1 à L. 2394-1.(46) Le législateur laisserait-il ouverte la possibilité d’une instance conventionnelle sans patrimoine, ou plus exactement dont le patrimoine serait vide, parexemple parce qu’elle ne regrouperait que les DP et le CHSCT?(47) C. trav., art. L. 2392-3.(48) C. trav., art. L. 2392-2.(49) Dans ce dernier cas, c’est l’accord qui prévoit la prorogation ou la réduction de la durée du mandat des membres des institutions (C. trav.,art. L. 2391-1).(50) Les conditions de la dénonciation sont inchangées mais l’accord ne survivra pas et cessera de produire effet dès la fin du préavis, à charge alors pourl’employeur de procéder à l’organisation des élections, et non pas « à l’élection », comme maladroitement indiqué dans le texte (C. trav., art. L. 2394-1).(51) V. not. la constitution d’une commission d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail obligatoire dès lors que l’instance conventionnelle intègrele CHSCT. Le texte garantit aussi un nombre minimal de réunions (une tous les deux mois, 4 réunions devant être consacrées à l’exercice des attributionsen matière d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail), d’heures de délégations, de jours de formation.(52) C. trav., art. L. 2392-3.(53) Le dispositif fait ici écho à l’état du droit antérieur à l’adoption des lois Auroux en 1982.

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établissements  54. Dans une même entreprise divisée enétablissements pourront donc coexister des structures dereprésentation classiques, sur le modèle légal, et conven-tionnelles, sans de surcroît qu’un modèle conventionnelunique ne soit imposé. Allant plus loin encore, le législa-teur a permis qu’un accord d’établissement, conclu auxmêmes conditions de majorité, prévoie un tel regroupe-ment ponctuel en l’absence d’accord d’entreprise 55. L’ac-cord pourra aussi être négocié au sein d’une UES, ou« d’une ou de plusieurs entreprises composant l’UES »,mais pas au niveau d’une branche.

Au fond, à travers la possibilité de créer une instancede représentation unique via la conclusion d’un accordcollectif, la loi élargit de manière inédite du domaine dela dérogation à ses propres dispositions. L’accord déro-gatoire, déjà ouvert à l’exercice de leurs attributions parles représentants du personnel  56, s’inscrit désormais aucœur du principe de participation 57. Le champ du négo-ciable connaît une nouvelle extension, qui pousse leslimites jusqu’ici posées par le Conseil constitutionnel.Celui-ci a certes admis la faculté pour le législateur « delaisser aux employeurs et aux salariés, ou à leurs organi-sations représentatives, le soin de préciser après uneconcertation appropriée, les modalités concrètes de miseen œuvre des normes qu’il édicte  »  58. Pour autant, lelégislateur ne peut se départir de la compétence qu’il tientde l’article 34 de la Constitution ; il lui appartient de défi-nir les principes fondamentaux du droit du travail, ainsique d’assurer la mise en œuvre des droits et libertésconstitutionnels des salariés 59. Or, dorénavant, les règlesrelatives aux institutions représentatives du personnel,dont on a pu considérer qu’elles intéressent « des avan-tages ou garanties échappant par leur nature aux rap-ports conventionnels » 60, relèvent pour certaines d’entreelles du domaine du négociable.

Le pas franchi est considérable, il est assorti d’uneexigence, présentée lors des débats parlementairescomme le gage de la légitimité de l’accord collectif, lagarantie de son caractère approprié à la situation singu-lière de l’entreprise, l’assurance de ce que les modalitésainsi définies réaliseront au mieux la défense des intérêtsdes salariés  61 : l’accord opérant un regroupement desinstitutions représentatives du personnel doit être majo-ritaire. La majorité est acquise dès lors qu’il a été signépar « une ou plusieurs organisations syndicales représen-tatives ayant recueilli au moins 50 % des suffrages expri-més, quel que soit le nombre de votants, en faveur d’or-ganisations représentatives au premier tour des électionsdes titulaires au comité d’entreprise ou de la DUP ou, àdéfaut, des délégués du personnel  »  62. «  Au moins50 %… », voici une « petite » majorité ; un esprit cha-grin pourrait n’y voir qu’une égalité. La formule est mal-adroite. «  Plus de 50  %  » aurait été préférable, sansqu’en pratique les incidences soient lourdes.

Ces accords créant une instance représentative ontdonc rejoint la catégorie protéiforme des accords majori-taires 63. Le caractère majoritaire s’apprécie ici de la mêmemanière qu’en ce qui concerne les accords de maintien del’emploi 64 et les PSE conventionnels 65 : sur une base res-treinte puisque ne comprenant que les résultats obtenuspar les organisations syndicales représentatives au premiertour des dernières élections. L’exigence est donc moindreque pour les accords préélectoraux, ou pour l’exercice dudroit d’opposition à l’entrée en vigueur d’un accord dedroit commun. Dans ces deux hypothèses en effet lestextes exigent que le ou les syndicats représentatifs aientobtenu la « majorité » des suffrages 66, ce qui s’entend dela moitié plus un 67, cette majorité s’appréciant sur la basede l’ensemble des suffrages exprimés au premier tour 68.Évidemment, tout dépend ici de la configuration des résul-

(54) C. trav., art. L. 2391-2.(55) C. trav., art. L. 2391-3.(56) On songe ici aux accords de méthode et aux accords relatifs aux PSE. Rappr. s’agissant des attributions des représentants syndicaux, le dispositifexpérimental permettant de regrouper certains thèmes de négociation au sein d’une « négociation unique de qualité de vie au travail », loi n° 2014-288 du5 mars 2014, art. 33.(57) Principe à valeur constitutionnelle, faut-il le rappeler. V. I. Odoul-Asorey, « Principe de participation des travailleurs et droit du travail », Dr. soc. 2014. 356.(58) Cons. const., 25 juill. 1989, n° 89-257 DC, Rec. Cons. const. p. 59; AJDA 1989. 796, note F. Benoit-Rohmer; Dr. soc. 1989. 701, note X. Prétôt.(59) Avec une nuance à apporter lorsque le dispositif n’est prévu qu’à titre expérimental, v. Cons. const., 6 nov. 1996, n° 96-383 DC, JO du 13 nov. 1996,p. 16531; D. 1998. 152, chron. B. Mathieu, obs. J.Trémeau; RTD civ. 1997. 785, obs. R. Libchaber; v. G. Lyon-Caen, « La Constitution française et la négo-ciation collective », Dr. ouvrier 1996. 479; M.-L. Morin, « Le Conseil constitutionnel et le droit à la négociation collective », Dr. soc. 1997. 25; X. Pretot, « Lesbases constitutionnelles de la négociation collective », TPS 1997. Chron. 4.(60) M. Despax, « Négociations, conventions et accords collectifs », in G.-H. Camerlynck (dir.), Droit du travail, 2e éd., T. VII, Dalloz, 1989, p. 87 s. ; v. égal.G. Borenfreund et M.-A. Souriac, « Les rapports de la loi et de la négociation collective. Une mise en perspective », Dr. soc. 2003. 72.(61) Le recours à l’accord collectif a été systématiquement présenté ainsi lors de l’ensemble des débats, lors de l’examen du texte en commission, oudans les assemblées.(62) C. trav., art. L. 2391-1.(63) La majorité dans la négociation collective ne s’exprime pas toujours sous la même forme, G. Auzero, E. Dockès, Droit du travail, 29e éd., Dalloz, coll.« Précis », 2015, nos 1293 s.(64) C. trav., art. L. 5125-4.(65) C. trav., art. L. 1233-24-1.(66) Les accords préélectoraux sont soumis à une seconde condition de majorité, l’accord devant être signé par la majorité en nombre des organisationssyndicales, C. trav., art. L. 2314-3-1.(67) « Le terme de “majorité”, se suffisant à lui-même, implique au moins la moitié des voix plus une », Soc. 10 juill. 2013, nos 12-16.210 et 12-21.180,D. 2013. 1840; ibid. 2599, obs. P. Lokiec et J. Porta; RDT 2013. 641, obs. I. Odoul-Asorey.(68) L’accord créant une instance unique obéit également à une exigence moindre que les accords de négociation unique de « qualité de vie au travail ».Ces derniers doivent être conclus par des syndicats ayant obtenu « au moins » 50 % des suffrages exprimés au premier tour, pas seulement en faveurdes organisations représentatives.

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tats aux élections, propre à chaque entreprise, en particu-lier du volume de voix s’étant portées sur des organisa-tions syndicales finalement non reconnues représentatives.Dans certains cas, le seuil de 30 % des suffrages exprimésrequis pour la conclusion d’un accord de droit communpourra s’avérer plus difficile à atteindre que celui exigéd’un accord déterminant l’architecture des institutionsreprésentatives dans l’entreprise 69.

Ces approximations autour du concept même d’ac-cord majoritaire donnent à voir une constructionbrouillonne. Sans doute même sont-elles révélatrices d’unmanque de réflexion de fond sur les ressorts de la repré-sentativité syndicale, le sens du recours au vote des sala-riés pour apprécier la qualité représentative des organisa-tions syndicales. Les syndicats représentatifs nereprésentent pas les salariés, ils satisfont à une exigencequi leur octroie à tous le même pouvoir de défendre leursintérêts, notamment lorsqu’ils agissent comme agentsd’exercice d’un droit à la négociation collective dont ilsne sont pas les titulaires 70. L’exigence majoritaire, si ellerenforce le lien entre la collectivité des salariés et l’accordcollectif qui l’engage, ne saurait à elle seule justifier undésengagement du législateur en faveur de l’accord d’en-treprise 71. Encore faudrait-il veiller à garantir un vérita-ble équilibre dans la négociation 72.

La délégation par le législateur de sa compétence enfaveur de l’accord d’entreprise se confirme lorsque leregard se tourne vers les attributions des représentants éluset les conditions de la négociation collective décentralisée.

II. - Consultation, négociation : unenouvelle donne

Le constat est partagé : les sujets sur lesquels lesreprésentants élus doivent être informés, les thèmes sou-mis à la consultation et à la négociation obligatoire  73

sont aujourd’hui très nombreux ; ils se sont enrichis aufil du temps, de l’apparition de nouvelles probléma-tiques. Le renforcement du dialogue social passe ici parla réduction du formalisme de ces procédures, en les allé-geant et les rendant plus lisibles. Sur ces questions, la

réforme poursuit une œuvre entreprise il y a une dizained’années 74 et renforcée récemment tant sur le terrain dela consultation 75 que de la négociation 76. La recherched’une plus grande efficacité du dialogue social s’opèrepar une révision de l’articulation des attributions des dif-férentes institutions représentatives du personnel lorsquel’entreprise a une structure complexe (A) et une réorga-nisation d’ensemble des thèmes soumis à consultation etnégociation (B). Le législateur n’oublie pas enfin d’ap-porter sa pierre à l’édifice en tentant de rendre effectivela négociation dans les entreprises dépourvues de délé-gués syndicaux (C).

A. - Une nouvelle articulation des attributions des insti-

tutions représentatives du personnel dans les entre-

prises à structure complexe

La complexité des instances représentatives du per-sonnel est directement corrélée à la complexité de lastructure de l’entreprise dans laquelle elles sont appeléesà jouer leur rôle. Certains élus ont des missions qui nepeuvent se concevoir qu’au plus proche des collectivitésde travailleurs dont ils assurent la défense des intérêts,d’autres des attributions qui s’exercent là où les décisionssont prises en matière économique, mais aussi là où ellessont déclinées. Ainsi, si l’entreprise est divisée en établis-sements distincts, ou fait partie d’un groupe, qui plus està dimension communautaire, la structure des instancesreprésentatives sera complexe. De là une nécessaire arti-culation des attributions des différents élus, qu’il s’agissedu comité central d’entreprise et des comités d’établisse-ment, ou des différents CHSCT.

Sans remettre en question la mise en place de ces ins-tances à la fois au niveau central et décentralisé, et touten assurant la représentation des intérêts de tous les sala-riés au CHSCT 77, la loi nouvelle envisage différemmentl’articulation des consultations dans les différentes unitésde représentation 78. Est ainsi favorisée une consultationdavantage centralisée.

C’est ainsi que les conseils d’établissements serontconsultés uniquement sur les « mesures d’adaptation desprojets décidés au niveau de l’entreprise spécifiques àl’établissement et qui relèvent de la compétence du chef

(69) Tel est le cas, par exemple, lorsque deux organisations seulement sont reconnues représentatives avec respectivement 29 et 27 % des suffrages.Celle ayant obtenu 29 % peut seule conclure un accord créant une instance unique de représentation, elle est majoritaire parmi les syndicats représen-tatifs, mais il faudrait obligatoirement la signature des deux organisations pour la conclusion d’un accord de droit commun.(70) C. trav., art. L. 2221-1.(71) « Faisons confiance à l’accord collectif! »: ces propos récurrents du ministre du travail sonnent davantage comme un mot d’ordre que comme unprogramme.(72) Sur l’ensemble de la question, v. G. Borenfreund, « L’idée majoritaire dans la négociation collective », in Mélanges dédiés au président Michel Despax,PU Toulouse, 2002, p. 429.(73) À l’égard desquels, notons-le au passage, le législateur fait preuve depuis longtemps déjà d’une inventivité (conditions d’impérativité, articulation avecles négociations de branche, sanctions, etc.) qui laisse songeur.(74) V. la possibilité de négocier des accords de méthode prévue dans la loi du 18 janv. 2005 (C. trav., art. L. 1233-21).(75) La loi de sécurisation de l’emploi du 14 juin 2013 s’est donnée pour ambition de simplifier l’information du comité d’entreprise, en instituant une basede données unique. Le temps de la consultation a également été encadré, les avis du comité d’entreprise ou d’établissement devant désormais être ren-dus dans des délais préfix (C. trav., art. L. 2323-3).(76) V. la possibilité ouverte par la loi du 5 mars 2014 de conclure un accord collectif de négociation unique « qualité de vie au travail ».(77) V. dans la droite ligne de la Cour de cassation (Soc. 19 févr. 2014, n° 13-12.207, D. 2014. 547), le nouvel art. L. 4611-1, C. trav.(78) Sur le modèle des dispositions de la loi de sécurisation de l’emploi du 14 juin 2013 concernant la procédure de consultation applicable aux plans desauvegarde de l’emploi, v. C. trav., art. L. 1233-36.

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de cet établissement  ». Certes, il est acquis de longuedate que leurs attributions économiques s’exercent« dans la limite des pouvoirs confiés aux chefs d’établis-sement » et qu’ils doivent donc être consultés seulement« dans la mesure où la mise en œuvre de la décision etson application au cas particulier de l’établissement rendnécessaire l’élaboration de dispositions particulières rele-vant normalement du chef d’établissement  »  79. Toute-fois, l’objet de la consultation semble ici défini demanière plus restrictive encore. Il est limité «  auxmesures d’adaptation des projets », ce qui exclut les don-nées générales du projet, quand bien même elles auraientune incidence sur sa mise en œuvre dans l’établissement.Réciproquement, le comité central d’entreprise voit sacompétence clarifiée. Il sera seul consulté si le projetdécidé au niveau de l’entreprise ne nécessite pas demesure d’adaptation propre à l’un ou l’autre des établis-sements, ou si ces mesures ne sont pas encore définies 80.Une grille de répartition des compétences similaire estretenue pour la consultation des CHSCT et de l’instancetemporaire de coordination éventuellement mise en placeau niveau de l’entreprise  81, laquelle voit son champd’action étendu puisqu’il était initialement limité à lamise en place d’une expertise unique lorsque le projet estcommun à plusieurs établissements 82.

L’étendue des pouvoirs attribués au chef d’établisse-ment conditionne donc plus que jamais l’intervention desélus chargés de porter et défendre les intérêts de la col-lectivité des travailleurs dans l’établissement. Rien n’ex-clut qu’un projet décidé au niveau central soit décliné ausein des établissements sans nécessiter de mesures d’adap-tation relevant de la compétence du chef d’établissementet par là, sans consultation du conseil d’établissement 83.

Toujours dans le but affirmé de renforcer l’efficacitédes procédures de consultation, le calendrier des consul-tations aux différents niveaux est précisé. Ainsi, lesdélais imposés par la loi de sécurisation de l’emploi du14 juin 2013 aux comités d’entreprise et d’établisse-ments pour qu’ils rendent leurs avis sont rendus appli-cables au comité central d’entreprise 84 et un délai par-

ticulier est prévu s’agissant des avis rendus par lesCHSCT 85. Les comités d’établissements et les CHSCTsemblent devoir être consultés les premiers, leur avisétant ensuite transmis au comité central d’entreprise ouà l’instance de coordination 86. Cet ordonnancement desconsultations permettra certes au comité central de seprononcer sur l’ensemble du projet en ayant connais-sance des enjeux et avis formulés dans les établisse-ments, mais il suscite la perplexité quant à la manièrede penser le rôle des différentes instances. On comprendmal, en effet, que la consultation ne soit pas dans unpremier temps organisée au niveau central, sur le pro-jet dans son ensemble, les élus ayant pour mission d’as-surer une expression collective des salariés afin de per-mettre la prise en compte de leurs intérêts dans leprocessus de décision, mais sans pour autant être enmesure de l’infléchir 87. Si ces comités n’ont pas de pou-voir de codécision et ne sont pas des lieux de partagedu pouvoir, on en vient néanmoins à s’interroger sur lesens même d’un avis rendu par le comité central alorsque les déclinaisons précises du projet dans chaque éta-blissement auront déjà été présentées, exposées et sou-mises à l’avis des conseils d’établissements. D’où le sen-timent que l’efficacité du dialogue social, telle quepromue par la loi Rebsamen, s’accompagne paradoxa-lement de l’aveu implicite d’une très faible capacité d’in-fluence des élus.

La nouvelle structuration des consultations s’accom-pagne d’une rationalisation des objets tant de la consul-tation que de la négociation.

B. - Rationalisation des objets de consultation et de

négociation

La loi revoit l’organisation thématique des sujets àaborder tant avec les élus qu’avec les délégués syndicauxdans l’entreprise, afin de permettre leur examen simultané.

L’ensemble des consultations périodiques du comitéd’entreprise est réparti en trois blocs : « les orientationsstratégiques de l’entreprise  »  88, «  la situation écono-mique et financière de l’entreprise » 89 et « la politique

(79) Crim. 11 févr. 1992, n° 90-87.500.(80) C. trav., art. L. 2327-2, 2°.(81) L’instance de coordination, créée par la loi de sécurisation de l’emploi du 14 juin 2013, sera seule consultée sur les mesures d’adaptation du projetcommunes à plusieurs établissements; les CHSCT seront consultés sur les mesures spécifiques à chaque établissement et qui relèvent de la compé-tence du chef de cet établissement (C. trav., art. L. 4616-1).(82) Le mouvement s’étend aussi à la consultation sur les orientations stratégiques: un accord de groupe peut en effet décider que la consultation seramenée au niveau du seul comité de groupe, les comités des entreprises du groupe ne restant consultés que sur les conséquences de ces orientationsstratégiques (C. trav., art. L. 2323-11).(83) Par exemple, s’il est mis en œuvre selon un calendrier défini au niveau central, sans pouvoir d’adaptation par le chef d’établissement. La loi contre-carre ici la jurisprudence de la Chambre sociale, qui tendait à considérer que dès lors que le projet devait être mis en œuvre de manière spécifique à chaqueétablissement, il s’en « évinçait la nécessité de mesures particulières d’adaptation relevant des pouvoirs propres du chef d’établissement », rendant laconsultation du comité d’établissement obligatoire, Soc. 1er avr. 2008, n° 07-12.713.(84) C. trav., art. L. 2323-3.(85) Le CHSCT doit ainsi disposer d’un délai suffisant, de 15 jours au moins. Le délai est prévu par accord collectif ou, à défaut de délégué syndical dansl’entreprise, un accord avec le CHSCT, ou à défaut, par décret. (C. trav., art. L. 4612-8).(86) Dans des délais fixés par décret (C. trav., art. L. 2327-15 et L. 4616-3).(87) G. Borenfreund, « Le comité d’entreprise: nouveaux enjeux. Quelques observations à partir de la loi du 14 juin 2013 », RDT 2015. 17.(88) Il comprend outre la consultation sur les orientations stratégiques imposée depuis la loi du 14 juin 2013, la gestion prévisionnelle des emplois et descompétences et les orientations de la formation professionnelle (C. trav., art. L. 2323-10).(89) Ce bloc porte également sur la politique de recherche et de développement technologique de l’entreprise (y compris l’utilisation du crédit d’impôtrecherche et du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi), C. trav., art. L. 2323-12.

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sociale de l’entreprise, les conditions de travail et d’em-ploi » 90. Ainsi, seules trois grandes consultations pério-diques devront être conduites dans l’année, dans l’ordrequ’il siéra à l’employeur. Les informations devant êtretransmises au comité en vue des consultations font éga-lement l’objet d’un toilettage, dont les modalitésdevront être précisées par décret. Un aménagementconventionnel de ces procédures de consultation estenfin rendu possible, il suppose la conclusion d’unaccord de droit commun 91.

Une démarche similaire est engagée s’agissant desobjets de négociation obligatoire, dans le prolonge-ment du dispositif expérimental permettant une négo-ciation unique, dite « de qualité de vie au travail » 92.Le premier ensemble porte sur «  la rémunération, letemps de travail et le partage de la valeur ajoutée » 93,le second sur «  l’égalité professionnelle entre lesfemmes et les hommes et la qualité de vie au tra-vail  »  94 et le dernier comprend les obligations denégocier existantes concernant la gestion prévision-nelle des emplois et la prévention des conséquences desmutations économiques 95.

Ce réagencement des obligations de négocier est lebienvenu, il contribue à les rendre plus lisibles et à per-mettre une appréhension plus globale des enjeux asso-ciés à chacune de ces questions. En outre, ces regroupe-ments peuvent être l’objet d’aménagementsconventionnels, par accord collectif majoritaire  96,lequel peut aussi modifier la périodicité des négocia-tions. Les négociations annuelles pourront ainsi ne s’im-poser que tous les trois ans 97, et les négociations trien-nales tous les cinq ans.

En revanche, la scission opérée par le projet de loientre la consultation et la négociation collective paraîtbien malvenue. Le législateur revient en effet sur l’arti-culation fine des compétences des élus et des organisa-tions syndicales construite par la Chambre sociale de laCour de cassation depuis une vingtaine d’années  98.Désormais, « les projets d’accord collectif, leur révision

ou leur dénonciation ne sont pas soumis à l’avis ducomité d’entreprise  »  99. Alors que le projet de loiaffirme la nécessité de préserver les attributions de cha-cune des institutions élues les unes par rapport auxautres, il restreint ici considérablement celles du comitéd’entreprise lorsqu’est en question la conclusion, larévision ou la dénonciation d’un accord collectif. Pour-tant, n’était-il pas justifié de préserver les attributionsdu comité d’entreprise en ce domaine, quand on saitque le champ du négociable, à l’origine calé sur ledomaine du contrat, s’est étendu sur des terrains autre-fois réservés au pouvoir patronal et tend mêmeaujourd’hui à investir celui des droits fondamentaux ?La Chambre sociale avait trouvé ici un point d’équili-bre en affirmant qu’il importait peu que la décision soitprise par l’employeur seul ou dans le cadre d’un accordcollectif, que seul comptait l’objet de la décision et qu’ilfallait que le comité d’entreprise puisse exercer la plé-nitude de ses attributions parce qu’il a pour missiond’assurer l’expression collective des intérêts des salariésdans le processus de prise de décision. Ce point d’équi-libre contribuait à donner du sens à la structure denotre système de représentation dans l’entreprise,chaque institution étant amenée à porter un regard surles mêmes objets. Sur ce point, la réforme ne simplifiepas mais brouille les repères.

Enfin, un détail a sans doute échappé à la sagacitédu législateur : la Cour de cassation a égalementimposé la consultation du CHSCT lorsque l’accordporte sur un objet de sa compétence 100. En l’absencede précision dans la loi nouvelle, rien ne s’oppose aumaintien de sa jurisprudence sur ce point, sauf à consi-dérer que la disposition relative au comité d’entrepriseouvre la voie à un principe général de segmentationdes compétences de toutes les institutions, notammentdu CHSCT.

Le projet de loi s’attelle enfin à la question sans finde la détermination des agents de la négociation en l’ab-sence de délégué syndical.

(90) Cette consultation porte sur l’évolution de l’emploi, les qualifications, la formation professionnelle, l’apprentissage, les conditions d’accueil en stage,les conditions de travail, les congés, l’aménagement du temps de travail, la durée du travail, l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes,les modalités d’exercice du droit d’expression (C. trav., art. L. 2323-15).(91) C. trav., art. L. 2323-7.(92) Loi du 5 mars 2014, préc.(93) Figurent dans ce bloc, la négociation annuelle sur les salaires effectifs, la durée effective et l’organisation du temps de travail, l’intéressement, et lamise en œuvre de mesures visant à supprimer les écarts de rémunération entre les femmes et les hommes (C. trav., art. L. 2242-5 à L. 2242-7).(94) Qui comprend, outre les négociations sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, la lutte contre les discriminations, l’insertion pro-fessionnelle et le maintien dans l’emploi des travailleurs handicapés, la mise en place d’un régime de prévoyance et l’exercice du droit d’expression directeet collective des salariés. Il peut aussi inclure la prévention de la pénibilité (C. trav., art. L. 2242-8 à L. 2242-12).(95) V. C. trav., art. L. 2242-15 s.(96) Et à la condition que l’entreprise ait satisfait à ses obligations en matière d’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes (C. trav., art.L. 2242-20).(97) À l’exception de la négociation sur les salaires qui pourra toujours être engagée chaque année à la demande d’une organisation syndicale (C. trav.,art. L. 2242-20).(98) Si l’arrêt EDF du 5 mai 1998 a marqué un tournant essentiel, cette construction jurisprudentielle a été amorcée quelques années auparavant à l’oc-casion de conflits liés à l’élaboration négociée de plans accompagnant les licenciements économiques, (V. Soc. 22 févr. 1995, IBM, n° 92-11.566, D. 1995.366, obs. I. de Launay-Gallot ; Dr. soc. 1995. 390, obs. J.-E. Ray; 5 mai 1998, EDF, D. 1998. 608, note G. Auzero; Dr. soc. 1998. 579, rapp. J.-Y. Frouin). Elles’est prolongée ensuite, v. not. Soc. 5 mars 2008, n° 07-40.273, D. 2008. 855, obs. S. Maillard; ibid. 2306, obs. M.-C. Amauger-Lattes, I. Desbarats,C. Dupouey-Dehan, B. Lardy-Pélissier, J. Pélissier et B. Reynès; RDT 2008. 540, obs. G. Borenfreund.(99) C. trav., art. L. 2323-2.(100) V. Soc. 7 mai 2014, n° 12-35.009, D. 2014. 2374, obs. P. Lokiec et J. Porta; RDT 2014. 633, obs. V. Pontif.

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Septembre 2015 - Revue de Droit du Travail I 557

CHRONIQUES I Droit des relations professionnelles

CH

C. - Une nouvelle fois sur le métier, la détermination des

acteurs dérogatoires de la négociation

Que ce soit à titre expérimental 101, pour les besoinsde la mise en œuvre d’une réforme particulière 102 ou demanière générale  103, la loi tente de rendre effective lanégociation d’accords collectifs dans les entreprisesdépourvues de délégué syndical depuis bientôt vingt ans,sans grand succès. Le projet de loi portant réforme dudialogue social substitue trois nouvelles modalités denégociation dérogatoires aux trois précédentes  104, leseuil d’effectif de 200 salariés maximum posé en 2008pour que soit envisageable une négociation avec les élusétant désormais levé.

La négociation s’engage prioritairement avec les élusmandatés par une organisation syndicale représenta-tive  105, à défaut avec les élus sans mandat. L’accordconclu avec des élus mandatés (la signature d’un repré-sentant élu suffisant) est soumis à référendum auprès dessalariés  106. Celui conclu avec des élus non mandatésn’est valable que si ceux-ci ont obtenu la majorité dessuffrages aux dernières élections et s’il est validé par unecommission paritaire de branche 107. Enfin, il sera pos-sible en dernier recours de négocier avec des salariésmandatés. La voie est très largement ouverte : en l’ab-sence d’élus attestée par un procès-verbal de carence, siaucun élu ne veut négocier et même dans les entreprisesde moins de onze salariés  108. L’accord reste alors sou-mis à référendum, organisé dans le respect des principesgénéraux du droit électoral 109.

Seuls les élus mandatés ont une pleine capacité denégocier. Les élus non mandatés et les salariés mandatés

ne disposent que d’une capacité de négocier réduite, limi-tée aux accords relatifs « à des mesures dont la mise enœuvre est subordonnée par la loi à un accord collectif »,exception faite des accords relatifs au plan de sauvegardedes emplois  110. On pouvait trouver surprenant, contes-table même, que seule la négociation dérogatoire soitouverte aux agents alternatifs. N’y avait-il pas là le signed’une instrumentalisation forte de l’accord au service del’exercice du pouvoir patronal  111 ? Mais maintenantqu’une distinction voit le jour et que l’on réserve auxseuls élus mandatés le plein pouvoir de négocier, c’est lacohérence du dispositif qui laisse perplexe.

Enfin, la négociation s’engage à la demande de l’em-ployeur. C’est en effet lui qui «  fait connaître son inten-tion de négocier aux représentants élus du personnel » 112.

L’instrumentalisation de la négociation collective, àl’œuvre depuis que se multiplient les possibilités de déro-ger à la loi, est aujourd’hui ouvertement assumée. C’étaitimplicite 113. C’est désormais écrit.

En définitive, l’impression qui domine à la lecture dela loi nouvelle est celle d’un texte manquant singulière-ment d’inspiration. Y a-t-il lieu d’en être surpris ? Loind’éclairer la compréhension de la structuration des rela-tions professionnelles, la loi Rebsamen répond à desattentes et revendications ponctuelles et laisse le senti-ment d’une absence de réflexion d’ensemble sur ce quedoivent être le rôle des élus et celui des organisations syn-dicales. Une absence largement assumée par le renvoipour l’essentiel à la négociation d’accords majoritairesdont les contours demeurent bien fuyants.

Cécile Nicod

(101) Art. 6, après que la Chambre sociale a fermé la voie de la négociation avec des représentants syndicaux extérieurs à l’entreprise, v. Soc. 19 oct. 1994,n° 91-20.292, D. 1995. 370, obs. G. Borenfreund; Dr. soc. 1994. 958, rapp. P. Waquet; Dr. ouvr. 1995. 148.(102) La réduction négociée du temps de travail, par les lois du 13 juin 1998 et du 19 janv. 2000.(103) Dans un premier temps, par la loi du 4 mai 2004; aujourd’hui, sur la base des art. L. 2232-21 s. du code du travail, issus de la loi du 20 août 2008,v. M.-A. Souriac, « Les réformes de la négociation collective », RDT 2009. 14.(104) Et laisse au passage subsister les dispositions dérogatoires prévues s’agissant de la négociation des accords de maintien de l’emploi, C. trav., art.L. 5125-4, II.(105) Au niveau de la branche ou au niveau national interprofessionnel, C. trav. art. L. 2232-23-1.(106) C. trav., art. L. 2232-21-1.(107) Laquelle n’exercera qu’un contrôle de conformité aux dispositions législatives, réglementaires ou conventionnelles.(108) C. trav., art. L. 2332-24.(109) C. trav., art. L. 2232-27.(110) C. trav., art. L. 2232-22.(111) M.-A. Souriac, art. préc.(112) Les élus disposent d’un mois pour faire savoir s’ils désirent ou non négocier et s’ils seront ou non mandatés par une organisation syndicale repré-sentative. Sans vouloir céder à des amalgames malheureux, on peut être enclin à trouver une certaine proximité entre la procédure ici instituée et celleprévue aux articles L. 1 et suivants du code du travail.(113) V., toutefois, l’art. L. 2242-21, C. trav. selon lequel « l’employeur peut engager des négociations portant sur la mobilité professionnelle ou géogra-phique », v. E. Peskine, « La célébration de l’accord collectif d’entreprise », Dr. soc. 2014. 438.

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Livre blanc | Loi relative au dialogue social

PAUVRETÉ LABORIEUSE : LA PRIME D'ACTIVITÉ, UNE BONNE RÉPONSE ? par Christophe Willmann, Professeur à l’université de Rouen

Article paru dans le Dossier Loi Rebsamen de la revue Droit Social, novembre 2015

© Éditions Dalloz 2015

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Dossier

Dossier DROIT SOCIAL 903

N° 11 - Novembre 2015

1. Dialogue social. De la loi n° 2015-994 du 17 août2015 relative au dialogue social et à l’emploi 1, les médiaset la doctrine ont essentiellement retenu le volet« réforme de la représentation du personnel » (les pre-miers mots du titre de la loi, « dialogue social »), effecti-vement le plus ambitieux, eu égard à la variété et multi-plicité de ses objets (représentation universelle des salariésdes très petites entreprises, art. 1er à 3, parcours profes-sionnels des élus et des titulaires d’un mandat syndical,art. 4 à 12, instances représentatives du personnel, art. 13

à 17, dialogue social, art. 18 à 22, dialogue social inter-professionnel, art. 23 à 33). Aussi, la dimension« emploi » est passée sous silence, réduite à quelquespoints spécifiques, sans lien entre eux et sans cohérence,portant sur le régime des intermittents du spectacle (art.34 à 37), de l’emploi (art. 38, 46), de la formation pro-fessionnelle (art. 39, 40, 41) ; enfin et surtout, de l’inser-tion professionnelle et lutte contre le chômage (art. 42 à60). C’est dans cet dernier ensemble que loge la « primed’activité », en tant qu’instrument de lutte contre lestrappes à l’inactivité.

2. Trappes à l’inactivité. Dans le sens que lui donnent leséconomistes 2 et les juristes 3, elles sont définies comme lacrainte que l’incitation à reprendre un travail, pour lebénéficiaire d’un des minima sociaux, soit trop faible. Sile revenu procuré par les minima sociaux est trop impor-

Loi Rebsamen

1 P. Lokiec, Le dialogue social à l’épreuve de la loi Rebsamen – À proposde la loi n° 2015-994 du 17 août 2015, JCP 2015. 990 ; Liaisons soc.quot. 2015, n° 172 ; Sem. soc. Lamy 2015, n° 1687 ; Premier ministre,3 mars 2015, dossier de presse (JCP S 2015. Actu. 113) – Principaux tra-vaux parlementaires : C. Siruge, rapp. AN n° 2792, 21 mai 2015. 383-459 ; D. Lefebvre, avis AN n° 2773, 19 mai 2015 (avis portant unique-ment sur la prime d’activité) ; C. Procaccia, rapp. Sénat n° 501 (2014-2015), 10 juin 2015. 21 et 209-248 ; A. de Montgolfier, avis Sénatn° 490, 9 juin 2015 (avis dédié exclusivement à la prime d’activité) ;C. Siruge, rapp. AN n° 2932, 1er juill. 2015. 105-108 ; C. Procaccia, rapp.Sénat n° 633 (2014-2015), 15 juill. 2015. 86-91.

2 V. note page suivante.

3 V. note page suivante.

Pauvreté laborieuse :la prime d’activité, une bonne réponse ?

La prime pour l’emploi et le RSA « activité »n’ont pas correctement rempli leur office, entermes de retour à l’emploi et de soutien auxtravailleurs pauvres/modestes : l’objectif était d’inciter les bénéficiaires de minima sociaux à repren-dre une activité, peu encouragés en raison du mécanisme de l’« effet de seuil » (non-cumul entre unrevenu d’activité et un minimum social dès qu’un seuil est franchi). Le législateur en a tiré la consé-quence, dès 2014, d’abandon de la prime pour l’emploi (loi de finances 2015 du 29 déc. 2014) ;quelques mois plus tard (loi Rebsamen), il a finalisé la réforme, en supprimant le RSA « activité »,remplacé par la prime d’activité. Mais le RSA « socle » reste en vigueur. Au final, la prime d’acti-vité, très proche dans son principe mais aussi dans ses modalités du RSA « activité », pose la ques-tion du sens de la réforme Rebsamen : simple aménagement paramétrique du RSA ou véritableréforme, répondant réellement aux critiques des dispositifs anciens et aux enjeux de la pauvreté ?

par Christophe WillmannProfesseur à l’université de Rouen

« En fait, vous êtes contre les pauvres.Mais pas du tout, je voudrais qu’ils s’enrichissent !

Ah ! Vous voyez bien ! »Les Indégivrables par X. Gorce, Le Monde, jeudi 15 oct. 2015

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tant par rapport au salaire auquel il pourrait prétendre, ilse trouve pris dans une « trappe », un piège, qui lecondamne à l’inactivité. Les instruments destinés à luttercontre l’effet désincitatif d’un retour à l’emploi, désignéspar les économistes sous l’expression « mécanismes d’inté-ressement », sont de différentes natures : ils portent surles aides au logement, les dégrèvements de taxe d’habita-tion, le barème de l’impôt sur le revenu et la possibilitéde cumuler temporairement un minimum social et desrevenus d’activité.

3. Intéressement. Les mesures d’intéressement sont nom-breuses et ont fortement évolué dans le temps. En 2007,à la faveur d’une majorité politique, l’objectif du « travail-ler plus pour gagner plus » a été mis en avant. Il s’est tra-duit, dans la loi « TEPA » 4, par une incitation fiscale etsociale à effectuer des heures supplémentaires. L’incitationau retour vers l’emploi a emprunté une seconde voie, deversement d’une prime directement aux chômeurs, sousforme d’impôt inversé (prime pour l’emploi, « PPE ») etde versement d’un revenu social minimum complémen-taire aux minima sociaux (le RSA « activité »). L’objectifpoursuivi était de « rendre, de façon pérenne et quelleque soit la durée du travail, l’emploi toujours plus rému-

nérateur que l’inactivité » 5, c’est-à-dire encourager l’acti-vité en soutenant le pouvoir d’achat des travailleursmodestes. En augmentant significativement les gains aumaintien ou à la reprise d’emploi, à temps partiel commeà temps complet, la mesure dite d’intéressement lève cer-tains freins monétaires à la reprise d’emploi.

4. Refonte des mesures d’intéressement. La loi Rebsamena consacré quelques articles à la gestion des mesures d’in-téressement (et non, plus largement, l’exclusion sociale etdu chômage de longue durée) (art. 57 à 60), en reprenantà son compte quelques-une des propositions formuléespar C. Sirugue 6. Le législateur a engagé deux réformesdes dispositifs de soutien financier aux revenus d’activitédes travailleurs modestes : la première, le compte person-nel d’activité, est programmatique (et nonopérationnelle) ; la seconde, au contraire, est opération-nelle, mais à compter du 1er janvier 2016 : il s’agit de laprime d’activité. Deux décrets devraient être publiés ennovembre 2015 7. La prime pour l’emploi et le RSA« activité » sont remplacés, à partir du 1er janvier 2016,par la prime d’activité.

Le dispositif porte bien son nom, car il s’agit biend’une « prime », destinée à soutenir et encourager l’acti-vité professionnelle (pas les autres, non professionnellesartistiques, syndicales, littéraires, théâtrales, humanitaires,religieuses…). « Mesure d’intéressement », la prime d’acti-vité n’a donc rien à voir avec les dispositifs destinés à lut-ter contre la pauvreté par le versement d’un revenu mini-mal garanti. C’est pourquoi le « RSA socle » n’est pascompris dans le champ de la réforme Rebsamen, et resteen vigueur.

5. Compte personnel d’activité. Le compte personneld’activité rassemble, dès son entrée sur le marché du tra-vail et tout au long de sa vie professionnelle, indépen-damment de son statut, les droits sociaux personnelsutiles pour sécuriser son parcours professionnel(L. 17 août 2015, art. 38) 8. Il se présente comme unmécanisme attaché non au statut (salarié, indépendant,demandeur d’emploi, etc.), mais à la personne elle-même,tout au long de sa présence sur le marché du travail.L’objectif est de diminuer les inégalités et limiter la duréeet les effets sur l’employabilité des transitions profession-nelles. Ce compte personnel d’activité reprend le schémade « sécurité sociale professionnelle » 9.

2 D. Anne et Y. L’Horty, Transferts sociaux locaux et retour à l’emploi,Économie et Statistique, n° 357-358, 2002 ; J.-M. Belorgey, Minimasociaux, revenus d’activité, précarité, Commissariat général du plan,mai 2000 ; Y. Benarrosh, Les trappes à inactivité revisitées, Travail etEmploi, juill. 2003, n° 95 ; Conseil supérieur de l’emploi, des revenuset des coûts, Minima sociaux : entre protection et insertion, Doc. fr.,1997 (en ligne) ; Accès à l’emploi et protection sociale, Doc. fr., 2001(en ligne), spéc. p. 9 et 84 ; F. Dubet et A. Veretout, Une « réduc-tion » de la rationalité de l’acteur. Pourquoi sortir du RMI ?, Rev. fr.de sociologie, juill.-sept. 2001, n° 3 ; D. Guillemot, P. Petour et H. Zaj-dela, Trappe à chômage ou trappe à pauvreté : quel est le sort desallocataires du RMI ?, Revue économique, 2002. 1235-1252 ; M. Gur-gand et D. Margolis, RMI et revenus du travail : une évaluation desgains financiers à l’emploi, Économie et Statistiques n° 346-347, 2001.103 ; C. Hagneré et A. Trannoy, L’impact conjugué de trois ans deréforme sur les trappes à inactivité, INSEE, Économie et Statistique,n° 346-347, 2001 ; G. Laroque et B. Salanié, Prélèvements et trans-ferts sociaux : une analyse descriptive des incitations financières autravail, Économie et Statistique, n° 328 1999 ; T. Laurent, Y. L’Horty,P. Maille et J.-F. Ouvrard, Incitations et transitions sur le marché dutravail : une analyse des stratégies d’acceptation et de refus d’em-ploi, Revue économique, vol. 53, nov. 2002, n° 6 ; T. Laurent,Y. L’Horty et J.-F. Ouvrard, Les gains du retour à l’emploi : théorie,mesure et simulations de politiques incitatives, rapport de recherchepour la Direction de la prévision et de l’analyse économique, déc.2004 ; Y. L’Horty, Que nous apprennent les bénéficiaires du RMI surles gains du retour à l’emploi ?, Centre d’études et de l’emploi, rap-port de recherche n° 24, 24 juill. 2005 (en ligne) ; Y. L’Horty etJ.-F. Ouvrard, Les gains inégaux du retour à l’emploi, Donnéessociales, 2006 ; L. Rioux, Salaire de réserve, allocation chômagedégressive et revenu minimum d’insertion, Économie et Statistique,n° 346-347, 2001, p. 137 ; C. Padieu, RMI et SMIC : étude sur l’apportfinancier de l’accès à l’emploi par types de ménages, Les Cahiers del’ODAS, mars 1997 ; T. Piketty, L’impact des incitations financières autravail sur les comportements individuels : une estimation pour le casfrançais, Économie et Prévision, n° 132-133, 1998.

3 V. Létard, rapp. d’information Sénat n° 334 (2004-2005), 11 mai2005 ; Commission familles, vulnérabilité, pauvreté, prés. M. Hirsch,Au possible, nous sommes tenus. La nouvelle équation sociale –15 résolutions pour combattre la pauvreté des enfants, Doc. fr., 2005(en ligne) ; C. Willmann, Assurance chômage et placement : la diffi-cile consécration du soft workfare (Décr. n° 2005-915 du 2 août 2005et n° 2005-1054 du 29 août 2005), JCP S 2005. 1368.

4 L. n° 2007-1223, 21 août 2007, en faveur du travail, de l’emploi et dupouvoir d’achat.

5 Cour des comptes, Rapport annuel 2013, t. I, vol. I, 2e partie, « Lespolitiques publiques », chap. I, « Santé et cohésion sociale », pt 4,« Le RSA ‘‘activité’’ : une prestation peu sollicitée, un impact res-treint », 12 févr. 2013 (compte rendu dans JCP S 2013. Actu. 103).

6 C. Sirugue et S. Vanackere (rapporteur), Réforme des dispositifs desoutien aux revenus d’activité modestes, rapport à M. le Premierministre, 15 juill. 2013.

7 Liaisons soc. quot. 2015, n° 16927 ; Liaisons soc. quot. 2015, n° 16916.

8 C. Siruge, rapp. AN n° 2932, 1er juill. 2015, préc., p. 87-88 ; C. Procac-cia, rapp. Sénat n° 501 (2014-2015), 10 juin 2015, préc., p. 177-179.

9 P. Cahuc et F. Kramarz, De la précarité à la mobilité : vers une sécu-rité sociale professionnelle, rapport au ministre de l’Économie, desFinances et de l’Industrie et au ministre de l’Emploi, du Travail et desRelations sociales, déc. 2004.

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Dossier

N° 11 - Novembre 2015

DROIT SOCIAL 905

Le législateur a mis en place une méthode et un calen-drier impliquant les partenaires sociaux afin de définir lepérimètre et les modalités de mise en œuvre du compte :création, au 1er janvier 2017, d’un compte personnel d’ac-tivité ; d’ici au 1er décembre 2015, lancement d’uneconcertation avec les organisations syndicales de salariés etles organisations professionnelles d’employeurs ; avant le1er juillet 2016, le gouvernement présente au Parlementun rapport sur les modalités possibles de cette mise enœuvre. La mise en œuvre du dispositif reste donc àinventer, et suscite des réflexions institutionnelles (le der-nier en date, le rapport de France Stratégie) 10.

6. Prime d’activité et RSA « activité ». Le RSA se com-pose d’un montant forfaitaire variable en fonction de lacomposition du foyer (le RSA « socle », dans le prolonge-ment du RMI) 11 et d’une fraction des revenus profession-nels des membres du même foyer (le RSA « activité ») 12.La prime d’activité fonctionne selon le même principe, eten grande partie les mêmes modalités, que le RSA « acti-vité » : il s’agit d’un revenu différentiel, versé aux travail-leurs modestes et aux travailleurs pauvres, destiné à corri-ger les effets négatifs liés aux seuils (notion d’« effet deseuil », v. infra) dont souffrent les intéressés motivés parune reprise d’emploi ou d’activité professionnelle. Fusion-nant RSA et prime pour l’emploi en un nouveau disposi-tif, la prime d’activité s’inscrit dans le sillage du RSA, maisne reprend pas le mécanisme de la prime pour l’emploi,abandonné. De même, le « RSA activité » est remplacé parla prime d’activité à compter du 1er janvier 2016, mais le« RSA socle » (historiquement, le RMI) est maintenu.Cette prestation, destinée aux plus de vingt-cinq ans sansactivité, continue donc d’être versée.

7. RSA sans le nom et sans le non. La mise en place dela prime d’activité pose donc deux séries de difficultés. Lapremière tient à l’objectif poursuivi par le législateur, demettre en place un instrument d’incitation au retour vers

l’emploi, efficace, bien ciblé et exploitable par les travail-leurs pauvres/modestes ; en d’autres termes, le législateur aentendu corriger les défauts des deux mécanismes envigueur jusque-là, leur trop faible exploitation par lesintéressés (non-recours) et leur ciblage trop large et tropgénéral (non-ciblage). La dynamique du travail législatif adonc été celle du correctif : répondre aux imperfectionsde la prime pour l’emploi et du RSA « activité » ; répon-dre à la censure du Conseil constitutionnel (loi de finan-cement rectificative de la sécurité sociale pour 2014), quiavait remis en cause un autre instrument d’intéressement,la baisse des cotisations salariales 13. Le Conseil constitu-tionnel a exclu le recours à la baisse des cotisationssociales pour répondre au souci de soutenir les travailleursmodestes.

D’où la réponse du gouvernement et du législateur, entrois temps : suppression de la première tranche d’imposi-tion de revenu (PLF 2015) ; suppression de la PPE au1er janvier 2016, avec un dernier versement en 2015(LFR 2014) ; et enfin, création d’une prime d’activité, enremplacement du RSA « activité » et de la prime pourl’emploi, à compter du 1er janvier 2016.

8. La seconde difficulté tient à la nature de la prime d’ac-tivité, dont le principe et les modalités entretiennent unegrande proximité avec le RSA « activité ». Proximité etnon-confusion, car il n’est pas possible de confondreprime d’activité et RSA « activité » : certains aspects pré-cis du RSA « activité » ont été aménagés, notamment auregard des bénéficiaires (jeunes) et des modalités de cal-cul. Mais l’ensemble pose inévitablement la question de laportée de la réforme, et de l’ambition affichée par le légis-lateur. La prime d’activité correspond-t-elle à un simpleaménagement paramétrique du RSA ou s’agit-il d’unevéritable réforme, dépassant une simple correction desdispositifs anciens (PPE, RSA), à la hauteur des enjeux dela pauvreté ?

I. — LE RSA SANS LE NON

9. Non recours, mauvais ciblage. La prime d’activitéremplace deux dispositifs antérieurs, la prime pour l’em-ploi et le RSA « activité », largement critiqués : l’un, leRSA « activité », pour cause de non/faible recours (seulun tiers des bénéficiaires potentiels y recourent) ; l’autre,la PPE, pour mauvais ciblage des publics bénéficiaires(distribuée très largement, créant une forme de « saupou-drage »). Mauvais ciblage (PPE) ou non-recours (RSA),les mesures d’intéressement souffrent donc d’un bilannégatif, expliquant et justifiant une réforme.

A — PRIME POUR L’EMPLOI : MAUVAIS CIBLAGE

10. Ciblage de la PPE. Créée par la loi n° 2001-458 du30 mai 2001, la prime pour l’emploi était un crédit d’im-

10 S. Mahfouz (prés.), M. Boisson-Cohen, H. Garner et P. Laffon (rappor-teurs), Le compte personnel d’activité, de l’utopie au concret, rapportau Premier ministre, France Stratégie, commission compte personneld’activité, oct. 2015 ; J.-P. Laborde, CPA : contribution, France Straté-gie, commission compte personnel d’activité, 15 oct. 2015 (en ligne) ;B. Gazier, Le compte personnel d’activité à la lumière des « marchéstransitionnels du travail », France Stratégie, commission compte per-sonnel d’activité, 4 sept. 2015 ; J.-M. Luttringer, Le compte personneld’activité : impasse ou innovation ?, France Stratégie, 15 oct. 2015 (enligne).

11 Bibliographie générale sur le RSA : S. Botteau, Aide sociale-RSA,µJ.-Cl. Protection sociale, 5 oct. 2014 ; M. Borgetto et R. Lafore, Droitde l’aide et de l’action sociales, 8e éd., LGDJ, 2012 ; mêmes auteurs,L’aide et l’action sociales, coll. « Les Études de la Documentationfrançaise », Doc. fr., oct. 2013 ; J.-P. Chauchard, J.-Y. Kerbourc’h etC. Willmann, Droit de la sécurité sociale, 7e éd., LGDJ, 2015 (souspresse), § 857, p. 577-588 ; bibliographie dédiée, v. notes de bas depage 23, 24 et 25.

12 Pour 1 € de revenu d’activité, les allocations servies diminuent de0,38 €, permettant ainsi une progression globale du revenu de0,62 € (C. Sirugue et S. Vanackere, Réforme des dispositifs de soutienaux revenus d’activité modestes, préc.). Selon la DG Trésor (C. Bour-geois et C. Tavan, Le revenu de solidarité active : principes deconstruction et effets attendus, Direction générale du Trésor et de laPolitique économique, Trésor éco Lettre n° 61, juill. 2009), le complé-ment de revenu moyen apporté par le RSA « chapeau » serait de130 € par mois (nota : le RSA « chapeau » est l’autre expression utili-sée pour le RSA « activité »).

13 Cons. const., 6 août 2014, n° 2014-698 DC, D. 2015. 1457, obs. L. Gayet A. Mangiavillano ; Dr. soc. 2014. 867, obs. J. Barthélémy ; Constitu-tions 2015. 85, chron. M. Badel.

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pôt 14. Son double objectif était d’inciter au retour et aumaintien dans l’emploi les personnes tirant des revenusmodestes de leur activité professionnelle ; redistribuer dupouvoir d’achat aux « travailleurs pauvres ». Ce créditd’impôt était calculé sur la base des revenus d’activitéindividuels perçus par les membres d’un foyer fiscal, etprenant en compte la composition de ce foyer et les reve-nus dont ils bénéficient, par le biais de majorations et deplafonds.

Le bénéfice de la PPE était subordonné à l’exercice, parau moins un des membres du foyer fiscal, d’une activitéprofessionnelle procurant des revenus imposables dans lacatégorie des traitements et salaires, des rémunérations dedirigeants ou dans l’une des catégories de bénéfices pro-fessionnels. La prime est attribuée sous conditions de res-sources : le revenu d’activité individuel devait être com-pris entre 3 743 € et 17 451 € (soit entre 0,27 et1,25 SMIC) ; le revenu fiscal de référence du foyer fiscaldevait être inférieur à certains plafonds, afin de tenircompte de l’ensemble des revenus du foyer 15. Il s’agissaitd’éviter qu’une personne dont le revenu d’activité seraitinférieur à 1,25 SMIC ne soit éligible à la PPE alors queson conjoint perçoit des revenus élevés.

11. Bilan critiqué. Si le dispositif était particulièrementsimple, ses effets restent limités, en termes d’emploi. Lescritiques se sont focalisées sur quatre points :

— malentendu quant à son objet : la prime pour l’em-ploi « a été créée non pour inciter les bénéficiaires àreprendre un emploi, mais pour compenser chez lesnon imposés les conséquences de la baisse dubarème de l’impôt sur le revenu, alors que seule unepetite moitié de ménages français y est assujettie »16. La Cour des comptes 17 le confirme : le législa-teur (projet de loi de financement de la sécuritésociale pour 2001) a voulu, initialement, mettre enplace une réduction de la CSG et de la CRDS aubénéfice des salariés (dans la limite du plafond,1,4 SMIC). Mais le Conseil constitutionnel 18 acensuré ce dispositif, pour cause d’atteinte au prin-cipe d’égalité des contribuables devant l’impôt. LaPPE a été mise en place en remplacement de cette« ristourne dégressive » de la CSG et de la CRDS ;

— décalage dans le versement/bénéfice : l’incitation àl’activité est limitée en raison du décalage systéma-tique entre le moment où les revenus sont déclarés(année n) et celui où la prime est perçue (annéen+1) ;

— manque de sélectivité : à la lecture des chiffres, l’ef-fet « saupoudrage » est manifeste : le nombre debénéficiaires (en 2012, 6 millions ; mais 8,8 mil-lions de foyers fiscaux en 2004) rapporté au mon-tant mensuel moyen (38 € mensuels) contre 187 €(montant moyen mensuel du RSA « activité », en2013) conduit à la conclusion suivante : la PPEbénéficie à un nombre relativement élevé de foyersfiscaux, mais pour des montants souvent faibles ;

— effet redistributif limité : la Cour des comptes 19 amontré qu’en 2004 la PPE ne représentait que1,2 % en moyenne du revenu initial des ménagesbénéficiaires, alors même que 84,5 % des bénéfi-ciaires de la PPE ne sont pas en situation de pau-vreté. En 2008, la PPE ne réduisait que de 3,3 %les inégalités de niveaux de vie dans la population.Sa contribution à la réduction de la pauvreté s’avé-rait aussi médiocre : en 2007, seulement 6 % desbénéficiaires sortaient de la pauvreté grâce à seseffets. Dans le même sens, en 2004, l’OFCE 20

relevait que la prime pour l’emploi n’introduitaucun bonus à la reprise d’activité à temps très par-tiel, puisqu’il faut travailler un tiers de l’année auSMIC horaire pour en bénéficier et qu’elle n’en-traîne une augmentation du revenu disponible quesi le bénéficiaire de la prime travaille plus de cin-quante et une heures par mois. La PPE est assez fai-blement ciblée sur les travailleurs les plus modestes,car ceux-ci connaissent fréquemment des parcoursd’emploi marqués par le temps partiel ou discon-tinu tout au long de l’année.

12. Abrogation. La prime pour l’emploi a été suppriméeà compter de l’imposition des revenus de 2015 par la loide finances pour 2015 21 (LFR 2015, art. 28). Elle estremplacée, au 1er janvier 2016, par la prime d’activité.

14 CGI, art. 200 sexies – Bibliographie sur la prime pour l’emploi : Courdes comptes, L’efficacité et la gestion de la prime pour l’emploi, rap-port public annuel, 2005. 283 ; E. Stancanelli et H. Sterdyniak, Unbilan des études sur la prime pour l’emploi, Revue de l’OFCE, janv.2004 ; P. Choné, Une analyse de la participation des couples à laforce de travail, Revue économique, nov. 2002 – V. aussi projet de loirelatif au dialogue social et à l’emploi, étude d’impact, NOR :ETSX1508596L/Bleue-1, 21 avr. 2015. 165.

15 Projet de loi relatif au dialogue social et à l’emploi, étude d’impact,préc., p. 165 : 16 251 € pour une personne célibataire, veuve oudivorcée, 32 498 € pour les personnes soumises à imposition com-mune ; ces plafonds sont augmentés de 4 490 € par demi-part sup-plémentaire de quotient familial (2 245 € en cas de garde alternée).

16 O. Fouquet et B. Bohnert, Fiscalité et incitation économique, RJEPfévr. 2014. Étude 2.

17 Cour des comptes, L’efficacité et la gestion de la prime pour l’emploi,préc., p. 285-286 ; Projet de loi relatif au dialogue social et à l’em-ploi, étude d’impact, préc., p. 165-166.

18 L’article 4 du PLFSS 2001 modifiait l’assiette de la contribution pourle remboursement de la dette sociale pour en exonérer certainsretraités et pensionnés. Il a été censuré pour cause de « cavalierlégislatif » (dispositions étrangères au domaine des lois de finance-ment de la sécurité sociale) : Cons. const., 19 déc. 2000, n° 2000-437DC, D. 2001. 1766, obs. D. Ribes ; Dr. soc. 2001. 270, note X. Prétot ;ibid. 304, chron. D. Tabuteau ; RDSS 2001. 89, obs. P.-Y. Verkindt ;RTD civ. 2001. 229, obs. N. Molfessis – Réf. bibliographiques :J.-E. Schoettl, LPA 22 déc. 2000, p. 5 ; X. Prétot, La conformité à laConstitution de la loi de financement de la sécurité sociale pour2001, Dr. soc. 2001. 270 ; RJS 2001. 154 ; R. Pellet, La loi de finance-ment de la sécurité sociale, Travail et Protection sociale 2001, p. 4 ;D. Ribes, Les cavaliers sociaux : coup d’arrêt d’une dérive ?, RFDC2001. 134 ; Cah. Cons. const. 2001. 10 ; C. La Mardière et B. Mathieu,LPA 20 août 2001. 21 ; D. Ribes, D. 2001. 1766 ; J.-Y. Nizet, CSG : àpropos d’une décision du Conseil constitutionnel, RFFP 2001. 179 ;E. Oliva, AIJC 2000. 711, 716-717, 735-738 et 742-743 ; D. Ribes, Lesprogrès de l’égalité devant l’impôt. À propos des décisions duConseil constitutionnel 99-424 DC, AJDA 2000. 37, note J.-E. Schoettlet 2000-437 DC, RFFP 2001. 261.

19 Cour des comptes, L’efficacité et la gestion de la prime pour l’emploi,préc.

20 E. Stancanelli et H. Sterdyniak, Un bilan des études sur la prime pourl’emploi, Revue de l’OFCE, janv. 2004.

21 V. note page suivante.

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Dossier

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Certains parlementaires avaient émis des doutes sur laconstitutionnalité de cette réforme 22, car la suppressionen 2015, pour l’imposition des revenus de la mêmeannée, de la prime pour l’emploi, constituerait uneatteinte à la garantie des droits. Le Conseil constitution-nel n’a pas formulé de censure.

B — RSA : NON-RECOURS

13. Renoncement aux minima sociaux. La notion de« non-recours » se comprend, tout simplement, comme lasituation d’une personne éligible à une prestation, maisne la percevant pas. La problématique, bien analysée parles champs disciplinaires de l’économie, de la sociologieou de la médecine (renoncement aux soins) 23, intéressedepuis peu les juristes 24. Son constat, assez anxiogène,conduit à une réflexion sur l’intérêt réel d’un dispositifpublic de soutien aux populations en situation de pau-vreté et d’exclusion ; le sens du budget consacré par lespouvoirs publics et les collectivités territoriales (nonconsommé, par définition, puisque le public cible yrenonce). Si un dispositif n’a pas rencontré son public(pour de multiples raisons, tenant à ses conditions, samise en œuvre par les institutions et les gestionnaires, sacomplexité, manque de visibilité…), c’est qu’il doit êtrerepensé, re-paramétré ou… remplacé.

14. Genèse du RSA « activité ». La loi n° 2008-1249 du1er décembre 2008 25 a généralisé le RSA au plan natio-nal, mettant fin au programme expérimental dans les col-lectivités territoriales participantes du programme instituépar la loi TEPA 26, conformément aux recommandationsdu « Grenelle de l’insertion » émises en juin 2008 27. Le

RSA « activité » a pris la forme d’une allocation différen-tielle complétant les revenus propres tirés d’une activitéprofessionnelle, à concurrence d’un certain montant. Lerevenu garanti est calculé en additionnant le montantmensuel du « RSA socle » (y compris les majorations liéesà la composition du foyer) et 62 % des revenus d’activitédu foyer (524,16 € par mois au 1er septembre 2015,Décr. n° 2015-1231, 6 oct. 2015). Le RSA n’a pas étéconçu comme une prestation individuelle, mais une pres-tation attribuée à un foyer et variable selon le nombre deses membres. Le dispositif était soumis à des conditionsde ressources, de résidence (CASF, art. L. 262-2) et enfind’âge (CASF, art. L. 262-1).

15. Non-recours au RSA « activité ». La renonciation aubénéfice du RSA, au-delà des questionnements légitimesque les économistes se posent, relativement à leurmesure 28, a suscité une prise de conscience du législateurcomme du pouvoir réglementaire, rendue possible par destravaux largement diffusés, aussi bien universitaires qu’ins-titutionnels 29, largement alimentés par la Cour des

21 L. n° 2014-1655 du 29 déc. 2014, art. 28 ; CGI, art. 200 sexies et 200-0 A ;CASF, art. L. 262-23 ; L. n° 2001-458, 30 mai 2001 – Bibliographie :Sem. soc. Lamy 2015, n° 1660 ; Dr. fisc. 2015. Comm. 8 ; B. Casta-gnède, Fiscalité des personnes : chronique de l’année 2014, Dr. fisc.2015. 167 ; A. de Mongolfier, rapp. Sénat n° 159 (2014-2015), 10 déc.2014. 195 ; V. Rabault, rapp. AN n° 2408, 26 nov. 2014. 204 ; C. Will-mann, Travail, emploi, charges sociales : les points essentiels de la loide finances 2015 et de la seconde loi de finances rectificative pour2014, Lexbase hebdo, éd. soc., 2015, n° 597.

22 V. Rabault, rapp. AN n° 2408, 26 nov 2014, préc., spéc., p. 223 –Cons. const., 13 août 2015, n° 2015-720 DC.

23 Il existe même un centre de recherche dédié (Observatoire des non-recours aux droits et services, Odenore) – Bibliographie abondante :Journée d’étude, L’accès aux droits et le non-recours en questions,9 déc. 2014, spéc. session 1, « Construction juridique des prestationset des offres de services : quel impact sur l’accès aux droits ? »(C. Magord, Les procédures pré-contentieuses et le contentieux del’aide sociale ; L. Lahieyte, L’accès aux droits des mères isolées, discu-tant, D. Roman) ; J. Pisani-Ferry, Quelle France dans 10 ans – Leschantiers de la décennie, rapport au président de la République,France Stratégie, juin 2014. 155-157.

24 M. Borgetto, M. Chauvière, B. Frotiée, M. Poulain et D. Renard, Lesdébats sur l’accès aux droits sociaux entre lutte contre les exclusions etmodernisation administrative, Dossier d’Étude, Cnaf, n° 60, 2004 ;E. Maurel, Le non-recours aux prestations sociales : les enjeux révélés parle vécu des usagers, RDSS 2012. 622. Y. Vaugrenard, Comment enrayerle cycle de la pauvreté ? Osons la fraternité !, rapport d’information dela Délégation sénatoriale à la prospective, n° 388 (2013-2014), 19 févr.2014. 74 ; A. Dulin, Droits formels/droits réels : améliorer le recours auxdroits sociaux des jeunes, Les avis du CESE, juin 2012 ; enfin (et surtout),RDSS 2012, n° 4, numéro spécial « Le non-recours aux droits », p. 599-781 (dont C. Willmann, La renonciation du chômeur : entretolérance/ignorance et interdiction/sanction, RDSS 2012. 657).

25 Travaux parlementaires : E. Doligé, Revenu de solidarité active etpolitique d’insertion, avis Sénat n° 32 (2008-2009) ; L. Hénart, Géné-ralisation du revenu de solidarité active et réforme des politiquesd’insertion, avis AN n° 1112, sept. 2008 ; M.-P. Daubresse, Généralisa-tion du revenu de solidarité active et réforme des politiques d’inser-tion, rapp. AN n° 1113, sept. 2008 ; B. Dupont, Généralisation durevenu de solidarité active et réforme des politiques d’insertion, com-mission des affaires sociales, rapp. n° 25, 2008-2009.

26 J. Damon, Du RMI au RSA, en passant par le RMA, RDSS 2009. 213 ;C. Willmann, Revenu de solidarité active : le législateur consacre lerapport Hirsch, mais à titre expérimental (L. n° 2007-1223 du 21 août2007), Lexbase hebdo, éd. soc., 2007, n° 271 – Travaux parlemen-taires : G. Carrez, rapp. AN n° 62, 5 juill. 2007. 305-328 ; D. Tian, avisAN n° 61, 4 juill. 2007 (exonération d’impôt sur le revenu et allége-ments de charges sociales des heures supplémentaires ; RSA) ;P. Marini, rapp. Sénat n° 404 (2006-2007), 19 juill. 2007. 185-221 ;A. Vasselle, avis Sénat n° 406 (2006-2007), 19 juill. 2007. 27-41.

27 S. Cazain, P. Domingo, V. Fernandez, M. Le Tiec et I. Siguret, Étudessur le revenu de solidarité active – Évolutions et caractéristiques desbénéficiaires – Éléments sur leurs trajectoires – Mise en place dans lescaisses d’Allocations familiales, Dossier d’étude, Cnaf, 2012, n° 156 ;Commission Familles, vulnérabilité, pauvreté, prés. M. Hirsch, Au pos-sible, nous sommes tenus. La nouvelle équation sociale 15 résolutionspour combattre la pauvreté des enfants, rapport en ligne ; Conseild’orientation pour l’emploi, Avis sur les conditions de la réussite duRSA pour l’emploi, 23 mai 2008 ; J. Damon, Le rapport « Hirsch » :filiation, contenu et enjeux, RDSS 2005. 610 ; C. Demuynck et B. Seil-lier, La lutte contre la pauvreté et l’exclusion : une responsabilité àpartager, t. 1, Rapport Sénat n° 445, 2007-2008, 2 juill. 2008 ; C. Will-mann, Lexbase hebdo éd. sociale, 6 sept. 2007, n° 271, préc.

28 Journée d’étude, L’accès aux droits et le non-recours en questions,préc., session 2, « Comment mesurer le non-recours ? » (P. Domingo,et M. Pucci, Le non-recours au RSA au travers du modèle de micro-simulation Myriade ; I. Gouaref, Les coûts macro-économiques dunon-recours au RSA).

29 F. Bourguignon, Comité national d’évaluation du RSA, rapport final,déc. 2011. 13-15 et p. 47-64 ; F. Chérèque, C. Abrossimov et M. Khen-nouf, Évaluation de la 2nde année de mise en œuvre du plan plurian-nuel contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale, t. I, rapport, IGAS,janv. 2015 ; P. Domingo, et M. Pucci, Le non-recours au revenu deSolidarité active, Rapport final du Comité National d’Évaluation duRevenu de Solidarité Active, annexe 1, 2011 ; P. Domingo et M. Pucci,Les vecteurs du non-recours au revenu de solidarité active du pointde vue de l’usager, Informations sociales, Cnaf, n° 178, 2013. 72-80.B. Fragonard (coord.), M. Peltier et A. Rivard (rapporteurs), Accès auxdroits et aux biens essentiels, minima sociaux, rapport (préparationde la Conférence nationale contre la pauvreté et pour l’inclusionsociale), 29 nov. 2011. 27 ; Groupe de travail Accès aux droits, L’accèsaux droits et le non-recours dans la branche Famille de la sécuritésociale, Dossier d’étude n° 173, CAF, nov. 2014. Projet de loi relatif audialogue social et à l’emploi, étude d’impact, préc., p. 169.

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comptes 30 et France Stratégie 31. Le plan de lutte contrela pauvreté et pour l’inclusion sociale, engagé par leComité interministériel de lutte contre l’exclusion(CILE) 32, s’en est fait l’écho.

En 2010, le taux de non-recours s’élevait, pour le RSA« socle », à 35 % (montants non distribués, 3,6 Mds € ;nombre de non-recourants, 759 000) ; pour le RSA« activité », à 68 % (montants non distribués, 1,6 Md € ;nombre de non-recourants, 977 000). En 2013, la Courdes comptes 33 a proposé de synthétiser les principalescauses de non-recours :

— manque de connaissance du dispositif (68 %) ;— complexité des démarches (20 %). La complexité

tient principalement au mode de calcul. En effet, leRSA « activité » n’est pas conçu comme une presta-tion individuelle, mais une prestation attribuée à unfoyer et variable selon le nombre de ses membres.Le débat sur la complexité n’est pas propre au RSA« activité », et vaut aussi, plus généralement, pourles minima sociaux avec leurs règles d’attribution etleur barème propre. L’enchevêtrement de ces diffé-rents outils conduit à un système complexe et peucohérent ;

— changement de situation personnelle (10 %) ;— volonté de se « débrouiller » seul financièrement

(42 %) ;— refus, par principe, de dépendre d’une aide de l’État

(27 %).

Il faudrait ajouter :— la dureté des conditions. Tel se présente le « RSA

jeunes » (infra, n° 35-36), ouvert depuis le 1er sep-tembre 2010 (LF pour 2010, art. 135), ne bénéfi-ciant qu’à 9 000 personnes seulement. Les condi-tions d’accès sont très restrictives, notamment enmatière de conditions d’activité ;

— le refus de stigmatisation et d’assignation sociale ;— la mauvaise image du RSA, le « quasi-non recours »

(éligibilité inconnue) due à la confusion RSA

socle/activité/majoré et au lien avec l’ASF, la com-plexité de la prestation ;

— l’incapacité à prévoir son budget (risque d’indus),doublés d’un faible intérêt pour la prestation et dela concurrence de la prime pour l’emploi (pour leRSA activité).

16. Pistes de réflexion. En réponse aux critiques 34, denombreux travaux avaient évoqué des pistes de réflexion :— une « prime d’activité » (rapport C. Sirugue 35). Les

grandes lignes de cette proposition ont été adoptéespar le législateur (L. 17 août 2015). Le rapportC. Sirugue proposait une prime individualisée, ouverteà tous les travailleurs à partir de dix-huit ans et dontles revenus sont compris entre 0 et 1,2 SMIC. Maxi-male à 0,7 SMIC, cette prime d’activité repose surune éligibilité qui tient compte des revenus collectifs,pour des motifs de justice sociale ;

— une allocation universelle (rapport Pisani-Ferry) 36.Il s’agirait d’un rapprochement par étapes les diffé-rents dispositifs, d’abord en fusionnant le RSA« activité » et prime pour l’emploi, puis l’allocationde solidarité spécifique (ASS) et le RSA « socle »,pour tendre vers une allocation unique pour tousles individus d’âge actif qui remplacerait à terme àla fois le RSA, la PPE et l’ASS accessible dès l’âgede dix-huit ans, ce qui constituerait un pas impor-tant vers la simplification et la lisibilité.

C — RÉDUCTION DES COTISATIONS SALARIALES

17. Mesure d’intéressement. La loi n° 2014-892 du8 août 2014 de financement rectificative de la sécuritésociale (LFRSS) pour 2014 37 a été mise en place par lelégislateur, comme support juridique au « pacte de res-ponsabilité ». Parmi les différentes mesures, figurait unebaisse des cotisations salariales dès le 1er janvier 2015pour les salariés percevant jusqu’à 1,3 SMIC (L. 8 août2014, art. 2).

18. Objectif. L’objectif poursuivi par le législateur étaitd’introduire un mécanisme, clairement affiché, de pro-gressivité. Jusqu’à présent, le système des cotisations sala-riales reposait sur un principe de proportionnalité, dansles faits, atténué, en raison des mécanismes de plafonne-ment existants, les prélèvements salariaux présentant infine une légère dégressivité. Il s’agissait donc de rétablir

30 Cour des comptes, Du RMI au RSA : la difficile organisation de l’inser-tion – Constats et bonnes pratiques, rapport public thématique,17 févr. 2011 (Dr. fisc. 2011. Actu. 70) ; Soutien aux revenus d’activitémodestes, juill. 2013 ; Le RSA « activité » : une prestation peu sollici-tée, un impact restreint, rapport public annuel, 2013, chap. 4 ; Fisca-lité des ménages, 19 mai 2014 (compte rendu dans Dr. fisc. 2014.Actu. 315).

31 J. Pisani-Ferry (dir.), Quelle France dans 10 ans ? Les chantiers de ladécennie, rapport France Stratégie, juin 2014. 156-157 : « Undomaine où la complexité et la superposition des dispositifs est parti-culièrement inefficace est celui des minima sociaux et des aides auxtravailleurs pauvres, comme en témoigne le taux très élevé de non-recours au RSA activité. L’objectif initial du RSA était de remplacerun ensemble de prestations créant des effets de seuil et des inégali-tés. Au contraire coexistent aujourd’hui différents dispositifs, RSA,ASS et PPE, si on se limite à ceux qui peuvent concerner tout indi-vidu d’âge actif (en excluant donc les allocations spécifiques aux per-sonnes en situation de handicap ou aux plus de 65 ans) […] ».

32 Adopté le 21 janv. 2013 en Comité interministériel de lutte contrel’exclusion, le plan de lutte contre la pauvreté et pour l’inclusionsociale a été adapté dans une nouvelle « feuille de route 2014 », enjanv. 2014, à la suite d’un premier rapport d’évaluation réalisé parl’IGAS.

33 Soutien aux revenus d’activité modestes, préc., p. 224-228.

34 N. Okbani, Les travailleurs pauvres face au RSA activité, un rendez-vousmanqué ?, Revue Française des Affaires Sociales, n° 4, 2013. 34-55.

35 C. Sirugue et S. Vanackere, Réforme des dispositifs de soutien auxrevenus d’activité modestes, préc.

36 J. Pisani-Ferry (dir.), Quelle France dans 10 ans ? Les chantiers de ladécennie, préc., p. 156-157.

37 Lexbase hebdo, éd. soc., 2014, n° 581 ; C. Willmann, LFRSS 2014, uneloi de financement de la sécurité sociale, au service des politiques del’emploi, Lexbase hebdo, éd. soc., 2014, n° 583 – Parmi les travauxparlementaires : G. Bapt, rapp. AN n° 2061, 25 juin 2014. 59-70 ;Y. Daudigny, rapp. Sénat n° 703, 9 juill. 2014. 27-34 ; J.-P. Caffet, avisSénat n° 701, 9 juill. 2014 ; D. Lefebvre, avis AN n° 2058, 25 juin2014 ; v. aussi G. Bapt, rapp. AN n° 2160, 18 juill. 2014.

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une plus franche progressivité de ces prélèvements, parl’introduction d’une réduction dégressive des cotisationssalariales pour les rémunérations comprises entre 1 et1,3 SMIC.

19. Censure par le Conseil constitutionnel. Le projet deréduction dégressive des cotisations salariales de sécuritésociale a été censuré par le Conseil constitutionnel 38.L’introduction de cette réduction dégressive des cotisa-tions salariales était critiquée pour trois motifs : non-res-pect de la distinction entre les cotisations sociales et lesimpositions de toute nature ; dénaturation de l’objet descotisations sociales ; enfin, atteinte au principe d’égalitédevant la loi (la réduction dégressive de cotisationssociales, réservée aux seuls salariés dont la rémunérationen équivalent temps plein est comprise entre 1 et1,3 SMIC, alors que ces salariés continueront de jouird’un niveau de prestations sociales inchangé).

Le Conseil constitutionnel a reconnu la validité de cescritiques 39. Le législateur (PLFRSS 2014) avait instituéune réduction dégressive des cotisations salariales de sécu-rité sociale pour les salaires compris entre 1 et 1,3 SMIC ;mais dans le même temps, le législateur a maintenuinchangés, pour tous les salariés, l’assiette de ces cotisa-tions ainsi que les prestations et avantages auxquels cescotisations ouvrent droit. Ainsi, un même régime de sécu-rité sociale aurait continué à financer, pour l’ensemble deses assurés, les mêmes prestations malgré l’absence de ver-sement, pour les salariés bénéficiaires de la mesure enquestion, de la totalité des cotisations salariales ouvrantdroit aux prestations servies par ce régime. Aussi, le légis-lateur a institué une différence de traitement qui nerepose pas sur une différence de situation entre les assurésd’un même régime de sécurité sociale, sans rapport avecl’objet des cotisations salariales de sécurité sociale. Bref,cette disposition méconnaît le principe d’égalité.

20. Différence de traitement. La problématique de la dif-férence de traitement entre assurés d’un même régimes’est également posée dans le champ des cotisationssociales versées par les employeurs 40, notamment au titrede la prévoyance complémentaire 41.

En matière de cotisations sociales salariées, le Conseilconstitutionnel s’est déjà prononcé à plusieurs reprises.Dans la décision n° 2011-158 QPC du 5 août 2011, leConseil constitutionnel a estimé que l’objectif de favoriserle maintien à domicile de personnes dépendantes, en rap-port direct avec l’exonération instituée, constituait un cri-tère objectif et rationnel pour fonder la différence de trai-tement. En 2012, le Conseil constitutionnel 42 a reconnuqu’une différence de traitement distinguant entre lesemployeurs et les salariés est bien en rapport avec l’objetde la protection sociale. Mais par une autre décision ren-due en 2012, le Conseil constitutionnel 43 a déclaré ledispositif mis en place par la PLFSS 2012 contraire à laConstitution, parce qu’une différence de traitement doitêtre en rapport avec l’objet de ces cotisations.

En l’espèce, le Conseil constitutionnel relève que la dif-férence de traitement instituée par le dispositif de réduc-tion dégressive des cotisations salariales de sécurité socialene repose pas sur une différence de situation entre lesassurés d’un même régime de sécurité sociale. La solutiona donné lieu à des avis divergents, partagés en approba-tion 44 et critiques et réserves 45.

II. — LE RSA « ACTIVITÉ », SANS LE NOM

21. Prime d’activité, RSA « activité » bis ? À compter du1er janvier 2016, va donc être mise en place la primed’activité (L. 17 août 2015, art. 57) 46. Tout l’enjeu de laprime d’activité peut se résumer, symboliquement, par

38 Cons. const., 6 août 2014, n° 2014-698 DC, préc. – Liaisons soc. quot.2014, n° 16647 ; RJS nov. 2014. 683-684 ; v. not., M. Badel, Le Conseilconstitutionnel arbitre économique et politique : l’exemple de la loide financement rectificative de la sécurité sociale pour 2014, Consti-tutions 2015. 85-91 ; J. Barthélemy, Loi de financement rectificativede la sécurité sociale pour 2014 : le Conseil constitutionnel et laréduction des cotisations sociales des bas salaires, Dr. soc. 2014. 867 ;A. Barilari, La définition traditionnelle des cotisations sociales ou l’ar-bre qui cache la forêt, RFFP 2014. 217-226 ; B. Castagnède, Fiscalitédes personnes : chronique de l’année 2014, Dr. fisc. 2015, 167, spéc.§ 11 ; M. Collet, Le Conseil constitutionnel et la distinction desimpôts et des cotisations sociales (…), Dr. fisc. 2014. 553 ; R. Pellet,Les assurances sociales sont-elles solubles dans la fiscalité ? Mise enperspective historique de la décision (…), Journal de droit de la santéet de l’assurance maladie, 2013, n° 1, p. 9 ; J.-L. Pissaloux, Le Conseilconstitutionnel et les finances sociales. Commentaire de la décisionn° 2014-698 DC du 6 août 2014 relative à la loi de financement recti-ficative de la sécurité sociale pour 2014, Gestion et financespubliques, janv.-févr. 2015. 103.

V. aussi, dans la presse quotidienne, V. Collen, Cotisations des salariésmodestes : les sages infligent un camouflet à Hollande, Les Échos,7 août 2014 ; H. Bekmezian, Nouveau camouflet pour le gouverne-ment, Le Monde, 8 août 2014. 5 ; I. Ficek, Le camouflet du Conseilconstitutionnel relance le débat fiscal à gauche, Les Échos, 8-9 août2014. 3 ; J. Le Cacheux, Il faut réformer la CSG pour soulager les basrevenus, Le Monde débats, 10-11 août 2014.

39 Cons. const., 6 août 2014, n° 2014-698 DC, préc., cons. 12 et 13.

40 Not., P. Lokiec, L’égalité devant la loi, Dr. soc. 2014. 325 ; R. Lafore,L’égalité en matière de sécurité sociale, RDSS 2013. 379.

41 J. Barthélémy, Égalité de traitement et sort des cotisations de pré-voyance : à propos de l’article 17 de la LFSS du 20 déc. 2010 et dudécret y afférent du 9 janv. 2012, Dr. soc. 2012. 510 ; D. Asquinazi-Bailleux, L’exonération de cotisations sociales et sa conjugaison avecle principe d’égalité de traitement, Dr. soc. 2013. 907.

42 Cons. const., 13 déc. 2012, n° 2012-659 DC, cons. 13, AJDA 2012.2410 ; RFDA 2013. 1, étude B. Genevois ; Constitutions 2013. 85, obs.A. Barilari.

43 Ibid., cons. 15.

44 L. 17 août 2015, art. 57 ; CSS, art. L. 841-1, L. 842-1 à L. 842-7, L. 843-1à L. 843-6, L. 844-1, L. 845-1 à L. 845-6, L. 846-1 à L. 846-3, L. 847-1(au 1er janv. 2016) ; D. Rousseau, entretien, Le Monde, 8 août 2014. 5.Nota : la parenthèse qui accompagne « au 1er janv. 2016 » signifiequ’aujourd’hui une recherche de ces dispositions dans le code de lasécurité sociale (not. sur Legifrance) serait infructueuse, car ces dispo-sitions n’apparaissent pas ; elles ne seront en vigueur qu’à compterdu 1er janv. 2016 et n’apparaîtront dans le code de la sécurité socialequ’à cette date.

45 M. Collet, Le Conseil constitutionnel et la distinction des impôts etdes cotisations sociales, RJEP nov. 2014. Comm. 45 ; C. Willmann, Lex-base hebdo, éd. soc., 2014, n° 583, préc.

46 D. Lefebvre, avis AN n° 2773, 19 mai 2015, préc. ; C. Procaccia, rapp.Sénat n° 501 (2014-2015), 10 juin 2015, préc., p. 209.

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son nom : la réforme est-elle profonde (va-t-elle au-delàdu changement de dénomination, RSA « activité »devenu « prime d’activité ») ou de façade (le changementde nom masquant un simplement changement de para-mètre) ? La réponse (comme souvent dans le champ desréformes législatives ou réglementaires dont le travail,l’emploi, les minima sociaux, sont l’objet) est ambiva-lente : les fondamentaux sont les mêmes ; mais les condi-tions d’éligibilité et le calcul diffèrent sensiblement.

A — RSA/PRIME D’ACTIVITÉ,UNE GRANDE PROXIMITÉ(ARCHITECTURE, OBJECTIFS, RÉGIME)

22. À plusieurs égards, la prime d’activité montre dessimilitudes telles avec le RSA « activité » qu’on en vient àdouter de la réalité de sa dimension novatrice et réelle-ment réformatrice. Même architecture, mêmes objectifsassignés au dispositif, régime très proche : tout laisse àpenser que la prime d’activité n’est finalement rien d’autrequ’une rénovation de façade du RSA « activité ».

1. Même architecture, mêmes objectifs,même nature

23. Un revenu différentiel. Fondamentalement, RSA« activité » et prime d’activité reposent sur la même archi-tecture : verser aux travailleurs pauvres, à partir d’un seuilmonétaire, jusqu’à un certain plafond, un revenu destinéà accompagner les personnes en activité professionnelle àtemps partiel ou mi-temps (voire, dans certains cas, àtemps plein). En effet, ces travailleurs pauvres, bénéfi-ciaires de prestations sociales, sont susceptibles de perdrele bénéfice de certaines prestations sociales, à hauteur desrevenus tirés d’une activité. C’est l’« effet de seuil », dontl’effet dissuasif justifie à lui seul la mise en place desmesures dites d’intéressement (v. supra, n° 3-4).

Très fondamentalement, RSA « activité » et prime d’ac-tivité répondent à ce même objectif ; participent de lamême catégorie des mesures d’intéressement ; sont dési-gnés par une appellation très proche (« activité » dans lesdeux cas, qu’il s’agisse de la prime ou du RSA).

24. Objectifs initiaux (1988). La loi n° 88-1088 du1er décembre 1988 relative au revenu minimum d’inser-tion 47 poursuivait un objectif simple et facilement identi-fiable, la lutte contre la pauvreté. Mais cet objectif généralétait associé à plusieurs « sous-objectifs » : le versementd’un revenu minimum était pensé et conçu comme l’undes éléments d’un dispositif global de lutte contre la pau-vreté tendant à supprimer toute forme d’exclusion,

notamment dans les domaines de l’éducation, de l’emploi,de la formation, de la santé et du logement. Le RMI étaitune aide sociale, versée du seul fait qu’une personne dis-pose de ressources n’atteignant pas un plancher ; il suffi-sait de s’engager à participer aux actions ou activités défi-nies avec le bénéficiaire, nécessaires à son insertion socialeou professionnelle (L. n° 88-1088, 1er déc. 1988, art. 2).Le législateur a donc mis en place, conformément à desengagements que l’État tient à l’égard des pauvres depuisle Préambule de la Constitution de 1946 (« Toute per-sonne qui, en raison de son âge, de son état physique oumental, de la situation de l’économie et de l’emploi, setrouve dans l’incapacité de travailler, a le droit d’obtenirde la collectivité des moyens convenables d’existence »,repris par l’art. 1er de la loi du 1er déc. 1988), un revenuuniversel, une aide financière relevant du droit de l’aidesociale 48.

25. Objectifs réactualisés (2008). Le législateur n’a pas,initialement, été indifférent à la question du retour àl’emploi des bénéficiaires du RMI 49. Ainsi, ont été misen place des mécanismes d’intéressement à la reprise d’ac-tivité : aides forfaitaires ou proportionnelles au revenuselon la durée du temps de travail, prime de retour àl’emploi. Mais ces mesures d’intéressement, complexes, sesont révélées peu incitatives à la reprise durable d’unemploi. D’où la mise en place du RSA, se substituant auRMI sous deux formes, le RSA « socle » (RMI) et le RSA« activité » (mesure d’intéressement) en deux temps, àtitre expérimental (par la loi TEPA) puis généralisé à l’en-semble du territoire par la loi du 1er décembre 2008. Ladoctrine 50 a très bien démontré que la rupture a été ini-tiée par la mise en place du RSA « activité », qui n’estplus, à l’image du RMI, une allocation universelle rele-vant du droit de l’aide sociale.

Le RSA, monstre à deux têtes, participe à la fois dudroit de l’aide sociale (socle) et du droit de l’emploi (acti-vité). Le revenu différentiel versé aux bénéficiaires nerépond pas à un objectif humanitaire et bien compris defraternité, mais à une préoccupation plus pragmatique desoutien au retour à l’emploi et de fluidité du marché dutravail. Le schéma est connu (v. supra, n° 3-4) : pour lut-ter contre les pièges à la pauvreté auxquels sont exposéscertains bénéficiaires de minima sociaux, le législateur aconçu des instruments incitatifs destinés à rendre« payant » (au sens propre comme au sens figuratif ) leretour à l’emploi : en d’autres termes, à accroître les gainsfinanciers du retour à l’emploi.

26. Objectifs repensés (2015) ? Alors que le RSA « acti-vité » avait pour objet d’inciter à l’exercice d’une activitéprofessionnelle et de lutter contre la pauvreté de certainstravailleurs (qu’ils soient salariés ou non-salariés 51), la

47 Réf. bibliographiques très abondantes. V. not., Cour des comptes,Rapport public annuel de 1995, p. 49 ; Rapport public annuel de2001, L’insertion des bénéficiaires du RMI, p. 9 ; C. Lepine, T. Wanecqet J.-M. Boulanger, Mission de contrôle des politiques d’insertionmenées en faveur des allocataires du RMI, IGAS, 2009 ; M. Lelièvre etE. Nauze-Fichet (dir.), RMI, l’état des lieux 1988-2008, La Découverte,janv. 2008 ; F. Tourette, Extrême pauvreté et droits de l’homme : ana-lyse de l’obligation juridique et des moyens des pouvoirs publicsfrançais dans la lutte contre l’extrême pauvreté th. Clermont-Ferrand,dir. D. Turpin, 1998.

48 R. Lafore, Le RSA : la dilution de l’emploi dans l’assistance ?, RDSS2009. 223.

49 Cour des comptes, Du RMI au RSA, préc., p. 9.

50 R. Lafore, Le RSA : la dilution de l’emploi dans l’assistance ?, préc. ;v. aussi D. Roman, RSA : 20 ans après le RMI, une réforme a minima– Loi n° 2008-1249 du 1er déc. 2008, JCP S déc. 2008. 13.

51 CASF, art. L. 262-1.

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prime d’activité a pour objet d’inciter les travailleurs auxressources modestes (qu’ils soient salariés ou non-salariés)à l’exercice ou à la reprise d’une activité professionnelle etde soutenir leur pouvoir d’achat 52. La différence derédaction des deux dispositifs est réelle : l’un est incitatif(exercice d’une activité) et caritatif ; l’autre est égalementincitatif (exercice ou reprise d’une activité) et consumé-riste (soutien du pouvoir d’achat). La différence de rédac-tion ne permet pour autant pas réellement d’identifier desdifférences d’objectifs assignés tant au RSA « activité »qu’à la prime d’activité. Les deux dispositifs sont desmesures d’intéressement, ayant pour objet de rendre letravail financièrement avantageux, alors même que lesintéressés sont déjà bénéficiaires de minima sociaux.

27. Aide sociale ou mesure pour l’emploi ? Les disposi-tions relatives à la prime d’activité figurent dans le codede la sécurité sociale, alors que celles relatives au RSA« socle » demeurent inscrites dans le code de l’actionsociale et des familles 53.

La prime n’en reste pas moins une prestation d’assis-tance sociale. Le Conseil d’État a en effet estimé, dansson avis du 16 avril 2015 54 (§ 15), que la prime :

— ne se rattache à aucune des prestations listées à l’ar-ticle 3 du règlement (CE) n° 883/2004 du Parle-ment européen et du Conseil du 29 avril 2004 etne relève pas des prestations de chômage (mention-nées au h). En effet, la prime d’activité n’a pas pourobjet de couvrir le risque lié à la perte involontaired’emploi ;

— constitue une prestation d’assistance sociale et nonune prestation de sécurité sociale au sens du règle-ment (CE) n° 883/2004 ;

— n’est pas une prestation spéciale en espèces à carac-tère non contributif dès lors que la prime d’activiténe figure pas à l’annexe X du règlement (CE)n° 883/2004 et ne remplit ainsi pas l’une des troisconditions pour revêtir cette qualification ;

— enfin, n’est pas une prestation financière destinée àassurer le retour à l’emploi, au sens de la jurispru-dence de la Cour de justice 55, une telle qualifica-tion étant réservée aux prestations versées aux per-sonnes à la recherche d’un emploi.

2. Régime très proche

28. Conditions. La prime d’activité est soumise auxmêmes conditions que le RSA « activité ». Dans les deuxdispositifs, les conditions d’éligibilité sont identiques (sauf

l’hypothèse particulière des jeunes, à partir de dix-huitans, v. infra, n° 35). Il faut en effet :

— exercer une activité professionnelle salariée ou nonsalariée, mais percevoir des revenus modestes autitre de cette activité, à partir/en deçà d’un certainseuil (v. infra, n° 39) ;

— résider en France de manière stable et effective 56,condition conforme au droit européen, selon leConseil d’État 57 ;

— être âgé de plus de dix-huit ans 58 (prime d’activité)ou vingt-cinq ans 59 (RSA « activité ») ; entre dix-huit et vingt-cinq ans (RSA activité), sous certainesconditions (v. infra, n° 35) 60 ;

— avoir la nationalité française ou être titulaire depuisau moins cinq ans d’un titre de séjour autorisant àtravailler. Cette condition n’est toutefois pas oppo-sable à certaines catégories de demandeurs (réfugiés,ressortissants européens ou suisses, etc.) 61.

29. Autres bénéficiaires. Deux catégories spécifiques peu-vent prétendre au RSA « activité » ou à la prime d’acti-vité, la personne isolée assumant la charge d’un ou deplusieurs enfants ainsi que la femme isolée en état degrossesse, ayant effectué la déclaration de grossesse et lesexamens prénataux (au sens du CASF, art. L. 262-9), qui,en outre, est :

— élève, étudiant, stagiaire ou apprenti (conditionidentique pour le RSA « activité » comme pour laprime d’activité, laquelle, en outre, est ouverte àtoute personne, en deçà d’un plafond de reve-nus 62) ;

— le travailleur bénéficiaire d’un congé parental d’édu-cation, congé sabbatique, congé sans solde ou endisponibilité, qui perçoit des revenus profession-nels 63.

30. Personnes exclues. La prime d’activité ou le RSA« activité » ne sont pas attribués si l’intéressé 64 :

— a le statut d’élève, d’étudiant, de stagiaire ou d’ap-prenti et ne répond ni aux critères de revenus pro-fessionnels ni au critère de parent isolé mentionnésci-dessus ;

52 CSS, art. L. 841-1 (à compter du 1er janv. 2016).

53 CASF, dispositions générales, art. L. 262-1 ; conditions d’ouverture dudroit, art. L. 262-2 à L. 262-12 ; attribution et service de la prestation,art. L. 262-13 à L. 262-22 ; financement du RSA, art. L. 262-24 àL. 262-26 ; droits et devoirs du bénéficiaire du RSA, art. L. 262-27 àL. 262-39 ; contrôle, art. L. 262-40 à L. 262-44 ; recours et récupéra-tion, art. L. 262-45 à L. 262-49 ; lutte contre la fraude et sanctions,art. L. 262-51 à L. 262-53.

54 CE, sect. soc. avis, 16 avr. 2015, n° 389.926.

55 CJUE, 4 juin 2009, aff. C-22/08 et C-23/08, Vatsouras et Koupatantze,pt 40, AJDA 2009. 1535, chron. E. Broussy, F. Donnat et C. Lambert ;RDT 2009. 671, obs. P. Mavridis.

56 RSA : CASF, art. L 262-2 et R 262-5 ; Prime d’activité : CSS, art. L. 842-1(au 1er janv. 2016).

57 CE, sect. soc. avis, 16 avr. 2015, n° 389926, préc., § 16

58 Prime activité : CSS, art. L. 842-2-1° (au 1er janv. 2016).

59 RSA : CASF, art. L. 262-4, « 1° être âgé de plus de vingt-cinq ans ouassumer la charge d’un ou plusieurs enfants nés ou à naître ».

60 RSA : CASF, art. L. 262-8.

61 CASF, art. L. 262-4, 2° ; CSS, art. L. 842-2, 2° (au 1er janv. 2016).

62 RSA : CASF, art. L. 262-4, 3° ; Prime d’activité : CSS, art. L. 842-2, 3°(au 1er janv. 2016). Il s’agit du plafond mentionné au 2° de l’articleL. 512-3 CSS, soit 55 % du SMIC (plafond de rémunération opposableaux enfants qui travaillent pour être considérés comme à charge ausens des prestations familiales, soit 893 € au 1er janv. 2015).

63 Prime d’activité, CSS, art. L. 842-2, 5° (au 1er janv. 2016) ; RSA : CASF,art. L. 262-4, 4°. Sont visées en particulier les personnes en congéparental d’éducation qui peuvent exercer une activité d’assistantmaternel pendant leur congé, à l’exclusion de toute autre activité(C. trav., art. L. 1225-53).

64 RSA « activité » : CASF, art. L. 262-8 ; Prime d’activité : CSS, art.L. 842-2, 3°, 4° et 5° (au 1er janv. 2016).

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— a la qualité de travailleur détaché temporairementen France, condition conforme au droit européen,selon le Conseil d’État 65 ;

— est en congé parental d’éducation, congé sabba-tique, congé sans solde ou en indisponibilité sanspercevoir, par ailleurs, de revenus professionnels.

31. Calcul. Le revenu versé au titre du RSA « activité »est calculé, pour chaque foyer, en faisant la somme d’unefraction des revenus professionnels des membres dufoyer ; et d’un montant forfaitaire, dont le niveau varie enfonction de la composition du foyer et du nombre d’en-fants à charge 66. Pareillement, la prime d’activité estégale à la différence entre un montant forfaitaire dont leniveau varie en fonction de la composition du foyer et dunombre d’enfants à charge, augmenté d’une fraction desrevenus professionnels des membres du foyer, et qui peutfaire l’objet d’une ou de plusieurs bonifications ; les res-sources du foyer, qui sont réputées être au moins égalesau montant forfaitaire 67. La formule de calcul est incom-plète, en l’état, s’agissant de la prime d’activité, dans l’at-tente des décrets d’application de la loi Rebsamen.

32. Montant de base. Tout comme le RSA « activité », laprime d’activité demeure un dispositif largement « familia-lisé », alors que le rapport Sirugue 68 avait proposé unestricte individualisation. La prime d’activité est calculée,pour chaque foyer, en prenant en compte trois éléments :un montant forfaitaire (dont le niveau varie en fonction dela composition du foyer et du nombre d’enfants à charge) ;une fraction des revenus professionnels des membres dufoyer ; les autres ressources du foyer 69. La prime d’activitésera versée aux travailleurs modestes à partir du premiereuro gagné. Le gouvernement a rendu publics les montantsmensuels (valeur, sept. 2015) : 180 € pour les salariés tra-vaillant au quart temps rémunéré ; 246 € pour les travail-leurs à mi-temps ; 188 € pour les salariés travaillant auxtrois quarts temps ; 132 € pour les salariés travaillant àplein temps et percevant un SMIC ; 13 à 105 € pour lestravailleurs percevant entre 1,1 à 1,3 % du SMIC.

33. Régime. Le législateur a également fixé le régime dela prime, au regard de son attribution, service et finance-ment 70 ; des droits du bénéficiaire à un accompagne-ment 71 ; enfin, du contrôle, recours et récupération et dela lutte contre la fraude 72. Le montant forfaitaire, la frac-

tion des revenus professionnels des membres du foyer, lesmodalités de calcul et le montant maximal de la bonifica-tion seront fixés par décret 73.

B — PRIME D’ACTIVITÉ, LES RUPTURES

34. Si la prime d’activité reprend la même trame du RSA« activité », il ne faut pas en conclure, hâtivement, qu’ellene présente aucun intérêt, si ce n’est un changement dedénomination. La prime d’activité s’inscrit dans la conti-nuité du RSA « activité », mais diffère sur deux points : ladéfinition du public cible, comprenant désormais lesjeunes (le RSA avait intégré tardivement cette catégorie debénéficiaires, mais les conditions étaient trop restrictives) ;les revenus pris en compte, pour le calcul de la prime ;un bonus individuel supplémentaire.

1. Un nouveau ciblage des bénéficiaires

35. Jeunes. Alors que le « RSA jeune » cible les jeunesâgés de dix-huit à vingt-cinq ans 74, la prime d’activité estattribuée à toute personne âgée de plus de dix-huit ans ;ainsi que les jeunes qui poursuivent des études (élève, étu-diant, stagiaire ou apprenti, dont les revenus profession-nels excédent mensuellement 55 % du SMIC, soit 893 €au 1er janv. 2015) ; l’élève, l’étudiant, le stagiaire ou l’ap-prenti qui assume seul la charge d’un ou de plusieursenfants 75. Mais les autres étudiants ou les apprentis nesont pas éligibles à la prime, dans la mesure où le méca-nisme incitatif de la prime ne fonctionne que pour lespersonnes entrées sur le marché du travail, ou en train des’y insérer.

Le RSA « activité » avait posé, comme condition,d’avoir exercé une activité professionnelle pendant unnombre déterminé d’heures de travail au cours d’unepériode de référence précédant la date de la demande. Cesconditions, restrictives, ont été jugées particulièrementdissuasives par les intéressés : au 30 septembre 2014,moins de 8 000 foyers bénéficiaient du « RSA jeunes » 76.Elles s’expliquent par la prise de conscience tardive dulégislateur, car l’ouverture du RSA aux jeunes est trèsrécente (LF pour 2010, art. 135) 77.

36. Chômage/pauvreté des jeunes. Les données statis-tiques disponibles 78 sont connues et largement diffusées.En 2008, 55 % des jeunes âgés de quinze à vingt-neufans sont actifs selon les normes du Bureau internationaldu travail : 48 % seulement occupent un emploi et 7 %

65 CE, sect. soc. avis, 16 avr. 2015, n° 389926, préc., § 17

66 RSA « activité » : CASF, art. L. 262-2.

67 CSS, art. L. 842-3 (au 1er janv. 2016).

68 C. Sirugue et S. Vanackere, Réforme des dispositifs de soutien auxrevenus d’activité modestes, préc.

69 CSS, art. L. 842-3 ; pour les travailleurs indépendants, art. L. 842-6 (au1er janv. 2016). La formule de calcul est la suivante : prime d’activitédu ménage = [constante familiale – ressources du ménage] + [62 %des revenus d’activité du ménage + bonus individuel]. La constantefamiliale correspond au point de sortie du RSA « socle » et les res-sources du ménage correspondraient à l’ensemble des ressourcesprises en compte pour le calcul de la prime, plus larges que les seulsrevenus professionnels.

70 CSS, art. L. 843-1 à L. 843-6 (au 1er janv. 2016).

71 CSS, art. L. 844-1 (au 1er janv. 2016).

72 CSS, art. L. 845-1 à L. 845-6 (au 1er janv. 2016).

73 CSS, art. L. 847-1 (au 1er janv. 2016).

74 CASF, art. D. 262-25-1 à art. D. 262-25-4.

75 CSS, art. L. 842-2 (au 1er janv. 2016).

76 Projet de loi relatif au dialogue social et à l’emploi, étude d’impact,préc., p. 168.

77 A. Cazalet et A. de Montgolfier, Solidarité, insertion et égalité deschances, projet de loi de finances pour 2010, rapport général Sénatn° 101 (2009-2010), t. 3, ann. 30, p. 55-58.

78 V. note page suivante.

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Dossier

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DROIT SOCIAL 913

sont au chômage. Le taux de chômage, qui mesure laproportion de chômeurs parmi les jeunes actifs, est de13 % : il est passé à 23,7 % au troisième trimestre 2014,soit 13,3 points de plus que le taux de chômage moyensur l’ensemble de la population.

Ces données statistiques, anxiogènes, montrent à quelpoint la posture adoptée par le législateur, jusqu’en 2009,n’était pas du tout adaptée : jusqu’alors, la doxa législativefaisait du jeune une catégorie de personnes jouissantd’atouts et d’avantages qu’ils peuvent exploiter et valorisersur le marché du travail (dynamisme, santé, capacitésd’adaptation, formation fraîchement acquise et pas encoreobsolète, ambition, énergie, courage, volonté, disponibi-lité…), rendant cette population moins fragile et vulnéra-ble sur le marché du travail (par rapport aux autres caté-gories de chômeurs, dont les chômeurs âgés, les chômeursde longue durée…) : cette psychologie (un peu rudimen-taire) du législateur permet de mieux comprendre pour-quoi, lors de la mise en place du RMI, les jeunes ont étéécartés du dispositif ; pareillement, en 2008, lors de lamise en place du RSA par la loi du 1er décembre 2008 79.Ces réticences à prendre en compte le jeune, comme caté-gorie des politiques publiques d’insertion, n’ont pourtantpas été consacrées par le Conseil constitutionnel 80.

2. Montant

37. Majorations selon la composition du foyer. Le mon-tant de base de la prime d’activité est fixé pour une per-sonne seule et majoré en fonction de la composition dufoyer 81. Le montant forfaitaire du RSA était déterminépar l’ensemble du « foyer social » : le dispositif était entiè-rement « familialisé ». L’étude d’impact 82 permet demieux comprendre l’esprit de la réforme instituant laprime d’activité. Le calcul de la prime d’activité est stric-

tement individualisé et repose sur les seuls revenus d’acti-vité. Mais cette individualisation du mode de calcul pou-vait diminuer le montant de la prestation versée à certainsménages bénéficiaires du RSA « socle », notamment lesfamilles et travailleurs à temps très partiel. Le législateur adonc mis en place un mécanisme de majoration. Lesmesures d’application de la loi Rebsamen, en cours, per-mettront de connaître exactement le taux de cette majora-tion 83.

38. Bonifications individuelles pour activité profession-nelle. Pour mener à bien la fusion de la PPE et du RSA« activité », le choix du législateur s’est porté sur le sou-tien aux travailleurs pauvres, avec la création d’une bonifi-cation individuelle à destination des personnes rémuné-rées entre 0,8 et 1,2 SMIC (not., les travailleurs à mi-temps) 84, condition conforme au droit européen, selon leConseil d’État 85. Ainsi, le montant forfaitaire pourra êtrebonifié pour chaque travailleur présent au foyer en fonc-tion des revenus qu’il tire de son activité profession-nelle 86. La bonification individuelle sera attribuée autantde fois qu’il y a de personnes au foyer en activité et dontles revenus professionnels dépassent un certain seuil.Chaque bonification sera calculée en fonction des revenusprofessionnels du travailleur qui y ouvrent droit, dans lalimite d’un plafond. L’étude d’impact donne des indica-tions chiffrées : au niveau de 50 % du SMIC mensuel(environ 600 €), le bonus est nul ; puis il augmentelinéairement jusqu’à 80 % du SMIC mensuel (soit950 €) où il atteint 67 €. De 80 % à 1,15 SMIC men-suel, le bonus reste constant. Les mesures d’application dela loi Rebsamen sont en cours, et devraient être connuesd’ici le 1er janvier 2016, date de mise en œuvre de laprime : le projet de décret paraît avoir retenu des donnéesproches de celles proposées par l’étude d’impact 87.

3. Calcul

39. Ressources du foyer. Les ressources prises en comptepour le calcul du RSA « activité » comprennent l’ensem-ble des ressources, de quelque nature qu’elles soient, detoutes les personnes composant le foyer, notamment lesavantages en nature ainsi que les revenus procurés par des

78 O. Marchand, Taux de chômage des jeunes, mode d’emploi, Dr. soc.juin 2006. 602 ; C. Minni, Emploi et chômage des jeunes de 15 à29 ans en 2007, 1res informations, 1res Synthèses n° 12.1, mars 2009 ;C. Minni, Structure et évolution de la population active selon l’âge,Données sociales, Insee 2006 ; P. Poulet-Coulibendo, Les études com-binées avec les emplois des jeunes : comparaison entre pays euro-péens, 2009 ; Projet de loi relatif au dialogue social et à l’emploi,étude d’impact, préc., p. 177-178 ; C. Sirugue et S. Vanackere,Réforme des dispositifs de soutien aux revenus d’activité modestes,préc. – Réf. plus récentes dans C. Willmann, Le contrat « emploijeune d’avenir », Dr. soc 2013. 24, et Le partage générationnel dutravail, Dr. soc. 2013. 529.

79 Gérer les difficultés d’accès des jeunes au marché du travail : despolitiques publiques en quête de sens, RDSS 2010. 355.

80 L’extension du RSA « activité » aux jeunes de moins de vingt-cinq ansne trouverait pas sa place dans une loi de finances ; elle créerait unediscrimination non seulement selon l’âge, ce qui serait contraire auxdixième et onzième alinéas du Préambule de la Constitution de 1946,mais également entre deux salariés du même âge ; elle introduiraitdes inégalités territoriales et limiterait l’autonomie financière desdépartements. Le Conseil constitutionnel n’a pas retenu ces griefs(Cons. const., 29 déc. 2009, n° 2009-599 DC, AJDA 2010. 4 ; ibid. 277,note W. Mastor ; D. 2010. 1508, obs. V. Bernaud et L. Gay ; RFDA2010. 627, chron. T. Rambaud et A. Roblot-Troizier ; Constitutions2010. 277, obs. A. Barilari ; ibid. 281, obs. A. Barilari ; ibid. 283, obs.A. Barilari).

81 CSS, art. L. 842-7 (au 1er janv. 2016).

82 Projet de loi relatif au dialogue social et à l’emploi, étude d’impact,préc., p. 172.

83 Le taux de cette majoration serait de 50 % pour la première per-sonne supplémentaire présente au foyer ; 30 % par personne supplé-mentaire ; 40 % par personne supplémentaire au-delà de la troisièmedécomptée. Le montant de base est également majoré en cas desituation d’« isolement » (personnes assumant seules la charge d’unou de plusieurs enfants ou femmes enceintes). La durée maximalependant laquelle le montant forfaitaire sera majoré serait de douzemois ; cette durée serait prolongée jusqu’à l’âge de trois ans du plusjeune des enfants.

84 Projet de loi relatif au dialogue social et à l’emploi, étude d’impact,préc., p. 173 et 176.

85 CE, sect. soc. avis, 16 avr. 2015, n° 389926, préc., § 19-20.

86 CSS, art. L. 842-3 (au 1er janv. 2016).

87 La bonification serait ouverte aux travailleurs dont les revenus pro-fessionnels mensuels sont supérieurs à 59 SMIC (567 €/mois) ; le mon-tant de la bonification serait nul pour les revenus inférieurs ouégaux à 59 SMIC ; la bonification augmenterait linéairement avec lahausse des revenus jusqu’à 95 SMIC (912,95 €) ; la bonification seraitconstante jusqu’à un plafond, fixé à 12,782 % du montant de base,soit 67 €/mois.

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biens mobiliers et immobiliers et par des capitaux 88. Enrevanche, le régime diffère, s’agissant de la prime d’acti-vité 89. Pour le calcul de la « base ressources », certainesressources sont retenues, d’autres pas ou d’autres encoresur la base d’un forfait. Un projet de décret présenté pro-pose une liste de ressources du foyer retenues pour calcu-ler la prime d’activité 90. Cette liste est volontairementresserrée : les ressources jusqu’à présent intégrées pour lecalcul du RSA « activité » étaient très nombreuses. Selonl’étude d’impact 91, sa lourdeur limitait le recours à laprestation et renvoyait au caractère de minimum social duRSA « activité ».

40. Ressources exclues. Les ressources retenues pour le cal-cul de la prime ne sont pas strictement celles retenuesactuellement pour le RSA « activité » : ce mode de calculdifférent, selon le régime en vigueur (RSA « activité » ouprime d’activité) est conforme au droit européen, selon leConseil d’État, car la différence de traitement ne méconnaîtpas le principe d’égalité 92. Le projet de décret précise lesmodalités de prise en compte des ressources. Seraient consi-dérées comme des revenus professionnels (alors qu’ils ne lesont pas pour le RSA « activité ») : la rémunération garantiedu travailleur handicapé dans un établissement ou serviced’aide par le travail (ESAT) ; la rémunération perçue dans lecadre d’une action ayant pour objet l’adaptation à la vieactive ; les sommes perçues à titre de dédommagement parles aidants familiaux ; les sommes perçues au titre de la par-ticipation à un travail destiné à l’insertion sociale par lespersonnes accueillies dans les organismes d’accueil commu-nautaire et d’activités solidaires.

En revanche, parmi les quelque vingt-six sources derevenus exclues pour le calcul de la base ressources, leprojet de décret cite les gratifications perçues dans lecadre de stages.

C — AU-DELÀ DU RSA « ACTIVITÉ » : LA PRIMED’ACTIVITÉ, UNE RÉFORME INSUFFISANTE

41. Premier bilan. La loi Rebsamen a répondu aux deuxprincipales critiques formulées à l’encontre de la PPE et

du RSA : leur ciblage, trop grossier (PPE) ; leur com-plexité, expliquant le non-recours (RSA). La loi du17 août 2015 résout cette difficulté, en dissociant laprime d’activité du RSA « socle ». Or, la confusion entreRSA « socle » et RSA « activité » a probablement été unélément explicatif du non-recours au RSA « activité », ence que les bénéficiaires ont pu assimiler, à tort, cette pres-tation à un minimum social à destination des personnessans ressource ou aux ressources très faibles. Alors queseuls 32 % du public potentiel bénéficie du RSA « acti-vité », l’étude d’impact chiffre un taux de recours de laprime d’activité supérieur de 16 points à celui du seulRSA « activité » 93. Si la prime d’activité, mieux ciblée etsimple, constitue a priori une bonne réponse à cesattentes, peut-on s’en satisfaire ?

42. Modes de rémunération du retour au travail. Si lelégislateur a bien identifié les angles morts du RSA et dela PPE, il n’a pas répondu aux autres critiques :

— faiblesse des gains monétaires à la reprise d’activité,lorsque l’intéressement prend fin (notamment dansle cas des familles monoparentales ou des couplesmonoactifs avec enfants). Ils ne permettent pas tou-jours de compenser les coûts qui peuvent être liés àl’exercice d’un emploi (garde d’enfant, transport,déménagement…) ;

— un impact limité sur la diminution du taux de pau-vreté. L’observation avait été formulée à l’égard dela PPE. Le barème de la PPE ne couvre pas les trèsfaibles rémunérations (en deçà de 0,3 SMIC) etprend mal en compte la situation familiale (ce quipénalise notamment les familles nombreuses).

43. Expérimentation, évaluation ex ante. Le RSA avait étémis en place, dans un premier temps, par une loi d’expéri-mentation (loi TEPA). Ce n’est que dans un second tempsque l’expérimentation a été généralisée (L. 1er déc. 2008).Le législateur, au titre de la loi Rebsamen, n’a pas choisicette voie, qu’il a jugée probablement trop longue et ina-daptée, le processus expérimentation/généralisation couvranteffectivement une période de plusieurs années. Mais l’argu-ment n’est pas vraiment convaincant : entre l’expérimenta-tion (loi TEPA) et sa généralisation (L. 1er déc. 2008), il nes’est passé qu’un an et demi, ce qui, à l’échelle de l’histoireet d’une nation, n’est pas déraisonnable ou démesuré (àl’échelle du temps politique, des échéances électorales, laconclusion sera différente).

Dernier point : la question de l’évaluation ou de l’expé-rimentation des politiques de l’emploi a émergé dans lesannées 2005-2010, à propos de la loi du 1er décembre2008. La critique, formulée en 2009 (v. not. les travauxde la Cour des comptes) 94, selon laquelle les pouvoirspublics n’ont pas mis en place d’outils systématiquesd’évaluation des politiques de l’emploi, est toujours d’ac-tualité en 2015 ■

88 RSA « activité » : CASF, art. R. 262-6, R. 262-7 (moyenne mensuelledes ressources perçues au cours des trois mois), R. 262-8 (définitiondu revenu professionnel), R. 262-9 (avantage en nature), R. 262-10(aide au logement), R. 262-10-1 (complément familial, allocation desoutien familial). L’art. R. 262-11 liste 24 revenus/allocations/pen-sions/aides/bourses/primes/indemnités/frais/prestations non pris encompte dans la détermination des ressources.

89 CSS, art. L. 842-4 (au 1er janv. 2016).

90 Il s’agit des ressources à caractère professionnel (ensemble des revenustirés d’une activité salariée ou non salariée, indemnités journalières dematernité, etc.) ; des revenus de remplacement des revenus profession-nels (pensions alimentaires, par ex.) ; de l’avantage en nature lié àl’occupation d’un logement à titre gratuit, déterminé de manière for-faitaire (12 %, 16 %, 16,5 % du montant forfaitaire calculé selon lacomposition du foyer) ; les prestations et aides sociales, sauf cellesd’entre elles à finalité sociale particulière (c’est-à-dire des prestationsayant pour but de faire face à un besoin particulier ne pouvant êtreconsidérées comme apportant une ressource de subsistance) ; enfin,des autres revenus qui sont soumis à l’impôt sur le revenu.

91 Projet de loi relatif au dialogue social et à l’emploi, étude d’impact,préc., p. 180.

92 CE, sect. soc. avis, 16 avr. 2015, n° 389926, préc., § 21.

93 Projet de loi relatif au dialogue social et à l’emploi, étude d’impact,préc., p. 180 et 182.

94 Réf. dans C. Willmann, Loi du 1er déc. 2008 : comment réformer lescontrats de travail aidés destinés aux bénéficiaires de minima sociauxsans évaluation ou expérimentation ?, RDSS 2009. 251.

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Livre blanc | Loi relative au dialogue social

LE RÉGIME D'ASSURANCE CHÔMAGE DES INTERMITTENTS DU SPECTACLE par Dirk Baugard, Professeur à l’université Paris 8 Vincennes – Saint-Denis

Article paru dans le Dossier Loi Rebsamen de la revue Droit Social, novembre 2015

© Éditions Dalloz 2015

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Dossier

Dossier DROIT SOCIAL 915

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1. Il n’est besoin ni d’être un spectateur assidu des cérémo-nies des Césars, des Molières ou des Victoires de lamusique, ni d’être un fervent lecteur des rapports de laCour des comptes 1, pour savoir que le régime d’assurancechômage des « intermittents du spectacle » est la source,depuis plus d’une dizaine d’années, de mouvements de pro-testation d’ampleur et de débats passionnés quant à sonfinancement, voire son existence. Il était difficile, en effet,d’ignorer il y a un peu plus d’un an le dernier mouvementde protestation relatif à ce régime dont l’objet était, dumoins initialement, de contester les dispositions des annexesVIII et X issues de la convention d’assurance chômage du14 mai 2014 prévoyant notamment, pour ces intermittents,un plafonnement mensuel du cumul salaires et allocations,un différé spécifique d’indemnisation et une augmentationdu taux de contribution. Ces mesures, ou plutôt certainesd’entre elles, destinées à renflouer un régime financièrementmal en point, avaient été particulièrement mal ressenties parune large partie des intéressés et ce d’autant que l’opportu-nité même de règles spécifiques aux intermittents était dis-cutée dans les médias.

2. L’importance de ce mouvement de protestation aconduit à la rédaction de deux rapports de mission com-

mandés par le Premier ministre : le premier, rédigé parMonsieur le député Jean-Patrick Gille, en date du 19 juin2014 était intitulé « Une nouvelle donne pour l’intermit-tence » ; le second, en date du 7 janvier 2015, rédigé parMme Hortense Archambault, M. Jean-Denis Combrexelleet M. Jean-Patrick Gille se nommait « Bâtir un cadre sta-bilisé et sécurisé pour les intermittents du spectacle ». Lespistes de réforme du système de l’intermittence proposéespar ce dernier rapport ont fortement influencé les disposi-tions consacrées au sujet de la loi n° 2015-994 du17 août 2015 relative au dialogue social et à l’emploi.Afin de bien saisir la portée des changements apportés, ilparaît utile d’exposer très synthétiquement les dispositionsdu code du travail relatives à la détermination des règlesapplicables au régime d’assurance chômage.

3. La matière est marquée par une répartition de la com-pétence normative entre la loi et les partenaires sociaux.La loi définit les principes régissant le régime d’assurancechômage et que l’on retrouve dans un chapitre du codedu travail qui lui est consacré ; les mesures d’applicationdes dispositions ainsi élaborées sont, sauf exception, défi-nies par des accords conclus pour une durée déterminéeentre les organisations représentatives d’employeurs et desalariés au niveau national et interprofessionnel, en vertude l’article L. 5422-20 du code du travail 2. Un agrément

Loi Rebsamen

1 V., notamment sur les multiples rapports et études consacrés par laCour des comptes au sujet et plus généralement sur les dispositionslégislatives ici commentées, C. Willmann, Le régime des intermittentsdu spectacle, par petites touches, JCP S 2015. 1357. 2 C. trav., art. L. 5422-22.

Le régime d’assurance chômagedes intermittents du spectacle

La loi relative au dialogue social et à l’emploigarantit l’existence de règles d’indemnisation autitre de l’assurance chômage propres aux inter-mittents du spectacle. À cette fin, elle met enplace un dispositif de négociation « à deux niveaux » : les organisations de salariés et d’employeursaptes à conclure la convention d’assurance chômage établissent un document de cadrage que doiventrespecter les organisations professionnelles représentatives du secteur du spectacle, autorisées à conclureun accord qui déterminera ces règles spécifiques et qui sera, s’il est conforme, intégré dans la conven-tion précitée. Ce dispositif soulève de sérieuses difficultés qui peuvent faire douter de son efficacité.

par Dirk BaugardProfesseur à l’université Paris 8 Vincennes– Saint-Denis

DS11-2015-15Baugard_DROIT SOCIAL - Dossier 09/11/2015 09:26 Page 915

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DossierDROIT SOCIAL916

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du ministre chargé de l’Emploi est nécessaire, en vertu del’article L. 5422-21 du code du travail, pour rendre lesdispositions de cet accord, qui doivent être compatiblesavec les dispositions législatives en vigueur, obligatoirespour tous les employeurs et salariés compris dans sonchamp d’application professionnel et territorial. C’estdans ce cadre général qu’existe de façon pérenne depuisles années 1980 3 un régime particulier pour les salariésdu secteur du spectacle, simplement admis par le législa-teur et conçu par les signataires des conventions d’assu-rance chômage successives. Ces règles d’indemnisationfiguraient dans deux annexes du règlement général de l’as-surance chômage, lui-même annexé à chacune desconventions d’assurance chômage : l’annexe VIII pour lesouvriers et techniciens de l’édition d’enregistrementsonore, de la production cinématographique et audiovi-suelle, de la radio, de la diffusion et du spectacle ; l’an-nexe X pour les artistes du spectacle.

4. Le code du travail prévoyait donc déjà que l’indemni-sation du chômage des intermittents du spectacle pouvaitêtre financée par une contribution particulière, s’ajoutantà la contribution de « droit commun », selon des condi-tions définies par la convention d’assurance chômage.Cette disposition ne garantissait toutefois pas l’existencede règles spécifiques d’indemnisation qui ne résultaientdonc que de la volonté des négociateurs de la conventiond’assurance chômage. Ces règles spécifiques sont désor-mais consacrées par la loi « Rebsamen » avec l’introduc-tion au sein du code du travail d’un article L. 5424-22(I). La « sanctuarisation » d’un régime d’indemnisationpropre aux salariés intermittents du spectacle passe pardes modalités particulières de négociation, une place étantfaite à la négociation entre les organisations d’employeurset de salariés représentatives de l’ensemble des professionsde la production cinématographique, de l’audiovisuel oudu spectacle. Cette négociation « décentralisée » fait,néanmoins, l’objet d’un encadrement qui soulève denombreuses et sérieuses interrogations (II).

I. — LA CONSÉCRATION LÉGALE DE RÈGLESD’INDEMNISATION SPÉCIFIQUESPOUR LES INTERMITTENTS DU SPECTACLE

Le gouvernement a estimé que l’institutionnalisationlégale d’un régime d’indemnisation au titre de l’assurancechômage des intermittents du spectacle s’imposait pourdes raisons qu’il est utile de présenter (A). Cette reconnais-sance a conduit le législateur à mettre en place une négo-ciation « décentralisée » intervenant au niveau des profes-sions concernées par l’intermittence du spectacle (B).

A — LES RAISONS DE LA RECONNAISSANCELÉGALE DE RÈGLES D’INDEMNISATIONSPÉCIFIQUES

5. L’article L. 5424-22, I du code prévoit que c’est pourtenir compte des « modalités particulières d’exercice des

professions de la production cinématographique, de l’au-diovisuel ou du spectacle » que les accords relatifs aurégime d’assurance chômage comportent des règles spéci-fiques d’indemnisation des artistes et des techniciensintermittents du spectacle, annexées au règlement généralannexé à la convention relative à l’indemnisation du chô-mage. L’usage de l’indicatif vaut impératif, et la loi vientdonc ici restreindre la liberté des négociateurs de laconvention d’assurance chômage, qui ne peuvent plusdésormais conclure un accord et le soumettre à l’agrémentdu ministre du Travail et de l’Emploi sans qu’il comportedes règles propres aux intermittents du spectacle en raisondu particularisme des métiers du cinéma, de l’audiovisuelet du spectacle vivant : dans le domaine du spectacle, lesartistes et techniciens du spectacle sont en grande majo-rité amenés à vivre leur carrière dans l’intermittence. À lalecture des travaux parlementaires et du rapport du 7 jan-vier 2015, ce particularisme n’est manifestement pas leseul motif ayant conduit le législateur à garantir dans laloi un régime spécifique d’indemnisation. La possibleremise en cause, à chaque négociation de la conventiond’assurance chômage, des annexes VIII et X faisait naîtredes craintes et des tensions néfastes à son bon déroule-ment et susceptibles de déclencher des mouvementssociaux dans le secteur du spectacle. La sanctuarisationd’un régime particulier pourrait ainsi apaiser les discus-sions entre partenaires sociaux lors de l’élaboration desmodalités d’application des règles légales relatives à l’assu-rance chômage. C’est, tout du moins, l’espoir caressé parle législateur.

6. Outre les craintes d’un risque de fragilisation du caractèreinterprofessionnel de l’assurance chômage qu’elle a pu fairenaître chez certaines organisations représentatives au niveauinterprofessionnel, la création d’un régime particulier d’in-demnisation introduit une différence de traitement suscepti-ble de méconnaître le principe d’égalité devant la loi. LeConseil d’État a, dans son avis portant sur le projet de loi,estimé que ce risque n’était pas encouru. Selon lui, « l’exis-tence de règles spécifiques d’assurance chômage pour lesintermittents du spectacle […] ne portait pas atteinte auprincipe d’égalité devant la loi […] dès lors que le secteurdes professions du spectacle se singularise par une très forteflexibilité liée au mode d’activité par projet qui se traduitpar le recours majoritaire au contrat à durée déterminéed’usage » 4. Cette organisation particulière de l’emploi dansles secteurs concernés instituerait ainsi une différence desituations avec celle des autres salariés relevant du régimegénéral d’assurance chômage, et la différence de traitementprévue par le législateur serait « en rapport direct avec l’ob-jet de la loi qui est d’offrir un cadre stabilisé et sécurisépour les intermittents du spectacle ». L’avis soutient, enoutre, que l’institution de règles spécifiques d’assurance chô-mage spécifique pour les intermittents du spectacle n’ap-porte pas une atteinte excessive au principe d’égalité devantles charges publiques. L’analyse est d’un grand intérêt car,dans le cadre des débats relatifs au régime particulier d’assu-rance chômage des intermittents du spectacle, l’argumentd’un coût excessif lié à ce régime et supporté par l’ensembledes bénéficiaires de l’assurance chômage a déjà été mobilisé.

3 Rapp. 7 janv. 2015. 20. 4 CE, avis, 16 avr. 2015, n° 389926.

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En substance, le Conseil d’État justifie la rupture d’égalitédevant les charges publiques ainsi consacrée par « la néces-sité d’assurer une solidarité interprofessionnelle au bénéficed’un secteur spécifiquement marqué par un mode d’activitépar projet », motif objectif et rationnel, en lien avec l’objetde la loi tel que précédemment identifié.

7. Deux éléments supplémentaires viennent renforcerl’opinion de la Haute juridiction administrative sur cepoint : d’une part, la loi du 17 août 2015 fait obligationaux partenaires sociaux représentatifs de l’ensemble desprofessions concernées par l’intermittence du spectacle derespecter une « trajectoire financière » (v. infra, II, A) ;d’autre part la loi les invite à réexaminer, au plus tard au31 mars 2016, les listes des emplois des professions pou-vant être pourvus par la conclusion de contrats à duréedéterminée d’usage 5. Ce réexamen a pour objet de véri-fier que les emplois qui y figurent répondent aux critèresdu recours au contrat à durée déterminée d’usage prévusau 3° de l’article L. 1242-2 du même code. Conformé-ment à une proposition centrale du rapport du 7 janvier2015 6, la loi du 17 août 2015 n’a donc pas pour seulobjectif de pérenniser le statut des intermittents du spec-tacle, ce qu’elle fait en inscrivant dans la loi la spécificitéde leur système d’assurance chômage ; elle ambitionneégalement de mieux réglementer le champ de l’intermit-tence en abordant la réglementation du recours au contratà durée déterminée d’usage dans ce domaine. À ce derniersujet, il importe de relever que le législateur prévoit, parune disposition discrète, que les organisations représenta-tives d’employeurs et de salariés des professions concer-nées par l’intermittence du spectacle révisent avant le31 mars 2016 « les listes des emplois de ces professionspouvant être pourvus par la conclusion de contrats àdurée déterminée d’usage, afin de vérifier que les emploisqui y figurent répondent aux critères du recours aucontrat à durée déterminée d’usage prévus au 3° de l’arti-cle L. 1242-2 du même code ». Il est loisible de sedemander si cette disposition ne vise pas, bien qu’elle pré-voie le respect par les partenaires sociaux des dispositionslégales, à contrecarrer la solution jurisprudentielle poséepar la chambre sociale selon laquelle « la déterminationpar accord collectif de la liste précise des emplois pourlesquels il peut être recouru au contrat de travail à duréedéterminée d’usage ne dispense pas le juge, en cas delitige, de vérifier concrètement l’existence de raisonsobjectives établissant le caractère par nature temporaire del’emploi concerné » 7. Toujours est-il qu’il faudra s’assurer

que ces stipulations conventionnelles satisfont aux exi-gences posées par la Cour de justice de l’Union euro-péenne dans le cadre de son interprétation de la directiven° 1999/70/CE du 28 juin 1999, et correspondent, ainsi,à des « circonstances précises et concrètes caractérisantune activité déterminée et, partant, de nature à justifierdans ce contexte particulier l’utilisation de contrats detravail à durée déterminée successifs » 8.

B — LA MISE EN PLACE D’UNE NÉGOCIATIONAU NIVEAU DES PROFESSIONS CONCERNÉES

8. La loi du 17 août 2015 prévoit que l’élaboration derègles spécifiques « substantielles » d’indemnisation passepar des modalités de négociation particulières et institueune négociation « décentralisée » ou « de proximité » quiprend place au niveau des professions concernées. Ainsique cela sera vu, ce n’est donc que subsidiairement queles organisations représentatives d’employeurs et de sala-riés peuvent désormais déterminer elles-mêmes ces règlesqui doivent, dans tous les cas, figurer dans la conventiond’assurance chômage et sont annexées au règlement géné-ral annexé à la convention relative à l’indemnisation duchômage 9 (v. infra, II, A). L’article L. 5424-22, II dis-pose ainsi que « les organisations d’employeurs et de sala-riés représentatives de l’ensemble des professions de laproduction cinématographique, de l’audiovisuel ou duspectacle négocient entre elles les règles spécifiques » défi-nies au I du même article. Ce mécanisme de négociation« décentralisée » a été préféré par le législateur à la propo-sition émanant du rapport du 7 janvier 2015 préconisantune concertation des professionnels des secteurs d’activitéconcernés. La participation des organisations d’em-ployeurs et de salariés des professions concernées est doncplus prononcée, puisque le législateur leur confère la pos-sibilité de déterminer elles-mêmes, certes dans un cadredéfini par les organisations représentatives au plan natio-nal (v. infra, II, A), les règles d’indemnisation spécifiquesaux intermittents du spectacle. Ce choix ne va cependantpas sans soulever de réelles difficultés.

9. La difficulté majeure est relative à la détermination desorganisations représentatives « de l’ensemble des profes-sions », pour reprendre les termes de la loi, qu’il s’agissedes organisations d’employeurs ou de salariés. Le code dutravail définit en effet les conditions dans lesquelles unsyndicat de salariés est représentatif au niveau d’unebranche professionnelle : il lui appartient de satisfaire auxcritères de l’article L. 2121-1, de disposer d’une implanta-tion territoriale équilibrée au sein de la branche et d’avoirrecueilli au moins 8 % des suffrages exprimés résultant del’addition au niveau de la branche, d’une part, des suf-frages exprimés au premier tour des dernières électionsdes titulaires aux comités d’entreprise ou de la délégationunique du personnel ou, à défaut, des délégués du per-sonnel, quel que soit le nombre de votants, et, d’autrepart, des suffrages exprimés au scrutin concernant les

5 V. L. 17 août 2015, art. 34, II. En l’absence d’établissement de nou-velles listes au 31 mars 2016, ces listes d’emplois seront fixées pararrêté conjoint des ministres chargés du Travail et de la Culture.

6 V. p. 6 : « Une réflexion sur l’intermittence implique d’adopter unchamp large, qui intègre d’abord les questions de l’emploi culturel,de sa structuration et de son financement, des employeurs du sec-teur dont la responsabilité doit être soulignée, et de l’articulationentre les différents champs de la protection sociale ». Le rapport sou-lignait également « l’interdépendance entre la structuration de l’em-ploi et l’indemnisation du chômage » (p. 22).

7 Soc., 30 nov. 2010, n° 09-68.609, Bull. civ. V, n° 269, D. 2011. 22 –Soc., 9 oct. 2013, n° 12-17.882, Bull. civ. V, n° 226, D. 2013. 2404 ;ibid. 2014. 302, chron. P. Flores, F. Ducloz, C. Sommé, E. Wurtz,S. Mariette et A. Contamine ; ibid. 1115, obs. P. Lokiec et J. Porta ; Dr.soc. 2013. 1055, obs. J. Mouly ; ibid. 2014. 11, chron. S. Tournaux ;RDT 2014. 58, obs. V. Orif.

8 CJCE, 4 juill. 2006, aff. C-212/04, Adelener, § 69, AJDA 2006. 2271,chron. E. Broussy, F. Donnat et C. Lambert ; D. 2006. 2209 ; Dr. soc.2007. 94, note C. Vigneau.

9 C. trav., art. L. 5424-22.

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entreprises de moins de 11 salariés dans les conditionsprévues aux articles L. 2122-10-1 et suivants du mêmecode, la mesure de l’audience s’effectuant tous les quatreans. Or, l’article L. 5424-22, II du code du travail vise,dans son premier alinéa, les organisations d’employeurs etde salariés représentatives de l’ensemble des professions dela production cinématographique, de l’audiovisuel ou duspectacle, ce qui ne correspond pas à une branche. Est-ilpossible d’appliquer les critères qui viennent d’être rappe-lés à un « ensemble de professions », en cumulant notam-ment les résultats obtenus dans les branches composantcet ensemble et en vérifiant l’existence d’une implantationterritoriale équilibrée dans le même cadre ?

10. Du côté patronal, chacun sait que la représentativité« dans les branches professionnelles » – ce qui justifieraitune interrogation similaire – a fait l’objet de dispositionsissues de la loi du 5 mars 2014 et de la loi du 17 août2015. L’article L. 2151-1 du code du travail dispose ainsiaujourd’hui que la représentativité des organisations pro-fessionnelles d’employeurs est déterminée d’après plusieurscritères cumulatifs (le respect des valeurs républicaines ;l’indépendance ; la transparence financière ; une ancien-neté minimale de deux ans dans le champ professionnelet géographique couvrant le niveau de négociation ; l’in-fluence, prioritairement caractérisée par l’activité et l’expé-rience ; l’audience, qui se mesure en fonction du nombred’entreprises volontairement adhérentes). Dans le cadredes débats parlementaires, Monsieur le député Jean-PierreGille a relevé que « si les organisations de salariés sont dessections des centrales syndicales, consacrées au spectaclevivant et enregistré, aucun syndicat des employeurs dusecteur n’est membre des grandes organisations patro-nales », Monsieur le député Christophe Cavard augurantd’ailleurs, à ce propos, que « le dispositif prévu obligeraeffectivement les employeurs à s’organiser » 10.

11. De toute évidence, les règles précitées ne permettentpas en l’état de déterminer avec certitude les organisationsdésignées par l’article L. 5424-22, II. Aussi n’est-il pasétonnant qu’un amendement ait été déposé afin que cesorganisations soient identifiées par un arrêté. Cet amen-dement a, toutefois, été rejeté pour diverses raisons : l’ar-rêté aurait dû s’appuyer sur un calcul de représentativitéabsent pour toutes les branches concernées ; son adoptionrisquait « de repousser de dix-huit mois une négociation »dont le commencement est souhaité pour l’automne2015 ; la participation aux élections dans certains secteursserait très faible. En l’absence de critères objectivementdéfinis, prévaudrait alors un « principe de reconnaissancemutuelle » permettant à la profession de se structurer etde s’organiser 11. Cette méthode n’expose-t-elle pas lesaccords éventuellement conclus à un vrai risque decontestation juridictionnelle, reposant sur la discussion dela réelle légitimité des négociateurs et des signataires, alorsque le ministre du Travail et de l’Emploi d’alors, Mon-sieur François Rebsamen, énonçait lors des débats parle-

mentaires qu’« une forme de reconnaissance mutuellesembl[ait] s’être établie » 12 ? Il faut constater que lanature et le régime juridique de l’éventuel accord entre lesorganisations d’employeurs et de salariés représentativesde l’ensemble des professions sont également indéfinis.Un rapport présenté aux sénateurs relève certes que leministère du Travail aurait indiqué que cet accord suigeneris devait obéir à des règles spéciales et n’était doncpas soumis aux dispositions applicables aux accords col-lectifs 13. Cette position du ministère laisse songeur, car ilconviendrait de faire application de règles spéciales incon-nues… Ce cadre trop peu défini fait redouter l’absenced’accord au niveau des professions concernées ou deslitiges relatifs aux accords qui seraient malgré toutconclus.

12. Au-delà, le fait que des stipulations conventionnellesnégociées par des organisations d’employeurs et de salariésdont la représentativité n’est garantie que par cette « recon-naissance mutuelle » peut au moins justifier un questionne-ment relatif à la conformité à la Constitution du dispositif.Certes, le Conseil constitutionnel a admis, dans le domainedes relations de travail et sur le fondement du huitième ali-néa du Préambule de la Constitution de 1946, que le légis-lateur peut, une fois qu’il a défini les droits et obligationstouchant aux conditions et aux relations de travail, renvoyeraux partenaires sociaux le soin de préciser les modalitésconcrètes de mise en œuvre des normes qu’il édicte aprèsune concertation appropriée 14. Les formules retenues pouradmettre ce renvoi aux partenaires sociaux sont cependantdiverses. Dans sa décision n° 99-423 DC du 13 janvier2000, le Conseil a énoncé que le législateur pouvait confierune telle tâche « aux employeurs et aux salariés, ou à leursreprésentants » sans autre précision 15 ; en revanche, sa déci-sion n° 2004-494 DC du 29 avril 2004 vise les employeurset les salariés ou « leurs organisations représentatives » 16. Ilpourrait dès lors être suggéré que le mécanisme légal n’estpas conforme au « principe de participation » en ce que lelégislateur ne s’est pas suffisamment assuré que les règlesdéfinies par les organisations d’employeurs et de salariéssignataires de l’accord propre à l’indemnisation des intermit-tents proviennent d’un accord établi par des signataireseffectivement représentatifs. Certes, ces règles auront été éta-blies dans le respect d’un cadre défini par des organisationsreprésentatives au plan national, mais cela est-il suffisant ? Àce propos, le Conseil d’État a estimé que le projet de loipouvait, sans méconnaître le principe de participationdécoulant du huitième alinéa du Préambule de la Constitu-tion de 1946, « réarticuler les niveaux de négociation enhabilitant les partenaires sociaux représentatifs des profes-sions du spectacle à négocier les règles spécifiques concer-nant les intermittents du spectacle ».

13. Une dernière interrogation peut porter sur la naturedes règles particulières que peuvent définir de tels accords.Alors que l’article L. 5424-22, I prévoit des « règles spéci-

10 Rapp. AN n° 2792, 21 mai 2015 (rapporteur C. Sirigue).

11 V., not., rapp. Sénat n° 501 (2014-2015) du 10 juin 2015 (C. Procac-cia), p. 169 : « Le ministère du Travail a indiqué à votre rapporteurque les mesures de représentativité étaient en cours de finalisationet que la négociation reposerait sur le principe de la reconnaissanceréciproque des organisations, notamment patronales ».

12 Rapp. AN n° 2792, nous soulignons.

13 Rapp. Sénat n° 501 (2014-2015) du 10 juin 2015 (C. Procaccia), p. 169.

14 V., déjà, Cons. const., 25 juill. 1989, n° 89-257 DC, cons. 10 et 11.

15 Cons. 28.

16 Cons. 8.

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fiques d’indemnisation », la loi institue un comité d’ex-pertise appelé à se prononcer sur « les règles spécifiquesapplicables en matière d’indemnisation des artistes et destechniciens intermittents du spectacle » (v. infra, II, B). Sile commentateur d’une loi récemment adoptée chercheparfois avec un zèle excessif des difficultés éventuelles quipourraient naître de son application, nous espérons ne pascéder à cette tentation en soulignant que les « règles spé-cifiques d’indemnisation » peuvent ne pas correspondreparfaitement aux « règles applicables en matière d’indem-nisation ». En effet, dans une approche restrictive, les pre-mières pourraient avoir seulement pour objet de détermi-ner les modalités de calcul ou de durée du revenu deremplacement versé aux intermittents du spectacle, tandisque les secondes seraient susceptibles de définir en outredes modalités particulières de financement de cetteindemnisation ou les conditions auxquelles elle est subor-donnée. L’on peut toutefois penser que la volonté dulégislateur n’était pas de limiter la compétence des organi-sations d’employeurs et de salariés représentatives auniveau des professions de la production cinématogra-phique, de l’audiovisuel ou du spectacle aux seules règlesd’indemnisations strictement entendues.

II. — L’ENCADREMENT DE LA NÉGOCIATION« DÉCENTRALISÉE »

14. La loi confie donc de réelles responsabilités aux orga-nisations d’employeurs et de salariés représentatives del’ensemble des professions concernées par l’intermittencedu spectacle en leur permettant de déterminer, par la voiede la négociation, les règles spécifiques d’indemnisationdestinées à s’appliquer aux salariés intermittents du spec-tacle. Les organisations représentatives au niveau nationalet interprofessionnel encadrent 17 toutefois cette négocia-tion en définissant des objectifs qui s’imposent à l’accord« décentralisé » (A). La loi du 17 août 2015 institue, enoutre, un comité d’expertise dont la mission d’évaluationn’est pas entièrement étrangère à un objectif d’encadre-ment (B).

A — LE CADRAGE OPÉRÉPAR LES ORGANISATIONS D’EMPLOYEURSET DE SALARIÉS REPRÉSENTATIVESAU NIVEAU NATIONALET INTERPROFESSIONNEL

15. La liberté de négociation des partenaires sociauxreprésentatifs des professions de la production cinémato-graphique, de l’audiovisuel ou du spectacle est fondamen-talement restreinte par l’article L. 5424-22 du code dutravail : en effet, les organisations professionnelles d’em-ployeurs et les organisations syndicales de salariés repré-sentatives au niveau national et interprofessionnel leurtransmettent « en temps utile un document de cadrage ».

Le deuxième alinéa du II de l’article L. 5424-22 du codedu travail définit la portée de ce document, qui « préciseles objectifs de la négociation en ce qui concerne la tra-jectoire financière et le respect de principes générauxapplicables à l’ensemble du régime d’assurance chômage »et « fixe le délai dans lequel cette négociation doit abou-tir » 18. Les aspects temporels sont donc flous, et il fautsouhaiter que le « temps utile » dans lequel est transmisce document ou le délai de négociation que celui-ci fixe(les négociateurs au niveau des professions concernées nepourraient-ils pas exiger un délai « suffisant » ?) ne serontpas la source de contestations, voire de contentieux.

16. Les conditions d’élaboration de ce document decadrage sont insuffisamment définies par la loi du17 août 2015, qui se contente de prévoir qu’il est élaborépar les organisations professionnelles d’employeurs et lesorganisations syndicales de salariés représentatives auniveau national et interprofessionnel « dans le cadre de lanégociation des accords relatifs au régime d’assurancechômage » 19. Le sujet nous paraît pourtant d’importance,car les éléments que le document doit comporter sontsusceptibles, malgré leur grande généralité, de faire l’objetde désaccords de principe : faut-il en la matière un accordmajoritaire, une unanimité ? Rien n’est prévu à ce sujet.D’ailleurs, le législateur n’a pas envisagé la circonstancedans laquelle les organisations aptes à négocier et conclurela convention d’assurance chômage ne parviendraient pasà s’accorder sur les éléments devant être établis par cedocument de cadrage. Il ne paraît pourtant pas impensa-ble que de profondes divergences puissent exister entreelles sur la « trajectoire financière » visée par le second ali-néa de l’article L. 5424-22, II 20, la notion de « principesgénéraux applicables à l’ensemble du régime d’assurance »étant imprécise. Dans un tel cas, la négociation au niveaudes professions de l’intermittence du spectacle ne paraîtpas pouvoir être valablement engagée, et elle ne saurait detoute façon aboutir de façon utile, puisque l’accordconclu ne pourrait pas respecter les objectifs du docu-ment de cadrage, celui-ci étant absent. C’est, toutefois,anticiper sur la question de la retranscription de l’accordnégocié et conclu au « niveau » particulier des professionsde la production cinématographique, de l’audiovisuel oudu spectacle dans le cadre de la convention d’assurancechômage.

17 V. avis AN n° 2270, 18 mai 2015 (J.-P. Gille) : le projet de loi prévoit« la mise en place d’une forme de délégation de négociation duniveau interprofessionnel vers le niveau professionnel » qui « esttoutefois encadrée ».

18 Le Conseil d’État a relevé, dans son avis précité, que le caractèrecontraint des négociations, qui se traduit par l’obligation des parte-naires sociaux des professions du spectacle de respecter les orienta-tions générales et financières d’un document de cadrage défini parles partenaires sociaux au niveau interprofessionnel, ne portait pasune atteinte excessive au principe de participation car il se justifiaitpar la nécessité de réduire les écarts de situation entre les intermit-tents du spectacle et les autres salariés relevant du régime d’assu-rance chômage.

19 Pourtant, J.-P. Gille notait qu’« un travail devra[it] être mené pourdéterminer le périmètre et les procédures d’élaboration du docu-ment de cadrage qui devra nécessairement être adopté au début dela négociation interprofessionnelle » (avis AN n° 2270, 18 mai 2015).

20 « Trajectoire » qui paraît être celle du régime d’assurance chômagedans sa généralité.

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17. Le troisième alinéa de l’article L. 5424-22, II du codedu travail dispose à ce sujet que « les règles spécifiquesprévues par un accord respectant les objectifs définis parle document de cadrage et conclu dans le délai fixé par le[…] document de cadrage sont reprises dans les accordsrelatifs au régime d’assurance chômage ». Les signatairesd’une convention relative à l’assurance chômage sontdonc contraints d’intégrer dans celle-ci les stipulations del’accord décentralisé pour autant que celui-ci a été concludans le délai qu’elles avaient laissé aux partenaires sociauxdes professions de l’intermittence et qu’il respecte les« objectifs » imposés à ses signataires 21. Dans ces condi-tions idéales, aucune liberté ne semble leur être laissée, lerapport n° 2792 de l’Assemblée nationale évoquant une« retranscription opérant de façon automatique ». LeConseil d’État a estimé que cette intégration obligatoiredans la convention d’assurance chômage d’un accordconclu par les partenaires sociaux du secteur du spectacle« se justifie dès lors que celui-ci respecte les orientationsfixées par le document de cadrage et permet de donnerun plein effet à l’accord conclu par les partenaires sociauxdu secteur du spectacle ». Il faut envisager la situationdans laquelle l’accord conclu par les organisations d’em-ployeurs et de salariés représentatives de l’ensemble desprofessions ne respecterait pas les objectifs définis par ledocument de cadrage. Dans un tel cas, les négociateurs auniveau national ne sont pas tenus de reprendre les dispo-sitions de l’accord conclu dans le cadre de la négociation« décentralisée » instaurée par la loi du 17 août 2015, etil semble acquis que sa retranscription ne devrait pasintervenir, puisqu’elle contrevient aux indications queceux-ci ont données. La question se pose, néanmoins, del’identification de l’organe compétent pour contrôler cettedonnée (v. infra, II, B), tout comme de la nature et del’objet du contrôle exercé. Sur ces deux derniers points, ilfaut rappeler que le document de cadrage établi par lespartenaires sociaux aptes à négocier la convention d’assu-rance chômage « précise les objectifs de la négociation ence qui concerne la trajectoire financière et le respect deprincipes généraux applicables à l’ensemble du régimed’assurance chômage » (art. L. 5424-22, II, al. 2). Il fautdéduire que la non-conformité de l’accord « décentralisé »peut avoir deux origines : soit l’accord comporte des sti-pulations qui contredisent la « trajectoire financière »imposée, notamment en raison d’indemnisations jugéesexcessives ; soit l’accord ne respecte pas les « principesgénéraux applicables à l’ensemble du régime d’assurancechômage ».

18. Le troisième alinéa de l’article L. 5424-22, II prévoitqu’en cas de défaut d’accord propre aux travailleurs inter-mittents ou d’accord respectant les éléments du documentde cadrage conclu dans le délai fixé par ce même docu-ment, « les organisations professionnelles d’employeurs etles organisations syndicales de salariés représentatives auniveau national et interprofessionnel fixent les règles d’in-demnisation du chômage applicables aux artistes et auxtechniciens intermittents du spectacle » : ce sont donc les

règles du « droit commun » d’élaboration des mesuresd’application des dispositions légales relatives au régimed’assurance chômage qui retrouvent application. Les orga-nisations de salariés et d’employeurs représentatives auniveau national et interprofessionnel seraient ainsi tenuesde fixer elles-mêmes des règles d’indemnisation du chô-mage particulières, propres aux artistes et techniciensintermittents du spectacle.

B — LA CRÉATION D’UN COMITÉ D’EXPERTISE

19. La loi du 17 août 2015 introduit dans le code du tra-vail un nouvel article L. 5424-23 qui prévoit la créationd’un « comité d’expertise sur les règles spécifiques applica-bles en matière d’indemnisation des artistes et des techni-ciens intermittents du spectacle ». Cette institution amanifestement été conçue comme « un comité d’appuiaux négociateurs professionnels », destiné à pourvoir laprofession d’un moyen d’analyse et à améliorer la transpa-rence et la sincérité du débat entre partenaires sociaux. Lerapport du 7 janvier 2015 avait d’ailleurs constaté qu’exis-tait un climat critique à l’encontre des analyses réaliséespar l’Unédic, considérées par certains comme orientées 22.Le législateur entend ainsi pérenniser le comité d’expertisequi avait été formé au cours de la concertation précédantla remise dudit rapport.

20. La composition de ce comité n’est pas étrangère à lamission qu’entend lui attribuer la loi du 17 août 2015.L’article L. 5424-23 précise ainsi dans son I qu’il est« composé de représentants de services statistiques del’État, de Pôle emploi et de l’Unédic, ainsi que de person-nalités qualifiées » désignés par l’État 23. La lecture durapport de l’Assemblée nationale fait apparaître la fermevolonté de mettre en évidence que le comité constitue« un groupe de statisticiens » ; il ne s’agit donc ni d’« ungroupe composé des représentants de chaque organisa-tion », ni d’un « groupe de censeurs » 24. Aussi le II dumême article confie-t-il à ce comité une mission d’évalua-tion de propositions qui lui sont transmises par les parte-naires sociaux : il « évalue toutes les propositions qui luisont transmises en cours de négociation par une organisa-tion d’employeurs ou de salariés représentative de l’en-semble des professions mentionné » ; « il peut égalementêtre saisi d’une telle demande d’évaluation par une orga-nisation professionnelle d’employeurs ou par une organi-sation syndicale de salariés représentative au niveau natio-nal et interprofessionnel ». En retenant ces termes, substi-tués par un amendement à la formule « donner sonavis », le législateur entend clairement exprimer que lecomité n’a pas vocation « à se prononcer sur la pertinencedes propositions » émises et qu’il lui est « seulementdemandé de les expertiser » 25. Le décret devant notam-

21 Le Conseil d’État a estimé que cette obligation imposée aux parte-naires sociaux du niveau interprofessionnel se justifie dès lors quel’accord conclu par les partenaires sociaux du secteur du spectaclerespecte les orientations fixées par le document de cadrage.

22 V. ce rapport, p. 6.

23 Un décret devra définir les modalités concrètes de désignation desmembres du comité ainsi que ses règles de fonctionnement.

24 Commission des affaires sociales, réunion du 20 mai 2015.

25 V. encore rapp. AN n° 2932, 1er juill. 2015, qui précise que « lecomité d’expertise doit évaluer et non rendre un avis sur les proposi-tions qui lui sont soumises ».

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Dossier

N° 11 - Novembre 2015

DROIT SOCIAL 921

ment préciser les modalités de désignation des membresdu comité déterminera également « les modalités de com-munication de cette évaluation », qui n’est donc pas réser-vée aux propositions issues des négociateurs de l’accordspécifique aux salariés intermittents.

21. Plus fondamentalement, ce même décret définira ledélai dans lequel le comité d’expertise évalue non plus despropositions émises par les partenaires sociaux, mais lerespect par l’accord « décentralisé » de la trajectoire finan-cière figurant dans le document de cadrage que nousavons déjà évoqué. L’usage du verbe « évaluer » dans cetteconfiguration précise peut paraître inadéquat : il sembleimpliquer, d’un côté, que le comité d’expertise n’est pasvéritablement chargé de rendre une décision portant surle respect par l’accord de cet objectif et qu’il ne saurait,concrètement, décider que l’accord ne peut pas être inté-gré par les organisations négociant la convention d’assu-rance chômage dans celle-ci (v. supra, II, A) ; d’un autrecôté, l’on peine à voir dans cette évaluation une simpleappréciation « statistique » sur les stipulations de l’accordet sur leur concordance avec la trajectoire financière défi-nie par le document de cadrage, dépourvue de toute idéede contrôle 26. Il est d’ailleurs difficilement concevableque les partenaires sociaux représentatifs au niveau natio-nal et interprofessionnel puissent passer outre une appré-ciation négative.

22. La loi n’a donc pas clairement identifié l’autoritépourvue de la compétence pour se prononcer sur le res-pect par les signataires de l’accord propre aux intermit-tents du spectacle des objectifs définis au niveau de l’in-terprofession. Le rôle du comité d’expertise, cela vient

d’être dit, est ambigu s’agissant du contrôle du respect dela trajectoire financière. Pour ce qui est du respect desprincipes généraux applicables à l’ensemble du régimed’assurance chômage, la loi ne prévoit pas d’évaluationde l’accord par ce comité. Il semble donc qu’il appartien-dra aux organisations représentatives au niveau nationalet interprofessionnel de se prononcer sur ce point, ce quin’exclut pas, à nouveau, des risques d’appréciations diver-gentes entre elles, et d’éventuels litiges opposant les orga-nisations interprofessionnelles et les organisations desprofessions concernées par l’intermittence. Le pire n’estcertes jamais certain, et cette dernière observation cri-tique pourra convaincre que le présent commentaire dela loi est bien négatif. Nous croyons pouvoir toutefoisdire qu’un regard objectif porté sur le mécanisme dedélégation de la négociation du niveau interprofessionnelvers les professionnels des secteurs concernés par « l’in-termittence du spectacle » met en évidence un nombrenon négligeable d’incertitudes qui, dans une matièreaussi sensible, ont de quoi rendre tout commentateurperplexe ■

26 J.-P. Gille affirmait ainsi, alors qu’il considérait que le comité« d[evait] être avant tout un groupe d’appui pour le secteur profes-sionnel », que le texte prévoyait « deux types de missions pour lecomité d’expertise : un rôle d’appui aux négociations, lorsqu’il sera[it]chargé d’expertiser et de chiffrer les différentes propositions qui luiser[aient] soumises, mais également un rôle de contrôle de la confor-mité de l’accord final qui serait, le cas échéant, conclu au niveau pro-fessionnel, au document de cadrage » (avis n° 2270, nous souli-gnons).

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