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LIVRE DOUZIÈME LE CIEL ET LA TERRE Le Ciel, création des natures spirituelles. — La Terre, création de la matière primitive. — Profondeur de I’Ecriture. —Des divers sens qu’elle peut réunir. — Tous les sens prévus par le Saint-Esprit. LIVRE DOUZIÈME LE CIEL ET LA TERRE CHAPITRE PREMIER. LA RECHERCHE DE LA VÉRITÉ EST PÉNIBLE. ________________________ CHAPITRE II. __________________________________________________ DEUX SORTES DE CIEUX. CHAPITRE III. _________________________________________________ DES TÉNÈBRES RÉPANDUES SUR LA SURFACE DE L’ABÎME. _____________ CHAPITRE IV. __________________________________________________ MATIÈRE PRIMITIVE. ____________________________________________ CHAPITRE V. SA NATURE. ____________________________________________________ CHAPITRE VI. COMMENT IL FAUT LA CONCEVOIR. CHAPITRE VII. _________________________________________________ LE CIEL PLUS EXCELLENT QUE LA TERRE. __________________________ CHAPITRE VIII. MATIÈRE PRIMITIVE FAITE DE RIEN. CHAPITRE IX.

Livre Douzieme

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LIVRE DOUZIME

LIVRE DOUZIMELE CIEL ET LA TERRE

Le Ciel, cration des natures spirituelles. La Terre, cration de la matire primitive. Profondeur de IEcriture. Des divers sens quelle peut runir. Tous les sens prvus par le Saint-Esprit.

LIVRE DOUZIMELE CIEL ET LA TERRECHAPITRE PREMIER.LA RECHERCHE DE LA VRIT EST PNIBLE.

CHAPITRE II.

DEUX SORTES DE CIEUX.CHAPITRE III.

DES TNBRES RPANDUES SUR LA SURFACE DE LABME.

CHAPITRE IV.

MATIRE PRIMITIVE.

CHAPITRE V.SA NATURE.

CHAPITRE VI.COMMENT IL FAUT LA CONCEVOIR.CHAPITRE VII.

LE CIEL PLUS EXCELLENT QUE LA TERRE.

CHAPITRE VIII.MATIRE PRIMITIVE FAITE DE RIEN.CHAPITRE IX.LE CIEL DU CIEL.CHAPITRE X.INVOCATION.CHAPITRE XII.

DEUX ORDRES DE CRATURES.

CHAPITRE XIII.CRATURES SPIRITUELLES; MATIRE INFORME.CHAPITRE XIV.PROFONDEUR DES CRITURES.

CHAPITRE XV.

VRITS CONSTANTES, MALGR LA DIVERSIT DES INTERPRTATIONS.CHAPITRE XVI.

CONTRE LES CONTRADICTEURS DE LA VRIT.CHAPITRE XVII.

CE QUE LON DOIT ENTENDRE PAR LE CIEL ET LA TERRE.CHAPITRE XVIII.

ON PEUT DONNER PLUSIEURS SENS A LCRITURE.

CHAPITRE XIX.

VRITS INCONTESTABLES.

CHAPITRE XX.

INTERPRTATIONS DIVERSES DES PREMIRES PAROLES DE LA GENSE.

CHAPITRE XXI.

EXPLICATIONS DIFFRENTES DE CES MOTS: LA TERRE TAIT INVISIBLE.

CHAPITRE XXII.PLUSIEURS CRATIONS DE DIEU PASSES SOUS SILENCE.

CHAPITRE XXIII.DEUX ESPCES DE DOUTES DANS LINTERPRTATION DE LCRITURE.15CHAPITRE XXIV.DIFFICULTS DE DTERMINER LE VRAI SENS DE MOSE ENTRE PLUSIEURS GALEMENT VRAIS.CHAPITRE XXV.

CONTRE CEUX QUI CHERCHENT A FAIRE PRVALOIR LEUR SENTIMENT.

CHAPITRE XXVI.IL EST DIGNE DE LCRiTURE DE RENFERMER PLUSIEURS SENS SOUS LES MMES PAROLES.

CHAPITRE XXVII.

ABONDANCE DE LCRITURE.CHAPITRE XXVIII.

DES DIVERS SENS QUELLE PEUT RECEVOIR.

CHAPITRE XXIX.

DE COMBIEN DE MANIRES UNE CHOSE PEUT TRE AVANT UNE AUTRE.

CHAPITRE XXX.LCRITURE VEUT TRE INTERPRTE EN ESPRIT DE CHARIT.

CHAPITRE XXXI.

MOSE A PU ENTENDRE TOUS LES SENS VRITABLES QUI PEUVENT SE DONNER A SES PAROLES.CHAPITRE XXXII.TOUS LES SENS VRITABLES PRVUS PAR LE SAINT-ESPRIT.

CHAPITRE PREMIER.LA RECHERCHE DE LA VRIT EST PNIBLE.

1.Sollicit, sous les haillons de cette vie, par les paroles de votre sainte Ecriture, mon coeur, Dieu ! est en proie aux plus vives perplexits. Et de l ce luxe indigent de langage qutale dordinaire lintelligence humaine; car la recherche de la vrit cote plus de paroles que sa dcouverte, la demande dune grce plus de temps que le succs; et la porte est plus dure frapper que laumne recevoir. Mais nous avons votre promesse; qui pourrait la dtruire? Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous?(Rom. VIII, 31) Demandez, et vous recevrez; cherchez, et vous trouverez ; frappez, et il vous sera ouvert : car qui demande, reoit; qui cherche, trouve, et on ouvre qui frappe (Matth. VII, 7-8). Telles sont vos promesses; et qui craindra dtre tromp, quand la Vrit mme sengage?

CHAPITRE II.DEUX SORTES DE CIEUX.

2.Lhumilit de ma langue confesse votre majest sublime que vous avez fait le ciel que je vois, cette terre que je fouie, et dont vous avez faonn la terre que je porte avec moi. Mais, Seigneur, o est ce ciel du ciel dont le Psalmiste parle ainsi: ((Le ciel du ciel est au Seigneur, et il a donn la terre aux enfants des hommes (Ps. CXIII, 16)? O est ce ciel invisible, auprs duquel le visible nest que terre? Car cet ensemble matriel nest pas revtu dans toutes ses parties dune gale beaut, et surtout aux rgions infrieures dont ce monde est la dernire. Mais lgard de ce ciel des cieux, les cieux de notre terre ne sont que terre. Et lon peut affirmer sans crainte que ces deux grands corps ne sont que terre par rapport ce ciel inconnu qui est au Seigneur, et non aux enfants des hommes.

CHAPITRE III.

DES TNBRES RPANDUES SUR LA SURFACE DE LABME.

3. Or la terre tait invisible et informe, espce dabme profond, sur qui ne planait aucune lumire, chaos inapparent. Cest pourquoi vous avez dict ces paroles : Les tnbres taient la surface de labme ( Gen. I, 2) Quest-ce que les tnbres, sinon labsence de la lumire? Et si la lumire et t dj, o donc et-elle t, sinon au-dessus des choses, les dominant de ses clarts ? Et si la lumire ntant pas encore, la prsence des tnbres cest son absence. Les tnbres taient, cest--dire, la lumire ntait pas, comme il y a silence o il ny a point de son. Quest-ce en effet que le rgne du silence, sinon la vacuit du son? Nest-ce pas vous, Seigneur, qui enseignez ainsi cette me qui vous parle? nest-ce. pas vous qui lui enseignez quavant de recevoir de vous la forme et lordre, cette. matire ntait, quune confusion, sans couleur, sans figure, sans corps, sans esprit; non pas un pur nant toutefois, mais je ne sais quelle informit dpourvue dapparence? (487)

CHAPITRE IV.MATIRE PRIMITIVE.

4.Et cela, comment le dsigner pour tre compris des intelligences plus lentes, autrement que par une dnomination vulgaire? O trouver, dans toutes les parties du monde, quelque chose de plus analogue cette informit vague, que la terre et labme? car, placs lun et lautre au dernier chelon de lexistence, sont-ils comparables aux cratures suprieures, revtues de gloire et de lumire? Pourquoi donc nadmettrais-je pas que, par complaisance pour la faiblesse de lhomme, 1Ecriture ait nomm terre invisible et sans forme, cette informit matrielle, que vous aviez cre dabord dans cette aride nudit, pour en faire un monde par de formes et de beaut?

CHAPITRE V.SA NATURE.

5.Et lorsque notre pense y cherche ce que les sens en peuvent atteindre, en se disant Ce nest ni une forme intelligible, comme la vie, comme la justice, puisquelle est matire des corps; ni une forme sensible, puisque ni la vue, ni le sens nont de prise sur ce qui est invisible et sans forme; quand lesprit de lhomme, dis-je, se parle ainsi, il faut quil se condamne lignorance pour la connatre, et se rsigne lignorer en la connaissant.

CHAPITRE VI.COMMENT IL FAUT LA CONCEVOIR.

6.Sil faut, Seigneur, que ma voix et ma plume publient votre gloire tout ce que vous mavez appris sur cette matire primitive javoue quautrefois entendant son nom dans la bouche de gens qui men parlaient, sans pouvoir men donner une intelligence quils navaient pas eux-mmes, ma pense se la reprsentait sous une infinit de formes diverses; ou plutt ce ntait pas elle que ma pense se reprsentait, ctait un ple-mle de formes horribles, hideuses, mais ple-mle de formes que je nommais informe, non pour tre dpourvu de formes, mais pour en affecter dinoues, dtranges, et telles quune ralit semblable offerte mes yeux et rempli ma faible nature de trouble et dhorreur. Cet tre de mon imagination ntait donc pas informe par absence de formes, mais par rapport des formes plus belles. Et cependant la raison me dmontrait que, pour concevoir un tre absolument informe, il fallait le dpouiller des derniers restes de forme, et je ne pouvais; javais plutt fait de tenir pour nant lobjet auquel la forme tait refuse, que de concevoir un milieu entre la forme et rien, entre le nant et la ralit forme, une informit, un presque nant.

Et ma raison cessa de consulter mon esprit tout rempli dimages formelles, quil varie et combine son gr. Jattachai sur les corps eux-mmes un regard plus attentif, et je mditai plus profondment sur cette mutabilit qui les fait cesser dtre ce quils taient, et devenir ce quils ntaient pas; alors je souponnai que ce passage dune forme lautre se faisait par je ne sais quoi dinforme, qui ntait pas absolument rien. Mais le soupon ne me suffisait pas; je dsirais une connaissance certaine.

Et maintenant, si ma voix et ma plume vous confessaient toutes les lumires dont vous avez clair pour moi ces obscurits, quel lecteur pourrait prter une attention assez durable? Et toutefois mon coeur ne laissera pas de vous glorifier et de vous chanter un cantique dactions de grces; car les paroles me manquent pour exprimer ce que vous mavez rvl. Il est donc vrai que la mutabilit des choses est la possibilit de toutes les formes quelles subissent. Elle-mme, quest-elle donc? Un esprit? un corps ? esprit, corps, dune certaine nature? Si lon pouvait dire un certain nant qui est et nest pas, je la dfinirais ainsi. Et pourtant il fallait bien quelle et une sorte dtre pour revtir ces formes visibles et harmonieuses.

CHAPITRE VII.LE CIEL PLUS EXCELLENT QUE LA TERRE.

7.Et cette matire, quelle quelle ft, do pouvait-elle tirer son tre, sinon de vous, par qui toutes choses sont tout ce quelles sont? Mais dautant plus loignes de vous quelles vous sont moins semblables; car cet loignement nest point une distance. Ainsi donc, Seigneur, toujours stable au-dessus de la mobilit des temps et de la diversit des lieux, le mme, toujours le mme; saint, saint, saint; Seigneur, Dieu tout-puissant (Isae)! cest dans le Principe procdant (488) de vous, dans votre sagesse ne de votre substance, que vous avez cr, cr quelque chose de rien.

Vous avez fait le ciel et la terre, sans les tirer de vous. Car ils seraient gaux votre Fils unique, et par consquent vous; et ce qui ne procde pas de vous ne saurait, sans draison, tre gal vous. Existait-il donc hors de vous, Dieu, trinit une, unit trinitaire, existait-il rien dont vous les eussiez pu former? Cest donc de rien que vous avez fait le ciel et la terre, tant et si peu. Artisan tout puissant et bon de toute espce de biens, vous avez fait le ciel si grand, la terre si petite. Vous tiez; et rien avec vous dont vous pussiez les former tous deux; lun si prs de vous, lautre si prs du nant; lun qui na que vous au-dessus de lui, lautre qui na rien au-dessous delle.

CHAPITRE VIII.MATIRE PRIMITIVE FAITE DE RIEN.

8. Mais ce ciel du ciel est vous, Seigneur; et cette terre, que vous avez donne aux enfants des hommes ( Ps. CXIII, 15) pour la voir et la toucher, ntait pas alors telle que nos yeux la voient, et que notre main la touche; elle tait invisible et informe, abme que nulle lumire ne dominait. Les tnbres taient rpandues sur labme(Gen. I, 2) cest--dire nuit plus profonde quau plus profond de labme aujourdhui. Car cet abme des eaux, visible maintenant, reoit dans ses gouffres mmes un certain degr de lumire sensible aux poissons et aux tres anims qui rampent dans son sein. Mais tout cet abme primitif tait presque un nant dans cette entire absence de la forme. Toutefois, il tait dj quelque chose qui pt la recevoir. Ainsi donc vous formez le monde dune matire informe, convertie par vous de rien en un presque rien, dont vous faites sortir ces chefs-doeuvre quadmirent les enfants des hommes.

Chose admirable, en effet, que ce ciel corporel, ce firmament tendu entre les eaux et. les eaux, oeuvre du second jour qui suivit la naissance de la lumire; cration dun mot

Quil soit ! et il fut (Gen. I, 6,7); firmament nomm par vous ciel, mais ciel de cette terre, de cette mer que vous ftes le troisime jour, en douant dune forme visible cette matire informe que vous aviez cre avant tous les jours. Un ciel tait dj, qui les avait prcds, mais ctait le ciel de nos cieux : car, dans le principe, vous crtes le ciel et la terre. Pour cette terre ds lors cre, ce ntait quune matire informe, puisquelle tait invisible, sans ordre, abme tnbreux. Cest de cette terre obscure, inordonne, de cette informit, de ce presque rien, que vous deviez produire tous les tres par qui subsiste ce monde instable et changeant. Et cest en ce monde que commence paratre la mutabilit qui nous donne le sentiment et la mesure des temps; car ils naissent de la succession des choses, de. la vicissitude et de laltration des formes dont lorigine est cette matire primitive, cette terre invisible.

CHAPITRE IX.LE CIEL DU CIEL.

9.Aussi le Matre de votre grand serviteur, en racontant que vous avez cr dans le principe le ciel et la terre, lEsprit-Saint ne dit mot des temps, est muet sur les jours. Car, ce ciel du ciel, que vous avez fait dans le principe, est une crature spirituelle, qui sans vous tre coternelle, Trinit, participe nanmoins votre ternit. Lineffable bonheur de contempler votre prsence arrte sa mobilit, et depuis son origine, invinciblement attache vous, elle sest leve au-dessus des vicissitudes du temps. Et cette terre invisible, informe, na pas t non plus compte dans loeuvre des jours; car, o lordre, o la forme ne sont pas, rien narrive, rien ne passe, et ds lors point de jours, point de succession de temps.

CHAPITRE X.INVOCATION.

10.O vrit, lumire de mon coeur! ne laissez pas la parole mes tnbres. Entran au courant de linstabilit, la nuit ma pntr; mais cest du fond de ma chute que je me suis senti renatre votre amour. Egar, jai retrouv votre souvenir; jai entendu votre voix me rappeler; et le bruit des passions rebelles, me permettait peine de lentendre. Et me voici, maintenant, tout en nage, hors dhaleine, revenu votre fontaine sainte. Oh! ne souffrez pas quon men repousse. Que je my dsaltre, que jy puise la vie, que je ne sois pas ma vie moi-mme. De ma propre vie jai mal vcu, jai t ma mort; en vous je (489) revis. Parlez-moi, instruisez-moi! Je crois au tmoignage de vos livres saints; mais quels profonds mystres sous leurs paroles!

CHAPITRE XI.

CE QUE DIEU LUI A ENSEIGN.

11.Seigneur, vous mavez dj dit loreille du coeur, dune voix forte, que vous tes ternel, seul en possession de limmortalit ( I Tim. VI, 16); parce que rien ne change en vous, ni forme, ni mouvement; que votre volont nest point sujette linconstance des temps; car une volont variable ne saurait tre une volont immortelle. Je vois clairement cette vrit en votre prsence; quelle mapparaisse chaque jour plus claire, je vous en conjure! et qu lombre de vos ailes, je demeure humblement dans cette connaissance que vous mavez rvle! Seigneur, vous mavez encore dit loreille du coeur, dune voix forte, que vous tes lauteur de toutes les natures, de toutes les substances qui ne sont pas ce que vous tes, et sont nanmoins; quil nest rien qui ne soit votre ouvrage, hors le nant et ce mouvement de la volont qui, sloignant de vous, abandonne ltre par excellence pour ltre infrieur:

car ce mouvement est une dfaillance et un pch; quenfin nul pch, soit au fate, soit au dernier degr de votre cration, ne saurait vous nuire ou troubler votre ordre souverain. Je vois clairement cette vrit en votre prsence; quelle mapparaisse chaque jour plus claire, je vous en conjure! et qu lombre de vos ailes, je demeure humblement dans cette connaissance que vous mavez rvle!

12.Seigneur, vous mavez dit encore loreille du coeur, dune voix forte, que cette crature mme ne vous est pas coternelle, qui na dautre volont que la vtre, qui, senivrant des intarissables dlices dune possession chaste et permanente, ne trahit nulle part et jamais sa mutabilit de nature, et, lie de tout son amour votre prsente ternit, na point davenir attendre, point de pass dont la fuite ne lui laisse quun souvenir, suprieure la vicissitude, trangre aux atteintes du temps. O crature bienheureuse! si elle existe; heureuse de cet invincible attachement votre batitude; heureuse dtre jamais la demeure de votre ternit, et le miroir de votre lumire! Et qui mrite mieux le nom de ciel du ciel que ce temple spirituel, plong dans livresse de votre joie sans que rien incline ailleurs sa dfaillance; pure intelligence, unie par le lien dune paix divine aux esprits de saintet, habitants de votre cit sainte, cit cleste, et par del tous les cieux.

13.De l vienne lme la grce de comprendre jusquo ~on malheureux plerinage la loigne de vous, et si elle a dj soif de vous; si ses larmes sont devenues son pain, quand chaque jour on lui demande : O est ton Dieu ( Ps. XLI, 3,4,11)? Si elle ne vous adresse dautre voeu, dautre prire, quafin dhabiter votre maison tous les jours de sa vie (Ps. XXVI, 4). Et quelle est sa vie que vous-mme, et quels sont vos jours que votre ternit; puisque vos annes ne manquent jamais, et que vous tes le mme (Ps. CI, 28)?

Que lme qui le peut comprenne donc combien votre ternit plane au-dessus de tous les temps, puisque les intelligences, votre temple, qui nont pas voyag aux rgions trangres, demeurent par leur fidlit votre amour affranchies des caprices du temps. Je vois clairement cette vrit en votre prsence; quelle mapparaisse chaque jour plus claire, je vous en conjure! et, qu lombre de vos ailes, je demeure humblement dans cette connaissance que vous mavez rvle!

14.Mais je ne sais quoi dinforme se trouve dans les changements qui altrent les choses de lordre infrieur. Et quel autre que linsens, gar dans le vide, et flottant sur les vagues chimres de son coeur, pourrait me dire que, si toute forme tait arrive par rduction successive lanantissement, la seule existence de cette informit, support rel de toute transformation, suffirait produire les vicissitudes du temps? Chose impossible: car, point de temps, sans varit de mouvements, et point de varit, sans formes.

CHAPITRE XII.DEUX ORDRES DE CRATURES.

15.Jai considr ces vrits, mon Dieu, autant que vous men avez fait la grce; autant que vous mavez excit frapper, autant quil vous a plu de mouvrir; et je trouve deux cratures, que vous avez faites hors du temps; quoiquelles ne vous soient, ni lune ni lautre, coternelles : lune si parfaite, que, dans la joie non interrompue de votre contemplation, (490) inaccessible limpression de linconstance, elle demeure sans changer, malgr sa mutabilit naturelle, et jouit de votre immuable ternit; et lautre si informe, que, dpourvue de ltre suffisant pour accuser le mouvement ou le repos, elle noffre aucune prise la domination du temps. Mais vous ne lavez pas laisse dans cette informit, puisque dans le principe, avant les jours, vous avez form ce ciel et cette terre, dont je parle.

Or, la terre tait invisible, informe, et les tnbres couvraient labme ( Gen. I, 2). Par ces paroles sinsinue peu peu, dans les esprits qui ne peuvent concevoir la privation de la forme autrement que comme labsence de ltre, la notion de cette informit, germe dun autre ciel, dune terre visible et ordonne, source des eaux transparentes, et de toutes les merveilles que la tradition comprend dans loeuvre des jours, parce que les volutions de formes et de mouvements, prescrites leur nature, la soumettent aux vicissitudes des temps.

CHAPITRE XIII.CRATURES SPIRITUELLES; MATIRE INFORME.

16. Lorsque la voix de votre Ecriture parle ainsi : Dans le principe, Dieu cra le ciel et la terre : or , la terre tait invisible, informe; et les tnbres couvraient la face de labme (Ibid. 2); sans assigner aucun jour cette cration ; je pense que par ce ciel, ciel de nos cieux, on doit entendre le ciel spirituel o lintelligence nest quune intuition qui voit tout dun coup, non pas en partie, ni en nigme, ou comme en un miroir, mais de pleine vidence, face face ( ( I Cor. XIII, 12), dun regard invariable et fixe; claire vue, sans succession, sans instabilit de temps; et par cette terre, la terre invisible et informe que le temps ne pouvait atteindre. Ceci, puis cela, telle est la pture de la vicissitude; mais le changement peut-il tre o la forme nest pas? Cest donc, suivant moi, de ces deux cratures, produites, lune dans la perfection, lautre dans lindigence de la forme; ciel dune part, mais ciel du ciel; terre de lautre, mais terre invisible et informe, que lEcriture dit sans mention de jour: Dans le principe, Dieu fit le ciel et la terre. Car elle dit aussitt quelle terre. Et comme elle rapporte au second jour la cration du firmament, qui fut appel ciel, elle insinue la distinction de cet autre ciel n avant les jours.

CHAPITRE XIV.PROFONDEUR DES CRITURES.

17.Etonnante profondeur de vos Ecritures! leur surface semble nous sourire, comme des petits enfants; mais quelle profondeur, mon Dieu! insondable profondeur! A la considrer, je me sens un vertige deffroi, effroi de respect, tremblement damour! Oh! de quelle haine je hais ses ennemis! Que ne les passez-vous au fil de votre glaive doublement acr, afin de les retrancher du nombre de vos ennemis? Que jaimerais les voir ainsi frapps de mort eux-mmes pour vivre vous! Il en est dautres, non plus dtracteurs, mais admirateurs respectueux de la Gense, qui me disent : Le Saint-Esprit, qui a dict ces paroles Mose, son serviteur, na pas voulu quelles fussent prises dans le sens o tu les interprtes, mais dans celui-ci, dans le ntre. Seigneur, notre Dieu, je vous prends pour arbitre! voil ma rponse.

CHAPITRE XV.VRITS CONSTANTES, MALGR LA DIVERSIT DES INTERPRTATIONS.

18.Taxerez-vous de fausset ce que la vrit ma dit dune voix forte loreille du coeur; tout ce quelle ma rvl de lternit du Crateur, savoir que sa substance ne varie point dans le temps et que sa volont nest point hors de sa substance ? Volont sans succession, une, pleine et constante; sans contradiction et sans caprice, car le caprice, cest le changement, et ce qui change nest pas ternel. Or, notre Dieu est lternit mme. Dmentirez-vous encore la mme voix, qui ma dit: Lattente des choses venir devient une vision directe quand elles sont prsentes. Sont-elles passes ? cette vision nest plus que mmoire. Mais toute connaissance qui varie est muable; et ce qui est muable nest pas ternel. Or, notre Dieu est lternit mme. Je rassemble, je runis ces vrits, et vois que ce nest point une survenance de volont en Dieu, qui a cr le monde, et que sa science ne souffre rien dphmre.

19.Contradicteurs, quavez-vous rpondre? Ai-je avanc une erreur? Non, Quoi (491) donc? Est-ce une erreur de prtendre que toute nature forme, que toute matire capable de forme, ne tiennent leur tre que de Celui qui est la souveraine bont, parce quil est le souverain tre? Non, dites-vous. Quoi donc? Que niez-vous? serait-ce lexistence dune crature suprieure, dont le chaste amour embrasse si troitement le vrai Dieu, le Dieu de lternit, que, sans lui tre coternelle, elle ne se dtache jamais de lui pour tomber dans le torrent des jours, et se repose dans la contemplation de son unique vrit? Aim de cette heureuse crature, de tout lamour que vous exigez, Dieu, vous vous montrez elle, et vous lui suffisez, et elle ne se dtourne jamais de vous, pas mme pour se tourner vers elle. Voil cette maison de Dieu, qui nest faite daucun lment emprunt la terre, ou aux cieux corporels; demeure spirituelle ; admise la jouissance de votre ternit, parce quelle demeure dans une puret ternelle. Vous lavez fonde jamais; tel est votre ordre, et il ne passe point ( PS CXLVIII, 6). Et cependant elle ne vous est point coternelle; elle a commenc, car elle a t cre.

20. Nous ne trouvons pas, il est vrai, de temps avant elle, selon cette parole : La sagesse a t cre la premire (Ecclsi. I, 4), non pas cette Sagesse dont vous tes le pre, mon Dieu, gale et coternelle vous-mme, par qui toutes choses ont t cres, principe en qui vous avez fait le ciel et la terre. Mais cette sagesse crature, substance intelligente, lumire par la contemplation de votre lumire, car, toute crature quelle est, elle porte aussi le nom de sagesse mais la lumire illuminante diffre de la lumire illumine; la sagesse cratrice, de la sagesse cre ; comme la justice justifiante, de la justice opre par la justification. Ne sommes-nous pas appels aussi votre justice? Lun de vos serviteurs na-t-il pas dit: Afin que nous soyons la justice de Dieu en lui (II Cor. V, 21)? Il est donc une sagesse cre la premire; et cette sagesse nest autre chose que ces essences intelligentes, membres de votre Ville Sainte, notre mre, qui est en haut, libre (Galat. IV, 26), ternelle dans les cieux ; et quels cieux, sinon ces cieux sublimes, vos hymnes vivantes ; ce ciel des cieux (Ps. CXLVIII, 4) qui est vous? Sans doute, nous ne trouvons pas de temps qui prcde cette sagesse. Cre la premire, elle devance la cration du temps; mais avant elle prexiste lternit du Crateur dont elle tire sa naissance, non pas selon le temps, qui ntait pas encore, mais suivant sa condition dtre cre.

24.Elle procde donc de vous, mon Dieu! toutefois bien diffrente de vous, loin dtre vous-mme. Il est vrai que, ni avant elle, ni en elle, nous ne trouvons aucun temps; que, demeurant toujours devant votre face, sans dfaillance, sans infidlit , cette constance llve au-dessus du changement; mais sa nature, qui le comporte, ne serait plus quune froide nuit, si son amour ne trouvait dans lintimit de votre union un ternel midi de lumire et de chaleur.

Rayonnante demeure, palais resplendissant; oh! que ta beaut mest chre, rsidence de la gloire de mon Dieu (Ps. XXV, 8)! sublime ouvrier qui rside dans son ouvrage, combien je soupire vers toi du fond de ce lointain exil, et je conjure ton Crateur de me possder aussi, de me possder en toi; car ce Crateur est le mien. Je me suis gar comme une brebis perdue ( Ps. CXVIII, 16), mais je compte sur les paules du bon pasteur, ton divin architecte, pour tre report dans ton enceinte (Luc, XV, 5).

22. Que rpondez-vous maintenant, contradicteurs qui je parlais, vous qui pourtant reconnaissez Mose pour un fidle serviteur de Dieu, et ses livres pour les oracles du Saint-Esprit? Dites, nest-ce pas l cette maison de Dieu qui, sans lui tre coternelle, a nanmoins son ternit propre dans les cieux? Vainement vous cherchez en elle la vicissitude et le temps, vous ne les trouverez jamais; nest-elle pas exalte au-dessus de toute tendue fugitive la crature qui puise sa flicit dans une permanente union avec Dieu ( Ps. LXII, 28)? Oui sans doute. Eh bien! que trouvez-vous donc reprendre dans toutes ces vrits que le cri de mon coeur a fait remonter vers mon Dieu, quand je prtais loreille intrieure la voix de ses louanges? Dites, o est donc lerreur? Est-ce dans cette opinion que la matire tait informe; que, l o la forme nest pas, lordre ne saurait tre; que labsence de lordre faisait labsence du temps, et quil ny avait pourtant l quun presque nant, qui, dou toutefois dune sorte dtre, ne le pouvait tenir que du principe de tout tre, et de toute existence? Cest ce que nous accordons encore, dites-vous. (492)

CHAPITRE XVI.CONTRE LES CONTRADICTEURS DE LA VRIT.

23. Je veux mentretenir un instant en votre prsence, mon Dieu! avec ceux qui reconnaissent pour vritables toutes les rvlations dont la parole de votre vrit a clair mon me. Pour ceux qui les nient, quils sassourdissent eux-mmes tant quils voudront de leurs aboiements; je les inviterai de toutes mes forces rentrer dans le calme, pour prparer en eux la voie votre Verbe. Sils sy refusent, sils me repoussent, je vous en supplie, mon Dieu, ne me laissez pas dans votre silence (Ps. XXVII, 1); oh! parlez mon coeur en vrit : car il nappartient qu vous de parler ainsi; et ces insenss, quils restent dehors soulevant de leur souffle la terre poudreuse qui aveugle leurs yeux; et jentrerai dans le plus secret de mon me; et mes chants vous diront mon amour; et mes gmissements, les ineffables souffrances de mon plerinage, et mon coeur, toujours lev en haut dans la chre souvenance de Jrusalem, naura de soupirs que pour Jrusalem, ma patrie, Jrusalem, ma mre, Jrusalem et vous, son roi, son soleil, son pre, son protecteur, son poux, ses chastes et puissantes dlices, son immuable joie; joie au-dessus de toute parole; sa flicit parfaite, son bien unique et vritable, vous, le seul bien, le bien en vrit et par excellence; non, mes soupirs ne se tairont pas que vous ne mayez reu dans la paix de cette mre chrie, dpositaire des prmic6s de mon esprit, foyer do slancent vers moi toutes ces lumires; et que votre main nait rassembl les dissipations, rform les difformits de mon me, pour la soutenir dans une imprissable beaut, ma misricorde! O mon Dieu!

Quant ceux qui ne contestent point ces vrits, dont la vnration, daccord avec la ntre, lve au plus haut point dautorit les saintes Ecritures traces par Mose, votre saint serviteur, mais qui trouvent reprendre d~ns mes paroles, voici ce que je leur rponds : Seigneur notre Dieu, soyez larbitre entre mes humbles rvlations et leurs censures.

CHAPITRE XVII.CE QUE LON DOIT ENTENDRE PAR LE CIEL ET LA TERRE.

24.Tout cela est vrai, disent-ils; mais ce nest pas ces deux ordres de cratures que Mose avait en vue lorsquil crivait sous la dicte du Saint-Esprit: Dans le principe, Dieu fit le ciel et la terre ( Gen. I, 1). Non, il na pas dsign par le ciel une essence spirituelle ou intelligente, ravie dans lternelle contemplation de Dieu, ni par la terre une matire informe. Quentend-il donc? Ce que nous disons, rpondent-ils; il nentend pas, il nexprime pas autre chose que nous. Quoi donc enfin? Sous les noms de ciel et de terre, il a dabord compris sommairement et en peu de mots tout ce monde visible, pour distinguer ensuite en dtail, selon le nombre des jours, ce quil a plu au Saint-Esprit de nommer en gnral le ciel et la terre. Car, sadressant au peuple juif, ce troupeau dhommes grossiers et charnels, il ne voulait lui signaler que la partie visible des oeuvres de Dieu. Mais par cette terre invisible et informe, par cet abme de tnbres qui servit de matire loeuvre successive des six jours, la cration et lordonnance de ce monde visible, ils maccordent que lon peut entendre cette matire informe dont jai parl.

25.Un autre dira peut-tre que cette confusion de matire informe a t dabord dsigne sous le nom de ciel et terre, parce quelle est comme la matire de ce monde visible et de lensemble des natures qui sy manifestent, souvent appeles ainsi. Ne peut-on pas dire aussi que cest avec assez de raison que toutes les substances invisibles et visibles sont dnommes ciel et terre; et que ces deux termes comprennent la cration entire accomplie dans le Principe, cest--dire dans la Sagesse divine; mais que tous les tres tant sortis du nant, et non de la substance de Dieu, puisquils ne participent pas sa nature et quils ont en eux-mmes le principe de la mutabilit, soit quils demeurent comme lternelle maison du Seigneur, soit quils changent comme lme et le corps de lhomme; la matire de toutes choses visibles et invisibles encore dnue de la forme, capable toutefois de la recevoir pour devenir le ciel et la terre, a t justement nomme terre invisible et informe, abme de tnbres, sauf cette distinction ncessaire entre la terre (493) invisible et sans ordre ou la matire corporelle avant linvestiture de la forme; et les tnbres rpandues sur labme ou la matire spirituelle avant la compression de sa fluide mobilit et le FIAT LUX)) de votre sagesse.

26.Un autre peut dire encore, sil lui plat, que ces paroles de lEcriture : Dans le principe Dieu fit le ciel et la terre, ne sauraient sentendre des cratures invisibles et visibles arrives la perfection de leur tre; mais quelles dsignent une informe bauche de forme et de cration, germe obscur o sagitaient confusment, sans distinction de formes et de qualits, les substances qui, dans lordre o elles sont aujourdhui disposes, sappellent le ciel ou le monde des esprits, la terre ou le monde des corps.

CHAPITRE XVIII.ON PEUT DONNER PLUSIEURS SENS A LCRITURE.

27.Jcoute, je pse ces opinions; mais loin de moi toute dispute. La dispute nest bonne qu ruiner la foi des auditeurs ( II Tim. II, 4), tandis que la loi difie ceux qui en savent le bon usage; son but est lamour qui nat dun coeur pur, dune bonne conscience et dune foi sincre (I Tim. I, 8,5), et le divin Matre nignore pas quels sont les deux commandements o il a rduit la loi et les prophtes (Matth. XXII, 40). Que mimporte donc, mon Dieu, lumire de mes yeux intrieurs, que mimporte, tant que mon amour confesse votre gloire, que ces paroles soient susceptibles dinterprtations diffrentes? Que mimporte, dis-je, quun autre tienne pour le sens vrai de Mose, un sens tranger au mien? Nous cherchons tous dans la lecture de ces livres, pntrer et comprendre la pense de lhomme de Dieu, et le reconnaissant pour vridique, oserions-nous lui attribuer ce que nous savons ou croyons faux? Ainsi donc, tandis que chacun sapplique trouver lintention de lauteur inspir, o est le mal, si votre clart, lumire des intelligences sincres, je dcouvre un sens que vous me dmontrez vritable, quoique ce sens ne soit pas le sien, et, malgr cette diffrence, laisse le sien dans toute sa vrit?

CHAPITRE XIX.VRITS INCONTESTABLES.

28.Cest une vrit, Seigneur, que vous avez cr le ciel et la terre, cest une vrit que votre Sagesse est le principe en qui vous avez cr toutes choses ( Ps. CIII, 24); cest une vrit que ce monde visible prsente deux grandes divisions, le ciel et la terre, et que ces deux mots rsument toutes les cratures. Cest une vrit que tout tre muable nous suggre lide dune certaine informit, ou susceptibilit de forme, daltration et de changement. Cest une vrit que le temps est sans pouvoir sur ltre muable par sa nature, mais immuable par son intime union avec la forme immuable. Cest une vrit, que linformit, ce presque nant, est galement exempte des rvolutions du temps. Cest une vrit que la matire dune entit peut porter par anticipation le nom de cette entit mme; quainsi on a pu nommer le ciel et la terre, ce je ne sais quoi dinforme, dont le ciel et la terre ont t forms. Cest une vrit, que de toutes les ralits formelles, rien nest plus voisin de linformit que la terre et labme. Cest une vrit que tout tre cr et form, que toute possibilit de cration et de forme, est votre ouvrage, Principe de toutes choses! Cest une vrit, que tout tre informe qui est form, tait dabord dans linformit pour passer la forme.

CHAPITRE XX.INTERPRTATIONS DIVERSES DES PREMIRES PAROLES DE LA GENSE.

29.De toutes ces vrits, dont ne doutent point ceux qui vous avez fait la grce douvrir les yeux de lme et de croire fermement que Mose na parl que suivant lEsprit de vrit, lun en choisit une et dit: Dans le principe, Dieu fit le ciel et la terre, cest--dire Dieu fit dans son Verbe, coternel lui-mme, des cratures intelligentes ou spirituelles, sensibles ou corporelles. Un autre: Dans le principe, Dieu fit le ciel et la terre, cest--dire Dieu fit dans son Verbe, coternel lui-mme, ce monde corporel avec cet ensemble de ralits videntes nos yeux et notre esprit.

Cet autre: Dans le principe, Dieu fit le ciel et la terre, cest--dire dans son Verbe coternel lui-mme, Dieu fit la matire informe (494) de toute cration spirituelle et corporelle. Celui-ci: Dans le principe, Dieu fit le ciel et la terre, cest--dire dans son Verbe coternel lui-mme, Dieu cra le germe informe du monde corporel, la matire o taient confondus le ciel et la terre, qui depuis unt reu lordonnance et la forme dont nos yeux sont tmoins. Celui-l dit enfin : Dans le principe, Dieu fit le ciel et la terre, cest--dire aux prliminaires de sen oeuvre, Dieu cra cette matire, grosse du ciel et de la terre, qui depuis sont sortis de son sein avec les formes quils manifestent et les tres quils renferment.

CHAPITRE XXI.EXPLICATIONS DIFFRENTES DE CES MOTS: LA TERRE TAIT INVISIBLE.

30. De mme, quant lintelligence des paroles suivantes, chacun trouve une vrit dont il sempare. Lun sexprime ainsi: La terre tait invisible, informe, et les tnbres couvraient labme; cest--dire: cette cration corporelle, ouvrage de Dieu, tait la matire de toutes les ralits corporelles, mais sans forme, sans ordre et sans lumire. Un autre dit: La terre tait invisible, informe; et les tnbres couvraient labme; cest--dire:

cet ensemble quon appelle le ciel et la terre, ntait encore quune matire informe et tnbreuse, do devaient sortir ce ciel corporel, cette terre corporelle, avec toutes les ralits corporelles connues de nos sens. Celui-ci: La terre tait invisible, informe, et les tnbres couvraient labme; cest--dire : cet ensemble, qui a reu le nom de ciel et-de terre, ntait encore quune matire informe et tnbreuse, qui devait produire le ciel intelligible, autrement dit le ciel du ciel ( Ps. CXIII, 16), et la terre; cest--dire toute la nature apparente, y compris les corps clestes; en un mot, le monde invisible et le monde visible.

Un autre: La terre tait invisible, informe, et les tnbres couvraient labme. Ce nest pas ce chaos que lEcriture appelle le ciel et la terre; mais, aprs avoir signal la cration des esprits et des corps, elle dsigne sous le nom de terre invisible et sans ordre, dabme tnbreux, cette matire prexistante dont Dieu les avait forms. Un autre vient et dit: La terre tait invisible, informe, et les tnbres couvraient labme; cest--dire: il y avait dj une matire informe, do laction cratrice, pralablement atteste par lEcriture, a tir le ciel et la terre, en dautres termes, cette masse de lunivers, partage en deux grandes divisions:

lune suprieure, et lautre infrieure, avec tous les tres quelles prsentent notre connaissance.

CHAPITRE XXII.PLUSIEURS CRATIONS DE DIEU PASSES SOUS SILENCE.

31.Vainement voudrait-on rfuter ces deux dernires opinions, en disant: Si vous ne voulez pas admettre que cette informit matrielle soit dsigne par le nom de ciel et de terre, il existait donc quelque chose, indpendant de laction cratrice, dont Dieu sest servi pour faire le ciel et la terre? Car lEcriture ne dit point que Dieu ait cr cette matire, moins quelle ne soit exprime par la dnomination de ciel et. de terre, ou de terre seulement, lorsquil dit: Dans le principe, Dieu fit le ciel et la terre: or, la terre tait invisible et informe; et, quand mme le Saint-Esprit et voulu dsigner, par ces derniers mots, la matire informe, nous ne pourrions toujours entendre que cette cration divine, atteste par ce verset: Dieu fit le ciel et la terre.

Mais, rpondront les tenants de ces deux opinions, nous ne nions pas que cette matire soit loeuvre de Dieu, principe de tout bien: car si nous disons que Ce qui a dj reu ltre et la forme est bien, un plus haut degr que Ce qui nen a que la capacit, nous nen admettons pas moins que ce dernier tat ne soit un bien. Quant au silence de lEcriture sur la cration de cette informit matrielle, on pourrait galement lobjecter lgard des chrubins et des sraphins (Isae VI, 2; XXXVII, 16), et de tant dautres esprits clestes, distingus par lAptre en trnes, dominations, principauts, puissances ( Coloss. I, 16), dont lEcriture se tait, quoiquils soient videmment loeuvre de Dieu.

Si lon veut que tout soit compris dans ces mots: Il fit le ciel et la terre, que dirons- nous donc des eaux sur lesquelles lEsprit de Dieu tait port? Si, par le nom de terre, il faut implicitement les entendre, comment ce nom peut-il exprimer une matire informe, sil dsigne aussi ces eaux que nos yeux voient si transparentes et si belles? Et, si on le prend (495) ainsi, pourquoi lEcriture dit-elle que de cette matire informe a t form le firmament, nomm ciel, sans faire mention des eaux? Sont-elles donc encore invisibles et informes, ces eaux dont nous admirons le limpide cristal? Ont-elles t revtues de leur parure lorsque Dieu dit: Que les eaux, infrieures au firmament, se rassemblent (Gen. I, 9)! et cette runion est-elle leur cration? Mais que dira-t-on des eaux suprieures au firmament? Informes, eussent-elles reu une place si honorable? Et nulle part IEcriture ne dit quelle parole les a formes.

Ainsi, la Gense garde le silence sur la cration de certains tres; et, ni la rectitude de la foi, ni la certitude de la raison, ne permettent de douter que Dieu les ait crs. Quel autre quun insens oserait conclure quils lui sont coternels, de ce que la Gense affirme leur existence sans parler de leur cration? Eh! pourquoi donc refuserions-nous de concevoir, la lumire de la vrit, que cette terre invisible et sans ordre, abme de tnbres, soit loeuvre de Dieu, tire du nant; non coternelle lui, quoique le rcit divin omette le moment de sa cration?

CHAPITRE XXIII.DEUX ESPCES DE DOUTES DANS LINTERPRTATION DE LCRITURE.

32.Jcoute, je pse ces sentiments divers, selon la porte de ma faiblesse, que je confesse mon Dieu, dont elle est connue, et je vois quil peut natre deux sortes de dbats sur les tmoignages que nous ont laisss les plus fidles oracles de la tradition. Ils peuvent porter, dune part, sur la vrit des choses; de lautre, sur lintention qui en dicte le rcit: car il est diffrent de chercher la vrit en discutant le problme de la cration, ou de prciser le sens que Mose, ce grand serviteur de notre foi, attache sa parole.

A lgard de la premire difficult, loin de moi ceux qui prennent leurs mensonges pour la vrit! A lgard de la seconde, loin de moi ceux qui prtendent que Mose affirme lerreur! Mais, Seigneur, paix et joie en vous, avec ceux qui se nourrissent de la vrit dans ltendue de lamour! Approchons-nous ensemble de votre sainte parole, et cherchons votre pense dans lintention de votre serviteur, dont la plume est votre interprte.

CHAPITRE XXIV.DIFFICULTS DE DTERMINER LE VRAI SENS DE MOSE ENTRE PLUSIEURS GALEMENT VRAIS.

33.Mais, entre tant de solutions diffrentes et toutes vritables, qui de nous osera dire avec confiance : Voici la pense de Mose; voici le sens o il veut que lon prenne son rcit? Qui losera- dire avec cette hardiesse qui affirme la vrit dune interprtation, quelle ait t ou non dans la pense de Mose?

Et moi, mon Dieu, moi, votre serviteur, qui vous ai vou ce sacrifice de mes confessions, et deniTande votre misricorde la grce daccomplir ce voeu, je dclare avec assurance, que vous tes, par votre Verbe immuable, lauteur de toutes les cratures invisibles et visibles. Mais puis-je soutenir avec la mme puissance de conviction, que Mose navait pas en vue dautres sens, lorsquil crivait: Dans le principe, Dieu fit le ciel et la terre? Je vois dans votre vrit la certitude de ma parole, et je ne puis lire dans lesprit de Mose si telle tait sa pense en sexprimant ainsi. Car peut-tre a-t-il entendu par Principe le Commencement de loeuvre, et, par les mots de ciel et de terre, les cratures spirituelles et corporelles, non dans la perfection de leur tre, mais ltat dbauche informe. Je vois bien que, de ces deux sens, ni lun, ni lautre ne blesse la vrit. Mais lequel des deux nonce le prophte, cest ce que je ne vois pas de mme; sans toutefois douter un seul instant que, quelle quait t la pense de cet homme divin, que je laie ou non prsente, cest la vrit quil a vue, son expression propre quil lui a donne.

CHAPITRE XXV.CONTRE CEUX QUI CHERCHENT A FAIRE PRVALOIR LEUR SENTIMENT.

34.Que lon ne vienne donc plus mimportuner, en disant: Mose na pas eu ta pense, mais la mienne. Encore, si lon me disait: Do sais-tu que le sens de Mose est celui que tu tires de ses paroles? Je naurais pas le droit de moffenser, et je rpondrais par les raisons prcdentes, ou jen dvelopperais de nouvelles, si javais affaire un esprit moins(496) accommodant. Mais que lon me dise: tu te trompes, le vrai sens est le mien; tout en maccordant que la vrit est dans les deux; alors, mon Dieu, vie des pauvres, vous, dont le sein exclut la contradiction, rpandez en mon me une rose de douceur, afin que je supporte avec patience ceux qui me parlent ainsi, non quils soient les hommes de Dieu, non quils aient lu dans lesprit de votre serviteur, mais parce quils sont hommes de superbe, moins pntrs de lintelligence des penses de Mose, que de lamour de leurs propres penses; et quen aiment-ils? non pas la vrit, mais eux-mmes: car autrement ils auraient, pour les penses dun autre, reconnues vritables, lamour que jai pour leurs penses, quand elles sont vraies, et je les aime, non pas comme leurs penses, mais comme vraies; et, ce titre, ntant plus eux, mais la vrit. Or, sils naiment dans leur opinion que la vrit, ds lors cette opinion est mienne aussi, car les amants de la vrit vivent dun commun patrimoine.

Ainsi, quand ils soutiennent que leur sentiment, et non le mien, est celui de Mose, cest une prtention qui moffense, et que je repousse. Leur sentiment ft-il vrai, la tmrit de leur affirmation nest plus de la science, mais de laudace; elle ne sort pas de la lumire de la vrit, mais des vapeurs de lorgueil. Et cest pourquoi, Seigneur, vos jugements sont redoutables; car votre vrit nest ni moi, ni lui, ni tel autre; elle est nous tous, que votre voix appelle hautement sa communion, avec la terrible menace den tre privs jamais, si nous voulons en faire notre bien priv. Celui qui prtend sattribuer en propre lhritage dont vous avez mis la jouissance en commun, et revendique comme son bien le pcule universel, celui-l est bientt rduit de ce fonds social son propre fonds, cest--dire de la vrit au mensonge : car celui qui professe le mensonge parle de son propre fonds (Jean, VIII, 44).

35. O mon Dieu! le plus quitable des juges, et la vrit mme, coutez ma rponse ce dur contradicteur. Cest en votre prsence que je parle; cest en prsence de mes frres qui font un lgitime usage de la loi, en la rapportant lamour, sa fin vritable (I Tim. I, 8). Ecoutez, Seigneur, et jugez ma rponse. Voici donc ce que je lui demande avec une charit fraternelle, et dans un esprit de paix:

Quand nous voyons lun et lautre que ce que tu dis est vrai, lun et lautre que ce que je dis est vrai, de grce, o le voyons-nous? Assurment ce nest pas en toi que je le vois, ce nest pas en moi que tu le vois; nous le voyons tous deux dans limmuable vrit qui plane sur nos esprits. Et si nous sommes daccord sur cette lumire du Seigneur qui nous claire, pourquoi disputons-nous sur la pense dun homme, qui ne saurait se voir comme cette vrit immuable? Quen effet Mose nous apparaisse et nous dise : Telle est ma pense; nous ne la verrions pas, nous croirions sa parole.

Ainsi, suivant le conseil de lAptre, gardons-nous de prendre orgueilleusement parti pour une opinion contre une autre (I Cor. IV, 6). Aimons le Seigneur notre Dieu de tout notre coeur, de toute notre me, de tout notre esprit, et le prochain comme nous-mmes (Deut. VI, 5; Matth. XXII, 37). Cest ces deux commandements de lamour que Mose a rapport les penses de ses saintes Ecritures. En pouvons-nous douter, et ne serait-ce pas dmentir Dieu mme que dattribuer son serviteur une intention diffrente de celle quaffirme de lui le divin tmoignage? Vois donc; entre tant de fouilles fcondes que lon peut faire dans ce terrain de vrit, ne serait-ce pas une folie que de revendiquer la dcouverte du vrai sens de Mose, au risque doffenser par de pernicieuses disputes cette charit, unique fin des paroles dont nous poursuivons lexplication?

CHAPITRE XXVI.IL EST DIGNE DE LCRiTURE DE RENFERMER PLUSIEURS SENS SOUS LES MMES PAROLES.

36.Eh quoi! mon Dieu! gloire de mon humilit et repos de mes labeurs, qui daignez couter laveu de mes fautes et me les pardonner, quand vous mordonnez daimer mon prochain comme moi-mme, puis-je penser que Mose, votre serviteur fidle ait reu de moindres faveurs que je nen eusse dsir moi-mme et sollicit de votre grce, si, me faisant natre en son temps pour mlever la hauteur de son ministre, et prenant votre service mon coeur et ma langue, vous meussiez choisi pour dispensateur de ces saintes Ecritures, qui devaient tre dans la suite si profitable tous les peuples, et du fate de leur (497) autorit dominer universellement les paroles du mensonge et les doctrines de lorgueil?

Oui, si jeusse t Mose (pourquoi non? ne sommes-nous pas sortis tous du mme limon, et quest-ce que lhomme? est-il quelque chose si vous ne vous souvenez de lui ( Ps. VIII, 5)?), oui, si jeusse t Mose, et que vous meussiez enjoint dcrire le livre de la Gense, je vous aurais demand un style dou de telles proprits de puissance et de mesure, que les intelligences encore incapables de concevoir la cration ne pussent rcuser mes paroles comme au-dessus de leur porte, et que les intelligences plus leves y trouvassent en peu de mots toute vrit qui soffrt leur pense et quenfin, si votre lumire dvoilait certains esprits quelques vrits nouvelles, aucune delles ne ft hors du sens de votre prophte.

CHAPITRE XXVII.ABONDANCE DE LCRITURE.

37. Une source est plus abondante en son humble bassin, pour fournir, au cours des ruisseaux quelle alimente, quaucun de ces ruisseaux qui en drivent et parcourent de longues distances; de mme le rcit de votre prophte, o vos serviteurs devaient tant puiser, fait jaillir en un filet de paroles des courants de vrit, que des saignes fcondes dirigent et l par de lointaines sinuosits de langage.

Quelques-uns, la lecture des premires lignes, se reprsentent Dieu comme un homme, ou comme un tre corporel, dou dune puissance infinie, qui, par une trange soudainet de vouloir, aurait produit hors de lui, dans une tendue distante de lui-mme, ces deux corps immenses et contenant toutes choses, lun suprieur, lautre infrieur. Et sils entendent ces mots: Dieu dit:, Que cela soit, et cela fut, ils se figurent une parole qui commence et finit, qui rsonne et passe dans le temps, et dont le son expire peine, que ltre appel commence surgir; enfin, je ne sais quelles imaginations venues du commerce de la chair. Ceux-l sont de petits enfants. LEcriture incline son langage jusqu leur bassesse, quelle recueille en son sein maternel. Et dj ldifice du salut slve en eux par la foi qui les assure que Dieu seul a cr tous les tres dont ladmirable varit frappe leurs sens. Mais si lun de ces nourrissons, dans lorgueil de sa faiblesse, mprisant lhumilit des divines paroles, slance hors du berceau, le malheureux! il va tomber, Seigneur, jetez un regard de compassion sur ce petit du passereau, il est encore sans plumes; les passants vont le fouler aux pieds; envoyez un de vos anges pour le reporter dans son nid, afin quil vive, en y demeurant tant quil ne sera pas en tat de voler.

CHAPITRE XXVIII.DES DIVERS SENS QUELLE PEUT RECEVOIR.

38. Pour les autres, ces paroles ne sont plus un nid, mais un verger fertile o ils voltigent tout joyeux, la vue des fruits cachs sous le feuillage; et ils les cherchent, et ils les cueillent en gazouillant. Car ils dcouvrent la lecture ou laudition de ces paroles, que votre ternelle permanence, Dieu, demeure au-dessus de tous les temps passs et futurs, et quil nest pourtant aucune crature temporelle qui ne soit votre ouvrage.

Et ils voient que votre volont, ntant pas autre que vous-mme, ne saurait subir aucun changement, et que ce nest point par survenance de rsolution soudaine et sans prcdent, que vous avez, cr le monde. Ils savent que vous avez produit tout tre, non pas en tirant de vous une ressemblance parfaite de vous-mme, mais du nant la plus informe dissemblance, capable cependant de recevoir une forme par limpression du caractre de votre substance. Ils savent que puisant en vous seul, chacune suivant la contenance et la proprit de son tre, toutes les cratures sont trs-bonnes, soit que, fixes auprs de vous, elles demeurent dans votre stabilit, soit que, successivement loignes de vous par la distance des temps et des lieux, elles oprent ou attestent cette splendide harmonie qui rvle votre gloire. Voil ce quils voient, et ils se rjouissent, autant quil leur est possible ici-bas, dans la lumire de votre vrit.

39. Lun en considrant le dbut de la Gense, dans le principe Dieu cra, porte sa pense sur lternelle Sagesse, ce principe qui nous parle. Un autre entend par ces mmes paroles. le commencement de la cration; elles sont, pour lui, quivalentes celles-ci : Dieu cra dabord. Et parmi ceux qui saccordent reconnatre, dans ce principe, la Sagesse par (498) laquelle vous avez fait le ciel et la terre, lun prtend que, sous les noms de ciel et de terre,. il faut entendre la matire primitive de lun et de lautre. Celui-ci naccorde ces noms quaux natures distinctes et formes. Celui-l veut que le nom de ciel dsigne la nature spirituelle, accomplie dans sa forme, et que le nom de terre dsigne la matire corporelle dans son informit.

Mme diversit dopinions entre ceux qui, sous les noms de ciel et de terre, conoivent la matire informe dont le ciel et la terre devaient tre forms; lun y voit la source commune des cratures corporelles et intelligentes; lautre, de cette seule cration matrielle, dont le vaste sein renferme toutes les natures videntes nos sens.

Ceux enfin qui entendent par ces paroles des cratures disposes dans la perfection de lordre et de la forme, comprennent: lun, les cratures invisibles et visibles; lautre, les seules visibles, cest--dire ce ciel lumineux qui blouit nos regards, et cette terre, rgion de tnbres, avec tous les tres quils contiennent.

CHAPITRE XXIX.DE COMBIEN DE MANIRES UNE CHOSE PEUT TRE AVANT UNE AUTRE.

40. Mais celui qui prend le principe dans le sens de commencement, na dautre ressource pour ne pas sortir de la vrit, que dentendre par le ciel et la terre, la matire du ciel et de la terre, cest--dire de toutes les cratures intelligentes et corporelles. Car sil entendait la cration dj forme, on aurait le droit de lui demander: Si Dieu a cr au commencement, qua-t-il fait ensuite? Et ne pouvant rien trouver depuis la cration de lunivers, il ne saurait dcliner cette objection: Comment Dieu a-t-il cr dabord, sil na plus cr depuis?

Que sil prtend que la matire a t dabord cre dans linformit pour recevoir ensuite la forme, labsurdit cesse; pourvu quil sache bien distinguer la priorit de nature, comme lternit divine qui prcde toutes choses; la priorit de temps et de choix, comme celle de la fleur sur le fruit, et du fruit sur la fleur; la priorit dorigine, comme celle du son sur le chant. Les deux priorits intermdiaires se conoivent aisment; il nen est pas ainsi de la premire et de la dernire. Car est-il une vue plus rare, une connaissance plus difficile, Seigneur, que celle de votre ternit immuable, cratrice de tout ce qui change, prcdant ainsi tout ce qui est?

Et puis, o est lesprit assez pntrant pour discerner, sans grand effort, quelle est la priorit du son sur le chant? Priorit relle; car le chant est un son form, et un objet peut tre sans forme, et ce qui nest pas ne peut en recevoir. Telle est la priorit de la matire sur lobjet qui en est tir; priorit, non daction, puisquelle est plutt passive; non de temps, car nous ne commenons point par des sons dpourvus de la forme mlodieuse, pour les dgrossir ensuite et les faonner selon le rhythme et la mesure, comme on travaille le chne ou largent dont on veut tirer un coffre ou un vase. Ces dernires matires prcdent, en effet, dans le temps, les formes quon leur donne; mais il nen est pas ainsi du chant. Lentendre, cest entendre le son: il ne rsonne pas dabord sans avoir de forme, pour recevoir ensuite celle du chant. Tout ce qui rsonne passe, et il nen reste rien que lart puisse reprendre et ordonner. Ainsi le chant roule dans le son, et le son est sa matire, car cest le son mme qui se transforme en chant; et, comme je le disais, la matire ou le son prcde la forme ou le chant ; non comme puissance productrice, car le son nest pas le compositeur du chant, mais il dpend de lme harmonieuse qui le produit laide de ses organes. Il na ni la priorit du temps, car le chant et le son marchent de compagnie; ni la priorit de choix, car le son nest pas prfrable au chant, puisque le chant est un son revtu de charme: il na que la priorit dorigine, car ce nest pas le chant qui reoit la forme pour devenir son, mais le son pour devenir chant.

Comprenne qui pourra par cet exemple, que ce nest quen tant quorigine du ciel et de la terre que la matire primitive a t cre dabord et appele le ciel et la terre; et quil ny a point l prcession de temps, parce quil faut la forme pour dvelopper le temps : or, elle tait informe, mais nanmoins dj lie au temps. Et toutefois, quoique place au dernier degr de ltre (linformit tant infiniment au-dessous de toute forme), il est impossible den parler sans lui donner une priorit de temps fictive. Enfin, elle-mme est prcde par lternit du Crateur, qui de nant la fait tre. (499)

CHAPITRE XXX.LCRITURE VEUT TRE INTERPRTE EN ESPRIT DE CHARIT.

41. Que la vrit mme tablisse lunion entre tant dopinions de vrit diffrente! Que la misricorde du Seigneur nous permette de faire un lgitime usage de la loi, en la rapportant au prcepte de lamour! Ainsi donc, si lon me demande quel est, suivant moi, le sens de Mose, ce nest pas lobjet de mes confessions. Si je ne le publie pas devant vous, cest que je lignore. Et je sais pourtant que toutes ces opinions sont vraies, sauf ces pensers charnels, dont jai parl. Et ceux qui tombent dans ces pensers sont nanmoins du nombre de ces petits dheureuse esprance, qui ne seffarouchent pas des paroles sacres; ces paroles. si sublimes dans leur humilit, si prodigues dans leur parcimonie.

Pour nous, qui, jose le dire, ninterprtons le texte saint que suivant la vrit, si cest pour elle-mme et non pour la vanit de nos sentiments que notre coeur soupire, aimons-nous mutuellement; aimons-nous en vous, Dieu, source de vrit, et honorons votre serviteur, oracle de votre Esprit, dispensateur de vos Ecritures; et que notre vnration nous prserve de douter quen les crivant sous votre dicte, il nait aperu les lumires les plus vives et les fruits les meilleurs.

CHAPITRE XXXI.MOSE A PU ENTENDRE TOUS LES SENS VRITABLES QUI PEUVENT SE DONNER A SES PAROLES.

42. Tu me dis : Le sens de Mose est le mien; et il me dit: Non, le sens de Mose est le mien; et moi je dis avec plus de pit : Pourquoi lun et lautre ne serait-il pas le sien, si lun et lautre est vritable? Et jen dis autant dun troisime, dun quatrime, dun autre sens quelconque avou de la vrit; pourquoi refuserais-je de croire quils ont t vus par ce grand serviteur du seul Dieu, dont la parole toute divine se prte la varit de tant dinterprtations vraies?

Pour moi, je le dclare hardiment, et du fond du coeur, si jcrivais quelque chose qui dt tre investi dune autorit suprme, jaimerais mieux contenir tous les sens raisonnables quon pourrait donner mes paroles, que de les limiter un sens prcis, exclusif de toute autre pense, net-elle mme rien de faux qui pt blesser la mienne. Loin de moi, mon Dieu, cette tmrit de croire quun si grand prophte net pas mrit de votre grce une telle faveur! Oui, il a eu en vue et en esprit, lorsquil traait ces paroles, tout ce que nous avons pu dcouvrir de vrai; toute vrit qui nous a fui ou nous fuit encore, et qui toutefois sy peut dcouvrir.

CHAPITRE XXXII.TOUS LES SENS VRITABLES PRVUS PAR LE SAINT-ESPRIT.

43. Enfin, Seigneur, qui ntes pas chair et sang, mais Dieu, si lhomme na pas tout vu, votre Esprit Saint, mon guide vers la terre des vivants (Ps. CXLII, 10), pouvait-il ignorer tous les sens de ces paroles dont vous deviez briser les sceaux dans lavenir, quand mme votre interprte ne les et entendues quen lun des sens vritables quelles admettent? Et, sil est ainsi, la pense de Mose est sans doute la plus excellente,. Mais, mon Dieu, ou faites-nous la connatre, ou rvlez-nous cette autre quil vous plaira, et, soit que vous nous dcouvriez le mme sens que vous avez dvoil votre serviteur, soit qu loccasion de ces paroles, vous en dcouvriez un autre, que votre vrit soit notre aliment et nous prserve dtre le jouet de lerreur.

Est-ce assez de pages, Seigneur mon Dieu, en est-ce assez sur ce peu de vos paroles? Et quelles forces et quel temps suffiraient un tel examen de tous vos livres? Permettez-moi donc de resserrer les tmoignages que jen recueille la gloire de votre nom; que, dans cette multiplicit de sens qui se sont offerts et peuvent soffrir encore ma pense, votre inspiration fixe mon choix sur un sens vrai, certain, difiant, afin que, sil marrive de rencontrer celui de votre antique ministre, but o mes efforts doivent tendre, cette fidle confession vous en rende grces; sinon, permettez-moi du moins dexprimer ce que votre vrit voudra me faire publier sur sa parole, comme elle lui a inspir lui-mme la parole qui lui a plu. (500)