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1 LIRE MAX WEBER AVEC JEAN-PIERRE GROSSEIN LA SEMAINE DE LA RECHERCHE DU 20 AU 22 MAI LIVRET DES LECTURES

Livret des lectures mai2015

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LIRE MAX WEBER avec Jean-Pierre Grossein La semaine de la recherche du 20 au 22 mai 2015

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LIRE MAX WEBER AVEC JEAN-PIERRE GROSSEIN

LA SEMAINE DE LA RECHERCHE DU 20 AU 22 MAI

LIVRET DES LECTURES

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SOMMAIRE

THEME

AGENDA

COMMENT PREPARER LA SEMAINE ?

(SUR LE PDF, CLIQUER SUR «SEANCES ET LECTURES» POUR ATTEINDRE LA JOURNEE CONCERNEE)

MERCREDI 20 MAI SEANCES ET LECTURES

JEUDI 21 MAISEANCES ET LECTURES

VENDREDI 22 MAISEANCES ET LECTURES

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LE THEME

La Quatrième Semaine de la recherche est consacrée à la sociologie wébérienne, autour de Jean-Pierre Grossein. Ce dernier a non seulement consacré ses recherches à faire connaître l’œuvre de Weber au public français à travers ses traductions exigeantes, mais, au-delà, a contribué de façon décisive à mettre en évidence la richesse de la conceptualisation et de la méthodologie wébériennes, à en montrer la cohérence et l’actualité. L’originalité du travail de Jean-Pierre Grossein réside notamment dans sa lecture théorique de l’œuvre wébérienne, qui donne à voir les évolutions d’une architecture conceptuelle ne cessant de s’affiner et de se déployer en fonction des débats avec ses contemporains, des points d’application empiriques de sa démarche, des thématiques et problématisations émergentes.

Le contexte intellectuel a joué un rôle dans ces reconsidérations. La lecture que propose Jean-Pierre Grossein est libérée des confrontations idéologiques qui ont longtemps cantonné la sociologie wébérienne dans la niche « libérale » et « individualiste » et qui empêchait d’appréhender l’originalité et le subtilité de ses raisonnements, par exemple sur des points aussi centraux que la pluralité causale ou la conceptualisation idéal-typique. Mais cette relecture n’a été rendue possible qu’à travers un travail de traduction, lequel a permis de rectifier des erreurs flagrantes, mais aussi d’affiner notre compréhension des principaux concepts et du raisonnement de Max Weber.

L’un des points fondamentaux de la démarche wébérienne réside dans la relation sophistiquée entre théorie et empirie, faite d’un va-et-vient permanent entre analyse empirique et construction théorique. Si les avancées théoriques ne peuvent se réaliser qu’à partir d’analyses de situations concrètes, celles-ci ne peuvent être à la base de telles avancées que si elles sont aiguillées par un travail théorique préalable sur les notions, les concepts et leur articulation. Outre son intérêt pour une réflexion épistémologique et méthodologique concernant l’ensemble des sciences sociales, l’analyse wébérienne des religions, qui constitue un chantier majeur de l’œuvre, apporte une contribution décisive à une réflexion sur les processus de rationalisation, et elle ouvre sur une thématique de la modernité. Au-delà d’une analyse idéelle, L’Ethique protestante et l’esprit du capitalisme, tout comme ses autres textes sur L’Ethique économique des religions universelles, n’entendent pas analyser les religions pour elles-mêmes, mais dans leurs rapports avec le comportement économique qu’elles contribuent à façonner à partir de leur éthique. Les conférences et séminaires proposés durant ces journées entendent partir de ces textes et de leur analyse par Jean-Pierre Grossein, afin de susciter un débat autour de la compréhension contemporaine des concepts wébériens et de lectures qui rendent justice à la complexité de la pensée wébérienne. Des chercheurs spécialistes de la sociologie des religions, en Afrique du Nord et en Afrique sub-saharienne, reliront leurs recherches personnelles à la lumière de l’œuvre de Max Weber, notamment telle qu’elle est présentée par Jean-Pierre Grossein, pour faire ressortir ce que ces conceptualisations et problématisations permettent de dire des sociétés contemporaines.

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PROGRAMME

• MERCREDI 20 MAI 2015 - A l’amphithéatre de l’EGE

18h00-20h00 - CONFERENCE D’OUVERTURE « L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme »

Par Jean-Pierre Grossein, présenté par Béatrice Hibou (CRESC, CNRS-CERI/SciencesPo)

• Texte de lecture : « Présentation » à l’Ethique protestante et l’esprit du capitalisme

• JEUDI 21 MAI 2015 - A l’amphithéatre de l’EGE

JOURNEE D’ETUDE « Max Weber sous les tropiques »Avec la collaboration de la chaire des Etudes africaines comparées

10h00-13h00 CONFERENCE - DEBAT : «Sociologie des religions »

« Relire Sociologie des religions » par Jean-Pierre Grossein « Sociologie des religions en terre d’islam » débat avec Mohamed Tozy

15h00 – 18h30 - TABLE RONDE : « Max Weber sous les Tropiques »

Avec Souleymane Bachir Diagne (Columbia University, New York), Sophie Bava (IRD & UIR, Rabat), Didier Péclard (Université de Genève), Ramon Sarró (Institute of Social and Cultural Anthropology, University of Oxford) et Abdourahmane Seck (Centre d’étude des religions, Université Gaston-Berger, Saint-Louis), sous la présidence de Jean-François Bayart (Chaire d’Etudes africaines comparées, UM6P).

• Textes de lecture : « Présentation » à Sociologie des religions« Présentation » à l’Ethique protestante et l’esprit du capitalisme

• VENDREDI 22 MAI 2015 - à la salle de conférence de la FSJES de l’Université Hassan II de Casablanca,

SEMINAIRE DE RECHERCHE Organisé en collaboration avec le Département de science politique et le CM2S de l’Université Hassan II de Casablanca,

10h00-13h00 - SEMINAIRE« Concepts fondamentaux et catégories sociologiques »

Animé par Jean-Pierre Grossein.

• Texte de lecture : « De l’interprétation de quelques concepts wébériens », Revue française de sociologie, vol. 46, 2005/4, p. 685-721

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Préparer la Semaine de la Recherche

La semaine de la recherche est une rencontre scientifique internationale qui se tient deux fois par an à Rabat. Le programme aborde des thématiques importantes dans l’environnement politique, social ou économique du Maroc. Son organisation et sa cohérence thématique sont garanties par une direction scientifique collégiale au sein de la Faculté de Gouvernance, Sciences économiques et sociales de l’Université Mohammed VI Polytechnique, sous la responsabilité de Béatrice Hibou.

Les sciences sociales sont souvent interpellées pour analyser les changements, et elles doivent permettre de les accompagner et de les anticiper autant que possible notamment quand les sociétés sont confrontées à des changements de cap. La Semaine de la recherche apporte ce regard réflexif et analytique qui est devenu un impératif urgent pour toutes les sociétés.

Elle est également un moment de formation, d’enseignement, une respiration dans le programme académique des étudiants de la Faculté de Gouvernance, Sciences économiques et sociales. Enfin, elle est un moment d’échange et de discussion citoyenne.

Comment tirer profit de la Semaine de la Recherche ?

La Semaine de la Recherche permet d’entrer en contact avec des enseignants-chercheurs venus tout spécialement à Rabat pour ce séminaire.

Membres d’institutions d’enseignement et de recherche internationalement reconnus, ils viennent discuter de leurs travaux personnels, animer le débat scientifique et prennent le temps de répondre directement aux questions que vous voudrez leur poser.

Comment utiliser le « livret de lectures » ?

Les lectures proposées permettent de préparer et se familiariser avec les thèmes discutés lors des sessions. Ces lectures sont proposées en avance par les invités afin que le moment de discussion entre étudiants et chercheurs soit le plus approfondi possible.

Afin de préparer au mieux et de manière efficace les sessions, n’oubliez pas :

- Penser collectif : travailler en groupe, chacun peut préparer et expliquer aux autres membres du groupe le texte qu’il a particulièrement travaillé;

-Travailler tout d’abord le thème, comprendre son intérêt dans l’actualité immédiate au Maroc, comprendre ce qu’il questionne fin d’anticiper les questions de fonds qui seront discutées ;

-Planifier votre travail : établir un programme de travail sur deux à trois semaines permet de s’assurer de pouvoir assimiler plus facilement le thème et organiser des discussions collectives.

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MERCREDI 20 MAI 2015 - A l’amphithéatre de l’EGE

18h00-20h00 - CONFERENCE D’OUVERTURE « L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme »

Par Jean-Pierre Grossein, présenté par Béatrice Hibou (CRESC, CNRS-CERI/SciencesPo)

• Texte de lecture : « Présentation » à l’Ethique protestante et l’esprit du capitalisme

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LA SEMAINE DE LA RECHERCHE MERCREDI 20 MAI

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JEUDI 21 MAI 2015 - A l’amphithéatre de l’EGE

JOURNEE D’ETUDE « Max Weber sous les tropiques »Avec la collaboration de la chaire des Etudes africaines comparées

10h00-13h00 CONFERENCE - DEBAT : «Sociologie des religions »

« Relire Sociologie des religions » par Jean-Pierre Grossein « Sociologie des religions en terre d’islam » débat avec Mohamed Tozy

• Textes de lecture : « Présentation » à Sociologie des religions

15h00 – 18h30 - TABLE RONDE : « Max Weber sous les Tropiques »

Avec Souleymane Bachir Diagne (Columbia University, New York), Sophie Bava (IRD & UIR, Rabat), Didier Péclard (Université de Genève), Ramon Sarró (Institute of Social and Cultural Anthropology, University of Oxford) et Abdourahmane Seck (Centre d’étude des religions, Université Gaston-Berger, Saint-Louis), sous la présidence de Jean-François Bayart (Chaire d’Etudes africaines comparées, UM6P).

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LA SEMAINE DE LA RECHERCHE JEUDI 21 MAI

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• Textes de lecture : « Présentation » à Sociologie des religions• Sophie Bava et Olivier Pliez, «Itinéraires d’élites musulmanes africaines au Caire. D’Al Azhar à l’économie de bazar», Afrique contemporaine, N° 23, 2009/3 • Sophie Bava et Katia Boissevain, «Dieu, les migrants et les Etats. Nouvelles productions religieuses de la religion». L’année du Maghreb, Décembre 2014 • Jean-François Bayart, «Religion et politique en Afrique. Le paradigme de la cité cultuelle», préface à la réédition de Religion et modernité en Afrique, Paris, Karthala, 2015 (accessible sur le site de la Chaire «Etudes africaines comparées») • Didier Péclard, «UNITA and the moral economy of exclusion in Angola, 1966-1977», in Eric Morier-Genoud (ed.), Sure road? nationalims in Angola, Guinea-Bissau and Mozambique, Leiden, Brill, 2012 • Ramon Sarro, Ruy Blanes et Fatima Viegas, «La guerre dans la paix. Ethnicité et angolanité dans l’Église kimbanguiste de Luanda, l’Angola dans la paix. Autoratisme et reconversions», Politique africaine, numero 110, 2008 • Ramon Sarro et Anne Mélice, «Kongo–Lisbonne : la dialectique du centre et de la périphérie dans l’Église kimbanguiste», La Revue canadienne des études africaines, 2012 • Abdourrahmane Seck, «Le Sénégal sous Wade ou l’incertain de la question laïque», in Odile Goerg et Anna Pondopoulo (dir.), Islam et sociétés en Afrique subsaharienne à l’épreuve de l’histoire. Un parcours en compagnie de Jean-Louis Triaud. Paris, Karthala, 2012. • Abdourahmane Seck, La « production » du Sénégal postcolonial Un tournant entre « temps des banlieues » ou « islam du temps » ?,Paris, Karthala, 2013

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Jean-François Bayart

Religion et politique en Afrique : le paradigme de la cité cultuelle

Jamais, peut-être, l’évidence de l’interaction entre la sphère de la religion et celle de la

politique n’a été aussi grande en Afrique. « Peut-être », faut-il bien insister, car en la matière les

illusions d’optique de l’actualité et le prisme déformant des émotions ne sont pas bons conseillers1.

Il n’empêche que le djihad des shebab en Somalie, d’Al-Qaida en Afrique orientale, d’Aqmi au Mali

ou de Boko Haram au Nigeria, l’ombre de Da’ech sur la moitié orientale du continent, le coup d’Etat

du général Sissi contre les Frères musulmans en Egypte, l’importance du facteur religieux dans

maintes consultations électorales – non seulement en Afrique du Nord mais aussi dans différents

pays subsahariens, tels que le Bénin et le Nigeria – ou le rôle de la composante fondamentaliste

chrétienne dans la radicalisation des crises politiques en Côte d’Ivoire dans les années 2000, ou en

Centrafrique depuis 2010, sont là pour nous rappeler que dans cette partie du monde, comme ailleurs,

chacun est pour soi, et Dieu décidément pour tous.

Plus généralement, le boom religieux qui est perceptible depuis les années 1980, au moins,

ne s’est pas démenti, dont les principales manifestations restent, d’une part, la mobilisation

fondamentaliste, aussi bien chrétienne que musulmane, de l’autre, la progression (ou le sentiment

d’une progression) des pratiques de l’invisible, si l’on range ces dernières, par commodité certes

contestable, dans la sphère de la religion2.

1 Voir par exemple, sur ces effets d’optique dans l’appréhension du supposé « renouveau religieux », Eric Morier-Genoud, « Renouveau religieux et politique au Mozambique : entre permanence, rupture et historicité », Politique africaine, 134, juin 2014, pp. 155-177. 2 On sait que cette qualification est très discutée. Voir par exemple, pour des approches contradictoires, Terence Ranger, « Scotland Yard in the bush : medicine, murders, child witches and the construction of the occult. A litterature review », Africa, 77 (2), 2007, pp. 272-283 ; Gerrie ter Haar, Stephen Ellis, « The occult does not exist : a response to Terence Ranger », Africa, 79 (3), 2009, pp. 399-412 ; Peter Geschiere, Sorcellerie et politique en Afrique. La viande des autres, Paris, Karthala, 1995 et Witchcraft, Intimacy and Trust. Africa in Comparison, Chicago, The University of Chicago Press, 2013. Sur l’angoisse sorcellaire contemporaine, voir par exemple Andrea Ceriana Mayneri, Sorcellerie et prophétisme en

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Etudes africaines comparées, 1, avril 2015     2 

De tous ces faits se dégage d’emblée une première conclusion, ou plutôt une première

confirmation tant la littérature scientifique a été prolixe et convaincante sur ce point : le fait religieux

épouse son temps et produit des transformations sociales plutôt qu’il n’incarne la pesanteur de la

tradition, à ceci près qu’il procède souvent par « invention » de cette dernière pour inventer la

modernité, selon le paradigme, toujours heuristique, d’Eric Hobsbawm et Terence Ranger3. Les

fondamentalismes, la sorcellerie en sont précisément de puissantes illustrations, qui se réclament

des origines ou des ancêtres pour mieux habiller le changement.

Face à ces évidences africaines, deux remarques s’imposent aussitôt. En premier lieu, il n’y a

là rien de spécifiquement « africain ». Bien au contraire, la vitalité du fait religieux sur le continent

est le signe que celui-ci participe du « temps mondial »4, et ce de longue date. Les pratiques ou les

représentations religieuses des Africains s’hybrident avec celles d’autres continents en se les

appropriant, ainsi que l’attestent les figures des divinités indiennes ou de la Vierge Marie dans le

culte de la Mami Wata, l’irruption de la technologie industrielle dans l’invisible, la prolifération des

sectes asiatiques au sud du Sahara. Rien de neuf sous le soleil des Tropiques. Dans les années 1970,

Peter Geschiere repérait déjà la présence de prédicateurs bahaï en pays maka, au fin fond du

Cameroun5. Et le culte ancestral de Mami Wata, ou en tout cas son imaginaire symbolique, semble

né de la rencontre entre les peuples de la côte atlantique et les navigateurs portugais, au XVIe siècle,

pour s’enrichir ensuite des figures du panthéon hindouiste6. Aujourd’hui, ce sont les prédicateurs

charismatiques américains ou pakistanais du Tabligh Jamaat qui font recette…

Ce faisant, le fait religieux en Afrique n’est pas déconnecté des transformations et des flux

du champ religieux « global », comme l’on dit aujourd’hui. En l’occurrence, il prend désormais la

forme de religions « de marché », pour emprunter l’expression pionnière de Patrick Haenni à propos

de l’islam7, dont les téléprédicateurs égyptiens ou leurs homologues chrétiens de la côte atlantique,

les pieux marchands dits « wahabbistes » du Sahel, l’orientation économique néolibérale des partis

islamiques en Tunisie, au Maroc et, pour autant qu’on ait eu le temps de l’observer, en Egypte, ou

le gospel de la prospérité des pentecôtistes sont des expressions bien connues des anthropologues et

des sociologues. De toute façon, le rapport privilégié que les pratiques religieuses ont entretenu avec

Centrafrique. L’imaginaire de la dépossession en pays banda, Paris, Karthala, 2014 et Adam Ashworth, Madumo. A Man Bewitched, Chicago, The University of Chicago Press, 2000. 3 Eric Hobsbawm, Terence Ranger (eds), The Invention of Tradition, Cambridge, Cambridge University Press, 1983. Là aussi, cette interprétation a été discutée, critiquée, et nuancée ou complétée par ses auteurs eux-mêmes. 4 Wolfram Eberhard, Conquerors and Rulers : Social Forces in Medieval China, Leyde, E. J. Brill, 1965, pp. 1-17. Zaki Laïdi a ultérieurement repris cette notion du point de vue de la théorie des relations internationales. 5 Peter Geschiere, Village Communities and the State. Changing Relations among the Maka of Southeastern Cameroon since the Colonial Conquest, Londres, Kegan Paul International, 1982, pp. 241-242. 6 Henry J. Drewal, « Mami Wata shrines : exotica and the construction of self », in Mary J. Arnoldi, Christraud M. Geary, Kris L. Hardin (eds), African Material Culture, Bloomington, Indiana University Press, 1996, chapitre 13 ; Bogumil Jewsiewicki, Mami Wata. La peinture urbaine au Congo, Paris, Gallimard, 2003. 7 Patrick Haenni, L’Islam de marché. L’autre révolution conservatrice, Paris, Seuil, 2005.

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l’argent, leur contribution à la monétarisation et à la marchandisation du continent avaient préparé

le terrain. En observant ces évolutions, nous ne sommes pas sur une autre planète que, disons, en

Indonésie, en Turquie, ou à Houston, haut lieu du management chrétien néolibéral dont les acteurs

musulmans contemporains n’ont pas dédaigné d’apprendre les leçons8.

En second lieu, l’éminence du fait religieux en Afrique ne doit pas nous faire verser dans le

piège de la « surinterprétation » religieuse contre lequel nous met en garde Paul Veyne9. Certes, la

religion prête à la politique ses mots pour dire l’obéissance, la résistance, ou encore son « quant-à-

soi » (Eigensinn)10, au point de donner forme à des cultes présidentialistes, comme dans le Zaïre du

maréchal Mobutu ou le Togo du général Eyadema, ou à des soulèvements millénaristes mi-

prophétiques mi-révolutionnaires dont le Nigeria du Nord est coutumier, mais dont les rébellions

congolaises des années 1960 ont également fourni des exemples paradigmatiques, qu’inspiraient les

figures christiques de Patrice Lumumba et de Pierre Mulele. Force est de reconnaître qu’elle n’a pas

occupé le devant de la scène lors des mobilisations politiques qui ont balayé l’Afrique ces dernières

années. Vainqueurs dans les urnes, les islamistes ont surfé sur des Printemps arabes dont ils

n’avaient pas pris l’initiative. Au Sénégal, ce sont des rappeurs qui ont tenu le haut du pavé lors de

l’alternance, en 2012, et au Burkina Faso, en 2014, ce n’était pas la foi qui actionnait le Balai, fort

précisément qualifié de citoyen. Il se peut, en fait, que la principale contribution de la religion à la

sphère du politique provienne de sa « quotidianité », de sa « grisaille », de son « universelle

banalité », du « conformisme » qu’elle représente pour la masse des croyants, « pieux de la même

manière qu’ils portent des vêtements : pour être convenables »11. Plus encore que les mots de la

radicalité, de la distanciation ou de la soumission par rapport au pouvoir, la religion propose ceux

de la respectabilité et de la dignité qui va de pair, ce qui n’est pas une mince affaire sur un continent

où la revendication de cette dernière a été inhérente à la lutte anticoloniale et à l’émancipation des

cadets sociaux, des captifs, des esclaves. Ce souci notabiliaire ou petit-bourgeois de soi, Terence

Ranger l’avait bien restitué dans sa fresque de la famille chrétienne Samkange en

Rhodésie/Zimbabwe12.

8 Gwenaël Njoto-Feillard, L’Islam et la réinvention du capitalisme en Indonésie, Paris, Karthala, 2012. 9 Paul Veyne, « L’interprétation et l’interprète. A propos des choses de la religion », Enquête, 3, 1996, p. 7, http://enquete.revues.org/sommaire332.html. 10 Alf Lüdtke (dir.), Histoire du quotidien, Paris, Editions de la Maison des sciences de l’homme, 1994 et Des ouvriers dans l’Allemagne du XXe siècle. Le quotidien des dictatures, Paris, L’Harmattan, 2000. 11 Paul Veyne, « L’interprétation et l’interprète », art. cité. Ici, Paul Veyne est très proche du concept wébérien de « quotidiannisation » (Veralltäglichung), que le travail fondamental de traduction et d’exégèse de Jean-Pierre Grossein a restitué en français, en récusant le terme habituel, mais erroné, de « routinisation », emprunté à Talcott Parsons. Voir notamment Jean-Pierre Grossein, « Peut-on lire en français L’Ethique protestante et l’esprit du capitalisme ? », European Journal of Sociology, 40 (1), mai 1999, pp. 125-147 et « A propos d’une nouvelle traduction de L’Ethique protestante et l’esprit du capitalisme », Revue française de sociologie, 43 (4), 2002, pp. 653-671. 12 Terence Ranger, Are We not also Men ? The Samkange Family & African Politics in Zimbabwe, 1920-64, Londres, James Currey, 1995.

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D’où l’importance de la religion comme méthode de vie, qui est au cœur du raisonnement

wébérien, et dans laquelle excellent les fondamentalistes, tous « méthodistes », « précisistes » dans

l’âme13. Encore faut-il garder à l’esprit, avec le sociologue de Heidelberg, que le type-idéal de

l’autorité charismatique n’exclut pas la « quotidiannisation » (Veralltäglichung) du comportement

des fidèles et la bureaucratisation de l’institution sociale dans laquelle ils se reconnaissent, bref le

type-idéal de la légitimité rationnelle-légale14. Le confirment en Afrique les mouvements chrétiens

ou néochrétiens d’origine prophétique, vite érigés en Eglises confessionnelles et, aujourd’hui, de

plus en plus « ong-isés », ou les différents rameaux de la confrérie sénégalaise mouride, sous la

houlette d’un khalife général et de cheikhs qui n’hésitent plus à « encarter » leurs disciples, à l’instar

de Cheikh Modou Kara15.

L’analyse des rapports entre religion et politique en Afrique doit également tenir compte de

la différenciation respective des deux ordres de réalité. Le champ politique s’est autonomisé, par le

biais de son institutionnalisation, de sa constitutionnalisation, de sa bureaucratisation rationnelle-

légale, de son inspiration idéologique propre. Dans certaines sociétés, ce processus a été antérieur à

la colonisation : par exemple dans les provinces ottomanes d’Afrique du Nord – à l’exception sans

doute de la Cyrénaïque et de la Tripolitaine – ou au Maroc, étant entendu que l’islam véhicule cette

distinction entre la religion (din) et l’Etat (dolat), contrairement à une mauvaise légende ; mais aussi

dans plusieurs royaumes ou empires subsahariens, tels que l’Ashanti ou les royaumes wolof.

Néanmoins, la colonisation a étendu la différenciation des deux sphères du religieux et du politique

aux sociétés, notamment lignagères, qui ne la pratiquaient pas et ignoraient même ces catégories de

pensée. Elle l’a généralisée, et l’a systématisée grâce aux ressources de l’écriture, du capitalisme, de

la civilisation industrielle.

Ce processus de différenciation n’est pas le produit univoque de la sécularisation, ou plus

exactement celle-ci naît souvent de la religion elle-même autant que du politique ou de l’Etat. En

d’autres termes, l’islam et le christianisme n’ont pas été en reste, en Afrique, en matière de

transformations sociales ou mentales qui ont abouti à l’autonomisation de la sphère politique, ne

serait-ce que parce qu’ils ont été eux-mêmes de hauts lieux de la bureaucratisation, du marché, de

l’enseignement de l’épistemè occidentale et de la reconnaissance de la légitimité de l’Etat, quitte à

13 Max Weber, L’Ethique protestante et l’esprit du capitalisme, suivi d’autres essais, traduit par Jean-Pierre Grossein, Paris, Gallimard, 2003, pp. 133-134. 14 Max Weber, Sociologie des religions, traduit par Jean-Pierre Grossein, Paris, Gallimard, 1996 et La Domination, Paris, La Découverte, 2013. 15 Xavier Audrain analyse très finement cette imbrication des deux types d’autorité dans sa thèse : Des « punks de Dieu » aux « taalibe-citoyens ». Jeunesse, citoyenneté et mobilisation religieuse au Sénégal. Le mouvement mouride de Cheikh Modou Kara (1980-2007), Paris, Université de Paris 1-Panthéon-Sorbonne, multigr., 2013. Voir aussi Jean-François Havard, « Le “phénomène” Cheikh Bethio Thioune et le djihad migratoire des étudiants sénégalais “Thiantakones” », in Fariba Adelkhah, Jean-François Bayart (dir.), Voyages du développement. Emigration, commerce, exil, Paris, Karthala, 2007, p. 321, et Jean-François Bayart, « La cité bureaucratique en Afrique subsaharienne », in Béatrice Hibou (dir.), La Bureaucratisation néolibérale, Paris, La Découverte, 2013, pp. 291-313.

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en contester les politiques publiques. Ce en quoi le continent s’avère être, une fois de plus, d’une

banalité historique flagrante. Car il n’en pas été autrement dans l’Europe du Moyen Age et de l’Age

moderne, ou, plus récemment, en Iran : dans un cas la papauté, dans un autre la République islamique

ont promu l’Etat et sa raison en les dissociant du religieux ou en se subordonnant celui-ci, avec

d’autant plus d’efficacité qu’elles avaient la légitimité spirituelle pour le faire16.

En même temps, l’expérience de la foi demeure irréductible à la raison politique – et à celle

des sciences sociales du politique, qui ne peuvent qu’en prendre acte. La religion conserve ses

« logiques intrinsèques »17, qu’attestent les plans d’immanence de la prière, de l’onction, de la

vision, de l’attaque en sorcellerie, voire du djihad. Ces « logiques intrinsèques » de la religion sont

parfois constitutives du politique, considéré dans sa propre autonomie. Ruth Marshall reprend ainsi

le concept foucaldien de « spiritualité politique » pour analyser en tant que phénomène de foi le

pentecôtisme nigérian, dont elle pense qu’il constitue une « révolution », en évitant toute

interprétation utilitariste, fonctionnaliste ou matérialiste 18 . De même, au Sénégal, c’est

paradoxalement la disjonction entre les préoccupations islamiques et mystiques de Cheikh Amadou

Bamba et les visées profanes et politiques de l’administration française qui rendit possible l’étrange

compromis entre la confrérie des mourides et une République soucieuse de séparation des cultes et

de l’Etat – un « contrat social » dont la « success story » ne s’est, à ce jour, pas démentie, même si

sa portée a été relativisée ou complexifiée19. Là où les autorités coloniales étaient obsédées par les

nécessités de la sécurité publique et le spectre de la guerre sainte que ne manquerait pas de

déclencher le sultan ottoman, calife des musulmans, lors de l’inévitable guerre entre la France et

l’Allemagne vers laquelle marchait l’Europe, le marabout sénégalais pensait au salut, dont celui de

l’islam, et laissait à son entourage la conclusion des arrangements en matière électorale, foncière,

bancaire et militaire.

D’une certaine façon, la « dissidence silencieuse » des ulémas marocains à l’encontre d’une

monarchie qui inventait sa tradition de « commanderie des croyants », à grand renfort de

consultations juridiques internationales, pour finalement la constitutionnaliser à la faveur du

Printemps arabe, en 2011, relève de la même encre20. Enfin, l’histoire contemporaine de l’Afrique

16 Paolo Prodi, Christianisme et monde moderne. Cinquante ans de recherche, Paris, Gallimard, Seuil, 2006, pp. 185, 203, 210 et suiv., 250 et suiv., 293 ; Richard W. Southern, L’Eglise et la société dans l’Occident médiéval, Paris, Flammarion, 1987 ; Michel de Certeau, Le Lieu de l’autre. Histoire religieuse et mystique, Paris, Gallimard, Seuil, 2005, pp. 24 et suiv. ; Antonio Padoa-Schioffa (dir.), Justice et législation, Paris, PUF, 2000 ; Fariba Adelkhah, Etre moderne en Iran, Paris, Karthala, 1998 ; Jean-François Bayart, L’Islam républicain. Ankara, Téhéran, Dakar, Paris, Albin Michel, 2010, chapitre 4. 17 Max Weber, L’Ethique protestante et l’esprit du capitalisme, op. cit., pp. 124, 277 et suiv. 18 Ruth Marshall, Political Spiritualities. The Pentecostal Revolution in Nigeria, Chicago, The University of Chicago Press, 2009. 19 James F. Searing, « God Alone is King » : Islam and Emancipation in Senegal. The Wolof Kingdoms of Kajoor and Bawol, 1859-1914, Portsmouth, Heinemann, 2002. 20 Mohamed Tozy, « Des oulémas frondeurs à la bureaucratie du “croire”. Les péripéties d’une restructuration annoncée du champ religieux au Maroc », in Béatrice Hibou (dir.), La Bureaucratisation néolibérale, op. cit., pp. 129-154 et « Du

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est riche en escapismes tant internes – les kitawalistes en République démocratique du Congo, le

quiétisme salafiste ou chrétien, les Témoins de Jéhovah, les zionistes en Afrique australe, par

exemple – qu’externes – l’émigration, bien que celle-ci soit généralement profane, hormis les

enrôlements djihadistes – qui, là aussi, nous ramènent en terrain connu : celui de la « pratique de la

coupure »21, des départs sectaires vers le Nouveau Monde et des diverses problématiques du Refuge

qui ont prévalu en Europe aux XVIe-XVIIe siècles.

Jusqu’aux pratiques de l’invisible, lesquelles, soit dit en passant, confirment l’universalité

de l’Afrique quand bien même elles sont généralement invoquées pour l’assigner à l’exotisme.

Certes, ce que l’on nomme trop rapidement la sorcellerie imprègne la plupart des événements

sociaux, et donc politiques, au moins au sud du Sahara, tout en conservant son irréductibilité, celle

de la nuit, aux affaires triviales du jour. Mais son homonyme, dans l’Europe de l’Age moderne,

façonnait elle aussi, fût-ce en creux, la formation de l’Etat, sans s’y ramener complètement, ainsi

que l’a démontré l’analyse, par Carlo Guinzburg, des « batailles nocturnes » du Frioul au XVIe siècle,

et n’a pas disparu du paysage social contemporain, comme l’a rappelé Jeanne Favret-Saada à propos

du Bocage français22.

Le paradigme de la cité cultuelle

Pour autant, la différenciation mutuelle du religieux et du politique ne peut être appréhendée

sur le mode binaire de leur extranéité, selon les thématiques éculées de « Religion et politique »

appliquées de manière uniforme à toutes les situations du monde, et dans les termes positivistes,

historicistes, de la sécularisation. Les imbrications, les synergies, les effets d’osmose entre les deux

catégories sont trop systématiques pour que nous nous en tenions à cette vision des choses. D’où le

paradigme de la cité cultuelle que j’avais proposé en 1993, en m’appuyant sur les recherches de

François de Polignac au sujet de la Grèce antique23.

Au demeurant, l’Eglise romaine, et singulièrement la papauté, du Moyen Age et de la

Renaissance en Europe fournissent un modèle plus heuristique encore, puisqu’elles ont véhiculé la

formation non de la cité antique, mais bel et bien de l’Etat moderne dont la globalisation a

service de Dieu au service du Prince. Entre bavardage médiatique et vœu de silence », in Ariane Zambiras, Jean-François Bayart (dir.), La Cité cultuelle. Rendre à Dieu ce qui revient à César, Paris, Karthala, 2015, pp. 119-154. 21 Michel de Certeau, L’Ecriture de l’histoire, Paris, Gallimard, 1975, pp. 178 et suiv. Outre les travaux de Michel de Certeau sur le mysticisme aux XVIe et XVIIe siècles, voir par exemple Avihu Zakai, Exile and Kingdom. History and Apocalypse in the Puritan Migration to America, Cambridge, Cambridge University Press, 1992. 22 Carlo Guinzburg, Les Batailles nocturnes. Sorcellerie et rituels agraires en Frioul. XVIe-XVIIe siècle, Lagrasse, Verdier, 1980 ; Jeanne Favret-Saada, Les Mots, la mort, les sorts : la sorcellerie dans le Bocage, Paris, Gallimard, 1977. 23 François de Polignac, La Naissance de la cité grecque. Cultes, espace et société. VIIIe-VIIe siècles avant J.-C., Paris, La Découverte, 1984 ; Jean-François Bayart (dir.), Religion et modernité politique en Afrique noire. Dieu pour tous et chacun pour soi, Paris, Karthala, 1993 ; Ariane Zambiras, Jean-François Bayart (dir.), La Cité cultuelle, op. cit.

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universalisé la domination depuis deux siècles24. Leurs historiens voient désormais « le rapport

Eglise/Etat non plus comme un rapport d’altérité dominé par des conflits de pouvoir et de juridiction

ou des compromissions entre deux unités opposées et rivales, mais comme un rapport bien plus

complexe dans lequel l’Etat moderne, dans cette période de gestation, pénètre l’institution Eglise, y

compris dans son noyau le plus impénétrable, la papauté, alors qu’à son tour il en est imprégné,

assumant des caractéristiques et des fonctions relevant de l’Eglise médiévale »25.

Parvenu à ce point, il convient de préciser l’esprit du comparatisme auquel nous avons

recours. On le sait, celui-ci agit comme un « opérateur d’individualisation » qui restitue l’historicité

propre des sociétés qu’il embrasse, plutôt que de les ramener à des catégories génériques

prétendument universelles26 . Ainsi entendue, la démarche comparative consiste à partager des

questions, et non des réponses27. En outre, le comparatisme, quand il se place dans la diachronie, ne

participe en rien d’un historicisme évolutionniste. Mettre en regard la cité cultuelle en Afrique

contemporaine avec la chrétienté médiévale, réformée ou tridentine, ne revient naturellement pas à

dire que l’Afrique « en est » au Moyen Age ou au XVIe siècle, et qu’elle atteindra « plus tard » la

grande lumière de la laïcité ou de la sécularisation ! Cela consiste à construire un paradigme et à l’y

confronter, en espérant que le procédé sera fructueux. Or, me semble-t-il, celui-ci permet justement

de mieux restituer l’historicité du continent, prise dans sa banalité, i. e. dans sa comparabilité.

Tout d’abord, il nous procure l’occasion de rappeler l’ancienneté de l’enracinement du

christianisme en Afrique bien avant son islamisation. Celle-ci a été une grande terre de la chrétienté

antique, lui a donné plusieurs de ses figures marquantes, à commencer par saint Augustin, et a abrité

un puissant mouvement érémitique dans la vallée du Nil. Il est utile de le garder en mémoire pour

se libérer du prisme déformant de l’épisode colonial, même si l’islam a ensuite balayé cette présence

chrétienne à l’exception des Coptes d’Egypte et de l’Eglise orthodoxe éthiopienne. D’autant plus

qu’il est un autre christianisme antérieur aux missions encastrées – on serait tenté d’écrire embedded,

« embarquées » – dans la colonisation, qui est né des explorations portugaises, de la traite

esclavagiste, puis de la revendication de son abolition. Le catholicisme du royaume kongo – dont

les historiens soulignent qu’il a survécu à l’effondrement de ce dernier –, le méthodisme en pays

fante, sur la Gold Coast, l’anglicanisme en pays yoruba – y compris dans sa relation avec la diaspora

24 Jean-François Bayart, Le Gouvernement du monde. Une critique politique de la globalisation, Paris, Fayard, 2004. 25 Paolo Prodi, Christianisme et monde moderne, op. cit., p. 253. Voir aussi Joseph R. Strayer, On the Medieval Origins of the Modern State, Princeton, Princeton University Press, 1970, et Richard W. Southern, L’Eglise et la société dans l’Occident médiéval, op. cit., notamment p. 308 : « L’habitude de séparer l’histoire de l’Eglise et l’histoire séculière a conduit à faire apparaître tout ce qui était ecclésiastique plus raréfié qu’en réalité. Ce n’est qu’en étudiant l’histoire de l’Eglise comme un aspect de l’histoire séculière que nous commençons à comprendre les limites et les capacités de l’Eglise médiévale […]. » 26 Voir Paul Veyne, L’Inventaire des différences, Paris, Seuil, 1976, p. 35, et mon commentaire : Jean-François Bayart, « Comparer en France : petit essai d’autobiographie disciplinaire », Politix, 21 (83), octobre 2008, pp. 201-228. 27 J’emprunte la formule à Giovanni Levi. Voir aussi Paul Veyne : « En histoire, les questions, qui sont sociologiques, importent davantage que les réponses, qui sont de fait » (L’Inventaire des différences, op. cit., p. 61).

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afro-brésilienne – sont autant d’exemples, parmi d’autres, de ce christianisme africain antérieur à

l’occupation européenne28. La même chose peut être remarquée aussi utilement au sujet de l’islam,

à l’encontre de l’idéologie culturaliste encline à souligner son extranéité par rapport aux sociétés

subsahariennes, et donc son inauthenticité ou sa superficialité en leur sein. Même si la religion du

Prophète a grandement bénéficié du moment colonial pour s’étendre dans des parties du continent

qui lui étaient restées étrangères, ou dans lesquelles il occupait une position marginale, elle a façonné

sa côte méditerranéenne, le Sahara, le Sahel et les rivages de la mer Rouge et de l’océan Indien dans

la longue durée. A partir de combien de siècles de présence le Bureau des orientalismes délivre-t-il

des certificats d’autochtonie ?

Rappeler ces chronologies, c’est mieux comprendre l’appartenance de plain-pied et de plein

droit du continent aux trois monothéismes (dès lors que les juifs ont été des acteurs majeurs du

commerce transsaharien, y compris celui du livre, en particulier entre le Maroc et le Sahel occidental,

et sont restés présents en Ethiopie sous le nom de falasha)29. L’islam africain n’est pas un islam au

rabais, tout « noir » qu’il soit, et les oasis du Sahara ou les villes du Sahel en ont été des lieux de

savoir à la dimension de l’umma (alors que le rayonnement spirituel de la côte orientale du continent

a, lui, été secondaire). Aujourd’hui encore, les ulémas et les prédicateurs mauritaniens sont réputés

et ont pignon sur mosquée ou sur écran de télévision jusque dans le Golfe30. Par ailleurs, l’Afrique

représente de gros contingents du christianisme mondial, participant aussi bien à sa veine

évangélique qu’à son conservatisme politique et doctrinal, en particulier au sein des synodes de

l’Eglise romaine. Quant au prophétisme des Eglises dites « indépendantes », il est moins le signe

d’un particularisme culturel que celui de leur universalité religieuse : le prophète est une figure

majeure non pas seulement de l’Ancien Testament, mais aussi du christianisme dans son ensemble31.

Enfin, les nombreux mouvements laïques de dévotion, tels que la Légion de Marie dans la sphère

catholique, ou de multiples groupements de piété (Gemeinde) informels mettent en scène un

christianisme populaire de masse qu’annonçait déjà son appropriation à l’époque coloniale et qui

mérite d’être confronté comparativement à la façon dont les historiens étudient désormais des

dynamiques du même ordre pendant le Moyen Age et le Premier Age moderne32.

28 John D. Y. Peel, Religious Encounter and the Making of the Yoruba, Bloomington, Indiana University Press, 2000 ; Anne Hugon, Un protestantisme africain au XIXe siècle. L’implantation du méthodisme en Gold Coast (Ghana). 1835-1874, Paris, Karthala, 2007 ; John K. Thornton, The Kingdom of Kongo. Civil War and Transition. 1641-1718, Madison, The University of Wisconsin Press, 1983 et The Kongolese Saint Anthony. Dona Beatriz Kimpa Vita and the Antonian Movement, 1684-1706, Cambridge, Cambridge University Press, 1998. 29 Ghislaine Gydon, On Trans-Saharan Trails. Islamic Law, Trade Networks, and Cross-Cultural Exchange in Nineteenth-Century Western Africa, Cambridge, Cambridge University Press, 2009 ; Daniel J. Schroeter, Merchants of Essaouira. Urban Society and Imperialism in South-Western Morocco, 1844-1886, Cambridge, Cambridge University Press, 1988. 30 Voir notamment Zekeria Ould Ahmed Salem, Prêcher dans le désert. Islam politique et changement social en Mauritanie, Paris, Karthala, 2013. 31 Paolo Prodi, Christianisme et monde moderne, op. cit., p. 32. 32 Ibid ; Richard W. Southern, L’Eglise et la société dans l’Occident médiéval, op. cit. Terence Ranger a très tôt insisté sur l’importance du mouvement associatif laïque dans le christianisme subsaharien : « Religious movements and politics in

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Une double leçon se dégage de ces perspectives. L’étude du religieux et de son rapport au

politique ne peut se cantonner à celle de ses institutions, « par le haut ». De plus, elle ne doit pas

accorder à l’hérésie, à la déviance, au syncrétisme, à l’« indépendance » (ou à l’« indocilité », pour

citer Achille Mbembe33), la rente académique qui a longtemps biaisé l’histoire du christianisme en

Europe34. Terence Ranger remarque ainsi que les Eglises dites « indépendantes » n’ont jamais été

plus « africaines » que celles de l’establishment chrétien colonial, qu’il réhabilite scientifiquement35.

Cela étant admis, le problème est maintenant de penser les relations entre religion et

politique non plus sur un mode binaire, mais comme une combinatoire, une « interaction mutuelle

généralisée », selon la définition de la nation par Otto Bauer – une interaction au gré de laquelle

Dieu et César agissent souvent comme larrons en foire36.

Ainsi du point de vue de l’Etat, que le religieux nourrit de son vocabulaire, de son

imaginaire, de ses techniques institutionnelles : ironie de l’Histoire s’il en est, le réformisme

bourguibien et néo-bourguibien est, par exemple, un surgeon du réformisme islamique du XIXe siècle

(et, soit dit en passant, Ennahda un avatar du réformisme ottoman, colonial et bourguibien).

Ainsi également du point de vue de la religion, qui « n’existe pas », au contraire peut-être

de Dieu, sinon dans sa relation historiquement située avec l’Etat, le marché, leur civilisation37, et qui

n’est pas un facteur de qualification des comportements dès lors qu’il est impossible de « définir ce

qui est “religieux” dans une pratique »38.

Cette combinatoire, nous pouvons la saisir soit au regard du processus général de formation

de l’Etat, soit à partir des mobilisations et des pratiques auxquelles celle-ci donne lieu sur différents

sites39. Sans prétendre à l’exhaustivité, six perspectives s’ouvrent à nous, susceptibles, inch Allah !,

d’affiner notre paradigme de la cité cultuelle en Afrique.

Sub-Saharan Africa », African Studies Review, 29 (2), juin 1986, p. 37. 33 Achille Mbembe, Afriques indociles. Christianisme, pouvoir et Etat en société postcoloniale, Paris, Karthala, 1988. 34 Michel de Certeau, Le Lieu de l’autre, op. cit., pp. 23 et suiv. 35 Terence Ranger, « Religious development and African christian identity », in K. H. Petersen (ed.), Religion, Development and African Identity, Uppsala, Scandinavian Institute of African Studies, 1987, pp. 29-57 et « Religious movements and politics in Sub-Saharan Africa », art. cité, pp. 37 et suiv. 36 Ariane Zambiras, Jean-François Bayart (dir.), La Cité cultuelle, op. cit. 37 Je me permets de renvoyer ici à ma démonstration in L’Islam républicain, op. cit. 38 Michel de Certeau, Le Lieu de l’autre, op. cit., pp. 28-29. 39 Derechef, je renvoie, pour ne pas me répéter, à Jean-François Bayart, « Postface : la cité cultuelle à l’âge de la globalisation », in Ariane Zambiras, Jean-François Bayart (dir.), La Cité cultuelle, op. cit., pp. 155-187.

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Perspectives

Dans la synergie entre les flux de la globalisation et le processus de formation de l’Etat-

nation, la médiation de la sphère religieuse s’avère cruciale, en Afrique comme ailleurs40. Dans la

longue durée, tant l’islam que le christianisme (ou leurs produits dérivés, tels que les prophétismes,

les millénarismes, les entreprises djihadistes) ont été des facteurs d’unification culturelle et

commerciale du continent. Celle-ci s’est également effectuée dans la dimension de l’invisible, par

exemple sous la forme de rumeurs transsociétales ou par circulation des figures imaginaires de la

sorcellerie41. Mais ces dynamiques, que l’on qualifie désormais de transnationales, non sans raison

puisque l’Etat-nation a bien fait greffe, se sont imbriquées dans celui-ci, à l’émergence duquel elles

ont contribué.

Tel est le cas de l’islam, doté d’institutions représentatives au sein de la plupart des Etats,

soit que les autorités politiques veuillent le contrôler, ou à tout le moins le surveiller, soit que ses

leaders entendent peser dans l’arène politique, voire l’absorber, comme dans l’exemple du Haut

Conseil islamique du Mali42. Les trajectoires césaropapistes qui ont prévalu, dans un contexte

postottoman – en Algérie, en Tunisie, en Egypte – ou postprotectoral – au Maroc –, ont reproduit le

cadre statonational. L’islam politique, parlementaire ou révolutionnaire, ne fait pas autre chose, qui

se réclame de l’umma mais constitue un nouvel avatar du nationalisme, comme le démontrent les

Frères musulmans en Egypte, Ennahda en Tunisie ou le Parti de la justice et du développement au

Maroc, au même titre que le Hamas en Palestine, le Hezbollah au Liban ou l’AKP en Turquie.

L’objection selon laquelle les nouvelles formes de djihad – par exemple Aqmi dans le Sahara, voire

Boko Haram dans le nord du Nigeria et du Cameroun, à l’image d’Al-Qaida ou de Da’ech au Moyen-

Orient – remettent en cause le statu quo territorial a ses limites. Jusqu’à preuve du contraire, la

vigueur de la réaction non seulement des Etats concernés, mais aussi du système régional ou

international d’Etats auquel ces derniers sont intégrés, les tient en échec. La contestation de l’Etat

au nom d’un principe supposé le transcender déclenche de la part de ce dernier des politiques

publiques répressives ou redistributives ou cooptatives qui le valident, voire le renforcent, à l’instar

de ce qui s’est produit en Algérie dans les années 199043.

40 Jean-François Bayart, Le Gouvernement du monde, op. cit. 41 Pour un exemple contemporain, voir Julien Bonhomme, Les Voleurs de sexe. Anthropologie d’une rumeur africaine, Paris, Seuil, 2009. 42 Gilles Holder (ed.), L’Islam, nouvel espace public en Afrique, Paris, Karthala, 2009. Voir aussi Christian Coulon, Les Musulmans et le pouvoir en Afrique noire. Religion et contre-culture, Paris, Karthala, 1983. 43 Luis Martinez, La Guerre civile en Algérie, Paris, Karthala, 1998. Sans compter que Da’ech au Moyen-Orient, ou les taliban en Afghanistan, si l’on suit la lecture qu’en a faite Gilles Dorronsoro (La Révolution afghane. Des communistes aux tâlebân, Paris, Karthala, 2000), tendent à adopter eux-mêmes un mode étatique d’organisation des territoires qu’ils contrôlent, à les constituer en contre-Etats, comme un hommage du vice à une vertu supposée (Pierre-Jean Luizard, Le Piège Daech. L’Etat islamique ou le retour de l’Histoire, Paris, La Découverte, 2015, insiste néanmoins sur l’épuisement du système étatique régional hérité du régime des mandats).

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Au sud du Sahara, il en a été de même du christianisme. Celui-ci est organisé en Eglises qui

se veulent universelles, comme l’Eglise catholique – et ce quand bien même lesdites Eglises sont

nationales, à l’image de l’Eglise anglicane ou d’Eglises réformées associées, en Europe, au

processus de confessionnalisation de l’Etat depuis le XVIe siècle44. Pendant la période coloniale, une

forme de multilatéralisme (et de multiculturalisme) missionnaire a prévalu dans les différents

territoires impériaux, qui a engendré des tensions avec les autorités européennes les administrant,

mais qui est demeuré soumis à leurs logiques, au point d’éduquer et de socialiser les élites

nationalistes locales qui allaient prendre leur relai45 . Les Eglises universelles présentes sur le

continent y sont implantées et organisées sur une base nationale – ainsi de la Conférence des

évêques, dans chacun des Etats, pour ce qui est du catholicisme –, et les Eglises dites indépendantes

ont pris le visage de véritables gallicanismes, qu’exemplifient bien le kimbanguisme au Congo-

Kinshasa ou le harrisme en Côte d’Ivoire, un cas d’autant plus intéressant que ce prophétisme est

d’origine libérienne.

In fine, les conflits de souveraineté ou de compétences qui ont opposé les autorités nationales

et les Eglises supranationales au lendemain des indépendances ont eux aussi œuvré au renforcement

et à la légitimation des Etats, même lorsque ces tensions ont revêtu un tour dramatique, notamment

dans des régimes qui se prétendaient socialistes ou qui affichaient un nationalisme radical, parce que

ces différends ont porté sur des enjeux nationaux – le respect de la liberté religieuse et des droits de

l’homme par les institutions et les autorités publiques, le sort de l’enseignement confessionnel, etc. –

dont ils ont reconduit la validité et le périmètre. Que le Vatican soit lui-même un Etat souverain

jouant un jeu interétatique par le biais de sa diplomatie et de ses nonces entre pour beaucoup dans

cette reconnaissance du fait étatique par le catholicisme. Le cas échéant, il met la main à la pâte de

l’unité nationale, fût-ce par le biais d’un mouvement transnational de laïques, tel que la Communauté

de Sant’Egidio, qui s’est impliquée avec un succès variable dans les négociations de paix entre les

protagonistes des guerres civiles du Mozambique, du Burundi, d’Angola, de Côte d’Ivoire, ou dans

la crise de la Casamance, au Sénégal. Une telle synergie entre des Eglises supranationales et

l’institution d’un système d’Etats-nations est au demeurant classique : au Moyen Age, la papauté ou

certains ordres religieux – avant tout les cisterciens – auront été les incubateurs de l’Europe

westphalienne et confessionnelle du XVIIe siècle, le concile de Trente ayant entériné le renoncement

définitif à un gouvernement unitaire de la respublica christiana médiévale46.

44 Philip S. Gorski, The Disciplinary Revolution. Calvinism and the Rise of the State in Early Modern Europe, Chicago, The University of Chicago Press, 2003. 45 Voir par exemple Kenneth J. Orosz, Religious Conflict and the Evolution of Language Policy in German and French Cameroon, 1885-1939, New York, Peter Lang, 2008, pour le cas, particulièrement intéressant, du Cameroun, du fait du changement de tutelle coloniale au lendemain de la Première Guerre mondiale, ou Didier Péclard, Les Incertitudes de la nation en Angola. Aux racines sociales de l’Unita, Paris, Karthala, 2015 (sous presse). 46 Richard W. Southern, L’Eglise et la société dans l’Occident médiéval, op. cit. ; Paolo Prodi, Christianisme et monde

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Mais la contribution de la religion à la formation de l’Etat a plus précisément concerné

l’une de ses modalités, à savoir celle de sa « privatisation », au sens où l’entend Béatrice Hibou47.

L’Etat colonial a été un « Etat minimum » qui a confié à des opérateurs privés nombre de ses

prérogatives, et notamment aux missions chrétiennes une part variable, selon les empires et les

territoires, de ses politiques publiques en matière de santé et d’éducation. Après une phase de tension

et de conflits de compétences au lendemain des indépendances, dans un climat de nationalisme aigu,

la libéralisation économique des années 1980, et en particulier la destruction systématique de la

santé et de l’enseignement publics sous prétexte d’ajustement structurel, ont redonné la main aux

organisations religieuses. A ce changement près que leur intervention a été souvent déléguée à un

nouveau type d’acteurs, les organisations non gouvernementales confessionnelles, et que l’islam a

bénéficié à son tour de cette « décharge » systématique par l’Etat de ses prérogatives, grâce à

l’ampleur des financements qu’ont consentis les pétromonarchies du Golfe, au soutien politique et

diplomatique qu’elles lui ont accordé auprès des autorités nationales, et à sa propre modernisation.

Outre les programmes d’ajustement structurel, la pandémie de sida a été un autre effet d’aubaine

pour la « fonction de substitution »48 qu’assument les forces religieuses par rapport à l’Etat. Ces

dernières se sont efforcées de répondre à la crise sanitaire en pouvant compter sur l’aide

internationale, désormais plus volontiers attribuée à des ONG qu’à la puissance publique49.

Dans le même temps, et sans qu’il y ait contradiction dès lors que l’on comprend, avec Max

Weber, qu’il s’agit d’un phénomène social total englobant aussi bien la sphère privée que la sphère

publique, et le marché comme l’Etat, la religion a participé de (et à) la bureaucratisation des

sociétés africaines. Du côté du christianisme, elle a adopté le modèle ecclésial, y compris pour ce

qui est des Eglises indépendantes, selon l’exemple paradigmatique du kimbanguisme50. Du côté de

l’islam, les confréries et les ulémas se sont eux-mêmes bureaucratisés, comme l’ont bien montré

diverses recherches consacrées au Maroc et au Sénégal déjà citées. Et, côté « société civile », les

ONG confessionnelles ont véhiculé ce processus de bureaucratisation indissociable de la formation

de l’Etat et du marché. Répétons que la légitimité rationnelle-légale est parfaitement compatible

avec l’autorité charismatique, celle du prophète ou du marabout, ainsi que l’avait souligné

Max Weber51.

moderne, op. cit. ; Philip Gorski, The Disciplinary Revolution, op. cit. 47 Béatrice Hibou (dir.), La Privatisation des Etats, Paris, Karthala, 1999. 48 Je reprends la notion qu’a avancée Guy Hermet à propos des organisations religieuses en situation autoritaire, in Revue française de science politique, 23 (3), juin 1973. 49 John Iliffe, A History of the African AIDS Epidemic, Athens, Ohio University Press, 2006, chapitre 10. 50 Wyatt MacGaffey, Modern Kongo Prophets. Religion in a Plural Society, Bloomington, Indiana University Press, 1983 ; Susan Asch, L’Eglise du prophète Kimbangu. De ses origines à son rôle actuel au Zaïre, 1921-1981, Paris, Karthala, 1983. 51 Max Weber, Sociologie des religions, op. cit. et La Domination, op. cit.

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En Afrique, la contribution de la religion à la formation de l’Etat a emprunté, pour

l’essentiel, une orientation conservatrice. Au sud du Sahara, elle n’a pas échappé à la pesanteur de

la « politique du ventre »52. Ici ou là, les autorités chrétiennes ont été directement associées à

l’exercice autoritaire du pouvoir, parfois au-delà de toute décence comme au Togo ou au Rwanda,

avant le tournant des années 199053. Le Vatican, pour sa part, a veillé à étouffer l’éclosion d’une

éventuelle mouture africaine de la « théologie de la libération », et il y est d’autant mieux parvenu

que la critique chrétienne du pouvoir postcolonial a été circonscrite à des cercles restreints, ceux par

exemple de la « théologie sous l’arbre » d’un Jean-Marc Ela, au Cameroun, ou, de manière plus

conséquente, de la « théologie contextuelle » en Afrique australe et de la Conscience noire d’un

Steve Biko en Afrique du Sud. Il est à noter que le mouvement charismatique ne rompt pas avec

cette pesanteur, bien qu’il puisse offrir de nouveaux modes de subjectivation politique, ainsi que l’a

fait remarquer Ruth Marshall à propos du pentecôtisme nigérian 54 . Au Mozambique, l’Eglise

universelle du royaume de Dieu a ainsi noué une alliance de fait avec le Frelimo dès que celui-ci a

libéralisé, en même temps que l’économie, la religion, et a installé ses bureaux dans l’immeuble du

comité central de ce dernier, tout en affichant un sens certain des affaires55. En Afrique du Nord, la

majorité des ulémas ont eux aussi épaulé la « révolution passive » statonationale, tant au Maroc

qu’en Algérie, en Tunisie ou en Egypte, ou y ont été subordonnés, quitte à se cantonner dans leur

quant-à-soi (Eigensinn). Ce sont plutôt des laïques islamistes – les Frères musulmans en Egypte,

Abdessalam Yacine au Maroc – qui ont porté la dissidence, ce qui n’a, la plupart du temps, pas

interdit leur cooptation ultérieure dans l’appareil religieux d’Etat ou la préemption et le

désamorçage, par les autorités politiques, de leur projet révolutionnaire56.

De ce point de vue, les révolutions ont été des révélateurs cruels. Face à la contestation

démocratique au sud du Sahara, le Vatican a joué la carte de la stabilité. Dès 1983, il rappelait à

Rome l’archevêque de Lusaka, Mgr Milingo, que le président Kenneth Kaunda suspectait de vouloir

(ou pouvoir) prendre la tête spirituelle de l’opposition politique, une supposition qui inquiétait

également Jean-Paul II, au même titre que l’adhésion du prélat à la sensibilité charismatique

américaine57. Au début des années 1990, il a vite lâché, au Zaïre, Mgr Mosengwo, le trop populaire

52 Jean-François Bayart, L’Etat en Afrique. La politique du ventre, Paris, Fayard, 1989 et, sous sa direction, « L’argent de Dieu. Eglises africaines et contraintes économiques », Politique africaine, 35, septembre 1989. 53 Voir notamment Comi M. Toulabor, « Mgr Dosseh, archevêque de Lomé », Politique africaine, 35, octobre 1989, pp. 68-76. 54 Ruth Marshall, Political Spiritualities, op. cit. 55 Eric Morier-Genoud, « Renouveau religieux et politique au Mozambique », art. cité, pp. 171-172. 56 Olivier Carré, Gérard Michaud, Les Frères musulmans. Egypte, Syrie (1928-1982), Paris, Gallimard, Julliard, 1983 ; Mohamed Tozy, Monarchie et islam politique au Maroc, Paris, Presses de Sciences Po, 1999 (nouvelle édition augmentée) ; Youssef Belal, Le Cheikh et le calife. Sociologie religieuse de l’islam politique au Maroc, Lyon, ENS éditions, 2011. 57 Gerrie ter Haar, L’Afrique et le monde des esprits. Le ministère de la guérison de Mgr Milingo, archevêque de Zambie, Paris, Karthala, 1996. En revanche, le souverain pontife ne voyait pas d’un mauvais œil l’activité thérapeutique de Mgr Milingo, et l’a laissé pratiquer à Rome son ministère de la guérison.

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président de la Conférence nationale, et a œuvré à la réhabilitation diplomatique du maréchal

Mobutu en le recevant à un moment où les puissances occidentales semblaient l’avoir abandonné.

Sur le terrain, les évêques se sont posés en conciliateurs – outre au Zaïre, au Bénin et au Congo-

Brazzaville –, mais la démocratisation en trompe l’œil des régimes de parti unique a consisté, au

mieux, en un avatar libéral de la « révolution passive » postcoloniale, en une décompression

autoritaire, et, au pire, en une franche restauration autoritaire, parfois au prix d’une guerre civile,

évolutions qu’ils ont fini par cautionner volens nolens. La révolution burkinabé de novembre 2014

n’a pas démenti ce penchant, où l’on a vu l’archevêque de Ouagadougou accompagner le lieutenant-

colonel Isaac Zida chez le roi des Mossi pour cimenter la « transition »58. En Afrique du Nord, les

« Printemps arabes » de 2011 ont démontré la même appétence conservatoire de Dieu : les islamistes

n’en ont pas pris l’initiative, même s’ils en ont tiré les marrons du feu électoral, au moins dans un

premier temps, et, une fois parvenus au gouvernement, ils leur ont donné une orientation

néolibérale59.

En bref, la religion oppose une réponse conservatrice aux passions révolutionnaires, ce qui

n’exclut d’ailleurs pas nécessairement sa contribution à la démocratie, si l’on suit la thèse provocante

de Guy Hermet, selon laquelle, « paradoxalement, […] les meilleurs stratèges de la démocratisation

ne sont pas toujours les démocrates les plus convaincus, tandis que les fauteurs d’échec de la

démocratie se rangent dans nombre de cas parmi ses hérauts les plus zélés »60. Dans ce contexte, la

religion peut fournir des modèles de subjectivation civique, comme l’ont bien démontré Xavier

Audrain à propos du Sénégal et Ruth Marshall du Nigeria 61 . Elle est également susceptible

d’absorber le champ politique et de monopoliser le débat public quand les transactions collusives de

la classe dirigeante les ont évidés, à l’exemple de ce qui s’est produit à Madagascar et au Mali dans

les années 1990-200062.

Pour autant, la religion peut être aussi un vecteur d’émancipation sociale. Emancipation

universaliste, tout d’abord, par rapport aux catégories identitaires de l’ethnicité. Emancipation de

catégories statutaires ou de classes sociales, ensuite63. La plupart des spécialistes du christianisme

58 Le Monde, 6 novembre 2014. 59 Jean-François Bayart, « Retour sur les Printemps arabes », Sociétés politiques comparées, 35, 2013, pp. 1-25, http://www.fasopo.org/reasopo/n35/art_n35.pdf, ou « Another look at the Arab Springs », Sociétés politiques comparées, 35, 2013, pp. 1-34, http://www.fasopo.org/reasopo/n35/art_n35_eng.pdf, ou « Ancora sulle primavera arabe », Nuvole, 12 avril 2014, http://www.nuvole.it/wp/?p=737. Version abrégée et actualisée : « Retour sur les Printemps arabes », Politique africaine, 133, mars 2014, pp. 153-175. 60 Guy Hermet, Aux frontières de la démocratie, Paris, PUF, 1983, p. 207. 61 Xavier Audrain, Des « punks de Dieu »…, op. cit. ; Ruth Marshall, Political Spiritualities, op. cit. Michel de Certeau notait, à propos de l’Europe moderne, qu’« à travers les confrontations des mystiques avec le pouvoir qui joint le ciel à la terre, se dessine, de l’Angleterre à l’Espagne, une forme spirituelle de ce qui deviendra le “citoyen”, en séparant du pouvoir un principe transcendantal ou éthique de la société » (La Fable mystique. XVIe-XVIIe siècles. Volume II, Paris, Gallimard, 2013, p. 41). 62 Voir notamment Gilles Holder (dir.), L’Islam, nouvel espace public en Afrique, op. cit. 63 Voir par exemple la belle étude de Ramon Sarró, The Politics of Religious Change on the Upper Guinea Coast. Iconoclasm done and undone, Edinburgh, Edinburgh University Press, 2009, à rapprocher du chapitre de Claude-Hélène

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en Afrique insistent sur la place qu’y ont occupée les femmes, longtemps négligée. Le cas des Beti

du sud du Cameroun est paradigmatique. Dans cette société polygame où les aînés sociaux

exerçaient une forte domination, notamment symbolique, sur leurs cadets, le « deuxième sexe » se

trouvait dans une situation de subalternité évidente, sans que celle-ci exclût l’exercice de véritables

contre-pouvoirs, en particulier dans le domaine de l’invisible. Le catholicisme, qui plaçait au cœur

de sa dévotion la Vierge Marie, rassemblait les fidèles tous genres (et tous âges) confondus dans un

même espace cultuel, celui de l’église, et imposait le port de vêtements, de surcroît de facture

occidentale, quand la nudité était le signe de la dépendance sociale rencontra une adhésion

enthousiaste de la part des femmes, bien que les missions exerçassent sur leurs ouailles une

discipline de fer, économiquement assez intéressée64. Mais cet exemple est loin d’être unique. La

même tendance se retrouvait ainsi en Afrique du Sud, dans le contexte très différent d’une économie

minière et industrielle et d’un régime politique ségrégationniste65. La sociologie du pentecôtisme la

confirme également66. Que l’islam n’échappe pas à la règle est moins admis, mais ne change rien au

fait qu’il existe un véritable féminisme islamique, « sous le voile »67.

Par ailleurs, la religion a pu contribuer à l’émancipation de ces mêmes esclaves dont elle

avait cautionné et parfois accompagné « spirituellement » la captivité, comme sur la côte angolaise,

au XVIIIe siècle. Du côté chrétien, elle a participé au mouvement abolitionniste, et sur le terrain les

missions ont souvent été des refuges pour les fugitifs. Quant à la mauvaise réputation esclavagiste

de l’islam, elle demande à être relativisée. Si les Etats musulmans ont joué un rôle crucial dans la

traite – en particulier le sultanat de Zanzibar dans celle de l’océan Indien –, nombre d’ulémas ou de

marabouts ont contesté ce commerce, en particulier quand il prenait pour victimes leurs

coreligionnaires. Il en fut par exemple ainsi dans les royaumes wolof au XIXe siècle. Dans le contexte

colonial, et à la faveur du « moment moderne »68 de l’islam, certaines de ses manifestations ont pris

la forme de véritables mouvements sociaux de libération des captifs, à l’instar de la poussée

pionnière des mourides dans la culture de l’arachide, au début du XXe siècle, même si cette

dimension de la confrérie a pu être nuancée sous la plume de certains auteurs69.

Perrot sur le culte de Gbahié en Côte d’Ivoire, « Prophétisme et modernité en Côte-d’Ivoire. Un village éotilé et le culte de Gbahié », in Jean-François Bayart (dir.), Religion et modernité politique en Afrique noire, op. cit. 64 Jeanne-Françoise Vincent, Traditions et transition. Entretiens avec des femmes beti du Sud-Cameroun, Paris, ORSTOM, Berger-Levrault, 1976. 65 Richard Elphick, Rodney Davenport (eds), Christianity in South Africa. A Political, Social, and Cultural History, Berkeley, University of California Press, 1997. 66 Ruth Marshall, Political Spiritualities, op. cit. 67 Pour reprendre l’expression de Fariba Adelkhah à propos de l’Iran : La Révolution sous le voile. Femmes islamiques d’Iran, Paris, Karthala, 1991. Depuis la publication de cet ouvrage, de nombreux travaux se sont penchés sur la place des femmes dans l’islam, et notamment sur ces formes de « féminisme islamique ». Voir notamment Adeline Masquelier, Women and Islamic Revival in a West African Town, Bloomington, Indiana University Press, 2009. 68 Nadine Picaudou, L’Islam entre religion et idéologie. Essai sur la modernité musulmane, Paris, Gallimard, 2010. 69 Jean-François Bayart, L’Islam républicain, op. cit., chapitre V.

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Plus généralement, et plus trivialement, la religion peut être un ascenseur social grâce à la

respectabilité petite-bourgeoise et au savoir qu’elle dispense. Après tout, l’école religieuse est une

école parmi d’autres, dont l’enseignement ouvre les portes du pouvoir bureaucratique au sein de

l’Etat. Largement éduquées par les missions chrétiennes, les élites nationalistes subsahariennes l’ont

vite compris, et aujourd’hui encore le séminaire est une voie d’élévation sociale pour les enfants de

condition modeste. De même, la fréquentation d’Al-Azhar a facilité l’accès aux responsabilités

politiques ou administratives d’une intelligentsia « arabisante » et réformatrice de l’islam dans le

Sahel.

Surtout, le rapport de la religion à l’individuation apparaît de plus en plus clairement dans

des sociétés en proie à de profondes transformations sociales. Les Africains suivent des « itinéraires

religieux » personnels – pour reprendre la notion d’« itinéraire thérapeutique » que les sociologues

et les anthropologues de la santé ont popularisée – et « butinent » d’une croyance, d’une obédience

ou d’une pratique à l’autre70. Ces mobilités relativisent leurs appartenances dites « primordiales »,

de type ethnique ou familial. Au sud du Sahara, le pluralisme religieux est fréquent dans la

diachronie de la vie ou dans la synchronie des relations de parenté et de voisinage. Même après le

départ en masse des juifs en Israël et en France, il n’est pas inexistant dans la partie septentrionale

du continent, soit sous la forme de la tension entre l’islam des ulémas et celui des confréries, soit

par le biais des alliances matrimoniales, voire des conversions, en dépit de la criminalisation de

l’apostasie, ou encore du fait de l’installation de migrants subsahariens acquis aux mouvements

chrétiens charismatiques et de la réverbération, dans les sociétés de départ, de l’expérience de

l’émigration dans des pays européens sécularisés, voire laïques. D’aucuns verront dans de tels

parcours personnels et dans de tels compromis interreligieux une preuve supplémentaire de la

superficialité de la foi des Africains ou de leur propension au batifolage spirituel. Ce serait oublier

que Max Weber soulignait, dans L’Ethique protestante et l’esprit du capitalisme, la fongibilité des

appartenances confessionnelles et des croyances entre le méthodisme d’origine anglicane, le

piétisme d’inspiration calviniste et le luthéranisme dans l’Europe des XVIe-XVIIIe siècles, ou que la

Réforme n’a pas été, à ses débuts, l’espèce de western sanglant qui a été politiquement construit par

la suite71.

Le christianisme et l’islam sont des religions universalistes dont les croyants sont entre eux

« frères » et sœurs », mis sur un pied d’égalité au moins théologique au sein de chacun des deux

genres (d’un genre à l’autre, les choses sont évidemment plus compliquées, encore qu’âprement

discutées aussi bien par les catholiques que par les musulmans.) Les fondamentalismes sont très

70 Philippe Chanson, Yvan Droz, Yonatan N. Gez, Edio Soares (dir.), Mobilité religieuse. Retours croisés des Afriques aux Amériques, Paris, Karthala, 2014. 71 Paolo Prodi, Christianisme et monde moderne, op. cit.

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sourcilleux sur ce point et en tirent une bonne part de leur succès. L’observation de la scène

matrimoniale montre bien que Dieu bénit volontiers des unions socialement dépareillées, notamment

par le truchement de marabouts qui font de ces alliances leur fond de commerce72.

Plus radicalement, se pose la question des « plans d’immanence », et donc des « lignes de

fuite », qu’ouvre la pratique de la prière, de la possession, de la transe, de la vision73. Et celle, plus

troublante encore, de la contestation d’une hégémonie occidentale née de la colonisation, reproduite

au lendemain des indépendances, lourde de surexploitation, de domination symbolique et de

violence, parfois massive, dont l’épistemè même se voit remise en cause sur le mode millénariste

ou armé, les deux pouvant aller de pair au demeurant. Tel est le sens des grands soulèvements des

XIXe et XXe siècles, jusqu’aux révoltes congolaises des années 1960 ou à Boko

Haram − littéralement : l’école illicite –, que l’on dépolitise et rabaisse avec condescendance au rang

de la barbarie, mais qui s’attaque à une raison dont le coût économique, social et politique a été

cruel, au fil de ces deux siècles, pour l’immense majorité de la population du continent. Tel est aussi

le message que reçoit du prophétisme un Fabien Eboussi Boulaga74.

Cette violence dite religieuse, qui est plutôt d’ordre social ou politique, à l’instar des

« guerres de religion » du Premier Age moderne européen, doit être replacée à la lumière du

pluralisme confessionnel qui prévaut dans la plupart des sociétés africaines – et ce de longue date

puisque maintes formations politiques de l’ancien temps ont composé avec des hommes de Dieu ou

d’Allah qui n’avaient pas les mêmes croyances que les souverains. Les religions ne doivent pas être

appréhendées comme des monades cohérentes et closes sur elles-mêmes. Elles sont tributaires des

relations, pacifiques ou conflictuelles, qu’elles nouent entre elles. Autrement dit, elles forment une

combinatoire. C’est ainsi qu’il convient notamment d’interpréter la confrontation entre les

fondamentalismes chrétiens et musulmans au Nigeria, véritables « ennemis complémentaires » qui

procèdent du même moment historique75. Derechef, les travaux des historiens du christianisme

européen proposent un détour heuristique quand ils complexifient les chronologies du passage du

Moyen Age à la Renaissance et établissent une triangulation entre la Réforme protestante, la

Réforme catholique et la Contre-Réforme, une Contre-Réforme qui était dirigée contre celle-ci

autant que celle-là76. De même, la lutte contre le sida a exacerbé la tension entre le fondamentalisme

72 Jean-François Havard, « Le “phénomène” Cheikh Bethio Thioune et le djihad migratoire des étudiants sénégalais “Thiantakones” », in Fariba Adelkhah, Jean-François Bayart (dir.), Voyages du développement, op. cit. 73 Jean-François Bayart, « A nouvelles pratiques religieuses, nouveaux instruments d’analyse ? L’écriture abiographique des plans de foi », in Philippe Chanson, Yvan Droz, Yonatan N. Gez, Edio Soares (dir.), Mobilité religieuse, op. cit., pp. 39-52. 74 Fabien Eboussi Boulaga, Christianisme sans fétiche. Révélation et domination, Paris, Présence africaine, 1981. Voir aussi Pius Ngandu Nkashama, Eglises nouvelles et mouvements religieux. L’exemple zaïrois, Paris, L’Harmattan, 1990. 75 Murray Last, « Muslims and Christians in Nigeria : an economy of political panic », The Round Table, 96 (392), octobre 2007, pp. 605-616 ; John D. Y. Peel, Religious Encounter, op. cit. ; Ruth Marshall, Political Spiritualities, op. cit. 76 Paolo Prodi, Christianisme et monde moderne, op. cit., pp. 12 et suiv., 18, 32, 63, 87, 93 et suiv.

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chrétien et les religions dites traditionnelles77. Néanmoins, il est aujourd’hui impossible de savoir si,

en Afrique, la cité cultuelle – le rapport de la religion à la formation de l’Etat – prendra le même

tour de la confessionnalisation que dans l’Europe de l’Age moderne, bien que sa contribution à la

« discipline sociale » semble avérée, en particulier sous le magistère des fondamentalismes et du fait

de sa « quotidiannisation » (Veralltäglichung) 78 . Et, face à ceux qui s’inquiètent de cette

omniprésence de Dieu dans le jardin de César, il faut rappeler que la division religieuse du Vieux

Continent, aux XVIe-XVIIe siècles, a in fine consacré son passage d’une problématique de l’hérésie à

celle du schisme, laquelle a finalement reporté sur l’Etat la « capacité d’être pour tous l’unité

référentielle »79. Autrement dit, la cité cultuelle peut engendrer la sécularisation et l’autonomisation

de l’Etat, selon les Voies impénétrables du Seigneur.

En guise de conclusion

La combinatoire politico-religieuse en Afrique nous amène à reprendre à nouveaux frais la

question de la dépendance du continent. Une dépendance économique et politique, sur laquelle il a

été beaucoup travaillé, et dont nous savons aujourd’hui qu’elle n’a jamais été soumission univoque,

consistant bien au contraire en des stratégies complexes, ambivalentes, de l’extraversion80. Mais

aussi dépendance culturelle, et donc religieuse, toujours selon cette même logique de l’extraversion.

La « dépendance religieuse »81 est à la fois d’ordre épistémique – ce que dénonce avec violence

Boko Haram –, économique – dans la mesure où les institutions ecclésiales chrétiennes ou leurs

pendants islamiques sont tributaires de fonds étrangers occidentaux ou arabes – et

politique – puisque le Vatican, les missions « nord-atlantiques »82 ou les grands centres musulmans

du Proche et du Moyen-Orient maintiennent souvent les autorités spirituelles du continent dans une

position subalterne, avec l’approbation implicite de l’Université qui parle volontiers, à son sujet (et

à celui de l’Asie), d’islam périphérique ou de christianisme tropical.

Or, l’analyse d’une telle dépendance religieuse de l’Afrique, facette parmi d’autres de la

prodigieuse complexité de la foi et de ses pratiques sur le continent, ouvre une voie royale pour

mieux comprendre l’historicité de ses sociétés, et l’imbrication des « durées », au sens à la fois

braudélien et bergsonien du terme, qui en est constitutive. La scène religieuse en Afrique est une

« évolution créatrice » dont la « durée », comme temps non sériel ni spatialisé, « se compose de

77 John Iliffe, A History of the African AIDS Epidemic, op. cit. 78 Philip S. Gorski, The Disciplinary Revolution, op. cit. ; Paolo Prodi, Christianisme et monde moderne, op. cit., pp. 107 et suiv., 138 et suiv., 291 et suiv., 377-378. 79 Michel de Certeau, Le Lieu de l’autre, op. cit., p. 24. 80 Jean-François Bayart, L’Etat en Afrique, op. cit. 81 Voir le numéro, déjà cité, de Politique africaine sur « L’argent de Dieu ». 82 Achille Mbembe, Afrique indocile, op. cit.

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moments intérieurs les uns aux autres », de « moments qui se compénètrent », aux antipodes de la

représentation historiciste et linéaire du changement social83. Ce sont sans doute les prophétismes

d’Afrique centrale qui illustrent au mieux cette concaténation des « durées » sociales.

La religion est donc en elle-même, et dans son rapport à l’Etat, un phénomène historique.

Michel de Certeau parlait de la manière dont « le christianisme se déplace à mesure que se forme la

modernité » dans l’Europe des XVIe-XVIIe siècles84. D’une durée à l’autre, d’un moment à l’autre,

l’islam, les religions dites traditionnelles, le christianisme ne cessent en effet, à leur tour, de « se

déplacer » en Afrique. Ces glissements entretiennent entre eux des relations dialogiques souvent

traumatiques, comme l’atteste la rémanence de la traite esclavagiste, des croisades, de la colonisation

et, n’en doutons pas pour l’avenir, du djihad des shebab, d’Aqmi ou de Boko Haram.

Par cette historicité, par cette « évolution créatrice », et aussi par cette dépendance qui en

rien ne les annule, la religion, y compris dans son rapport au politique, est un signe clair de

l’appartenance de l’Afrique à l’universalité, pour peu qu’on l’étudie avec les instruments de la

sociologie historique, aux antipodes du raisonnement culturaliste et orientaliste, lequel y voit

prétexte pour son assignation identitaire à l’africanité, à l’exotisme, à la subalternité de la croyance,

à la périphérie des monothéismes. « Opérateur d’individualisation »85 , le paradigme de la cité

cultuelle permet de penser simultanément la singularité de la fabrique politico-religieuse dans les

sociétés africaines, son « développement particulier » (Sonderentwicklung) aurait dit Max Weber,

et sa banalité du point de vue de la perspective comparative.

De ce point de vue, il serait fécond de revenir sur les pratiques religieuses des laïques, des

croyants séculiers (ou de leurs équivalents musulmans), et en particulier sur leurs initiatives

institutionnelles. On sait combien fut importante la création d’ordres, de confréries, en contrepoint

des structures ecclésiales hiérarchiques de la papauté, dans le catholicisme romain, tant au Moyen

Age qu’au Premier Age moderne86 : les uns et les autres s’inféodant à ces dernières, s’articulant aux

institutions sociales de la modernité de leur temps, telles que les collèges, les écoles, les hôpitaux à

l’époque de la Réforme et de la Contre-Réforme, à l’image des jésuites, des barnabites, des

camiliens, ou au contraire développant des modes alternatifs d’insertion dans la société, à l’instar

des capucins qui se tinrent à l’écart de ces institutions et choisirent d’investir plutôt un territoire et

la condition de la pauvreté à travers leur pratique de l’aumône87.

83 Henri Bergson, Essai sur les données immédiates de la conscience, Paris, 1889. Michel de Certeau parle de son côté de « feuilletage du temps ». 84 Michel de Certeau, Le Lieu de l’autre, op. cit., p. 22. 85 Paul Veyne, L’Inventaire des différences, op. cit. 86 Voir notamment Paolo Prodi, Christianisme et monde moderne, op. cit., en particulier pp. 366-368 et 382 et suiv. ; Richard W. Southern, L’Eglise et la société dans l’Occident médiéval, op. cit., chapitre 7. 87 Paolo Prodi, Christianisme et monde moderne, op. cit., pp. 190 et suiv.

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Dès lors que l’on garde à l’esprit l’attention que l’approche du « politique par le bas » porte

à l’intermédiation sociale – contrairement à ce qu’on lui a parfois fait dire88 –, on admettra que celle-

ci reste utile pour appréhender la cité cultuelle au-delà du processus macrohistorique de la formation

de l’Etat, à partir de sa trame effective. L’appropriation de la religion par ses fidèles, à travers leurs

pratiques concrètes, fût-ce dans le monde de l’invisible, mais aussi leurs créations

institutionnelles − Eglises, cultes, regroupements dévots, voire violents ou combattants, tels que

Boko Haram, Aqmi, les shebab, ou encore Mungiki, au Kenya, sociétés qualifiées de secrètes

comme le Poro du Liberia et de Sierra Leone, ou de lutte contre la sorcellerie comme la Croix-Koma

au Gabon et au Congo-Brazzaville –, est une dimension cruciale de la production de la cité. Pensons

à la place centrale, dans l’histoire du dernier siècle, qu’ont tenue sur le continent les Eglises dites

indépendantes et, aujourd’hui, charismatiques, les confréries, les associations de fidèles vouées à la

piété et au service d’autrui, ou encore les mouvements armés de propagation de la foi. Désignons

cet événement institutionnel du concept de « groupement » ou de « communauté de fidèles »

(Gemeinde), dont on sait l’importance que lui conférait Max Weber en tant que site de la

« quotidiannisation » (Veralltäglichung) des conduites de vie89 . Et voyons-y une part de cette

« société civile » dont on parle tant de nos jours pour la glorifier, et qui n’est pas l’antipode de l’Etat,

comme le veut le sens commun néolibéral de la « gouvernance », mais la société dans son rapport

à l’Etat.

Au prix d’un nouveau chantier de recherches, déjà engagé par maints collègues, et qui

néanmoins demeure immense, nous aurons alors une vision plus juste de la formation de celui-ci en

Afrique, et du rôle central qu’y tient la religion. En particulier, la diversification des structures

religieuses, les « logiques intrinsèques » de la foi dont elles sont les habitacles, ses « plans

d’immanence » véhiculent des durées historiques spécifiques, dont celle de l’éternité, qui sont

parties constitutives de la cité, et dont la prise en considération, nous dit Walter Benjamin, permet

de « brosser à contresens le poil trop luisant de l’histoire » et de procéder à « la désintégration de la

continuité historique », seule à même de constituer l’« objet historique »90. Mieux que d’autres, un

Michel de Certeau, qui se déclarait « historien de la spiritualité », a su montrer que l’expérience

mystique, mode « irrationnel » de subjectivation, est allée de pair, dans l’Europe de l’Age moderne,

avec l’institutionnalisation de l’Etat bureaucratique rationnel-légal. Après tout, les grands empereurs

88 Jean-François Bayart, Achille Mbembe, Comi Toulabor, Le Politique par le bas en Afrique noire, Paris, Karthala, 2008, nouvelle édition augmentée, pp. 9-16. 89 Max Weber, L’Ethique protestante et l’esprit du capitalisme, op. cit., notamment pp. LX-LXI pour le commentaire de Jean-Pierre Grossein, et Sociologie des religions, op. cit., pp. 120, 168, 170 et suiv. 90 Walter Benjamin, Ecrits français, Paris, Gallimard, « Folio Essais », 2003, p. 438 et Paris, capitale du XIXe siècle. Le livre des passages, Paris, Cerf, 2006, p. 493.

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habsbourgeois, ottomans, safavides et moghol avaient eux-mêmes une vision messianique du monde91.

Et, dans la France du XVIIIe siècle, les convulsionnaires jansénistes ont porté l’idée de nation92.

Ainsi envisagée, l’étude des relations entre la religion et le politique, sujet classique s’il en

est de la science politique, peut en renouveler les problématiques, ne serait-ce que parce qu’elle doit

affronter sur une base inédite les questions épineuses de la rencontre coloniale et de la subalternité

sociale, toutes deux au cœur du dialogue africain entre Dieu et César.

91 Sanjay Subrahmanyam, « Du Tage au Gange au XVIe siècle : une conjoncture millénariste à l’échelle eurasiatique », Annales HSS, 56 (1), janvier-février 2001, pp. 51-84. 92 Catherine Maire, « Les jansénistes et le millénarisme. Du refus à la conversion », Annales HSS, 63 (1), janvier-février 2008, pp. 7-36 et De la cause de Dieu à la cause de la Nation. Le jansénisme au XVIIIe siècle, Paris, Gallimard, 1998.

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Negotiating Statehood: Dynamics of Powerand Domination in Africa

Tobias Hagmann and Didier Peclard

ABSTRACT

This article, which forms the introduction to a collection of studies, focuseson processes of state construction and deconstruction in contemporary Africa.Its objective is to better understand how local, national and transnational ac-tors forge and remake the state through processes of negotiation, contestationand bricolage. Following a critique of the predominant state failure literatureand its normative and analytical shortcomings, the authors identify four keyarguments of the scholarly literature on the state in Africa, which concernthe historicity of the state in Africa, the embeddedness of bureaucratic orga-nizations in society, the symbolic and material dimensions of statehood andthe importance of legitimacy. A heuristic framework entitled ‘negotiatingstatehood’ is proposed, referring to the dynamic and partly undeterminedprocesses of state formation and failure by a multitude of social actors whocompete over the institutionalization of power relations. The article thenoperationalizes this framework in three sections that partly conceptualize,partly illustrate who negotiates statehood in contemporary Africa (actors,resources and repertoires); where these negotiation processes occur (negoti-ation arenas and tables); and what these processes are all about (objects ofnegotiation). Empirical examples drawn from a variety of political contextsacross the African continent illustrate these propositions.

INTRODUCTION

Since the mid-1990s, African states have occupied a prominent place indiscussions about state failure, collapse and reconstruction (Bates, 2008;

The authors have contributed equally to writing this article as well as editing the volumeof which it is a part, and should thus both be considered ‘first authors’. We would like tothank Jean-Francois Bayart, Christine Bichsel, Bettina Engels, Gregor Dobler, Peter Geschiere,Markus V. Hoehne, Urs Muller, Jean-Pierre Olivier de Sardan, Timothy Raeymaekers, KlausSchlichte, Ulf Terlinden and the anonymous reviewers of Development and Change for helpfulcomments in refining our argument. We are particularly grateful to Martin Doornbos for hisstimulating insights and editorial advice in the preparation of the volume. Earlier versions ofthis article were presented at a number of academic gatherings, most importantly the AEGISEuropean Conference on African Studies in Leiden in July 2007. Didier Peclard acknowledgesthe support of the Swiss National Centre of Competence in Research North–South (NCCRNorth–South).

Development and Change 41(4): 539–562 (2010). C© International Institute of Social Studies2010. Published by Blackwell Publishing, 9600 Garsington Road, Oxford OX4 2DQ, UK and350 Main St., Malden, MA 02148, USA

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Herbst, 1997; Milliken, 2003; Williams, 2006). According to the prevailingrhetoric they have fallen prey to an array of destructive forces in the after-math of the Cold War, while the purported ‘disconnection’ (Bach, 1991)of the African continent from the ‘globalized’ rest of the world further ac-celerated this process. These forces include savage privatization policiesspearheaded by the Bretton Woods institutions (van de Walle, 2001), thegrowing influence of criminal groups and activities (Bayart et al., 1999;Nordstrom, 2004), the rise of rebel movements and warlords (Clapham,1998; Reno, 1998) and a gradual institutionalization of violence (Richards,2005). Consequently, many academic works portray post-colonial Africanstates in virtually pathological categories. They are perceived to be threat-ened by ‘collapse’ (Zartman, 1995), ‘failure’ (Rotberg, 2004), ‘fragility’(Stewart and Brown, 2009) and ‘weakness’ (Jackson and Rosberg, 1982) asthey degenerate into nightmarish ‘shadow’ (Reno, 2000) or ‘quasi’ (Hopkins,2000; Jackson, 1990) states, void of popular legitimacy and administrativecapacity. Rebuilding the deficient bureaucratic apparatuses of sub-SaharanAfrican governments then becomes a major preoccupation and challenge forinternational donors (Englebert and Tull, 2008).

Dominant though they still may be in much policy discourse aboutAfrica — particularly in the realm of development, peace-building and ‘anti-terrorism’ — arguments about state failure and collapse have been subject togrowing criticism. In 2002, the collection of articles edited by Milliken andKrause (2002) demonstrated the complex and non-linear nature of processesof state failure and collapse, and showed that the latter remained an excep-tion even in the context of African civil wars of the 1990s. Critics of thestate failure paradigm contend that state weakness in Africa is nothing new,but rather a long historic continuity (Engel and Mehler, 2005: 91).1 Further-more, administrative practices such as the levying of taxes may continue inthe relative absence of the state, as Trefon’s (2007) research in the city ofLubumbashi in the Democratic Republic of Congo (DRC) demonstrates. Tothis day the only case of complete and prolonged state collapse is Somalia,which has remained without a central government since the downfall of SiyadBarre in 1991. But even in the war-ravaged central and southern parts of thecountry, Somalis have responded to state collapse by (re-)activating infor-mal, mostly clan-based, security and governance mechanisms (Menkhaus,2007: 74). And while African states may erode institutionally, ‘fragmentedimageries of stateness’ (Nielsen, 2007: 695) may persist among ordinarypeople who continue to make strategic use of these imageries in pursuingtheir everyday lives.

Ideal-typical notions of the state as a monopolist of legitimate physi-cal violence, as an autonomous bureaucratic apparatus, as the embodiment

1. Or, as Bratton (1989: 425) cautioned some twenty years ago: ‘The state in Africa may beincompletely formed, weak, and retreating, but it is not going to wither away’.

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of popular sovereignty, and as a spatially and territorially coherent entityenjoy global prominence (Schlichte, 2005: 6). These ideal-typical notionsconstitute the analytical lenses through which scholars interpret state poli-tics around the world. The global diffusion of a set of normative state ideaswhich derives from the European historical experience explains why Africanstates are often ‘identified as failed not by what they are, but by what theyare not, namely, successful in comparison to Western states’ (Hill, 2005:148). Underlying this ‘pathological’ approach to state institutions in Africaare essentialist, teleological and instrumentalist conceptions of state andpolitical authority (Hagmann and Hoehne, 2009). State failure proponentstend to reify African states as a-historical ‘things’, as given and fixed setsof institutions rather than as political processes. Despite political sociolo-gists’ earlier call not to view states as ‘the outcome of a linear process ofdifferentiation’ (Badie and Birnbaum, 1983: 54), most observers implicitlyand falsely assume that in the long run all states will converge towards amodel of Western liberal democracy. The overly instrumentalist character ofmuch of the state failure literature is also evidenced in its emphasis on orderand stability, which reflect distinctly Western geopolitical and humanitarianinterests (Call, 2008).

One could also argue that the popularity of state failure concepts notonly indicates a malaise with the post-colonial African state, but, morefundamentally, reflects a growing dissatisfaction with what are increasinglycriticized as stereotypical Weberian state conceptions (Kapferer, 2005: 286).The heuristic limitations of mainstream Western political science have en-couraged researchers to resort to either more empirically grounded or moreconceptually innovative approaches to public and state authority in Africa.In this process some have forged their own vocabulary and concepts in orderto grasp statehood in Africa from a less normative perspective. This is thecase with the volume on Twilight Institutions: Public Authority and LocalPolitics in Africa edited by Christian Lund, who forcefully called attentionto the fact that African public authorities may ‘wax and wane’ as ‘stateinstitutions are never definitely formed’ (2006: 697).

In recent years a growing body of literature has documented the creativityof African societies in coping with the limited statehood and political turmoilthat became the hallmark of African politics in the 1990s (Raeymaekerset al., 2008: 8). In parallel with the retreat and erosion of the post-colonialstate in Africa ‘new forms of power and authority’ had sprung up acrossthe continent (Ferguson, 2006: 102). Structural adjustment, democratizationand decentralization programmes effectively facilitated the return of localpower centres in Africa to the detriment of the centripetal agenda of existingnation-states (von Trotha, 2001: 1617). In countries as diverse as Mali, Chador Mozambique contemporary types of political regulation, accumulation,investment and institutionalization proceed at the local level beyond thereach of conventional states. In many cases the prolonged absence of a centralgovernment has provided room for the formation of societal political orders

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‘beside the state’ (Bellagamba and Klute, 2008: 11). The most prominentexample is the Republic of Somaliland, a political entity which has allthe attributes of a modern nation state except for international recognition(Bradbury, 2008). It is the ideal-typical example of an African political orderthat is characterized by what sociologists and political anthropologists referto as ‘para-sovereignty’, that is, a non-state political order that shoulders localstate functions, but operates in parallel and independently of the nationalpower centre (von Trotha and Klute, 2004). The realities of non-state or‘partially state’ political and economic regulation forcefully challenge theidea that state failure equals anarchy or a breakdown of order (Roitman,2005).

The normative shortcomings of the state failure literature and the com-plexities of empirical statehood call for alternative ways of conceptualizingstate and political authority in Africa. Attempts to forge alternative perspec-tives on contemporary statehood must draw on the insights provided by theexisting literature. Beyond the great diversity of theoretical schools and ar-guments on the state in Africa, four main arguments seem to have achieveda certain consensus. In many ways they apply to African states as much asto states all over the world.

First, states must be seen as historical processes that include and spanthe pre-colonial, colonial and post-colonial periods. The historicity of thestate in Africa has been emphasized most prominently by Bayart (2006)who argues that the state in Africa must not be seen as an imported prod-uct, but one that has long been appropriated by African societies and elites.Statehood in Africa should thus be understood as the emanation of particularhistoric types of African modes of governing. The importance of coloniallegacies in African politics such as the reproduction of decentralized, racial-ized ‘despotism’ has been highlighted by Mamdani (1996). The call forhistorical scrutiny extends to the analysis of evolving relations betweenstates and citizens (Lewis, 2002). Rather than assuming a priori distinctionsbetween the pre-colonial, colonial and post-colonial periods, one has to beaware of African states’ historical trajectories through these different peri-ods. Thus the colonial state was strongly shaped by ‘indigenous social forces’(Berman, 1998: 332) as colonial rulers relied on and incorporated numerouslocal intermediaries to govern, while post-colonial states ‘exacerbated andinstitutionalized’ many of the deficiencies of colonial administrations (Paul,2008: 219).

Second, the idea that states are external to society is erroneous. Ratherstates are deeply embedded in social forces, as Migdal’s (1998: 2001) ‘state-in-society’ approach compellingly demonstrates. Long gone are the dayswhen a first generation of area specialists and political scientists consideredstate power in Africa to be autonomous, as John Lonsdale suggested somethirty years ago (1981: 148). Contemporary accounts of statehood in Africaabandon a narrow focus on formal state actors and institutions for a moresociological reading of the multiple ‘power poles’ (Bierschenk and Olivier

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de Sardan, 1997: 441) that exist within, at the interface, and outside of thebureaucratic apparatus. A wide range of actors, state officials and non-stateactors are involved in ‘doing the state’ (Migdal and Schlichte, 2005: 14–15), both in co-operation and in competition with the state (Arnaut andHøjbjerg, 2008: 20). Hence, innovative studies of the state consider theelusive boundary between state and society ‘not as a problem of conceptualprecision but as a clue to the nature of the phenomenon’ (Mitchell, 1991:78).

Third, states are not only the product and realm of bureaucrats, policiesand institutions, but also of imageries, symbols and discourses. Govern-ments exist not only as the result of routinized administrative practices,but also because ordinary people imagine and represent the state in theireveryday lives (Gupta, 1995: 390–3). The almost metaphysical idea ofthe state has become universalized and hence hegemonic (Hansen andStepputat, 2001). State institutions themselves incorporate numerous culturaland political representations, discourses and activities that give meaning totheir practices (Nagengast, 1994: 116). While one doesn’t have to go as faras Abrams (1988 [1977]: 75–6) who sees the ‘state system’ as an ‘essentiallyimaginative construction’, it is essential that political analysis deals with thestate in terms of both its materiality and its ‘social imaginary’ (Castoriadis,1987).

Fourth, at the core of state formation processes we find attempts to institu-tionalize and legitimize physical coercion and political power. Max Weber’s(1947) key insight that successful bureaucracies transform coercion or power(Macht) into domination (Herrschaft) — a type of authority that is basedon obedience and recognition rather than sheer physical force — remainshighly relevant. State actors must legitimize their authority to appear accept-able to those they govern (Abrams, 1988 [1977]: 76). The same applies tonon-state or non-bureaucratic power holders, although they rely on a differ-ent set of legitimization strategies. State-building thus becomes a process ofaccumulating Basislegitimitaten or ‘basic legitimacies’ (von Trotha, 2001:10). A relational concept of power that looks at the ‘relations between thegoverning and the governed’ (Gledhill, 1994: 22, cited in Hagberg, 2006:780) is instrumental in trying to decipher contemporary forms of power anddomination. It is through an empirical analysis of variegated transforma-tions from power to domination and from domination to power that stateformation and erosion can be grasped in Africa and elsewhere (Schlichte,2005).

NEGOTIATING STATEHOOD: A HEURISTIC FRAMEWORK

Building on these important theoretical precedents, we propose an inter-pretative approach to processes of state construction and deconstruction incontemporary Africa. The objective of this analytic of statehood in Africa is

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to better understand how local, national and transnational actors forge andremake the state through processes of negotiation, contestation and brico-lage. Our proposed framework explores by whom and how state dominationis fashioned (‘actors, resources, repertoires’), where these processes takeplace (‘negotiation arenas and tables’) and what the main outcomes and is-sues at stake are (‘objects of negotiation’). Our main ambition is to providea heuristic framework for the investigation of past and ongoing dynamics ofstate domination. Hence, the proposed ‘negotiating statehood’ frameworkdoes not provide an explanation or causal model of state failure and forma-tion. Nor does it apply to all states at all times and in all places. It is neithera theory nor a concept in the strict sense, but rather a way of looking at andgrasping dynamic and complex dimensions of statehood.

Although we give emphasis to the dynamic and partly voluntaristic as-pects of political institutions, the approach sketched in this section is bestthought of in conjunction with existing studies that call attention to the morestructural aspects of African states. Population densities and infrastructure(Herbst, 2000), rural political economies (Boone, 2003) and local propertyrights regimes (Lund, 2008) have a strong bearing on the structural condi-tions of state domination in post-colonial Africa. The ‘negotiating statehood’framework is, however, geared primarily towards the more conjunctural pro-cesses of state domination in post-colonial Africa. Furthermore, it is also acall for an alternative approach to current processes of state formation anddisintegration on the African continent, an approach that is interpretativerather than normative in scope, sociological rather than state-centric in phi-losophy, and dynamic rather than static.2 It is hoped that our frameworkoffers an innovative approach to dynamics of empirical statehood beyondthe limits of the state failure paradigm or the unhelpful emphasis on ‘figures,numbers and formal structures found in much political science literature’(Eriksen, 2001: 304).3 Four core theoretical propositions underpin our re-search agenda.

First, negotiating statehood refers to the dynamic and, at least partly, unde-termined processes of state (de-)construction. These processes are fuelled byconstantly evolving ‘relations of control and consent, power and authority’(Munro, 1996: 148). Rather than assuming a linear evolution of state forma-tion or erosion processes, we concur with Lund’s (2006: 697) dictum that‘state institutions are never definitively formed, but that a constant process

2. Our reflections are not limited to analyses of the African state, but apply to states in general.From the vantage point of a political sociology of the state, there is no difference per sebetween African and non-African states. The historical, social, political and economicconditions in which these different states emerge differ considerably, however.

3. This does not mean that research on the everyday practices of bureaucrats and other stateofficials in Africa is not of great interest, as the collaborative research project ‘States atWork. Public Services and Civil Servants in West Africa’ by Thomas Bierschenk, CarolaLentz, Mahaman Tidjani Alou and Jean-Pierre Olivier de Sardan forcefully demonstrates.For a preliminary synthesis, see Bierschenk (2010).

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of formation takes places’. The emphasis on the partial ‘undeterminedness’of state domination does not imply that the evolution of statehood is arbitraryor disembedded from social interests and political economy. Neither does itmean that one cannot distinguish between qualitatively different phases ofinstitutionalization or de-institutionalization of state and political authority.What it highlights is the non-linear and non-teleological trajectory of empir-ical statehood in post-colonial Africa and elsewhere. Hence, our frameworkattempts to explore the constant interplay between processes of state build-ing, defined as ‘a conscious effort of creating an apparatus of control’, andstate formation as a historical process of ‘vulgarization of power’ (Bermanand Lonsdale, 1992: 5).

Second, studying how statehood is negotiated in Africa leads us to con-sider the diverse strategies by which variegated actor groups compete, bothsuccessfully and unsuccessfully, over the institutionalization of power re-lations into distinct forms of statehood. To do this one must understand‘state–society relations’ (Bratton, 1989: 408) as well as the intrinsic char-acteristics of government bureaucracies and how these relate to other formsof power. Domination is never or rarely exerted exclusively by one power,but is rather the product of multiple powers. As Olivier de Sardan (2006:186) elegantly put it, there are at least two kinds of power, ‘the power ev-erybody has and the power only some people have’. In other words, humanbeings are not only ‘shaped by power, or by different techniques and prac-tices of government’ (Abrahamsen, 2003: 199), but they themselves shapepower and government techniques and practices. The ‘ways of ruling’ (Roseand Miller, 1992: 177) of state and political orders cannot be understoodin disconnection from the multiple actors that ‘struggle for social control’(Migdal, 1998: 31).

Third, the negotiating statehood framework emphasizes the profoundlycontested nature of the state and the host of conflictive interactions inher-ent in defining statehood. Negotiation over state power is particularly pro-nounced as this is the site where political struggles condense (Poulantzas,1978). While currently fashionable ‘state-building’ and ‘reconstruction’ dis-courses project a consensual image of how state institutions are establishedon the African continent (see Cramer, 2006 for a critique), we draw attentionto the power differences that inhabit these processes. Contrary to common-sensical assumptions, negotiation does not occur between co-equal partiesor in an inclusive manner (Leach et al., 1999). Rather it engages hetero-geneous groups with highly differentiated assets, entitlements, legitimacyand styles of expression. Not everything is or can be negotiated and noteveryone takes part in negotiating statehood. But the political configurationsand institutional arrangements that result from such negotiation processesmust be seen as imprints of domination by the more powerful over weakergroups.

Fourth, rather than reducing statehood to a limited set of functional at-tributes or arbitrarily defining minimal criteria that need to be fulfilled in

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order to call a state a state, we propose a more grounded approach to state-hood whose starting point is empirical and not judicial.4 The aim of thenegotiating statehood framework is not to classify or measure states inAfrica. Its objective is to understand the transformations of power that findtheir expression in distinct forms of statehood in Africa as well as to grasphow non-state powers and sub-national authorities engage and disengagewith the existing state. The primary unit of analysis is therefore what Olivierde Sardan (2008: 2) calls ‘real governance’, which can be observed withqualitative and quantitative research methods. This does not resolve the def-initional questions posed by the notions of ‘state’ and ‘statehood’. Describedby Foucault (1991: 103) as ‘no more than a composite reality and a mythi-cized abstraction’, we prefer the notion of statehood, which we define withSchlichte (2005: 106) as ‘a field of power whose confines are decided uponwith means of violence and whose dynamics are marked by the ideal ofa coherent, coercive, territorial organization as well as by the practices ofsocial actors’ (authors’ translation).

The following sections operationalize these theoretical propositions.Partly analytical, partly methodological in nature they offer insights on howto understand actors, arenas and objects of negotiation. Most of the examplesused to empirically illustrate the negotiating statehood framework are drawnfrom the eight studies that follow, which form the backbone of this volume.While these case studies privilege a national or sub-national perspective, thesame considerations apply just as well to foreign, transnational and externalplayers and interests that shape statehood in Africa. At the same time, whilenumerous fields of state intervention such as health, education, infrastructureprovision and other public policies do not figure prominently in this volume,they are all the objects of interest to our proposed framework.

ACTORS, RESOURCES AND REPERTOIRES

Who negotiates statehood in contemporary Africa? A wide array of grass-roots, national and transnational actors and groups participate in this process.Contrary to the view that only state actors such as government officials,politicians, or military leaders embody and define statehood, it is also forgedby actors that are not part of its formal politico-administrative structure.Numerous social groups of different social standing, organizational capac-ity and political influence are in the spotlight. They include state actorssuch as higher and lower echelon bureaucrats, political parties, custom-ary authorities, professional associations, trade unions, neighbourhood andself-help organizations, social movements, national and international NGOs,churches and religious movements, but also guerillas, warlords, ‘big men’,

4. The difference between ‘empirical statehood’ and ‘judicial statehood’ goes back to Jacksonand Rosberg (1982).

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businessmen, multinational corporations, regional and international (gov-ernment) institutions and foreign states.

However, categorizing actors according to functional attributes does notexplain the means and logic of action by which these actors become involvedin shaping political authority. For methodological purposes, we propose toconsider both the resources that individuals and organized interest groupshave at their disposal and the competing repertoires that they mobilize intheir interactions. Resources refer to the material bases of collective action;they include tangible and intangible assets such as bureaucratic capacities,organizational skills, finance and ability to mobilize funding, knowledge andtechnical expertise, control over physical violence, international networks,political alliances and, very importantly, access to state resources. Theseresources, the importance of which varies across time, space and politicalcontexts, are distributed unequally among competing actor groups, whichpartly accounts for the ability of some groups to dominate others politically.

In parallel to material resources, actor groups muster symbolic repertoiresto further their interests, to mobilize popular support, and to give meaningto their actions.5 They do so by referring to existing, and by (re-)inventing,repertoires that legitimize their exercise of or their quest for political au-thority. Currently prominent repertoires on the African continent includereferences to ‘good governance’, ‘human rights’, ‘democracy’, ‘develop-ment’, nationalism, anti-Western ideologies, ethno-politically defined typesof citizenship, and religious and cultural identities. These repertoires arebrought into play both to defend and to challenge existing types of state-hood and power relations. They encounter varying degrees of success andacceptance by the parties involved in negotiating statehood in Africa; whileforeign diplomats might applaud a political party’s vows to further ‘goodgovernance’, disenfranchised rural and urban communities might respondmost enthusiastically to calls for the establishment of shari’a or the dis-placement of ‘foreign’ labourers. The state itself is an important producer ofrepertoires as ‘it is in the realm of symbolic production that the grip of thestate is felt most powerfully’ (Bourdieu, 1994: 2).

The studies assembled in this collection attest to the wide variety of actorsengaged in ‘negotiating statehood’ processes. Looking at what he calls ‘non-state governance’ in and around the city of Butembo in the eastern DRC inthe midst of civil war, Timothy Raeymaekers shows how, in a context of nearabsence of the central state, arrangements between local cross-border tradersand rebels led to the emergence of new regulating mechanisms. These not

5. According to Bayart (2005 [1996]: 110) these repertoires or ‘discursive genres’ not onlyconsist of oral and written discourses, but include popular modes of communication such asgestures, music and clothing. Repertoires are not uniform bodies of language and thought,but mostly hybrid norms, discourses and ideas that have been amalgamated in past politicalinteractions. Studying these repertoires requires a researcher’s sensitivity to the various andopen-ended ways in which these norms, discourses and ideas evolve in time and space.

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only ‘produced’ governance at the local level, but also linked this peripheryof the Congolese state with its centre in a renewed fashion. In northern Coted’Ivoire, Till Forster demonstrates how power and legitimacy are being ne-gotiated between rebels of the Forces Nouvelles movement, who took overthe northern half of the country in 2002, local hunters’ associations as ‘tra-ditional’ providers of security, especially in rural areas, and those, rebels ornot, who offer new economic opportunities to the population. As the Ivo-rian state strives to redeploy its administration after the 2007 Ouagadougoupeace agreement, it also has to negotiate with those new forces imbued withthe social, political and cultural legitimacy acquired or reinforced throughthe years of conflict. In Namibia, Lalli Metsola examines how former com-batants of the ruling South West Africa People’s Organization (SWAPO),which fought for independence from apartheid South Africa, draw on thememory of the struggle in order to claim social benefits and pensions. Theyhave thus negotiated not only their inclusion in the post-colonial nation statebut also, more generally, the symbolic contours of the Namibian polity.War was also central in the making of Somaliland, and the Somali NationalMovement (SNM) and local clan elders have played a key role in carving outthis new de facto state after 1991. However, as Ulf Terlinden and MarleenRenders argue, in order to understand the emergence of Somaliland and theway statehood is negotiated in this ‘hybrid political order’, one needs totake into account a vast array of other actors, starting with clans and clanleaders upon whom their contribution focuses, but not forgetting religiousauthorities, businessmen and remnants of the former state apparatus.

Attempting to understand states for what they are and do instead of whatthey fail to achieve presupposes that one takes ‘official’ state representativesseriously. This is what Anita Schroven does in her study of Guinean publicservants in a small town in the midst of the general strikes of 2007. Sheexplains how middle-range fonctionnaires or bureaucrats deal with theirdual identity as citizens of a country in deep crisis and as members of a stateapparatus that was built on the idea that party, state, power and the peoplewere indistinguishable. The dilemma confronted by the fonctionnaires —to either be loyal to the state or to side with fellow citizens — stands as ametaphor for the changing dynamics and political tensions that characterizestatehood in Guinea. Similarly in Mozambique ‘the party’ — the Frentede Libertacao de Mocambique (Frelimo), which has been in power sinceindependence in 1975 — has been congruent with ‘the state’ for muchof the country’s post-colonial history. This was certainly the case underthe one-party state system of the socialist period between 1975 and 1992.But, as Jason Sumich argues, the democratization process that followed thesocialist period and civil war after 1992, coupled with the liberalization of thecountry’s economy, did not erode Frelimo’s control over the Mozambicanstate apparatus and the nation as a whole. Rather, they allowed the rulingparty to channel through its own structures popular as well as elite demandsand strategies of upward social mobility.

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Control of the former single party over the state is also a dominant featureof Angolan politics. Angola’s formal democratization, which began after theend of the civil war in 2002 and culminated in the September 2008 nationalelections, resulted in a sort of de facto return to a single-party state systembased on tight control of the country’s resources. As Inge Ruigrok illustratesin her study of two regional elite associations in Southern Huıla province,despite the authoritarianism of the Movimento Popular de Libertacao deAngola (MPLA), the post-war transition period has opened up avenues inwhich new actors can renegotiate relations between the central state andits peripheries by drawing on memory and identity politics. Relationshipsbetween the centre and the periphery of the state in another context of single-party authoritarian rule are also the focus of Asnake Kefale’s contribution on‘ethnic federalism’ in Ethiopia. Focusing on Oromo and Somali clans alongthe internal borders between the Oromo and Somali regional states, hisarticle shows how federal restructuring has permitted ‘ethnic entrepreneurs’to instrumentalize ethnic decentralization policies by renegotiating powerbalances both at the local level and between the centre and the periphery.

Beyond the sheer variety of actors involved in negotiating statehood,three points can be made at this stage. First, it is obvious that in orderto fully appreciate the complexity of statehood in Africa, research needs togo beyond formal state structures and encompass actors who have little todo with the ‘modern state’, or who are even accused of debilitating states,such as the ‘traditional’ hunters’ associations in northern Cote d’Ivoire;merchants, traders and rebels in eastern DRC; clan leaders in Somaliland;or local elite associations in Angola. If this point has been made repeatedlyby Africanist scholars over the last twenty years, it has not translated intopolicy discourse and practice of foreign donors and diplomats.

Second, the articles in this collection offer many examples of the greatfluidity of the frontiers between state and non-state actors. As eastern DRC,northern Cote d’Ivoire or Somaliland clearly show, the fact that local (state)governance in crucial areas such as security provision and basic service de-livery is in the hands of traders, rebels and clan leaders, is part and parcelof state formation in these areas. These complex dynamics can only be un-derstood if one looks at the way in which actors negotiate their relationshipsto the state, how they at times ‘produce’ statehood without realizing it, andhow at other times they consciously and willingly contribute to ‘construct-ing’ states (Berman and Lonsdale, 1992).

Third, actors involved in negotiating statehood require resources. Assetssuch as money, weapons, or access to land, water and cattle, for instance, arecrucial but, as noted above, symbolic resources and the ability to draw on so-cial and cultural repertoires in order to give social meaning to one’s actions,are just as important.6 Competing groups identify themselves and others

6. There is a growing literature on this; see for instance the way in which ‘figures of success’frame political life in post-colonial Africa (Banegas and Warnier, 2001).

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by mobilizing semantic fields and cognitive representations that translateinto strategies of inclusion and exclusion (Schlee, 2004). The ways in whichidentity, memory and nationalism are strategically employed by former com-batants in Namibia in order to negotiate their status in the new Namibianpolity, and the skills developed by cultural entrepreneurs in central An-gola in mobilizing memories of pre-colonial kingdoms with the intention ofsubstantiating present day claims about a new balance in centre–peripheryrelationships, are cases in point.

NEGOTIATION ARENAS AND TABLES

Where can we observe these negotiation processes? A key challenge con-fronting the researcher is to identify the confines of the political space inwhich actor groups bargain material and symbolic dimensions of statehood.For methodological purposes we propose the term ‘negotiation arena’ to con-vey the sense of locations of negotiations; this transcends classical politicalscales and units of analysis such as the state–society dichotomy or the local–national–international levels.7 Sociologically speaking, negotiation arenasstructure social actors’ scope by conditioning — but not pre-determining —their inclusion in or exclusion from negotiation processes. Negotiation are-nas have spatial, social and temporal dimensions — where are they situated?who has access? over what time period do they occur? — which need to betraced empirically on a case by case basis. Within these arenas statehood isnegotiated in more or less formalized and routinized ways. While some ne-gotiation arenas are dominated by longstanding conventions on how and bywhom statehood is defined, others lack predefined or commonly recognizedprocedural modalities for decision making.

Examples of negotiation arenas abound in the articles which comprise thiscollection. In Namibia, SWAPO war veterans temporarily turned the publicspace into an arena in which they claimed, through public demonstrationsand media campaigns, that their participation in the liberation struggle shouldbe recognized in the form of pensions; this led to heated debates about whatLalli Metsola calls the ‘liberation narrative’. In Mozambique, the rulingFrelimo party has managed to impose itself and its structure as the only arenain which access to the state can be negotiated, despite the introduction ofmulti-party politics after a long period of single-party rule. As Jason Sumichargues, this has reduced the space for negotiation to a minimum. Against asimilar background of one-party domination, Inge Ruigrok describes how,in Angola, local elites are at pains to turn the key issue of power balancebetween the centre and the periphery into a negotiation arena in the new

7. This idea is inspired by Bierschenk and Olivier de Sardan (1997) who speak of ‘politicalarenas’. Olivier de Sardan’s (2006: 186) concept of arena draws upon Bourdieu’s (1990[1980]) social field theory.

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post-war context, using cultural associations meant to revive the memoriesof past local grandeur. In Ethiopia, the state’s policy of ethnic-based self-determination and decentralization provides local political leaders with anarena in which they can claim power over other local groups as well asextract administrative and budget resources from the federal and regionalgovernment.

Negotiation arenas are difficult to locate geographically as they are embed-ded in social relations between contending groups and are characterized byspatio-temporal dynamics and a certain informality. In order to distinguishbetween formalized/recognized and non-formalized/non-recognized negoti-ation settings and actor groups, we propose the metaphor of the ‘negotiationtable’. A negotiation table represents a formalized setting where contendingsocial groups decide upon key aspects of statehood over a given period oftime. A wide range of negotiation tables exists, from diplomatic conferencesinvolving heads of states, through donor consultations between internationalfinancial institutions and local NGOs, to meetings by customary chiefs un-der the village tree. Two common denominators characterize negotiationtables and distinguish them from negotiation arenas: first, interactions anddecision making occur on the basis of an existing procedure or protocol(diplomatic conventions in the case of meetings between heads of state, cus-tomary law in the case of village meetings); and second, participants at thenegotiation table recognize their counterparts as legitimate stakeholders indeciding upon a particular political matter.8 The clan conferences that wereso instrumental in building state institutions in Somaliland, and the meetingsbetween cross-border traders in Butembo in eastern DRC and armed rebelsof the RCD–ML (Rassemblement Congolais pour la Democratie – Mouve-ment de Liberation), during which agreements on the protection of businessoperations were made, are examples of such negotiation tables in a contextwhere the central state is anything but present.

While the negotiation table represents the locus at which selected aspectsof statehood are decided upon in formal terms, the negotiation arena repre-sents the broader political space in which relations of power and authorityare vested. The latter hosts a varying number of actors, some of which arerecognized as participants of formal decision making at the negotiation table(typically ‘big men’, politicians, businessmen, diplomats, but also religiousleaders, NGO representatives, military commanders, etc.) and others whohave been denied access to the negotiation table (typically minority groups,women, groups with a lower socio-economic status). In order to understandthe making of statehood from a dynamic and sociological perspective it isimperative not to confine one’s analysis to negotiation tables, but to accountfor the entire negotiation arena in which statehood is embedded. In a sense,one of the great successes of war veterans in Namibia was to force a shift

8. Interactions at the negotiation table need not necessarily be face to face; furthermore,negotiation tables and negotiation arenas may overlap.

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in the debate on the role and place of former combatants within Namibia(as opposed to former exiles) from the informality of negotiating arenas(the street, the press) to more formal debates at a negotiating table (in thiscase Parliament). A new Bill was eventually passed in 2007; but if the Billmarked a certain opening up of the category of war veteran, Metsola alsoclearly shows how debates at the negotiating table were dominated by thestate and its own narrative about the liberation struggle.

Negotiation tables and arenas can also have a metaphoric element, asexemplified by the Guinean ‘tea parlour’ analysed by Anita Schroven. Here,state fonctionnaires meet regularly and discuss in a rather formal mannertheir role and responsibilities as civil servants in the midst of nation-widedemonstrations and a deep political crisis. At the same time, they addressmore informally such key issues as the relationship between the state, theparty and the people. The Prefet of Forecariah, a small town in coastalGuinea which is the focus of Schroven’s study, resolved to spend most ofthe time during the national strikes sitting in front of the Prefecture, therebydemonstrating concomitantly the physical presence of the state in the midstof a deep political crisis and a certain empathy towards his fellow citizenson strike. In a sense the Prefet metaphorically confirms one of our centralarguments: that the state is the product of complex processes of negotiationthat occur at the interface between the public and the private, the informaland the formal, the illegal and the legal.

OBJECTS OF NEGOTIATION

Part of the literature on the state in Africa still assumes that there is aneat differentiation between the realm of the state and the realm of soci-ety. This differentiation then leads observers to expect clear-cut boundariesbetween private and public, legal and illegal, indigenous and foreign, col-lective and individual domains. Political configurations that contradict thesedichotomous categories are deplored in normative terms, as debates about‘corruption’ or state failure on the African continent demonstrate. In con-trast, we argue that the main characteristics of the boundaries upon whichthe classical conception of the state relies are their elusiveness and theirconstant redefinition by the actors involved. These elusive boundaries con-stitute major political objects in processes of negotiating statehood as thecontributions to this collection clearly show.9 Three main recurrent objectsof negotiation are documented in the following pages.

Security provision, or rather the state’s inability to cater for the security ofits citizens, is usually considered the most important indicator of state failurein Africa. The loss of the state’s monopoly over the exercise of legitimate

9. For further examples see, for instance, Olivier de Sardan (2004).

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violence translates into an upsurge of armed movements, private militiasor vigilantes, private security companies and criminal gangs that respond topublic demands on the security market (Mehler, 2004) and thereby contributeto the further erosion of the state. Two of the studies which follow showhow much more complex and blurred the situation actually is.

At first sight, the agreement reached in and around Butembo betweenlocal traders and rebels in order to ensure security in the midst of warappears to be another example of how the Congolese state is little morethan a fiction in much of its territory. Yet, Timothy Raeymaekers arguesthat this phenomenon must be seen as the expression of a ‘fundamentalreinterpretation of local economic and political regulatory practice’ ratherthan a collapse of the state’s regulatory capacities. Moreover, these securityagreements go beyond the simple and immediate needs of transborder com-merce. Raeymaekers convincingly argues that, as a result of the politicalrole that Butembe traders played locally, they gradually came to influencepolitics at the regional and national levels in the DRC. This process gaveway to what Raeymaekers calls a ‘scaled form of politics, in which the localincreasingly determines the behaviour and chances of survival of politicsat the national level’ (Raeymaekers, this volume). In a similar vein, TillForster shows how security provision in northern Cote d’Ivoire has beena key element in the effort of the rebel Forces Nouvelles to be recognizedas a legitimate authority through a complex mix of identity politics, mil-itary power and strategic alliances. As ‘sons of the soil’ in northern Coted’Ivoire, in the context of heated debates about autochtony and ivoirite,they had the ‘basic legitimacy’ that many state representatives lacked, whiletheir military capacities provided them with the necessary power to exercisecontrol over the northern part of the country. However, as Forster shows,threat alone was not enough, and the rebels had to come to terms with thedozo hunters’ associations whose social legitimacy as guardians of law andorder had much deeper cultural roots than the rebels’ own. As the cen-tral Ivorian state strives to redeploy itself and its authority to former rebelzones in post-conflict Cote d’Ivoire, debates and negotiations around theprovision of security will be central to the establishment of new forms ofstatehood.

The institutional structure of the state, and especially the balance of powerbetween the ‘centre’ of the state and its ‘peripheries’, is a second recurrentobject of negotiation within this collection. Issues pertaining to the decon-centration and decentralization of state power appear, first and foremost, tobe a privileged terrain for negotiation processes. This is especially the casewhere, as in Ethiopia and Angola, states with a long history of centralizedrule are combined with authoritarian governments. In both cases, the terri-torial redefinition of regions and peripheries within the state allows for theinstrumentalization of identity politics at the local level in attempts to claimauthority and access to state resources. In both cases, too, it seems clear thatinstitutional rearrangements of state power contribute to blurring frontiers

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between state and non-state actors, between private and public domains.In the ‘hybrid political order’ of Somaliland described by Terlinden andRenders, the institutional nature of the state is also the complex product ofnegotiations that take place, on the one hand, at the local level between clanleaders and newly emerging state representatives and, on the other, betweenthe local and the national arenas. As the authors argue, with the arrival ofnew, urban-based political leaders, businessmen and ‘clan-based power bro-kers’ (Terlinden and Renders, this volume) the power of regionally-basedclan leaders is being called into question.

A third recurrent object of negotiation featuring prominently in this vol-ume is linked to memory, identity and the politics of belonging. Processesof state (de-)construction in Africa have been shaped by dynamics of in-clusion and exclusion: the question of defining who belongs and who doesnot belong to the nation (state), who is indigenous and who is foreign, isa crucial object of negotiation (Dorman et al., 2007). Beyond the straight-forward issue of pension entitlements for war veterans in Namibia, what isat stake is what Metsola calls the ‘liberation narrative’, that is, the grandnarrative of the struggle against apartheid that structures the ruling party’sown definition of the Namibian nation state. This grand narrative determinesthe boundaries of the legitimate dominant order of Namibian politics. If thewar veterans are seen as a threat, it is precisely because they want to shiftthese boundaries towards a more inclusive perception of ‘Namibian-ness’,thereby opening up new avenues of access to the state. Memories of thewar, or rather the power to write and tell the ‘grand narrative’ of the civilwar in Mozambique, is also at the centre of Frelimo’s claim to embody thestate, as Sumich suggests. The management of these post-war repertoires hasbeen a key element in Frelimo’s strategy to control the democratization ofthe country. For their part, the cultural associations in Angola that Ruigrokstudies also draw on identity politics as well as memories of pre-colonialand colonial rule at the local level in order to find new inroads into the state.More broadly, the growing political importance of discourses of autochtonyin recent years (Cutolo and Geschiere, 2008; Geschiere, 2009) has shownhow negotiations about the boundary of inclusion/exclusion are central tostatehood in Africa, as the recent history of Cote d’Ivoire sadly reminds us(Banegas, 2006; Marshall-Fratani, 2007).

The list of objects of negotiation presented here is far from exhaustive, andcould be extended to include many other key aspects of state domination.What the different case studies demonstrate, however, is that, when tryingto circumscribe the objects of negotiation relating to statehood in Africa, weneed to take into account that their contours are fuzzy and moving over time.In other words, there can be no conclusive list of dimensions of statehoodthat are subject to negotiation, but rather a changing patchwork made out ofthe multiple objects of negotiation that are manifest at the boundary of stateand society, private and public, legal and illegal, indigenous and foreign,collective and individual.

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THE HEGEMONIC QUEST OF THE STATE IN AFRICA

One of the key issues raised by the studies in this collection and the theo-retical reflections that bring them together relates to the scope and limits ofthe negotiating statehood framework that we propose for the analysis of thedynamics of power and state domination in post-colonial Africa. As MartinDoornbos argues in his concluding piece, in some particular contexts, es-pecially under authoritarian rule, power imbalances may be so strong thattalking of ‘negotiation’ overstretches the actual meaning of the term ‘vir-tually beyond recognition’ (Doornbos, this volume). Besides, internationalprinciples concerning the sanctity of state borders may clash with internalprocesses of negotiating statehood and impose severe limits, as in Somalia.The important question that arises here is whether the instances of negotiat-ing statehood as presented in this volume are the result or the expression ofa particular moment in the history of states in Africa, or if they correspondto a general trend in the historicity and trajectories of these states. In otherwords, are the multiplication of actors intervening in public policies andsocial, political and economic regulation, the constant opening up of newnegotiation arenas, and the ever-increasing number of objects of negotia-tion that emerge along the blurred boundaries between state and non-state,between public and private, all indications of what Crawford Young (2004)recently described as ‘the end of the post-colonial state in Africa’?

The answer, as usual, has to be nuanced. Several aspects of the recenthistory of the African continent underscore the conjunctural dimension ofthe processes highlighted in this volume. Three of them seem of particu-lar relevance here. Firstly, the overall backdrop against which processes ofnegotiating statehood can be observed today is one of recurrent crisis. AsYoung (2004: 37) puts it, ‘by the end of the 1970s, the first clear signs thatthe post-colonial state was not only falling short of its ambitious designs, butfacing a systematic crisis, began to appear’. Since then, elements includingneoliberal policies of structural adjustment imposed by international finan-cial institutions (Pitcher, 2002), democratic conditionality (Doornbos, 2006)and civil wars (Cramer, 2006) have contributed to the weakening of statesas centres of political and administrative power. In other words, the grad-ual retreat of the state in certain key areas of governance such as health,education, the building and maintenance of infrastructure and rural devel-opment is undeniable. Far from creating a power vacuum, this retreat hasbeen paralleled by the growing role of non-state actors such as internationalNGOs, political and economic entrepreneurs, rebel armies and forces, clanand ethnic networks as well as religious movements, in the fields from whichthe state has gradually withdrawn (or which it never occupied in the firstplace). In this sense the number of actors, arenas and objects of negotiatingstatehood has tended to rise over the last decades across sub-Saharan Africa.

Secondly, there are particular conjunctures during which the room fornegotiation and political redefinition is more important than in others. This

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is the case in most post-civil war settings and it is not by chance that all thecontributions in this volume are concerned with political developments inpost-conflict contexts. Indeed, armed conflicts are moments of intense andoften rapid social and political change, where issues such as citizenship,nationhood, representation of social or ethnic groups in the state apparatus,distribution of resources, etc., emerge as new items on the political agenda,or are reinterpreted and imbued with new meaning in the course of con-flict (Chabal, 2009).10 Conflicts open up new arenas of negotiation wheresocial actors contest for power and control as well as for the definition ofstatehood in the aftermath of conflict. In many cases violent inter-groupconflicts either result from or lead to shifts in power balances. New actorsmay emerge in the political fray and may try to ‘sell’ the social and po-litical capital they have accumulated in times of conflict, and thus demandnew positions within the state structure. The state itself has often played animportant role in the emergence of these new actors as it ‘discharges’ ordelegates the means of exercising violence to non-state actors in an overallcontext of the ‘privatization of the state’ (Hibou, 2004). Yet, the poten-tial for negotiation clearly depends on the outcome of the conflict itself.In Angola, for instance, the outright victory of the MPLA over Unita aftertwenty-five years of civil war has permitted the party in power to engineer an‘authoritarian reconversion’ (Peclard, 2008) by reducing the political spaceleft to other actors, even if, as Ruigrok shows in this volume, the relation-ship between the central state and its ‘peripheries’ continues to be stronglycontested.

Thirdly, the ‘end of the post-colonial state’ (Young, 2004) also corre-sponds to a moment when the dynamics of the continent’s ‘extraversion’(Bayart, 2000) have taken a new turn. The increasing importance of Chineseentrepreneurs and capital in Africa (Alden, 2007), progressive ‘South–Southglobalization’ (Perrot and Malaquais, 2009), and the growing significanceof migration, diasporas and remittances have shaped African economies andfinancial flows since the end of the Cold War. Even though these new de-velopments have not altered the continent’s structural dependency on theoutside world, they have opened up new avenues through which Africanpolitical societies can negotiate the terms of their dependency. This has re-sulted in new opportunities for rent-seeking and new social forces such asthe ‘NGO bureaucratic bourgeoisie’ (Hearn, 2007) that emerged on the con-tinent in the 1990s as a result of donors’ decisions to channel aid resources tonon-governmental institutions. By these and other processes, political powerin Africa is increasingly ‘internationalized’ and statehood partly suspended(Schlichte, 2008).

However, there are also strong indications that the ‘negotiability’ of state-hood in post-colonial Africa is not conjunctural, but structural. Indeed, if

10. A good example is Somalia where protracted civil war transformed Somali society througha violent modernization (Hagmann, 2005).

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Negotiating Statehood 557

we look at processes of state formation in Africa in terms of a ‘hegemonicquest’ (Bayart, 2009 [1993]) — the attempt by ruling elites to strike a bal-ance between coercion and the exercise of force on the one hand, and theestablishment of ‘legitimate domination’ on the other — it is possible tosee negotiation as a central process and a recurrent theme of the history ofstatehood in Africa. The formation of the colonial state in Africa has beenone of the arenas in which African political societies have negotiated theirrelationship with ‘modernity’ and engaged with the new ‘rules of the game’that the colonial conquest imposed. These negotiation processes occurred, ofcourse, against the backdrop of outright violence, coercion and exploitationon the part of the colonizing powers. But, following Bayart and Bertrand(2006), one can argue that in the longue duree the colonial encounter alsoled to ‘imperial hegemonic transactions’ that integrated African elites andsocieties into the new political order that emerged at the interface of colo-nizers and colonized. During the course of these transactions, processes ofdevolution of state powers to non-state actors played a key role (Mbembe,2001): chartered companies ruled over much of the colonial territories upuntil the end of the nineteenth century at least; security was often providedby private companies both in and around plantations and in certain cityareas; and Christian missions were a key element in sectors such as edu-cation, health and rural development. As Ferguson and Gupta (2002: 993)accurately point out, ‘in Africa and elsewhere, domination has long beenexercised by entities other than the state’. In other words, the delegation ofstate attributes to non-state actors, or rather negotiation processes over theexercise of state functions, have been part and parcel of state formation inAfrica since the early colonial times. The hegemonic quest of the state inAfrica is in many ways the history of these negotiations.

CONCLUSION

In this introduction we have elaborated the broad contours of an interpretativeapproach towards understanding the state, political power and authority incontemporary Africa. The heuristic framework that we have outlined restson the assumption that processes of state (de-)construction are dynamic andpartly undetermined, that the analysis of state institutions must be embeddedin a broader understanding of state–society relations, that state buildingand formation is inherently conflictive and contested and that empiricalrather than judicial statehood constitutes the analytical point of departure.Drawing attention to the actors, resources and repertoires, the negotiationarenas and tables as well as the objects of negotiation, we have proposed aparticular set of concepts to grasp contemporary dynamics of state powerand domination in Africa and elsewhere. It is hoped that this volume willstimulate reflection and debate on the conceptual tools that we use to decipherthe state and politics. Ultimately, however, its relevance depends on its

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558 Tobias Hagmann and Didier Peclard

ability to contribute to, inspire and facilitate empirical research on everydaypolitical processes on the ground.

Illustrating the relevance of our heuristic framework, the examples citedin this introduction have been mostly drawn from the case studies that fol-low. They all shed light on key dynamics of statehood in different regionsof the African continent while providing empirical depth to some of the-oretical propositions outlined here. This said, the scope of the negotiatingstatehood framework is not confined to the examples provided in the essaysof this collection. Moreover, the fact that this volume focuses exclusivelyon Africa should not be read as a statement on the particular ‘nature’ of thestate in Africa, making it ontologically different from the state elsewhere.The perspective that we adopt attempts to avoid the normative deadlock inwhich institution-centric political science research on the state has remainedtrapped, especially when expressed in terms of ‘state failure’ and ‘weak-ness’. In this sense, our negotiating statehood framework is applicable waybeyond the confines of Africa. It is our hope, therefore, that this volumewill contribute to debates on the ‘dynamics of states’ (Schlichte, 2005) ingeneral, and thereby also contribute to bringing African politics and statesback from the realms of the exotic.

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Didier Peclard is senior researcher at the Swiss Peace Foundation (swis-speace) in Bern and lecturer in political science at the University of Basel(email: [email protected]). He has worked and published ex-tensively on Christian missions and nationalism as well as on the politics ofpeace and transition in Angola. As a fellow of the Swiss National Centre ofCompetence in Research (NCCR) North–South, his current main researchfocus is on the dynamics of statehood in societies after violent conflicts.

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LE DOSSIER

L’Angola dans la paix. Autoritarisme et reconversions

Pour la République démocratique du Congo (RDC) comme pour l’Angola,les années 2001 et 2002 paraissent avoir marqué une époque axiale, pouremprunter à la philosophie de l’histoire de Karl Jaspers. En 2001, Joseph Kabilaest arrivé au pouvoir à Kinshasa, succédant à son père assassiné et enclenchantun mouvement vers une paix et une démocratisation relatives qui a culminéen 2006 avec les premières élections libres de la postcolonie congolaise. En 2002,avec la mort du chef rebelle Jonas Savimbi, la paix s’est établie en Angola etdes pas significatifs ont également été faits sur le chemin de la démocratisation.Mais ces années ont été plus encore « axiales » pour les Bakongo des deuxpays et leur culture frontalière, et particulièrement pour des millions d’adeptesde l’Église kimbanguiste: en 2001, en effet, «Papa» Salomon Dialungana Kiangani,qui résidait en la cité sainte de Nkamba (RDC), est mort. Malgré le climat de paixambiant, la combinaison de ces facteurs a suscité au sein de l’Église kimbanguiste

Ramon Sarró, Ruy Blanes et Fátima Viegas

La guerre dans la paix.Ethnicité et angolanitédans l’Église kimbanguistede Luanda

Au moment où l’Angola savoure ses premières années

de paix depuis des décennies, l’un des plus importants

mouvements religieux du pays vit une importante crise

interne. Ce conflit qui déchire l’église kimbanguiste,

un mouvement d’origine congolaise dont la plupart des

fidèles sont des Bakongo, est né d’un problème de

succession après la mort, en 2001, de son leader spirituel

Dialungana Kiantani, vivant au Bas-Congo. Comme l’analyse

cet article, l’Angola est devenu un espace important

de ce conflit, qui transcende désormais la sphère reli-

gieuse et suscite des interventions politiques. La crise

s’explique en partie par la place ambiguë qu’occupe la

culture kongo dans l’espace angolais.

01. dossier 110 4/07/08 16:04 Page 84

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85Politique africaine n° 110 - juin 2008

un conflit violent qui dure depuis lors et qui, déjà en 2003, a causé des incidentsmeurtriers à Luanda, impliquant des milliers de personnes dans plusieurspays. Cette crise n’a pas seulement creusé un fossé majeur entre deux branchesse disputant la légitimité au sein de l’une des plus importantes Églises chré-tiennes africaines au monde, mais elle a aussi obligé le gouvernement angolaisà s’occuper à nouveau de la violence à l’intérieur de ses frontières.

Le défunt Salomon Dialungana Kiangani était le chef spirituel de l’Églisekimbanguiste (l’« Église de Jésus-Christ sur Terre par son Envoyé spécialSimon Kimbangu »), une Église chrétienne prophétique née et profondémentenracinée parmi les Bakongo – bien qu’elle ait des prétentions universelles etque beaucoup de ses membres aujourd’hui ne soient pas bakongo (en Angolanéanmoins, elle conserve une puissante base kongo). Salomon Dialunganaétait le fils de Simon Kimbangu (1887-1951), le fondateur du mouvement, quiétait parvenu en 1921 à rassembler derrière lui de nombreux partisans, dansle Bas-Congo colonial, à la suite d’une série d’actes de guérison miraculeux 1.Simon Kimbangu, rapidement arrêté et emprisonné par les autorités belges,fut condamné à mort, puis sa peine commuée en détention à perpétuité. Il mourutdans sa prison d’Élisabethville (actuelle Lubumbashi) le 12 octobre 1951, endurantdans une petite cellule, en solitaire, une souffrance qui est devenue aujourd’huiun élément central dans la théodicée et l’ethos kimbanguistes. Mais, de manièrepresque miraculeuse, le mouvement se poursuivit dans le territoire belgedurant toute la période coloniale, mené clandestinement par l’épouse deSimon Kimbangu, Muilu Kiawanga (décédée en 1959) et, plus tard, par leurplus jeune fils Joseph Diangienda Kuntima (1918-1992). Ce dernier a transforméle mouvement religieux en une véritable Église, reconnue officiellement auCongo belge en 1959, un an avant l’indépendance, et il a popularisé le mouve-ment dans les premières années de la postcolonie. En raison de l’aide spirituelle,économique et juridique qu’avait apportée Diangiendia Kuntima pendant lesnégociations entre les partis politiques congolais et la Belgique en vue de ladécolonisation, l’État postcolonial du Congo (devenu Zaïre en 1971) s’est montrétrès reconnaissant envers son Église. Ainsi, juste après l’indépendance (1960),

1. Pour une histoire du mouvement et de l’Église kimbanguistes, voir J. Diangienda, Histoire dukimbanguisme, Chatenay-Malabry, éditions Entraide kimbanguiste, 2003 ; A. Droogers, « Kimban-guism at the grassroots : beliefs in a local Kimbanguist church », Journal of Religion in Africa, vol. 11,n° 3, 1980, p. 188-211 ; W. MacGaffey, Modern Congo Prophets : Religion in a Plural Society, Bloomington,Indiana University Press, 1983 ; M.-L. Martin, Kimbangu : An African Prophet and his Church, GrandRapids, Eerdman, 1975; A. Mélice, «Kimbanguisme: un millénarisme dynamique de la terre aux cieux»,Bulletin des Séances. Association belge des africanistes et Académie royale des sciences d’outre-mer, n° 47, 2001,p. 35-54.

01. dossier 110 4/07/08 16:04 Page 85

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86

LE DOSSIER

L’Angola dans la paix. Autoritarisme et reconversions

la dépouille mortelle de Simon Kimbangu fut solennellement transférée deLubumbashi à son village natal de Nkamba, à quelques centaines de kilomètresau sud-ouest de Kinshasa (province du Bas-Congo, RDC), où un mausolée etun immense temple furent bâtis. De même, bien que de confession catholique,le président Mobutu, au pouvoir depuis 1967, éprouvait une forte sympathiepour le kimbanguisme et lui accordait son soutien. En 1969, Joseph DiangiendaKuntima s’arrangea pour faire inscrire son Église au Conseil œcuméniquedes Églises, la principale fédération mondiale d’Églises. Aujourd’hui, l’Églisekimbanguiste compte des millions de disciples aussi bien dans la région(Congo-Kinshasa, Congo-Brazzaville et Angola) que parmi la diaspora africaine.Depuis les années 1960, Nkamba est demeuré le centre sacré du kimban-guisme : son leader spirituel y réside, les offrandes des croyants y sont régu-lièrement envoyées et chaque année de nombreux fidèles s’y rendent enpèlerinage.

À la mort de Joseph Diangienda Kuntima en 1992, c’est son frère aîné,Charles Kisolokele Lukelo (né en 1916), qui a pris la direction de l’Église àNkamba. Mais il est mort la même année et c’est l’aîné de tous les frères,Salomon Dialungana Kiangani (né en 1914) qui lui a alors succédé. Si JosephDiangienda Kuntima a occupé une très grande place dans l’histoire spirituelleet administrative de l’Église kimbanguiste (de nombreux adeptes croientd’ailleurs que lui et son père étaient, d’un point de vue mystique, une seuleet unique personne, ou au moins un seul esprit), beaucoup de fidèles consi-dèrent que les trois frères, les trois Papas, étaient très étroitement unis, humai-nement et spirituellement. Aussi, les transferts de fonction de DiangiendaKuntima à Charles Kisolokele, puis de ce dernier à Salomon Dialungana se sont déroulés plutôt en douceur. Il y eut certes quelques difficultés internes à l’Église après 1992, mais les vrais problèmes ont commencé neuf ans plus tard,à la mort du dernier des trois Papas.

En suivant le détail de la trame chronologique, nous décrivons dans cetarticle comment ces problèmes se sont produits à l’intérieur de ce mouvementreligieux, atteignant leur paroxysme au moment précis où les pays de la régioncommençaient à profiter de l’établissement de la paix. En fait, les tensions au sein de l’Église kimbanguiste se nourrissent et alimentent une tension sous-jacente dans cette région d’Afrique, liée au rôle ambigu joué par l’ethnicitékongo dans la politique angolaise. Comme nous essaierons de le montrer, lesimaginaires territoriaux empiètent les uns sur les autres ; tandis que l’État etles élites angolaises tentent de s’accaparer de manière hégémonique la notiond’angolanité (angolanidade) et d’imposer une histoire coloniale et postcolonialecommune, beaucoup de Bakongo se représentent plutôt comme enracinésdans une communauté imaginée plus solidement reliée au royaume du Kongo

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et/ou à l’Église kimbanguiste – dont aucun des espaces ne coïncide avec lesfrontières des États modernes. Il ne s’agit pas de dire ici qu’ils ne se voient paseux-mêmes comme des «Angolais»: certains peuvent minimiser leur angolanitépour affirmer leur identité kongo, mais ce n’est nullement d’une règle générale.En fait, ce qui frappe n’est pas tant la politisation de l’opposition « Bakongo »versus « Angolais », que les significations différentes et parfois très inventivesque peut prendre la notion d’«Angola» dans cette zone-frontière 2, significationsqui peuvent s’avérer contradictoires avec la volonté de l’État angolais decontrôler l’« angolanité ». De ce point de vue, la lutte qui se joue actuellementautour de l’ancienne capitale du royaume du Kongo, Mbanza Congo (situéedans l’actuel Angola), illustre parfaitement ce chevauchement des imaginairesgéographiques et les luttes autour des appartenances qui se cachent sous unproblème d’apparence strictement religieux. Il est rare que la religion relèvepurement du « religieux » et, comme nous le verrons, l’affrontement en coursentre deux groupes opposés de kimbanguistes, de même que les contestationsliées au statut de Mbanza Congo, montrent qu’il s’agit en réalité de problèmesnon réglés dans la construction d’un espace public angolais. Jusque-là, le gou-vernement angolais a explicitement refusé de prendre partie et semble avoirdécidé de considérer le problème comme une question purement « religieuse »(agissant le cas échéant en tant qu’arbitre, ou cherchant des agents de média-tion pour intervenir), probablement parce qu’il sait qu’en s’impliquant trop dansces affaires (et en excluant, par exemple, l’un des deux groupes rivaux), ilsurgirait davantage de difficultés, non seulement dans l’espace angolaisintérieur, mais encore dans les relations entre l’Angola et la RDC. Avant de pré-senter le conflit et les groupes qui s’y affrontent, nous présenterons quelqueséléments de base pour la compréhension de la question et rappelerons la placede l’Église kimbanguiste dans l’histoire et la société angolaises.

L’implantation en Angola

Dès avant la reconnaissance officielle de leur Église au Congo, en 1959, leskimbanguistes se sont livrés à un prosélytisme tout azimut, et il n’a guèrefallu de temps avant que des projets et des missions se développent en Angola.

2. Parmi les exemples de ces usages imaginatifs, nous avons entendu des phrases dans lesquelles leterme «Angola» était utilisé de manière centrifuge, pour prétendre par exemple que Simon Kimbangua vu le jour « dans l’Angola septentrionnal » (i.e. Nkamba) ou que « l’humanité est née en Angola »(ce qui signifie bien sûr en Afrique). Bien qu’elles soient souvent des métaphores ou de puresallégories à contextualiser, ces affirmations soulignent la richesse de l’imaginaire géographique desBakongo angolais.

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Ceci n’a rien de surprenant, surtout si l’on prend en compte les liens historiquesentre le Bas-Congo, le Congo-Brazzaville et les provinces angolaises de Cabinda,Zaïre et Uíge – qui correspondent peu ou prou à l’empreinte géographique duroyaume précolonial du Kongo. Ces liens historiques alimentent l’ethnicitékongo, qui s’est développée autour d’une forte culture frontalière3 : tout au longdu XXe siècle, de nombreux Bakongo angolais ont fui leur pays (principalementà cause du colonialisme portugais, de la guerre de libération, puis de la guerrecivile), pour s’installer au Congo voisin, avant de revenir progressivement enAngola dans les dernières années du siècle – où ils sont connus sous le nomde regressados (« rapatriés »).

Au début des années 1950, de concert avec cette diaspora angolaise auCongo, des Bakongo vivant dans la province du Bas-Congo mirent sur piedune stratégie pour faire circuler la parole de Kimbangu en Angola. Comme s’ensouviennent encore de nombreux kimbanguistes angolais, ce projet s’avéradifficile : beaucoup furent pourchassés, emprisonnés, torturés et tués par lesautorités coloniales portugaises 4 ; d’autres restèrent cachés dans la brousse. Ainsiles membres de la communauté kimbanguiste angolaise gardent en mémoireles souffrances endurées au moment où ils introduisirent leur religion dans le pays, et ces souffrances sont capitales dans la fabrication d’une mémoirekimbanguiste spécifiquement angolaise, par opposition à une mémoirekimbanguiste plus générale. Tous les fidèles en Angola ont en commun cettemémoire traumatique, quelles que soient leurs divisions aujourd’hui. Ilsl’utilisent volontiers dans les sermons et les cérémonies, comme nous avonspu le constater le 11 novembre 2007, en assistant aux célébrations commé-morant la reconnaissance officielle de l’Église dans chacune de ses deuxbranches 5 : toutes deux évoquent les difficiles années du colonialisme tardif,quand l’Église fut introduite clandestinement sur le territoire angolais 6.

Par ailleurs, au moins selon les dirigeants kimbanguistes locaux, les membresde l’Église ont aussi joué un rôle important dans les mouvements de libérationqui ont combattu les colonisateurs portugais. Les historiens nuanceraient pro-bablement cette affirmation, mais parmi les gens que nous avons interrogésà Luanda, beaucoup nous ont rapporté que les fidèles collectaient secrètementde l’argent, dans toute la colonie, pour soutenir la lutte – peut-être est-ce unmoyen de réécrire l’histoire angolaise et de s’y insérer ? Quoi qu’il en soit,après l’indépendance, le nouveau gouvernement d’inspiration marxiste-léniniste issu du Mouvement populaire de libération de l’Angola (MPLA) n’apas reconnu les institutions religieuses, et du reste, tous les kimbanguistes ne soutenaient pas le vainqueur d’alors : beaucoup étaient en réalité plusproches du Front national de libération de l’Angola (FNLA) 7. Par conséquent,le kimbanguisme est rentré dans l’ombre.

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En 1980, après le premier Congrès du MPLA, le gouvernement a adopté unepolitique d’ouverture face à la religion et a annoncé que certaines Églisesallaient être reconnues. Mais c’est seulement en 1987 que douze Églises purentobtenir leur agrément 8. L’année suivante, était créée la Direction nationalepour les Affaires religieuses (Direcção nacional para os Assuntos religiosos).En 1992, cinquante Églises supplémentaires ont été reconnues officiellement.

Les mouvements religieux, surtout en provenance du Zaïre, se sont projetésvers l’Angola tout au long des années 1980 9. Mais le début des années 1990, et

3. Cette culture frontalière se présente sous d’autres traits encore, comme par exemple ceux desréseaux de commerce par lesquels étaient transportées les marchandises depuis le bassin du Congojusqu’à Luanda. Sur ces questions liées au commerce, I. do Amaral, O Reino do Congo, os Mbundu (ouAmbundos), o reino dos « Ngola » (ou de Angola) e a presença portuguesa, de finais do século XV a meados do século XVI, Lisbonne, Instituto de investigação científica e tropical, 1996 ; F. de Boeck, « Garimpeiroworlds : digging, dying and “hunting” for diamonds in Angola », Review of African Political Economy,vol. 28, n° 90, 2001, p. 549-562 ; A. Fonseca, Sobre os Kikongos de Angola, Luanda, União dos escritoresangolanos, 1989 ; I. de Castro Henriques, « Interférence du religieux dans l’organisation du commerceen Angola au XIXe siècle », in J.-P. Chrétien (dir.), L’Invention religieuse en Afrique. Histoire et religion enAfrique noire, Paris, Karthala, 1993, p. 133-151 ; C. Lopes, Roque Santeiro - Entre a Ficção e a Realidade,Lisbonne, Princípia, 2007. Sur les dynamiques de migration et de mobilité, voir J.-M. Mabeko-Tali,«La “chasse aux Zaïrois” à Luanda», Politique africaine, n° 57, mars 1995, p. 71-84, et I. Brinkman, «Refu-gees on routes : Congo/Zaire and the war in Northern Angola », communication au symposiuminternational « Angola on the move : transport routes, communication and history », Berlin, 24-26 sep-tembre 2003. Pour un panorama général, se reporter à L. Pereira, Os Bakongo de Angola. Religião, polí-tica e parentesco num bairro de Luanda, thèse de doctorat en anthropologie, université de São Paulo, 2004.4. Ces tortures et meurtres sont décrits dans N. Q. J. Gando, A Contribuição da religião cristã no processode reconciliação nacional, mémoire de licence en science politique, université Agostinho Neto, Luanda.5. Suivant la même chronologie qu’au Congo belge, où elle fut légalisée par l’État colonial juste unan avant l’indépendance, l’Église a également été reconnue en Angola par l’État portugais l’annéeprécédant l’indépendance, en novembre 1974. Ceci a finalement donné lieu à une situation curieuse :l’Église s’est trouvée interdite dans l’Angola indépendant, alors qu’elle avait été reconnue dans l’ex-métropole coloniale. Quelques membres de la diaspora en tirèrent profit plus tard, mais c’est une autrehistoire.6. Les données présentées dans cet article ont pour la plupart été collectées en novembre-décembre 2007,durant un séjour à Luanda au cours duquel nous avons pu réaliser de nombreux entretiens individuelset discussions collectives avec les principaux responsables de l’Église kimbanguiste, assister à leursoffices et effectuer des recherches archivistiques. Il s’agit en ce sens d’un cadrage particulier del’activité politico-religieuse florissante, complexe et toujours changeante. Cette recherche s’intègreà un plus vaste projet dans lequel nous cherchons à étudier la réception des mouvements chrétiensangolais (surtout le kimbaguisme et le tocoisme) au Portugal et en Europe.7. Le Front national de libération de l’Angola (FNLA), dirigé par Holden Roberto (1923-2007) jusqu’àsa mort, a été créé au Congo, et a par la suite reçu l’appui du président Mobutu. Ce mouvement estconnu pour sa solide base ethnique bakongo.8. Comme on l’a déjà dit, la reconnaissance officielle de l’Église kimbanguiste par les autoritésportugaises en Angola date de 1974. Le MPLA a toutefois révoqué cette reconnaissance à son arrivéeau pouvoir l’année suivante.9. Voir à ce sujet le mémoire de fin d’études de E. I. Pereira de Carvalho, Novos movimentos religiosos -sinal dos tempos : uma leitura sociológica da Igreja Fé da Salvação no espaço urbano de Luanda (1980-1992),Luanda, université Agostinho Neto, Département de sociologie, 2007.

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spécialement la période de paix qui a suivi la signature de l’accord de paixangolais à Bicesse en 1991, a connu une véritable effervescence de l’imaginationreligieuse. C’est à ce moment que de nouveaux mouvements chrétiens venantd’Amérique latine ou d’autres pays d’Afrique ont pris de l’ampleur et eu unfort impact sur la société angolaise – citons notamment l’Église universelle duRoyaume de Dieu (Brésil) et l’Église de Maná (Afrique du Sud et Portugal) 10.Malgré la reprise de la guerre après les élections de 1992, l’État angolais aévolué dans le sens de la reconnaissance légale des Églises 11. Ainsi dans lesannées 1990, l’Angola s’est trouvé confronté à deux processus : le renouveaureligieux d’une part, avec l’implantation réussie de formes évangéliques,néopentecôtistes et charismatiques du christianisme, et d’autre part la crois-sance de prophétismes chrétiens (en provenance du Congo dans la plupart descas), et la pluralisation d’autre part, avec la naissance quasi quotidienne de mou-vements chrétiens de toutes sortes, de même que la progression de l’islam 12.

La prolifération des Églises dans les années 1990 et 2000 a été véritablementimpressionnante : en témoignent ces immenses « cathédrales » construites parl’Église universelle du Royaume de Dieu à Alvalade et Rocha Pinto, ou celleencore plus gigantesque que l’une des branches de l’Église tocoïste est actuel-lement en train de bâtir dans le quartier de Golfe à Luanda (l’un des plusgrands bidonvilles – musseques – de la ville, dans la municipalité de KilambaKiaxi), et qui devrait être, avec ses 50 000 places, l’un des plus grands édificeschrétiens du continent africain 13. Le kimbanguisme a également connu unecroissance considérable dans les années 1990, et il prétend aujourd’hui fière-ment être la seconde confession en Angola, après l’Église catholique 14. Il setargue d’avoir construit l’un des plus grands temples du pays, égalementdans le quartier de Golfe, avec une salle de 20 000 places. Toutefois, malgré cetteprogression, et en dépit du contexte social favorable de la fin de la guerre,quelque chose à l’évidence ne va pas bien dans l’Église kimbanguiste.

La crise

À la mort de Salomon Dialungana en 2001, une crise a éclaté à Nkambaautour de la question de la succession et de l’autorité sacrée. En août 2001, uneréunion des 26 petits-enfants de Simon Kimbangu s’est tenue au mausolée de Nkamba, la Jérusalem kimbanguiste. Après deux jours de discussions à huis clos, Simon Kimbangu Kiangani, le fils de Salomon Dialungana, a été éluChef spirituel (c’est son titre officiel) de l’Église, les 25 autres petits-enfantsdevant être ses Chefs spirituels adjoints.

Deux lectures différentes de la situation existent : selon certains (que nousappellerons par convention les « nkambistes »), Simon Kimbangu Kiangani a

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été choisi en respectant les instructions fournies sur son lit de mort par SalomonDialungana, parce qu’il savait que Simon Kimbangu Kiangani était la réincar-nation de Simon Kimbangu ; toutefois, selon d’autres voix (que l’on connaîtdésormais sous le nom de « groupe des 26 = 1 »), la décision prise lors de cetteréunion était que les 26 cousins devaient diriger l’Église de manière égale, le rôle central de Simon Kimbangu étant purement formel et justifié par le fait que d’un point de vue logique et administratif, il faisait sens que l’un des26 devienne le représentant attitré de l’Église et reste à Nkamba.

Mais pour de nombreux kimbanguistes nkambistes dans le monde aujour-d’hui, Simon Kimbangu Kiangani n’est pas seulement un représentant dupouvoir spirituel, il est aussi la réincarnation de son grand-père : dans lesperceptions populaires comme en théologie, tous deux sont ensemble l’incar-nation du Saint-Esprit, et cette croyance, beaucoup l’affirment, est foncièrementce qui définit le fait d’être kimbanguiste aujourd’hui. Par conséquent, ceux quine partagent pas cette vision des choses (c’est-à-dire les « 26 = 1 »), ne seraientpas de « vrais » kimbanguistes. De même, l’histoire officielle à Nkamba, bienque sujette à discussion, établit que Simon Kimbangu Kiangani est né le jour mêmede la mort de son grand-père, le 12 octobre 1951 (qui tomba cette année-là un

10. Voir P. Freston, « The Universal Church of the Kingdom of God : a Brazilian church finds successin Southern Africa », Journal of Religion in Africa, vol. 35, n° 1, 1995, p. 33-65. 11. Les relations entre le gouvernement angolais et les principales Églises et associations religieusesdu pays dans les années récentes ont été examinées ailleurs en termes d’instrumentalisation et d’in-térêt stratégique mutuel. Voir C. Messiant, « Les Églises et la dernière guerre en Angola (1998-2002) »,Le Fait missionnaire, n° 13, 2003, p. 75-117, et B. Schubert, A Guerra e as Igrejas : Angola, 1961-1991, Basel,P. Schlettwein Publications, 2000.12. Voir F. Viegas, Panorama das religiões em Angola independente, Luanda, Instituto nacional para osassuntos religiosos, 2007, et du même auteur, Angola e as religiões, Luanda, édition à compte d’auteur, 1999.13. L’Église tocoïste est elle aussi issue d’un mouvement chrétien prophétique, lancé au Congo dansles années 1940 par l’Angolais Simão Toko, lui aussi mukongo. Avec un fond théologique et historiqueassez similaire à celui des kimbanguistes, elle s’est développée indépendamment, et principalementen Angola. Sur ce sujet, voir par exemple F. J. Grenfell, « Simão Toco : an Angolan prophet », Journalof Religion in Africa, vol. 28, n° 2, 1998, p. 210-226, et A. Margarido, « The Tokoist Church andPortuguese colonialism in Angola », in R. H. Chilcote (dir.), Protest and Resistance in Angola and Brazil.Comparative Studies, Berkeley, Londres, University of California Press, 1972, p. 29-52.14. La plus importante religion en Angola (dont le nombre d’habitants varie entre 14 à 17 millions,selon les recensements) est le catholicisme, auquel environ 57 % de la population appartient. Lereste se divise en d’innombrables dénominations religieuses, certaines étant officiellement reconnues(moins d’une centaine) et la plupart des autres demeurant illégales ou attendant leur agrément(plusieurs centaines). Le nombre de croyants indiqué par les deux branches de l’Église kimbanguisteà l’Institut national des affaires religieuses (Inar, sous tutelle du ministère de la Culture) en décembre 2007dépassait de beaucoup le million : selon la branche de Golfe, on comptait 1 350 000 membres ; seloncelle de Chicala, 1435192. Bien qu’il ne fasse aucun doute que les kimbanguistes soient très nombreux,ces chiffres paraissent exagérés.

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vendredi, jour sacré dans le calendrier chrétien). Or ceci est aussi fortementcontesté par les kimbanguistes « 26 = 1 », qui affirment que des manipula-tions de dates ont eu lieu et que Simon Kimbangu Kiangani était en réalité nébien avant que son grand-père ne décède.

Beaucoup de kimbanguistes à travers le monde contestent aujourd’huil’histoire officielle édictée depuis Nkamba. Pour eux, les 26 petits-enfants onthérité du pouvoir spirituel à parts égales, et ils considèrent Simon KimbanguKiangani comme un usurpateur manipulé par des individus bien placés dansla structure interne de l’Église à Nkamba. Ici, les porte-parole des « 26 = 1 » quenous avons interrogés visent en particulier certains membres du matrilignagede Simon Kimbangu habitant dans des villages aux environs de Nkamba. Deleur point de vue, la population de ces villages en aurait assez de voir queNkamba reçoit de l’argent du monde entier et devienne une cité prospère,pendant que leurs propres maisons, bien que maintenant des connectionstraditionnelles, historiques et familiales avec les petits-enfants de Kimbangu,restent pauvres et abandonnées. Selon l’une des versions rapportées par des« 26 = 1 », peu de temps après avoir été choisi comme Chef spirituel, SimonKimbangu Kiangani a suivi une cérémonie par laquelle il a été installé commechef politique (et pas seulement spirituel) de tout le territoire autour deNkamba, contrairement aux indications de son père et de ses oncles qui n’ont jamais accepté, nous a-t-on dit, de se mêler de politique locale. On nousa ainsi rapporté à ce sujet que Joseph Diangienda Kuntima avait dit un jour :« Il y a un siège sur lequel je ne dois pas être assis ; si un jour vous me voyezassis sur ce siège, vous pourrez alors être sûrs que je ne serai plus le leaderspirituel de l’Église. » Le pouvoir temporel est ainsi présenté comme unetentation du diable, et il nous a été décrit comme « fétichiste », probablementparce que la cérémonie en question impliquait l’usage de nkisi (de puissantsobjets de la culture religieuse kongo) et des négociations avec les esprits locaux, qui sont diabolisés dans le credo et le discours monothéistes du kim-banguisme 15.

En l’état, il nous est impossible de dire si ces allégations sont basées sur desfaits ou relèvent de la rumeur. Elles nous ont été rapportées par des membresdu groupe « 26 = 1 » et avaient vocation à nous informer sur la crise, maisaussi à délégitimer le pouvoir spirituel de Simon Kimbangu Kiangani. Entout état de cause, une telle cérémonie serait en effet contraire à l’esprit del’Église kimbanguiste. Et aussi, pour beaucoup de fidèles, des hommes inspiréspar Dieu ne sauraient accepter d’occuper une fonction de commandement dece type, qui ne peut être détenue que par des hommes inspirés par les espritslocaux ou par le diable ; qu’un chef spirituel puisse accepter des fonctions dece type signifie que son âme est corrompue.

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Quels événements et politiques ont causé cette confrontation ? Peu de tempsaprès son élection en 2002, Simon Kimbangu Kiangani a commencé à sentirque ses cousins ne montraient pas l’obéissance voulue à Nkamba, n’y envoyantpas les sommes qu’ils collectaient dans leurs paroisses et se comportant en diri-geants autonomes d’Églises indépendantes. Pour contrecarrer cette « décen-tralisation », Nkamba envoya, en octobre 2002, une série de « résolutions »draconiennes à toutes les paroisses, établissant entre autres choses qu’il n’y avaitqu’un seul Chef spirituel, Simon Kimbangu Kiangani, et que le titre de Chefspirituel adjoint n’était désormais plus légitime. Selon les personnes interrogées,il s’agissait de réagir au fait que beaucoup de Chefs spirituels adjoints (ycompris le seul qui était établi à Luanda) étaient en train de prendre trop depouvoir 16. Ils n’agissaient plus uniquement comme intermédiaires entre lesfidèles et Nkamba, mais se substituait à son pouvoir, disant à leurs fidèlesqu’il n’était pas nécessaire de se rendre à Nkamba puisqu’ils étaient là et qu’ilsétaient équivalents à Simon Kimbangu Kiangani (et à Simon Kimbangu aussi).Comme on nous l’a dit, ils ont ainsi introduit l’« idolâtrie » parmi leurs fidèles,en leur faisant adorer des êtres humains comme des dieux, alors que le seulêtre humain à pouvoir être vénéré devrait être celui de Nkamba, car lui, et luiseul, est l’Esprit saint 17. Ici, on peut noter une troublante symétrie entre lesaccusations religieuses : les nkambistes accusent les « 26 = 1 » de sombrer dansl’« idolâtrie », tandis que ces derniers accusent les premiers, derrière SimonKimbangu Kiangani, de se perdre dans le « fétichisme ».

Les «résolutions» contenaient aussi une «constatation» établissant que PaulKisolokele, l’un des 26 petits-enfants de Simon Kimbangu – et par conséquentun cousin de Simon Kimbangu Kiangani –, n’était pas en réalité de sa

15. Selon certains auteurs, et notamment Wyatt McGaffey, la distribution du pouvoir et du savoir chezles Bakongo se fait autour de ce que McGaffey appelle des « charges religieuses », et il y aurait doncune distinction très claire des rôles sociaux et des dimensions cosmologiques de catégories de base comme celle de chef (mfumu), de magicien (nganga), de prophète (ngunza) et d’objet rituel (nkisi).Voir W. McGaffey, « The religious commissions of the Bakongo », Man, vol. 5, n° 1, 1970, p. 27-38.16. Bien que nous puissions donner l’impression dans cet article qu’il existe deux groupes biendistincts de kimbanguistes, les « 26 = 1 » d’un côté et les nkambistes de l’autre (également appelés « 3 = 1 »), il faut souligner que cette séparation n’est claire que pour l’Angola. L’unité des « 26 = 1 »est pour le moins problématique. Selon des « 26 = 1 » interrogés à Luanda, les cousins de Kimbangu(installés dans différents pays et continents) seraient unis, et ils auraient une base unique à Kinshasa.Mais des informations recueillies en Europe semblent plutôt montrer qu’ils ne sont d’accord que surle fait que Simon Kimbangu Kiangani ne doit pas être le seul chef de l’Église.17. Les aspects théologiques de l’affirmation selon laquelle Simon Kimbangu est le Saint-Esprit,défendue par de nombreux nkambistes, sont analysés dans L. Nguapitshi Kayongo, « Kimbanguism :its present Christian doctrine and the problems raised by it », Exchange : Journal of Missiological andEcumenical Research, vol. 34, n° 3, 2005, p. 135-155.

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descendance biologique. Il se trouve que ce dernier, de nationalité congolaise,a été en charge de l’Église kimbanguiste d’Angola depuis 1997. Les raisons quil’ont amené à venir à Luanda depuis la RDC sont encore peu claires pournous 18. Mais quoi qu’il en soit, il est devenu dans la capitale angolaise unvéritable leader charismatique, capable de mener son Église sur le chemind’une économie florissante et d’attirer de nombreux disciples. Installé dans laparoisse de Golfe, dont on a dit plus haut qu’elle comportait le plus grandtemple kimbanguiste d’Angola, il a développé un programme intensif, àmultiples facettes, et son ère a été celle d’une incontestable extension de l’Églisekimbanguiste angolaise.

Étant l’un des 26 petits-enfants, Paul Kisolokele a vu sa légitimité mise encause par les résolutions radicales de Nkamba en octobre 2002, et surtout,bien sûr, par la « constatation » qu’elles incluaient. Aussi, un mouvement s’estdéveloppé en Angola, au travers duquel Kisolokele s’est arrangé pourconvaincre ses fidèles de rompre avec Nkamba. Le nombre de personnesprêtes à le suivre a été si important que, dans ce pays (à la différence desautres), la principale paroisse nationale (Golfe) est restée sous le pouvoir deceux qui précisément ne voulaient pas se conformer aux règles de la Citésainte du kimbanguisme. Ceux qui voulaient demeurer fidèles à Nkambaquittèrent la paroisse et commencèrent à célébrer leur culte et à organiserleurs rencontres dans la maison de l’un d’entre eux, dans le quartier de Chicala(municipalité d’Ingombota) – bien qu’évidemment ils continuent d’affirmerque le temple kimbanguiste est celui de Golfe et qu’ils veulent par tous lesmoyens le récupérer. Ainsi, quelle que soit la vigueur avec laquelle les nkam-bistes de Chicala affirment qu’il n’y a pas de « conflit » dans l’Église, maisseulement des dissidents qui sont partis et qui, par la repentance et le pardon,pourraient être réadmis, le fait est qu’à Luanda, le conflit est ouvert et portesur le contrôle du temple, pas moins. Les fidèles de Chicala se sentent légitimesà le réclamer car ils considèrent comme des « dissidents » les fidèles de Kiso-lokele, qui devaient selon eux créer leur propre temple s’ils ne souhaitaient pasrester kimbanguistes. En attendant le jour de leur retour, ils se rassemblent dansun espace cultuel en déshérence dans l’un des quartiers les plus pauvres deLuanda. Les fidèles de Golfe, par contraste, se considèrent comme de véritableskimbanguistes qui suivent un Chef spirituel adjoint, et ils voient les « résolu-tions » comme une corruption satanique de l’Église. Par conséquent ils trou-vent logique que ceux qui suivent de telles prescriptions anti-kimbanguistesne soient pas acceptés dans l’espace spirituel sacré de Golfe.

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Ethnicité et angolanité dans l’Église kimbanguiste

Lutter pour un lieu, lutter pour une histoire

La lutte autour d’un espace sacré est souvent un réceptacle idéal de laviolence entre cultures et, à Luanda, la violence a été telle à propos du templede Golfe (assauts contre le bâtiment, rixes) qu’en 2003 le gouvernement a dûintervenir. Les autorités ont choisi d’expulser Paul Kisolokele, au prétextequ’il avait falsifié des documents et qu’il était en train de provoquer destroubles dans le pays. Les motifs réels de cette décision sont obscurs, et il estdifficile d’établir ce qu’il en est exactement. Selon certains de nos interlocuteurs,le gouvernement craignait en réalité que Kisolokele cherche à utiliser l’Églisepour introduire d’anciens soldats de Mobutu en Angola, avec des butsinavoués 19.

Cette expulsion ne doit néanmoins pas être prise pour une indication selonlaquelle l’État se serait mis du côté de la paroisse de Chicala. Les membres decette dernière sont restés isolés, et le temple de Golfe continue d’être tenu parles fidèles de Kisolokele qui le dirige encore à distance, depuis Kinshasa, parradio et par téléphone. En outre, afin de démontrer son impartialité, l’État apris par la suite une autre résolution, en recommandant à Simon KimbanguKiangani de ne pas entrer sur le territoire angolais. Jusqu’ici, ce dernier n’a pasété officiellement banni de l’espace angolais, mais la recommandation qui luia été adressée indique qu’il ferait mieux de ne pas se rendre en Angola pouréviter que sa présence ne provoque de violents troubles et ne deviennedangereuse aussi pour lui-même… On a donc encore peine à déterminer si le gouvernement penche vraiment d’un côté ou de l’autre – pour le moment,il paraît hésitant, se contentant d’observer, certains de ses représentants ayantdes sympathies pour tel groupe, et d’autres pour les rivaux. Ce qui est sûr, c’est que les représentants les plus influents de chaque paroisse s’efforcent deconvaincre les dirigeants angolais qu’ils sont bien les « vrais » kimbanguistes– et les plus utiles à l’État angolais. Ils utilisent pour cela toutes sortes

18. Nous avons obtenu deux versions différentes à ce sujet, qui ne sont pas exclusives l’une del’autre. Selon la première, ce sont des membres mécontents de la gestion de l’Église par le « collègenational » (colegio nacional) angolais qui ont cherché un meilleur dirigeant ailleurs ; selon la seconde,la décision fut prise depuis Nkamba d’envoyer un proche de la famille pour un espace aussi crucialque celui d’Angola, berceau de la culture kongo.19. À Luanda, les représentants des deux groupes nous ont montré des correspondances et desdocuments écrits et visuels dans lesquels les sévères accusations portées contre ou par le groupe adverseétaient alternativement prouvées ou rejetées. On retrouve aussi ce type d’accusations croisées surInternet. Bien qu’il soit difficile, voire impossible, de connaître les faits concrets à la base de cesaccusations (pour autant qu’il y en ait), nous avons pu observer que la peur d’une « conspirationcongolaise » était une manipulation courante qui les concerne tous.

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d’arguments et de témoignages, dont on croit pouvoir penser que la plupartsont sûrement fabriqués.

Ces mises en accusation réciproques et l’ambiguïté de l’État, incapable desavoir s’il doit soutenir un camp ou l’autre, ont profondément divisé l’Égliseet provoqué des affrontements meurtriers à Luanda. Les membres de chaquepartie racontent les multiples confrontations impromptues qui se sont dérouléesdans les rues de Luanda dans les mois qui ont suivi la scission ; de même, en 2004, des nkambistes auraient essayé de prendre d’assaut le temple deGolfe, causant de nombreuses victimes blessées et des morts dans chaquecamp, ainsi que des dégradations.

Dans cette situation, il est particulièrement intéressant de relever que lesaccusateurs des deux bords instrumentalisent et soulignent la tension ancienneentre le fait d’être mukongo ou étranger (et parfois les deux à la fois, commepour les Bakongo en lien avec la RDC) et celui d’être angolais, vu depuis lafenêtre de Luanda 20.

Historiquement parlant, le nord de l’Angola faisait partie du royaume duKongo, et la capitale de celui-ci, Mbanza Congo, est située dans l’actuel Angola.Et malgré ses prétentions à l’universalisme, le kimbanguisme en Afriquecentrale reste un phénomène profondément lié à la langue kongo (kikongo)et par-delà à la culture transfrontalière partagée par la population kongo dela République démocratique du Congo, du Congo-Brazzaville et d’Angola. Pourles kimbanguistes de ces trois pays, parler d’États postcoloniaux ne fait pas sens : ils préfèrent penser «Congo-Kinshasa», «Congo-Brazzaville» et «Congo-Angola », avançant habituellement que les trois Congos sont comme les troispierres d’un âtre, symbole fort sur l’ensemble du continent. Pour eux, sedéfaire de l’une des trois «pierres» est hors de question : les trois sont indispen-sables pour le maintien du territoire imaginé. Mais, bien que les trois partiessoient également nécessaires, celle d’Angola paraît être plus spécialementimportante pour l’unité de l’Église, et ce pour deux raisons : d’abord parce quel’Angola est considéré comme le lieu d’origine des Bakongo et qu’il abrite lacapitale du royaume du Kongo ; ensuite, pour des raisons économiques, parceque les sommes d’argent que les kimbanguistes angolais envoient à Nkambane sont pas négligeables.

Une autre figure importante pour l’Angola est celle de Kimpa Vita, uneprophétesse kongo qui suscita au XVIIIe siècle un mouvement religieux connusous le nom d’antonianisme 21. Tel que les kimbanguistes se le remémorentaujourd’hui, ce mouvement était dans ses fondements une voie chrétiennede contestation du christianisme. Kimpa Vita dénonçait en effet le christianismecontrefait des intrus européens en montrant que leurs actes (en particulier latraite esclavagiste, mais aussi plus largement l’oppression) étaient contraires

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à l’authentique esprit de la religion qu’ils annonçaient, supposée être basée sur l’humanité et la libération. Elle alla jusqu’à énoncer que le Christ était unAfricain noir, et, selon les sources orales, affirma qu’il était né dans le bassindu Congo. Elle fut brûlée vivante comme hérétique en 1706. Kimpa Vita étaitune guérisseuse réputée pouvoir rendre à la vie les enfants mort-nés en invo-quant un esprit avec lequel elle avait établi un contact étroit : celui-ci étaitappelé, précisément, kimbangu. De nos jours, beaucoup de kimbanguistesconsidèrent Kimpa Vita comme l’annonciatrice de Kimbangu, dans une veineassez semblable à celle de Saint Jean-Baptiste annonçant la venue du Christ (le Christ lui-même ayant annoncé la venue d’un autre Paraclet parmi leshommes – Simon Kimbangu, selon la théologie kimbanguiste).

Dans les années récentes, un mouvement révisionniste s’est développé à l’intérieur de l’Église kimbanguiste, visant à réhabiliter le rôle de KimpaVita comme « précurseur » de Simon Kimbangu et gardienne du royaume du Kongo, et à réévaluer de l’importance historique de l’ancienne capitale duroyaume, Mbanza Congo, située dans la province angolaise septentrionaled’Uíge. En décembre 2005, Nkamba a mandaté une délégation dans le nordde l’Angola pour visiter le lieu où les restes de Kimpa Vita avaient été enterrés(une première expédition avait déjà été organisée en 1960). Les kimbanguistesangolais ont maintenant l’intention de proposer la construction d’un sitemuséal et d’un mausolée pour honorer la prophétesse 22. La démarche estguidée par Nkamba et vue par les nkambistes non seulement comme unemanière de restaurer le nom et l’honneur de Kimpa Vita, mais encore de rendrejustice à la famille de Kimbangu, puisque Kimpa Vita était, selon leurs affir-mations, reliée à lui généalogiquement. Comme le disent certains kimban-guistes, cela montre que l’Église kimbanguiste a ses racines les plus profondesen territoire angolais : il s’agit, pour ainsi dire, d’une Église angolaise.

De leur côté, les kimbanguistes « 26 = 1 », qui jouent globalement une cartebeaucoup plus « angolaise » que les fidèles de Nkamba, minimisent le rôle deKimpa Vita. Ils considèrent certes sa mort comme une tragédie et sa personnecomme inspirée par un véritable esprit chrétien, mais ne voient pas l’utilité

20. Sur la perception des Bakongo à Luanda, voir L. Pereira, Os Bakongo de Angola…, doc. cit. La relationentre être kongo et être un « étranger interne » à Luanda (un « internal stranger », pour utiliser l’utilenotion de Richard Werbner) est apparue clairement dans les événements qui se sont déroulés dansla capitale angolaise en 1993, connus sous le nom de « chasse aux Zaïrois » ; voir J.-M. Mabeko-Tali,« La “chasse aux Zaïrois”… », art. cit.21. Lire J. Thornton, The Kongolese Saint Anthony : Dona Beatriz Kimpa Vita and the Antonian Movement1684-1706, Cambridge, Cambridge University Press, 1998.22. En 2006, ils souhaitaient même proposer une conférence internationale pour la réhabilitation deKimpa Vita – mais à ce jour la rencontre n’a pas encore eu lieu.

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d’insister sur ses liens, réels ou supposés, avec Simon Kimbangu, autrementque pour rappeler qu’elle en a annoncé la venue.

L’intérêt des kimbanguistes pour Kimpa Vita et Mbanza Congo est bienentendu ancien, et il s’enracine dans l’histoire longue des Bakongo. Pourtantil est significatif d’observer, pour contextualiser la crise présente de l’Église en Angola, que leur intention de bâtir un mausolée à Mbanza Congo et leurvolonté de prouver les liens du sang existant entre Kimpa Vita et SimonKimbangu a coïncidé avec l’organisation d’une Conférence internationale surMbanza Congo que le gouvernement angolais a accueillie sur les lieux mêmesen août 2007, et qui a abouti à la candidature officielle de l’ancienne capitaleroyale au classement des sites du Patrimoine de l’humanité établi par l’Unesco.Ainsi, le conflit autour du lieu et des significations ne se limite pas à la pos-session de la paroisse de Golfe, mais s’étend à des centres aussi symboliquesque Mbanza Congo. Est-ce un patrimoine national angolais? Ou doit-on plutôtconsidérer le lieu, à travers la figure de Kimpa Vita, comme faisant partie dupatrimoine de l’Église kimbanguiste basée à Nkamba ?

Il serait tentant de conclure que les nkambistes, en insistant sur la figure deKimpa Vita (en certaines occasions, ils montent des représentations de sonmartyre) et sa filiation avec Kimbangu et Nkamba, jouent une carte moins« angolaise » (et plus liée à la mémoire du Royaume du Kongo) que leursadversaires, les « 26 = 1 », qui ne se soucient guère de la connection entreKimpa Vita et Nkamba ou de la vie et des actes de la prophétesse. Mais cetteconclusion est trop rapide, dans la mesure où, comme les nkambistes l’affir-ment (et l’ont écrit dans des textes non publiés ayant circulé à Luanda), ce qu’ilsveulent souligner, ce n’est pas seulement que Kimpa Vita (dont ils espèrent inci-demment que la vie et le trépas pourra réveiller les sensibilités internatio-nales) était une ancêtre du fondateur de leur Église, mais aussi, et de manièreplus cruciale, qu’elle est née et morte dans l’actuel Angola, ce qui prouve quele kimbanguisme est en dernière analyse un phénomène angolais, et par consé-quent que les kimbanguistes nkambistes sont plus angolais que les autres.

Quoi qu’il en soit, les kimbanguistes des deux obédiences n’ont joué aucun rôle dans les cérémonies de la conférence de Mbanza Congo et dans lacandidature à l’Unesco qui a été, au fond, surtout suivie et contrôlée par legouvernement angolais. Jusque-là, la volonté des nkambistes de réhabiliterKimpa Vita est restée un vœu pieu, elle n’a pas obtenu de soutien national ou international et n’a pas d’infrastructure à mettre en avant. Mbanza Congoet sa martyre sont des points autour desquels peuvent s’articuler des luttes autourdes significations de l’histoire et du territoire, un espace historique centralque certains kimbanguistes veulent pour leur compte, que l’État réclame poursa part et, probablement, que des kimbanguistes non-Bakongo revendiquent

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aussi. Cet exemple est un cas paradigmatique des problèmes que peuventsusciter les tentatives pour créer un site classé par l’Unesco lorsque celui-ci esten réalité un lieu hautement contesté. L’avenir nous dira de quelle manière lanationalisation patrimoniale et l’internationalisation de ce site vont affecter lesperceptions locales de l’histoire et du lieu. Peut-être le manque d’intérêt portéà Kimpa Vita – et à Mbanza Congo – par les « 26 = 1 » doit-il alors être inter-prété comme une manière de ne pas se heurter aux intérêts du gouvernementangolais et par là, de gagner sa sympathie ?

Angolanité et religion congolaise dans l’espace public

Dans les récits qu’ils font, les Bakongo conçoivent volontiers une histoire etun espace kongo fondé sur le prédicat d’une « communauté imaginée » à baseethnique à cheval sur trois États postcoloniaux. Cette conception est pour lemoins dérangeante pour une vision nationaliste. Il ne fait aucun doute que lesBakongo ont participé à la formation de l’Angola contemporain ; mais la fiertéethnique avec laquelle ils expriment leur historicité (entre autres au sein del’Église kimbanguiste) peut facilement se heurter aux conceptions de l’identiténationale. Comme l’a indiqué ailleurs Mabeko-Tali, même de petites chosescomme les codes vestimentaires ou d’autres parties de l’habitus des Bakongoregressados entrent facilement en conflit avec des éléments plus hégémoniquesde l’« angolanité ». Le fait que les Bakongo soient étroitement liés à la RDCalimente en outre les stéréotypes à leur propos selon lesquels ils sont des étran-gers et qu’ils introduisent les pires aspects de la « tradition africaine » (« sorcel-lerie», tribalisme, corruption, etc.). Cela s’est traduit par des violences ethniqueset politiques, notamment lors de la tristement célèbre « chasse aux Zaïrois » quieut lieu en 1993 dans les rues de Luanda, au cours de laquelle de nombreux regres-sados furent brutalisés, voire tués23. À cette époque, comme l’a souligné Mabeko-Tali, les regressados étaient vus comme des supporters de l’Unita et, comme onl’a déjà dit, considérés comme les producteurs de « traditions africaines » indé-sirables. Dans la capitale angolaise aujourd’hui, il n’y a pas de lien visible entrele kimbanguisme et les partis politiques, mais l’Église kimbanguiste, comme toutce qui vient de la RDC, se situe au point critique où se croisent les conceptionsde l’« Angola », du « Kongo » et des « traditions africaines ».

Nous n’entendons pas établir un parallèle trop étroit ou un lien causal entrece qui s’est passé en 1993 et ce qui se déroule aujourd’hui, dans la mesure où

23. Voir J.-M. Mabeko-Tali, «La “chasse aux Zaïrois”…», art. cit. ; I. Brinkman, «Refugees on routes…»,comm. cit. ; et D. Péclard, «Religion and politics in Angola : the Church, the colonial state and the emer-gence of Angolan nationalism, 1940-1961 », Journal of Religion in Africa, vol. 28, n° 2, 1998, p. 160-186.

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les conditions matérielles sont très différentes, tout comme la structure de laviolence. Mais beaucoup de personnes interrogées font le lien elles-mêmes,comme si les événements de 1993 fournissaient un modèle pour penser cequi se passe aujourd’hui, ou comme si les deux épisodes étaient la manifes-tation d’un problème structurel dans la constitution de l’espace public, d’unetension entre africanité et angolanité, tension qui a suivi la formation del’Angola contemporain dans la guerre comme dans la paix. Si beaucoup deBakongo résident à Luanda et s’ils sont très présents aux plus hautes fonctionspolitiques et administratives, et si personne n’oserait dire qu’ils ne sont pasangolais, les Bakongo sont souvent dénoncés par les résidents de Luandacomme les promoteurs de multiples phénomènes en général associés à laRépublique démocratique du Congo : mouvements pentecôtistes, du « réveil »et prophétiques, affaires d’enfants-sorciers et Églises s’occupant spécifiquementde ce type de sorcellerie, sans parler des pratiques violentes qu’on leur prêteà l’égard des enfants, pour les « exorciser », ou d’autres graves accusationsencore (en particulier les abus sexuels que commettraient leurs pasteurs).Jusque-là, l’État a accepté toutes ces nouvelles formes religieuses (hormis lespratiques antisorcellerie, qui sont clandestines), mais il y a lieu de penser qu’àl’avenir beaucoup de ces institutions religieuses en provenance de RDC (etcertainement d’autres pays aussi) seront sujettes à un contrôle plus étroit.

Les kimbanguistes des deux camps savent bien que les autorités angolaisessont très sensibles au potentiel séparatiste ou aux tendances fédéralistes desBakongo, et regardent avec inquiétude les manifestations religieuses congolaisesdont on vient de parler. À notre avis, les deux groupes kimbanguistes deLuanda (les fidèles de Kisolokele à Golfe et ceux de Simon Kimbangu Kianganià Chicala) ont chacun compris que le meilleur moyen de délégitimer l’autre étaitde jouer sur cette sensibilité et sur ces représentations collectives de ce qui est« kongo » dans l’imaginaire national angolais. Ainsi, par exemple, des fidèlesde Kisolokele nous ont expliqué que la raison pour laquelle leurs rivaux restaientloyaux à Nkamba n’était pas seulement spirituelle, mais qu’ils visaient égale-ment, au travers de l’Église kimbanguiste, à créer un État kongo indépendantdans la veine de l’ancien royaume du Kongo. Ils accusent ainsi les membres deChicala d’être des « tribalistes », liés à des « étrangers » (lire : des Congolais), etnon des citoyens loyaux de l’État angolais, ce qu’eux disent être. On se rappelleraque les fidèles de Chicala eux aussi essaient de jouer une carte angolaise lors-qu’ils soulignent que Kimpa Vita était une aïeule angolaise de Kimbangu et doncque le kimbanguisme est, dans ses fondements, un mouvement angolais.

Les fidèles de Kisolokele à Golfe accusent aussi la paroisse de Chicala deramener en Angola des Bakongo de RDC de manière à renforcer leur petitecommunauté et la faire paraître plus importante que ce qu’elle est en réalité.

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Ces allégations peuvent amener les forces de sécurité à se « mettre au travail »,le régime se montrant aujourd’hui très strict au regard de l’immigrationclandestine 24 – et l’on peut supposer qu’il se montrera plus rude encore si larumeur suggère que cette immigration a des buts politiques ou « tribalistes ».

Ces accusations peuvent aller dans l’autre sens. Comme on l’a vu précé-demment, l’expulsion de Paul Kisolokele a été suscitée, entre autres, par desrumeurs selon lesquelles il introduisait d’anciens soldats de Mobutu dansl’Église kimbanguiste. Comme dans le cas du lien établi avec les « étrangers »,les adeptes de Chicala suivent un Congolais de Nkamba, mais ceux de Golfeen font autant, puisqu’ils se laissent conduire par Kisolokele, Congolais aussi,de Kinshasa. Tout se passe comme si chaque groupe kimbanguiste s’efforçaitde prouver (aux observateurs extérieurs, et probablement aussi à l’opinionpublique angolaise) que c’est l’autre qui est « congolais ». La violence a décruces derniers temps, mais des accusations mutuelles sont toujours formulées,au risque de renforcer le stigmate contre les Kongo dans une société angolaiseplurielle, et de créer une situation géopolitique complexe impliquant d’autresacteurs, ceux que le gouvernement congolais, les responsables de Nkamba etles contacts internationaux de Kimbangu Kiangani d’une part, et ses cousinsde l’autre, sont parvenus à activer. Quant aux fidèles kimbanguistes des deuxcôtés, ils « attendent et souffrent », comme ils le disent eux-mêmes, et commeSimon Kimbangu, leur ancêtre à tous, le fit en prison. Mais «attendre» est aussice que tout le monde semble faire à cette étape du jeu. Ce que nous ne savonspas, c’est ce que chacun attend ou espère qu’il se passe �

Ramon Sarró

Instituto de ciências sociais, Universidade de Lisboa

Ruy Blanes

Instituto de ciências sociais, Universidade de Lisboa

Fátima Viegas

Instituto nacional para os assuntos religiosos (Inar)

Universidade Agostinho Neto, Luanda

Traduction de Christine Deslaurier

24. Dans l’Operação Brilhante (« Opération Brillant »), entre 2004 et 2005, le gouvernement angolaisa ordonné l’identification et l’expulsion de plusieurs milliers de migrants illégaux (majoritairementbakongo) travaillant comme garimpeiros (creuseurs) dans les mines de diamants des régions deLunda Norte, Lunda Sul, Bié et Malanje, suspectés d’être impliquées dans un trafic illégal. Cette opération visait à « protéger » l’économie angolaise, et à réprimer une culture non angolaise trèsdynamique, de langue lingala. Voir Jornal de Angola (Luanda), 24 avril 2005.

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Kongo–Lisbonne : la dialectique ducentre et de la périphérie dans l'ÉglisekimbanguisteRamon Sarró a & Anne Mélice ba Institute of Social and Cultural Anthropology, University ofOxford, Oxford, UKb Laboratoire d'Anthropologie sociale et culturelle, Institutdes Sciences humaines et sociales, Université de Liège, Liège,BelgiqueVersion of record first published: 10 Dec 2012.

To cite this article: Ramon Sarró & Anne Mélice (2012): Kongo–Lisbonne : la dialectique du centreet de la périphérie dans l'Église kimbanguiste, Canadian Journal of African Studies/La Revuecanadienne des études africaines, 46:3, 411-427

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Kongo–Lisbonne : la dialectique du centre et de la peripherie dansl’Eglise kimbanguiste1

Ramon Sarroa* and Anne Meliceb

aInstitute of Social and Cultural Anthropology, University of Oxford, Oxford, UK; bLaboratoired’Anthropologie sociale et culturelle, Institut des Sciences humaines et sociales, Universite de Liege,Liege, Belgique

(Received 29 March 2011; final version received 11 February 2012)

ResumeEn 2009, lors de la visite du Pape enAngola, les Kimbanguistes portugais se sont preparesa recevoir Simon Kimbangu Kiangani, le chef spirituel de l’Eglise (qui vit en Republiquedemocratique du Congo). Selon les Kimbanguistes eux-memes, Lisbonne est aussimarginale pour l’Europe que Bethleem l’etait pour l’Empire romain ou que N’kambal’etait pour le Congo belge lorsque, respectivement, Jesus Christ et Simon Kimbangu sontnes. Bien qu’ils ne fassent pas de proselytisme actif et n’aient pas recours a des argumentsde «mission inversee », les Kimbanguistes maintiennent que l’Europe abrite un vastenombre de personnes «marginalisees » en quete d’une nouvelle spiritualite. Dans le cadred’une analyse de l’evenement de Lisbonne, dans cet article, nous discutons de ladialectique entre le « centre » et la « peripherie » (N’kamba et le Portugal) et suggerons quela religion kimbanguiste doit etre simultanement consideree comme un mecanisme graceauquel les Africains reaffirment une presence dans la diaspora et comme un moyend’orienter les efforts visant a renforcer leur centre spirituel en Afrique.

AbstractIn 2009, as the Pope visited Angola, the Portuguese Kimbanguists prepared themselvesto receive Simon Kimbangu Kiangani, the spiritual Chief of the Church (living in theDemocratic Republic of Congo). According to Kimbanguists themselves, Lisbon is asmarginal to Europe as Bethlehem was to the Roman Empire or N’kamba was to theBelgian Congo when, respectively, Jesus Christ and Simon Kimbangu were born.While they are not active proselytizers and do not use “reverse mission” arguments,Kimbanguists insist that Europe hosts a vast amount of “marginalized” people in needof a fresh spirituality. Analysing the Lisbon event, in this paper the authors discuss thedialectics between “centre” and “periphery” (N’kamba and Portugal) and suggest thatthe Kimbanguist religion must be simultaneously regarded as a mechanism by whichAfricans reaffirm a presence in the diaspora as well as being a means to orient effortsaimed at reinforcing their spiritual centre in Africa.

Mots-cle: religion; diaspora; transnationalisme; extraversion

Introduction

Le mouvement kimbanguiste est un mouvement prophetique emanant de la base, qui fut

initie par Simon Kimbangu (1887–1951), un ancien catechiste baptiste mukongo,

lorsqu’il realisa son premier miracle le 6 avril 1921, dans son village natal, N’kamba, situe

ISSN 0008-3968 print/ISSN 1923-3051 online

q 2012 Canadian Association of African Studies (CAAS)

http://dx.doi.org/10.1080/00083968.2012.739415

http://www.tandfonline.com

*Corresponding author. Email: [email protected]

Canadian Journal of African Studies / La Revue canadienne des etudes africaines

Vol. 46, No. 3, December 2012, 411–427

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au sud du Congo belge, dans le Bas-Congo.2 Parce qu’a l’epoque coloniale et

postcoloniale il fut etudie en profondeur par des chercheurs tels que Georges Balandier

(1955), Wyatt MacGaffey (1983), ou Susan Asch (1983), le kimbanguisme est souvent

invoque par les specialistes des religions africaines comme un exemple paradigmatique de

milliers de mouvements religieux qui emergerent dans ce que Balandier a appele “la

situation coloniale” (Balandier 1982[1955], 1995[1967]; cf. l’etude minutieuse des

mouvements prophetiques realisee par Barrett (1968); pour un examen du kimbanguisme

en contexte colonial, cf. Melice 2010).3 Aujourd’hui, bien plus qu’un mouvement

religieux, l’Eglise kimbanguiste (fondee en 1958) constitue une institution robuste de

dimension internationale, dont le nombre de fideles est difficile a determiner mais s’eleve a

plusieurs millions.4

Le kimbanguisme offre un bel exemple de la necessite d’etudier les religions

transnationales selon une approche nouant simultanement ce qui se passe en Afrique d’une

part, et dans la diaspora d’autre part. En privilegiant cette perspective duelle, nous

interrogerons dans cet article les liens entre la diaspora et le “centre”, en vue de montrer

comment la diaspora nourrit et renforce le centre situe en Afrique.

Dans le paysage religieux de l’Afrique actuelle, le kimbanguisme presente un

contraste prononce avec les autres conceptions africaines du christianisme, en particulier

avec celles des Eglises pentecotistes qui connaissent un essor en Afrique ainsi que, du

meme coup, dans les etudes africaines (Meyer 1998a; Fancello 2006; Kalu 2008; Marshall

2009).

Il n’est pas inutile de rappeler que la distinction tranchee entre Eglises prophetiques

(initialement labellisees comme des “Eglises independantes”)5 et Eglises neo-

pentecotistes s’est notamment appuyee sur un critere temporel: les premieres seraient

tournees vers le passe tandis que les secondes marqueraient une rupture avec le passe (cf.

la these fameuse de Birgit Meyer “break with the past”; Meyer 1998a, 1998b).

Au contraire, les Eglises “independantes”manifesteraient une orientation plus passeiste

(“backward orientation”; Meyer 1998b, 341, note 5), voire “nostalgique” (Meyer 1998b,

319). Aujourd’hui, les travaux consacres a cette question (Meyer 2004; Robbins 2007;

Mary 2008; Engelke 2010) tendent a relativiser l’idee d’une rupture avec le passe.

En somme, les discours exagereraient la rupture pretendue avec la tradition, laquelle

demeure presente au cœur de la chretiente pentecotiste: “Pentecostal-charismatic practice

ultimately affirms the impossibility for born-again Christians to escape from forces

grounded in and emanating from the local” (Meyer 2004, 457). Dans la meme perspective,

en 2008, Mary estime que “la transnationalisation des pentecotismes n’est pas synonyme

d’homogeneisation et de delocalisation des formes de religiosite: elle se traduit au

contraire par des formes d’indigenisation locales qui vont de pair avec la

reterritorialisation de l’identite religieuse, la reference a un lieu et l’attachement a

certains traits de l’identite ethnonationale . . . ” (Mary 2008: 15). En 2004, Meyer a mis en

outre l’accent sur les traits que partagent les Eglises “ independantes” et les Eglises

pentecotistes/charismatiques: l’importance de l’Esprit Saint, le prophetisme, la delivrance

des mauvais esprits, le parler en langues, la guerison par la priere. Plus pregnantes que les

differences, les ressemblances s’imposeraient des lors que, constate Meyer, “different

religions actually tend to adopt similar formats of public articulation and religious

mediation” (Meyer 2004, 467). La confrontation n’est pas close, et des recherches

complementaires s’imposeraient pour cerner davantage les marqueurs de ressemblance et

de dissemblance entre les neo-pentecotismes et les Eglises prophetiques.

Avec les Eglises neo-pentecotistes, le kimbanguisme partage la conception selon

laquelle nous sommes a “l’age de l’Esprit”, mais il se fait de la relation entre les humains

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et l’Esprit Saint une conception differente de celle du pentecotisme. Pour les

Kimbanguistes, l’Esprit Saint (le Paraclet promis par Jesus a ses fideles, selon l’Evangile

de Jean) s’est une premiere fois incarne en Simon Kimbangu, puis reincarne deux fois:

d’abord dans le fils cadet de Simon Kimbangu, Joseph Diangienda (1918–1992), et, plus

tard, dans Simon Kimbangu Kiangani, l’aıne des petits-fils de Simon Kimbangu, qui est

aujourd’hui le chef spirituel de l’Eglise et qui reside dans la Cite sainte de N’kamba –

Nouvelle Jerusalem (Melice 2009a).6

La conscience historique kimbanguiste, parce que fondee sur la continuite et sur la

reevaluation des evenements historiques, est egalement tres specifique et differente du

neo-pentecotisme, de meme qu’est differente la conception de l’africanite dans

l’imaginaire historique et geographique des Kimbanguistes. A plusieurs egards, comme

nous le montrerons dans cet article, le kimbanguisme peut etre interprete comme un

renversement ou une correction d’une comprehension fausse du christianisme apportee en

Afrique centrale par les Blancs, depuis la conquete portugaise au 15eme siecle.

La conscience historique et la connaissance des evenements du passe (tout a la fois les

evenements bibliques et ceux qui se rapportent a l’Histoire kongo) sont tres importantes

pour les Kimbanguistes. Depuis que Simon Kimbangu a prophetise en 1921 que “Les

Noirs deviendront Blancs et les Blancs deviendront Noirs” – c’est probablement la sa plus

celebre prophetie – le theme du renversement ou de la correction est devenu l’un des

themes predominants dans l’eschatologie et la theologie kimbanguistes.

L’etablissement du Royaume de Dieu, identifie a un retour a la purete des origines

(et donc a l’image d’une Afrique non corrompue), n’est pas simplement suspendu a une

attente: il requiert aussi une part importante de corrections operees par les hommes.

La plus importante de ces actions humaines s’est accomplie en 1992. Cette annee-la, le

chef spirituel de l’epoque, Joseph Diangienda, a donne l’ordre aux Kimbanguistes du

monde entier d’accomplir la ceremonie solennelle du “Pardon pour le peche d’Adam et

Eve”. L’idee sous-jacente a cette ceremonie etait que, comme Adam et Eve etaient

africains – ce dont les Kimbanguistes sont convaincus par la revelation, mais aussi par les

recentes decouvertes paleoanthropologiques – il revenait aux Africains de demander

pardon a Dieu pour le peche originel. Le pardon accorde par Dieu signifiait la victoire sur

Satan et preparait l’avenement du Royaume de Dieu (Melice 2001). Cette ceremonie eut

pour effet d’accroıtre l’interet des Kimbanguistes pour leurs racines africaines et pour la

consolidation materielle et spirituelle de N’kamba, le lieu ou tout (l’humanite, comme le

kimbanguisme) a commence et ou tout prendra fin. On pourrait analyser la doctrine

kimbanguiste comme un bricolage intellectuel, au sens – forge par Levi-Strauss

(1990[1962]) et developpe ensuite, dans le contexte de la chretiente africaine, par Andre

Mary (2000) – ou une origine perdue peut etre reactivee et ou une authenticite oubliee

peut etre constamment retrouvee. Le philosophe francais Jean-Francois Lyotard a suggere

que “ l’eschatologie reclame une archeologie. Ce cercle, qui est le cercle hermeneutique

aussi bien, caracterise l’historicite comme imaginaire moderne du temps” (Lyotard 1993,

91). C’est egalement a l’interieur de ce cercle hermeneutique et eschatologique que, nous

le verrons, il faut apprehender la relation entre le centre (N’kamba) et la peripherie

(le Portugal et la diaspora en general).

La frontiere kimbanguiste

En depit de sa dispersion, le kimbanguisme reste (et a bien egards, devient de plus en plus)

attache au continent africain, et a N’kamba en particulier. En fait, il serait bien difficile de

separer le kimbanguisme de l’histoire du peuple kongo et de la region ou il est apparu. On

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trouve indubitablement dans l’Eglise un discours universaliste: il s’agit d’une Eglise

chretienne, percue par ses fideles comme porteuse d’esperance pour l’humanite entiere et

non pas seulement pour les membres d’un groupe ethnique particulier. Il reste qu’on y

trouve egalement un discours ethniciste, du fait que l’Eglise s’inscrit dans une historicite

imaginaire kongo ainsi que dans une chaıne prophetique forgee dans la region kongo et

liee aux bouleversements et au destin tragique du royaume de Kongo. Certes, l’Eglise a,

depuis sa reconnaissance officielle en 1959, affirme a de nombreuses reprises son

universalisme et son incompatibilite avec toute forme de racisme (Diangienda Kuntima

1972; Martin 1981, 142–143; Asch 1986, 51–52). Un document plus recent confirme que

le projet universaliste reste intact: “[L’Eglise kimbanguiste] a une vocation

universelle . . . . Son champ evangelique est le Monde entier. Son siege spirituel est etabli

a N’kamba, Nouvelle Jerusalem”. Mais le texte continue de la sorte: “La mission [de

l’Eglise] est l’eveil et l’independance spirituels des populations noires pour leur

rehabilitation, [leur] bonheur sur terre et leur acces au Royaume celeste. L’Eglise

kimbanguiste a pour mission de reveler le sens des choses cachees de ce monde. Au temps

prevu, cet attribut de l’Eglise kimbanguiste fera d’elle l’Espoir du monde”.7 Ainsi, l’Eglise

est indubitablement destinee a tous, mais le Salut partirait des Africains et, plus

particulierement, comme le croient beaucoup de Kimbanguistes, des Bakongo, lesquels

constituent donc ce qu’on peut appeler, en termes dialectiques, un “universel singulier”.

Certains Kimbanguistes nous ont raconte que le kimbanguisme a pris naissance dans le

groupe ethnique kongo, qu’il a maintenant transcende, de la meme maniere que le

christianisme est ne parmi les Juifs pour transcender ensuite ces limites ethno-nationales.

D’autres, par contre, tiennent a souligner que l’Eglise est liee au groupe ethnique kongo et

que les fameuses propheties de Simon Kimbangu sur le roi et le Royaume a venir, ainsi que

sur un langage commun a l’humanite, se referent au royaume de Kongo et a la langue

kongo, le kikongo. Ces propheties auraient ete prononcees par Kimbangu juste avant son

arrestation par les Belges le 10 septembre 1921, a Mbanza-Nsanda, ainsi qu’en 1952,

lorsque Kimbangu (qui etait mort en prison en 1951) serait apparu post mortem a certains

de ses fideles a Lowa.

Les deux tendances (l’une “ethniciste centripete”, l’autre “universaliste” centrifuge)

adviennent simultanement, et doivent donc etre considerees inseparablement. Nina Glick-

Schiller et ses collaborateurs (Glick-Schiller et al. 2006) incitent a aller “au-dela de la

lentille ethnique” (“beyond the ethnic lens”) lorsqu’on etudie les Eglises et les groupes

migrants d’Afrique. Gerrie Ter Haar defendait deja le meme point de vue (1998). Il n’est

pas douteux que cette perspective puisse etre quelquefois feconde. Mais, a notre avis,

differentes lentilles sont necessaires a differents niveaux d’analyse. Nous y insistons, pour

comprendre le theologico-politique et l’eschatologie kimbanguistes et pour cerner la facon

dont l’Eglise s’articule elle-meme aujourd’hui sur les declarations attribuees a Simon

Kimbangu, il s’agirait d’analyser scrupuleusement la persistance des racines culturelles

dans l’Eglise, ainsi que le symbolisme theologique et politique que les Kimbanguistes

conferent a des notions pregnantes telles que les “trois Kongo”, particulierement

importantes dans leur liturgie, leur symbolisme et leurs discours eschatologiques.8

En tout cas, dans ce contexte-ci, l’“ethnicite” constitue une categorie analytique

inappropriee dans la mesure ou de nombreux chercheurs occidentaux en sciences sociales

ont tendance a ne considerer que la dimension d’exclusion qu’elle recele. Or, dans les

modes de pensee africains, l’ethnicite peut aussi comporter une dimension d’inclusion; par

exemple, les Baga d’Afrique de l’Ouest utilisent le concept de wubaka (“la personne

baga”) pour designer le peuple natif de la region ou ces paysans habitent, mais aussi

parfois pour designer les etres humains en general, independamment de l’endroit ou ils

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vivent et de leur couleur de peau (Sarro 2005). Comme certains anthropologues l’ont

suggere (Fardon 1987), lorsqu’on utilise un ethnonyme (qu’il soit Wubaka ou Mukongo),

on devrait chercher a apprehender ce que cette categorie signifie “du point de vue des

natifs”, et quelles ontologie et cosmologie la supportent. On devrait s’interdire d’accuser

d’“ethnicisme” les Kimbanguistes lorsqu’ils invoquent le reservoir culturel kongo pour

expliquer les racines et la signification de leur Eglise. En tant qu’anthropologues, il

convient plutot d’essayer de saisir ce qu’ils entendent, eux, par “Kongo” ou “Mukongo” et

de quelle facon, dans leur imaginaire religieux, ces concepts – comme beaucoup d’autres

– delimitent un champ theologique et eschatologique.

Plutot que l’“ethnicite”, nous invoquerons une categorie analytique, souvent utilisee

par les Africanistes pour thematiser la reproduction des groupes sociaux, celle de

“frontiere” au sens americain de frontier (une notion inclusive, qui ne doit pas etre

confondue avec celle de border, meme si ces deux notions sont traduites en francais par

“frontiere”). Cette notion d’“African frontier” fut d’abord avancee par Jack Goody (1977),

puis rendue fameuse par Igor Kopytoff (1987). Selon ces auteurs, les groupes sociaux,

culturels et politiques africains ne sont pas confines dans des limites (boundaries), mais

sont ouverts a des frontieres ( frontiers) inexplorees. Pour Goody, ces frontieres sont dans

un mouvement constant de flux et de reflux (“ebb-and-flow”): tantot incorporant, tantot

excluant des groupes voisins. En reprenant a Frederick Turner sa notion de frontiere

(Turner 1921), Kopytoff a elabore un modele complexe pour expliquer la reproduction des

societes africaines. Pour une societe etablie, avec un centre politique et une peripherie

inexploree (la frontier au sens americain du terme), la peripherie a la potentialite de

reproduire le cadre d’origine (en defrichant des terrains pour la chasse, l’agriculture et

l’elevage, en y construisant un village, etc.). Il arrive que des individus soient rejetes, selon

un mouvement centrifuge, depuis le centre vers la peripherie, et qu’ainsi structurellement

exclus de leur propre societe (en raison de scissions de lignages, d’accusations de

sorcellerie, de manque de ressources, etc.), ils creent dans ce nouveau cadre une nouvelle

collectivite politique plus ou moins semblable a celle du centre dont ils sont issus: on les

appelle des “ pionniers” ( frontiermen). Dans son livre tres important, Kopytoff et ses

collaborateurs donnent plusieurs exemples de la maniere dont les societes africaines sont

reproduites a leurs frontieres. Plus recemment, en continuant de s’inspirer du modele de

Kopytoff, Wilson Trajano-Filho (2009) a fait un pas de plus en donnant a voir un double

phenomene tres interessant. La ou l’on ne trouve pas de peripherie inexploree a

domestiquer (comme c’est le cas dans les ıles du Cap Vert, limitees par la mer), les gens

sont rejetes, non vers la frontiere territoriale, mais vers des destinations diasporiques (en

l’occurrence, l’Europe ou les Etats-Unis) ou, comme les autres frontiermen du monde

entier, ils tendent a reproduire leurs societes d’origine, quoique avec de fortes restrictions

imposees par leurs hotes euro-americains (qui ne les laissent pas reproduire leurs

communautes cap-verdiennes, mais les contraignent a une “integration” au sein de la

societe). Des lors, la diaspora ne reproduit pas les communautes cap-verdiennes de

maniere centrifuge en direction des nouvelles diasporas, mais de maniere centripete, vers

le centre. Dans les ıles dont les migrants sont issus, les communautes originelles se

trouvent renforcees et – comme l’a tres bien montre Trajano-Filho – retraditionalisees

grace a l’argent et aux activites culturelles organisees dans les villages par les migrants

vivant a l’etranger. Ceux-ci organisent des competitions et des fetes aux allures de potlach

dans leurs villages d’origine.

Cette transformation du “centre” originel en une nouvelle frontiere a explorer et a

“reinvestir” par sa propre diaspora, que Trajano-Filho a etudiee au Cap Vert, est semblable

a ce qu’on observe dans l’Eglise kimbanguiste de la Republique democratique du Congo et

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dans ses diasporas. On retrouve dans le kimbanguisme un mouvement de flux et de reflux

analogue a celui par lequel Goody decrit les fluctuations des frontieres des Mamprusi au

nord du Ghana (Goody 1977), ainsi qu’un effet en retour produit par les diasporas en

direction du centre similaire a celui constate par Trajano-Filho dans les communautes cap-

verdiennes. Depuis plusieurs decennies, le kimbanguisme s’est etendu de maniere

centrifuge a travers le monde. Comme nous l’avons mentionne dans la note 4, on trouve

aujourd’hui des paroisses kimbanguistes dans plusieurs pays europeens et americains, en

Australie, ainsi qu’en Chine. Cependant, cette tendance centrifuge semble s’etre tarie et

meme s’etre renversee. Les Kimbanguistes repetent avec insistance que leur Eglise est

“l’espoir du monde” et qu’a l’avenir, le monde entier sera kimbanguiste. Toutefois, les

pratiques et les discours missionnaires semblent moins presents dans les discours, dans les

pratiques et dans les croyances eschatologiques que le souci du centre – la cite de

N’kamba – qu’ils tentent par tous les moyens de renforcer et de legitimer. En net contraste

avec le caractere centrifuge des diasporas, les membres de l’Eglise sont incites a adopter

un ethos plus centripete: etre tournes vers N’kamba, construire N’kamba, aller aussi

souvent que possible a N’kamba et se preparer spirituellement et economiquement a un

futur (reel ou eschatologique) qui verra tous les Kimbanguistes vivre a N’kamba. Cette

tension entre tendances centrifuges et centripetes etait tres palpable en 2009, quand les

Kimbanguistes d’Europe ont commence a preparer Noel, une fete religieuse que les

Kimbanguistes celebrent le 25 mai.

Portugal: de la marge au centre

Simon Kimbangu Kiangani (ne en 1951), le petit-fils de Simon Kimbangu et le chef

spirituel de l’Eglise kimbanguiste depuis 2001, etait attendu a Lisbonne le 25 mai 2009. Sa

venue en provenance de N’kamba, la cite sainte du kimbanguisme, fut annoncee a toute la

communaute kimbanguiste d’Europe. Le 17 mai, le dimanche precedant la date de son

arrivee, l’un des auteurs de cet article participait a un culte kimbanguiste dans une paroisse

de Paris. Un theologien de l’Universite Simon Kimbangu de Kinshasa etait present et

annonca que dix personnes de la Republique democratique du Congo, dix personnes de la

Republique du Congo et dix personnes de l’Angola (les “trois Kongo”, comme on a

l’habitude de les appeler dans l’Eglise) avaient ete choisies pour accompagner Simon

Kimbangu Kiangani lors de son tout premier voyage en Europe.

Quelques mois auparavant, en janvier 2009, Simon Kimbangu Kiangani s’est entretenu

au telephone avec les pasteurs de l’Eglise kimbanguiste de Lisbonne. Au cours de cette

conversation, il se dit d’accord de venir le 25 mai, mais il apporta ce correctif: “Ce n’est pas

Simon Kimbangu qui viendra a Lisbonne; c’est le Kongo qui viendra a Lisbonne.” Il

signifiait par la qu’il ne pouvait pas venir seul, mais accompagne d’une delegation de trente

personnes issues des “trois Kongo”, un concept pregnant dans l’Eglise, nous l’avons vu.

Comprendre les raisons de la venue de Simon Kimbangu Kiangani a Lisbonne

demande quelques indications prealables. La communaute kimbanguiste de Lisbonne

consiste en un tout petit groupe d’environ 60 a 70 individus, dont la plupart vivent dans des

banlieues pauvres de la zone metropolitaine du Grand Lisbonne. Tous sont originaires ou

bien d’Angola, ou bien de la Republique democratique du Congo, meme si certains jeunes

sont nes au Portugal. En septembre 2008, les Kimbanguistes sont intervenus dans un

conflit “racial” a Quinta da Fonte, la banlieue tres pauvre et problematique de la zone

metropolitaine du Grand Lisbonne, ou leur eglise se trouve et ou vivent un grand nombre

d’entre eux. Parce que les Kimbanguistes avaient agi en mediateurs dans un conflit lie a de

violents problemes de “race” et de drogue, les pouvoirs locaux inviterent, en octobre 2008,

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l’Eglise kimbanguiste a participer a un programme-pilote, mis en place par le Ministre de

l’Interieur et intitule le “Contrat local de securite”. Ce contrat etait cosigne par l’Etat et par

des partenaires locaux, en l’occurrence des associations, des ecoles, des Eglises

chretiennes, une communaute musulmane et des conseils locaux. Une fois integres dans ce

contrat de partenariat, les Kimbanguistes furent invites a organiser plusieurs evenements

destines a promouvoir une cohabitation paisible. Outre ces evenements, ils declarerent aux

autorites qu’ils souhaitaient celebrer une grande fete de Noel le 25 mai 2009. Selon les

Kimbanguistes, la naissance de Jesus n’eut pas lieu un 25 decembre, mais un 25 mai, date

de l’anniversaire de Salomon Dialungana Kiangani, le deuxieme fils de Kimbangu,

identifie a Jesus-Christ.9 Le gouvernement accepta la proposition (meme s’il demanda

aussi aux Kimbanguistes d’organiser l’habituelle fete de Noel en decembre, ce qu’ils

firent) et il accorda donc aux Kimbanguistes de celebrer Noel le 25 mai. Il promit meme

d’apporter a l’organisation une aide logistique (et a un moindre degre, une aide financiere),

ce qu’il fit. Tout d’abord, une tres belle residence fut choisie a l’intention de Simon

Kimbangu Kiangani et de sa delegation durant leur sejour a Lisbonne, mais finalement

cette possibilite fut annulee (etant donne que la residence se trouvait dans le district

d’Odivelas, et qu’Odivelas n’etait pas un partenaire du Contrat local de securite). On

s’accorda alors pour qu’il sejourne dans un hotel, aux frais de l’administration locale de

Loures (le district dont fait partie Quinta da Fonte).

Nous avons apporte ces precisions relatives a la residence et les problemes qui en ont

resulte pour attester avec quel serieux tout le monde prepara la visite du chef. Deja en

decembre 2008, la nouvelle circulait chez les Kimbanguistes d’Europe que les

Kimbanguistes de Lisbonne devaient celebrer une grande ceremonie de Noel le 25 mai

2009 et que Simon Kimbangu Kiangani lui-meme allait etre present. Quelques mois

auparavant, on pouvait sentir monter l’excitation de nos amis kimbanguistes a Lisbonne, a

Bruxelles et dans les autres capitales europeennes que nous avons visitees a cette epoque.

Alors que les Kimbanguistes de Lisbonne avaient tout prepare, a la derniere minute

l’Eglise annula le voyage prevu, et ni Simon Kimbangu Kiangani, ni personne d’autre ne

vint de N’kamba a Lisbonne. Toutefois, cela ne dissuada pas un nombre eleve de

Kimbanguistes de toute l’Europe d’affluer et de se rassembler a Lisbonne. Si nombre

d’entre eux vinrent parce qu’ils pensaient que Simon Kimbangu Kiangani serait present,

d’autres vinrent alors meme qu’ils savaient qu’il ne serait pas la. Ceux-ci avaient deja

organise leur voyage et savaient qu’en tout etat de cause, avec ou sans Simon Kimbangu

Kiangani, une forte concentration de Kimbanguistes aurait lieu a Lisbonne. Lorsque le

vendredi 22 mai, ils apprirent que Simon Kimbangu Kiangani ne serait pas a Lisbonne, des

personnes d’autres paroisses europeennes furent tentees d’annuler leur voyage, mais le

chef spirituel lui-meme donna clairement l’ordre aux Kimbanguistes europeens de se

rendre a Lisbonne pour y celebrer Noel, meme si lui-meme ne s’y rendrait pas en personne.

Pourquoi Simon Kimbangu Kiangani ne se rendit-il pas a Lisbonne? On avance

differentes explications. Certaines personnes nous ont dit que lui (ou des membres de sa

delegation) n’avait pu obtenir a Kinshasa un visa d’entree au Portugal. D’autres nous ont

dit qu’il ne voulait pas quitter la ville de N’kamba a un moment ou l’Eglise traversait une

crise interne profonde. En effet, l’Eglise en Afrique etait divisee en deux camps

correspondant a des conceptions tres divergentes du pouvoir: l’un fidele a Simon

Kimbangu Kiangani, l’autre non (sur cette crise, cf. Sarro, Blanes and Viegas 2009).

D’autres encore ont pretendu que le gouvernement portugais etait incapable d’assurer des

mesures de securite. D’autres enfin nous dirent qu’il etait trop occupe a N’kamba. La verite

consiste probablement dans une combinaison de ces facteurs (et d’autres). Mais la

deception que son absence aurait pu produire fut en fait limitee. Premierement, parce que

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la reunion d’autant de Kimbanguistes fut en elle-meme suffisamment positive, meme en

l’absence physique du chef. Comme quelqu’un nous l’a dit: “l’important est qu’il soit ici

avec nous en esprit”. Deuxiemement, parce qu’il envoya sa sœur classificatoire (Marie

Mwilu Diangienda, la fille de Joseph Diangienda) pour le representer. Comme elle est une

descendante directe de Simon Kimbangu, les Kimbanguistes la considerent comme un

personnage fortement charismatique. Beaucoup profiterent de sa presence pour obtenir

d’elle des benedictions et des guerisons spirituelles, ce qu’elle accorda sous forme de

prieres et par des aspersions d’eau benite de N’kamba sur les fideles.

Lisbonne: lieu de memoire de l’esclavage

La celebration de Noel eut lieu dans un vaste complexe sportif a Loures (Grand Lisbonne)

les 24 et 25 mai, et, malgre l’absence de Simon Kimbangu Kiangani, elle rassembla plus

de 2000 Kimbanguistes de toute l’Europe (un seul Kimbanguiste vint d’Afrique, en depit

de la promesse faite une semaine plus tot). Deux jours auparavant, le samedi 23,

l’ensemble de la communaute kimbanguiste organisa a Lisbonne un enorme defile de la

fanfare, qui partit de la Praca do Rossio, au centre de la ville, et s’acheva sur la Praca do

Comercio, pres du fleuve, le Tage. Le 25 mai, jour de Noel, Marie Mwilu Kiangani

prononca un long discours en lingala, dans lequel elle proclama solennellement, au nom de

Simon Kimbangu Kiangani, deux nouveaux dogmes de l’Eglise kimbanguiste:

(1) Que Salomon Dialungana Kiangani (le deuxieme fils de Simon Kimbangu et le

pere de Simon Kimbangu Kiangani) est Jesus-Christ ne en Afrique (“Dieu est noir

et Jesus-Christ est africain”, dit-elle en francais).10

(2) Que Notre Dame de Fatima (laquelle, croient de nombreux Catholiques, apparut a

trois petits enfants au Portugal en 1917 et constitue l’un des symboles majeurs du

catholicisme portugais) etait en realite Marie Mwilu (l’epouse de Simon

Kimbangu), une figure feminine qui a pris une importance accrue dans l’Eglise, et

dont le jubilee coıncida avec l’annee 2009 (elle etait morte le 27 avril 1959, huit

ans apres son mari). C’est dire que l’identification entre ces deux figures, celle de

Marie Mwilu et celle de la Vierge Marie, n’etait pas nouvelle. L’un de nous

(Melice) l’avait constate depuis 1996, et il est logique de penser que si Marie

Mwilu est la mere de Dialungana et que Dialungana est Jesus-Christ, il en resulte

que Marie Mwilu doit etre la mere de Jesus-Christ. Aussi le caractere solennel de

la declaration, l’endroit ou elle eut lieu (un pays tres marque par le culte marial) et

le fait qu’elle ait ete proclamee au nom de Simon Kimbangu Kiangani, tout cela

donne a cette declaration la consistance d’un moment historique exceptionnel.

Quand Marie Mwilu Diangienda fit ces declarations, toute la communaute

kimbanguiste presente poussa des cris d’enthousiasme, et l’un des pasteurs portugais dit

publiquement: “Cessez de dire que c’est votre opinion que Dialungana est Jesus-Christ ou

que Notre Dame de Fatima est Marie Mwilu; ce n’est plus votre opinion, c’est l’opinion de

l’Eglise kimbanguiste.” La chose merite qu’on s’y arrete: depuis plusieurs annees deja,

nous avions observe ces identifications (Dialungana ¼ Jesus-Christ; Notre Dame de

Fatima ¼ Marie Mwilu), mais, jusque-la, elles constituaient de simples opinions.

Desormais, depuis le 25 mai 2009, elles furent erigees en dogmes officiels de l’Eglise,

proclames solennellement a Lisbonne au nom de Simon Kimbangu Kiangani.

Outre ces declarations, Marie Mwilu Diangienda affirma que le Portugal avait ete le

premier pays choisi pour une visite de Simon Kimbangu Kiangani en personne (meme si

cette visite n’eut pas lieu) parce que le Portugal avait joue un role tres important dans

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l’histoire, dit-elle, de “Kongo avec K”. Ce role fut double: d’une part, les Portugais avaient

ete parmi les agents de la mise a mort de Kimpa Vita, la prophetesse brulee vivante en

1706 et devenue un symbole tres important pour la conscience ethnique et historique

kongo (avec k). D’autre part, les Portugais etaient, declara-t-elle aussi, le premier peuple a

acheter des esclaves au Kongo et a les exporter de la cote d’Afrique vers la Praca do

Comercio de Lisbonne, ou, precisement, la communaute kimbanguiste avait joue de la

musique et accompli une marche de plusieurs heures, deux jours auparavant. C’est sur la

Praca do Comercio, dit-elle, que, dans le passe, les esclaves etaient vendus (“ Praca do

Comercio” signifie “Place du Commerce”). Quelques semaines apres l’evenement, un film

consacre a la marche de Lisbonne figurait sur YouTube et annoncait en francais que la

marche avait eu lieu sur la “Praca do Comercio des esclaves”.11

Il n’est pas insignifiant que ces declarations aient ete faites en presence du Ministre de

l’Interieur et du Gouverneur de Lisbonne (ainsi que d’autres autorites locales) qui, de

maniere plutot inattendue, assisterent a titre personnel au rassemblement du 25 mai pour

remercier les Kimbanguistes de leur participation au Contrat local de securite et pour

presenter leurs hommages a Madame Marie Mwilu Diangienda et, par son entremise, a

Simon Kimbangu Kiangani. Il s’agissait la d’une visite non-officielle d’un ministre et d’un

gouverneur socialistes a un culte religieux. Au grand depit des Kimbanguistes, la presse

portugaise n’etait pas presente pour rendre compte de la visite du ministre et du

gouverneur, precisement parce que ceux-ci avaient veille a ne prevenir aucun journaliste

de leur projet de visite non-officielle. La visite de ces hommes politiques a un

rassemblement religieux pouvait etre (et a d’ailleurs ete) interpretee de differentes

manieres par les observateurs, kimbanguistes ou non. Mais pour l’Eglise, elle constitua

indubitablement un motif de fierte, car il est tres rare que des hommes politiques rendent

visite a des cultes de migrants.

Un historien kimbanguiste interroge a Lisbonne nous a dit: “Le Portugal a ete choisi en

premier lieu [pour la visite de Simon Kimbangu Kiangani] parce qu’il reste lie par un

‘cordon ombilical’ avec Kongo, en raison de l’histoire de Kimpa Vita”. Kimpa Vita etait

cette prophetesse kongo condamnee a mort en 1706, et dont la condamnation peut etre

interpretee comme le point culminant d’un enchaınement de sevices accomplis par les

Occidentaux depuis que les Portugais etaient entres en contact avec les rois de Kongo deux

siecles avant la mise a mort de Kimpa Vita. La metaphore du “cordon ombilical” peut

sembler difficile a apprehender ici, mais elle souligne clairement que le Portugal, aussi

marginal qu’il soit aujourd’hui tant pour les Europeens que pour les Africains, occupe une

position centrale dans l’imaginaire geographique et mythique kongo. En fait, le terme

“Portugal” renvoie etymologiquement, selon plusieurs de nos interlocuteurs, au terme

kongoMputu, une categorie geographique floue qui se refere tout a la fois a l’Europe et au

pays des Blancs en general et dont la signification cosmologique a ete degagee par

l’anthropologue MacGaffey, lequel a avance que, a l’epoque coloniale encore,Mputu etait

utilise pour designer, non seulement l’Europe ou l’Amerique, mais aussi “le monde des

morts” (MacGaffey 1972, 1992).

Meme si Simon Kimbangu Kiangani ne vint pas a l’epoque a Lisbonne, on pourrait

interpreter la visite qu’il avait projetee (et celle de “Kongo”) comme un travail de

reecriture, ou de correction, de l’Histoire, consistant a donner de nouvelles significations a

des dates, des evenements et des lieux emblematiques. Premierement, les Kimbanguistes

deplacent le jour de Noel du 25 decembre au 25 mai. Deuxiemement, ils transposent les

dimensions divines de Notre Dame de Fatima a Marie Mwilu. Troisiemement, ils

transferent le flux humain entre le Congo et le Portugal, de l’epoque de la traite des

esclaves – quand les Europeens quitterent le Portugal pour introduire un christianisme

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falsifie dans le royaume de Kongo – sur le flux contemporain des Kimbanguistes (et, dans

une certaine mesure, de Simon Kimbangu Kiangani) venus en Europe rappeler aux

Europeens la verite spirituelle du message chretien (a peu pres au moment ou le Pape se

rend en Afrique). Quatriemement, ils corrigent l’image de Jesus-Christ lui-meme, en le

nouant genealogiquement a des racines africaines. Jesus-Christ est tout a la fois le fils de

Simon Kimbangu (en la personne de Salomon Dialungana Kiangani) et le pere de Simon

Kimbangu (Salomon Dialungana Kiangani etait le pere de Simon Kimbangu Kiangani).

Toutes ces declarations constituent une part de ce qu’on appelle “la revelation des choses

cachees” (le nom “ Kimbangu” signifie, selon les Kimbanguistes, “le revelateur des choses

cachees”) que le kimbanguisme est occupe a realiser progressivement (parfois, nous

l’avons dit, avec une feroce opposition de la part des Eglises chretiennes etablies) comme

un processus menant a l’instauration du royaume de Dieu. “Un jour”, nous dit un

Kimbanguiste le 26 mai, tout juste apres la celebration de Noel, “les Kimbanguistes

ecriront la troisieme partie de la Bible: les actes de Simon Kimbangu. Il serait impossible

de les consigner tous par ecrit. Aussi devrons-nous etre tres selectifs, mais vous pouvez

etre sur que ce qui est arrive a Lisbonne et les choses que Maman Diangienda a annoncees

ici au Monde constitueront certainement une partie du livre.” Et il ajouta, avec un melange

de tristesse et de colere: “Ce qu’elle a dit est tres important. C’est seulement parce qu’on

est au Portugal qu’aucun journaliste n’est venu ecouter ni enregistrer ce qu’elle a dit. Dans

quel pays developpe un Ministre de l’Interieur irait-il quelque part sans qu’aucun

journaliste ne le suive?”

Les declarations de Lisbonne etaient aussi une maniere d’utiliser la diaspora

kimbanguiste et le monde occidental (a partir d’un lieu “liminal” deMputu/Portugal) pour

renforcer en Afrique (particulierement dans les deux Republiques du Congo et en Angola)

la structure et la legitimite de l’Eglise en un temps de crise. Cette “extraversion” reli-

gieuse, pour reprendre la notion ici pertinente de Jean-Francois Bayart (Bayart 2000),

contraste avec le voyage que le Pape de l’Eglise catholique romaine Benoıt XVI accomplit

en Angola, deux mois a peine avant la visite de Simon Kimbangu Kiangani en Europe –

un voyage tres severement critique par certains Kimbanguistes, notamment parce que le

Pape n’avait pas demande pardon pour les humiliations que l’Eglise catholique avait fait

subir aux Africains a travers les siecles, et, plus specialement, parce qu’il n’avait rien dit

de la mort inquisitoriale de Kimpa Vita en 1706. En fait, le Pape n’avait meme pas visite

Mbanza Kongo, la ville ou elle naquit et qui fut la capitale du royaume de Kongo, un

royaume dont l’Eglise kimbanguiste peut, a plusieurs egards, apparaıtre comme une

continuation.

La doctrine de la marge exemplaire

“Dieu choisit toujours ceux qui sont en position de la plus grande faiblesse”, nous dit un

pasteur kimbanguiste a Lisbonne. En fait, les Kimbanguistes developpent ce que l’on

pourrait decrire comme une “theologie des marges”, et ils comparent souvent dans leurs

predications et dans leurs conversations la situation marginale de Nazareth ou de Bethleem

par rapport a l’Empire romain, a celle de N’kamba (ou Kimbangu naquit en 1887) par

rapport a la metropole belge coloniale. La regeneration spirituelle tant de Rome que de la

Belgique serait venue de lieux marginaux, comme, aujourd’hui, selon plusieurs de nos

interlocuteurs, la regeneration de l’Europe devrait venir d’un lieu marginal, Quinta da

Fonte, situe dans un pays europeen marginal.

Bien qu’ils ne soient pas d’actifs proselytes et n’argumentent pas volontiers en termes

de “mission retournee” (reverse mission), les Kimbanguistes considerent en general qu’on

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trouve en Europe des gens marginalises qui ont besoin d’une nouvelle spiritualite qu’ils

pensent pouvoir leur apporter, comme c’est le cas de la plupart des habitants de la banlieue

plutot marginale ou ils sont installes a Lisbonne. Comme les anthropologues le savent

depuis l’epoque de Victor Turner et Mary Douglas, les marges recelent aussi une forte

potentialite de renouvellement et de regeneration. Cette potentialite, les Kimbanguistes

s’en reclament dans leurs discours et dans leurs pratiques pour conceptualiser leur

agenceite dans le monde et pour s’inscrire eux-memes au centre d’une nouvelle

comprehension de l’Histoire et de la geographie.

Conclusion

Cette etude du cas portugais nous montre, de maniere presque paradigmatique, la tension

existant dans les discours et dans les pratiques kimbanguistes entre les mouvements

centripetes et les mouvements centrifuges. Les evenements envisages dans cet article ont

eu lieu dans la diaspora kimbanguiste, mais, dans l’ensemble, ils ont renforce l’idee que

l’Eglise tout entiere depend tres strictement du centre situe a N’kamba. Ils nous ont montre

la capacite que possedent les marges de renforcer le centre. Les Kimbanguistes ont etabli a

Lisbonne un cadre social qui, a bien des egards, leur rappelle les conditions originaires de

l’Eglise dans le Congo colonial et, plus tard, dans l’Angola colonial: communautes

marginalisees, problemes sociaux, problemes de sante (les Kimbanguistes prient beaucoup

pour les malades, y compris pour leurs voisins en detresse affective et spirituelle,

independamment de l’appartenance ethnique ou religieuse de ceux-ci) et sentiment

general de “crise” renforce aujourd’hui par la crise economique globale qui frappe

gravement les communautes de migrants (a Lisbonne, la plupart des hommes

kimbanguistes travaillent dans la construction ou sont frequemment sans emploi). Les

Kimbanguistes ont aussi eprouve a Lisbonne un sentiment de “desagregation” sociale

forcee, en particulier a la fin des annees 1990, parce que leur lieu de culte initial dans le

quartier de Prior Velho fut demoli en 1996 (quand on a construit a Lisbonne le nouveau

pont sur le Tage) et qu’ils ont du negocier avec les autorites locales pour qu’il soit

reconstruit dans les environs de Quinta da Fonte. Les recits oraux et les archives

manifestent souvent qu’avant le demantelement de leur lieu de culte a Prior Velho, les

membres de l’Eglise avaient fortement le sentiment de leur unite, de constituer un kintuadi

(comme on dit en kikongo),12 qui les a aides a surmonter les jours difficiles. Ce sentiment

demeure encore tres vivace aujourd’hui et joue un role structurant pour la petite

communaute kimbanguiste portugaise, qu’envient d’autres communautes kimbanguistes

europeennes.

Les evenements commentes dans cet article ont egalement renforce une idee cruciale

dans l’ethos kimbanguiste: l’idee d’“exemple”. Contrairement a d’autres groupes

religieux qui se sont deployes a travers des techniques proselytes actives, parfois meme

agressives, les Kimbanguistes sont tres prudents dans leur maniere d’approcher ceux qui

ne partagent pas leurs croyances. Meme les Kimbanguistes les plus fondamentalistes,

convaincus de posseder la verite, restent tres respectueux des croyances des autres et

laissent quiconque libre d’assister a leurs cultes, fut-ce a plusieurs reprises, sans lui

demander de se convertir. Etre un Kimbanguiste est tres difficile. Les Kimbanguistes

suivent un code comportemental strict, facilement perceptible dans leur attitude corporelle

et leur rapport serein au monde. Leur espoir est qu’en agissant de la sorte, on s’interesse a

eux. Ils desapprouvent la notion de “mission” en raison de ses connotations coloniales,

meme s’ils sont convaincus que leur role est en fait de convertir le monde entier

(“Kimbanguisme: Espoir du monde, Eglise universelle” constitue leur slogan). Mais cette

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conversion doit se produire “de bas en haut” ( from the bottom up) et ne pas etre imposee

“de haut en bas” (top to bottom): les gens doivent les observer, les analyser et se

convaincre eux-memes qu’il y a quelque chose de specifique aux Kimbanguistes.

Les evenements qui ont eu lieu au Portugal ont montre aux Kimbanguistes d’Europe que

ce mode d’action est fructueux. En etant la, simplement, et en etant de bons voisins, les

Kimbanguistes du Portugal ont ete invites a participer au Contrat local de securite evoque

plus haut. Et en accomplissant avec succes la fete de Noel, ils ont montre aux Kimbanguistes

des autres capitales europeennes que le Portugal est un exemple a suivre. Si Clifford Geertz

(1980) a montre l’importance du “centre exemplaire” (exemplary centre) pour la vie

religieuse, nous pouvons ajouter que, dans de nombreux cas dumoins, avoir des “peripheries

exemplaires” est tout autant important. Les materiaux traites dans cet article nous montrent

l’interet qu’il y a a analyser les dialectiques et les renforcements mutuels entre centre et

peripherie. Alors que l’absence de Simon Kimbangu Kiangani a Lisbonne peut etre

interpretee comme une facon de rappeler a ses fideles que l’essentiel c’est N’kamba,

l’evenement considere en totalite nous montre aussi que dans le monde actuel, N’kamba

depend egalement du controle serre qu’il exerce sur le bon comportement de sa peripherie.

Notes

1. Cet article reprend pour une large part le texte (Sarro & Melice 2010) que nous avons publie enanglais dans un outrage collectif (Fancello & Mary 2010). Nous remercions Sandra Fancello etAndre Mary de nous avoir permis d’utiliser le texte publie dans leur ouvrage.

2. Le kimbanguisme doit etre apprehende comme un anneau dans la chaıne prophetique initieedans l’ancien royaume de Kongo au 17eme siecle, sinon bien avant. La premiere activiteprophetique d’orientation chretienne recensee dans le royaume de Kongo date de 1632, a traversla figure de Francisco Kassola (Cassola), suivie, en 1704, de celle de la prophetesse Mafuta ouMaffuta, encore denommee Fumaria ou Apollonia. La plus celebre et la plus influente desfigures prophetiques est sans conteste Kimpa Vita ou Dona Beatrice, dont les activitess’etendirent entre 1704 et 1706. Elle fut surnommee la “Jeanne d’Arc congolaise” parce qu’ellefinit executee sur un bucher (Andersson 1958; Jadin 1961; Balandier 1965; Barrett 1968;Randles 1968; Sinda 1972; Baba Kake 1976; Thornton 1983, 1998; MacGaffey 1986;de Heusch 2000).

3. Apres deux longues decennies d’une absence quasi totale de publications, apres les travauxmajeurs de MacGaffey et de Asch mentionnes plus haut, la litterature sur le kimbanguisme(et ses diasporas) produite par des chercheurs en sciences sociales a connu, avec l’avenement dunouveau millenaire, un nouvel elan. Cf. entre autres travaux, Eade et Garbin (2007), Garbin(2009, 2010), Gampiot (2008, 2010), Melice (2001, 2002, 2006, 2009a, 2009b, 2010), Poll(2008), Sarro, Blanes et Viegas (2008), Sarro et Blanes (2009), Sarro et Melice (2010), Sarro etSantos (2011).

4. 4 La majorite des Kimbanguistes resident aujourd’hui dans les trois pays ou le kimbanguismeconnut son expansion a l’epoque coloniale, en l’occurrence la Republique democratique duCongo, la Republique du Congo et l’Angola. Mais on trouve egalement des paroisseskimbanguistes dans plusieurs autres pays en Afrique (Burundi, Cameroun, Cote d’Ivoire, Benin,Gabon, Kenya, Rwanda, Madagascar, Nigeria, Republique centrafricaine, Senegal et Zambie),en Europe (Allemagne, Angleterre, Belgique, Finlande, France, Irlande, Italie, Pays-Bas,Portugal, Suede et Suisse), en Amerique (Etats-Unis, Canada et Bresil), en Australie et en Chine.

5. L’appellation d’“African Independent Churches”, initiee par Bengt Sundkler (1948), a faitl’objet de reformulations successives qui conservent le sigle AIC. Les “African IndependentChurches” ont ete designees sous le nom d’“African Indigenous Churches” en 1981 sous laplume de Kofi Appiah-Kubi (1981). Elles ont ensuite ete denommees “African InitiatedChurches”, dans le sillage, rapporte Adrian Hastings (2000, 32), de la conference organisee, en1968, par David Barrett a Nairobi et consacree aux “African Initiatives in Religion”; en 2001,Allan Anderson use encore de cette expression (2001a, 2001b). Aussi ont-elles pris le nom,aujourd’hui tres repandu, d’“African Instituted Churches”, qui est celui de l’organisationinternationale qui les federe, The Organization of African Instituted Churches (OAIC), creee

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depuis 1978 et dotee d’une constitution en 1982. Enfin, depuis 2000, Gerrie Ter Haar (2000,2001, 42) preconise qu’on les appelle des “African International Churches”. Le coupleterminologique “African” et “International” permettrait notamment de maintenir la reference al’origine africaine de ces Eglises, sans ignorer leur insertion dans “la tradition chretienneuniverselle” (Ter Haar 2001, 42; Ter Haar 2008, 39; nous traduisons). Enfin, depuis quelquesannees, des chercheurs ont tendu a designer les Eglises “independantes” comme des“prophetismes (notamment Dozon 1995) ou des “Eglises prophetiques” (notamment de Surgy2001; Tonda 2002; Mary et Fourchard 2005; Mary 2009). En 2009, Ramon Sarro et Ruy Blanesont considere explicitement l’Eglise kimbanguiste elle-meme (EJCSK) comme une “Egliseprophetique”: en depit du fait qu’on peut considerer que l’Eglise kimbanguiste a pris, en termesweberiens, une “forme routinisee”, il reste qu’une distinction trop nette entre “charisme etroutine”, ou entre “mouvement et Eglise” n’est pas eclairante aux yeux de Sarro et Blanes. Ilsestiment que l’Eglise kimbanguiste a maintenu en son sein une dimension prophetique, quireside dans “le caractere central de la presence de ses fondateurs en depit de leur deces” (Sarro etBlanes 2009, 53–54; nous traduisons).

6. L’identification de Simon Kimbangu a l’Esprit Saint est tres ancienne; il semble qu’elle puisseremonter a 1921. On en trouve des traces dans la documentation coloniale (cf. Raymaekers1971, 35). Dans les annees 1950, les catechismes kimbanguistes affirmaient que Kimbangu“demeurait avec Dieu des le commencement” et l’identifiaient au Paraclet promis par Jesus dansl’Evangile de Jean (Sinda 1972, 145–46). Du fait de l’adhesion de l’Eglise kimbanguiste auConseil œcumenique des Eglises en 1969, qui les contraignit a abandonner l’identification deKimbangu a l’Esprit Saint, les Kimbanguistes ont developpe ce qu’Asch (1983, 290) appelle undouble discours: tandis qu’officiellement, ils n’identifiaient plus explicitement Kimbangu al’Esprit Saint, au niveau populaire, par contre, l’identification continuait de se faire (Wainwright1971; Droogers 1980; Molyneux 1990). Cette identification a fait retour ouvertement dans lesannees 1990, a la faveur du changement d’appellation de l’Eglise en 1989: l’Eglise quijusqu’alors s’appelait “l’Eglise de Jesus-Christ sur la terre par le prophete Simon Kimbangu”,devint “l’Eglise de Jesus-Christ sur la terre par son Envoye special Simon Kimbangu”. Le termekongo ngunza (“prophete”) apparut alors inadequat pour designer Kimbangu et fut remplace parcelui de ntumua (“envoye”), qui l’identifiait au Paraclet promis par Jesus. Il semble meme qu’al’epoque, certains aient nourri le projet de nommer l’Eglise “Eglise de Jesus-Christ sur la terrepar l’Esprit Saint Simon Kimbangu”, mais que cette denomination ne fut pas approuvee par lechef spirituel de l’epoque, Joseph Diangienda (entretien d’Anne Melice avec Lucien Luntadila,alors secretaire general de l’Eglise, 1997). Finalement, cette identification devint officielle et futpleinement assumee en aout 2001, apres les funerailles du dernier reste en vie des trois fils deKimbangu, Salomon Dialungana, et son remplacement a la tete de l’Eglise par Simon KimbanguKiangani, l’aıne des petits-fils de Kimbangu. Le 22 aout 2001, le nouveau chef spirituelproclama ouvertement a N’kamba, devant des dizaines de milliers de fideles: “Allez annoncer aumonde entier que Simon Kimbangu est le Saint-Esprit.” Depuis lors, les Kimbanguistesproclament haut et fort cette croyance, quelles que soient les difficultes qui en resultent pour euxau sein du Conseil œcumenique des Eglises (cf. Melice 2009a).

7. L’Eglise: mission et organisation [URL: http://www.kimbanguisme-ejcsk.org/missionpages/mission.htm].

8. L’ancien royaume de Kongo et, plus specifiquement, ce qui renvoie a ce que les Kimbanguistesappellent les “trois Kongo”, est volontiers cerne comme un point d’equilibre sur lequels’appuierait l’harmonie universelle. Joseph Diangienda, qui dirigea l’Eglise de 1958 a 1992,aurait, en son temps, prophetise que “tout partira de ces trois pays”. L’actuel chef spirituel,Simon Kimbangu Kiangani, ne cesse de repeter que “ces trois pays doivent etre unis”. Cemodele triadique s’eclaire d’un proverbe kongo Makukwa matatu malamb’e Kongo, qui serefere aux trois pieds de la marmite traditionnelle kongo, symbole d’equilibre. Ce modeletriadique se trouve egalement symbolise par un corps dont la tete serait l’Angola, le ventre, leCongo-Kinshasa, et les jambes, le Congo-Brazzaville. A N’kamba, en plus de trois sieges placessur la tribune du temple, on trouve un autre symbole important de cette triade fondamentale: laresidence Mintinu (litteralement “la residence des rois”), un batiment de trois etages edifie en1987, que Diangienda aurait fait construire pour accueillir un jour les Presidents des “troisCongo”. L’Eglise recourt generalement a trois Kimbanguistes originaires de ces “troisCongo (ou Kongo)” pour effectuer, a Nkamba ou ailleurs, trois prieres a l’occasiond’evenements importants. Cette volonte de preserver l’unite des “trois Kongo”, qui possede

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une dimension essentiellement eschatologique, manifeste le fondement ethnique de l’harmonieuniverselle et, donc, la tension entre les discours ethnicisants centripetes et les discoursuniversalistes centrifuges qui est l’objet de cet article.

9. La croyance selon laquelle Salomon Dialungana Kiangani (le deuxieme fils de Simon Kimbanguet qui fut le chef spirituel de l’Eglise de 1992 jusqu’a sa mort en 2001) serait une reincarnation deJesus-Christ est en realite bien plus ancienne. Un des auteurs de cet article (Melice) en avaitentendu parler depuis 1996; et elle est probablement plus ancienne encore, puisqu’il y est deja faitallusion dans un cantique kimbanguiste connu depuis 1989, intitule “Christ a N’kamba”. Mais lemystere de l’apparition de la Vierge a Fatima a toujours joue un role tres important dans cettecroyance. C’est pourquoi sa proclamation au Portugal, ou l’apparition eut lieu en 1917, a joue unrole tres important dans sa constitution en dogme de l’Eglise. Des Kimbanguistes affirment quel’un des mysteres devoiles par Notre Dame de Fatima en 1917 et tenus secrets par le Vaticanrevelait que Jesus-Christ etait ne “au nord de l’Angola”. Or Salomon Dialungana etaitprecisement ne le 25mai 1916 a N’kamba, qui se trouve exactement de l’autre cote de la frontiereavec l’Angola (Anonyme s.d.). La croyance en l’incarnation du Christ dans la personne deSalomon Dialungana Kiangani fut reactivee en 1998 quand Dialungana lui-meme, lors de lacelebration de son anniversaire, se mit a chanter: “Noel, Noel”. L’emoi fut tel qu’une assembleegenerale de l’Eglise se reunit en avril 1999 et decida de transferer definitivement la date deNoel du25 decembre au 25 mai. En 1998, fut publie un livre avancant que le calendrier chretien avait etefortement corrompu et que le Jesus historique etait ne le 25mai (KambonakoDimbote 1998). DesKimbanguistes rapportent qu’en avril 2000 (le 10 ou le 13 avril selon les versions), Dialunganadeclara: “Si l’on vous demande qui est le Christ que le monde entier cherche depuis longtemps,dites que c’est moi. Je suis revenu. Vous pouvez l’annoncer maintenant au monde entier.”

10. L’evenement que nous commentons ici doit etre compris par contraste – et en reponse – avec lapremiere visite du Pape Benoıt XVI en Afrique, trois mois auparavant, en fevrier 2010.La formule prononcee par Marie Mwilu Diangienda revient en fait sur une declaration que, selonde nombreux Kimbanguistes, le Pape Jean-Paul II avait faite lors de sa visite au Kenya en 1980,lorsqu’il aurait prononce, nous a-t-on pretendu, precisement dans les memes termes, que “Dieuest noir et Jesus-Christ est africain”, la phrase que Marie Mwilu Diangienda allait exactementrepeter en francais. Selon certains de nos interlocuteurs, la signification profonde de cetteformule prononcee par le Pape serait demeuree confinee au Vatican et couverte par le voile dusecret. La croyance selon laquelle Dieu est noir n’est pas celle sur laquelle les Kimbanguistesinsistent le plus, mais elle s’accorde avec d’autres croyances, en particulier avec celle qui poseque Charles Kisolokele (le fils aıne de Simon Kimbangu) etait Dieu le Pere fait homme, son frereSalomon Dialungana, Dieu le Fils (Jesus-Christ), et son frere cadet Joseph Diangienda, l’EspritSaint. Ensemble, les trois fils constituent donc une manifestation de la trinite tout entiere.

11. L’evenement a deborde la sphere des seuls Kimbanguistes. En avril 2010, pres d’un an plus tard,l’un de nous (Sarro) rencontra un archiviste travaillant a l’Universite de Wageningen, aux Pays-Bas. Cet homme etait originaire de la Republique democratique du Congo, mais il n’etait paskimbanguiste, bien qu’exprimant son admiration pour la figure historique de Simon Kimbanguet pour son combat anticolonialiste. Lorsque Sarro dit venir du Portugal et travailler sur lekimbanguisme, l’homme lui demanda s’il savait que les Kimbanguistes d’Europe s’etaientreunis l’annee precedente, pour accomplir une grande marche sur la place de Lisbonne ou desesclaves congolais avaient ete vendus naguere. Il l’avait appris d’amis congolais et avait aussiregarde les images de l’evenement sur YouTube.

12. Kintuadi ou Kintwadi est le nom que le mouvement kimbanguiste prit de 1952–1953 a 1959,quand il etait interdit mais dirige dans la clandestinite par Joseph Diangienda. Le terme kongokintwadi peut etre traduit par “union”, “association”, “alliance” ou “travail en commun” et peutcorrespondre a ce que les anthropologues designeraient comme une communitas.

Notes on contributors

Ramon Sarro est Docteur en Anthropologie sociale de l’Universite de Londres. Il est Professeurd’Anthropologie Africaniste a l’Institut d’Anthropologie Sociale et Culturelle de l’Universited’Oxford. Il est specialiste de l’anthropologie religieuse, notamment des mouvements prophetiquesen Afrique centrale et occidentale.Anne Melice est Docteur en Sciences Politiques et Sociales (Anthropologie) de l’Universite deLiege, avec une these consacree a l’Eglise kimbanguiste. Elle est Maıtre de Conferences a l’Institut

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des Sciences humaines et Sociales de l’Universite de Liege et enseignante en Anthropologie al’Ecole Superieure d’Action sociale de Liege. Ses recherches portent sur l’anthropologie religieuse,en particulier les prophetismes au Congo-Kinshasa.

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La « production » du Sénégal postcolonial

Un tournant entre « temps des banlieues » ou « islam du temps » ?

Abdourahmane Seck *

La deuxième mandature d’Abdoulaye Wade (2007-2012) a été bruyam-ment marquée par l’irruption, sur la scène publique, d’imams de Guédia-waye, dans la banlieue dakaroise. Ce phénomène a été interprété, par les uns, comme un signe d’un regain d’islamisme politique et, par les autres, comme un simple mouvement de colère de type consumériste. Mais ce n’est ni vrai-ment l’un, ni tout à fait l’autre. L’argument sera étayé dans ce texte qui, par ailleurs, est moins une monographie proprement dite du mouvement des imams, qu’un examen de la situation historique et politique qui l’a vu émer-ger et évoluer. Plus proprement, notre objectif, ici, est d’interroger les im-pacts et les significations de la survenue du mouvement des imams par rap-port à la dynamique de « production » du Sénégal contemporain (Diop & Diouf 2002), dans le contexte de la gouvernance sociale et politique d’Abdoulaye Wade. Au demeurant, cette contribution s’inscrit dans une logique d’investigation plus large que nous menons, depuis plusieurs années, sur les enjeux symbo-liques et politiques des discours et imaginaires socioreligieux dans le Séné-gal postcolonial (Seck 2007). Il n’est pas inutile du reste, de rappeler, très succinctement, la démarche qui porte cet élan. Il s’agit, d’abord, de revisiter le rapport public/privé, sous l’angle des processus de subjectivation qui opè-rent au cœur des espaces intimes et domestiques (Seck 2010 : 11), ensuite de prêter attention au rapport entre débats (événements) de société et reformula-tions populaires du sens et de l’orientation du « vieux » contrat social séné-galais (Cruise O’Brien 2003). C’est dans le second semestre de 2010 que nous avons commencé à tra-vailler sur le « mouvement des imams de Guédiawaye ». Ce fut à l’occasion d’une invitation à rejoindre un panel de discussion intitulé « Initiatives des « sans voix » aux changements sociaux », dans le cadre de la quatrième conférence européenne sur les études africaines, organisée en juin 2011 à Uppsala, dont le thème était : African Engagements : On Whose Terms? Alors que nous commencions à réfléchir sur la problématique particulière des « initiatives des “sans voix” aux changements sociaux » qui allait nous y

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!* Enseignant-chercheur et Chef de la Section Centre d’Étude des religions de l’Université

Gaston Berger de Saint-Louis. UFR des Civilisations, Religions, Arts et Communication (CRAC).

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intéresser 1, un second fait est intervenu dans la foulée du Forum social mondial de Dakar. En effet, le Centre de Recherche et d’Études sur les Poli-tiques sociales (CREPOS) de Dakar, venait de nous associer à un projet d’Observatoire des banlieues et périphéries, alors porté sur les fonts baptis-maux, en collaboration avec des initiateurs d’expériences similaires au Brésil et en France. Ces deux événements ont concouru à renforcer le choix de la problématique principale qui charpente cette contribution. Il s’agit de la prise de parole sur la scène nationale, d’espaces (comme la banlieue) et de grou-pes (comme les imams) qui avaient été confinés pendant longtemps dans la marge (Faye et Thioub 2003), et pas seulement de façon symbolique (Diouf 1999). Ce que nous tenterons de démontrer, dans cette contribution, est que le mouvement protestataire du Collectif des imams et résidents de Guédiawaye − par-delà le succès franc ou mitigé d’espaces et de groupes, longtemps mi-norisés, à se positionner dans l’espace public comme acteurs à part entière − dénote surtout toute la complexité du processus de transformation de la so-ciété sénégalaise dans lequel le statut de la Nation ne cesse d’être soulevé dans un débat qui redéfinit le sens de sa modernité politique, à la fois comme direction, mais aussi comme signification. Les enjeux et les aléas instructifs de la prise de parole des imams seront donc analysés, ici, en tentant de souli-gner dans ce « mouvement social » d’un genre nouveau (Brandes et Engels 2011), aussi bien ce qui fait une part de « revanches des sociétés » (Bayart 1983 ; Ndiaye 1996 ; Smith 2010), qu’un sens aigu de l’« opportunisme stra-tégique ».

Le « temps des banlieues » ou retour sur les marges de la République

L’essentiel des observations, à la base de ce travail, a été collecté dans la ville de Pikine, aux Parcelles-Assainies (banlieue dakaroise) mais aussi dans le campus de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar avant, pendant et après le Forum social mondial (2011), dans la foulée de la mission que le CRE-POS nous avait confiée. Elles ont porté sur quelques dizaines d’associations et de mouvements de la banlieue dakaroise 2. !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!1. Nous remercions notre collègue Danièle Jonckers qui a bien voulu nous associer à ce

panel. Nous avions déjà bénéficié auparavant de sa relecture critique. Nous tenons aussi à exprimer notre gratitude aux évaluateurs de cette contribution, dont les remarques et suggestions nous ont aidé à réviser ce papier, mais aussi encouragé à donner une suite à notre enquête.

2. Dans ce grand nombre de regroupements que nous avons longuement écouté durant plusieurs mois, les mieux organisés, en termes d’appareil et de discours, furent tous ori-ginaires de Guédiawaye : du Collectif des imams et notables de Guédiawaye aux asso-ciations de victimes des inondations et de l’impact de l’autoroute à péage. Le tracé de cette autoroute a affecté, entre autres, deux catégories d’acteurs : les propriétaires d’habitations et ceux de places d’affaires. Pour cette dernière catégorie, un collectif de garagistes a joué un rôle important dans la mobilisation des « déplacés » et a été à

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Le contexte de notre recherche est celui d’une effervescence sociale et politique dans les banlieues, marquée par la montée d’un discours d’autore-présentation, mais aussi de dialogue avec l’Autre (qui n’est pas de la ban-lieue). Ce discours oscille, en permanence, entre logique d’esthétisation et logique de politisation. En d’autres termes, se réclamer de la banlieue est devenu aussi bien l’expression d’une fierté recouvrée qu’une ressource stra-tégique de négociation et de signalement. On semble faire face à la produc-tion d’une identité (sur)revendiquée, dans laquelle l’image du « banlieu-sard », jadis assignée de l’extérieur, fonctionne moins comme un stigmate, que comme une base de rebondissement 3. À ce titre, les besoins du milieu sont évoqués et portés par divers acteurs ou entrepreneurs, individuels ou collectifs, et définissent, sur la scène publique nationale et les espaces mili-tants internationaux, des demandes importantes et insistantes de partenariats, de collaborations, de mise en liens et réseaux. Les savoir-faire et savoir-dire, mobilisés dans le cadre de ces objectifs, restent irrigués par une culture du terroir et de la confrérie, mais aussi par les nombreuses images charriées par les médias, qui font penser à un fait (ou une identité) internationalisé de l’appartenance à la « banlieue » 4. La banlieue, pour ainsi dire, n’est plus ce qu’elle était ! La prise de parole de ses habitants n’est plus réductible, com-parativement à la paysannerie et à la jeunesse urbaine, aux feintes, à l’art, aux rires et à l’humour corrosif (Diouf 1992), bref aux modes d’énonciation

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!l’origine d’un bras de fer avec l’Agence pour la promotion des investissements et grands travaux (APIX), qui a contraint le Gouvernement à être mieux attentif à leurs revendica-tions.

3. Ces remarques confirment des observations déjà repérables dans la seconde moitié des années 1990, avec le renforcement du mouvement Rap dans la banlieue et surtout la dif-fusion de la mode « Bul faale » à travers différents temps, souvent fort peu distingués. Chanté d’abord par le groupe Positive Black Soul (PBS), ce thème est d’abord un cri de ralliement de la jeunesse urbaine scolarisée et, singulièrement, des quartiers Sicap-Liberté. Un ralliement qui consacre un déplacement du centre de gravité de la produc-tion des modes juvéniles, des quartiers du Plateau et de la Médina aux quartiers du Grand Dakar. Lorsque l’expression est reprise dans la banlieue, notamment par la diffu-sion d’une coiffure arborée alors par le champion de lutte Mohamed Ndao dit Tyson, son contenu devient déjà un peu plus flou. Alors que ce lutteur qui va incarner le second élan populaire de cette expression a semblé surtout revendiquer des valeurs individuelles de réussite sociale et financière (il expliquera plusieurs fois qu’il était dans l’arène pour fai-re de l’argent et repartir), le PBS fondateur du « concept » se signalait, dans le même temps, comme le « porte-parole » de l’idéal d’un engagement solidaire et panafricain au service d’un projet collectif de renouveau politique et social. Le tournant de 2000 enre-gistre la récupération plus ou moins avortée du phénomène par le Parti socialiste, après que les publicistes l’aient transformé en « Génération Bul faale ». C’est aussi, en grande partie, ce contexte de surmédiatisation qui a été réapproprié par la jeunesse des ban-lieues qui a transformé par la suite l’expression en étendard, mais, une fois encore, au-tour de contenus disparates et peu clairs. Pour plus de détails, lire Jean-François Havard (2001).

4. Cette mondialisation (médiatique) du phénomène est marquée par un usage systémati-que et peu questionné du terme dans des contextes géographiques, sociologiques et his-toriques souvent différents.

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populaires du politique (Bayart, Mbembe, Toulabor 2008). Cette prise de parole se confronte, dorénavant et presque frontalement à l’État. Celui-ci, en effet, est constamment apostrophé et sommé d’intervenir pour « soulager la souffrance des populations de la banlieue ». Les stars de la banlieue, chan-teurs ou lutteurs, de Mohamed Ndao - Tyson (né en 1972) à Balla Gaye II (né en 1986) en passant par Ndongo Lo (1975-2005) ou encore celui qui est considéré, jusqu’à une période récente, comme le plus populaire d’entre tous, Modou Lo (né en 1985), règnent désormais en maîtres incontestés dans la production des modes urbains. Le prince les courtise pour entretenir sa popularité 5. Toutefois, le rapport à l’État reste assez ambigu. En effet, la suspicion qui existe à l’égard des représentants de l’État ou encore des ténors du régi-me wadien, originaires de la banlieue, n’empêche pas toujours leur intégra-tion comme « acteurs équivoques » dans les mobilisations de leurs conci-toyens. Ces « originaires de la banlieue » remplissent notamment des fonc-tions de parrainage ou de courtage qui sont souvent positivement soulignées par les leaders du mouvement associatif de la banlieue 6. Le jeu des média-tions est donc ici très important. Du reste, l’État sait exercer aussi un dis-cours séducteur qui n’est pas sans attractivité pour ses destinataires, alors même qu’il constitue un moyen évident de leur domestication. C’est notam-ment le cas lorsqu’il incite à la régularisation et au formalisme comme moyens d’accéder à des ressources internationales dont il pourrait faciliter l’accès. S’inscrire dans la légalité institutionnelle et administrative devient alors un enjeu organisationnel pour les mouvements associatifs de la ban-lieue qui tiennent ainsi compte de cette « information/sensibilisation » dans la gestion de leurs mobilisations. Quelle qu’en puisse être la modalité ou le canal (encadrement, répres-sions, libéralités), les rapports de confrontation avec l’Exécutif, ses représen-tants ou démembrements, ont contribué au développement du sentiment poli-tique fort et palpable que la « banlieue » est devenue le nouveau lieu du poli-tique au Sénégal. La formule « Qui gagne la banlieue, gagne l’élection ! » ne suffit plus, car elle cantonne celle-ci dans une fonction stricte de « vivier électoral » et manque, ce faisant, sa dimension de « sujet politique ». Sous cet angle, de nombreux militants associatifs, que nous avons écoutés, pen-sent que la banlieue ne peut être, maintenant, que dans l’attente légitime !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!5. La réception devenue régulière de lutteurs au Palais de la République et même

l’implication personnelle du président Wade dans la résolution des querelles entre écu-ries de lutte est un indicateur de ce phénomène. Du reste, au plus fort de son impopulari-té et du malaise suscité chez ces concitoyens, Karim Wade, le fils de Wade, pour lisser son image, n’hésitait pas à s’afficher à côté d’un grand promoteur de combats de lutte et se retrouver ainsi au milieu des tribunes.

6. L’attitude des hauts responsables politiques et étatiques par rapport aux problèmes, mo-bilisations et initiatives des populations des banlieues est fortement « surveillée ». La nature et la qualité de leur implication dans ou pour le quartier leur assurent de bonnes ou mauvaises réputations dont leurs familles peuvent souffrir ou s’enorgueillir selon les cas.

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d’un prochain président issu de ses quartiers. Ils estiment que nous sommes dans le « temps de la banlieue » et que la seule question qui importe est de transformer le potentiel humain et sociodémographique de ce lieu de vie en ressources opérationnelles pour son propre compte et non plus en faveur des appareils politiques classiques qui ne sont pas encore prêts à comprendre que le jeu a changé de règles. Dans les lignes qui vont suivre, il sera important de ne pas perdre de vue cet arrière-plan politique et symbolique qui opère dans un contexte où, en dépit de sa victoire en 2007, le régime de Wade a souffert de plus en plus de solitude et a été obligé, pour se maintenir, de redoubler d’attention à l’égard de cibles politiques précises, singulièrement la jeunesse et la banlieue.

Guédiawaye la « frondeuse » : éléments de repères

Avec une population estimée à un demi-million d’habitants répartie sur 14 km2, Guédiawaye, situé à quelques kilomètres à l’est de Dakar, est divisé, depuis 1996, en communes d’arrondissements : Golf Sud, Sam-Notaire, Wakhinane, Nimzatt, Médina Gounass, Ndiarème-Limamoulaye. Guédia-waye est marquée par un réel déficit en services sociaux de base et une pau-vreté manifeste. Il en résulte une prédominance de populations vulnérables, confrontées à la précarité et à ses multiples incidences. La ville reste, cepen-dant, riche d’un important foisonnement associatif et organisationnel. Elle a enregistré, dans le cadre de son évolution administrative, notam-ment sa transition vers le régime de commune de plein exercice, de nouvel-les arrivées de populations. Celles d’entre elles qui sont issues des classes moyennes (souvent cadres) s’approchent ainsi du littoral et fuient Dakar, vil-le soumise à une importante saturation foncière et démographique. Avec des offres qui se veulent plus alléchantes les unes que les autres, plusieurs entre-prises, coopératives et opérateurs immobiliers accompagnent cette « ruée » vers la banlieue où de nouvelles cités ne cessent de sortir de terre.

La marche du 6 décembre 2008

Le contexte des révoltes sociales, liées à la crise alimentaire, financière et énergétique de 2008 (Hrabanski 2011 ; Hugon 2009), a mis au devant de la scène publique un collectif d’imams de banlieue comme leaders de mani-festations de rue contre la vie chère et initiateurs d’un appel au boycott du paiement des factures d’électricité. La « marche » de Guédiawaye, conduite par l’imam Youssoupha Sarr, est suivie de plusieurs tentatives d’action et d’organisation dans les autres quartiers de Dakar et villes de l’intérieur du pays. À Pikine, la même chose est observée, à peine quelques jours après Guédiawaye. À Rufisque, dix jours après, un regroupement d’imams se si-gnale et invite les populations de la localité à descendre dans la rue. C’est dans la foulée de cette escalade que le directeur de la Société nationale de distribution d’énergie électrique (SENELEC) est limogé. Il est aussi fait état,

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dans la presse, d’un limogeage prochain du ministre de l’Énergie, haut cadre du parti au pouvoir, afin de calmer le mécontentement des populations 7.

Un rejet brutal de la part de l’État et de la majorité présidentielle

Au niveau de la direction politique de l’État, l’événement est traité avec la plus grande considération. Un conseil interministériel sur l’énergie est te-nu dans la foulée de la manifestation. Dans le même temps, les services de la préfecture de la ville de Guédiawaye empêchent le mouvement de se redé-ployer dans l’espace public, notamment en interdisant la tenue d’une assem-blée générale, le 21 décembre 2008. L’accueil hostile réservé par le camp du régime à l’action des imams a pris plusieurs formes visant à l’amadouer ou à le décrédibiliser. Le mouvement est qualifié de précédent dangereux, voire de « début d’une dérive qu’il faut arrêter » (Dione 2008). Au plan politique, Iba Der Thiam, un des ténors du régime de Wade, préposé aux tâches de médiation, est monté en première ligne, avec un petit groupe de députés de la « majorité présidentielle » pour établir le « dialogue » avec les imams. Ces derniers accueillent l’initiative en introduisant un pro-blème « nouveau » qui consacre un changement d’échelle dans leurs reven-dications. En effet, ils disent : « Si nous devions énumérer nos problèmes, nous dirions que le Sénégal constitue notre premier, deuxième et troisième problème » 8. Ce qui semble ainsi être un fulgurant rabattement de leurs re-vendications sur le politique est néanmoins nuancé par les concernés, car, précisent-t-ils : « Nous ne faisons pas de la politique ; notre seule raison de marcher, ce sont les populations » 9. L’effort du régime destiné à « contenir » les imams est appuyé par une autre composante du champ religieux, à travers un argumentaire qui sonne comme un anathème. En effet, Moustapha Guèye, qui dirige l’association des imams et oulémas du Sénégal, considère la marche des imams de la ban-lieue comme une « pratique (…) réservée aux imams musulmans chiites qui font de la politique et du syndicalisme (…) Les sunnites doivent prendre exemple sur le premier des imams, le prophète Ibrahima » 10. Il ajoute : « Un imam doit forcément passer par la traditionnelle école coranique. Un imam doit provenir de milieux pauvres, il ne doit pas mentir. Il doit maîtriser ce

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!7. Limogeage qui, en définitive, n’aura pas lieu. 8. Senewebnews, « Rencontre avec les députés de la majorité : les imams de Guédiawaye

ne baissent pas la garde », 11 décembre 2008. http ://www.seneweb.com/news/Societe/rencontre-avec-les-d-put-s-de-la-majorit-les-

imams-de-gu-diawaye-ne-baissent-pas-la-garde_n_19993.html 9. Idem. 10. Senewebnews. « Marche des imams de la banlieue : El Hadji Moustapha Guèye

condamne l’acte », vendredi 12 décembre 2008. Kalil I. Sène. http ://www.seneweb.com/news/Societe/marche-des-imams-de-la-banlieue-el-hadji-

moustapha-gu-ye-condamne-l-acte_n_20013.html.

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qu’il dit et se limiter à rappeler aux fidèles les principes de l’islam » 11. Cet énoncé est en droite ligne de la sentence alors prononcée par le président du groupe parlementaire de la « majorité présidentielle », le député Doudou Wade, qui parlera d’« imamat par effraction ». Un rapide survol de l’histoire permet de voir que cette démarche des imams, même si elle est considérée comme une nouveauté 12 sous le ciel sénégalais, n’en est pas moins inscrite dans une longue tradition de prise de parole politique et citoyenne des ac-teurs religieux (Kane 2008).

Une action inscrite dans une dynamique protestataire globale et ancienne ?

La confrérie mouride a bien pu être considérée, durant les années 1970, comme un « syndicat paysan » 13 ; le chef confrérique niassène, Ibrahima Niasse, a occupé d’importantes fonctions dans les organisations politiques internationales de la Oumah, des années 1950 à sa mort. De même, l’existence, même éphémère, du Parti de la Solidarité sénégalaise (PSS), dans la foulée du combat indépendantiste, le jihad avorté de « l’ayatollah de Kaolack » 14 dans la logique de la révolution khoméniste ou, plus proche en-core, l’irruption de jeunes leaders confrériques qui ont occupé la scène poli-tique entre 1990 et 2000, avec, entre autres, le mouvement tidjanne des Moustarchidin wal Moustarchidat qui s’est violemment heurté au pouvoir étatique, dans la première moitié de la décennie 1990 (Kane et Villa-lon 1999 ; Samson 2005), sont autant d’éléments dans le tableau général de l’irruption de l’islam dans la politique. Pourtant, cette tradition n’a pas été évoquée dans les commentaires qui ont suivi la marche présidée par les !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!11. Doudou Wade et Moustapha Guèye flinguent l’imam Youssoupha Sarr « C’est un Ima-

mat par effraction». Par Alassane Hanne. http ://www.seneweb.com/news/Societe/doudou-wade-et-moustapha-gueye-flinguent-l-

imam-youssoupha-sarr-c-est-un-imamat-par-effraction_n_28325.html. 12. « Le président de la République, Abdoulaye Wade n’a, lors de son adresse à la Nation

du 31 décembre 2008, aucunement fait allusion à la marche des imams de la banlieue qui est une première dans l’histoire de notre pays ». C’est nous qui soulignons.

13. Lire Fall (1986) et Guèye (2002). 14. Il s’agit du sobriquet donné à Ahmed Khalifa Niasse, un marabout de la branche tidjan-

nyya de Kaolack, qui a attiré l’attention sur lui en septembre 1979 par l’annonce, dans une conférence de presse, depuis Paris, de la création d’un parti islamique jihadiste vi-sant l’instauration d’une république islamique au Sénégal. Cette séquence dans la trajec-toire d’Ahmed Khalifa, davantage connu aujourd’hui comme surtout un richissime ma-rabout homme d’affaires, est bien documentée par M.-C. Diop et M. Diouf (1990 : 78-80). Toutefois, le journaliste d’investigation, Abdou Latif Coulibaly (1999 : 113-116) donne une explication de l’entreprise jihadiste imprévisible d’Ahmed Khalifa Niasse alors considéré comme un proche du régime senghorien, après avoir participé à la fonda-tion du Parti démocratique sénégalais d’Abdoulaye Wade. Coulibaly soutient, dans la troisième partie de son ouvrage (96-171), la thèse d’un complot politique contre Senghor ourdi par sa jeune garde, sous la conduite de Jean Collin et la participation des services secrets français. Pour lui, c’est dans le cadre de ce complot qu’il faut situer l’action de l’ « Ayatollah de Kaolack ». Lire en particulier les pages 114 à 116 de Coulilaly (1999).

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imams. Ces figures publiques de l’islam n’appartiennent pas à des familles maraboutiques reconnues et ne sont pas détentrices de légitimités historiques dans le champ religieux. Pour autant, elles n’ont pas moins réussi à banaliser aussi bien leur présence dans l’espace public que leurs projets de façonnage de celui-ci. La meilleure illustration de cet état de fait est indiquée par les grands moments du calendrier liturgique musulman, comme l’emblématique fête de la Tabaski. Ces moments sont désormais de hauts lieux de prises de parole des espaces d’islam alternatifs, dont les appels et prêches sont forte-ment repris par la presse écrite, voire diffusés en direct par les médias audio-visuels. Tout un arrière-plan existe ainsi et ne facilite pas la caractérisation du mouvement des imams dans les termes qui ont accompagné sa médiatisa-tion : une nouveauté, une surprise, une première ! Du reste, ces termes ont, sans doute, contribué à son succès politique.

Construction du mouvement des imams et sa perception par l’opinion Cette partie de notre contribution examine la construction du « mouvement des imams » et surtout encore les perceptions nourries par son image publique. Elle tente également de voir, parallèlement, quel type de continuum, de rupture ou d’amalgame existe entre ce qu’on connaissait déjà avant, en termes d’affichage militant du leadership religieux, et l’action por-tée par les imams. Pour cerner cette genèse, nous avons déroulé une appro-che par cercles concentriques, remontant de la marge au cœur du mouve-ment. En d’autres termes, nous nous sommes d’abord appuyé sur un travail de mise en perspective critique des discours (populaires) sur le mouvement des imams. Il s’agit d’un entretien accordé par le sociologue Alfred Inis Ndiaye au quotidien L’Observateur, environ six mois après la première mar-che et en plein essor médiatique du mouvement dit des imams. Ensuite, nous avons cherché à donner la parole aux autres leaders qui ont aussi accompa-gné ou contribué à « faire » ce mouvement dit des imams. L’entretien que nous a accordé Alioune Diop, militant et leader associatif à Guédiawaye, nous donne ainsi une « vue de l’intérieur » qui suggère une palette de fac-teurs dont la prise en compte est utile. Enfin, nous clôturons la partie avec l’imam Youssoupha Sarr, porte-parole du mouvement. Avec lui, nous insis-tons moins sur son appréciation du contexte que sur le repérage des lignes marquantes de son cursus 15.

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!15. L’imam Sarr n’est pas, à lui seul, le mouvement, mais le rôle qu’il a joué, notamment de

répondant public, en fait un personnage dont les conditions sociales de maturation de la conscience politique méritent d’être examinées. Imam Sarr revendique, lui-même, le sta-tut de politique : individu politiquement conscient et actif. La partie ici exploitée de l’entretien effectué avec Sarr est un choix délibéré et complémentaire des perspectives contextuelles adoptées dans les interventions de Ndiaye et Diop.

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Vulgate médiatico-politique et clarifications sociologiques 16 Se demandant pourquoi Guédiawaye a constitué le point de départ du mouvement social contre la vie chère, Alfred I. Ndiaye commence d’abord par dégager une temporalité à la fois large et spécifique. Large, en ce qu’il inscrit ce qu’il nommera, avec insistance, le « mouvement des résidents de Guédiawaye » dans une dynamique plus générale de protestation ambiante contre la vie chère, repérable déjà et avant, un peu partout au Sénégal. Spéci-fique, ensuite, en ce qu’il définira l’action de Guédiawaye en ces termes : « on a assisté à ce que nous pouvons appeler un mouvement social, bien structuré, avec des objectifs clairs, une stratégie de lutte et une direction. C’est ce caractère de mouvement social qui fait la différence entre la protes-tation sociale contre la vie chère à Guédiawaye et ailleurs dans les autres lo-calités du pays ». Le sociologue reprendra plus loin une autre série de préci-sions, particulièrement dans la désignation du mouvement social de Guédia-waye. En effet, lorsqu’on lui demande de se prononcer sur les raisons qui expliqueraient la montée au créneau du « collectif des imams », il structure une réponse en deux moments distincts. Un premier où il invite le journaliste à ne pas prendre la partie pour le tout : « Les imans sont membres de ce Col-lectif et servent de catalyseurs à cette lutte. (…). Ils sont membres de ce col-lectif avec des chefs de quartiers et d’autres notables qui ont des expériences politiques ». Dans un second moment, il s’arrête sur « le statut » que les imams occupent dans ce Collectif, qu’il mettra en rapport avec les expérien-ces sociales et politiques particulières d’un certain nombre d’entre eux. « Quand on analyse le profil de certains de ces imams, on constate que, la plupart du temps, ils sont des retraités de l’administration ou du secteur pri-vé. Ce qui leur permet de rompre plus facilement avec le modèle de l’imam assisté par les populations ou les pouvoirs publics, donc, imam fragile face aux ordres dominants (l’État ou la direction de la confrérie) ». Alfred I. Ndiaye a également insisté sur le contexte socio-urbain de Guédiawaye qui, comme nous l’avons souligné plus haut, est un condensé d’initiatives associatives et populaires de toutes sortes, encadrées ou non par des organisations non gouvernementales. Sur ces différents aspects, Alioune Diop nous a fourni des renseignements qui peuvent aider à préciser davanta-ge encore le contexte de genèse de l’action de Guédiawaye.

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!16. Pour Alfred Ndiaye, sociologue à l’université Gaston Berger (UGB) de Saint-Louis,

« Les imams représentaient les seuls leaders en qui la population pouvait avoir confian-ce ». Propos recueillis par Maguette Ndong. L’Observateur, 21 juillet 2009.

http ://www.seneweb.com/news/Societe/pr-alfred-ndiaye-sociologue-a-l-ugb-les-imams-repr-sentaient-les-seuls-leaders-en-qui-la-population-pouvait-faire-confiance_n_24189.html

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Alioune Diop : entretien avec un témoin privilégié 17

Alioune Diop se définit comme un produit du mouvement protestataire de Mai 1968 dont le parcours de militant prendra une tournure moins liée aux appareils politiques de gauche, creuset de sa formation idéologique. Il dit s’être engagé, par la suite, dans un militantisme plus tourné vers les asso-ciations, les ONG et les cercles de réflexion. En droite ligne de cet itinéraire, il est actuellement le coordonnateur du Comité d’initiatives pour une mobili-sation alternative et citoyenne (CIMAC). Mis en place au début de l’an 2000, ce mouvement a été, selon lui, un creuset où diverses catégories de leaderships se sont brassées. Des imams et des universitaires, note-t-il, s’y sont confrontés, en toute tranquillité et sur des questions « théoriques » 18. Il évoque, pour illustrer, un échange épique qui y aurait opposé Amady-Aly Dieng, figure de proue de l’intelligentsia sénégalaise, à un imam de son quartier sur la question de la citoyenneté. Pour l’imam, il s’agissait de plai-der pour une citoyenneté inclusive et non exclusive et de reprocher justement aux intellectuels classiques ce qui serait leur réticence sur le sujet. Lorsque, dans cet élan, nous évoquons avec lui le « mouvement des imams et rési-dents de Guédiawaye », il mentionne d’abord l’affiliation de ce mouvement au Cadre de Concertation et d’Action de la Société civile (CASC). Alioune Diop présente ensuite le mouvement des imams et résidents comme une agrégation d’individualités et de mouvements associatifs qui ont choisi de mettre les imams et notables de la localité à leur tête. Interrogé sur le noyau dur à l’origine de cette initiative, il fait remarquer que le CIMAC a été invité à rejoindre la dynamique, tout en estimant, in fine, que cette initiative est également le résultat des actions menées à Guédiawaye à partir de 2000. En somme, comme il le suggérera plus loin, le mouvement dit des imams est né d’un contexte qui a préparé son avènement. Pourquoi un tel leadership a-t-il été privilégié pour un mouvement présenté comme très composite à son dé-part ? Diop n’apporte pas de réponse très précise à cette question, mais il ne remet pas en cause, pour autant, l’argument le plus communément entendu : la confiance que les populations auraient développé pour les leaders reli-gieux à la défaveur des appareils politiques classiques 19. Par ailleurs, son témoignage attire l’attention sur un autre point à propos duquel il a paru vou-loir « communiquer » et lever des équivoques : l’accusation d’instrumentali-sation religieuse. Il disqualifie cette vision en insistant sur le fait que « les animateurs du mouvement se reconnaissent en une diversité d’appartenances et de rapports au religieux ». Il rappelle aussi que ce mouvement a été précé-dé par des initiatives, tant sous l’égide du CIMAC que d’autres Collectifs, !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!17. Entretien avec Alioune Diop à son domicile à Guédiawaye, le 26 août 2011. 18. Entendre « complexes ». 19. Les débuts de l’initiative et le processus de formation du noyau de départ ne font pas

vraiment l’objet de discours explicite, y compris de la part de l’imam Youssouf Sarr que nous avons interpellé sur le point. Une ultérieure monographie du mouvement permettra sans doute de lever ce coin du voile.

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avec la participation de chefs de quartiers et d’imams. Alioune Diop estime même sur ce fait, que s’il fallait faire une comptabilité, alors sur cinq gran-des actions du CIMAC, la contribution de ce leadership traditionnel (nota-bles, chefs de quartier, imams) fut décisive au moins sur les quatre ! À ce propos, il insiste sur l’idée selon laquelle l’implication de son mouvement dans les « Assises nationales » a été aussi l’occasion pour eux d’emmener aux discussions « des imams et notables de quartiers qui ont débattu avec tout le monde et se sont confrontés avec d’autres militants ».

Imam Youssouf Sarr : confidences entre rouge pâle et vert foncé 20

Originaire de la ville de Saint-Louis, c’est à Dakar et précisément au Centre de Perfectionnement administratif (CFPA) que l’imam Youssoupha Sarr considère que les choses, dans le cadre de son évolution politique, se sont mises en place. Toutefois, comme cela est bien suggéré déjà dans l’interview d’Alfred I. Ndiaye, on voit que, par sa génération et son cursus, Mai 68 a joué un certain rôle dans la formation de sa conscience politique, même s’il considère qu’il était peu aguerri quant aux enjeux, du fait de son jeune âge. Il rapporte ainsi « … on était, effectivement, attiré par la gauche dans ces débats 21, ce qui était tout à fait normal, on était encore jeune ». Et plus loin :

« … j’ai été, par exemple, beaucoup marqué par des personnages comme Majmouth Diop, Madické Wade, Tidiane Baïdy Ly…des gens qui symbolisaient la Gauche…Oui j’ai été beaucoup marqué par ces gens ; et sur le plan syndical aussi il y avait des leaders de haute facture, comme Doudou Ngom qui a été mi-nistre de l’Éducation nationale… ».

Toutefois, lorsqu’il est interpellé sur ce qui reste de cet attachement, il souligne :

« Il faut dire aujourd’hui, les choses ont totalement changé…Avant on était dans un carcan… il fallait être de ce côté-ci ou de ce côté-là. Maintenant, les choses ont changé. Nous savons que ces idéologies, fondamentalement, … pour nous ou pour moi, en tout cas pour nous qui sommes imams et imams intellec-tuels surtout, nous disons que ces projets de société que ces idéologies là nous proposaient, nous, nous avions un autre projet de société qui était plus pertinent, qui était basé sur la foi… On a changé entretemps… Là nous disons qu’il y a un projet de société islamique qui demeure le meilleur projet pour notre société. Ce-ci, bien sûr dans le cadre de la modernité, et de la laïcité entre guillemets, la laï-cité positive, en tout cas, pas de la laïcité de l’école de Jules Ferry, mais la laïcité

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!20. Entretien avec Youssoupha Sarr, réalisé à son domicile en septembre 2011. Dès le 16

décembre 2008, soit une semaine après ses premières déclarations publiques, un repor-tage lui est consacré par Le Matin, dans lequel l’imam est présenté comme un fervent ta-libé mouride, dans sa 61e année, « père de cinq garçons et d’une fille, adjoint à l’imam de la Mosquée de Hamo 4 (…) [et symbolisant] aujourd’hui une génération de religieux soucieux de partager les souffrances des populations » (Sakho 2008).

21. Par-là, l’imam évoque ce qu’il nomme « … un débat politico-social vif entre le régime de l’UPS d’une part et … ce qu’on en disait d’autre part ».

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qui permet à chaque Sénégalais de vivre sa foi, dans un cadre juridique, dans un cadre républicain, mais de vivre sa foi sans entrave ».

Son témoignage reste marqué, néanmoins, par l’usage d’un certain nom-bre d’expressions-clés, comme celle de « contrainte populaire exercée sur les gouvernants », mais aussi par le caractère relativement fondateur qu’il ac-corde aux événements de 1968. Il considère, en effet, que ce mouvement a eu un impact dans la conduite des gouvernants et la gestion des affaires du pays et il le donne à voir comme le premier mouvement, à base populaire, qui a imposé une prise de conscience et forcé le pouvoir à agir à partir de l’injonction des populations. Pour mieux marquer ce qui serait, pour lui, le caractère fondateur ou de rupture des événements de 1968, Youssoupha Sarr établit une comparaison avec ceux de 1962 et fait remarquer que le conflit ayant opposé Mamadou Dia à Léopold Senghor, en dépit de son importance, n’aurait concerné que les politiques seuls. On pourrait, en effet, penser que dans cette réflexion de l’imam, Mai 68 serait déjà un ancêtre de la forme de lutte sociale dans laquelle le mouvement des imams a entendu s’inscrire. Même si elle semble plausible, cette hypothèse ne présente d’intérêt que dans la mesure où elle donne à voir tout le caractère éclaté des mémoires et cursus qui ont favorisé et porté l’éclosion du mouvement social de Guédia-waye.

Le président et la vision, la vision et les ressources, les res-sources et … les imams imprévus Comment lire, en conséquence, l’action publique portée par les imams de Guédiawaye sur la scène politique et sociale nationale ? Et comment in-terpréter, ensuite, les défis et perspectives posés par leurs actions, tant dans leur rapport global à la politique que dans leur impact sur les équilibres tradi-tionnels du champ socioreligieux ? Le contexte social et politique de la gou-vernance de Wade offre quelques clés de réponse. Le projet wadien de gouvernance, avec ses enjeux, aussi bien local que global, a semblé inséparable de la construction d’une image de président, ami des leaders religieux. Un peu à l’instar de la quête de légitimité de son prédécesseur, Abdou Diouf, surnommé « l’Homme de Taïf », au début de son magistère (Diop & Diouf 1990). Dans la même veine, le mot d’ordre politique phare du début de l’alternance de 2000, « assurer la continuité de l’État », signifie la continuité des mécanismes sociaux d’encadrement des populations. Et c’est dans ce contexte qu’il faut appréhender l’apparition des imams de Guédiawaye sur la place publique, afin de mieux « entendre » la dissonance importante qu’elle a porté dans le projet wadien de construction hégémonique tant sur le plan national qu’international. C’est ce que nous allons suggérer dans ce point.

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Au soir de sa défaite électorale, au second tour de la présidentielle de 2012, au terme d’une candidature vivement dénoncée, la presse a prêté à Abdoulaye Wade le commentaire suivant : « Il y a deux choses que je ne comprends pas : la défaite à Ziguinchor et le fait que je sois au coude-à-coude avec Macky Sall à Touba, en dépit des moyens débloqués... » 22. L’interrogation de l’ex-président vaut questionnement sur un vieux paradig-me. En effet, alors que ce qu’on a appelé le « contrat social sénégalais »23, dès les années 1980, commençait à prendre un coup de vieux (ce qui s’est fortement révélé lors des élections de 2000), Wade a opté de le rafraîchir, à son bénéfice. Il entretint, à cette fin, un commerce assidu avec les leaders-hips communautaires du pays. Ses opérations de charme à leur égard ont non seulement constitué une caractéristique forte du contexte social et culturel de la gouvernance de Wade, mais elles ont aussi suscité une logique globale de refonte du protocole républicain que certains ont nommé son « informa-lisation » (Diagne 2002). L’État wadien s’est ainsi évertué à maintenir, souvent avec fracas, les leviers d’encadrement des forces religieuses, notamment le groupe des imams, par le biais d’amabilités étatiques. Ces imams, qui opèrent à la base et dans le quotidien des masses, ont vu une amélioration de leurs conditions d’existence, par une approche populiste et cynique qui a pris, parfois, des allures insolites. Les résultats sociaux et politiques de cette prodigalité ont pu être lisibles dans les déclarations fortes qui ont magnifié la « disposition particulière » du « nouveau chef de l’État » à l’égard des communautés reli-gieuses. On parle de « (…) climatisation de la Grande mosquée de Dakar, tapissage de plusieurs mosquées du pays, réhabilitation de la Cathédrale de Dakar, multiplication par dix et élargissement à toutes les régions de l’aide financière octroyée aux Imams et oulémas lors des grandes fêtes religieuses, octroi de billets pour le pèlerinage à la Mecque et à Rome, etc. (…) » 24. L’auteur de ce discours de reconnaissance, l’imam Moustapha Guèye, conclura ainsi, fort logiquement, sa lancée : « le président de la République mérite des prières mais aussi du soutien » 25.

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!22. http ://www.dakaractu.com/Abdoulaye-Wade-a-Macky-Sall-M-le-president-Par-Cheikh-

Yerim-Seck_a17255.html. Fort probablement, la même interrogation a pu être faite par son fils Karim Wade, au

lendemain de sa défaite électorale, lors des élections municipales et régionales de 2009 et à l’issue d’un long marathon de visites de proximité et de remises de cadeaux à des personnalités et groupes sociaux qualifiés de grands électeurs.

23. Pour plus de détails, voir la contribution de Cheikh Babou dans ce volume. 24. http ://www.seneweb.com/news/Societe/me-abdoulaye-wade-lors-la-rencontre-des-

imams-et-oul-mas-du-s-n-gal-le-s-n-gal-est-le-seul-pays-au-monde-remplir-les-conditions-pour-abriter-un-sommet-sur-le-dialogue-islamo-chr-tien_n_2152.html. « Me Abdoulaye Wade lors de la rencontre des Imams et Oulémas du Sénégal : « Le Sé-négal est le seul pays au monde à remplir les conditions pour abriter un sommet sur le dialogue islamo-chrétien» », par Thiané Ndiaye. Source : politicosn.com.

25. Idem.

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L’agenda international de l’État, notamment l’installation de Wade à la présidence de l’Organisation de la Conférence islamique (OCI), de même que son projet de Conférence sur le dialogue islamo-chrétien, ont constitué des motifs d’intérêt et de mobilisation des différents segments du champ so-cioreligieux islamique. Cela conduira, à la veille des élections locales de 2009, certains hommes politiques à dénoncer ce qu’ils considéraient comme un insoutenable amalgame. Moustapha Niasse a déclaré à ce sujet : « ce sommet ne concerne ni les Imams ni les Sénégalais musulmans qui font la prière cinq fois par jour. (…), on n’y parlera ni du Coran ni des hadiths du Prophète (PSL), mais plutôt d’élaboration de programmes de coopération solidaires entre les pays qui composent cette organisation » 26. On peut, par ailleurs, se demander si dans le contexte de remise en cause des équilibres issus de la guerre 1939-1945 et d’émergence d’un monde dit multipolaire, Abdoulaye Wade n’a pas fait peser l’agenda international de l’État dans sa quête d’une stature de leader d’envergure internationale. Ainsi, pendant longtemps, avant que les débats sur la « transmission monarchique du pou-voir » et du « troisième mandat » n’y mettent un terme (Ly & Seck 2012), l’image de Wade fut souvent associée à celle de Thabo Mbeki, Abdallah Bouteflika, Olusegun Obasanjo 27, tous présidents de pays dont la puissance politique et militaire sont sans commune mesure avec celle du Sénégal. Wa-de n’aura de cesse de faire valoir son titre de président de l’OCI pour se pro-poser en médiateur ou facilitateur dans des conflits aussi complexes les uns que les autres : Inde-Pakistan, Iran-USA/UE, Israël-Palestine, etc. C’est au regard des enjeux de ce contexte qu’il importe de saisir l’impact de la marche des imams. Cette marche introduit des éléments de langage nouveaux dans la grammaire habituelle des interrelations entre les pouvoirs temporels et spirituels, du fait même que son positionnement semble débor-der, d’une part, les limites des capacités étatiques de manipulation des forces sociales religieuses et, d’autre part, les logiques dites de « soutien mercenai-re » (Sandbrook 1987 : 20).

« Imamat traditionnel » versus « nouvel imamat » : débats sur les « titres de la fonction » et les « fonctions du titre » Les termes « imam » et surtout « imamat » qui ont été beaucoup mobili-sés dans le débat public qui a suivi la marche de Guédiawaye renvoient à une querelle fondatrice, au long cours, autour de la succession légitime du pro-phète de l’islam. Ils engagent de nombreuses considérations historiques, islamologiques et politiques, voire culturelles, qui restent profondément marquées par différents maîtres, écoles, courants et groupes plus ou moins !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!26. http ://www.afp-senegal.org/Electionsfrom2005/niasse_kolda_oci.htm. « Moustapha Niasse à Kolda sur l’OCI : “Ce sommet ne concerne ni les Imams ni les

Sénégalais musulmans” » (Yaffa 2008). 27. Pour plus de détails sur la question, lire Diop (2013).

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en conflits, loin d’être réductibles à la seule opposition entre sunnites et chii-tes (Lambton 1971). Au Sénégal, pays de tradition sunnite et de rite malikite pour la grande majorité de sa population musulmane, les imams sont, habituellement, une catégorie particulière de notables communautaires qui gèrent, au quotidien et dans les quartiers, les charges courantes liées à la vie sociale et spirituelle de leurs coreligionnaires : direction de la prière, bénédiction des mariages, cé-rémonies mortuaires, baptêmes, médiations sociales, etc. Ils ne sont pas né-cessairement liés ou soumis à l’autorité des organisations confrériques qui constituent un canal d’encadrement des fidèles, en dépit d’une tradition de chaînes de mosquées nommées tidjane ou mouride. Jusqu’à une période rela-tivement récente, ces imams ont constitué les figures majeures de la carte postale de l’islam tranquille sénégalais, comparativement au rôle que ce groupe a pu jouer ailleurs ou encore dans le passé de la sous-région (Levt-zion 1978). Néanmoins, avant comme après la marche des imams de Guédiawaye, plusieurs événements ont cristallisé bien des cadres d’intervention, de jonc-tion et d’affichages d’imams protestataires dans le débat public. Les sermons de la prière collective du 8 février 2008 ont été préalablement annoncés dans la presse comme devant être consacrés à l’affaire dite du « mariage gay » afin de préparer les populations à résister, par des marches, contre la libéra-tion des concernés par la justice 28. Bien avant cette affaire, une autre, dite de « Guddi Town » 29, avait défrayé la chronique et vu une montée sur la scène publique d’un regroupement d’imams et de militants religieux cherchant à mettre la pression sur l’État pour, là encore, demander une punition exem-plaire des fautifs et surtout une prise en main plus globale de la question des mœurs. On pourrait aussi signaler la longue polémique politico-religieuse autour du monument de la renaissance de Wade 30. L’un des indicateurs pri-vilégiés de cette dynamique protestataire est ainsi dans la transformation des sermons en lieux et moyens de promotion et de diffusion d’appels à des mo-bilisations populaires. C’est ce qu’on voit bien, enfin, dans la polémique qui a suivi une contribution parue dans la presse et visant à dénoncer une série d’expulsions de jeunes filles musulmanes voilées, des écoles confessionnel-!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!28. Vers la fin de l’année 2008, neuf personnes, convaincues d’« acte impudique et contre

nature et association de malfaiteurs », furent arrêtées à Mbao et condamnées, le 7 jan-vier 2009, à huit années de prison ferme, assorties d’amendes à hauteur de 500 000 francs CFA. Une peine qui a mis l’État en difficulté au plan de ses engagements interna-tionaux et aussi sous pression, au plan local, de la part d’animateurs religieux organisés en « Front islamique pour la défense des valeurs éthiques » et exigeant une application encore plus sévère dans la lutte contre l’homosexualité. Ces hommes seront libérés le 20 avril 2009 par la Cour d’Appel de Dakar.

29. Il s’agissait d’une vidéo de « danses obscènes », diffusée sur Internet et mettant en ve-dette une star de la scène artistique sénégalaise. Certains y ont vu un règlement de comptes.

30. Le monument de la renaissance africaine fut décrit comme une idole, une stricte œuvre d’art ou encore un objet indécent, du fait des jambes nues de sa figure féminine.

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les catholiques. Dans sa réaction, sollicitée dans les colonnes de la presse, l’imam Youssoupha Sarr déclarait : « Nous demandons au cardinal Théodore Adrien Sarr d’user de toute son autorité pour que la bonne entente et le res-pect mutuel entre nos deux communautés (musulmane et chrétienne) soient sauvegardés. (…) Le règlement intérieur d’un établissement ne peut pas être au-dessus d’une loi républicaine » 31. On passe ainsi d’un type d’engagement davantage citoyen, mais religieusement justifié, à un engagement plus reli-gieux, mais davantage justifié en termes de… citoyenneté intégrale ou globale. Ces glissements observés depuis la première marche de décembre 2008 jusqu’à la prise de position publique des imams contre la loi instaurant la parité au Sénégal, se sont accompagnés d’une recomposition des forces so-ciales et politiques. La mise en place, en juillet 2010, de la Ligue des imams et prédicateurs du Sénégal, à la symbolique Mosquée inachevée de Dakar, haut lieu de discours islamiques militants, a parachevé ce processus de re-membrement du champ de l’imamat qui était devenu inévitable. Avec la Li-gue, la traditionnelle Association des imams et ulémas du Sénégal se voit désormais débordée sur ses flancs et plus que jamais confinée dans une ima-ge publique (désastreuse) d’ « Association des imams pour l’État », comme le dit l’imam Dame Ndiaye. Dans le même temps, la presse conforte une image de contestataires pour les animateurs de la Ligue, à la tête de laquelle se retrouve l’imam Bamba Sall comme président et son homologue Yous-soupha Sarr comme porte-parole. On peut se demander, dès lors, si ce qui paraît être un défi nouveau, lan-cé à un système quasi institutionnalisé depuis la première moitié du XIXe siècle, a réussi à dégager un nouvel espace d’existence pour un personnel religieux (les imams), habituellement marginalisé, et dorénavant entré en quête de reconnaissance et de premiers rôles. La réponse ne peut être simple car, aujourd’hui, même s’il se signale encore, de façon sporadique, par des initiatives et prises de parole publiques aussi spectaculaires que sa première marche de gloire, le mouvement des imams semble avoir perdu beaucoup de sa capacité de mobilisation et, surtout aussi, sa capacité d’attraction des mé-dias. Il s’est banalisé, pour l’essentiel et pour certains, il s’est même com-promis avec le régime, notamment lorsque son leader emblématique a accep-té, en dehors du cadre du regroupement, d’aller rejoindre un conseil consul-tatif sur l’énergie, mis en place par le fils du président de la République, Ka-rim Wade (Fofana 2010).

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!31. « Renvoi d’élèves voilées au collège Hyacinthe Thiandoum Les imams interpellent le

Cardinal Sarr ». Lire http ://www.lasenegalaise.com/?lasenegalaise=infos&infos=societe&societe=20576.! Pour une analyse récente de la question plus générale de l’éducation religieuse au Séné-

gal, on peut consulter Camara & Seck (2012).

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Leçons de lendemains de poussées fiévreuses Les caractéristiques du contexte politique et social de la gouvernance de Wade, fortement marquées par une profonde crise du cadre d’exercice for-mel du jeu politique, l’apparition de nouvelles figures guerrières et incen-diaires (Ly & Seck 2012) et une rupture du dialogue politique à la suite des élections de 2007 où l’opposition a refusé, dans l’ensemble, de reconnaître la victoire de Wade, ont créé un appel d’air en faveur d’une intervention des leaders religieux comme ultime recours pour empêcher que le pays ne som-bre dans le chaos. C’est pourquoi, en faisant un focus, ici, sur la marche des imams de Guédiawaye, nous avons surtout voulu questionner un éventuel nouveau rôle de l’islam dans le sillage de la gouvernance de Wade. À ce ti-tre, on peut se demander ce que la profusion actuelle de « mouvements ci-toyens » constatée dans le débat public sénégalais doit à l’initiative des imams, comme certains observateurs le font remarquer 32. Mais il ne faut pas oublier ce que les imams doivent aussi à un contexte social en ébullition, qui a fortement exacerbé les revendications citoyennes. Il s’agit donc là de deux dimensions qui se sont mutuellement enrichies pour conduire à une conjoncture de débat inédit sur le sens du service public. Les imams, comme les autres, ont voulu astreindre les gouvernants à une obligation de transpa-rence et de redevabilité, mais avec un projet associatif (ou communautaire) de renégociation des termes de la citoyenneté. Au terme de la période durant laquelle ils ont fortement occupé le devant du débat public, dans le contexte du régime wadien, il est possible d’avancer deux hypothèses conclusives. C’est d’abord l’idée que la concurrence très dure qui accompagne le développement des entreprises de presse, fait place à un recours important, voire manipulateur, de la ressource symbolique et commerciale du religieux (Seck 2012). Cette attention vive portée sur le re-ligieux a coïncidé avec un contexte fortement marqué par les relations deve-nues houleuses et délétères entre le régime de Wade et les organes de presse. Le croisement de ces deux phénomènes a joué dans le glissement sémantique qui fait du mouvement social de Guédiawaye une « fronde des imams », pré-sentée de surcroît comme une énième contestation du régime de Wade. Dès lors, ce qui donc, au départ, était probablement une stratégie de communication et d’encadrement de la lutte de populations d’une localité donnée, se révélera être une fenêtre d’opportunités que justement « les imams » vont, de façon opportune, saisir pour « allumer » d’autres foyers de mobilisation au nom de l’islam et de la communauté musulmane. Les imams ont ainsi non seulement trouvé dans le dispositif et les dispositions du champ médiatique de puissants leviers d’amplification et de démultiplication de leurs initiatives, mais ils ont aussi bénéficié d’un contexte social d’attente

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!32. Notre collègue Mouhamed Ly a souligné déjà combien le mouvement citoyen le plus

populaire et redouté du moment, « Y en a marre », dont les animateurs sont un groupe de jeunes rappeurs a trouvé son inspiration dans l’action des imams.

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favorable. En effet, au moment où émerge le phénomène des imams, le fait religieux, en soi, occupe déjà une place importante dans les programmes de radio et de TV, avec un renouvellement profond de ses modes habituels de discours et centres d’intérêts. Les imams et ulémas classiques n’occupaient guère plus, dans le paysage médiatique et surtout dans le marché des services de prêche, qu’une place marginale comparée aux prêcheurs qui, depuis une quinzaine d’années déjà, au moins, avaient fait irruption sur la scène publi-que et trouvé des modes singuliers de capter l’attention du public, en rivali-sant d’ingéniosité. Les figures de Taïb Socé et d’Aliou Sall demeurent em-blématiques à cet égard. C’est ensuite l’enseignement majeur que l’on peut tirer de la reformula-tion des paradigmes dans l’actuel processus ou tournant dans la production d’une nouvelle modernité sénégalaise. Il s’agit d’une « nostalgie » des pères de la Nation, sous la figure du politique et du marabout. Les Sénégalais, confrontés, en effet, à un « président spécial » 33 en ont ainsi appelé, de ma-nière récurrente, au respect de leur « tradition républicaine », héritage histo-rique forgé de Senghor à Diouf. La décision d’Abdoulaye Wade de ne pas célébrer les prières de la Korité et de la Tabaski à la Grande mosquée de Da-kar a été l’un des premiers points de polémique publique dans ce sens (Seck 2010). À cette idée de sauvegarde d’une « tradition républicaine » qui dé-double, en réalité, un processus d’appropriation populaire, mais sélective et acritique de l’histoire récente du Sénégal, s’ajoute un élément de contexte, tout aussi remarquable. Il s’agit des rappels récurrents, sur le mode du regret, des figures des khalifes Abdoul Aziz Sy et Saliou Mbacké dans le débat pu-blic, singulièrement dans les moments de crise aiguë. Il en est ainsi de cer-tains enregistrements audio des causeries et appels à la paix des cœurs d’Abdoul Aziz Sy qui ont été rediffusés, opportunément, dans les marchés et sur quelques stations de radio FM, lors des débats sur la constitutionnalité ou non de la candidature du président sortant aux élections de 2012. C’est comme si, entre appels et rappels, la nation aurait fait la paix avec les figures tutélaires de son contrat social, mais en reconfigurant leur périmètre de per-tinence. Dans ce contexte, qui semble surtout prendre son essor à partir des élections controversées de 2007, ces dispositions d’écoute, voire de redécou-verte à l’égard des religieux ont fonctionné comme une consécration du rôle de médiateur attendu de tout chef religieux. La marche des imams est préci-sément une tentative d’échappée belle, tout à fait moderne, dans cette (nou-velle) ouverture paradigmatique, d’un groupe particulier relevant d’un champ social déterminé. C’est en ce sens que le tableau ici brossé de sa ge-nèse, de son évolution ultérieure et des aléas qui l’ont ponctué nous a surtout conduit à donner à voir combien la société sénégalaise joue et rejoue ses stocks de vérités héritées, fabulées, recomposées, proprement inventées par

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! James Wolfenshon, ancien directeur de la Banque mondiale, serait l’auteur de ce com-

mentaire plusieurs fois repris, par la suite, dans les débats publics et les articles des jour-naux.

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moments, dans un jeu qui redéfinit, de manière subreptice, ses équilibres po-litiques et sociaux. Dans ces conditions, la gouvernance d’Abdoulaye Wade, en dépit ou à cause de ses allures chaotiques, a constitué un accélérateur his-torique important dans le processus de réinvention continue de la nation. C’est, là, son bien involontaire mérite. Références bibliographiques Bayart J.-F., 1983, « La revanche des sociétés africaines », Politique africaine, 11 : 95-127.

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LIRE MAX WEBER AVEC JEAN-PIERRE GROSSEIN

LA SEMAINE DE LA RECHERCHE VENDREDI 22 MAI

VENDREDI 22 MAI 2015 - à la salle de conférence de la FSJES de l’Université Hassan II de Casablanca,

SEMINAIRE DE RECHERCHE Organisé en collaboration avec le Département de science politique et le CM2S de l’Université Hassan II de Casablanca,

10h00-13h00 - SEMINAIRE« Concepts fondamentaux et catégories sociologiques »

Animé par Jean-Pierre Grossein.

• Texte de lecture : « De l’interprétation de quelques concepts wébériens », Revue française de sociologie, vol. 46, 2005/4, p. 685-721

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DE L'INTERPRÉTATION DE QUELQUES CONCEPTS WÉBÉRIENS Jean-Pierre Grossein Presses de Sciences Po | Revue française de sociologie 2005/4 - Vol. 46pages 685 à 721

ISSN 0035-2969

Article disponible en ligne à l'adresse:--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-francaise-de-sociologie-2005-4-page-685.htm--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Pour citer cet article :--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Grossein Jean-Pierre, « De l'interprétation de quelques concepts wébériens », Revue française de sociologie, 2005/4 Vol. 46, p. 685-721. --------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

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Jean-Pierre GROSSEIN

De l’interprétation de quelques conceptswébériens*

« Je pense personnellement qu’aucun moyen au monde n’est trop “pédant”pour ne pas être à même d’éviter les confusions » (1)

« Il existe à Paris une ignorance incroyable de ce qui en Allemagnea réellement de l’importance » (2)

RÉSUMÉ

Les recherches entreprises en Allemagne autour de l’édition critique de l’œuvre de MaxWeber apportent la preuve que le travail d’interprétation de la construction wébérienne nesaurait désormais se faire, sous peine de graves méprises, en ignorant leurs acquis. C’est lecas tout particulièrement pour ce qui était considéré comme l’opus magnum de Max Weber,Économie et société, qui s’avère être composé de différents manuscrits, rédigés à desépoques différentes et mettant en œuvre des dispositifs conceptuels distincts. Aussi untravail patient de reconstruction de ces dispositifs doit-il être conduit sur la base de cesrecherches philologiques et éditoriales. Il portera principalement ici sur la première phased’élaboration (1909-1914) de ce chantier resté inachevé.

La forme dans laquelle Weber présente certaines de ses théorisations, ettout particulièrement les « Concepts sociologiques fondamentaux » quiouvrent son opus magnum, Économie et société, pourrait laisser croire quenous sommes en présence d’un système théorique immobilisé et clos. Weberne parle-t-il à leur propos de « systématique » ou encore de « casuistique » ?Pendant longtemps, du reste, on a cru qu’il s’agissait du portique, majestueuxet rébarbatif à la fois, qui donnait accès à cet ouvrage, voire à l’ensemble del’œuvre. En réalité, on a découvert, à vrai dire depuis un certain tempsdéjà (3), que ce texte majeur était un ensemble hétérogène composé à partirde différents manuscrits réunis à titre posthume en 1922 et que la conceptuali-sation mise en œuvre dans ces textes n’était elle-même pas homogène. Cetétat de fait a des conséquences lourdes pour le travail de lecture et d’interpré-tation des analyses wébériennes, qui se trouve dans l’obligation de prendre en

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* Nos remerciements vont à FrançoisChazel et à Jean-Claude Passeron pour leursprécieuses remarques.

(1) WL (p. 510). Voir infra la liste des

abréviations.(2) Lettre de Max Weber à Karl Wolfskehl

du 9.3.1913 (MWG II/8, p. 115).(3) Tenbruck (1977).

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compte l’histoire des textes, telle qu’elle est en train d’être reconstruite, nonsans mal ni sans controverses, par les éditeurs de l’édition critique des œuvrescomplètes de Max Weber (Max Weber-Gesamtausgabe).

Cela veut dire – mais n’est-ce pas le propre de toute grande construction dela pensée – que le lexique wébérien n’a été fixé qu’à travers des rectificationset des ajustements successifs. Mais on peut ajouter qu’en l’espèce le caractèreinachevé de l’œuvre n’est pas tant dû à des aléas historiques qu’à la natureintrinsèque du projet wébérien qui visait à construire un système conceptuelrigoureux, afin d’armer et sans cesse améliorer la langue de description socio-historique (4). Il reste qu’évolution n’est pas synonyme d’incohérence. Dansune « Remarque préliminaire », en tête de Économie et société, Weberprévient le lecteur qu’il a fait son possible pour rendre ses développements lesplus compréhensibles possibles, mais, ajoute-t-il, « le besoin de popularisa-tion à tout prix ne serait pas toujours conciliable avec le besoin de la plusgrande rigueur conceptuelle possible et il doit, le cas échéant, s’effacer devantce dernier » (WG, p. 1) (5). Cette rigueur conceptuelle revendiquée par Weberet poussée chez lui au plus haut niveau d’exigence a indéniablement un coûtpour qui veut tirer profit de ces analyses, s’il consent à dépasser les lecturesparesseuses et les simplifications auxquelles elles ont pu donner lieu. Ensuivant pas à pas l’élaboration de certains concepts-clés, nous voudrionsmontrer ce que lire Weber – et donc aussi, éventuellement, le traduire –implique.

Une « communauté émotionnelle » sans émotions

Afin de bien faire saisir la nature des problèmes que pose la compréhen-sion du lexique wébérien, nous commencerons par l’évocation d’un cas relati-vement simple, qui a trait à une notion se rapportant à la sociologie desreligions, celle de Gemeinde, durablement installée dans les traductions fran-çaises sous l’appellation de « communauté émotionnelle » (6). Gemeindedésigne, dans la terminologie wébérienne, une forme instituée de groupementreligieux, structurant objectivement les rapports entre les laïcs et les agentsreligieux. Cette notion qui, dans son acception courante, relève du champecclésiologique (au sens de la « paroisse » ou de la « communauté ») ou du

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(4) Sur les raisons profondes du caractèreinachevé de l’œuvre wébérienne, voir lesdéveloppements convaincants de JohannesWeiß ([1975] 1992, 1988). D’une manièregénérale, nous voudrions souligner l’intérêt del’ouvrage de J. Weiß ([1975] 1992) qui, par saperspicacité et son ouverture, constitue uneexcellente introduction à l’œuvre wébérienne.

(5) Ce que les traducteurs français ontcompris dans un sens strictement inverse :« L’exigence de la vulgarisation à tout prix ne

saurait se concilier toujours avec l’exigence dela rigueur conceptuelle et elle doit le caséchéant s’en dispenser. » (ES, p. 3). Le manquede rigueur des traductions nous a contraint àles modifier systématiquement quand nous lescitons. Nous le signalons ici une fois pourtoutes.

(6) Ce choix de traduction a été introduitpar les traducteurs d’Économie et société en1971. Nous avons déjà évoqué cette questiondans Grossein (2001).

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champ politico-administratif (au sens de la « commune ») est élaborée parWeber en concept sociologique, qui ne désigne pas un régime de subjectivité,mais la nature objective des rapports qui lient les membres de ce groupement :« une sociétisation au service exclusif de fins religieuses » et une influencedes laïcs sur l’action du groupement (SR, pp. 170-171). Relevons d’emblée laformulation par laquelle Weber décrit la nature des relations sociales qui senouent au sein de ce type de groupement : « Les laïcs sont sociétisés en uneaction en communauté permanente » (SR, p. 172) (7). Les concepts utiliséssont ceux de Gemeinschaftshandeln (« action en communauté »), de Vergemein-schaftung (« communautisation ») et de Vergesellschaftung (« sociétisation »).

La traduction de Vergemeinschaftung proposée par Julien Freund(« communalisation ») (8), et adoptée depuis par les commentateurs français,ne paraît pas heureuse, dans la mesure où elle fait disparaître tout lien percep-tible avec l’idée de « communauté » et oriente plutôt, strictement parlant, versl’idée de « commune » (9). S’il est difficile, en l’occurrence, de ne pasrecourir à un néologisme, et si l’on veut former celui-ci par suffixation, autantle faire au plus près du radical « communauté ». Le choix de traduction quenous avions avancé dans Sociologie des religions (« communautarisation »)(SR, p. 119) nous semble à la réflexion présenter l’inconvénient majeurd’évoquer, quoi qu’on veuille, la notion moderne de « communautarisme » etdonc de donner au concept wébérien une connotation que précisément il nerecèle pas. C’est pourquoi nous proposerons : « communautisation » (10).Concernant le concept de Vergesellschaftung, nous continuons à penser qu’ilest préférable, là encore, de créer un néologisme au plus près du radical deréférence (« société ») et nous en resterons à notre choix antérieur :« sociétisation ».

Cela étant, quelle que soit la traduction adoptée, la formulation utilisée parWeber pour définir la Gemeinde semblera paradoxale, voire contradictoire, àqui voudrait l’interpréter à l’aune des définitions conceptuelles qui sont énon-cées dans les « Concepts sociologiques fondamentaux », placées en têted’Économie et société et qui opposent la relation de « communautisation » etcelle de « sociation » (11).

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(7) « zu einem dauernden Gemeinschafts-handeln vergesellschaftet » (WG, p. 277).

(8) Dans ETS comme dans ES.(9) En ce sens, le terme de « communali-

sation » convient tout à fait pour traduire lanotion de eingemeinden (MWG I/22-1, p. 213)ou de Eingemeindung (WG, p. 801), qui décritle processus de formation d’un groupementpolitique au sein d’une structure territorialestable et permanente, par exemple par l’inté-gration d’un groupe de guerriers jusque-là libre,ou encore l’insertion de l’organisation territo-riale des grands domaines à l’est de l’Elbe danscelle des communes.

(10) On aura peut-être encore moins descrupules à abandonner « communalisation » en

apprenant, si l’on en croit Julien Freund lui-même, que ce choix de traduction a été lerésultat d’un vote, au sein du groupe chargé detraduire Économie et société, dans des termesqui, rapportés par Freund, sont assez piquants :« J’étais pour “socialisation”, mais pour fairepasser “communalisation” pour “Vergemein-schaftung”, j’ai accepté “sociation”. » (dansPollack, 1986, p. 51). L’histoire ne dit pas si lavictoire fut remportée à la majorité simple ou àla majorité qualifiée.

(11) On en rappellera ici les définitions.« On appellera “communautisation” une relationsociale lorsque et pour autant que l’ajustement(Einstellung) de l’action sociale – que ce soitdans un cas individuel, en moyenne ou dans un

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Mais en réalité, le chapitre de sociologie des religions a été écrit avant1914 et met en œuvre une autre conceptualisation que celle des « Conceptssociologiques fondamentaux », rédigés en 1919-1920 – nous allons y revenir.Dans tous les cas, le point discriminant de la définition de la Gemeinde portesur l’autonomie objective de ce type de groupement, librement créé, quiimplique comme préalable un éclatement des groupements naturels, familiauxen particulier. D’où l’affinité, selon Weber, entre le groupement religieux dece type et la « commune », au sens de l’entité politico-administrative auto-nome, telle qu’on la rencontre très tôt dans les villes occidentales : « Il esttout à fait invraisemblable qu’une religiosité de groupement communautaire(Gemeindereligiosität) organisée, comme l’est devenu le christianismeprimitif, aurait pu se développer comme elle l’a fait en dehors d’une viecommunale (Gemeindeleben) “citadine”, au sens occidental de ceterme. » (12). C’est pour bien faire ressortir ces éléments spécifiques de laGemeinde, définie comme un « groupement », comme « un institut (Anstalt),comme une formation corporative au service de fins objectives » (WG,p. 288), que nous avons proposé la traduction par « groupement communau-taire » (SR, pp. 92-93, p. 121) (13). Les développements théoriques sur cepoint, dans Économie et société, sont sans ambiguïté, à condition, toutefois,de ne pas recourir à la traduction française, dont le choix en faveur de« communauté émotionnelle » conduit à des incohérences criantes. Ainsi, lacréation d’une « communauté émotionnelle » apparaît, dans la traduction,comme un processus constitutif de l’inscription de la prophétie dans la viequotidienne : « Constituer une communauté émotionnelle permanente avecles adeptes personnels est donc un processus normal qui fait entrer la doctrinedu prophète dans la vie quotidienne [...] » (ES, p. 477), alors qu’il faut lire :« La transformation (Umbildung) des adeptes personnels en un groupementcommunautaire (Gemeinde) représente dès lors la forme normale que revêt ladoctrine du prophète, quand elle entre dans la vie quotidienne. » (WG,p. 276). De même, les traducteurs ne voient aucun problème à parler de « reli-gion rationnelle et éthique de communauté émotionnelle » (ES, p. 501) (14).

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(suite note 11)type pur – repose chez ses participants sur lesentiment subjectif d’une appartenancecommune (relevant des affects ou de latradition). » « On appellera “sociétisation” unerelation sociale lorsque et pour autant quel’ajustement de l’action sociale repose sur uncompromis d’intérêts motivé rationnellement(rationnellement en valeur ou rationnellementen finalité) ou sur une coordination d’intérêtsmotivée de la même manière. » (ES, p. 41).

(12) WG (p. 287). Comparer avec ES(p. 494) : « Il est fort invraisemblable qu’unereligion de communautés émotionnelles,organisée comme l’était le christianismeprimitif, aurait pu se développer de la façon quel’on sait en dehors de la vie en commun au seindes “villes” (au sens occidental du terme). » On

notera ici deux erreurs lourdes de traductiondans la même phrase.

(13) Nous ne prétendons nullement qu’ils’agirait de la meilleure traduction possible.Simplement, nous voyons encore plus d’incon-vénient à parler seulement de « communauté »et de « religion communautaire » – c’est laproposition de F.-A. Isambert (1993) –, car,dans ce cas, la Gemeinde se dissout dans laGemeinschaft, sauf à indiquer chaque fois entreparenthèses le terme allemand correspondant.Quand l’usage de la notion est purementdescriptif, une solution peut consister à parlerde « communauté de fidèles ».

(14) L’absurdité est à son comble quandil s’agit de la Gemeinde civile, qui soit se dilueen « vie en commun » (ES, p. 494), soit setransforme en « communauté émotionnelle »

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Une telle mésinterprétation trouve son origine dans l’ignorance – généraleà l’époque où la traduction a été réalisée – de l’existence de conceptualisa-tions distinctes au sein de ce qui était encore considéré comme un ouvragehomogène, même si on le savait posthume et inachevé : Économie et société.En effet, dans le cadre de l’analyse des « types de domination », telle qu’elleétait formulée dans ce qu’on pensait être la « Ire partie » et donc l’entrée théo-rique de cet ouvrage, Weber décrit la communauté qui entoure le chef charisma-tique comme structurée sur le mode d’une « communautisation émotionnelle »(emotionale Vergemeinschaftung) (WG, p. 141 ; ES, p. 250) (15). Mais cetteformulation datait de 1920 et mettait en œuvre une conceptualisation spécifique.L’ignorance de ce point a conduit ainsi à penser que, pour Weber, touteGemeinde était « émotionnelle » (16).

Cela dit, précisons – mais nous n’entrerons pas dans les détails, car cen’est pas l’objet ici de notre analyse – que le registre émotionnel n’est pasabsent des analyses wébériennes. Outre la place qui est accordée dansL’éthique protestante et l’esprit du capitalisme au rôle des affects dans l’ac-tion religieuse (17), on peut mentionner l’analyse des manifestations « pneu-matiques » dans la communauté chrétienne primitive, développée, du reste,par Weber en des termes que n’aurait pas reniés Durkheim, puisque Weberrapporte ces manifestations émotionnelles et extatiques directement aurassemblement, à l’« être-ensemble » (Zusammensein) des fidèles en tant quetel (18).

L’examen de ce premier exemple montre clairement la nécessité pour l’in-terprétation du lexique wébérien de s’appuyer sur l’histoire des textes, donton ne peut faire l’économie, dans la mesure où c’est le mouvement même dela pensée wébérienne qui s’y dessine. Aussi nous faut-il ici, sans entrer dansles arcanes de cette construction, laquelle du reste est encore l’objet de

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(suite note 14)(ES, p. 503), ce qui nous vaut cette « perle »,concernant le développement de l’Inde et de laChine : tandis que Weber explique, qu’à ladifférence de l’Occident, la consécrationmagico-religieuse des liens de parenté aconstitué là « un obstacle au développement dela ville en une “commune” » (WG, p. 593), latraduction lui fait dire que « ces facteurs ont étépour les villes... un obstacle au développementvers une “communauté émotionnelle” » (ES,p. 503).

(15) De même, la communauté pneuma-tique des premiers chrétiens est décrite comme« émotionnelle » (WG, p. 22).

(16) Cette ignorance a conduit les traduc-teurs à un niveau d’incohérence qui n’atoutefois pas été suffisant pour empêcher la« communauté émotionnelle » de couler unelongue vie tranquille en France, comme entémoigne la place qui lui a été accordée chez lesauteurs suivants : Jean Séguy, « L’approche

wébérienne des phénomènes religieux » (Roma,Siares, 1988, p. 170 sq.) ; Danièle Hervieu-Léger, « Renouveaux émotionnels contempo-rains » (Paris, Centurion, 1990, p. 234 sq.) ;Serge Moscovici, La machine à faire des dieux(1988, p. 279). Au terme de développementslaborieux, Jeanne Favret-Saada s’était ralliée àce choix (« Weber, les émotions et la religion »,Terrains, 22, 1994, pp. 93-109). On notera que,malgré les mises en garde, la « communautéémotionnelle » continue à avoir ses adeptes :voir Régis Dericquebourg, « Mystagogie etreligions de guérison : Max Weber revisité »(Archives de sciences sociales des religions,2001, p. 113). On constatera, à cette occasionqu’une fois reçu, un choix de traduction, quandbien même il serait contestable, a généralementla vie longue.

(17) Voir L’éthique protestante et l’espritdu capitalisme (2003), Présentation, pp. L-LII.

(18) Max Weber ([1920] 1971a, pp. 306-307 ; 1970, p. 389).

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conjectures et de débats, tenter une présentation succincte des problèmes liésà l’histoire complexe de cet immense chantier devenu : Économie et société (19).

Économie et société : un mythe ? (20)

En 1909, Weber accepte de prendre en charge la direction éditoriale d’unnouveau Manuel d’économie politique (Handbuch der politischen Ökonomie),pour lequel il conçoit un Plan général (Stoffverteilungsplan) (21). Parmi diffé-rentes contributions (22), Weber se réserve la rédaction d’un chapitre inclusdans le livre I (« Économie et science économique »), section 3 (« Économie,nature et société »). Le titre prévu pour ce chapitre est « Économie etsociété » (Wirtschaft und Gesellschaft), réparti en trois domaines :

a) Économie et droit (1. rapport principiel ; 2. époques du développementjusqu’à l’état actuel)

b) Économie et groupes sociaux (groupement familial et commune[Gemeinde], groupes de statut [Stände] et classes, État)

c) Économie et culture (critique du matérialisme historique)

Du fait de différentes circonstances (23), la livraison, initialement prévuepour l’automne 1911, débute seulement à l’été 1914, avec la parution d’unpremier volume, sous un titre général qui a été modifié pour des raisons pure-ment juridiques : Grundriß der Sozialökonomik (Précis d’économie sociale).Le volume s’ouvre sur un « Avant-propos » et sur un « Plan », lequel présentedes modifications sensibles par rapport au plan de 1910, en particulier en cequi concerne la contribution sur laquelle Weber a décidé, apparemment, de seconcentrer, à savoir la Ire partie de la section III (Économie et société) dulivre I (Fondements de l’économie), avec pour titre : Die Wirtschaft und diegesellschaftlichen Ordnungen und Mächte (L’économie [dans ses rapportsavec] les ordres sociaux et les puissance sociales) (24).

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(19) On peut s’appuyer pour cela sur lestravaux de W. Schluchter (1988, 1998, 2000,2005), H. Orihara (1995, 2001, 2003), l’intro-duction éditoriale aux volumes I/22 de laMWG ; W. J. Mommsen (2001, 2002) ; sansoublier le travail toujours utile, par lesdocuments qu’il contient, de J. Winckelmann(1986). Pour une tentative de reconstructionsystématique de la conceptualisation wébérienne,on se reportera à Lichtblau (2000).

(20) Ce titre fait écho au titre de l’étude deSchluchter : « Wirtschaft und Gesellschaft :Das Ende eines Mythos » dans Schluchter(1988).

(21) Publié dans MWG II/6 (pp. 766-774)ainsi que dans Winckelmann (1986, pp. 150-155).

(22) Ces contributions annoncées couvrentun large spectre autour de thèmes essentiel-lement économiques. Le lecteur francophone entrouvera une présentation dans H. Bruhns,« Lectures économiques de Max Weber »(1998, pp. 43-46).

(23) Dont le caractère jugé insatisfaisantpar Weber de certaines contributions (celles deBücher et de von Wieser)

(24) Les difficultés de traductioncommencent, comme on le voit, dès le titre.

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Le plan annoncé de cette contribution est le suivant :

1. Catégories des ordres sociaux. Économie et droit dans leur relationprincipielle. Relations économiques des groupements en général

2. Communauté domestique. Oikos et entreprise3. Groupement de voisinage, parentèle, commune (Gemeinde)4. Relations dans les communautés ethniques5. Communautés religieuses. Détermination de classe des religions ;

religions de culture et disposition d’esprit économique6. La communautisation de marché (Marktvergemeinschaftung)7. Le groupement politique. Les conditions de développement du droit.

Groupes de statut, classes, partis. La nation8. La domination : a) Les trois types de domination légitime, b) Domina-

tion politique et domination hiérocratique, c) La domination non légi-time. Typologie des villes, d) Le développement de l’État moderne,e) Les partis politiques modernes.

Ces modifications témoignent d’un élargissement significatif de la théma-tique, opéré durant les années 1912-1913, sur deux fronts principalement,celui d’une typologie de la domination et celui d’une éthique économique desreligions mondiales. Un élargissement que Weber avait évoqué dans une lettreà l’éditeur Paul Siebeck (30.12.1913), à qui il écrit : « Du fait de l’insuffi-sance totale de Bücher – ses “Étapes de développement” –, j’ai élaboré unethéorie et une présentation sociologiques qui forment un tout et qui mettent enrelation toutes les grandes formes de communautés avec l’économie : depuisla famille et la communauté domestique jusqu’à l’“entreprise”, la parentèle, lacommunauté ethnique, la religion (englobant toutes les grandes religions dumonde : une sociologie des doctrines de salut et des éthiques religieuses – ceque Troeltsch a fait, mais cette fois pour toutes les religions, simplementd’une manière plus ramassée) ; enfin, une théorie sociologique générale del’État et de la domination. Je suis en droit d’affirmer qu’il n’existe encorerien d’équivalent, ni aucun “modèle”. » (MWG II/8, pp. 449-450) (25).Lorsque la guerre éclate, non seulement le manuscrit annoncé n’est pas prêt,mais des documents attestent que Weber a entrepris entre-temps de remaniercertains de ses manuscrits, parfois de manière significative, comme parexemple ceux relatifs à la sociologie du droit.

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(25) On notera, à l’adresse de ceux quivoudraient que Weber n’ait jamais quitté l’éco-nomie, qu’à cette occasion, Weber annonce, enpost-scriptum, son intention de rédiger, endehors ou en complément de ce programme,une « sociologie des contenus culturels (art,littérature, conceptions du monde) ». On peutégalement interpréter son renoncement auxautres contributions annoncées comme le signed’une concentration sur une « sociologie ». Àcet égard, on mentionnera l’étude instructive

– dont on peut regretter qu’elle n’ait pas étépoursuivie – d’Isabelle Niehues-Jeuffroy(1992), qui met en lumière l’émergence, àl’occasion de l’enquête sur le travail industriel,d’un nouveau réseau, sociologique, qui « tend àsubstituer à la dynamique scientifique écono-mique du groupe originel (le Verein für Sozial-politik) une dynamique de recherche“sociologique” spécifique », avec une méthodo-logie propre et un réseau propre de chercheurset d’enquêteurs (op. cit. p. 211).

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Mais à défaut de faire paraître les analyses annoncées, Weber publie en1913 dans la revue philosophique Logos une longue étude « De quelquescatégories de la sociologie compréhensive » (26), dont il est précisé que laseconde partie (sections 4-7) est extraite d’un exposé théorique, « rédigédepuis un certain temps déjà » et destiné à présenter les fondements théoriques(« de méthode ») des analyses concrètes (sachlich) destinées à « Économie etsociété » (WL, p. 427 ; ETS, p. 326). La question étant de savoir – nous yreviendrons – si le dispositif conceptuel présenté dans cette seconde partierecouvre exactement la conceptualisation mise en œuvre dans l’ensemble desmanuscrits d’avant 1914. À cet égard, le statut exact de ce texte constitue unenjeu crucial pour l’éclairage de l’ensemble du dispositif.

Weber interrompt complètement ce chantier durant la guerre (27) et ne lereprend qu’à partir de 1919, en commençant par une reformulation profondedu dispositif conceptuel précédemment construit. Le texte qu’il donne à l’im-pression en 1920 – et dont il corrige même les épreuves – sera publié après samort en 1921, sous le titre complet suivant : Grundriß der Sozialökonomie.III. Abteilung : Wirtschaft und Gesellschaft. I : Die Wirtschaft und diegesellschaftlichen Ordnungen und Mächte. Bearbeitet von Max Weber. ErsterTeil (Précis d’économie sociale. Section III : Économie et société. I : L’éco-nomie [dans ses rapports avec] les ordres sociaux et les puissances sociales.Texte de Max Weber. Première partie). Le contenu de ce texte, composé detrois chapitres achevés (« Concepts sociologiques fondamentaux », « Catégo-ries sociologiques fondamentales de l’économie», « Les types de la domina-tion » et d’un chapitre inachevé (« Groupes de statut et classes »), montre queWeber a désormais abandonné le plan de 1914. Dans le sillage de cette refor-mulation conceptuelle, il prévoyait de reprendre complètement « le gros vieuxmanuscrit » (28), ce qu’une mort prématurée l’a empêché de réaliser – sansqu’il soit tout à fait exclu qu’il ait commencé à le faire.

À cette « première partie », Marianne Weber, secondée par un ancien élèvede Max Weber, Melchior Palyi, donna très vite une suite, dès 1921-1922, enrassemblant les manuscrits plus anciens – rédigés comme on l’a vu entre 1909et 1914 – qui semblaient destinés au projet du Grundriß (29) et en donnant àla publication de l’ensemble le titre qui était primitivement celui de lasection III du Grundriß : c’est ainsi qu’est parue en 1922, sous le nom de MaxWeber, la « première édition » de Wirtschaft und Gesellschaft (Économie etsociété). Pour établir cette édition, Marianne Weber a fait l’hypothèse queles manuscrits posthumes destinés au Grundriß représentaient des analyses

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(26) Mentionné par la suite : « Catégories »ou « Essai sur les catégories ». Voir infra, laliste des abréviations.

(27) Ce chantier est abandonné au profitd’un autre, celui d’une sociologie des religions,sous le titre général : L’éthique économique desreligions mondiales. Pour les détails, voir SR,« Présentation » (pp. 78-83, pp. 96-103).

(28) « Le gros vieux manuscrit doit être

remanié de fond en comble » (lettre du7.10.1919 à Siebeck, citée dans MWG I/22-1,p. 32).

(29) Des premières livraisons sont exclues« La ville » (publié désormais dans MWG I/22-5), « La sociologie de la musique » (maintenantdans MWG I/14) ainsi qu’un manuscrit intitulé« Les trois types purs de la dominationlégitime » (MWG I/22-4).

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sociologiques spécifiques qui mettaient en œuvre l’appareil théorique élaborépar Weber en 1919-1920 et publié en 1921 comme une « Ire partie ». Dans seséditions de 1956, puis 1972, qui sont devenues pour longtemps les éditions deréférence, J. Winckelmann apporte des changements par rapport aux éditionsde Marianne Weber – nous n’entrerons pas ici dans les détails – mais il enreprend le parti pris éditorial majeur (30). Or cette hypothèse était erronée :les dispositifs conceptuels ne sont pas identiques dans les deux – ou trois –« parties ». Les éditeurs de la MWG en ont tiré la conclusion pratique quis’imposait : Économie et société fait l’objet de deux éditions séparées. Letome I/22, subdivisé en 5 volumes, plus un volume pour les documents et lesindex, rassemble les manuscrits rédigés entre 1909 et 1914, sous le titregénéral : Wirtschaft und Gesellschaft, suivi du sous-titre : Die Wirtschaft unddie gesellschaftlichen Ordnungen und Mächte. Nachlaß [Ouvrageposthume] (31). Le tome I/23 contiendra les textes de 1919-1920, sous letitre : Wirtschaft und Gesellschaft. Soziologie. Unvollendet 1919-1920[Économie et société. Sociologie. Inachevé 1919-1920] (32).

Mais, dès lors, la question est de savoir où trouver les définitions desconcepts qui sont mis en œuvre dans les manuscrits d’avant 1914. Il y quel-ques années, la réponse était simple : dans « Sur quelques catégories de lasociologie compréhensive », publié en 1913 (33). Aujourd’hui, la réponse estplus complexe, dans la mesure où il s’est avéré que les textes d’avant 1914 nesont eux-mêmes pas homogènes et correspondent à différentes phases deconceptualisation. Nous n’entrerons pas ici dans les détails. Si l’on reprendles indications de W. Schluchter (2005), on peut résumer les choses ainsi : àune phase préparatoire (1907-1910), centrée sur la confrontation avecStammler, aurait succédé une phase allant du milieu 1910 à la fin 1912, orga-nisée autour de la conceptualisation développée dans l’essai sur les catégo-ries, en particulier le concept d’action en entente, et où la sociologie du droitoccupe une place centrale ; puis la phase allant du début 1913 au milieu 1914,où s’opèrent de nouveaux déplacements conceptuels, avec un recul de lasociologie du droit et du concept d’action en entente, au bénéfice desconcepts de charisme et de domination. Toutefois, présentées ainsi, les chosesseraient encore trop simples, dans la mesure où il semble que Weber n’ait pasintégré entièrement sa conceptualisation de 1913 dans les textes qu’il avait

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(30) Voir Winckelmann (1986).(31) Les cinq volumes thématiques sont

consacrés aux « Communautés », aux « Commu-nautés religieuses », au « Droit », à la« Domination » et à « La ville ». Voir, dans cenuméro, dans « Documents » la liste des publi-cations de la MWG.

(32) Nous n’entrerons pas ici dans lesarcanes des justificatifs et des débats qui ontconduit les éditeurs à opter en définitive pour letitre de Wirtschaft und Gesellschaft [Économieet société], suscitant l’interrogation chezcertains commentateurs. Voir par exempleLichtblau (2000a, 2003). Les « attendus » des

décisions éditoriales sont placés en tête dechaque volume de la série I/22.

(33) Pour les références, voir supra note 30.Tel était l’avis, par exemple, de W. Schluchter(1985) : « L’essai sur les catégories, qui a étépublié jusqu’à présent dans la Wissenschafts-lehre, devrait dans tous les cas être placé en têtede l’ancienne version [les manuscrits d’avant1914 – J.-P. G.] » (op. cit., p. 633). Sur cettequestion, notre « Présentation » de Max Weber,Sociologie des religions (1996), dépendaitnaturellement de l’état des connaissances del’époque.

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déjà rédigés entre 1910 et 1912. Indépendamment de leurs divergences sur lesproblèmes de datation (34), les éditeurs ont tenu compte du fait qu’on neretrouve pas dans l’ensemble de ces manuscrits la totalité du dispositifconceptuel des « Catégories », tout particulièrement le concept d’action enentente et ses composés : ils ont pris le parti de ne pas placer l’essai sur lescatégories en tête des manuscrits d’avant 1914, lesquels se retrouvent tel un« torse sans tête », pour reprendre l’expression de H. Orihara (35). On peutregretter ce choix (36). En effet, les manuscrits d’avant 1914 s’ouvrent dansl’édition critique (MWG I/22-1) sur un texte considéré comme un fragmentd’un texte introductif, mais qui ne contient pas la définition des concepts misen œuvre dans ces manuscrits (37). Or, dans la mesure où certains de cesconcepts ne trouvent pas de définition ailleurs que dans l’essai sur les catégo-ries, il nous semble nécessaire de commencer par nous reporter à ce dernier,avant, dans un second temps, de suivre leur mise en œuvre dans les analyses« concrètes ». À cet égard, nous continuons à partager la position, qu’il a visi-blement abandonnée depuis, de W. Schluchter (2000, p. 236) qui admettaitque, quels que soient les arguments philologiques, « ne serait-ce que pour desraisons de lisibilité, il serait souhaitable de placer l’essai sur les catégories entête des manuscrits d’avant-guerre ».

Cela étant, on ne sait s’il faut trouver un sujet de consolation aux diffi-cultés d’interprétation qui assaillent les commentateurs et spécialistes, dansles propos que Weber lui-même adressait à son éditeur et où il parlait de cechantier comme du « malheur de ma vie » (38).

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(34) W. Schluchter et W. J. Mommsendivergent dans leur lecture des indicationsdonnées par Weber lui-même, dans une lettredu 5.9.1913, sur la date de rédaction des« Catégories ». Pour le premier, le texte étaitrédigé « il y a 3-4 ans », pour le second : « il y atrois trimestres ».

(35) Voir le débat Schluchter-Orihara dansSchluchter (2000, pp.178-236). En dernier lieu,Orihara (2003).

(36) Même si l’essai se compose effecti-vement de deux parties distinctes et que seulesles sections 4 à 7 concernent la formation desconcepts sociologiques, il n’en reste pas moinsl’indication de Weber (WL, p. 427). Dans cesconditions, pourquoi n’avoir pas, d’une manièreou d’une autre, placé au moins cette partie dutexte en tête des manuscrits d’avant 1914, quitteà publier l’ensemble du texte, tel qu’il est parudans la revue Logos, dans un autre volume.

(37) Voir, dans ce numéro, la traduction dece texte : « Les relations économiques descommunautés en général ».

(38) « J’ai accepté ce travail – le malheurde ma vie, car il m’a détourné de choses quej’aurais pu réaliser sans problèmes, des livres et[lacune dans l’original – N. d. T.] – pour vousêtre agréable sans me douter de ce quim’attendait. […] Je suis la “bonne à tout faire”.Cela fait maintenant trois ans que je travailleuniquement à cause de cela et uniquement pourcela, au prix de ma santé (ce n’est pas tropdire). Si en plus de la santé et de la joie devivre, je laisse dans cette affaire ma réputation– et cela peut arriver ! il s’agit des choses lesplus épineuses et les plus controversées denotre discipline et de la sociologie ! – alors, jedois le dire, je ne vous pardonnerai jamais. »Lettre à Siebeck, 27.7.1914 (MWG II/8, p. 776).

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« De quelques catégories de la sociologie compréhensive » :un moment théorique clé (39)

La relation entre la construction conceptuelle développée dans ce texte –plus précisément la seconde partie – et les analyses destinées à faire partied’Économie et société est clairement affirmée par Weber (40). Avant mêmede construire une théorie de l’action sociale, Weber avait développé uneanalyse idéaltypique des relations entre les « grandes formes de commu-nautés », avec un usage du concept de « communauté » qui restait relative-ment indifférencié, comme en témoigne l’énoncé même de sa lettre du30.12.1913 (mentionnée plus haut), puisqu’il inclut sous cette appellation : lafamille, la communauté domestique, la parentèle, mais aussi l’entreprise et les« communautés politiques », dont l’État (41). Jamais défini en tant que tel, ilenglobe un ensemble hétérogène de formations, de structures sociales, dèslors que s’y déploie régulièrement une action sociale (42).

1. Par « action en communauté » (Gemeinschaftshandeln), Weberdésigne une action conduite dans le cadre de ces différentes entités et dont lesens subjectif s’oriente d’après l’action (réelle ou potentielle) d’autrespersonnes : « On parlera d’action en communauté là où une action humaineest dans un rapport subjectif signifiant avec le comportement d’autrespersonnes » (ETS, p. 347 ; WL, p. 441). Est désigné ainsi le lien social en sonsocle minimal : dès lors qu’il y a action à plusieurs, il y a « action en commu-nauté », à condition toutefois que la relation fasse sens pour les individusconcernés. Autrement dit, il faut comprendre que cette action se déploie ausein d’une « communauté », au sens large d’un espace commun d’action àplusieurs ; il ne s’agit pas d’une « action communautaire », au sens d’uneaction qui serait conduite par une communauté (43). En son contenu de sensminimal, l’action en communauté représente une modalité amorphe de relation

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(39) En toute rigueur, le terme « compré-hensif » renvoie à l’idée d’une compréhensionbienveillante, ce qui n’a rien à voir avec lacompréhension des motivations, telle queWeber la définit comme moment de l’explicationsociologique. Il nous semblerait préférable deparler de « sociologie de compréhension ».

(40) Voir plus haut p. 692.(41) On retrouve cette acception large dans

L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme,par exemple, où il est question des « commu-nautés sociales, depuis le conventicule jusqu’àl’État » ( 2003, p. 252).

(42) On verra un indice de cette relativeindétermination du concept de communautédans le fait que Weber a hésité entre le terme« communauté » et celui de « groupement »(Verband), comme l’atteste le plan de 1910, ouencore le remplacement de « communautépolitique » par « groupement politique » ou

enfin l’intervention de Weber, rayant dans unmanuscrit portant sur « La communauté domes-tique, la parentèle et le voisinage » le mot« communauté » (Gemeinschaft) pour leremplacer par « groupement » (Verband). Voirsur ce point les indications éditoriales de W. J.Mommsen dans MWG I/22-1, p. 38, p. 200,p. 291. Quant au concept d’action en commu-nauté, son caractère relativement peu élaboréest attesté par le nombre de pages – 2 – quilui sont consacrées dans les « Catégories »,comparées aux 10 pages consacrées à la« sociétisation » et aux 15 pages qui traitent del’« action en entente ».

(43) Nous sommes là encore devant unproblème délicat de traduction, dans la mesureoù l’acception wébérienne (allemande ?) de lanotion de communauté heurte nos habitudeslexicologiques (françaises). La « communauté »ici correspond au « collectif » chez Durkheim.

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sociale, « un agir ensemble purement factuel » (44), à la limite de l’« actionde masse ». Il est important de noter qu’en 1920, dans les « Concepts sociolo-giques fondamentaux », l’action en communauté deviendra, avec exactement lemême contenu de sens, l’« action sociale ».

À partir de ce concept englobant de « communauté », Weber forge, sans endonner à cette étape une définition précise, le concept relativement indéter-miné, lui aussi, de Vergemeinschaftung, qui désigne la forme sociale résultantde l’« action en communauté » ; nous proposons la traduction : communauti-sation (45). Weber ne parle pas encore à ce moment de « relation sociale »,mais l’on peut supposer qu’il s’agit déjà de cela (46). L’action en commu-nauté elle-même comporte toute une gradation, depuis les formes les plusamorphes jusqu’aux formes les plus rationnellement organisées (47). Weberfait remarquer, presque en aparté (WL, p. 441 ; ETS, p. 348) – ce qui peutexpliquer qu’on n’y ait pas prêté suffisamment attention –, que si l’orientationde l’action en communauté, « normalement », se définit par rapport auxattentes relativement au comportement des autres (48), et s’appuie sur l’éva-luation subjective des chances de réussite de l’action propre en fonction deces attentes (évaluation qui n’est pas sans rapport avec l’existence de chancesobjectives) – nous reviendrons sur ce point plus loin –, cet élément « impor-tant et normal » n’est pas indispensable à l’existence factuelle de ce typed’action. Weber souligne que l’action orientée en fonction des attentes quel’on nourrit relativement à l’action de tiers ne constitue que le « cas limiterationnel » de l’action en communauté (ou action sociale). Le « sens possible(visé subjectivement) » de l’action « orientée en valeur » (wertorientiert) peutn’être orienté qu’en fonction de la croyance en la valeur propre de l’actionpersonnelle (WL, p. 442 ; ETS, p. 349) (49). Si l’on ne tombe pas dans uneerreur de perspective consistant à confondre la priorité méthodologique queWeber accorde à l’action rationnelle en finalité avec l’affirmation d’un primatontologique du rationnel en finalité (50), on devra souligner l’importance quecelui-ci reconnaît aux modalités amorphes de l’action sociale.

L’action en communauté désigne l’action sociale en sa forme la plus géné-rale, la plus englobante, que Weber spécifie en deux modes distincts, dont lestatut semble symétrique : l’action en société et l’action en entente.

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(44) « bloß faktisches Zusammenwirken »(WL, p. 458 ; ETS, p. 374).

(45) Pour la justification de ce choix detraduction, voir supra, p. 687. On notera que ceconcept n’apparaît que plus loin dans le texte,dans les pages consacrées à l’action en entente.

(46) La notion de « relation sociale » estdéjà présente dans l’essai sur Stammler, quidate de 1907 (WL, p. 331 sq. ; traductionfrançaise : Weber, 2001, p. 131 sq.).

(47) Dans tous les cas, il n’est pas questionde sentiment d’appartenance à une entitécommune.

(48) Et non pas aux « expectations », dontparle systématiquement la traduction française.

(49) On remarquera que le type d’orien-tation de l’action laissé ici hors champ parWeber se verra conférer un plein statut dans laconceptualisation de 1920 sous la catégorie del’« action rationnelle en valeur ».

(50) C. Colliot-Thélène (2001, p. 121)invoque le fait que Weber aurait placé la ratio-nalité en finalité « au sommet » (?) de satypologie des déterminants de l’action socialecomme le signe que, malgré la « chosification »des rapports sociaux, la civilisation modernereprésenterait pour lui « le développement d’untype de civilisation incontestablement supérieurà tout ce qui l’avait précédée ».

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2. Le concept d’« action en société » (Gesellschaftshandeln) (51) définitune modalité spécifique de l’action en communauté, à savoir une actionorientée en fonction d’attentes qui prennent en compte l’existence d’ordres,lesquels ont été institués dans le but purement rationnel d’obtenir depersonnes déterminées un comportement déterminé, avec cette précisionsupplémentaire que, dans la définition wébérienne, cette orientation doit êtrerationnelle en finalité également au plan subjectif : « Nous dirons d’uneaction en communauté qu’elle est une action sociétisée (« action en société »),lorsque et pour autant 1) qu’elle est orientée au plan du sens d’après desattentes que l’on nourrit sur la base d’ordres, que 2) les « règlements »(Satzung) de ces derniers ont été établis d’une façon purement rationnelle enfinalité dans la perspective que l’action des sociétisés répondra aux attentes etque 3) l’orientation qui fait sens se déploie au plan subjectif de façon ration-nelle en finalité. » (WL, p. 442 ; ETS, p. 350).

Lorsqu’une action sociale est directement à l’origine d’un accord autourd’un ordre, voire d’un ordre lui-même, Weber parle d’action de sociétisation(Vergesellschaftungshandeln). À l’instar des communautisations, les « socié-tisations » présentent toute une gradation, depuis la forme éphémère d’unevendetta par exemple, en passant par une « conjuration » urbaine au MoyenÂge, jusqu’à la forme instituée et pérenne d’une association à but déterminé(Zweckverein), présentée par Weber comme le type idéal rationnel de la socié-tisation (WL, p. 449, ETS, p. 362, p. 364). Cette dernière elle-même pouvantprésenter des traits distincts, selon que l’on a affaire à une formation auto-nome ou au contraire à une composante d’une sociétisation plus large, quil’« englobe » (52). Dans tous les cas, le caractère commun à toute sociétisa-tion est de reposer sur un ordre qui fait l’objet d’un accord explicite (verein-barte Ordnung).

Mais avant d’en poursuivre la présentation, force est de souligner ici lecaractère déroutant de la terminologie wébérienne : une « communauté »peut, en effet, constituer le cadre dans lequel se déploie soit une « communau-tisation », soit une « sociétisation » et une « action en communauté » peut être« sociétisée ». Ainsi avons-nous vu plus haut que les membres de la commu-nauté de fidèles (Gemeinde) sont « sociétisés en une action en communautépermanente ». Autre exemple : Weber définit le mode d’action de la bureau-cratie comme « l’action en communauté sociétisée rationnellement d’uneformation de domination » (53). Nous sommes ainsi confrontés à un doubleproblème : celui de la complication intrinsèque de la terminologie wébé-rienne, dont il n’est pas certain du reste qu’elle soit évidente, de nos jours entout cas, même pour un lecteur allemand ; à quoi s’ajoute, quand il s’agit de la

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(51) Là encore, la traduction poseproblème. Par souci de symétrie avec « actionen communauté », nous proposons « action ensociété ». Peut-être pourrait-on parler d’« actionsociétale » et pour Vergesellschaftung de« sociétalisation » ?

(52) Weber use de la notion de « übergreifen »,

que l’on retrouvera à plusieurs reprises, pourdécrire des relations de recouvrement, d’englo-bement.

(53) « Das rational vergesellschafteGemeinschaftshandeln eines Herrschaftsge-bildes » (WG, p. 550).

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transposer en français, le fait que cette terminologie heurte nos habitudes lexi-cologiques, voire nos « habitudes de pensée » (54).

3. À l’occasion de ces définitions, Weber recourt d’une manière récurrenteà une notion, celle d’« ordre » (Ordnung), dont, paradoxalement, on a du malà trouver une définition. Or il s’agit d’une notion tellement centrale dans ledispositif conceptuel wébérien que Weber dira lui-même plus tard (en 1920)que l’on pourrait construire toute la sociologie à l’aide de deux conceptsseulement, celui d’action (Handlung) et celui d’ordre (Ordnung) (55). Maisl’importance de cette notion apparaît déjà dans le titre que Weber avait choisipour sa contribution au Grundriß der Sozialökonomik (56). En 1920, dans les« Concepts sociologiques fondamentaux », « ordre » désigne le « contenu desens d’une relation sociale », « quand l’action est orientée (en moyenne etapproximativement) d’après des “maximes” désignables » (WG, p. 16). Indé-pendamment des difficultés d’interprétation propres à la conceptualisation de1920, le problème est de savoir si sur ce point il existe une continuité entre laconceptualisation de 1910-1914 et celle de 1920, de telle sorte que l’on pour-rait réinjecter dans la première les définitions de la seconde.

La notion d’ordre est incontestablement au centre du débat que Weber amené contre la conception juridiste de l’ordre social défendue parStammler (57) et dont, en 1920 encore, il rappelle avec force l’importance :« Non seulement Stammler n’opère pas de distinction entre la validité empi-rique et la validité normative [de l’ordre], mais en outre il méconnaît le faitque l’action sociale ne s’oriente pas uniquement d’après des “ordres” » (WG,p. 17) (58). Nous sommes là, de fait, au cœur d’un débat qui, au-delà de laconfrontation de 1907, se poursuivra au cours de la première phase de larédaction de la contribution au Grundriß, comme l’attestent le plan de 1910,mentionné plus haut, ainsi que les textes concernant « L’économie et lesordres sociaux » (Die Wirtschaft und die gesellschaften Ordnungen) (59). Ladifficulté tient dans l’extension variable de ce concept. En relation avec leconcept d’action en société, Weber en donne une définition restreinte : ils’agit alors d’ordres fixés par des statuts, des règlements et cela, du reste,dans une formulation assez contournée : « Au sens empirique où nous l’enten-dons ici – et dans une définition tout à fait provisoire – un ordre réglementé(gesatzte Ordnung) constitue soit 1) une injonction unilatérale – et explicite,dans le cas-limite rationnel – de la part de certaines personnes à l’adressed’autres personnes, soit 2) une déclaration que des personnes s’adressent

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(54) Nous faisons allusion ici à une notion(Denkgepflogenheiten) par laquelle Weberdésigne non pas un « esprit routinier », commel’écrit la traduction française (ETS, p. 352),encore moins « l’opinion moyenne » (p. 359),mais des schèmes mentaux (un horizon mental),stabilisés par leur usage récurrent, qui struc-turent le mode de perception des acteurssociaux.

(55) Lettre à Rickert citée par W.Schluchter (1988, tome 1, p. 351).

(56) Pour mémoire : « L’économie dans sesrapports avec les puissances sociales et lesordres sociaux ».

(57) Voir Weber (1907, 2001b).(58) Weber ajoute une objection supplé-

mentaire, à vrai dire la principale, au planépistémologique : l’ordre n’est pas la forme del’action sociale (WL, p. 336 ; Weber, 2001,p. 135).

(59) Voir infra pour la présentation de cestextes.

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mutuellement – explicitement, dans le cas-limite – et dont le contenu visésubjectivement tient dans le fait qu’on entrevoit ou qu’on attend un modedéterminé d’action. » (WL, pp. 442-443 ; ETS, pp. 350-351) (60). Peut-êtrefaut-il chercher d’autres occurrences où les choses seraient éventuellementplus claires. Comme, par exemple, avec cette définition de l’« ordre » propreà un groupement : « Toutes les régularités effectivement constatables ducomportement, qui caractérisent ou qui conditionnent d’une manière essen-tielle le déroulement effectif de l’action en communauté qui constitue cegroupement ou qui est influencée par lui. » (WG, p. 190 ; ES, p. 336). Mais lanotion peut avoir une acception plus large, l’ordre étant alors conçu comme lecadre d’un domaine entier d’activité. Ainsi Weber souligne-t-il, à propos del’« ordre juridique », que lorsque l’on quitte le registre normatif pour s’inté-resser à la seule question qui vaille du point de vue sociologique, celle de sa« validité empirique » (61), « le sens du terme “ordre juridique” change dèslors complètement. Il ne signifie plus alors un cosmos de normes dont on peutinférer la “justesse” par la logique, mais un complexe de déterminantsfactuels qui agissent sur l’action réelle des hommes » (62). Enfin, le conceptd’ordre connaît une extension maximale avec la notion de Lebensordnungen(ordres de vie), par quoi Weber désigne des sphères d’activité déployant deslogiques de sens et des valeurs spécifiques qui ont tendance à s’autonomiseret à s’opposer entre elles. Ainsi est-il question, dans la « Considération inter-médiaire », des rapports entre la religion, l’économie, la politique, l’art,l’érotique ainsi que l’activité de la connaissance intellectuelle (63).

Mais quel que soit leur degré d’extension conceptuelle, il n’est pas ques-tion de concevoir les « ordres » comme le seul résultat stabilisé, institutionna-lisé des actions. Une erreur lourde d’interprétation de la théorie wébériennede l’action sociale tient dans une lecture « génétique » de la série conceptuellequi va de l’action à l’ordre et au groupement, alors qu’il s’agit d’une cons-truction logique. Comme le dit très justement Thomas Schwinn, l’action ne sedéploie pas à partir d’un état social zéro et le concept de « chance », articuléà celui d’« action moyenne », interdit un réductionnisme micro-sociolo-gique (64). En effet, la validité empirique d’un ordre ne consiste pas d’aborddans le fait que des actions s’orientent effectivement, encore moins continû-ment, d’après lui, mais en « la chance qu’il soit suivi » (WL, p. 445 ;

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(60) La traduction française par« règlement » fait problème, dans la mesure oùun « ordre » n’a pas nécessairement besoinprécisément de règles juridiques pour exister.

(61) Et non pas « son application réelle »comme l’écrit la traduction française (ETS,p. 322).

(62) « Komplex von faktischen Bestim-mungsgründen realen menschlichen Handelns »(WG, p. 181). Voir aussi dans le même passagela définition sociologique d’un « ordre écono-mique ».

(63) Voir SR (pp. 410-460).

(64) Thomas Schwinn (1993a, pp. 91-145,analyses reprises dans 1993b et 1995) ;T. Schwinn souligne en particulier le caractère« processuel » et temporel des ordres. Sur lesrapports entre « ordres de vie » et « sphères devaleur », voir Schwinn (1998 et 2001). Surl’articulation ordre-action dans le cadre des« Concepts sociologiques fondamentaux » de1921, voir Schluchter (2000), Greshoff (2005).Sur le concept de « chance », voir aussi Weiß([1975] 1992, pp. 88-90). Sur le concept de« validité », la littérature est immense ; on nouspermettra de ne citer que Treiber (1998).

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ETS, p. 355). Weber apporte sur ce point une précision importante, en souli-gnant que la sociologie, quand elle construit des concepts « généraux »,attribue aux acteurs qui agissent rationnellement en finalité la capacitémoyenne d’évaluer l’existence des chances objectives relatives aux attentes età l’action de tiers (65). Il en découle, au plan idéaltypique, un rapport d’adé-quation entre l’évaluation subjective et l’existence objective de ces chances,que Weber pense sous les catégories qu’il a élaborées quelques années plustôt, celles de « causation adéquate » et de « possibilité objective » (66). Cepoint est jugé suffisamment important par Weber pour qu’il le reprenne unpeu plus loin dans les mêmes termes à propos de l’action en entente (67).

La question sociologique porte, selon Weber, sur les conditions de « vali-dité » empirique d’un ordre et il souligne qu’un simple jeu d’attentes récipro-ques relatives à la validité d’un ordre dépasse difficilement le seuil d’unesimple action en communauté et donc a peu de chance de surmonter le carac-tère instable de ces attentes, sauf si l’ordre en question est conçu subjective-ment par les acteurs comme « obligatoire » en vertu de sa « légalité » : « Uncomportement qui s’orienterait chez tous les participants exclusivementd’après les “attentes” relatives au comportement des autres ne constitueraitque le cas-limite absolu par rapport à la simple “action en communauté” etsignifierait l’instabilité absolue de ces attentes elles-mêmes. Celles-ci, enrevanche, ont précisément un “fondement” d’autant mieux assuré en termesde probabilité moyenne, que l’on peut compter d’autant plus en moyenne surle fait que les participants n’orientent pas leur propre action uniquementd’après ce qu’ils attendent de l’action des autres, mais qu’ils partagent d’au-tant plus, dans une mesure significative, l’idée subjective selon laquelle la“légalité” à l’égard de l’ordre (légalité conçue en son sens subjectif) auraitpour eux un caractère “obligatoire”. » (WL, p. 446 ; ETS, p. 356). Cette ques-tion de la légalité ou (plus loin) de la légitimité inaugure ce qui seradorénavant une des grandes thématiques wébériennes.

Mais, et c’est là un thème central depuis sa confrontation avec Stammler,Weber souligne que les différentes « formations communautaires » peuventprésenter des structures variées : elles peuvent connaître une rationalisationseulement partielle de leur activité, elles peuvent être « plus ou moins amor-phes ou plus ou moins sociétisées » (WG, p. 382, ES, p. 633). L’action socialeest loin de s’épuiser dans l’orientation d’après des ordres établis, codifiés. Lessociétisations rationnelles ne recouvrent qu’une petite partie seulement del’« action en communauté », laquelle peut être coordonnée sans eux : àtravers des accords implicites, des sous-entendus, des attentes qui sedéploient comme si un ordre existait. C’est pour rendre compte de ces modesd’action spécifiques que Weber introduit le concept d’« action en entente »

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(65) « [La sociologie] présuppose une foispour toutes, au plan idéaltypique, que leschances moyennes qui existent objectivementsont également prises en compte approximati-vement et subjectivement par ceux qui agissentrationnellement en finalité. » (WL, p. 444 ; ETS,

pp. 352-353).(66) Voir WL, p. 445 ; ETS, p. 355.(67) Voir infra note 69. Nous ne pouvons

entrer ici dans la discussion de ce problèmecomplexe. Pour une contribution particuliè-rement utile, on citera W. Hopf (1991).

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(Einverständnishandeln), conçu comme une spécification de l’action encommunauté, au même titre que l’action en société.

4. « Nous entendrons par “entente” (Einverständnis) le fait qu’une actionqui s’oriente d’après le comportement d’autres personnes possède une chance“valide” empiriquement de voir ses attentes se réaliser, pour la raison que laprobabilité existe objectivement que ces autres personnes, nonobstant l’ab-sence d’un accord, traiteront dans la pratique ces attentes comme ayant unsens “valable” pour leur propre comportement. » Et donc sera désignée« action en entente » : « toute action en communauté dont le déroulement estdéterminé – et pour autant qu’il l’est – par une orientation d’après cette sortede chances d’“entente” » (WL, p. 456 ; ETS, p. 371). L’espace de relationsdessiné par ce type d’action est désigné comme une « communautisationd’entente » (Einverständnisvergemeinschaftung) ou encore, quand les rela-tions sociales correspondantes se stabilisent et s’agrègent en une formationsociale, une « communauté d’entente » (Einverständnisgemeinschaft) ; lesparticipants à ce type de relations sont dits « communautisés par entente » (68).

Comme pour la validité d’un ordre établi par accord, Weber précise que lavalidité empirique d’une entente ne peut pas reposer uniquement sur l’attentesubjective de la part d’un acteur individuel que d’autres conformeront leuraction en fonction de ces attentes. Il doit exister un rapport d’adéquation entrel’évaluation subjective et l’existence objective de ces chances (69).

Le premier exemple auquel Weber a recours pour illustrer le contenu de ceconcept est celui du marché (70). Au-delà de l’acte singulier de l’échangemarchand – qui constitue une sociétisation – l’usage de la monnaie impliquede la part des partenaires de l’échange la prise en compte de l’action d’unnombre indéterminé de tiers, réels et potentiels, dont on attend qu’ils recour-ront au même moyen pour couvrir leurs besoins. Weber souligne que cetterelation à l’action de tiers, quand bien même ceux-ci ne sont pas concrètementdéfinis ni définissables, est une relation de sens (sinnhaft) (71) ; elle n’est pas

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(68) Ou encore « Einverstandenen », quel’on ne peut pas traduire par « qui se sontentendus » ou « qui s’entendent » (ETS, p. 373),dans la mesure où elle exclue précisément de ladéfinition l’idée d’une entente explicite,organisée.

(69) « Entre la validité objective moyennede la chance (validité qui est appréhendée auplan logique sous la catégorie de la “possibilitéobjective”) et les attentes subjectives moyennesil existe une relation réciproque de causationadéquate compréhensible. » (WL, p. 456 ; ETS,p. 372).

(70) Outre le marché, Weber évoque la« communauté linguistique » pour illustrer sesdéfinitions conceptuelles.

(71) La traduction par « significatif », quel’on retrouve systématiquement dans les

premières pages de Économie et société, estsource de confusion et d’obscurité. À la limitevoudrait-il mieux parler de « signifiante »,encore que le terme renvoie au domaine de la« signification ». Ainsi, quand Freund fait direà Weber que « l’activité est pour une large partsignificativement relative au monde extérieurqui est par lui-même étranger à la signification[…] Les phénomènes dépourvus de “relativitésignificative” subjective jouent à titre de “condi-tions et de conséquences” d’après lesquelles nousorientons notre activité significative » (ETS,p. 332), Weber écrit – plus clairement tout demême – ceci : « l’action est pour une large partdans une relation de sens avec un “mondeextérieur” lui-même dépourvu de sens » (« aufdie sinnfremde “Aussenwelt”… ist das Handelnsinnhaft bezogen » – WL, p. 431).

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de l’ordre de la simple imitation ou de l’interaction (WL, p. 454) (72), ouencore de l’action de masse. Mais cette orientation n’est pas conditionnée parl’existence d’un ordre (Ordnung) qui règlementerait le mode de couverturedes besoins : « C’est au contraire l’absence, du moins relative, d’un tel ordre(relatif à une “économie commune”) réglant la couverture des besoins de ceuxqui participent à l’usage de la monnaie qui est précisément le présupposé del’usage de la monnaie. » (WL, p. 453) Toutefois, les choses se déroulentcomme si un tel ordre existait et avait fait l’objet d’un accord explicite. L’ex-plication de cette convergence des comportements tient dans le fait quechaque participant à un échange est conduit par son intérêt « dans des limitesdéterminées et en moyenne » à prendre normalement en compte dans unecertaine mesure les intérêts des tiers, « parce que ces intérêts constituent lesdéterminants normaux des “attentes” qu’il est en droit de son côté de nourrirrelativement à leur action » (WL, p. 453). Les motivations concrètes et indivi-duelles étant dans la réalité d’une infinie variété, Weber pense que leur éluci-dation, à ce stade, est inutile : « Au plan conceptuel, les motivations qui fontqu’on est en droit d’attendre ce comportement des autres sont indifférentes. »(WL, p. 456). En revanche, c’est « une des tâches de toute sociologieconcrète » que de mettre au jour dans leur contenu « les motivations, les inté-rêts et les “situations intérieures” qui fondent le plus fréquemment et enmoyenne l’apparition et la perpétuation » des différents modes d’actionsociale (WL, p. 460 ; ETS, p. 378).

Mais l’« entente » ne doit être confondue ni avec un « accord tacite » (WL,p. 457 ; ETS, p. 372), ni avec la « satisfaction », ni avec la « solidarité » :« La lutte traverse au contraire potentiellement tous les modes d’action encommunauté en général » (WL, p. 463 ; ETS, p. 382) (73) – y compris au seindes relations érotiques ou caritatives. Inversement la lutte, excepté dans lescas-limites d’un débridement totalement anarchique et irrationnel, impliqueun minimum de relation sociale entre les adversaires, dans la mesure où,qu’elle soit violente ou pacifique, elle se déroule sur fond de règles et d’at-tentes. Il peut également y avoir « entente » dans la soumission à un ordreimposé (WL, p. 468), par exemple dans le cadre d’un « établissement »(Anstalt) (74) régi par des règlements, comme un État ou une Église : il suffit,

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(72) Concernant le concept d’interactionchez Simmel, Weber s’est exprimé négati-vement, mais très brièvement, dans un texteinachevé et qui tourne vite court (Weber, 1991).Weber reproche à ce concept son indétermi-nation et sa « multivocité » et le fait qu’il neprend pas en compte le contenu de senssubjectif de la relation. Voir le commentaire deKlaus Lichtblau (1994). Les prises de positionde Weber à l’égard de Simmel étant extrê-mement parcimonieuses, on signalera ledocument manuscrit exhumé et commenté parEdith Hanke (2001, pp. 24-26) contenant lesremarques de Weber à propos d’une étude deSimmel sur la « domination », parue en 1907.

(73) Pour une reprise du thème de l’omni-présence de la lutte, sous des formes ouvertesmais aussi et surtout peut-être, voilées, entreindividus, comme à l’intérieur du mêmeindividu, voir WL, p. 517 ; ETS, p. 442. Surla mésinterprétation du concept wébériend’entente par Habermas, voir Colliot-Thélène(2001, pp. 219-240).

(74) Sur les objections à la traduction deAnstalt par « institution », voir Colliot-Thélène(2003, p. 9). Nous proposons de parlerd’« institut » ou d’« établissement ». Sur lanotion de « Anstalt » voir Hermes (2005), ainsique Anter (2001).

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en effet, pour qu’il y ait action en entente, qu’existent des attentes quant à lalégalité (WL, p. 459) (75). Weber indique que la plupart des règlementspropres aux « établissements » ou aux « groupements » sont imposés enescomptant que les membres concernés agiront en entente, d’où le décalageque l’on peut observer entre les règlements explicites, dont les tenants et lesaboutissants sont maîtrisés par un nombre restreint de personnes, et le régimeeffectif de ces formations (WL, p. 469 ; ETS, p. 389 sq.).

De là, Weber généralise l’analyse en appliquant la notion d’entente au« pouvoir d’imposition » (Oktroyierungsmacht) en général, lequel renvoie auregistre de la « domination » (Herrschaft) : « Ici aussi, toutes conditionsétant égales par ailleurs, on pourra estimer que la validité empirique de l’en-tente sera d’autant plus grande que l’on pourra en moyenne compter davan-tage sur le fait que ceux qui obéissent le font pour la raison qu’ils considèrentégalement au plan subjectif que la relation de domination est “obligatoire”pour eux. Dans la mesure où il en est ainsi, en moyenne ou approximative-ment, la « domination » repose sur une entente quant à la “légitimité”(“Legitimitäts”-Einverständnis). » (WL, p. 470 ; ETS, p. 379 sq.). Si la vali-dité d’un ordre, même établi explicitement, est d’autant mieux assurée qu’ellerepose sur la représentation subjectivement partagée par les acteurs de soncaractère obligatoire, cela est encore plus vrai, selon Weber, pour l’action enentente, laquelle ne repose précisément pas sur l’existence d’ordres ayant faitl’objet d’un accord ou d’une imposition. Nous avons alors affaire à une« validité par entente » (Einverständnisgeltung) (76). L’application du conceptd’« entente quant à la domination » était rendue possible et pertinente à partirdu moment où Weber donnait de la domination la définition suivante :« “Domination” ne signifie pas qu’une force naturelle supérieure se fraie unchemin d’une manière ou d’une autre ; mais que l’action des uns (“comman-dement”) est dans une relation de sens avec celle des autres (“obéissance”) etréciproquement, de telle sorte qu’il est permis de compter sur la réalisationdes attentes en fonction desquelles l’action est orientée de part et d’autre. »(WL, p. 456 ; ETS, p. 371) (77).

Comme pour les autres types de relations, il existe toute une gradation ausein même de ce type, mais également « toute une gamme de transitions »entre l’action en entente et l’action en société, ainsi que des formes intriquéesde recouvrement ou de chevauchement entre plusieurs types de relations. Dela même manière qu’une communautisation d’entente peut donner naissance àune « sociétisation », sous les modalités les plus variées (78), de même une

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(75) « Dans les établissements, l’ordrerèglementé acquiert une validité empirique sousla forme d’une “entente”. » (WL, p. 468 ; ETS,p. 390). La traduction par « entente d’ordrelégal (ETS, p. 373) ou encore « expectations[qui] ont un fondement légal » (ETS, p. 375) estparticulièrement malheureuse.

(76) Qui, traduit, devient une « validitéreconnue » (par exemple : ES, p. 332).

(77) Cette première apparition d’une

définition de la « domination », en dehors detoute typologie des modes de légitimité, a étérelevée par E. Hanke dans Hanke et Mommsen(2001, pp. 23-24). Voir aussi, maintenant,l’introduction à MWG I/22-4 (p. 65 sq.,pp. 119-121). Voir sur ce point, dans cenuméro, la note critique de Hubert Treiber.

(78) « On est devant une sociétisation dèsque par exemple on crée une revue pour lesmembres d’une même race qui jusqu’alors

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sociétisation donne régulièrement naissance à une action en entente :« Presque toute sociétisation donne habituellement naissance entre sesmembres sociétisés à une action en entente qui déborde (übergreifendesEinverständnishandeln) le cercle de ses objectifs rationnels » (WL, p. 461).Pour illustrer cette intrication de logiques sociales distinctes au sein d’unemême formation sociale, Weber mentionne l’exemple d’un club de joueurs dequilles qui, au-delà de son organisation et de ses règlements, crée entre sesmembres des « conventions » qui déterminent une action en entente. Ce typed’action en entente est dite par Weber : « action en entente conditionnéepar une sociétisation » (vergesellschaftungsbedingtes Einverständnishandeln,WL, p. 461).

Si le concept de Einverständnishandeln se dérobe à une appréhensionunivoque dans les textes originaux eux-mêmes, que dire de la situation qui estfaite au lecteur français ne disposant que des traductions ! En effet, mis à partl’« Essai sur quelques catégories de la sociologie de compréhension », où ceconcept a toute sa place sous le terme, comme nous l’avons vu, d’« action enentente », comment le lecteur non germanophone pourrait-il savoir que leconcept de Einverständnishandeln se cache dans la traduction d’Économie etsociété sous les termes d’« assentiment général » (p. 331), de « consentement »(« consentement général » [p. 322], ou « consentement tacite » [p. 343]), ou de« concorde » ([p. 332], « comportement concordant » [p. 324], ou « activitéconcordante » [p. 343, p. 348]). Illustration parfaite des incohérences de latraduction : dans la même page (p. 343), le même concept est traduit par« consentement tacite », « comportement par entente tacite » et « activitéconcordante ». Pire : on rencontre également la traduction par « accords spon-tanés » (p. 337), alors que le point discriminant dans la définition del’« action en entente » porte, comme on l’a vu, sur le fait qu’elle se dérouleprécisément sans qu’il y ait accord explicite entre les acteurs. Inversement,les traducteurs n’ont pas vu de problème à parler d’« entente » (p. 41) quandil s’agit d’« accord » (Vereinbarung). Les lecteurs de Sociologie du droit (79)ne sont pas logés à une meilleure enseigne, puisque l’« action en entente »devient « consentement général » (p. 25, p. 120), mais aussi « attitudesconcordantes » (p. 118) ou encore, là aussi, « accord » (p. 80, p. 121). Décri-vant le processus social par lequel des actions en entente, en se répétant, sestabilisent et revêtent des formes typiques, Weber parle de la « typification decertaines ententes » (das Typischwerden bestimmter Einverständnisse) ;traduction française : « la standardisation de certaines conventions » (p. 123).La répétition d’actions en entente déterminées dans des sphères d’activitédéterminées donne lieu à l’émergence, en dehors de tout accord établi, à ceque Weber appelle des « communautés d’entente » (Einverständnisgemein-schaften), lesquelles deviennent dans la traduction française de simples« communautés » (p. 76, p. 79).

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(suite note 78)affirmaient leur différences sur une base relati-vement amorphe, en partageant des pointscommuns sur le mode de l’entente tacite, mais

sans que ce fût sur la base d’un accordquelconque. » (WL, p. 461).

(79) Max Weber (1986).

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Arrêtons-là cette recension, mais de grâce, que l’on ne nous dise pas queles problèmes de traduction n’auraient pas d’effets sur la réception de l’œuvrewébérienne. N’y aurait-il pas, tout de même, en l’espèce, une relation entrel’absence de ce concept d’« entente » dans les commentaires français del’œuvre wébérienne et sa disparition, corps et biens, dans une grande partiedes traductions françaises ?

Des concepts généraux « pauvres en contenu »à la description et l’analyse socio-historiques

Dans l’essai sur les catégories, Weber indique qu’il construit des conceptstrès généraux, qui sont nécessairement « pauvres en contenu » (WL, p. 460 ;ETS, p. 378). Aussi convient-il d’examiner comment il met en œuvre cetteconstruction conceptuelle dans sa sociologie « concrète », pour autant qu’ils’agisse bien de la même conceptualisation. Et nous retrouvons ici leproblème de l’hétérogénéité des textes d’avant 1914.

I. Une première sociologie centrée sur le couple « communautisation »/« sociétisation »

Il ressort en effet de l’examen attentif des textes d’avant 1914 que certainsd’entre eux ne correspondent pas pleinement à la conceptualisation des« Catégories », en ce qu’ils opèrent avec le seul couple communautisa-tion/sociétisation (80). Ainsi en va-t-il dans un texte, inachevé, sur lemarché (81), où Weber décrit la nature des relations sociales en ces termes :« Quand le marché est livré à sa logique propre, il ne connaît de considérationque pour les choses (Sache), aucune pour la personne, il ne connaît aucundevoir de fraternité ou de piété, aucune de ces relations humaines originellesque l’on trouve dans les communautés personnelles. » (WG, p. 383 ; MWGI/22-1, p. 194) (82). Pour désigner cette formation sociale, Weber use desnotions de « communauté » (Gemeinschaft) et « communautisation » (Verge-meinschaftung) : « La communauté de marché en tant que telle constitue laplus impersonnelle des relations de vie pratique dans laquelle on puisseentrer. » ou encore : « Toutes [ces relations personnelles] constituent desobstacles à un libre épanouissement de la communautisation de marché toutenue. » Mais, dans le même temps, Weber décrit la relation d’échange

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(80) C’est le cas de la majorité des textesqui sont édités dans MWG I/22-1, à savoir :« Les relations économiques des communautésen général » (voir, dans ce numéro,« Documents »), « Les communautés domes-tiques », « Les communautés ethniques »,« Prestige de puissance et sentiment national ».

(81) Publié dans MWG I/22-1 sous le titre :« Communauté de marché ». La rédaction de cetexte est considérée comme précoce, sanstoutefois pouvoir être datée précisément.

(82) Références identiques pour lescitations qui suivent.

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marchand comme une « sociétisation » (Vergesellschaftung) : « Du point devue sociologique, le marché représente une coexistence et une succession desociétisations rationnelles. » L’échange sur le marché représente en effet « letype de toute action en société rationnelle », dans la mesure où, dans cetteopération, l’action sociale est orientée autour d’une fin explicitement définie.Cependant, au-delà des actes concrets d’échange, l’existence du marché et lerecours à l’argent impliquent des relations sociales d’une autre nature, queWeber désigne par le terme « communautisation » (Vergemeinschaftung).Dans sa globalité – comme fait social total, au sens maussien – le marchéreprésente un espace commun constitué par les relations entre les personnesréelles ou potentielles qui ont un intérêt dans le marché et dans le recours àl’argent comme moyen de paiement. Cet intérêt partagé fonde un espacecommun d’attentes qui rend l’acte isolé d’échange possible et valide : ilrepose sur l’attente que d’autres personnes agiront dans un sens déterminé(intérêt au marché et acceptation de l’argent comme moyen de paiement).C’est cet espace commun d’attentes que désigne le terme « communauté demarché» (Marktgemeinschaft) ou « communautisation de marché » (Markt-vergemeinschaftung). Les deux modes de relations sociales ainsi décrits,« communautisation » et « sociétisation », ne sont pas dans un rapport d’op-position, mais de complémentarité, l’un étant la condition ou plutôt l’horizonde l’autre et cette articulation des deux registres est d’autant plus marquéeque l’échange est rationalisé : « À l’intérieur de la communauté de marché,l’acte d’échange et particulièrement l’acte d’échange monétaire ne s’orientepas uniquement d’après l’action du partenaire ; au contraire, plus il est l’objetd’une réflexion rationnelle, plus il est orienté en fonction de l’action de toutesles personnes intéressées potentiellement à l’échange. » (ES, p. 634 ; WG,p. 382, MWG I/22-1, p. 194). Cet espace commun d’échanges n’a pas besoind’être garanti par un accord établi explicitement : l’action se déroule commesi un accord avait été créé dans le but explicite d’obtenir ce résultat. En cesens, il est même, selon Weber, « le pôle opposé caractéristique de toutesociétisation au moyen d’un ordre établi par un pacte rationnel ou d’un ordreimposé » (ibid.) (83).

On voit sur cet exemple comment la notion d’entente, que Weber n’a pasencore introduite ici, permettra de mieux cerner conceptuellement la naturedes relations sociales en question. En effet, Weber indique lui-même dans les« Catégories » que la problématique sociologique ouverte par la notion du« comme si » doit être spécifiée, si l’on veut aller au-delà de la surface deschoses. En effet, une action qui se déroule comme si elle était déterminée parun ordre ayant fait l’objet d’un accord ne ressortit pas nécessairement, loins’en faut, à l’action en communauté, au sens défini plus haut d’une actiondont le sens subjectif se rapporte à l’action d’autres personnes. Toute lagamme des actions de masse et des actions de forme extérieure similaire en

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(83) On soulignera une fois de plus unelourde erreur de traduction : un « ordre établipar un pacte rationnel ou un ordre imposé »

devient « un ordre imposé issu d’un pacte »(ES, p. 634).

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relève aussi (WL, p. 454, ETS, p. 368, voir aussi WL, p. 456, ETS, p. 341) (84).Dit en d’autres termes, la catégorie du « comme si » est le piège de tous lessociologismes et de tous les naturalismes.

L’exemple du marché est un bon indicateur des remaniements conceptuelsauxquels Weber a procédé : « communauté » ou « communautisation » vers1910, il deviendra, comme nous l’avons vu, « communautisation d’entente »vers 1912-1913, pour être reformulé en « sociétisation » en 1920 (85). Recon-naissons que les choses ne sont pas d’une simplicité biblique, comme entémoignent les titres successifs qui ont été donnés à ce texte par les différentséditeurs (86). Faute, en tout cas, de connaître l’existence de ces différentessystématiques, on conclura un peu vite à une incohérence de la part deWeber (87).

Mais attardons-nous encore un peu sur ces textes où Weber opère avec lesseuls concepts de « communautisation » et « sociétisation », afin de biensaisir la portée en particulier du concept de « communautisation » qui peutprêter si facilement à des malentendus. Le concept d’action en communautérecouvre en effet des modalités diverses du lien social, depuis les relations devoisinage, qui peuvent constituer des liens obligés et distants, jusqu’à la véri-table « communauté » de vie et de biens des anciennes structures familiales,réunissant ménage, atelier et comptoir.

La communauté de voisinage n’implique pas systématiquement une« communauté » (88), au sens fort, de biens et d’intérêts, sauf en cas denécessité vitale ; la « fraternité » qui s’y manifeste a un contenu « tout à fait

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(84) Pour une problématique philosophiquedu « comme si », voir le livre de Vaihinger(1911) mentionné à plusieurs reprises parWeber. On signalera les développements stimu-lants de la 3e partie, en particulier sur Kant,Nietzsche et Lange.

(85) Il est même présenté en 1920 comme« le type le plus important » de l’influencequ’une « pure situation d’intérêts » peut exercersur l’orientation et le déroulement de l’actionsociale (ES, p. 3, WG, p. 23).

(86) Dans le plan de 1914 où Weberannonce sa contribution au Grundriß, cechapitre a pour titre : « Communautisation demarché » (Marktvergemeinschaftung). Dans seséditions, Marianne Weber lui donne pour titre :« Le marché », tandis que Winckelmannl’intitule « Sociétisation de marché »(Marktvergesellschaftung). Dans le volumecorrespondant de la MWG I/22-1, il a pourtitre : « La communauté de marché » (Markt-gemeinschaft).

(87) C’est le cas de Catherine Colliot-Thélène (2001) qui, en rapportant le sens deVergemeinschaftung et Vergesellschaftung auxseules définitions de 1920, exprime toute sa

perplexité devant l’usage « difficilement expli-cable » de la notion de « communalisation »(voir son grand embarras, pp. 246-247, quandelle se demande comment, diable, Weber peut-il qualifier les relations contractuelles, typiquesdes relations sociales dans les sociétésmodernes, de « communalisation »). Cetteméconnaissance des deux systématiques rendeffectivement impensables logiquement lesdéveloppements de Weber, au point que C.Colliot-Thélène en est réduite à modifier lesformulations de Weber, en affirmant que lemarché, considéré dans son ensemble, n’est pasune sociation – ce qui est exact –, mais qu’« iln’est pas non plus une communalisation » – cequi est faux (p. 117, note 2). On remarqueraque, nonobstant les progrès et la diffusion dutravail philologique et éditorial en la matière,l’auteur est restée dans la même erreur de 1991à 1999 (voir p. 117, note 2, ainsi que p. 199,note 2, p. 247).

(88) Weber met dans ce cas « action encommunauté » entre guillemets pour biensouligner qu’il ne faut pas entendre ce terme ausens fort d’une communauté reposant sur laconscience explicite d’intérêts communs.

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prosaïque et dépourvu de pathos » (MWG I/22-1, p. 122 ; ES, p. 380) (89). Lacommunauté de voisinage peut être le cadre d’une « action en communauté »amorphe, aux contours ouverts et fluides, qui ne se précisent que lorsque cette« communauté » donne naissance en son sein à une « sociétisation » fermée,en vue d’une action économique déterminée comme, par exemple, l’exploita-tion des communaux ou toute autre forme d’activité visant des objectifsprécis, ou encore dans le cadre d’une structuration politique définie (90). La« sociétisation » que représente l’apparition d’un « ordre » économique déter-miné peut être le fait de la communauté elle-même ou être imposée(oktroyiert) de l’extérieur. Par ailleurs, il est dans la logique des choses que la« différenciation sociale » croissante soit solidaire d’une « sociétisation crois-sante » (fortschreitende Vergesellschaftung), qui se manifeste par la prise encharge et l’organisation rationnelle par la communauté d’un nombre croissantd’activités de toutes sortes.

Concernant les communautés domestiques, Weber montre commentl’introduction de l’esprit de calcul et des techniques comptables capitalistesa « inexorablement » détruit le « communisme familial » (MWG I/22-1,p. 147) (91). La séparation comptable et juridique du ménage et de l’entre-prise signifie la formation d’une sociétisation distincte qui se détache de lastructure « communautaire » : « une sociétisation rationnelle s’est substituée àla participation du fait de la naissance à l’action en communauté de lamaison ». Mais n’opposons pas trop vite communautisation et sociétisation :dans un premier temps, la communauté domestique constituait la base néces-saire de la sociétisation au sein d’une affaire économique commune (92) et lacommunauté de biens peut coexister avec des formes capitalistes de calcul (auMoyen Âge, mais aussi à l’époque moderne) (93).

En ne construisant pas le couple binaire communautisation-sociétisationcomme un couple d’opposés, mais en conférant au concept d’action encommunauté un statut englobant – la sociétisation est une spécification de lacommunautisation – Weber souligne qu’il n’y a pas de mouvement continu,linéaire et irréversible, de la communauté vers la société, les deux types derelations pouvant coexister et même souvent se chevaucher. Ainsi indique-t-iltrès clairement que presque toute « sociétisation » engendre une « commu-nautisation » qui déborde le cercle de ses buts rationnels : « Presque toutgroupement à but déterminé et reposant sur une adhésion purement volontairecrée ordinairement entre ses membres, par-delà le résultat premier vers lequell’action sociétisée est orientée, des relations qui peuvent devenir la base d’une

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Revue française de sociologie

(89) « Le fait que la communauté devoisinage soit le lieu typique de la “fraternité”ne signifie pas naturellement qu’entre voisinsrégnerait en règle générale des relations “frater-nelles”. » (ES, p. 381) et Weber de soulignerque lorsque cette éthique économiqued’entraide est rompue, l’hostilité qui en résultepeut être d’autant plus vive que les relations deproximité étaient étroites.

(90) Weber fait remarquer que la « commu-

nauté de voisinage » est la base originelle de la« commune » (Gemeinde), celle-ci impliquant,au sens plein, le regroupement d’une multitudede voisinages au travers d’une action politiquedéterminée (ES, p. 382).

(91) Idem pour les citations suivantes.(92) MWG I/22-1 (p. 151).(93) Voir, dans ce numéro, l’article de

Romain Melot.

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action en communauté orientée éventuellement vers des résultats tout à faithétérogènes : sur la sociétisation se greffe régulièrement une communautisa-tion qui la “déborde” (übergreifende Vergemeinschaftung). » (ES, p. 361,MWG I/22-1, p. 91).

À propos des communautés ethniques, Weber fait remarquer que lacroyance en l’existence d’une communauté réelle qui serait fondée sur l’exis-tence de traits partagés en commun est un produit artificiel qui « correspondtout à fait au schéma que nous connaissons d’une réinterprétation de sociéti-sations rationnelles en relations de communauté à caractère personnel.Lorsque l’action en société rationnellement objectivée (versachlicht) est peudiffusée, presque toute sociétisation, même créée sur un mode purementrationnel, suscite une conscience de communauté qui la déborde (übergrei-fend), sous la forme d’une fraternisation personnelle qui a pour base lacroyance à une communauté de traits “ethniques” » (MWG I/22-1, p.175).

Des analyses que nous venons de parcourir il ressort, nous semble-t-il, enquoi le dispositif conceptuel binaire avec lequel Weber opérait dans lespremiers textes destinés au Grundriß était insuffisant. À l’aide de la mêmeconceptualisation, Weber voulait rendre compte de la nature du processusobjectif de différenciation sociale et de rationalisation et en même tempsdécrire le rapport subjectif à ce processus, entraînant ainsi une « sursatura-tion » de ces concepts, en particulier celui de « communautisation » (Verge-meinschaftung) et le déséquilibre entre ce dernier et celui de « sociétisation »(Vergesellschaftung). D’où l’intérêt du concept d’action en entente.

II. Le concept de Einverständnis au travail

Nous nous limiterons ici à l’examen de quelques textes où l’on trouve leconcept d’entente et d’action en entente à l’œuvre. Nous ne nous arrêteronspas sur le texte consacré aux « communautés politiques » (94), parce qu’ilexigerait à lui seul de longs développements, dans la mesure où, en mobilisantde façon centrale le concept d’« entente quant à la légitimité » pour la défini-tion de l’ordre politique moderne (de l’État), il constitue une pièce importantedans la construction wébérienne d’une sociologie politique. Sans pouvoir nonplus nous y attarder, nous devons attirer l’attention sur la présence trèsopérante de ce concept dans certains chapitres de la sociologie du droit,comme par exemple le texte intitulé : « Les caractères formels du droitobjectif ».

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(94) Voir MWG I/22-1 (pp. 207-210). Unemise au point éditoriale est là encore néces-saire. Les éditeurs de la MWG ont publié sousce titre un texte qu’ils estiment être unfragment, en le détachant d’un ensemble queJ. Winckelmann avait constitué dans seséditions (IIe partie, chapitre VIII) et qui, outrece texte, comprenait en particulier ceux sur la

« nation » ou encore sur les « classes, lesgroupes de statut et les partis », lesquels sontpubliés de manière éclatée dans le volumeMWG I/22-1. Pour plus de détails, voirMWG I/22-1 (pp. 200-203). Ce texte, commecelui dont nous allons parler ensuite, n’a pasencore fait l’objet d’une traduction en français.

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1. « Classes, groupes de statut (Stände) et partis » (95)

La formulation selon laquelle une classe n’est pas une « communauté »,mais que les « situations de classe » peuvent apparaître seulement sur la based’une « communautisation » (96) resterait assurément bien énigmatique, sil’on n’avait pas clarifié préalablement, comme nous espérons l’avoir fait plushaut, le sens que Weber donne à ces concepts. Contre l’idée selon laquellel’existence d’une « classe » impliquerait systématiquement le déploiementd’une « action de classe », mettant en œuvre des « intérêts de classe », Weberécrit : « L’émergence d’une sociétisation ou même d’une action en commu-nauté (Gemeinschaftshandeln) [souligné ainsi dans le texte – J.-P. G.] sur labase d’une situation de classe commune n’est nullement un phénomèneuniversel. Au contraire, cette dernière peut limiter ses effets à la productiond’une action réactive présentant pour l’essentiel une similitude, autrement dit(dans la terminologie que nous adoptons ici) d’une “action de masse” ; maiselle peut aussi n’avoir pas même cette conséquence. On n’assiste souventqu’à une action en communauté amorphe. » (MGW I/22-1, p. 255) (97). EtWeber d’évoquer, pour illustrer ce point, des formes de résistance à la disci-pline ou aux cadences, dans le monde du travail (antique ou moderne), qui nerelèvent pas nécessairement de décisions explicites, mais d’une « ententetacite » (stillschweigendes Einverständnis) (MWG I/22-1, p. 256). D’où laformulation générale suivante : « Le degré auquel une “action de masse”conduite par les membres d’une classe donne naissance à une “action encommunauté” et éventuellement à des “sociétisations” (Vergesellschaftungen)dépend de conditions culturelles générales, en particulier d’ordre intellectuel,ainsi que du degré des contrastes qui en ont résulté ; il dépend notamment dela transparence (Durchsichtigkeit) du rapport qui existe entre les raisons etles conséquences de la “situation de classe”. » (Ibid.).

En affirmant qu’« à l’opposé des classes, les groupes de statut (Stände)constituent normalement des communautés, même si elles sont souvent denature amorphe » (op. cit., p. 259), Weber veut souligner que le groupe destatut repose sur le fait que ses membres partagent des qualités communes,auxquelles s’attache une considération sociale, un « honneur » social. Et pourdécrire un mode d’adhésion à des normes communes, qui se situe entre unereconduction amorphe et une conformation rigoureuse à des prescriptions

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(95) Pour les détails éditoriaux, voir la noteci-dessus et les détails dans MWG I/22-1(pp. 248-251). Pour la traduction de Stand, nousrenvoyons, dans ce numéro, à notre notecritique : « Max Weber à la française ? De lanécessité d’une critique des traductions ».

(96) « Si donc les classes ne “sont” pasdes communautés, les situations de classe,cependant, naissent uniquement sur le terraind’une communautisation (Vergemeinschaftung)[…] L’action en communauté, par exemple, quidétermine directement la situation de classe des

ouvriers et des entrepreneurs, ce sont : lemarché du travail, le marché des biens etl’entreprise capitaliste » (MWG I/22, pp. 256-257).

(97) Pour une critique vigoureuse de lareprésentation d’une « classe » comme uneformation homogène, aux contours bien définisainsi que du concept corrélatif d’« intérêt declasse », voir aussi « L’objectivité de laconnaissance dans les sciences et la politiquesociales » (ETS, p. 207 sq.).

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explicites, Weber fait appel à la notion d’« entente » : « Dès qu’apparaît nonpas une simple imitation individuelle et sans portée sociale d’une conduite devie exogène, mais une “action en communauté par entente” (einverständlichesGemeinschaftshandeln) de cette nature, le développement vers un “groupe destatut” est en marche. » (p. 260). Et, dès lors, une logique sociale spécifique(« conventionnelle ») se met en place : « Le rôle déterminant de la “conduitede vie” pour l’“honneur” statutaire a pour conséquence que les “groupes destatut” sont les porteurs spécifiques de toutes les “conventions” : toute “styli-sation” de la vie, quelle qu’en soit la forme, soit est d’origine statutaire, soitest conservée sur un mode statutaire. » (p. 266).

Quant aux « partis », Weber souligne que leur « action en communautéimplique toujours, à l’opposé des “classes” et des “groupes de statut”, unesociétisation » (p. 269), en tant que leur action vise un objectif précis etconcret (sachlich), le « pouvoir » et qu’on ne les rencontre qu’« au sein decommunautés qui sont de leur côté déjà sociétisées, et donc possèdent unordre rationnel, quel qu’il soit, ainsi qu’un appareil de personnes prêtes à lemettre en œuvre » (pp. 269-270).

2. « L’économie et les ordres » (98)

Mais c’est surtout dans les textes connus sous le titre « L’économie et lesordres » que l’on peut saisir l’avancée conceptuelle et descriptive que l’intro-duction et la mise en œuvre du concept d’« entente » et de ses composés ainduite, en permettant à Weber d’approfondir sa confrontation avec Stammlerpar une clarification et un affinement de la distinction entre « coutume »,« convention » et « droit » (99).

Afin de relativiser l’action du droit comme facteur de régulation sociale,Weber souligne à plusieurs reprises le poids des habitudes dans le déroule-ment de la vie sociale, sous la forme tout particulièrement d’un « respect de

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Jean-Pierre Grossein

(98) Quelques indications éditorialess’imposent. Tandis que Marianne Weber, dansla Ire édition de Wirtschaft und Gesellschaft(1922) les avait placés au sixième rang de la« IIe partie », J. Winckelmann, dans seséditions, donc à partir de la 4e édition (1956),avait placé ces textes en tête de la « IIe partie »,pensant, non sans raison, qu’ils possédaient uncaratère introductif. Les recherches éditorialesen cours ont établi qu’il s’agissait effectivementde textes appartenant à une phase précoce derédaction et qui pouvaient être considéréscomme constituant la « tête » de l’ancienmanuscrit. Par ailleurs, on possède deuxversions de ce texte, une plus récente (c’estcelle que l’on trouve jusqu’à présent dans lesdifférentes éditions d’Économie et société, etdans laquelle on retrouve la conceptualisationde l’essai sur les catégories) et une plus

ancienne où ces catégories ne sont pas encoremises en œuvre. Les éditeurs de la MWG ontdécidé de les publier dans le volume consacréau « droit », ce qui, quelles que soient leursjustifications, a l’inconvénient de dégarnirencore un peu plus le manuscrit d’avant 1914de ses entrées théoriques. Pour les détails de cetravail in progress, voir Gephart (2003), ainsique d’une manière plus synthétique etdébarrassée des coquetteries du précédent,Schluchter (2005). Voir aussi MWG I/22-4(p. 120, note 24).

(99) L’idée d’entente, à défaut du concept,était déjà esquissée dans l’essai sur Stammler,où il est question de l’existence deconcordances (« Übereinstimmungen ») enl’absence de « règlements » (« Satzung ») expli-cites (WL, p. 376 sq. ; Weber, 2001, p. 176 sq.).

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ce qui est devenu habituel dans les faits », dont il dit qu’il constitue « unélément éminemment marquant de toute action et, partant, de toute action encommunauté aussi » (WG, p. 187 ; ES, p. 332) (100). La coutume relève dece registre et elle occupe une place d’autant plus grande dans la vie socialeque l’on remonte dans le temps (101). Quand il s’agit d’analyser le passageentre coutume, convention et ordre juridique, Weber affirme, dans une pers-pective qui relève d’une « histoire du développement », que le point de départdu développement est l’« ajustement » (Eingestelltheit) sur ce qui est « habi-tuel » purement en tant que tel (102). Pour définir le mode d’orientation del’action, Weber a recours au concept de Eingestelltheit. Ce concept – qui adisparu dans les sables des traductions françaises (103) – et a connu auxÉtats-Unis un sort très particulier (104) – est en réalité une pièce maîtressedans la construction wébérienne d’une théorie de l’action sociale. On leretrouvera en 1921 dans les « Concepts sociologiques fondamentaux » sous leterme de Einstellung (105), mais il est déjà présent dans la conceptualisationd’avant 1914. Il indique l’idée d’un réglage, d’un ajustement, dans ledomaine de la mécanique ou de l’optique, par exemple : l’idée d’une focalisa-tion ou d’un positionnement (106). Par là, Weber introduit un opérateur spéci-fique de médiation entre l’action sociale individuelle et l’action socialecollective : une « attitude intérieure » qui se stabilise à travers diversprocessus psychiques et psychophysiques d’habituation et d’inculcation, dontil ne fait pas ici directement l’analyse.

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Revue française de sociologie

(100) Weber parle aussi de « l’inertie(Trägheit) de l’habituel » (WG, p. 188). Sur cepoint, voir Camic (1986).

(101) « Nous entendrons par “coutume” lecas d’un comportement qui présente unesimilitude typique et qui se maintient à l’inté-rieur de voies transmises uniquement parcequ’il est devenu “habitude” et “imitation”irréfléchie. » (WG, p. 187 ; ES, p. 331). Sittedésigne à la fois la « coutume » et les« mœurs ».

(102) « Plus on remonte dans le temps, pluss’accroît la proportion dans laquelle le mode del’action et en particulier de l’action en commu-nauté est déterminé par un ajustement sur ce quiest habituel purement en tant que tel. » (WG,p. 188). Comparer avec la traduction française :« Plus on remonte dans le temps, plus l’alluredu comportement, et particulièrement ducomportement communautaire, est déterminéeexclusivement par rapport aux “habitudesexistantes”, simplement en tant que telles. »(ES, p. 332). On retrouve peut-être dans cesanalyses l’écho des travaux de Weber sur lapsychophysique, en particulier sur les phéno-mènes d’« habituation » (voir MWG I/11,

pp. 201-215).(103) Quand il ne disparaît pas complè-

tement dans les traductions françaises, commedans la traduction du passage ci-dessus, soit ildevient « disposition », soit « attitude » ouencore « éducation ». Une seule fois dansÉconomie et société, à propos de la définitionde la relation sociale, est exprimée l’idée d’un« réglage » (ES, p. 24).

(104) Sa traduction reçue dans les traduc-tions anglaises par attitude nous semble faireproblème. Mais on n’entrera pas ici dans cettediscussion qui impliquerait de prendre encompte, du côté allemand, les discussionsautour des travaux de A. Levenstein et, du côtéaméricain, les commentaires, entre autres, deP. F. Lazarsfeld et A. Oberschall (1965).

(105) Voir, par exemple, la définition de la« relation sociale », y compris celle de la« communautisation » et de la « sociétisation ».

(106) Ce faisant, n’oublions pas l’usagecourant du terme, immortalisé par MarlèneDietrich dans L’Ange bleu : « Ich bin von Kopfbis Fuß auf Liebe eingestellt » ( « De la tête auxpieds, je suis branchée sur l’amour »).

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Afin de combattre la thèse de Stammler d’une antériorité du droit et de laconvention dans la régulation de la vie sociale, Weber veut élucider lesprocessus par lesquels des comportements se reproduisent à l’identique(N. B. : « en moyenne et approximativement »), au-delà d’une simple repro-duction mécanique. Un stade est franchi, selon lui, quand on passe, même sic’est d’abord de manière « vague et apathique », à la conception du caractère« obligatoire » de certains comportements habituels (WG, p. 188 ; ES, p. 332).C’est cette conception partagée que désigne la notion d’« entente ». À cepoint, Weber inverse le raisonnement stammlérien en affirmant que l’exis-tence de la régulation de la vie sociale par des « règles obligatoires » est unfait second, qui dérive de l’existence des « régularités » empiriques observa-bles dans la vie sociale : « Ce n’est pas parce qu’une “règle” ou un “ordre” avaleur d’“obligation” que le comportement de l’“homme primitif” révèle àl’égard de l’extérieur, et en particulier de son semblable, des “régularités” defait, mais l’inverse : c’est sur ces régularités, qui sont conditionnées organi-quement et que nous devons prendre dans leur réalité psychophysique, que segreffe la conception de “règles obligatoires”. » (Ibid.) (107). Weber soulignequ’à lui seul déjà, « le simple fait de la répétition régulière de certainsprocessus leur confère très facilement la dignité de quelque chose qui estprescrit normativement » (WG, pp. 191-192 ; ES, pp. 338-339). Et la repré-sentation du caractère « obligatoire » de certains modes d’action est d’autantplus efficiente qu’elle est ancrée dans un « ajustement » sur ce qui est régu-lier (108). On aboutit alors à « un ajustement sur ce qui est “régulier” commeétant ce qui est “valide” » (109). De la sorte, cette fixation, cette focalisationsur ce qui se répète régulièrement constitue l’assise solide de l’entente, dontWeber dit ailleurs – dans les « Catégories » – qu’« elle est donc d’abord une“conformation” (Fügung) à l’habituel, parce qu’il est habituel » (WL, p. 471 ;ETS, p. 394). Ainsi la notion d’entente est-elle articulée avec celles d’« ajus-tement », de « régularités » et d’« ordre » (110).

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(107) On voit ici comment la notiond’« ajustement » est destinée à penser uneinstance de médiation où viennent s’incrire desprocessus à la fois psychiques et physiques, uneinstance qui est à la fois structurée et structu-rante. D’un côté, Weber parle, à propos parexemple de la discipline bureaucratique, d’unajustement « inculqué » (gezüchtete Eingestell-theit, WG, p. 570) ; d’un autre côté, la« puissance de ce qui est habituel [est] déter-minée par l’“ajustement” interne » (die durchdie innere « Eingestelltheit » bedingte Machtdes Gewohnten, WG, p. 582). Nous nousréservons de montrer ailleurs en quoi laconstruction wébérienne n’est pas l’équivalentde l’habitus chez Bourdieu.

(108) Weber parle aussi d’un « ajustementpsychique interne sur ces régularités » (« innereseelische “Eingestelltheit” auf jene Regel-mäßigkeiten ») (WG, p. 188), ce qui devient

dans la traduction française : « une sorte d’édu-cation intérieure de l’âme à ces régularités »(ES, p. 333).

(109) « Eingestelltheit auf das “Regel-mäßige” als das “Geltende”» (ibid.).

(110) On retrouve, dans un autre texte, tiréde la « sociologie du droit » (« Les caractèresformels du droit objectif »), le même typed’analyse. Pour rendre compte de l’apparitiondes normes juridiques, Weber propose la recons-truction idéaltypique suivante : « au début, deshabitudes de comportement purement factuellessont, du fait de l’“ajustement” (Eingestelltheit)psychique, 1. ressenties comme “obligatoires”et, avec la connaissance de leur diffusion à unensemble d’individus, 2. elles sont insérées àtitre d’“ententes” dans l’“attente” à demi outotalement consciente que d’autres agiront dansun sens correspondant ; ces ententes se voientensuite accordée 3. la garantie d’appareils de

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C’est avec ce dispositif que Weber analyse le processus par lequel se cons-titue une tradition, un processus qui se déroule graduellement et qui vientrenforcer les effets d’ordre qu’engendrent déjà, à eux seuls, le « simple exer-cice répété (Eingeübtheit) d’un mode habituel d’action et l’ajustement(Eingestelltheit) sur le maintien de cette habituation » (WG, p. 192 ; ES,p. 339). Dans ce cadre, la constitution d’une tradition est conçue comme lepassage de la coutume à la convention : « Les règles conventionnelles consti-tuent normalement la voie par laquelle de simples régularités de fait de l’ac-tion, autrement dit une simple “coutume”, prennent la forme de normes“obligatoires”, garanties d’abord, le plus souvent, par une contraintepsychique, constituant ainsi une tradition. » (WG, p. 191) (111). Un peu plusloin, Weber décrit ce processus de transformation en recourant encore auconcept d’entente : « Dès que la convention s’est emparée des régularités del’action et donc que l’“action de masse” s’est transformée en une “action enentente” – car telle est, traduite dans notre terminologie, la signification de ceprocessus – nous parlerons de “tradition”. » (WG, p. 192 ; ES, p. 339). Dansces conditions, l’action en entente n’a pas un besoin vital de la contrainte juri-dique comme d’une garantie objective pour se dérouler normalement. Cettegarantie ne concerne éventuellement qu’une « fraction du déroulementeffectif de l’action en entente » (WG, p. 190) (112). À l’inverse, un ordre juri-dique sera d’autant plus assuré qu’il fait l’objet d’une « entente ».

Avant de conclure ce trop bref commentaire d’un texte particulièrementimportant, nous voudrions revenir un instant sur un point que nous avons déjàeffleuré à travers certaines remarques : le concept de développement. Laquestion qui se pose étant de savoir si Weber inscrit sa construction d’unethéorie de l’action sociale, telle qu’il la formule avant 1914, dans une pers-pective évolutionniste. Pour Klaus Lichtblau, cela ne fait pas de doute, surtoutsi l’on se réfère précisément à ce texte sur « L’économie et les ordres » (113).Selon lui, les catégories sociologiques que Weber construit ne sont pas liéesentre elles uniquement par un rapport logique, mais renvoient aussi à une« histoire d’un développement », où la rationalisation est synonyme dedifférenciation. Et de fait, on trouve bien cette perspective d’un « développe-ment » dans les analyses wébériennes, comme l’atteste la récurrence d’expressions

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Revue française de sociologie

(suite note 110)contrainte qui les distingue des “conventions” »(WG, p. 442). Comparer avec la traductionfrançaise (Sociologie du droit, pp. 117-118).

(111) Dans la traduction française, lacontrainte psychique est devenue physique (ES,p. 338).

(112) On comparera avec la traductionfrançaise (ES, p. 337) : « une fraction desaccords spontanés qui sont effectivementpassés ». C’est l’occasion de redire ici à quelpoint l’argumentation subtile de ce texte estproprement défigurée par la traduction qui enrend méconnaissables les principaux concepts.La notion d’« entente » a totalement disparu ;

l’action devient systématiquement un« comportement » (ainsi le « mode d’action »se transforme en « allure du comportement »(p. 332). La « validité » devient « l’autorité » ;ainsi les « représentations de la validité desnormes » devient « l’autorité des normes »(p. 338). Enfin, la notion de Eingestelltheit soitdisparaît (p. 332), soit est traduite par« éducation » (p. 333, p. 339).

(113) K. Lichtblau (2000, p. 433). Faut-ilpréciser que cet auteur n’est naturellement passeul à défendre ce point de vue. Nous lechoisissons comme interlocuteur en raison de laqualité de ses analyses.

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telles que « la voie du développement », « au cours du développement histo-rique », etc. (WL, pp. 470-471). Certes, il est bien question de la « complexitécroissante des ordres et de la différenciation progressante de la vie sociale »(p. 472), ou encore du « progrès de la différenciation et de la rationalisationsociales » (p. 473). Ainsi on aurait bien affaire à la reconstruction d’unmouvement historique allant de la coutume au droit en passant par la conven-tion. Il est indéniable que cette perspective constitue l’un des versants del’analyse wébérienne – à condition toutefois de préciser qu’il s’agit d’unereconstruction idéaltypique d’un développement historique.

Il ne peut être question ici de traiter de la conception wébérienne du« développement » (Entwicklung), mais il semble nécessaire toutefois derappeler que le « développement » dont parle Weber se situe au plan idéal-typique, ce qu’il soulignait avec force déjà dans « L’objectivité de la connais-sance dans les sciences sociales et la politique sociale » (114). Mais c’estpeut-être en parlant du « développement général du droit », décrit comme sedéployant entre un pôle charismatique, d’un côté, et un pôle de systématisa-tion formelle et professionnelle, de l’autre, que Weber a le plus clairementexplicité sa démarche, en soulignant que ce mouvement général n’a de sensqu’en tant qu’il est « ordonné en “niveaux de développement”(Entwick-lungsstufen) théoriques » et que le mouvement de rationalisation qui s’ydessine ne renvoie pas à la réalité historique, mais à des « niveaux de rationa-lité (Rationalitätsstufen) construits en théorie » : « Que les niveaux de ratio-nalité construits ici en théorie ne se soient pas, dans la réalité historique,succédés partout précisément en suivant une échelle des degrés de rationalitéet même qu’on ne les rencontre pas tous, même en Occident, soit dans lepassé, soit à notre époque, qu’en outre les raisons qui ont déterminé le modeet le degré de la rationalisation du droit aient été d’une nature totalementdifférente – comme notre brève esquisse l’a montré –, tout cela doit êtreignoré ici ad hoc, dans la mesure où il ne peut s’agir que d’établir les traits lesplus généraux du développement. » (WG, pp. 504-505) (115). On pourraitaussi se reporter au point de vue qu’exprime Weber à l’égard du concept de« développement » – ou « évolution », c’est le même terme en allemand –chez les biologistes (116).

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(114) Sur la multivocité de la notion deEntwicklung, voir WL (p. 182) ; ETS (p. 169).Sur le refus d’un principe de développementvalable universellement, voir WL (p. 186) ;surtout WL (pp. 197-200). Concernant lesconstructions idéaltypiques du développement,voir ETS (pp. 197-198).

(115) Sur ce point décisif, le lecteur qui nedisposerait que de la traduction française seraitinduit complètement en erreur, puisqu’il y estaffirmé le contraire, à savoir que ces degrés derationalité et le mouvement de succession selonces degrés « ont existé partout en Occident »

(Max Weber, Sociologie du droit, 1986,p. 222).

(116) Voir la lettre à Rickert : « Àl’occasion, je ferai la critique du concept bienconnu d’évolution (Entwicklungsbegriff) propreaux biologistes et qui est supposé être neutreaxiologiquement : “plus avancé” = “plus diffé-rencié” ou simplement “plus complexe”.Comme si l’embryon et plus encore le plasmaembryonnaire avec tout son “dispositif” n’étaitpas ce que la biologie connaît de “pluscomplexe”. » (lettre du 3 novembre 1907,MWG II/5, p. 415).

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Cela étant posé, l’erreur inverse consisterait, sous prétexte de laver Weberde tout soupçon d’évolutionnisme, de le déshistoriciser. Comment ne pas voiren effet dans l’œuvre de Weber des tentatives multiples d’identifier et dereconstruire l’histoire de processus partiels, de séquences de développement,au sein d’une histoire universelle, le processus de rationalisation en Occidentn’étant pas le moindre – comme il le rappelle encore avec force dans sacorrespondance avec Liefmann (voir, dans ce numéro : « Documents »). Maiscette reconstruction est celle d’une épigenèse et non d’un mouvementlinéaire (117). Il ne saurait cependant être question ici de traiter en quelqueslignes d’un problème aussi vaste (118).

En l’espèce, l’objection que l’on peut formuler à l’encontre de l’interpréta-tion proposée par K. Lichtblau serait la suivante. Il nous semble que la ques-tion principale qui occupe Weber est celle du rapport entre le versant interneet le versant externe de l’action et des relations sociales. Ce qui explique l’ac-cent qu’il met, à plusieurs reprises, sur l’imbrication et le recouvrement, ausein des mêmes relations sociales, de logiques sociales distinctes, qui ressor-tissent soit à la communautisation, soit à la sociétisation. Sur fond de recons-truction idéaltypique d’un mouvement de rationalisation et de différenciationsociales, la question que pose Weber est : « Mais que signifie donc dans lapratique [souligné par nous – J.-P. G.] la rationalisation des ordres d’unecommunauté ? » (WL, p. 471 : ETS, p. 394). C’est la question que Weber poseà la fin de l’essai sur les catégories et la réponse est sans ambiguïté : « Leprogrès dans la différenciation et la rationalisation sociales signifie donc,sinon toujours, du moins très normalement quant au résultat, que lespersonnes qui sont concernées dans la pratique par les techniques et les ordresrationnels sont dans une distance toujours croissante, dans l’ensemble, avec labase rationnelle de ces techniques et de ces ordres, laquelle leur est d’ordi-naire plus opaque que ne l’est pour le “sauvage” le sens des procédés magi-ques de son sorcier. » (WL, p. 473 ; ETS, p. 397). Or ce décalage entre« rationalité » objective et « irrationalité » subjective s’étend, selon Weber– c’est le thème qui occupe les dernières pages de l’essai sur les catégories – àtoutes les sphères de la vie sociale, y compris au sein des formations socialesrationnellement définies comme des associations ou des groupements, ce quidonne précisément au concept d’entente toute sa place (119).

*

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(117) À titre d’exemple, on peut citer lareconstruction historique de la genèse de laliberté moderne, dans Weber (2004, p. 174), ouencore celle du « développement cultureloccidental » dans SR (p. 486).

(118) Sur cette question, voir Schluchter(1998, en particulier pp. 25-32). Voir aussiGrossein, « Présentation » de Weber (2003,pp. LIV-LVII).

(119) Weber souligne le décalage, y

compris et peut-être même surtout dans lessociétés modernes, qui existe entre le processusobjectif de « différenciation sociale et de ratio-nalisation » et l’orientation subjective del’action : « Du point de vue de sa structuresubjective, le comportement revêt souvent, etmême de façon prépondérante, le type d’uneaction de masse plus ou moins approximati-vement similaire, sans aucune relation à unsens. » (WL, p. 473 ; ETS, p. 397).

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Malgré son intérêt – du moins espérons-nous en avoir convaincu lelecteur – le concept d’« entente » sera abandonné par Weber dès avant 1914,en particulier dans la sociologie de la domination et dans la sociologie desreligions (120). Mais nous ne pouvons entrer ici dans l’examen des raisonsqui ont conduit Weber à cet abandon et à la construction d’un nouveau dispo-sitif conceptuel à partir de 1919-1920, dont nous rappellerons seulement, pourmémoire, le « squelette », agencé autour des concepts d’action, action sociale,relation sociale, ordre et groupement, le concept de relation sociale en étant lepivot (121). Cela fera l’objet d’un autre travail.

** *

Face à l’aridité de certains des développements que nous avons tentéd’éclairer dans les pages qui précèdent, libre à chacun d’estimer que l’inves-tissement est trop lourd au regard du profit que l’enquête et l’analyse socio-logiques pourraient en tirer aujourd’hui. Pour ceux qui, malgré tout, ont lesentiment d’être en présence d’une œuvre majeure qui peut encore nous aiderà interroger notre présent, nous espérons avoir montré que l’on ne peut tirerparti des analyses wébériennes sans prendre en compte l’histoire de l’œuvreet qu’il ne s’agit nullement là d’une affaire d’érudition pure. Il ressort claire-ment de notre lecture – du moins nous l’espérons – que les dispositifs théori-ques élaborés par Weber ne sont pas de simples énumérations de définitionsconceptuelles, mais des systèmes de relations entre concepts et que, parailleurs, ces dispositifs sont solidaires d’une histoire et d’un contexte. C’estce que nous nous sommes efforcé de montrer sur un seul de ces dispositifs,celui qui sous-tendait la première phase du chantier qui allait devenir, au boutdu compte, Économie et société. À ignorer les résultats des recherches édito-riales en cours, même s’ils ne sont pas définitifs et ne vont pas sans débats, onse condamne à rester dans un rapport « précritique » à l’œuvre wébé-rienne (122). Il est de bon ton, chez certains commentateurs, de jeter unregard un rien condescendant sur ce qu’ils considèrent comme une forme de« fétichisation » ou de « sacralisation » du texte. Il nous semble pourtant qu’ilest assez facile de percer ce qui se cache de désinvolture derrière cette appa-rente hauteur de vue (123).

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(120) Cet abandon n’est pas absolumenttotal : on trouve quelques très rares occurrencesdu concept d’entente dans la sociologie de ladomination (voir MWG I/22-4, p. 65 sq.).

(121) Pour une tentative de reconstructionde ces raisons, voir Lichtblau (2000, p. 436 sq.).

(122) Ce point a été rappelé avec force parK. Lichtblau à l’occasion du colloque qu’il aorganisé à Bielefeld (1-3 juin 2005) sur lethème « Les “concepts fondamentaux” de MaxWeber. Catégories de la recherche en sciencessociales et sciences de la culture », actes àparaître en 2006.

(123) On trouvera une illustration de cetteattitude dans un texte récent de CatherineColliot-Thélène (2003, p. 9) qui, à propos de lathéorie wébérienne de l’État, conteste en destermes assez désarmants l’analyse d’un spécia-liste reconnu de Weber (Stefan Breuer), quiappuie sa démonstration sur l’histoire des diffé-rentes conceptualisations wébériennes : « Je nesuis pas en mesure d’argumenter ici sur lesecond point, qui ne me convainc cependant pasentièrement : il faudrait pour cela unediscussion philologique pointue qui nouséloignerait par trop de notre sujet. »

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Tout en retraçant la construction de certains concepts wébériens, nousavons été attentif à leur « destinée » dans les traductions françaises et pensonsavoir montré comment, sur des points essentiels, le raisonnement wébérienétait, de leur fait, devenu méconnaissable, tant la sémantique théorique del’auteur s’y trouvait malmenée, sinon disloquée. L’exemple des avatars duconcept d’« action en entente » (Einverständnishandeln) devrait convaincremême les plus réticents, ceux qui pensent qu’avec un peu de patience, d’intui-tion ou de perspicacité, il est toujours possible de « lire entre les lignes »,voire de faire un usage heuristique des erreurs. Ce n’est pas pécher par« purisme » que d’exiger une grande rigueur dans la traduction de ces textesfondateurs d’une épistémologie des sciences sociales et historiques, étantentendu que le problème ne porte pas tant sur le choix des mots que sur lacohérence du raisonnement et la restitution du champ sémantique desconcepts (124). Dans un article déjà ancien, F.-A. Isambert (1993) avait eu lemérite d’attirer l’attention sur les difficultés que soulevaient les premièrestraductions françaises de Weber. Ce faisant, il se demandait si elles n’étaientpas le témoignage d’une manière française de traduire, qu’il décrivait en destermes du reste ambigus : « Il y a chez nous une manière de penser lesconcepts qui me semble outrepasser le désir de précision germanique. »(p. 396). Au vu des pages qui précèdent, le lecteur jugera en quel sens on doitinterpréter ici la notion d’« outrepasser » : passer outre ou surpasser ? Danstous les cas, la situation de la langue allemande en France est telle – et celasans grand espoir d’amélioration – que l’avenir d’une œuvre comme celle deMax Weber passe par sa traduction ou sa retraduction, selon les cas. En ce quinous concerne, nous pensons qu’une nouvelle traduction de ces grands textesthéoriques s’impose et c’est la voie dans laquelle nous nous sommes engagé.

Jean-Pierre GROSSEIN

SHADYC – CNRS-EHESSLa Vieille Charité

2, rue de la Charité13002 Marseille

[email protected]

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(124) Rappelons les propos de Weber àl’adresse d’un contradicteur qui lui reprochaitl’usage inhabituel d’un mot : « Je peux diffici-lement me représenter polémique plus stérilequ’une telle polémique sur des noms. Pour moi,je suis prêt à céder n’importe quel nom pour unautre qui conviendrait mieux. Et tant que nousne nous décidons pas à forger chaque fois, adhoc, des mots absolument nouveaux ou, à la

manière de la chimie ou de la philosophied’Avenarius, à travailler avec des symboles,nous devons, pour désigner des faits qui nel’ont pas encore été, prendre les mots de lalangue traditionnelle qui s’en approchent leplus possible et qui les désignent le mieux etseulement veiller, comme je l’ai suffisammentfait pour “l’ascèse intramondaine”, à les définirsans ambiguïté. » (Weber, 2003, p. 348).

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Liste des abréviations des ouvrages de Max Weber

MWG : Max Weber-Gesamtausgabe [en cours de publication].ES : Économie et société (1971).WG : Wirtschaft und Gesellschaft, Grundriß der verstehenden Soziologie (1972).WL : Gesammelte Aufsätze zur Wissenschaftslehre (1982).ETS : Essais sur la théorie de la science (1965) [traduction partielle de WL].Catégories : Essai sur quelques catégories de la sociologie compréhensive [dans ETS, pp. 326-398 ;

traduction de Über einige Kategorien der verstehenden Soziologie dans WL].SR : Sociologie des religions (1996).

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