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Éloge de la singularité. La matière des livres 100 livres pour éveiller le désir Ombres Blanches décembre 2020 Collage de Max Ernst.

Éloge de la singularité. La matière des livres · 2020. 12. 11. · Selon Annie Le Brun, « il y a Jean-Jacques Lequeu, qui, sans en être conscient, pressent que l’origine du

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Élogede las ingular i té .La mat ière des l i v res

100 livres pour éveiller le désirOmbres Blanches décembre 2020

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François Nayt • Kifwebe. Un siècle de masques Songye • 5 Continents Éditions • Les masques kifwebe sont animés d’une « vie surnaturelle » liée à leur hybridité unique où se fondent l’homme, l’animal et l’esprit ; un mélange qui reflète l’essence mystique des Songye et des Luba de la région sud-est de l’actuelle République démocratique du Congo. Conjuguant la pulsation d’un réseau linéaire de motifs striés avec l’expression puissante d’émotions multiples, leur regard fixe impose une présence inflexible. Ils sont cependant bien plus que leur apparence — leur essence s’accomplit dans les rites et la danse. Depuis quelque temps, les historiens de l’art et les anthropologues leur accordent un intérêt croissant.

Pascal Bonafoux • Autoportraits cachés • Éditions du Seuil • Les titres affichés de certaines œuvres ne disent pas tout du sujet. Ils passent sous silence que, parfois, le peintre s’est glissé dans la scène qu’il a représentée. C’est ainsi que, par exemple, Botticelli « assiste » à l’Adoration des Mages, qu’El Greco est présent lors de l’Enterrement du comte d’Orgaz, comme Vélasquez l’est à Breda le 5 juin 1625 lorsque la ville capitule… Les œuvres de Michel-Ange et de James Ensor, de Memling et de Véronèse, de Rembrandt et de Masaccio, de Dürer et de Raphaël, de Ghirlandaio et de Dalí, et d’autres encore rassemblées dans ce livre invitent à s’interroger sans cesse sur les raisons qui ont conduit les uns et les autres à faire le choix d’un tel jeu.

Yves Peyré • Francis Bacon ou la mesure de l’excès • Gallimard • […] À propos de son travail, dans ses entretiens, Francis Bacon reste constant pour ce qui est du processus de création. Il dépeint son travail comme un acharnement à aboutir, il confie invariable-ment le même désespoir de ne pouvoir y parvenir qu’exceptionnellement. Ses propos sont plus ou moins resserrés, elliptiques, ils tiennent compte de certaines différences propres aux périodes : ainsi, longtemps, le fond est peint en premier, il accueille le sujet, avant de l’être après, il cerne alors la figure, faisant office de mandorle […]. Souvent Bacon, s’il se trouve dans l’embarras, conclut qu’il ne sait pas voir, que le sujet est trop loin de ses centres d’intérêt. Yves Peyré

Coline Chaptal • Studio Zgorecki • Éditions Filigranes • Archives photographiques de l’immigration polonaise dans le bassin houiller du nord de la France, dans les années 1920/1930. Né en 1904 dans la Ruhr, de parents originaires de Pologne, Kasimir Zgorecki émigre dans le Nord de la France à l’âge de 18 ans. Mineur de fond pendant quelque six mois, il se tourne ensuite vers la photographie professionnelle et reprend en 1924 le studio de son beau-frère à Rouvroy (Pas-de-Calais). Zgorecki s’investit notamment dans la photographie d’iden-tité, devenue obligatoire sur les cartes des étrangers travaillant en France en 1917. il recourt stra-tégiquement à un unique négatif-verre pour plusieurs portraits, faisant poser ses sujets devant un fond neutre. À la différence, le style de ses portraits de famille est souvent davantage mis en scène. Œuvrant dans son studio, en extérieur ou au domicile de ses clients, Zgorecki photographie

Des masq ues . Des portra i ts . Les art s des v isages

É loge de la s ingula r i té .La mat ière des l i v res

Entre sourires et masques, les derniers mois à Ombres blanches nous auront marqué par l’attachement aux livres si fortement exprimé par nos lecteurs. Lors du confinement de novembre, si les ventes en ligne ont maintenu une certaine activité économique, celle-ci s’est concentrée sur un nombre beaucoup plus restreint de titres qu’à l’accoutumée. Il est vrai que c’est en librairie que se réa-lise la découverte de nos lectures à venir… et nulle part ailleurs. Faute de public, bien des livres que nous aimons ont ainsi plutôt « disparu des radars », durant ces semaines où il était… impossible de les voir. Ainsi ne trouvera-t-on désormais rien de plus expressif que ce trou d’air dans les ventes du secteur de l’édition, et notamment chez les éditeurs les plus « indépendants », s’il fallait prouver que la diversité de la production des livres tient à la présence de nos librairies et à l’ac-cueil de leurs publics.Car c’est cela, cette obsession de la diversité, ce goût pour la multitude, qui est le cœur de notre activité professionnelle… Mais comment en rendre compte ail-leurs que dans nos magasins, ailleurs que dans nos espaces, entre nos tables et nos rayonnages… Mais surtout, comment dessiner la « commune des esprits sin-guliers » que sont les librairies et aussi les bibliothèques ?En cette fin d’une année si particulière, marquée par une lumière si altérée et un horizon si imprécis, nous avons voulu donner à voir des livres inattendus, soit par le choix de leur univers, soit par celui de leur fabrication, de leur conception édi-toriale (maquette, typographie, illustration), soit encore par l’originalité de leur projet littéraire ou leur caractère insolite (taille, volume, format).Nous aurions pu montrer un très grand nombre de publications, tant les ca-talogues de nos nombreux éditeurs sont riches d’intentions et de convic-tions, mais il fallait choisir… Aussi avons-nous limité et choisi la « contrainte » : nous présentons donc dans ce document, « feuilletable en ligne », 100 titres, classés par groupes de 4, et donc présentés sous 25 rubriques. Nous espérons que vous serez séduits par cette flânerie, qui n’a pour buts que le plaisir de la découverte d’un livre et la découverte du plaisir d’un travail d’édition…Nous profitons de cette page pour souhaiter tout ce qu’il est pos-sible de souhaiter pour les mois qui commencent dans quelques jours… Éloigner l’épidémie, rapprocher les êtres, les garder en vie. Leur donner à lire.

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Catalogue réalisé par la librairie Ombres blanches.Édition : Christian Thorel.Création de la maquette et mise en page : Pascale Marange Petits Papiers.Impression : Cazaux Imprimerie Muret.

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M in e de p lomb et encre . Usages du n oir et du b lanc

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Gérard Audinet • Victor Hugo. Dessins • Maison de Victor Hugo/Paris Musées •Si Hugo n’a guère voulu montrer ses dessins de son vivant, des artistes phares ont depuis reconnu son audace, tel André Breton, qui y vit « des tableaux où la plus puissante imagination se donne cours ». Les Maisons de Victor Hugo, Paris/Guernesey, conservent aujourd’hui plus de sept cents feuilles. Gérard Audinet, leur directeur, s’attache ici à suivre pas à pas, année après année, l’intense fièvre graphique du poète, faisant de cette étude une véritable monographie. Cet ouvrage dévoile l’incroyable fécondité et la pleine liberté d’un écrivain dessinateur dont les yeux et la plume ne cessèrent de fouiller l’obscurité.

Laurent Baridon, Jean-Philippe Garric (Dir.) • Jean-Jacques Lequeu. Bâtisseur de fantasmes • Éditions Norma •Quel lien y a-t-il entre L’Origine du monde de Gustave Courbet et le « Palais idéal » du facteur Cheval ? Selon Annie Le Brun, « il y a Jean-Jacques Lequeu, qui, sans en être conscient, pressent que l’origine du rêve architectural a quelque chose à voir avec cette origine du monde ». « Archi-tecte de papier », Lequeu rêve de monuments somptueux, de fabriques fictives et de paysages imaginaires ; au-delà de l’architecture, sa galerie s’enrichit de multiples dessins, d’une suite trou-blante d’autoportraits, de portraits grimaçants, de tableaux érotiques et de détails anatomiques sans complaisance.

Hannelore Fischer, Alexandra von dem Knesebeck • Käthe Kollwitz, Je veux agir dans ce temps : dessins, estampes, sculptures •. Musées de Strasbourg •Alors que Käthe Kollwitz est unanimement reconnue en Allemagne comme une des artistes les plus importantes de la première moitié du xxe siècle, elle reste méconnue en France. Son œuvre gravé et sculpté frappe par son éloquence formelle, sa puissance narrative et sa virtuosité tech-nique, mais aussi par la constance de son engagement en faveur des plus démunis, en particulier des femmes. Rares sont les œuvres qui avec autant de sincérité et de force racontent à la fois la joie intime de la maternité et la douleur infinie du deuil, le joug de la misère et l’espoir de la révolte.

Joris Van Parys, Samuel Dégardin (Dir.). Frans Masereel. l’empreinte du monde • Éditions Martin de Halleux •Tout au fil de son œuvre, Masereel nous propose sans relâche sa vision du monde. Un monde an-cré dans le quotidien, sans filtre et sans effet inutiles, dans lequel les fracas de la guerre font trem-bler l’air saturé d’effrois. Un monde où la révolte gronde et où les hommes se lèvent et tombent. Mais aussi, un monde où le souffle de l’amour et de la passion conduit à croire en un monde meilleur. Car Masereel a foi en l’homme. Il fait le pari de l’intelligence et de la créativité, de la justice sociale et de la liberté individuelle. Il est persuadé que l’art et la littérature ont le pouvoir de changer le monde. Alors, il se bat, il dénonce et vit pleinement sa vie d’artiste engagé dans le tumulte du monde.

Stephen Calloway, Caroline Corbeau-Parsons • Aubrey Beardsley au Musée d’Orsay • Réunion des Musées Nationaux •Aubrey Beardsley (1872-1898) disparaît à l’âge de vingt-cinq ans, en pleine ascension. La grande diffusion de l’œuvre de cet artiste prolifique en a fait un acteur incontournable de la scène londo-nienne des années 1890. Les illustrations qu’il réalise pour Salomé d’Oscar Wilde figurent parmi les plus célèbres de l’artiste. Les dessins de cette figure originale de l’Angleterre fin-de-siècle, des-sins vifs et virtuoses, en noir et blanc, mettent en scène un univers étrange, érotique, audacieux et anticonformiste.

Lynd Ward • L’éclaireur : Récits gravés • Coffret de trois livres • Éditions Monsieur Toussaint Louverture •En seulement six livres, Lynd Ward [1905-1985] s’est imposé comme l’un des précurseurs du roman graphique. Ses histoires, de l’artiste qui vend son âme, aux amants pris dans les tourments de leur temps, en passant par l’homme maudit de ses péchés ou l’ouvrier rebelle à la psyché précaire, ont su capturer un monde plein de contradictions dans des images d’une époustouflante modernité. Sur les pas de Frans Masereel et d’Otto Nückel, ces récits en gravures sur bois, ou romans sans paroles, dessinent les contours d’une œuvre riche et exaltée.

Jacques Armand Cardon • Cathédrale • Éditions Super Loto •Synthèse graphique et symbolique du fameux style Cardon, ce livre crée un pont entre son travail d’auteur de bandes dessinées que les lecteurs ont pu découvrir dans les pages de L’Humanité Dimanche dans les années 1970, ses dessins de presse paraissant chaque semaine pendant plus de 40 ans au Canard Enchaîné, ou encore ses grands formats publiés au compte-goutte dans les différentes revues de Frédéric Pajak. Les dessins et l’enchaînement des scènes de Cathédrale reprennent symboliquement les grandes étapes de la vie de Cardon, de sa plus tendre – et pas si tendre – enfance jusqu’à aujourd’hui.

Frédéric Pajak • Manifeste incertain # 9 • Avec Pessoa, souvenirs I, II, III, l’horizon des événements I, II, l’absence, épilogue • Éditions Noir sur Blanc •C’est une sorte de miracle si l’on a pu exhumer les écrits de Fernando Pessoa, retrouvés dans une malle. Désormais l’un des écrivains les plus célèbres de son siècle, Pessoa n’avait presque pas été publié de son vivant, ni ses principaux « hétéronymes » — Ricardo Reis, Álvaro de Campos, Alberto Caeiro et Bernardo Soares —, dont il avait soigneusement créé l’œuvre et la biographie. Nous le découvrons en Afrique du Sud, durant sa jeunesse, puis à Lisbonne sous les traits d’un modeste employé de bureau. Mais qui donc se cache derrière ce personnage effacé, qui n’aura connu qu’un seul amour, platonique et malheureux ? Unissant des voix distinctes, ce dernier Manifeste incertain explore biographie et autobiographie, narration et introspection, rêves et réalités, dans un récit délibérément labyrinthique jalonné de plus de deux cents dessins.

Encre et mine de p lomb . Vis io nnaires et engagés

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I l s font le point. Ph otog raph ie f ra nça ise

Michel Poivert • 50 ans de Photographie française • Éditions Textuel •Inclure les différentes pratiques photographiques allant de l’information à l’art contemporain est le pari de ce livre. Le renouvellement du reportage, la passion pour le paysage ou encore le té-moignage social, reconstituent ici la diversité d’une scène française. Du journal au musée, du récit de soi à l’ambition documentaire, du regard militant à l’expérimentation plastique, près de trois générations sont ici rassemblées au travers de 250 images. Au-delà des photographes humanistes qui ont caractérisé la photographie française jusqu’à la fin des Trente Glorieuses, la réalité d’une photographie « en France » apparaît comme un fait artistique et social majeur.

David Chandler, Muriel Enjalran • Tendance Floue. Villes du monde • Fondation Louis Vuitton •Paris, Shanghai, New York, Tokyo, Rome… en trente villes et neuf atmosphères, les deux cent vingt-cinq photographies du collectif Tendance Floue réunies dans cet ouvrage tracent les contours d’une ville contemporaine archétypale. Au-delà de chaque écriture singulière, on trouve une ville globale, une ville-monde dans laquelle le lecteur est convié à un voyage fulgurant, mystérieux et stimulant, à une déambulation sensible et poétique. Et on découvre combien les images de ces quatorze photographes de Tendance Floue entrent en résonance avec les utopies littéraires, et notamment Les Villes invisibles d’Italo Calvino.

Catherine Riboud, Olivier Rolin • Marc Riboud. Histoires possibles • Réunion des Musées Nationaux •« Je photographie comme le musicien chantonne. Regarder est une respiration et, quand le hasard est avec moi et qu’une bonne photo m’est donnée, le bonheur n’est pas loin ». Ce photographe, c’est Marc Riboud, qui nous a emmenés avec lui pendant toute la seconde moitié du xxe siècle, là où l’entraînaient sa curiosité et sa recherche de surprises et de beauté. On le suit d’abord sur la route qui le mène d’Istanbul à Calcutta, puis en Chine, alors terra incognita, en Afrique et en Al-gérie au moment des indépendances, mais aussi au Vietnam pendant la guerre, au Cambodge…, captant ici et là des images qui se fixent dans notre mémoire comme cette Jeune Fille à la fleur (1967), symbole de l’aspiration à la paix.

Bernard Perrone, Jeanne Fouchet • Bernard Plossu. Tirages Fresson • Éditions Textuel •Des années 1970 à nos jours, depuis les paysages du grand Ouest américain jusqu’à la gare de La Ciotat ou aux jardins de Giverny, Bernard Plossu propose une vision intime et sensorielle du monde, où l’homme et l’organique se juxtaposent. Cette vision dirigée par la sensation, il la traduit grâce à la technique de tirage Fresson. La texture particulière et le rendu très subtil de ce procé-dé pigmentaire, inventé au dix-neuvième siècle par la famille du même nom basée désormais à Savigny-sur-Orge, répondent à merveille à la focale sans esbroufe du photographe, soucieux de mettre à distance le spectaculaire et le grandiloquent. La longévité de la collaboration de Piossu avec la famille Fresson sur trois générations est partie prenante de l’œuvre elle-même.

Luce Lebart, Marie Robert • Une histoire mondiale des femmes photographes • Éditions Textuel •Rares sont celles dont les noms sont parvenus jusqu’à nous, disparaissant du récit de la création au profit des « grands maîtres ». L’effacement des femmes dans l’histoire de la photographie résulte d’une longue tradition de discrédit. Créatrices originales et autonomes, elles n’ont pourtant cessé de documenter, d’interroger et de transfigurer le monde, démontrant que l’appareil photo peut être un fantastique outil d’émancipation. Aucune expérimentation ni aucun fracas des xixe et xxe siècles ne leur ont ainsi échappé. Pour restituer la diversité des parcours de ces femmes photographes, Luce Lebart et Marie Robert ont invité 160 autrices de différents points du globe à nourrir cet ouvrage manifeste.

Marwan T. Assaf • Le sujet photographique au-delà de la mort : dans les Œuvres de Nan Goldin et Julia Margaret Cameron • Eyes Publishing •Est-ce vrai, comme beaucoup le croient, qu’une photographie capture l’aura d’une personne ? Marwan T. Assaf étudie les photographies de défunts dans les œuvres des artistes Nan Goldin et Julia Margaret Cameron. Les sujets de leurs photographies sont physiquement décédés, mais il y a une différence. Dans les années 1970 et 80, Goldin photographiait ses amis gravement malades avec pour but de les garder « vivants dans la mémoire ». Plus d’un siècle auparavant, Cameron photographiait son cercle d’amis pour leur donner une vie après la mort en rassemblant un « pan-théon de têtes victoriennes ».

Adeline Souverain • Sarah Moon. Passé Présent • Paris-Musées •Passé Présent a été imaginé par Sarah Moon comme une installation faisant dialoguer les photo-graphies, les films et les livres que l’artiste réalise depuis le début de son parcours. D’abord man-nequin dans les années 1960, Sarah Moon pratique la photographie en autodidacte, et conçoit ses premières campagnes pour la mode, qui rencontrent un écho international. Elle façonne un univers fictionnel où affleurent les références littéraires et cinématographiques. Au milieu des an-nées 1980, elle initie une pratique plus personnelle, qui prolonge ses recherches sur la fabrication des récits, sur les illusions photographiques et leur disparition dans la fuite du temps.

Marie-Laure Bernadac, Marie Darrieussecq • Cindy Sherman : exposition, Paris, Fon-dation Louis Vuitton • Éditions Hazan •Du milieu des années 1970 à nos jours, Cindy Sherman a produit une œuvre photographique quasi intégralement consacrée au portrait, sans jamais recourir à d’autres modèles qu’elle-même. Paradoxalement, c’est en disparaissant derrière ses masques et ses costumes que Cindy Sherman est devenue une icône, bousculant l’idée même d’identité et les frontières entre réalité et fiction, initiant le développement d’une œuvre considérée comme capitale dans l’histoire de l’art de ces cinquante dernières années. 49 e

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Qui a peur des femmes photographes ?

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Le Cin éma s ’écr i t . Du ce l lu lo ïd au papier

Ozu Yazujiro • Carnets 1933-1963 • Éditions Carlotta •Yasujirô Ozu est un des plus grands cinéastes au monde. Son œuvre est unique et touche, comme certains le disent, à un « au-delà » du cinéma. Comment cet homme en est-il venu à créer une œuvre cinématographique si forte à la portée si universelle ? La réponse est peut-être dans le journal quotidien qu’il a tenu toute sa vie, où, entre notations laconiques, inspiration poétique et expression de ses émotions et pensées le plus souvent sarcastiques, se révèle un être de chair et de sang d’une rare sensibilité et intelligence.

John Cassavetes • Cassavetes par Cassavetes • Éditions Capricci •Suivant un fil chronologique, John Cassavetes y raconte son enfance et sa jeunesse, ses études d’art dramatique, ses débuts d’acteur fauché à New York, ses combats permanents contre les stu-dios d’Hollywood et les automatismes du cinéma commercial. Il expose en détail les étapes de réalisation de chacun de ses films, de Shadows (1959) à Love Streams (1984). Tournages épiques, souvent interrompus faute d’argent, montages sans cesse repris, communication et plans de sortie menés par le cinéaste lui-même… Toute sa vie, Cassavetes restera fidèle à sa vision radicale de l’art et du cinéma, parfois même contre l’avis de ses collaborateurs les plus fidèles, tels que les acteurs Peter Falk, Ben Gazzara, ou sa femme et actrice Gena Rowlands.

Marx Brothers (Éd. Chantal Knecht) • Les Marx Brothers par eux-mêmes • Bouquins-Laffont •C’est l’histoire d’une fratrie, issue d’une famille pour le moins originale, qui, au début du xxe siècle, a semé le désordre et la folie dans une Amérique bien-pensante et dont les membres sont les plus grands comédiens du cinéma burlesque parlant : Chico (Leonard), l’aîné, reconnaissable à sa technique du « doigt revolver », Harpo (Adolph), muet comme Harpocrate, le dieu grec du silence, et toujours vêtu d’un manteau bourré d’ustensiles de cuisine, Groucho (Julius), le plus célèbre, ob-sédé sexuel et textuel (autobiographie, correspondance, etc.), Gummo (Milton), imprésario de ses frères, et Zeppo (Herbert), qui était « comme tout le monde ».

Federico Fellini • Le Livre de mes rêves • Flammarion •Le Livre de mes rêves invite le lecteur à un voyage merveilleux à travers les espaces les plus secrets et les plus intimes de la créativité de Federico Fellini, dans une « cosmographie personnelle où des parcours émotionnels, sentimentaux, culturels, érotiques et affectifs entrecroisent des itiné-raires géographiques, architecturaux, mémoriels, imaginaires et fantasmagoriques ». Cet ouvrage du cinéaste reproduit l’intégralité des fac-similés de ses carnets dans lesquels il notait, au réveil, ses visions nocturnes. L’appareil critique regroupe leur traduction, ainsi que les contributions de spécialistes et d’amis de Fellini.

Dominique Le Nen • Léonard de Vinci : l’aventure anatomique • EPA Éditions •Quand Léonard de Vinci pratique ses premières dissections à Milan vers 1487, avec l’idée de ré-diger un traité général d’anatomie, il est loin d’imaginer combien ses découvertes seront encore pertinentes aujourd’hui. À travers les planches exceptionnelles de la collection de la Royal Library, mises en parallèle avec l’imagerie médicale la plus récente, on découvre ici l’œuvre du plus grand artiste et scientifique de la Renaissance, et sa vision avant-gardiste du corps humain.

Joanna Ebenstein • Anatomica. L’art exquis et dérangeant de l’anatomie • Éditions du Seuil •Cette anthologie présente des planches illustrées d’anatomie, révélant comment les secrets du corps ont fasciné les savants, les artistes, mais aussi les profanes. De la Renaissance jusqu’au xxe siècle, les croyances et les savoirs sur le sujet ont évolué de manière spectaculaire Tous les artistes ont étudié l’anatomie afin de toucher de plus près la vraisemblance de leurs personnages. Elles sont présentées non pas par ordre chronologique, mais organisées en fonction des parties du corps ou de ses systèmes, pour mieux souligner la richesse des approches métaphoriques ou artistiques, et les différents styles utilisés pour comprendre et représenter le corps humain.

Joanna Ebenstein (Dir.) • Macabre : Traité illustré de la mort • Cernunnos Éditions •Depuis toujours, dans le monde entier, les hommes ont établi des rituels pour célébrer leur fini-tude, tout comme les artistes ont figuré la mort pour mieux l’appréhender. Aujourd’hui, ces repré-sentations ont presque disparu, cachées, tues, par une société qui veut oublier sa mortalité. Cet ouvrage rassemble pour la première fois plus de mille œuvres d’art, objets ou photos sur le thème de la mort. Cette collection de Richard Harris, unique, est éclairée par les essais inédits de spécia-listes, collectionneurs ou scientifiques.

Laetitia Bianchi • Posada, génie de la gravure • Éditions L’Association • 45José Guadalupe Posada (1852-1913). Une œuvre unique, culte, un trait immédiatement reconnais-sable, qui continue d’influencer les dessinateurs du monde entier. « Aussi grand que Goya », disait de lui Diego Rivera. Les inoubliables calaveras de Posada, squelettes qui rient, dansent, boivent et chantent, traduisent une conception mexicaine du rapport aux morts. Les images de Posada nous font voyager dans le Mexico des années 1900, celui des injustices politiques, de la modernisation de la ville, des crimes et des tremblements de terre, et des petits livres vendus par les colporteurs. La Révolution, Dieu, le diable, l’enfance, la mort, la vie légère et insouciante de la haute société, la misère : aucun sujet n’aura échappé à Posada, qui a dépeint la vie et la mort avec une compassion et un humour inégalés.

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De la pa i l lasse à la tombe.A natomie de la mort

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L antern es magiques , mac h in es , surré a l i sme

et aut res cur ios i tés

De l ’év idence d ans la s ingular i té

Massimo Listri • Cabinet of curiosities. Cabinets des merveilles • Taschen •C’est dans leur Wunderkammer, ou « cabinet de curiosités » que les collectionneurs exposent des bribes de découvertes artistiques, scientifiques, intellectuelles, avec l’ambitieuse volonté de condenser en un lieu toutes les connaissances humaines. Ces merveilleux cabinets de curiosités, recomposés par des passionnés, ouvrent désormais leurs portes grâce à ce recueil format XXL, fruit des efforts déployés par Massimo Listri, qui pour accomplir cette tâche immense a sillonné sept pays européens sur plusieurs décennies.

Camille Morando, Radu Stern • Victor Brauner : je suis le rêve, je suis l’inspiration • Paris-Musées •La perte de son œil en 1938 fait de l’autoportrait, peint sept ans auparavant, une œuvre prémo-nitoire pour Brauner : illustration des théories surréalistes, sa peinture revêt alors un caractère ma-gique. La guerre va le contraindre, de par son statut de juif, à entrer dans la clandestinité dans le sud de la France. Brauner invoque alors les doctrines les plus secrètes (tarot, alchimie, spiritisme, kabbale) pour se protéger de la France occupée en se réfugiant dans ce monde de rêve, donnant à ses œuvres une dimension mystérieuse. L’après-guerre est marquée par une traversée de styles due à sa liberté recouvrée. D’autres influences se font sentir de la psychanalyse à la pensée sau-vage à travers des cycles. Il crée un langage nouveau pour donner à voir non pas le réel, mais les ressorts invisibles du monde. Ce livre permet de mieux saisir la belle exposition de l’été au Musée Bemberg.

Laurent Mannoni • Méliès. La Magie du cinéma • Flammarion •« Méliès ne pouvait que commencer par perdre, pour finalement devenir une figure romantique, donc cinéaste maudit, piraté et spolié d’une histoire qui en comptera d’autres… Cette histoire, son histoire, des heures glorieuses du Théâtre Robert-Houdin à son pauvre stand de jouets et confi-series de la gare Montparnasse, n’a jamais été racontée que dans cet ouvrage qui embrasse les multiples facettes du premier cinéaste arpenteur de l’imaginaire. On descend tous de Méliès ! » Martin Scorsese

Marco Bussagli • Jheronimus Bosch • La Martinère Éditions •Les compositions du peintre flamand Jheronimus Bosch (vers 1453-1516) regorgent d’allégories savantes, de bestiaires fantastiques et d’êtres énigmatiques ; elles ont donné lieu à bien des inter-prétations. Partant des recherches les plus récentes, cet ouvrage apporte un éclairage nouveau sur l’artiste et sur son œuvre. On y apprend que sa peinture s’inspire de proverbes flamands et témoigne d’une profonde dévotion religieuse. Elle influença Raphaël, Dalí, Magritte ou Escher. Des détails très agrandis mettent en lumière la portée symbolique de scènes où le Mal et le péché, obsessions de la fin du Moyen-Âge, ne sont jamais loin.

Andrea Bellini • Écrire en dessinant • Skira Éditions •« Scrivere Disegnando n’est pas, dans le sens strict du terme, une exposition sur l’écriture, mais plu-tôt une exposition sur son ombre, sur une idée d’écriture qui abandonne sa fonction de communi-cation pour s’aventurer sur le chemin de l’illisible et de l’indicible. Notre recherche entend explorer cette tension intrinsèque à la graphie qui oscille entre l’écriture, dans sa dimension proprement sémantique, et la terra incognita de la simple arabesque, de l’automatisme, du signe répété et du gribouillage. »

Lucienne Peiry • Écrits d’art brut. Graphomanes extravagants • Éditions du Seuil •Lettres d’amour ou de rage, poèmes, prières, messages érotiques et plaidoyers, journaux intimes et récits utopiques, les écrits d’Art Brut, fort peu connus, provoquent saisissement et fascination. Créés à huis clos pour la plupart, dans le secret-et le silence, ils sont souvent privés d’adresse ou sont réservés à quelque destinataire onirique ou spirituel. Étrangement calligraphiés, rédigés à la hâte ou griffon-nés avec ferveur, quelquefois patiemment brodés ou gravés dans la pierre, accompagnés de pein-tures ou de dessins, ces écrits relèvent d’un besoin impérieux d’expression et révèlent une créativité stupéfiante. Ils constituent une forme de résistance sourde. Tous donnent corps et chair aux lettres. Réconciliant le verbe et l’image, ces écrits déploient une poésie forte et troublante.

Charles Perrault • Les Contes illustrés par l’art brut • Diane de Selliers Éditions •Lus dans l’obscurité de la nuit, ces contes tracent un chemin et poussent le lecteur à quitter une réalité sombre et angoissante pour l’inviter à se dépasser, à atteindre la lumière. La peur, l’inquié-tude, la douleur, mais aussi l’insouciance, la joie et toutes les émotions racontées par Perrault sont sublimées ici par la pulsion créatrice des artistes dits « bruts ». Ces femmes et ces hommes, éloi-gnés de toutes les conventions académiques et peu soucieux de reconnaissance, expriment dans leurs œuvres spontanées les angoisses et les rêves qui habitent l’être humain. Les artistes accom-pagnent ici ces récits, ils y manifestent la fragilité, la colère, l’espoir, la liberté, le désir d’amour et bien d’autres sensations qui les habitent. Nées dans l’esprit de personnalités singulières à l’imagi-nation sans bornes et animées par la nécessité de créer, ces œuvres sont un cri.

Ophélie Ferlier-Bouat • Léopold Chauveau. Au pays des monstres • Réunion des Musées Nationaux/Musée d’Orsay •Personnalité atypique, Chauveau s’initie à la sculpture vers 1905 alors qu’il exerce la médecine depuis plusieurs années. Dès 1907, les monstres deviennent un leitmotiv de sa production, en sculpture comme en dessin. Hybrides, ses créatures sont souvent attachantes, voire maladroites. Semblant sortir de son inconscient, elles constituent pour Chauveau de véritables compagnons, le peuple d’un monde imaginaire dans lequel il trouverait refuge. Malgré leur singularité, les monstres sculptés ou les récits dessinés de l’artiste peuvent s’inscrire dans une généalogie de l’histoire de l’art, on pense notamment aux gargouilles médiévales et aux influences des images japonaises du xixe siècle.

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Vest ig es , emb lèmes, t races .Mémoires au présent

Admirable cr i t ique !Des vér i tés de l ’ar t

Alain Schnapp • Une histoire universelle des ruines • Éditions du Seuil •Il n’existe pas plus d’hommes sans mémoire que de sociétés sans ruines. Cette Histoire universelle des ruines vise à élucider le rapport indissoluble que chaque civilisation entretient avec elles. Les Grecs et les Romains considèrent les ruines comme un mal nécessaire qu’il faut apprendre à interpréter pour les maî-triser. Le monde médiéval occidental affrontera l’héritage antique avec une admiration fortement teintée de répulsion. Face à cette tradition, la Renaissance entreprend un retour d’un type nouveau à l’Antiquité, considérée comme un modèle du présent qu’il faut imiter pour mieux le dépasser. Les Lumières enfin bâtissent une conscience universelle des ruines qui s’est imposée à nous comme le « culte moderne des monuments » : un dialogue avec les ruines qui se veut universel et dont ce livre porte témoignage.

Krzysztof Pomian • Le Musée, une histoire mondiale. Tome 1 : Du trésor au musée • Gallimard •Des accumulations des tombeaux égyptiens ou chinois et des trésors royaux jusqu’à notre Louvre au-jourd’hui, il faudra du temps pour que le musée trouve sa forme et sa fonction de conservation, d’étude et d’exposition des objets. Le premier volume (deux à venir) de cette Histoire part d’un passé lointain pour arriver à la création de l’institution appelée « musée » inventée en Italie à la fin du xve siècle, gagnant toute l’Europe au xviiie siècle. Une histoire faite de dons et de marchandises, de vols et de pillages, de guerres et de diplomatie. Et aussi d’architecture, de manières de contempler et de manier les objets, de problèmes juridiques et d’organisation. Une histoire d’art, et aussi de commerce, de savoirs et de techniques.

Alain Ruscio • Quand les civilisateurs croquaient les indigènes : dessins et caricatures au temps des colonies • Cercle d’art •Il fut un temps où la France exerçait son autorité sur des millions de femmes et d’hommes, désignés pour l’occasion indigènes et catalogués noirs, jaunes, bruns, basanés… Sûr de la supériorité de ses valeurs, l’homme blanc imposa sa domination à ceux qu’il considérait physiologiquement et intel-lectuellement inférieurs, et qu’il lui revenait donc d’humaniser (la fameuse mission civilisatrice)… Pour emporter l’indispensable adhésion des Français moyens en imposant les certitudes raciales — en fait, racistes — le dessin et la caricature envahirent tous les supports : la presse, mais aussi les affiches, les vignettes publicitaires, les images de catéchisme ou des écoles, les cartes postales, etc. En perma-nence entre le sourire crispé et un sentiment de révolte face à cette imagerie coloniale, le lecteur pourra nourrir sa réflexion sur les racines d’un certain regard contemporain sur les autres.

Mehdi Ben Cheikh • Boulevard Paris 13. Le Musée du street art à ciel ouvert • Albin-Michel •Après Tour Paris 13, un nouveau projet spectaculaire a vu le jour à Paris où la ligne de métro aérien n° 6 traverse désormais un « musée à ciel ouvert », le long du boulevard Vincent Auriol : Boulevard Paris 13 et ses fresques monumentales, réalisées par les plus grands artistes internationaux, et se succédant comme dans une galerie muséale géante. Ce livre permet de vivre ou de re-vivre cette expérience unique, s’y raconte la genèse et le making of du projet, accompagné de dix planches recto-verso permettant d’accrocher ses 20 murs préférés… chez soi !

Mica Gherghescu, Laurence Gueye-Parmentier et alii (Dir.) • La fabrique de l’histoire de l’art : 200 revues : 1903-1969 • Éditions Textuel •Ce magnifique corpus éditorial demeure très peu connu, c’est pourquoi les auteurs ont choisi de raconter ici une histoire de l’art subjective, vivante et accessible, à travers 200 revues. Près de 400 fac-similés incarnent la diversité des registres : de la virulence pleine d’humour des revues Dada à la poésie contestataire de la revue martiniquaise Tropiques d’Aimé Césaire jusqu’à l’énergie de Provoke, revue de photographie expérimentale japonaise. Les textes restituent ces aventures édi-toriales d’exception et mettent en lumière les parcours biographiques uniques d’éditeurs-passeurs.

John Berger • Portraits. John Berger à vol d’oiseau • Éditions L’Écarquillé •« Lorsque j’ai vu une œuvre d’art, je quitte le musée ou la galerie où elle est exposée, et j’entre humblement dans l’atelier où elle a été fabriquée. Et là j’attends en espérant apprendre quelque chose sur l’histoire de sa fabrication. Des espoirs, des choix, des erreurs, des découvertes impli-cites. Je me parle à moi-même, je me rappelle le monde hors de l’atelier, et je m’adresse à l’artiste que je connais peut-être, ou qui est mort il y a quelques siècles. Il n’y a jamais de conclusion. Par-fois un nouvel espace nous laisse tous les deux perplexes. Parfois une vision nous coupe le souffle, comme avant une révélation. Ce que cette approche et cette pratique apportent, c’est au lecteur de mes textes d’en juger. » J. Berger

Steffen Stiegel • 1839 : Daguerre, Talbot et la publication de la photographie : une anthologie • Éditions Macula •Paris, 7 janvier 1839. François Arago fait une communication devant l’Académie des sciences à propos d’un nouveau procédé, inventé par Louis Daguerre, qui permet de fixer les images se for-mant au foyer d’une chambre obscure. À partir de cette date, de nombreux acteurs, qu’ils soient savants, journalistes, artistes ou voyageurs, contribuent à inventer des métaphores, forger des concepts et élaborer des raisonnements – donc à instituer les cadres de référence du discours sur la photographie. Cette anthologie se concentre sur les écrits provenant des deux pays d’origine des premiers procédés photographiques, la France et la Grande-Bretagne, et rédigés en cette année 1839 ou juste avant. Des textes parus dans l’espace germanophone et aux États-Unis les complètent, attestant ainsi la rapide diffusion de la photographie et de son discours.

Hervé Joubert-Laurencin (Dir.) • André Bazin. Les écrits complets • Éditions Macula •Les Écrits complets d’André Bazin (1918-1958), 3 000 pages !!, rassemblent tous les articles écrits par celui qui fut l’un des plus importants critiques de cinéma mondiaux. Cofondateur des Cahiers du cinéma, figure tutélaire de la Nouvelle Vague, ce théoricien majeur de l’après-guerre aux mul-tiples apports n’a jamais cessé d’être passionnément discuté jusqu’à aujourd’hui. Face à l’animateur de ciné-clubs, l’envoyé spécial, l’interviewer et le théoricien, celui-ci jugera toute l’étendue d’une écriture éprise d’ouverture, diversement adressée au public populaire des quotidiens et aux érudits des grandes revues intellectuelles de son époque.

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De feui l le en feu i l les .L’arb re, l ’ar t i s te , le l ivre

Emanuele Coccia, Francis Hallé, etc. (Dir.) • Nous les arbres • Fondation Cartier •Après avoir été longtemps sous-évalués par la biologie, les arbres — comme l’ensemble du règne végétal — ont fait l’objet, ces dernières décennies, de découvertes scientifiques qui permettent de porter un nouveau regard sur ces plus anciens membres de la communauté des vivants. Capa-cités sensorielles, aptitude à la communication, développement d’une mémoire, symbiose avec d’autres espèces et influence climatique : la révélation de ces facultés invite à émettre l’hypothèse fascinante d’une « intelligence végétale » qui pourrait apporter des éléments de réponse à bien des défis environnementaux actuels.

Thomas Ott • La Forêt • Éditions Martin de Halleux •Thomas Ott travaille principalement avec la technique de la carte à gratter. Avec un cutter japo-nais, il gratte des lignes et des formes dans une couche noire qui recouvre un carton blanc. L’artiste crée donc son dessin en le traçant en blanc sur un fond noir par petites touches de grattages suc-cessifs. Un travail extrêmement minutieux pour lequel il n’a pratiquement pas droit à l’erreur. Il livre ici une histoire courte, sans paroles, en 25 grandes images qui conduisent un jeune garçon à fuir au plus profond d’une forêt pour y trouver un refuge, mais aussi se confronter aux grandes terreurs des hommes et finalement faire l’expérience de suivre, sans peur, son propre chemin.

Henry-Claude Cousseau • Arbres : Giuseppe Penone : exposition, Chaumont-sur-Loire • Éditions Couleurs Contemporaines •L’arbre jalonne, depuis plus de cinquante ans, la recherche de Giuseppe Penone, centrée, entre autres, sur une exégèse des origines séculaires de l’acte sculptural. En révélant la part cachée de l’arbre, en exhumant son cœur par un procédé spectaculaire, celui de la suppression successive des cernes de croissance, en mettant ainsi au jour sa vie antérieure, en le montrant dans sa nudité hivernale, en le fondant en bronze, en faisant de l’arbre une structure porteuse de significations cosmiques, Giuseppe Penone met en scène un véritable protocole mythographique. Au-delà de la théâtralité dont il est porteur, dans ses formes comme dans les cycles de sa vie, l’arbre, sous couvert d’allégorie, questionne la pratique de la sculpture.

Lionel Hignard, Camille Renversade • L’herbier fantastique • Éditions Plume de carotte •Dans le journal L’Aurore daté du 25 juillet 1914, nous apprenons la disparition d’Irénée Dubois, « l’employé du Museum d’Histoire naturelle n’a pas reparu depuis trois semaines. » Voilà le point de départ de l’aventure de ce livre étonnant. Cet ouvrage, composée de 27 dossiers fac similés, illustrés de nombreuses coupures de presse, correspondances, annotations, expériences scienti-fiques, dessins, photos… est le fruit des recherches de ce botaniste du début du xxe siècle sur les phénomènes étranges (et néanmoins véritables) de la botanique. Certains verront ses thèses se valider, d’autres non… mais qu’importe ! Des plantes carnivores aux haricots magiques, des plantes qui donnent du lait aux plantes vampires, de l’arbre aux dragons aux arbres géants.

Des an imaux et des hommes. Les seconds représentent

les premiersLaura Bossi (Dir.) • Les origines du monde : l’invention de la nature au xixe siècle • Musée d’Orsay/Gallimard •Le xixe siècle a connu un développement sans précédent des sciences naturelles. Si les grands voyages d’exploration témoignent de la diversité du monde et de la variété des espèces vivantes, la géologie dévoile l’inimaginable antiquité de la terre, et l’étude des fossiles révèle les prémices de la vie et l’existence d’espèces disparues, dont les dinosaures. Dans la seconde moitié du siècle, Darwin et ses adeptes interrogent les origines de l’homme, sa place dans la Nature, ses liens avec les animaux ainsi que sa propre animalité dans un monde désormais compris comme un écosys-tème. Ce bouleversement dans les sciences, ainsi que les débats publics qui traversent le siècle, influencent profondément les artistes.

Benedikt Taschen, Bill Buford • Walton Ford : Pancha Tantra • Taschen •À première vue, les aquarelles d’animaux en grand format extrêmement détaillées de Walton Ford, né en 1960, rappellent les planches d’histoire naturelle illustrées au xixe siècle par John James Audubon et Edward Lear. Mais en les regardant de plus près, on découvre un univers complexe à l’anthropomorphisme troublant. Dans cet univers visuel fascinant mais sinistre, bêtes et oiseaux ne sont jamais représentés comme de simples objets, mais plutôt comme les acteurs dynamiques de luttes symboliques : une dinde sauvage écrase une petite perruche entre ses serres, une tribu de singes met à sac une table de dîner dressée avec soin, un bison est encerclé par une meute de loups blancs ensanglantés.

Brigitte Koyama-Richard • Animaux dans la peinture japonaise • Nouvelles Éditions Scala •Dans la peinture japonaise, dragons, grues, renards, singes, tigres et libellules déambulent ou volent au milieu d’une végétation luxuriante, décorant ainsi les rouleaux enluminés, les paravents ou les estampes. Du plus petit insecte à l’éléphant, ils ornent également les temples, les sanctuaires, les palais et les jardins. Au-delà de leur fonction décorative ou propitiatoire, ces représentations portent des significations. Pour pouvoir les comprendre et les apprécier, il faut connaître la place de chaque animal dans la culture, c’est-à-dire dans l’histoire, la spiritualité, la littérature et la vie quotidienne.

Rudyard Kipling • (Illustrations MinaLima). Le Livre de la jungle • Flammarion- Jeunesse •Situé dans les profondeurs mystiques de la jungle indienne, où les tigres parcourent la terre et les singes se balancent des arbres, Le Livre de la jungle de Rudyard Kipling est réinventé comme jamais auparavant dans cette nouvelle édition intégrale époustouflante. Publié à l’origine en 1894, l’en-semble d’histoires imaginaires comprend des épisodes colorés tels que l’histoire de l’homme-petit Mowgli contre le féroce tigre Shere Khan, la courageuse mangouste Rikki-Tikki-Tavi et tant encore. Enrichi de nouvelles illustrations luxuriantes du studio de design MinaLima, ce nouveau Kipling pourrait devenir un objet de collection et sera apprécié par les lecteurs de tous âges.

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Revoir Par is .Empreintes et fantômes

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La carte n’est pas le territoire. Explo rer. Dess iner. Imaginer

Laure Godineau, Marc César (Dir.) • La Commune de 1871. Une relecture • Éditions Créaphis •Le 18 mars et la Semaine sanglante sont des points de repère parisiens, marqueurs mémoriels qui cachent en partie sa grande complexité comme sa dimension nationale ou transnationale. Fertile en initiatives de tous types, elle constitue a posteriori un extraordinaire et fascinant laboratoire du poli-tique. C’est à une relecture collective qu’invitent ici les plus grands spécialistes et de jeunes chercheurs. Quel fut le quotidien de 1871, localement ? Que se joua-t-il sur l’ensemble du territoire, marqué par une grande diversité des espaces et des lieux ? Quelles furent les réceptions à l’échelle internationale. Qu’est-ce que la Commune ? Ce livre montre la dimension capitale de l’expérience communaliste pour décrypter le xixe siècle et pour nourrir nos questionnements les plus contemporains.

Anne de Mondenard, Agnès Sire (Dir.) • Atget : voir Paris • EXB/Fondation Cartier- Bresson •Vers 1897, Atget commence à photographier Paris de manière systématique. L’époque s’intéresse au patrimoine de la capitale et la commission du Vieux Paris commande à Atget plusieurs séries qu’il nomme Paris pittoresque, L’art dans le vieux Paris, Environs… Doté d’une chambre à soufflet avec un châssis chargé de plaques de verre, le photographe saisit la topographie d’une ville qui change. Petits métiers, étalages, cours d’immeubles, heurtoirs, charrettes, ruelles, cafés, chiffonniers de la zone, jardins urbains, parcs abandonnés, quais de la Seine, cette obsessionnelle recherche fixe le détail de l’imprévu ; il en émane un sentiment de nostalgie, mais aussi une grande poésie. Préférant les lumières du petit ma-tin, son cheminement montre des rues souvent désertes, des façades impénétrables, des fenêtres ou-vertes sur de sombres intérieurs : le monde est comme endormi. L’absence humaine dramatise le réel.

Léon-Paul Fargue • L’esprit de Paris : chroniques parisiennes. 1934-1947 • Éditions du Sandre •Il y a de l’esprit de Paris dans certains dialogues, reparties, scies ou mots historiques. Il y en a sur des chapeaux. Il y eu a aussi tout le long de nos quais, dans les petits caboulots, chez les prud’hommes, sur la plate-forme des autobus et dans le métro, dans l’escalier, sur les toits, sous les toits où nichent les philosophes, au milieu des squares, et jusque dans les nuits camouflées de la guerre. L.P. Fargue. Par ses chroniques parisiennes, nourries d’une vie de noctambulisme et de rencontres, Léon-Paul Fargue n’aura cessé de célébrer sa ville, élaborant une mythologie fondée sur une connaissance érudite et vécue avec intensité. Il dresse le portrait de toute une génération, de la fin du xixe siècle à l’après-guerre, des salons de Mallarmé et de Rachilde au cercle des Amis du Livre d’Adrienne Monnier. Colette, Crevel, Larbaud, Miomandre, Cendrars…

Robert Bober • Par instants, la vie n’est pas sûre • Éditions POL •Ce livre est celui d’une mémoire de l’Europe amputée après le désastre, celui du souvenir du monde yiddish, mais plus encore ce livre est celui de la vie retrouvée dans ce que Paris constituait après la guerre, une capitale du cosmopolite et de l’espoir retrouvé. Dans l’amitié de Pierre Dumayet et celle de Georges Perec. J’appelle des visages, des souvenirs, et ce ne sont pas toujours ceux que j’appelle qui se présentent. Et comme s’ils n’attendaient que ça, ils affluent, en vrac, se donnant la main. Je les ac-cueille sans savoir où ils vont me conduire, ni ce qu’ils vont produire. Répartis dans des dossiers étique-tés, descendus de leurs étagères, sortis de leurs tiroirs, les souvenirs sont là, déposés sur mon bureau, attendant avec impatience ? espoir ? que je prenne le temps de m’y arrêter. Robert Bober.

Laurent Maréchaux • Les défricheurs du monde. Ces géographes qui ont dessiné la Terre • Éditions du Cherche-Midi •Les Défricheurs du monde propose de se pencher sur les théories et découvertes marquantes de fa-çon chronologique, pour suivre pas à pas la pensée de ceux qui ont façonné notre représentation graphique de l’endroit que nous habitons. Une approche qui célèbre le terme mot « géographie », soit « écrire et dessiner la Terre » (« geo-graphein ») dans tout ce qu’elle a connu et connaît encore de va-riantes et lectures. Car il a fallu des siècles entiers pour que le fait de « dessiner, décrire et se représenter le monde » soit une science nommée et reconnue. Et c’est auprès des illustres Homère, Aristote, puis Al Idrissi et Mercator, mais aussi Turgot et Humboldt que l’on visite l’histoire fascinante des cartes.

Huw Lewis-Jones • Atlas des mondes imaginaires • Éditions E/P/A •Les écrivains sont des créateurs de mondes. Le Pays imaginaire, la Terre du Milieu, Narnia, la forêt des Rêves bleus, l’île de Robinson… Cet atlas présente les cartes de ces lieux familiers des lecteurs. Vingt-trois auteurs évoquent les territoires qu’ils ont fait naître dans leurs œuvres à travers les plans qu’ils ont imaginés. Ils racontent également les lieux littéraires ou réels qui les ont fait rêver et ceux qui furent à la source de leur propre inspiration. Un magnifique voyage de carte en carte à travers la littérature : une inépuisable source de rêverie et d’aventure !

Jacques Abeille • Le Cycle des contrées. La Vie de l’explorateur perdu • Le Tripode •Au milieu les années 70, à la manière d’un rêve, Jacques Abeille s’engageait dans l’exploration d’un monde imaginaire en écrivant un roman : Les Jardins statuaires. Depuis, de livre en livre, s’élabore l’univers extraordinaire des Contrées, avec ses règles, ses fantasmagories… et ses vices. La Vie de l’explorateur perdu clôture ce vaste cycle, il est le roman des origines et celui de la fin. C’est l’heure des dernières étreintes et de l’ultime révolte, de l’ultime énigme et des derniers témoins. Adieu le Haut Plateau, Terrèbre, les Jardins statuaires et les enfants d’Inilo. Nous voilà quittant l’immensité des contrées, courant derrière les fantômes de Barthélémy Lécriveur et de Léo Barthe, faisant nos adieux à Ludovic Lindien, cet être inépuisable qui toute sa vie n’a pu respirer qu’en dehors du lieu étroit où sa vie l’a confiné. Désormais, sur ce monde, la lumière s’éteint.

Jean-Philippe Jaworski • Matière de Leomance : récits du vieux royaume • Les Moutons électriques •L’auteur à propos de cette « performance » littéraire et éditoriale de 1 300 pages : Au sein du Vieux Royaume, c’est surtout la république de Ciudalia qui est Renaissance. La Marche Franche, le duché de Bromael et la principauté du Sacre sont toujours des contrées médiévales. Je puise mon inspi-ration à trois sources : clichés rôlistes, documentation historique, littérature générale ou de genre… Quand je créais le Vieux Royaume, il m’est vite apparu que, pour générer de l’intrigue, j’avais besoin d’un pôle culturel et économique qui soit aussi facteur d’instabilité politique ; c’est cette nécessité qui a produit la république de Ciudalia et qui m’a orienté vers une cité Renaissance sur le modèle des grandes cités italiennes. J.-P. Jaworski (Actu SF)

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1903-195 0. Orwel l . Un e v ie de convict ions

et de combats

Années t rente . Moscou dans l ’ombre

de Sta l ineGeorge Orwell • Œuvres (sous la direction de Philippe Jaworski • Nouvelles traductions) • La Pléiade/Gallimard •Ce volume de La Pléiade a pour projet de dessiner la cohérence de l’œuvre, tout entière fondée sur une ambition : « faire de l’écriture politique un art véritable ». « Un homme à la colère géné-reuse », « une intelligence libre », « le genre que haïssent également toutes les orthodoxies malo-dorantes qui s’affrontent aujourd’hui pour la possession de nos âmes » : ces traits empruntés à son portrait de Dickens dessinent l’autoportrait d’Orwell. Dans ses articles, ses essais, ses récits-repor-tages, ses romans mêmes, celui-ci fait partager ses convictions et ses refus. Ses écrits se nourrissent de ses engagements personnels, de sa démission d’un poste dans la Police impériale des Indes (En Birmanie), de son intérêt pour la condition des indigents (Dans la dèche à Paris et à Londres) ou pour le sort des mineurs du Yorkshire (Wigan Pier au bout du chemin), de son séjour dans l’Es-pagne en guerre (Hommage à la Catalogne) et de sa guérilla incessante contre les mensonges et les crimes staliniens. Mais ce sont donc ses deux derniers romans qui ont fait sa gloire ; l’allégorie animalière et la dystopie déguisée en farce tragique forment une sorte de diptyque dont la cible est la barbarie du totalitarisme.

George Orwell • 1984 • Dessins de Fido Nesti • Éditions Grasset •Le célèbre et glaçant roman de George Orwell se redécouvre dans la traduction récente de Josée Kamoun, directe et dépouillée, qui tente de restituer la terreur dans toute son immédiateté mais aussi les tonalités nostalgiques et les échappées lyriques d’une oeuvre brutale et subtile, équivoque et génialement manipulatrice. Et c’est une première, audacieuse ! cette édition est présentée sous la forme d’un roman graphique, imaginé par le dessinateur brésilien Fido Nesti.

George Orwell chez Ivréa • La maison qui prit tous les risques pour la connaissance d’Orwell en France • Une œuvre pour un titre ! •Simon Leys y publia en 1971 ses Habits neufs du Pdt Mao, avant de consacrer un essai fameux à Orwell. Est-ce lui qui ouvrit-il la maison de Debord à Orwell ? Champ Libre, devenue plus tard Ivréa, entreprit entre 1981 et 1984 l’édition des œuvres de l’écrivain anglais, La Ferme des animaux, puis les récits, puis, entre 1995 et 2000, en association avec L’encyclopédie des Nuisances, celle des essais et des lettres, en quatre volumes. C’est donc à ces initiatives que le lecteur français doit son ouverture au monde d’Orwell.

George Orwell chez Agone • Plusieurs livres qui n’en feraient qu’un…Malgré l’immense célébrité de l’écrivain Orwell, sa pensée reste largement ignorée ou incom-prise en France. Il est temps qu’il y soit lu comme une figure majeure, et désormais classique, de la pensée politique du xxe siècle, au même titre qu’un Gramsci ou une Hannah Arendt. Les écrits politiques, tous inédits, présents dans ce recueil sont au cœur, aux éditions Agone, d’un cata-logue orwellien également composé d’une importante correspondance, d’un livre de chroniques, et d’essais sur l’œuvre. 2021 verra ici une nouvelle traduction de 1984, par Célia Izoard et Thierry Discepolo.

Mikhaïl Boulgakov • Le Maître et Marguerite (Tr. André Markowicz, Françoise Morvan) • Éditions Inculte •Moscou, années 1930, le stalinisme est tout puissant, l’austérité ronge la vie et les âmes, les artistes sont devenus serviles et l’athéisme est proclamé par l’État. C’est dans ce contexte que le diable décide d’ap-paraître et de semer la pagaille bouleversant les notions de bien, de mal, de vrai, de faux, jusqu’à rendre fou ceux qu’il croise. Chef-d’oeuvre de la littérature russe, livre culte à travers le monde, Le Maître et Marguerite dénonce dans un rire féroce les pouvoirs autoritaires, les veules qui s’en accommodent, les artistes complaisants, l’absence imbécile de doute. André Markowicz (qui, en retraduisant les oeuvres de Dostoïevski leur a rendu leur force) s’est attaqué en compagnie de Françoise Morvan à ce monument littéraire et nous restitue sa cruauté première, son style brut, son souffle, son humour, son universalité.

Ilf et Petrov • Les douze chaises (tr. Alain Préchac) • Éditions Gingko •Paru en 1928, ce livre est un cas d’espèce du roman humoristique : une satire de la Russie entre NEP et stalinisme que la bureaucratie n’a pas vu passer et qui échappa à la censure !!! Roman satirique et populaire d’une grande modernité, qui met en scène un duo improbable à la recherche de diamants cousus dans une chaise tombée depuis dans les mains de l’union soviétique… Parodie de roman d’aventures et satire humoristique, peu de livres ont connu en Russie autant de succès que ce roman mythique de la Russie soviétique, qui rendit célèbre son duo d’auteur, Ilya Ilf et Evguéni Petrov.

Anna Akhmatova • Poèmes épars et fragments. 1904-1966 • Trois volumes • Tr. Christian Mouze • Éditions Harpo &. 3x32/Lydia Tchoukovskaia • Entretiens avec Anna Akhmatova (Tr. Sophie Benech) • Éditions Le Bruit du temps •Quand on songe à la Russie des années trente, on pense à Boris Pasternak, à Varlam Chalamov et ses récits de la Kolyma, on pense à Marina Tsvetaïeva. Mais on oublie celle dont le prix Nobel Joseph Brodsky disait qu’elle était la plus grande, plus grande qu’eux tous, Anna Akhmatova.Amedeo Modigliani lui écrivait : « Vous êtes en moi comme une hantise. Je tiens votre tête entre mes mains et je vous couvre d’amour. » Il fit d’elle seize portraits sublimes. Tout au long de sa vie, elle dut ré-sister à Staline qui disait d’elle : « c’est une nonne et une putain ». Il fit déporter son fils Lev, qui subit 17 ans de Goulag, et son troisième mari, Nicolaï Pounine qui y mourut. Elle fut interdite de publication pendant trente ans mais jamais ne dévia de son cap : nommer les choses, être une poète et une femme libre.

Ada Ackerman (Dir.) • Sergueï Eisenstein. L’Œil extatique • Centre Pompidou •Eisenstein, en tant que théoricien, relit l’histoire de l’art à la lumière du cinéma. En effet, le cinéma ne représente pas tant pour lui un médium technique que la réponse la plus élaborée à des be-soins humains primordiaux. L’histoire de l’art eisensteinienne est ainsi délibérément anachronique et déhiérarchisée, ouverte aux cultures autres qu’occidentales. Si, de son vivant, Eisenstein fut un artiste que le monde entier s’arrachait et dont le travail et la pensée bouleversaient les esprits, cette aura s’est aujourd’hui considérablement amoindrie, du fait d’une diffusion amoindrie, mais plus encore en raison d’interprétations essentiellement idéologiques qui ont réduit son travail au seul contexte de l’URSS communiste et à ses relations avec Staline.

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Derr ière la G ran de Mura i l le , la let t re et l ’ image

De Edo à Tokyo.Images du Sole i l Levant

Jean-Marie Gustave Le Clézio • Le Flot de la poésie continuera de couler • Éditions Philippe Rey •« Je suis entré dans la poésie Tang presque à l’improviste, mais non par hasard, en lisant un poème de Li Bai, qui met face à face un homme et une montagne. Le poète décrit un lieu d’immobilité et de majesté devant lequel l’être humain, dans sa faiblesse et son impermanence, ne peut que s’asseoir et regarder. La poésie Tang est sans doute le moyen de garder ce contact avec le monde réel, elle nous invite au voyage hors de nous-mêmes, nous fait partager les règnes, les durées, les rêves. » J.M.G.Le Clézio

Wu Cheng’En • La Prérégrination vers l’Ouest • (Tr.André Lévy) • Deux volumes • La PlÉiade/Gallimard •Au viie siècle, un moine chinois partit pour l’Inde chercher les livres qui lui permettraient de retrou-ver les soutras véritables du Bouddha. Il fit une relation de ce voyage. Les conteurs s’emparèrent du schéma narratif. Le récit — historique et géographique — du moine servit de prétexte à l’imaginaire des raconteurs qui rameutèrent toutes les figures de l’imaginaire de l’âme chinoise. Au xvie siècle, le très probable compilateur — Wu Cheng’en — rassembla cette masse de récits pour en faire une seule œuvre, créant une fantasmagorie bouddhique qui laisse toutes les interprétations la péné-trer, mais leur foisonnement même reconduit sans cesse le sens à l’insensé.

Cao Xueqin • Le Rêve dans le Pavillon rouge • Éditions Citadelles et Mazenod •Le Rêve dans le pavillon rouge a été rédigé par Cao Xueqin au xviiie siècle. Ce roman-fleuve de 120 chapitres retrace la vie de plusieurs familles aristocratiques chinoises, et en particulier celle du clan Jia. Le récit se déroule principalement dans un vaste jardin aux multiples paysages aménagé par les Jia pour recevoir dignement la concubine impériale. Le « pavillon rouge » désigne le gy-nécée, l’ensemble des appartements intimes des femmes ; cette couleur, qui décorait les riches résidences, symbolise par ailleurs le luxe et le bonheur. Cette édition propose les 230 peintures de l’artiste Sun Wen (xixe siècle), qui offrent une description précise de la vie quotidienne et sociale, détaillant les repas, divertissements et cérémonies qui animaient les journées des grandes familles mandchoues dans la Chine impériale.

Yang JiSheng • Renverser ciel et terre : la tragédie de la Révolution culturelle : Chine, 1966-1976 • Éditions du Seuil •Politiquement affaibli après l’échec du Grand Bond en avant et la grande famine qui l’a suivi (1958-1962), Mao Zedong lance en 1966 la Grande Révolution culturelle prolétarienne. Pendant qu’il éli-mine un à un tous ses compagnons d’armes, il pousse la jeunesse à l’assaut de la bureaucratie : les gardes rouges, appelés à « renverser ciel et terre », sèment le chaos dans le pays de 1966 à 1968. Mais les choses échappent au contrôle de Mao et, pour garder l’armée de son côté, il doit bientôt lâcher les jeunes rebelles. Le pays est alors au bord de la guerre civile. La Révolution culturelle ne prendra fin qu’avec le décès de Mao Zedong, en 1976, après avoir fait des millions de victimes. Yang Jisheng, étudiant à Pékin de 1966 jusqu’à la fin 1967, a participé aux débuts de cette période sanglante. Son récit et son analyse sur près de mille pages sont toujours interdits en Chine.

Sei Shonagon • Hokusai. Notes de chevet • Tr. André Beaujard • Éditions Citadelles et Mazenod •Ces Notes de chevet sont l’un des plus beaux livres de la littérature japonaise, et le premier chef d’œuvre de la littérature mondiale. Composées dans les premières années du xie siècle, au moment de la plus haute splendeur de la civilisation de Heian, par Sei Shonagon, une dame d’honneur, attachée à la princesse Sadako. Ces notes intimes proposent, sous forme de tableaux, de portraits, de récits, une illustration du Japon sous les Fujiwara. Les impressions sur le vif de l’au-teur, abordent tour à tour les choses qu’elle aime ou déteste voir, écouter, manger et boire. Cette édition exceptionnelle est illustrée par les œuvres d’Hokusai, le maître japonais de l’ukiyo-e, dont le trait raffiné entre en parfaite résonance avec la sensibilité et la grâce de l’écrivain.

Yumoto, Koichi • Le musée des yokai : l’art japonais des êtres surnaturels • Éditions Sully •Les Yôkai sont des créatures surnaturelles du folklore japonais aux formes inventives. Les Yôkai naissent du danger présent dans notre environnement, et de l’anxiété des hommes la nuit venue. Au Japon, les représentations des Yôkai se sont multipliées au cours des siècles, d’abord sur des rouleaux peints puis sur des gravures sur bois, des livres, des objets divers : kimonos, céramiques, netsuke, armes, jouets, objets religieux. Avec ses 3 000 pièces environ, la collection de Yumoto Kōichi est la plus grande du Japon en relation avec les yōkai. Elle inclut une incroyable quantité d’objets de l’époque d’Edo comme de la période moderne.

Jacky Quétard & Sanae Kushibiki • Je t’écris du Japon : histoire de la carte postale ja-ponaise colorisée • Éditions Elytis •Après une longue période autarcique durant laquelle il était fermé au monde extérieur, le Japon, au milieu du xixe siècle, ouvre à nouveau ses ports aux voyageurs occidentaux qui découvrent un territoire figé dans le passé. La multiplicité des échanges va de pair avec la vulgarisation de la pho-tographie. Des ateliers se montent et le système postal se développe en parallèle. L’art de la carte postale connaît un essor fulgurant : photographies, aquarelles, laques, tampons commémoratifs et timbres ornent ces souvenirs de voyage que les Européens se plaisent à rapporter ou à expédier.

Fabien Mauro • Kaiju, envahisseurs & apocalyse : l’âge d’or de la science-fiction japonaise • Aardvark Éditions •1954. Godzilla surgit des profondeurs du Pacifique pour poser son empreinte sur le Japon et l’his-toire du cinéma. Durant les décennies qui vont suivre, les studios japonais rivalisent de créativité et d’ingéniosité pour produire des œuvres qui vont façonner la culture populaire du pays : kaiju eiga, invasion extraterrestre, expériences scientifiques démentes, super-héros, odyssées spatiales et ca-tastrophe imminente. De Godzilla à Gamera, de l’homme invisible à Super Giant, de la cité en-gloutie d’Ataragon aux galaxies lointaines des Évadés de l’espace, cet univers est proposé au long de ce qui constitue une encyclopédie exhaustive, illustrée par plus de 700 affiches et documents.

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Poètes de le ur v ie . Le souff le du verbe

Vers l ’Amér ique. L’Amér ique en vers

Victor Segalen • Œuvres (Christian Doumet Dir.) • La Pleiade/Gallimard •Faire de ce monde une part de soi, tel est pour Victor Segalen l’enjeu de la littérature. Plus que d’autres, il a le don de percevoir la multiplicité du visible, l’instabilité des choses, la variété du sensible. L’exotisme est son affaire, mais pour en aborder les thèmes il a soin, précaution rare en son temps, de se débarrasser du poncif « palmier – chameau – casque colonial ». Son appétence pour le divers n’est pas d’ordre ethnogra-phique. Ce qu’il vise, c’est « une Esthétique du Divers ». À sa mort à quarante et un ans, en 1919, trois livres seulement avaient paru : Les Immémoriaux, Stèles et Peintures. Des milliers de feuillets manuscrits attendent éditeurs et lecteurs. Peu à peu l’œuvre est sortie de l’ombre, ici les 2 500 pages de Segalen dévoilent une « poésie encore ignorée et au sein de laquelle vit un mystère » (Pierre Jean Jouve, 1955).

Georges Perec • Entretiens, conférences, textes rares, inédits • Textes réunis par Mireille Ribière • Éditions Joseph K •Une première partie permet, au fil des déclarations de l’écrivain, de suivre son cheminement depuis son irruption sur la scène littéraire avec Les Choses jusqu’à sa disparition en mars 1982 à l’âge de quarante-six ans, alors qu’il a atteint, grâce au succès de La Vie mode d’emploi, ce moment privilégié dans la vie d’un écrivain où il peut enfin « vivre de sa plume ». En suivant, sont rassemblés des écrits restés inédits, tels que L’Attentat de Sarajevo et Le Condottière, ou encore un long article sur la guerre d’Algérie, bilan détaillé du qu’en propose le jeune homme de vingt ans. « Je n’ai jamais été à l’aise pour parler de manière abstraite, théorique, de mon travail ; même si ce que je produis semble venir d’un programme depuis longtemps élaboré, d’un projet de longue date, je crois plutôt trouver – et prouver – mon mouvement en marchant… » Georges Perec

Alexandre Hollan • Je suis ce que je vois : notes et réflexions sur la peinture et le dessin. 1975-2020 • Éditions érès •« Chaque matin, je me convaincs que l’activité telle qu’elle renaît peut avoir un sens. Que dessiner, peindre, peut me mettre dans le courant de la vie. Sans cette forme d’activité, la vie n’a pas de sens pour moi. La vie invisible, son silence palpable et toute l’immensité que je devine à travers les mystères qui viennent jusqu’à moi n’ont pas de support. La peinture, le dessin, peuvent-ils devenir des formes légi-times, un moyen de servir l’invisible beauté ? Une langue universelle ? La sensation de la beauté qui me traverse parfois peut-elle trouver dans mon travail une forme qui touche d’une manière juste les autres ? Sinon la « création » est une activité inutile, du temps perdu, une vie perdue… » Alexandre Hollan

Patrick Varetz • Deuxième mille • Éditions POL •Depuis 1993, Patrick Varetz s’est engagé dans un projet d’écriture poétique d’envergure. Défen-dant un retour au vers et à la poésie, il crée une sorte d’expérience littéraire d’exploration de soi. Journal intime dans lequel interviennent autant les souvenirs personnels que les lectures, les films, la musique et les chansons. En 2013, il a décidé d’écrire mille poèmes parce qu’il avait besoin d’écrire sans cesse, parce qu’il aimait l’idée que le poème puisse recueillir les pensées, les rêves, les sentiments, les colères, les peurs, les envies. Sept ans plus tard, il publie le deuxième volume de cette expérience poétique, le Deuxième mille. Le livre devient l’atelier du poète. Le Je s’efface au profit du Tu qui désigne aussi bien l’auteur que ses proches ou le lecteur. Et dans la grande tradition poétique d’un François Villon, le poème se conçoit comme une chronique de soi et du monde.

Emily Dickinson • Poésies complètes • Tr.Françoise Delphy • Flammarion •Emily Dickinson (1830-1886) n’est pas seulement l’un des plus grands poètes américains : c’est aussi un personnage mythique. Toujours vêtue de blanc, cette femme mystérieuse, à l’âge de trente ans, se mura à jamais dans la demeure familiale d’Amherst, son village natal, en Nouvelle-Angleterre, et passa le reste de sa vie à contempler le monde depuis sa fenêtre. Lorsqu’un ami lui rendait visite, il lui arrivait même de refuser de sortir de sa chambre pour l’honorer de sa présence. Celle que ses proches surnommaient la « poétesse à demi fêlée » ou la « reine recluse » n’avait qu’une obsession : écrire — elle a laissé des milliers de lettres et de poèmes. Ironie de l’histoire : sur les deux mille poèmes ou presque que nous lui connais-sons, six seulement furent publiés de son vivant. Les autres ne furent découverts qu’à sa mort.

Walt Whitman • Battements de tambour • Tr.Eric Athenot • Éditions José Corti •Whitman publia en 1865 deux recueils de poèmes consacrés à la guerre de Sécession. C’est le second de ces deux recueils qui est traduit ici. Publié à quelques semaines d’intervalle du premier, il en intègre les pièces et trahit le souci qu’affiche le poète de réagir de façon adéquate à l’as-sassinat d’Abraham Lincoln, tout en exprimant un espoir de réconciliation entre les deux camps. Battements de tambour donne à voir un poète qui tente de trouver un sens au conflit fratricide national, sans jamais prendre parti. L’audace de sa vision se retrouve dans l’érotisation qu’il fait du conflit, mêlant le politique et le sexuel, l’éros et le thanatos, signe d’un désespoir latent caché sous un espoir de réconciliation que l’on peut ressentir comme aussi vital qu’illusoire.

Louis Zukofsky • A • Tr. François Dominique et Serge Gavronsky • Éditions Nous •Zukofsky disait de « A » : « ces mots sont ma vie » — il y aura consacré quarante cinq années de tra-vail. Œuvre majeure de la modernité américaine, « A » peut être lu à la fois comme un manifeste, le témoignage d’une vie traversée par les espoirs et les désastres du siècle dernier, une quête de l’amitié (Ezra Pound, William Carlos Williams) et un chant d’amour pour sa femme Celia. Dans les 800 pages de « A » se mêlent inextricablement la vie de Louis et de sa famille, les événements his-toriques du vingtième siècle, la musique, une réflexion morale et politique hantée par la présence textuelle de Marx et Spinoza. Les 24 sections qui composent « A » révèlent une méthode de com-position d’une grande audace, qui alterne le vers rimé, le vers libre, le collage, la correspondance, les citations, l’écriture théâtrale, l’écriture musicale…

Robin Robertson • Walker • Tr. Josée Kamoun • Éditions de l’Olivier •« Il marche, Walker. C’est son nom et sa nature. » Jeune soldat canadien de retour des champs de bataille de la Seconde Guerre mondiale, Walker s’installe à New York en 1946. Hanté par la violence des combats, il peine à trouver sa place dans une Amérique où l’argent et la corruption règnent désormais en maîtres. Il se lance alors dans une odyssée qui le conduit à San Francisco puis Los Angeles, tente de gagner sa vie en travaillant dans la presse et côtoie le monde du cinéma et du film noir, qui le fascine. Mais point de salut pour cette âme perdue, condamnée à errer dans un décor qui n’est autre que le reflet de son chaos intime. Walker est une évocation en noir et blanc de l’Amérique, une sublime parabole sur la nature du Mal.

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Pen ser. Imagin er. Donner. Les mot s pour le d i re

Retour sur so i . Jo urna l , réc i t, souven ir

Catherine Colomb • Tout Catherine Colomb • Éditions Zoé •Tout Catherine Colomb offre une plongée sans précédent dans l’univers d’une romancière suisse profondément originale, dont la quête formelle est indissociable de ses préoccupations existen-tielles. La vie… est-ce qu’elle agit conformément à un plan ? Est-ce que la mémoire n’intervient pas sans cesse, créant une vie parallèle, qui amène des centaines de souvenirs, de visions fugitives, de rêves et soudain, on ne sait pourquoi, tout s’efface, et seul subsiste pour un instant ce souvenir de per-venches autour d’une tombe, ou dans un salon, le bruit mat des pétales de rose blanche qui s’effeuille sur le tais de velours beige brodé de fil doré ? Et puis tout revient comme des vagues, le vacarme du monde entier qui galope sur des chevaux de bois… Catherine Colomb.

Gabrielle Wittkop • Hemlock : à travers les meurtrières • Quidam Éditions •Labyrinthe arachnéen, Hemlock évoque les destinées tragiques d’une Italienne de la post-Renaissance – Béatrice Cenci –, d’une Française du Grand Siècle – la marquise de Brinvilliers – et d’une Anglaise de l’époque edwardienne en Inde – Mrs Fulham –, entraînées dans le vortex du crime par l’enchaîne-ment des circonstances, leur faiblesse et leur passion. Au-delà des contingences chronologiques, des visions récurrentes, des lieux, des objets, des leitmotive les relient entre elles. Comme aussi à Hemlock, une femme de notre temps, étrangère à leurs crimes mais déchirée entre les espérances et les craintes d’une situation extrême dont la présence, véritable fil d’Ariane, domine tout le livre.

Hélène Cixous • Lettres de fuite. Séminaire 2001-2004 • Gallimard •Le travail théorique et critique d’Hélène Cixous, plus connue par son œuvre de fiction et pour le théâtre, a surtout été élaboré publiquement au séminaire qu’elle donne annuellement depuis près d’une cin-quantaine d’années. Aussi ce séminaire appartient-il à l’époque « glorieuse » de la pensée française, aux côtés des séminaires de Jacques Derrida, Michel Foucault, Jacques Lacan ou Roland Barthes. Son séminaire se caractérise par le fait qu’il associe étroitement la littérature et la pensée : la voix d’Hélène Cixous, forte et séduisante, nous entraîne dans une lecture très personnelle de la grande littérature Lettres de fuite regroupe trois ans de séminaire, de la rentrée 2001 (après le 11 septembre, qui a changé nos vies et le monde que nous connaissions) à juin 2004 (date du dernier dialogue public avec Jacques Derrida). Le séminaire fait une place essentielle au désir, à l’amour et à la sexualité, des thèmes univer-sels, mais il est aussi toujours attentif à ce qui se passe sur la scène du monde. Hélène Cixous conclut : « Dans sa fragilité, dans son côté désarmé, la littérature est absolument indispensable. »

Lucy Ellmann • Les lionnes • Tr. Christophe Claro • Éditions du Seuil •Une femme, mère au foyer, vit l’essentiel du quotidien dans sa cuisine. L’âge est venu, elle a sur-monté un cancer, et elle rumine le monde, ses folies, ses dangers, les fusillades dans les écoles, la crise économique qui fait toujours payer les mêmes, la pauvreté, l’angoisse du lendemain, les équilibres plus que précaires, sa mère décédée d’une longue maladie. Ça se passe dans l’Ohio. Et ça nous parle, au plus profond, de tout, partout. Cette femme pense aux diverses tâches do-mestiques qui l’attendent, nécessaires à faire tourner le ménage. Trump, ce président terrifiant, le dérèglement de la planète, mais aussi la domination patriarcale, l’asservissement des femmes ou l’extermination des Amérindiens, tout cela roule dans sa tête. Et c’est parti pour une formidable aventure narrative, en une coulée pleine de rebondissements, qui nous emporte dans une apnée littéraire exceptionnelle.

Franz Kafka • Journaux • Tr. Robert Kahn • Éditions Nous •Voici, enfin, la première traduction intégrale en français des 12 cahiers, écrits de 1910 à 1922, que cette édition reproduit à l’identique, dans l’ordre chronologique original. La traduction de Robert Kahn se tient au plus près de l’écriture de Kafka, de sa rythmique, de sa précision et sécheresse, laissant « résonner dans la langue d’arrivée l’écho de l’original ». Les Journaux de Kafka sont le lieu d’une écriture lucide et inquiète où se mêlent intime et dehors, humour et noirceur, visions du jour et scènes de rêves, où se succèdent notes autobiographiques, récits de voyages et de rencontres, énoncés lapidaires, ou fragments narratifs. Dans ce battement entre vie écrite par éclats et soudaines amorces fictionnelles, les Journaux se révèlent être le cœur de l’œuvre de Kafka : le lieu où les frontières entre la vie et l’œuvre s’évanouissent.

Ramon Gomez de la Serna • Automoribundia. 1888-1948 • Tr. Catherine Vasseur • Éditions Quai Voltaire •Ramón Gómez de la Serna était considéré par Valery Larbaud comme l’égal de Proust et de Joyce. Porte-parole du baroquisme hispanique moderne, il avait un humour terriblement innovant, qu’on peut rapprocher de celui d’Alfred Jarry, mais il y avait aussi du Kafka et du Borges en lui. Parues en 1948 à Buenos Aires, le livre paraît lorsque l’écrivain a 60 ans. C’est un moment difficile de sa vie : déraciné dans l’exil argentin, oublié de tous après le drame de la Guerre civile, il sent la maladie et la vieillesse s’abattre sur lui. Cette autobiographie constitue une tentative désespérée pour faire revivre « le grand Ramón » : l’artiste qui dans les années 1920 surprenait par ses productions imprévisibles.

Eugenio Corti • Le Cheval rouge • Tr. Françoise Lantieri • Éditions Noir sur Blanc • Eugenio Corti (1921-2014) est un écrivain et un essayiste italien. En 1940, il s’enrôle dans l’armée et demande à être affecté sur le front russe pour observer de près le phénomène communiste. En dé-cembre de la même année, les troupes italiennes, prises en étau, sont décimées par l’Armée rouge. Ce roman autobiographique suit le parcours de jeunes Italiens engagés dans l’armée de Mussolini en 1940 et s’achève dans les années 1970. Il dresse une véritable fresque sociale de l’Italie contem-poraine. De la campagne de Russie à la barbarie nazie, de la découverte du Goulag aux épisodes de la résistance en Italie du Nord, Le Cheval rouge a souvent été comparé à des œuvres aussi remar-quables que Guerre et Paix. Ce monde fourmillant de personnages, de drames et de récits d’amour, de grandioses scènes collectives, est avant tout le roman des petites gens appelés à bâtir l’histoire.

Glenn Gould • Contrepoint à la ligne et autres écrits • (Tr. Bruno Monsaingeon) • Bouquins/Laffont •Près de quarante ans après sa disparition, le seul nom de Glenn Gould (1932-1982) est devenu un sésame. Au-delà de sa réputation d’interprète, le grand pianiste canadien représente aujourd’hui un mythe culturel et un personnage excentrique que ce volume permet de découvrir. Pour un pu-blic toujours nombreux et fervent, Gould s’identifie à Bach, aux Variations Goldberg notamment. Il demeure l’une des personnalités les plus marquantes du monde musical. Non seulement comme pianiste, mais aussi comme compositeur, écrivain, sociologue, théoricien et prophète de nou-veaux modes de communication, comme moraliste enfin. « Je suis, disait-il, un écrivain canadien et un homme de communication qui joue du piano à ses moments perdus. »

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97… 98… 99 e t i t re . L a couron n e d ’o l iv ier

pour Bolaño !

Budé sauvé des eaux . Lat in , Grec . La v ie cont inue

Roberto Bolaño est né à Santiago du Chili en 1953. Il quitte son pays natal en 1973 après le coup d’État qui renverse Salvador Allende, s’installe en Espagne et commence à publier des poèmes. S’il ne délaissera jamais la poésie, il se fait connaître par ses romans et nouvelles. Roberto Bolaño a acquis avec les années un statut colossal au sein d’une littérature contemporaine qu’il a gran-dement influencée, comme l’atteste la publication posthume de 2666, son roman total. Roberto Bolaño est mort en juillet 2003. Publié pour partie en français par Christian Bourgois, de nom-breux textes restant à traduire et à publier, les Éditions de l’Olivier ont entamé la publication de ses Œuvres Complètes en 6 tomes. Trois sont parus en cette année 2020, traduits par Robert Amutio et Jean-Marie Saint-Lu, chacun au prix de 29 euros. Un chantier salutaire et audacieux, qui se finira en 2022… un monde à arpenter pour l’éternité et un jour…

La libraireNous avons tous la librairie que nous méritons, sauf ceux qui n’en ont aucune. La mienne est la Sant Jorid à Blanes, la librairie de Pilar Plagespetit i Mattori, dans l’ancienne avenue de la ville. Une fois tous les trois jours, je vais fouiner là-bas, et j’échange quelques mots parfois avec ma libraire. Pilar Plagespetit qui est, comme son nom l’indique, une femme menue, consacre la matinée et aussi quelques après-mi-di, lorsqu’il y a peu de clients à mettre en ordre reçus et envois et à lire ses livres préférés. Au cours de ces heures-là, Pilar Plagespetit est là et n’est pas là. C’est-à-dire qu’elle est là mais qu’elle y est comme si elle n’y était pas. Au cours de ces heures, ou de ces minutes, une librairie se transforme en un poste avancé d’exploration on ne sait où. Dans un territoire sauvage, probablement. Et tous ceux qui entrent ont une tête de naufragés, même les dames qui viennent chercher le magazine Pronto. Au cours de ces heures, dans la librairie Sant Jordi, on entend du jazz, même si en d’autres occasions il est possible d’entendre de la musique classique, de la musique ethnique et de la musique brésilienne, dont les notes contribuent à relaxer ma libraire. Chaque a, sans aucun doute, des raisons plus que suffisantes pour être nerveux, me dis-je en entendant les accords sombres de John Coltrane, bien que ma libraire, envelop-pée de musique apaisante, n’ait pas l’air de se ronger les sangs. Lorsque je lui demande si elle a toujours voulu se consacrer à ce métier, elle me répond qu’elle ne le sait pas. Elle a commencé à Tordera, en tant que bibliothécaire, et cela fait dix-huit ans, lorsqu’elle est venue s’installer à Blanes, elle a décidé de monter une librairie et elle a l’air heureuse. Elle me fait crédit et, en général, m’obtient les livres que je lui commande. On ne peut en demander davantage.

Roberto BolanoIn Intempéries (Volume III).

Traduction R. Amutio et J.-M. Saint-Lu.

Pour conclure, ou presque, ce catalogue éphémère avec des livres éternels, le centenaire des Belles-Lettres s’avère une évidence… À cet effet, voici quatre parmi la (presque) centaine de titres que la maison du boulevard Raspail a publié en 2020, tous plus indispensables les uns que les autres à la connaissance et à la diffusion des savoirs. La Chine, le Japon, l’Iran et les pays du Moyen-Orient, l’Inde, ont rejoint les civilisations de la Méditerranée dans un catalogue en expan-sion créatrice. Il n’y a qu’à suivre…

Alberto-Luigi Sanchi (Dir.) • Les Lettres grecques. Anthologie de la littérature grecque d’Homère à Justinien • Belles-Lettres •D’Homère à Justinien, le patrimoine des lettres grecques s’étend sur treize siècles. On trouve dans cette entreprise éditoriale la progression de la langue et de la littérature et leur extension dans l’espace géographique. Depuis l’époque archaïque jusqu’à l’Antiquité tardive et la fondation de Constantinople, en passant par l’empire d’Alexandre, ce sont ces chemins, tracés par les érudits philologues dans un ensemble de 1 600 pages, que le lecteur va emprunter pour se confronter aux origines du monde européen.

Jean-Christophe Saladin • Les aventuriers de la mémoire perdue. Léonard, Erasme, Michelet et les autres • Belles-Lettres •Nos aventuriers sont les humanistes. Leur quête : retrouver la culture antique perdue. En restaurant sa mémoire, ils fondèrent – souvent au péril de leur vie – une civilisation de la libre pensée, la nôtre. Ils s’engagèrent dans tous les domaines de la vie sociale, depuis la peinture jusqu’aux droits des colonisés, en passant par le théâtre, l’astronomie et la religion. Nous avons beaucoup à apprendre d’eux, en un temps où la liberté d’expression est à nouveau menacée.

Chiara Frugoni. François • Le message caché sans les fresques d’Assise • (Tr. Lucien d’Azay). Belles-Lettres •François d’Assise mourut le 3 octobre 1226 dans sa ville natale. Jamais il ne vit la grande basilique qui lui fut consacrée ni le cycle de fresques qui y retrace les épisodes de sa vie et son enseigne-ment. Entrepris dès 1260, cet immense chef-d’œuvre de l’art médiéval a été réalisé par les plus grands peintres italiens de l’époque : Cimabue, Giotto, et les Siennois Simone Martini et Pietro Lorenzetti. Témoignage de foi, la basilique d’Assise est le réceptacle d’un trésor pictural à l’origine d’un renouvellement profond de l’art occidental à l’aube de la Renaissance. Par son analyse de chaque scène, Chiara Frugoni déchiffre la propagande qui le sous-tend, pièce par pièce.

Jacques-Bénigne Bossuet • Œuvres historiques, philosophiques et politiques • (Dir. Maxence Caron) • Belles-Lettres •Bossuet (1627-1704) est un si puissant génie que le siècle de Louis XIV le considéra comme l’ultime père de l’Église. Universaliste au vrai sens, et plaçant la recherche de la Vérité au-dessus de tout, sa pensée est exactement le contraire de tout ce que, de nos jours, l’homme moyen considère comme évident. Détenteur d’arguments irréfutables qui, en un verbe d’une force jamais vue et un cinglant humour, l’œuvre de Bossuet est un cauchemar pour l’idéologie et le bien-pensant. Elle brandit la beauté comme un enfer pour le moderne. De nombreux chefs-d’œuvre étaient donc introuvables – depuis plus d’un siècle, désormais réunies en 4 000 pages.

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Le présent catalogue a été réalisé par la librairie Ombres Blanches à Toulouse dans les derniers jours d’une année inhabituelle, pour marquer les caractères d’inventivité et de créativité du secteur de l’édition. Les éditeurs indépendants et les autres, enseignes de groupes, montrent chaque mois combien ils sont at-tentifs à la recherche de sujets nouveaux, de talents d’écritures, de formes nou-velles en littérature comme dans les domaines du savoir. Ils savent aussi conser-ver des héritages de l’histoire des livres, et notamment celui de leur conception graphique et de leur fabrication. Le papier est bien vivant dans l’édition, partout dans le monde et particulièrement dans les librairies !

ModusvivendiPhotographies

du 8 janvier 2021au 27 février 2021

Librairie Ombres Blanches

B e r n a r d P L O S S UF r a n ç o i s e N U Ñ E Z

Dè s le s pre mi ers j ours d e 2 02 1la l ib ra i r ie vous p rop ose :