10
Sneyders de Vogel. 241 L'origine du franqais. L'ORIGINE DU FRAN~AIS. Un des probl~mes les plus importants de la philologie romane est celui de l'origine m~me des langues romanes. Comment expliquer la grande vari6t~ dans laquelle s'est scind~e la langue latine? sous quelles influences la diff@enciation s'est-elle faite dans tel sens pour un pays et pour un autre dans un sens tout different? qu'est-ce qui a d~termin6 le trac~ souvent si capricieux des fronti~res linguistiques? Le fait que les textes latins du commencement de notre ~re jusqu'~ l'apparition des premiers textes romans ne nous permettent pas de suivre pas /t pas le d~veloppement de la langue dans les diff~rentes parties de la Romania nous r~duit ~ des hypotheses, quand il s'agit d'~claircir l'origine des langues romanes. On a dit: les diff~rents pays qui forment le grand empire romain n'ont pas ~t6 conquis & la m~me ~poque; ainsi l'espagnol repr~- senterait l'6volution normale de 1'6tape ~ laquelle se serait trouv6e le latin lors de la conqu~te de ce pays apr~s la seconde guerre punique, tandis que le fran~ais et le roumain repr6senteraient des 6tapes post6rieures. Cette hypoth~se a dfi ~tre abandonn6e, puisque les faits s'y opposent : le traitement du c est plus avanc6 en Espagne qu'en lllyrie, romanis6e seulement apr~s 167 avant J. C. On a all~gu6 les circonstances g~ographiques: les hautes montagnes, les grandes rivi6res seraient en m~me temps des fronti6res linguistiques. lci encore l'hypoth6se n'est pas confirm6e par les faits: ni les Pyr6n6es, ni les Alpes, ni les Apennins, nile Rh6ne, ni la Loire ne forment -- saul ex- ception -- des barri~res infranchissables; ainsi, en Roussillon on parle catalan et le Val d'Aran sur le versant sud des Pyr6n6es appartient au provencal. Une troisi6me tentative d'explication se base sur la diversit6 des peuples soumis par Rome; comme ils avaient chacun leur propre langue et leur propre accentuation et articulation, il est naturel que, en adoptant la langue des vainqueurs, ils l'aient parl6e avec des diff6rences parfois fort notables. Enfin, on a attribu6 beaucoup d'importance aux invasions des barbares qui ont bris6 l'unit6 du grand empire romain, de sorte que les forces centrifuges auraient pris le dessus, que les vari6t6s locales auraient pu s'accentuer et que le latin aurait pu se scinder en plusieurs langues. Ces diff~rents essais d'explication, qui tous ont leur plus ou moins grande part de v6rit6, ne suffisent pourtant pas /t r6pondre aux questions que nous avons pos6es et qui demandent une vue juste sur les probl6mes de la linguistique g6n6rale, mais aussi des connaissances vastes et pr6cises concernant les dialectes, l'histoire politique, 6conomique et locale, les divisions g6ographiques, politiques et eccl6siastiques. C'est la g6ographie linguistique qui a apport6 ici les pr6cisions n6cessaires, tont en montrant plus clairement la complexit6 des probl6mes. C'est le m6rite de Morf d'avoir propos6 une solution d'ensemble, bas6e sur un~ 6tude de deux domaines linguistiques et darts laquelle il est tenu compte de plusieurs aspects du probl6me. En @udiant les dialectes rhodaniens et les dialectes picard, normand et wallon, il constate que pour la formation 16 Vol. 25

L'origine du français

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: L'origine du français

Sneyders de Vogel. 241 L'origine du franqais.

L'ORIGINE DU FRAN~AIS.

Un des probl~mes les plus importants de la philologie romane est celui de l 'origine m~me des langues romanes. Comment expliquer la grande vari6t~ dans laquelle s'est scind~e la langue la t ine? sous quelles influences la diff@enciation s'est-elle faite dans tel sens pour un pays et pour un autre dans un sens tout different? qu'est-ce qui a d~termin6 le trac~ souvent si capricieux des fronti~res linguistiques?

Le fait que les textes latins du commencement de notre ~re jusqu'~ l 'appar i t ion des premiers textes romans ne nous permet tent pas de suivre pas /t pas le d~veloppement de la langue dans les diff~rentes parties de la Romania nous r~duit ~ des hypotheses, quand il s 'agit d'~claircir l 'origine des langues romanes. On a di t : les diff~rents pays qui forment le grand empire romain n 'ont pas ~t6 conquis & la m~me ~poque; ainsi l 'espagnol repr~- senterait l '6volution normale de 1'6tape ~ laquelle se serait trouv6e le lat in lors de la conqu~te de ce pays apr~s la seconde guerre punique, tandis que le fran~ais et le roumain repr6senteraient des 6tapes post6rieures. Cette hypoth~se a dfi ~tre abandonn6e, puisque les faits s 'y opposent : le t ra i tement du c est plus avanc6 en Espagne qu'en lllyrie, romanis6e seulement apr~s 167 avant J. C.

On a all~gu6 les circonstances g~ographiques: les hautes montagnes, les grandes rivi6res seraient en m~me temps des fronti6res linguistiques. lci encore l 'hypoth6se n 'est pas confirm6e par les faits: ni les Pyr6n6es, ni les Alpes, ni les Apennins, n i l e Rh6ne, ni la Loire ne forment - - saul ex- ception - - des barri~res infranchissables; ainsi, en Roussillon on parle catalan et le Val d 'Aran sur le versant sud des Pyr6n6es appar t ien t au provencal.

Une troisi6me tenta t ive d'explication se base sur la diversit6 des peuples soumis par Rome; comme ils avaient chacun leur propre langue et leur propre accentuat ion et articulation, il est naturel que, en adoptan t la langue des vainqueurs, ils l 'aient parl6e avec des diff6rences parfois fort notables.

Enfin, on a at t r ibu6 beaucoup d ' importance aux invasions des barbares qui ont bris6 l 'unit6 du grand empire romain, de sorte que les forces centrifuges auraient pris le dessus, que les vari6t6s locales auraient pu s 'accentuer et que le latin aurait pu se scinder en plusieurs langues.

Ces diff~rents essais d'explication, qui tous ont leur plus ou moins grande par t de v6rit6, ne suffisent pour tant pas /t r6pondre aux questions que nous avons pos6es et qui demandent une vue juste sur les probl6mes de la linguistique g6n6rale, mais aussi des connaissances vastes et pr6cises concernant les dialectes, l 'histoire politique, 6conomique et locale, les divisions g6ographiques, polit iques et eccl6siastiques.

C'est la g6ographie linguistique qui a apport6 ici les pr6cisions n6cessaires, ton t en mont ran t plus clairement la complexit6 des probl6mes. C'est le m6rite de Morf d 'avoir propos6 une solution d'ensemble, bas6e sur un~ 6tude de deux domaines linguistiques et darts laquelle il est tenu compte de plusieurs aspects du probl6me. En @udiant les dialectes rhodaniens et les dialectes picard, normand et wallon, il constate que pour la formation

16 Vol. 25

Page 2: L'origine du français

Sneyders de Vogel. 242 L'origine du franqais.

des dialectes les divisions politiques n'ont pas eu d'importance: on n'a qu'fi regarder l 'Atlas de Longnon pour voir combien elles sont capricieuses et peu durables. Par contre, les divisions eccl6siastiques restent. L'Eglise s'est bas6e autant que possible sur les civitates romaines, qui, elles, reposaient sur les tribus gauloises. Ainsi, Morf combine la th6orie du substrat ethnique avec celle des influences sociales et historiques, qui auraient converg6 dans le m~me sens. I1 y ajoute l'influence des grands centres, Lyon, TrOves, Cologne, d'ofl la zomanisation du pays serait pattie et se serait r6pandue en suivant les grandes routes romaines et - - chose curieuse - - ici encore, ces routes auraient maintenu la division de la Gaule que C6sar mentionne: Belgae, Celtae, Aquitani. Cette vision sur l'6volution linguistique de la France est int6ressante, malgr6 le fait qu'elle est bas6e sur des arguments en pattie insuffisants, en pattie erron6s: il faut retenir l 'importance des dioceses pour la for.mation des dialectes et celle des routes pour la diffusion de la langue g6n6rale au d6triment des parlers locaux.

M. von Wartburg a compl~tement renouvel6 le probl~me dans ,,Die Ausgliederung der romanische Sprachr~iume"l), paru en 1936; en 1937 et en 1939 parurent deux articles ,,FranzOsisch und Fr/inkisch" ~) de la main de son collbgue Th. Frings, dont le premier est sign6 aussi par lui; l'ann6e derni~re il r6digea ses id6es sous une forme plus attrayante dans un 616gant volume ,,Die Entstehung der romanischen V01ker" 3) et r6pondit dans un petit article ,,Die fr~inkische Siedlung in Nordfrankreich im Spiegel der Ortsnamen ' '4) aux objections que M. Gamillscheg avait formul6es contre lui et, surtout, contre M. Frings.

M. von Wartburg pose deux theses: 1. La Romania d 'avant les invasions se divise linguistiquement en deux parties, une Romania orientale et une Romania occidentale, /t laquelle appartient aussi I'ltalie du nord, s6par~e de l'ltalie centrale par une ligne qui va de Spezia /~ Rimini; 2. Le franqais est la continuation du latin tel que les Francs Font prononc6.

Nous ne nous arr6terons pas /~ la premiere th~se, pour importante qu'elle soit. Relevons seulement que de plusieurs c6t6s on l'a attaqu6e: G. Reichen- kron, Beitriige zu r tom. Laut lehre , 5) a r6fut6 l'opinion de M. v. W. d'apr~s laquelle la Romania de l'est se distinguerait du reste de la Romania par une chute tr/~s ancienne de l's final; les savants italiens C. Merlo et Bottiglioni soutiennent que les explosives sourdes intervocaliques deviennent sonores en toscan tout comme clans le nord de l 'ltalie e); enfin, l'origine celtique de u ~/~, soutenue par M. v. W., est toujours discut6e et discutable 7); relevons seulement que des formes dialectales all6gu6es par Meyer--Liibke contre la th~orie celtique M. v. W. cite uniquement m e v u r ~ m a t u r u ; il n'a pas

1) Zeitschr. /. rom. Phil., LVI, 1--48. 2) Ibid., LVII, 193--210; LIX, 257--283. 3) Niemeyer, Halle, 1939. 4) Zeitschr., L1X, 284--301; cf. aussi p. 302--307, et LVIII, 542--549. 6) dans: Berl. Beitr. zur rom. Philologie, hsgg. v. E. Gamillscheg u. E. Winter, X,

1--2, 1939. e) Revue de linguistique romane, IX (1933), p. 189. ~) Voir le compte-rendu de l'6tude de yon Wartburg par Ft. Sch/irr clans: Romanische

Forschungen, L (1936), 321.

Page 3: L'origine du français

Sneyders de Vogel. 243 L'origine du fran~ais.

vu que la forme krow > c r u d a en face de kriJ < c r u d u est aut rement int6- ressante; il est en effet difficile de ne pas en conclure qu'/~ l '6poque oti le d intervocalique a disparu u de c r u d a 6tait encore v~laire, puisqu'il s'est form~ apr~s lui un w v61aire, qui ensuite a emp~ch6 u de passer h la palatale, comme c'est la cas pour la forme masculine.

C'est la seconde th~se qui nous occupera dans la suite de cet article. Voici /t peu pros le raisonnement de M. v. W.: Qu'est-ce qui distingue le franqais des autres langues romanes? c'est la diphtongaison des voyelles accentu6es et libres, ~ l 'exception des voyelles les plus ferrules i et u; c'est ensuite, mais seulement en second lieu, l 'affaiblissement des explosives intervocaliques, qui passent aux fricatives correspondantes ou tomben t ; ainsi les roots latins a m a r e , cor, h o n o r e m , p e d e m , me ; a m a t a , s a p e r e , s e c u r u m pr6sentent en franqais et en provenqal les formes amer-amar, coeur- cor, honneur-onor, piecl-pe, moi-me; aimde-amado, savoir-saber, sdr-segur. Cette diphtongaison, qui donne au fran~ais sa physionomie propre, il ne faut pas, d'apr~s M. v. W., la mettre en rapport avec la diphtongaison en espagnol, off elle rev~t un tout autre caract~re puisqu'elle affecte ici les voyelles ~, et o, libres et entrav6es sans exception, ni avec celle qui se produit en provencal sous l 'influence de l 'inflexion (mielhs de m e l i u s ) ; seul, l ' i talien pr6sente le m~me ph6nom~ne, mais ici il est limit6 aux voyelles ouvertes o et e: cuore, piede.

La diphtongaison en syllabe ouverte a dti ~tre pr6c6d6e d 'un al longement de la voyelle. Or, on peut admett re que d6j/~ avan t l ' invasion germanique les voyelles accentu~es libres se sont allong6es un peu en latin vulgaire sous l 'influence de I 'accent d ' intensit6, mais ce fait n 'a nulle part ailleurs amen6 la diphtongaison, il faut donc qu'en fran~ais une influence se soit fair sentir qui n 'exis ta i t pas dans les autres parties de la Romania. Or, cette influence, c'est celle de la langue des vainqueurs, qui a donn6 aussi au pays son nom de Francia; les Francs avaient des voyelles accentu6es longues; en par lant latin, ils auront' doric allong6 aussi les voyeIles latines; les Gallo-romains, admis bient0t darts les hautes fonctions du gouvernement, de l 'arm6e et de la justice, auront imit6 la prononciation des Francs, qui y 6taient plus nombreux qu'eux; puis, leur fa~on de t ra iner sur les voyelles aura p6n6tr6 dans les autres couches de la soci6t6 gallo-romaine et aura fini par donner

leur langue un caract~re qui la dist inguait ne t tement des autres langues romanes. La chronologie confirme cette hypoth~se, puisque c'est seulement apr~s l'6poque des invasions germaniques qu 'on trouve des t6moignages stirs de la diphtongaison. Si l 'on peut en croire M. Frings, les Francs auraient jou6 un r01e plus impor tant encore: ils auraient non seulement rompu l 'uni t6 linguistique de la France du Nord et du Midi, mais auraient fait nai tre aussi la fronti~re linguistique entre le haut al lemand et le bas allemand. Cette vision sur le r61e capital jou6 par les Francs clans la formation des langues romanes et germaniques, nous tenons h en signaler l ' int~r~t passionnant , mais nous ne la discuterons pas, 6tant donn6 son caract~re hypoth6t ique

a) Zeitschr. ]. rom. Phil., 1936, p. 193 et suiv.; 1939, p. 157 283. 2) Les invasions germaniques, Paris, 1935, p. 274.

Page 4: L'origine du français

Sneyders de Vogel. 244 L'origine du franc;ais.

et notre incomp6tence; c'est aux germanisants de nous dire s'il faut, oui ou non, accepter les id6es de M. Frings; nous nous bornons ~ examiner d 'un peu plus pros la th6orie de M. v. W., telle que nous venons de l'exposer.

Constatons d 'abord - - avec M. v. W. - - que la plupart des historiens ne croient pas ~ une occupation ou ~ un peuplement de la Gaule par les Francs. Ferd inand Lot d6clare: ,,Si e thniquement la France renferme quelques ~16ments germaniques, ceux-ci sont ant~rieurs /t la conqu~te de la Gaule par Clovis"; et Gosses: ,,leder weet, dat zoowel de vereeniging der Frankische s tammen onder 66n hoofd als de vestiging van bet Frankisch koningsgezag over een uitgebreid gebied, niet met blijvende menscbenverplaatsing van eenigen omvang gepaard zijn gegaan." 1)

Ces derniers temps pour tant plusieurs savants se sont oppos6s /~ cette conception.Citons d 'abord la belle publication de Gamillscheg, Romania Germanica, 1934---1936, en trois volumes, (voir Frings, darts Anzeiger [. d. Altertum, 1936, p. 6--30); puis Fr. Petri, Germ. Volkserbe in Wallonien und Nord[rankreich ~), suivi par une nouvelle 6tude de Gamillscheg, Germ. Siedhmg in Belgien und Nord]rankreich 3); en face des critiques qui lui furent adress6es M. Petri maint ient ses rues darts un long article Urn die Volksgrundlagen des Frankenreichsa). Gamillscheg aussi bien que Petri, comme Steinbach 5) avant eux, ont soutenu que le contact entre Germains et ~3allo-romains a 6t6 bien plus intime que ne le croient les historiens; les romanistes d'ailleurs, voyant le hombre consid6rable de roots germaniques en franqais, n 'ava ient jamais accept6 ce point de vue 6). I1 y a pour tant des diff6rences entre les deux savants : Gamillscheg, qui se base sur une 6rude approfondie des noms propres de lieu, et consta tant que les noms d'origine germanique deviennent plus rares, plus on s'61oigne de la fronti6re, est d 'avis que les Francs se sont install6s surtout darts le nord du pays et que dans le bassin de la Seine et pr6s de la Loire il n 'y a eu que quelques 6tablissements, d'ordre militaire surtout. Petri, par contre, qui met /t profit les r6sultats de l'arch6ologie et de la dialectologie, et qui constate que les tombeaux francs sont part i - culi6rement fr6quents entre la Somme et la Seine tandis qu'en Belgique et en Hollande on en trouve tr6s peu, conclut que Clovis, darts la conqu6te de la Gaule, a amen6 avec lui la masse des Francs, qui se sont ensuite install6s

1) Tijdschrift voor Geschiedenis, 1936, p. 32. - - 11 est piquant d'opposer h cette opinion celle de van Ginneken: ,,De bevolking van Noord-Frankrijk was in den Mero- vingertijd zoo goed als geheel Frankisch en sprak dus Germaansch" (Onze Taaltuin, 1937, p. 146), opinion qui contredit nettement la conception concernant la gen~se du franc~ais d6fendue par van Ginneken en 1933 au Congr+s de Rome; cf. Onze Taalluin, lI, 1933, p. 193 et suiv.

3) 2 vol., Bonn, 1937. a) 1, Die ]rdnkische Einwanderung und ]unggerm. Zuwanderung, dans: Abhandl. tier

preuss. Akad. d. Wiss., Jahrg. 1937. Berlin, 1938. a) dans: Deutsches Archiv ]. Landes- und Volks]orschung, 11 (1938), 915--962. Cf.

aussi J. de Vries, De /rankische Landname (Tijdschr. v. Ned. Taal- en Letterk., 1937, 276---309; j . v. Ginneken, Onze zuidelijke taalgrens en de germ. bevolking van bet merovingi- sche rijk (Onze Taaltuin, 1937, 145--154); W. v. Wartburg clans Z. /. rom. Phil., 1938, 416--418.

6) Sludien zur westdetttschen Starnmes- ttnd Volksgeschichte, j~na, 1926. 6) Cf. p. 6, note 1.

Page 5: L'origine du français

Sneyders de Vogel. 245 L'origine du franqais.

dans l ' int~rieur du pays. Si les donn6es fournies par l '6tude des noms de lieu• semble contredire cette conclusion, c'est que ces noms ont 6t6 romanis6s plus tot et plus compl~tement h l ' int6rieur du pays qu'au nord. Tandis que Gamillscheg est convaincu que la fronti~re linguistique entre le franqais d 'une part , I 'allemand et le f lamand d 'aut re par t ne s 'est gu~re modifi6e au cours des si~cles, M. Pe t r i e s t d 'avis qu'il n 'y avai t d 'abord pas de fronti~re l inguist ique: des deux c6t~s de la l imite actuelle on t rouvai t le m~me ~tat de choses: un 616ment roman et un 616ment franc, qui peut-~tre se vala ient : puis plus tard en France et en Wallonie le premier se sera assimil6 l 'autre 616merit, grace surtout h l ' influence de l'Eglise, tandis qu'en pays f lamand et en Rh6nanie le m~me proc~s se sera produit en sens inverse. La fronti~re linguistique actuelle sera la cons6quence de cette assimilation; l 'arr~t de la romanisat ion sera dfi h l ' influence des Carolingiens qui 6talent des Germains, au fait que la mission aquitaine a cess6, /~ d 'autres 6v6nements enfin qui avec l 'arriv6e des Arabes ont boulevers6 la culture m6ridionale et m6- diterran6enne.

M. v. W. 1), qui admet la th6orie de Petri clans ses lignes g6n6rales, d6clare pour tant qu'il ne faut pas exag6rer le nombre des Francs; s'ils ont form6 15 /~ 25 % de la population, c'est d~jh un pourcentage bien plus 61~v6 que celui des Visigoths ou des Burgondes. 11 ne faut en effet p a s s e laisser trop impressionner par les r6sultats des fouilles, par tous ces points et cercles qui couvrent la carte de France, et se rendre compte que, si elles prouvent la pr6sence de Francs dans telle ou telle part ie du pays, elles ne nous ren- seignent nullement sur l ' importance de cet 616merit germanique. Puis il semble difficile de contester que les Francs aient 6t6 toujours plus nombreux pros de la fronti~re que plus au sud; /i preuve le maint ien d 'un nom germani- que ~ c6t6 d 'un nom roman pour plusieurs Iocalit6s en Belgique et en Lorraine 2), le fai t que leur voisins ont 6t6 germanis6s compl~tement et, enfin, le caract/~re du wallon, qui porte une plus forte empreinte germanique que les autres dialectes fran~ais.

Quant h la fronti~re qui s6pare la langue d'o'il de la langue d'oc, M. v. W. fait observer qu'elle a dfi se trouver au moyen Age bien plus au nord: elle suivai t une ligne qui, pa r t an t d 'un point au sud de l 'embouchure de la Loire, se dirige vers l 'est h peu de distance de la riviere, puis court vers le sud pour coi'ncider, h par t i r de Saint-Etienne, avec la ligne qui s6pare le franw du franco-proven~jal; la Saintonge, l 'Aunis, le Poitou, le sud du Berry, le Bour- bonnais et le Morvan ont dfi appar teni r d 'abord au domaine provenqal (cf. essuger, fr. essuyer) et ont 6t6 francis6s plus tard. Or, c'est 1~ /t peu pros le domaine des Francs avant la batail le de Vouill6 (507)s), qui mit presque route la Gaule entre les mains de Clovis. L'6tude du vocabulaire semble confirmer le trac6 de cette ligne.

a) Zeitschr. 1. rom. Phil., 1939, p. 288 et 300. ~) p. ex. Estaires--Steegers, Belliek--Bergilers, 's Oraven--Brakel, Braine---le Comte;

Tressingen--Drogny, Bolehen--Bouley, Bizingen--Bannay; cf. Oamillscheg, Germ. Sieclt., p. 158.

~) N'oublions pas que c'est seulement en 486, apr~s la bataille de Soissons, que les Francs atteignirent la Loire.

Page 6: L'origine du français

Sneyders de Vogel. 246 L'origine du fran~ais.

Si ma in t enan t nous essayons de voir clair dans la ques t ion qui nous occupe, malgr6 le fair que les discussions et les recherches cont inuent , nous cons ta tons que le gros de l 'effort s 'es t port6 vers le probl~me du peup lemen t de la Gaule du nord par les Francs ; l 'Otude des noms propres et les rOsultats des fouilles ont proux~6 que l'616ment f ranc fut plus impor t an t qu 'on ne l 'avai t cru d 'abord . II est vra i que les formes discutables sont nombreuses : ainsi des d ix-sept noms darts le canton de Spa que Petr i consid~re comme germaniques , Gamillscheg n ' en re t ient que neuf et de ces neuf Remacle 1) en re je t te encore six! Gamillscheg n 'accepte aucun des 19 noms de lieux qui, d 'apr~s Petr i , p rouvera ien t un peuplement f rancique tr~s dense darts le dOpartement actuel de l 'Yonne!

Mais routes les cri t iques de dOtail qu 'on pourra i t adresser /i Petri et /a Gamil lscheg n 'empOchent que les philologues et les archOologues aient ra ison contre les his tor iens: les Francs se sont installOs en g rand nombre clans la Gaule du nord. Est-ce ~ dire qu' i l faille leur a t t r ibuer un rOle dOcisif clans la gen~se du franqais, comme le croit iVl. v. W . ? Certes, si l 'on voi t le nombre considOrable de mots f rancs qui se sont in t rodui t s en franqais, n o t a m m e n t dans les noms de lieux, on est impressionn6 2); on l 'est moins, si on lit les plus anciens tex tes fran~ais: dans les Serments de Strasbourg ne se t rouve aucun mot germanique , except6 les noms des t rois fr~res Lothaire, Louis et Charles; darts la Sainte Eulalie rien; clans les 240 vers du Saint L~ger t rois mots seulement : estrit, guarder (deux lois), [olc, et quelques noms propres ; clans la Chanson de Roland on rencont rera un mot d 'or igine ge rmanique tous les cinq ou s ix vers. 3)

Mais, d i ra M. v. W., les Francs ont adopt6 le lat in, tel qu 'on le parlai t en (iaule; ce qu ' i ls ne pouva ien t changer, c'Otait leur faqon d 'ar t iculer et d 'accentuer . C'est en t endu : les Francs auront eu une prononcia t ion dOtesta- hie; ils auront non seulement allong6 les voyelles libres, mais aussi les voyelles entravOes; ils auront mOme, d 'apr~s leurs habi tudes , t ranspor t6 l 'accent sur la premiere syl labe du mot et dOform6 de la faqon q u ' o n sait les explosives sonores et sourdes. Mais est-ce que ces fau tes de prononc ia t ion se sont main-

1) compte-rendu du livre de Gamillscheg dans: Z. /. rom. Ph., 1939, p. 323. 2) Cf. Brunot, Histoire de la langue ]rancaise, I, p. 128: , , . . . . clans grand nombre de

cas, la fortune des vocables 6trangers ne s'explique pas par le besoin qu'on en avait, mais par l'influence que donnaient aux Germains vanqueurs leur hombre et l'importance de leur r01e."

3) Puisque nous parlons du vocabulaire, disons deux roots du mot haisi, auquel hiM. Frings et v. Wartburg ont consacr6 une 6tude intOressante. Le fair que le mot et et ses dOrivOs se trouvent en deqa et au-del/l de la fronti~re franco-germanique n'est pas pour nous 6tonner; ce qui nous intOresserait davantage, c'est de savoir si rOellement, comme le croient les deux savants, leur domaine coincidait avec celui occup6 par les Francs. Or, /l en juger d'apr~s les cartes 690 et 691 de l'Atlas linguistique non seulement il y a des contr~es off h~tre n'a pas encore p6n~tr~, et cela le long de la fronti~re franco- flamande et dans quelques d~partements de l'Est, il recule encore bien loin de la fronti~re franco-proven~ale jusqu'aux points 124 et 126 dans l'Aube, tandis que d'autre part, il p6n~tre bien avant vers le Sud, et cette avance est assez ancienne, comme l'atteste la forme eslre au point 548 darts les Landes au sud de la Gironde; on sait qu'en franqais s devant consonne sourde s'est amuY au treizi~me si~cle. Hfitons-nous d'ajouter que les autres d6riv~s de haisi et les noms de lieu ne d~passent pas la Loire, s'en tiennent m~me fort 61oign~s!

Page 7: L'origine du français

Sneyders de Vogel. 247 L'origine du fran<;ais.

tenues pendant plusieurs g6n6rations? est-ce que les Gallo-romains eux aussi ont abandonn6 leur bonne prononciation pour celle des Francs. I1 est sftr que l'accent latin a persist6 et n'a nulle part c6d6 devant l 'accentuation germanique; bien plus, les mots germaniques, entr6s en gallo-roman, ont tous ~t~ coul6s dans le moule latin: haring~hareng, sparwdri > dpervier, berg]rid > be]]roi, lodddri > lodier (couvre-lit), werento > garant, mundboro > mainbottr; il est curieux de constater /i cet ~gard que les roots grecs, du moins les proparoxytons, se sont comport6s tout autrement, p. ex.: ~yx~ua-rov > enca > enque, entre, x~p~6<puZ;~ov > gar6]ulum > giro/le, ~t.v~r~ > sanve, ~yxup~ > 6nc6ra > ancre (en face de ~.v~Oov > antrum > anoi), • ~> cuminum > coumin, etc.). I1 est stir encore que, loin d'imiter l 'articulation germanique, on s'est toujours moqu~ en France de ceux qui prononqaient pulel (boyaux), /idelli (veaux), callus (gallus), pour ne citer que quelques roots du glossaire de Cassel. On se demande doric, si c'est bien vrai ce que dit M. v. W. que ,,Franz6sisch ist also eine durch die Franken und in ihrem Munde geschaffene Sonderform des Romanischen,' 1), on se demande d~s lors pourquoi seule la quantit~ des voyelles accentu6es libres aurait 6t~ atteinte, tandis que la place de l 'accent s'est soustraite h l'influence franque. Puis M. v. W. parle du changement a > e , ~ > ie, 6 > uo, ~ >ei , 6 > o u comme d'un seul et m~me ph~nom~ne; or, pour laisser de cOt~ l'~volution de a, qui est obscure, il faut distinguer le traitement des voyelles ouvertes de celui des voyelles fermees, qui n'ont pas eu lieu /l la meme epoque ( t r emere>cr iembre , mais c i n e r e m > c e n d r e ; m o v i t a > m e u t e , mais c u b i t u m >coude), et qui en outre sont de caract/~re diffgrent, de sorte qu'on peut se demander si M. v. W. a l e droit de s6parer si rigoureusement la diphtongaison franqaise de la diphtongaison espagnole pour la seule raison qu'elle affecte en franqais seulement les voyelles libres (on salt pourtant que le wallon dit tiere< t e r r a comme l'espagnol), et si au contraire le lien qui relie la diphtongaison des voyelles ouvertes en franqais et en espagnol n'est pas plus intime que celui qui existe entre la diphtongaison des voyelles ouvertes et celle des voyelles ferm6es en fran~ais. M. Schiirr, qui s'est pos~ cette question, croit que la diphtongaison des voyelles ouvertes s'est produite d'abord sous l'influence de l'Umlaut et s'est 6tendue ensuite /t d'autres cas; il a ~tudi~ le probl/~me surtout en italien, of 1 la pr6sence des Longobards aurait eu, d'apr&s M. v. W., la m~me cons6quence pour la langue - - du moins en ce qui concerne les voyelles ouvertes - - que celle des Francs en Gaule.

Quoi qu'il en soit, jusqu'/i nouvel ordre nous n'osons pas nous ranger r~solfiment du c6t6 de M. v. W. dans cette question, qui forme - - il n'est pas inutile de le rappeler - - la base mgme de sa th~orie. Peut-~tre que les 6tudes de M. Frings, qui tendent /~ rattacher la diphtongaison franqaise h la diphtongaison germanique, finiront par imposer sa conception et nous attendons avec impatience le rgsultat des discussions qui vont s'engager;

~) Zeitschr. [. tom. Ph., I939, 285. ~) Umlaut uncl Diphtongierung in der Romania, dans Ramanische Forschungen, vol.

51, p. 27.5---316; p. 317--326; cf. aussi vol. 53, 311--318.

Page 8: L'origine du français

Sneyders de Vogel. 248 L'origine du fran~ais.

jusque lh les r6serves que nous avons formul6es plus haut nous semblent garder toute leur valeur. Nous voudrions ajouter encore deux consid6rations: d 'abord, si l ' influence de la prononciation du francique a 6t6 si d6cisive sur le sort des voyelles, pourquoi les voyelles entrav6es se sont-elles soustraites

cette influence? le germanique allonge, en effet, les voyetles accentu~es dans n ' importe quelle position. J ' en t ends bien: ce sera, parce que le lat in vulgaire aura d6j~ altong6 un peu les voyelles libres; mais d 'abord, je ne suis pas stir que ce ph6nom~ne se soit ddjh produit avant le cinqui~me si~cle, puis m~me si c'est le cas, est-ce que les Francs a une 6poque o~, d'apr~s M. v. W., , ,man die L~iute so ungef~ihr bildete", of~ l 'on ne se pr6occupait pas de bien prononcer, se seraient fai t un scrupule d'allonger aussi les voyelles entrav6es? La seconde remarque que nous voudrions faire est celle-ci: la voyelle finale sauf a est tomb6e en fran~ais aussi bien qu'en provenqal. Est-ce que cela ne prouve pas que l 'accent 6tait de m6me nature dans ces deux langues et que le francique n 'ava i t pas alt6r6 profond6ment le caract~re de la langue parl6e dans le nord de la Gaule?

Si doric noos restons sceptique en face des id6es d6velopp6es par M. v. W., comment faut-il alors s 'exptiquer l 'origine du franqais? Les Francs n 'auraient- ils eu aucune influence? Faut il admet t re avec Fustel de Coulanges que la langue tatine ,,s'est transform6e prdcis6ment dans le sens oO il 6tait de sa nature qu'elle se t ransformht. Retranchez les invasions germaniques, la t ransformation n'efit pas 6t6 diff6rente"? z) Nous avons d6jh dit qu 'on ne saurait plus soutenir cette th~se: le fair que les Gallo-romans du nord ont appris ~. prononcer le h darts les roots germaniques heaume, haricot, h~tre et, du moins en wallon et en picard, le w dans warder, Wautier, werre, prouve combien le contact a 6t6 intime, ici la question du hombre se pose; plus les Francs ont 6t6 nombreux et plus leur influence aura 6t6 profonde, dit-on. Est-ce vrai? n'exag~re-t-on pas l ' importance de ce facteur? L'histoire de la conqu~te de la Gaule par les Romains est instruct ive h cet 6gard: malgr6 leur sup6riorit6 num6rique, les Gaulois ont adopt6 la langue des vainqueurs en ne gardant que bien peu de roots celtiques: diff6rentes raisons d 'ordre culturel expliquent ce faR. Or, les Francs bien inf6rieurs en hombre aux Gallo-romains, apr~s avoir pass6 par un 6tat de bilinguisme, ont adopt6 eux aussi la langue latine, mais - - et ici je me s6pare de M. v. W. - - je ne crois pas du tout que les Francs ne se soient pas souci6s de bien prononcer le lat in; au contraire, ils auront 6t6 tres flatt6s des compliments que les Gallo-romans leur faisaient sur ce point, et si la premiere g~n6ration aura eu une prononciation bien d6fectueuse, le latin de la deuxi~me et de la troisi~me g6n6ration ne se sera gu~re distingu6e de celui des autres habi tan ts du pays. Rappelons h ce propos que le roi Chilp6ric (561--584) 6crivait des vers latins, fort mauvais d'ailleurs et critiques par Gr6goire de Tours, et qu'il voulait enrichir l 'a lphabet lat in de lettres grecques, nouveaut6 que les maRres devaient enseigner h leurs 61~ves; on peut admet t re que ces maRres d'6cole 6talent, je ne dis pas des hommes instruits, mais des Gallo-romains, qui

i) L'invasion germanique, p. 553. z) Gregoire de Tours, Historia Francorum, V, 44.

Page 9: L'origine du français

Sneyders de Vogel. 249 L'origine du franqais.

apprenaient /~ leurs 61~ves, francs et autres, h prononcer le lat in comme ils le pronon~aient eux-m~mes; il ne faut pas oublier I 'influence de l'Ocole, m~me pas h cette 6poque de barbarie. C'est dire que, si je ne crois pas que les Francs ne se soient pas efforcOs & prononcer le lat in aussi correctement que possible, je crois encore moins que les Gallo-romains aient imit6 leur mauvaise prononciation, ou plutbt aient imit6 uniquement leur habi tude d'allonger les voyelles accentu~3es libres, en se me t t an t en garde contre leurs autres dOfauts de prononciation.

Quel aura doric 6t6 en dOfinitive le r01e des Francs? Celui de dOtacher la Gaule de Rome et de la culture mOditerranOenne; celui de briser l 'uni t6 culturelle qui existai t avant eux. Ainsi les forces centrifuges, qui se t rouvent dans toute langue, ont pu prendre le dessus, telle prononciation, 1) telle forme spOciale qui jusque-lh 6tait restOe limitOe /t un milieu tr~s restreint, a pu s'Otendre sur un domaine plus vaste; ce domaine a pu ~tre darts bien des cas celui d 'un diocese, d 'un centre culturel impor tant ou d 'une bande de terre s 'allongeant le long d'une grande route; ainsi les dialectes se sont dOveloppOs; il est possible que les racines de cette diffOrenciation dialectale pOn/~trent plus profondOment et qu'il faille a t tacher une certaine valeur au substra t ethnique, je crois pour tant que pour la France il faut ~tre extr~mement prudent, ~tant donn6 d 'une par t le nombre de peuples qui ont pass6 sur son sol et dont nous ignorons les habitudes articulatoires, 6rant donn6 d 'autre par t que la base d 'ar t iculat ion n 'est pas quelque chose d'inhOrent

la nature humaine, mais pent se perdre ou se modifier. A cet 6gard il me semble que M. Brun darts son article 6crit avec tin bel entra in a dOpass6 la mesure, en a t t r ibuan t aux peuples prOceltiques une importance capitale clans la formation linguistique de la France. 2) Nous sommes plutOt de l 'avis de M. Schfirr z), qni croit que ce qui dOtermine surtout la formation d 'un dialecte et l 'acceptat ion par tin groupe de personnes d 'une serie de faits linguistiques, c'est l 'expansion par ondes d 'une prononciation, d 'un mot, ou m~me de tout un parler, pa r tan t d 'un foyer linguistique important . A 1'Opoque mOrovingienne et f~odale la force d 'expansion aura 6t6 bien moins forte que plus ta rd et les dialectes auront eu une grande ind~pendance; on peut admet t re pour tant que d~s une 6poque tr~s ancienne le besoin d 'une langue gOnOrale s'est fait sentir; d~s que le lat in s'est diffOrenci6 en dialectes, ou plutbt d~s qu 'on s'en est rendu compte, des essaiS d 'assimilat ion se seront produits, en par tan t de plusieurs centres, parmi lesquels Paris va bientOt ~tre le plus important .

Tout cela - - nous l 'avouons - - reste bien vague. Aussi bien nous ne pr~tendons pas 6claircir le myst~re qui enveloppe la naissance de la langue

1) Combien la nature des voyelles est peu stable dans les patois est clairement expos6 par Frings, Z . / . r. Ph. 1939, p. 264, et surtout, par Bruneau, ibid., 1937, p. 170 et suiv.

2) Linguistique el peuplement; essai sur la limile entre les parlers d'oil el les parlers d'oe (Revue de linguistique romane, XII (1936), p. 165--251).

s) Romanische Forschungen, 50 (1936), p. 324. Cf. ibid., 1940, 60--66, of~ il admet la possibilit~ que les voyelles se soient allong~es par l'influence des Francs et que ce fait ait hfit~ la tendance analogique de changer e~ en ie et ~en uo, nmis off il maintient son hypothbse d'apr~s laquelle la scission etle-m~me de g e t de Q se sera produite d'abord par l'Umlaut, ind~pendamment de toute influence germanique.

Page 10: L'origine du français

Sneyders de Vogel. 250 L'origlne du franqais.

franqaise; nous constatons que jusqu'ici - - je dis: jusqu'ici - - ni les 6tudes de MM. Frings et von Wartburg, si suggestives qu'elles soient, ni celles de Gamillscheg et de Petri, malgr6 I'abondance de mat6riaux qu'ils apportent, Wont r6ussi h expliquer le trac6 capricieux de la fronti~re linguistique qui s6pare le franqais du flamand et de l 'allemand, pas plus que celui non moins caprieux entre la franqais et le provenqal. II n'en reste pas moins vrai que, malgr6 les r6serves que nous avons formul6es, malgr6 les erreurs de d6tail, les t ravaux de ces quatre savants - - pour nous en tenir /t eux - - sont parmi les plus importants qui aient paru ces derni~res ann6es; aussi, nous exprimons l'espoir que les recherches ult6rieures qu'on nous promet nous permettront de voir plus clair dans les questions que pose le probl~me des origines du franqais et des langues romanes et celui des fronti~res Iinguistiques.

Groningen. K. SNEYDERS DE VOGEL.

UNA F U E N T E DE LA VIDA ES SUEblO DE CALDERON.

En mi estudio Eustorgio y Clorilene, historia moscovica" 0629) de Enrique Su~rez de Mendoza y Figueroa, inserto en el Bulletin Hispanique (t. XL1, no. 3, juillet-septembre 1939, p. 236---265) ya puse la atenci6n en la semejanza que se observa entre el primer libro de la novela referida y el primer acto de La vida es suefzo, comedia de Calder6n (l. c., p. 241). Comparando m~is en detalles las dos obras, queda patente que Calder6n, proyectando su obra maestra recordaria la novela aun recientemente publicada.

Eustorgio y su criado ,,algo gracioso y modesto dezidor" entrau en escena, tales como Rosaura y Clarin, el encierro de Segismundo riGS hace pensar en el de Eustorgio, los vaticinios al nacimiento del h~roe calderoniano recuerdan los del viejo Mauricio (que Io mismo que los calderonianos se cumplen todos), la sabiduria y abnegaci6n del tiltimo personaje, sus ideas sobre lo vano y perecedero de todo lo terrenal, la consciente bondad suya nos hacen pensar, por parte en el viejo Basilio, por parte en el Segismundo de la dlt ima jornada de la comedia calderoniana. Adem~s hay la semejanza de situaci6n. Eustorgio es desposeido de sus derechos pot su ambiciosa tia y esposa la Duquesa Juana ; Segismundo es privado de sus derechos por su padre Basilio, ~lvido de conservarlos; si Segismundo, ,,primer galen" de la pieza calderoniana v e a su lado a la ,,primera dama ,,Rosaura, en la primera jornada disfrazada de hombre armado, el segundo personaje de la novela: Clorilene, anda casi constantemente disfrazada de hombre, y de hombre bien armado, bajo el hombre de Carloto. Si Rosaura resulta set la hija de uno de los personajes de la pieza (Clotaldo), Clorilene prueba mediante una cadena (cf. la espada de Rosaura) ser la de Mauricio. La aclamaci6n del pueblo amotinado en la tercera jornada de La vida es sue~o me parece recordada de !a semejante aclamaci6n de los que al final del primer libro de la novela vienen a buscar al fugitivo Eustorgio para restituirle en sus derechos. Si Eustorgio es Gran Duque de Moscovia, Basilio es rey de Polonia, su sobrino Astolfo es Duque de Moscovia, hijo de su hermana Recisunda. Y Estrella, sobrina del rey calderoniano es hija de su hermana Clorilene (I, vs. 521) No s61o se acordaba de tal nombre Calder6n al denominar a la