Lorsque-l Herbe Rare Commentaire

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  • 7/25/2019 Lorsque-l Herbe Rare Commentaire

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    Lorsque l'herbe rare...

    Rfrence : Tristan Tzara,L'Homme approximatif, pages 59 et 60

    IntroductionCe fragment de pome est d'emble droutant comme l'ensemble du recueil et il nous

    faudra avant tout briser cet ermtisme!de fa"ade# $ cette impression concourent un certain nombrede facteurs# %remirement, l'absence de ponctuation force le le lecteur & restituer un sens ui luicappe ( deu)imement, la s*nta)e fait la part belle & une incro*able srie de seize subordonnesde temps suivies de trois propositions principales ui en constituent le no*au ( troisimement, lasituation d'nonciation ne para+t pas claire ui parle - & ui - dans uelles circonstances - .st/ondans le rel ou dans l'oniriue -

    l appara+t ue la fin du te)te constitue la cl du fragment# 1a mmoire, sacralise,

    puissamment d*namiue, s'impose souverainement pour faire merger le l*risme#

    2s lors, la suence des !6 propositions subordonnes de temps s3interprte commel'ensemble des conditions au)uelles se produira cette mergence du souvenir#

    Dveloppement

    La fin du texte constitue la cl du fragment

    La mmoire...

    C'est la fin du pome ui fournira un dbut de rponse & ces uestions a prioriinsolubles#4n * dcouvre en effet une tmatiue intressante celle de la mmoire# Celle/ci s'impose avec lavigueur d'un souvenir proustien# 4n notera la rfrence & la 7eunesse 8 et plus m*strieusement

    & d'antiues rappels 8 # Ce passage attire l'attention pour trois raisons il est s*nta)iuementconstitu d'un 7eu de trois propositions principales ( il est plus clairement l*riue ue le reste du

    pome grce & la gnralisation du tutoiement ui sonne comme la marue d'un monologueintrieur :n'est/il pas uestion du pote 8 dans ce te)te-; ( il privilgie dans sa clausule?T1

    1e nom de l'crivain @arcel %roust :!AB! !9; est associ entre autres & l'e)prience bouleversante du souvenirspontan# l voue ainsi,dans A la recherche du temps perdu, les sentiments ui assaillent le narrateur dgustantune innocente madeleine accompagne dune simple tasse de t @ais & l3instant mme oD la gorge mle desmiettes du gteau touca mon palais, 7e tressaillis, attentif & ce ui se passait d3e)traordinaire en moi# En plaisirdlicieu) m3avait envai, isol, sans la notion de sa cause# l m3avait aussitFt rendu les vicissitudes de la vieindiffrentes, ses dsastres inoffensifs, sa brivet illusoire, de la mme fa"on u3opre l3amour, en me remplissantd3une essence prcieuse ou plutFt cette essence n3tait pas en moi, elle tait moi# G3avais cess de me sentirmdiocre, contingent, mortel# 8

    < 2isposition des mots & la fin d'un membre de prase ou d'une prase, destine & crer un certain r*tmeuantitatif, toniue ou accentuel# 8 C>?T1

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    sacralise

    Cette fin de te)te sacralise le souvenir, associ & un temple# Cette rfrence est ameneallusivement par le groupe nominal lourds battants 8, rela* par l'e)pression & perte de 7ours 8,ui dmarue le clic & perte de vue 8, poursuivi par la mention des antiues rappels 8, etacev par l'vocation du fronton des coses 8#

    puissamment dynamique

    2*namisme et ouverture sont les caractristiues du souvenir dans ce pome# 1a notion d'ouvertureest sensible dans l'vocation des portes 8 et des fentres 8, bantes 8 pour les premires, ouvertes 8 et mme saignes 8 pour les secondes# Cette ouverture se produit avec un vifd*namisme port par les verbes les portes s'ouvrent 8, le vent circule 8, les fentres fontcourir 8 le souvenir# 1'agent de ce grand d*namisme est identifi au vent 8, dont la violencegraduelle se mue en bourrasues 8 et en coups 8#

    s'impose souverainementIi le vent du souvenir est acteur, le narrateur est agi# l se dfinit lui/mme comme un lieu

    un vent & perte de 7ours circule en toi 8, et mme comme un simple lieu de passage les fentresJ font courir les antiues rappels & travers toi 8# %lus encore K l est devenu simple ob7et, un corps ### vendu 8 offert sur un plateau 8# @ais ue s'agit/il d'abandonner -

    Sans frein se soumettent les soucieuses avidits

    aux crets charnelles des emb!ches de lichens

    Ii la comprension est affecte ici par le recours au) termes abstraits : avidits 8 crets 8 et embLces 8;, on retiendra de ce couple de vers la soumission de l'esprit oD domine l'ide de

    souci au monde rel, dont la prsence est rendue par la rfrence au) crets carnelles 8 et au) licens 8# C'est une soumission irrpressible : sans frein 8; et inattendue, puisu'il est uestiond' embLces 8#

    pour faire merger le lyrisme

    1e fragment se referme sur l'vocation du souvenir d'enfance, auuel on peut attribuer deu)caractristiues c'est le temps des possibles, une poue de 7ours indcis 8 ( c'est aussi le tempsde l'innocence, de la pudeur 8, & lauelle trois ad7ectifs, dont deu) au superlatif, confrent unevaleur particulirement importante elle est aute 8, cruelle 8 et vibrante 8# 1e passage se clFtdonc sur une gradation ui confre & la prase une tournure nettement e)clamative ( le tutoiement segnralise ( le vers impair donne & la clausule, comme il a t dit, une allure musicale tout est en

    place pour une vocation l*riue ui prendra toute son ampleur dans la suite du te)te ue nousn'avons pas & vouer ici#

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    Les 16 conditions

    Tzara dveloppe seize circonstance, ou bien, si l'on prfre, nonce seize conditions, pourue se dploie le faste du souvenir# @algr les apparences, c'est & une vocation trs corente uenous sommes confronts, vocation dont le message peut tre interprt dans un sens oniriue ets*mboliue#

    Une vocation cohrente

    %lusieurs coses assurent la corence de ces seize conditions# %remirement, elles sontlies par des connecteurs de temps oD domine la con7onction lorsue 8 rpte en anapore, ets'articulent autour d'une gradation cronologiue manifeste# 2eu)imement, elles reposent toutessur un d*namisme graduel et parfois violent#

    1a cronologie

    1eur distribution irrgulire au sein du te)te parce ue l'auteur en a fait parfois l'ellipse apour effet de perdre le lecteur dans un flu) dont il ne reconna+t pas & la premire lecturel'enca+nement cronologiue# Ces connecteurs nous imposent une cronologie ui pourrait aussi

    bien se rfrer & un monde rel le pote observe le lever du 7our u'& un univers plus oniriue ets*mboliue# >ous * reviendrons# >otons simplement ue cette con7onction de facteurs si diffrentsrend presue impossible et miraculeuse l'mergence du souvenir ue nous vouions ci/dessus#

    %ar ailleurs, le fragment s'organise autour du passage trs s*mboliue de la nuit au 7our et dela glace au feu# $insi, la nuit s'effrite 8et le noir J bleuit 8, cdant le pas au soleil 8 ( l'erbeui gle 8 et la glace 8 s'effacent devant l3arFme ardent 8 des brousses#

    1e d*namisme

    $u repos apais de la nuit succde une fivre diurne oD le dsir et la fatigue posent tour & tour leurempreinte# 1e monde vou ici ne reste pas longtemps en repos# 1'erbe gle 8, certes, le pares'apaise 8, le pote s'alentitM8, et il est uestion plus loin de lassitude 8 et d'un tre arass 8 on notera au passage la force des ad7ectifs ( mais c'est compter sans une violence diurne ui secouecette torpeur il est alors uestion de montagnes brLles par de paniues rages 8, d'outrage desmultitudes carnelles 8 oD si le sens de l'e)pression reste obscur le mot outrage reprend commeen co le terme rage 8# l est uestion galement d'un dsir visiblement violent, ui branle 8 etui arrace 8# 4n voit aussi comme la rare ponctuation du te)te, des couples de tirets uiconstituent autant de suspensions ou de parentses, violentent par moments la s*nta)e et le sens dute)te# 4n se rfrera par e)emple & l'vocation de la sirne, e)trmement saccade# @ais cette

    violence n'est pas cez Tzara une force ngative elle est ce ui secoue la torpeur et pousse & vivre#

    1a corence tmatiue

    Troisimement, la corence tmatiue est assure par le tme de la mer, lui aussi propice au)vocations s*mboliues# C'est un pa*sage maritime ui se dessine, celui d'une +le 8 plonge dansl'iver, claire par un pare 8 ui s'teint : s'apaise 8; & l'arrive du 7our# Cette tmatiue,sensible ds les premiers vers, est reprise au long du pome de manire continue puisu'il * estuestion de nasses 8, d' cluses 8, de radeau) 8 et de grve 8# 4n peut mme la retrouversous des formes plus discrtes ( ainsi, les ceveu) blancis 8 vous au dbut du pome

    pourraient reprsenter l'cume des vagues#

    M I'alentir 2evenir plus lent, se ralentir 8 C>?T1

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    Une porte onirique et symbolique

    1a porte de ce pome peut tre de nature oniriue, comme en tmoigne l'vocation de la sirne oules rfrences multiples au) caucemars#

    1a sirne

    Crature m*tiue, la sirne est un tre inuitant associ & la perte des ommes, car ellesuscite un dsir naufrageur# 1e te)te de Tzara reprend cette tradition, ui insiste sur les vices d'unecrature malfiue# .n tmoignent les termes p7oratifs la sirne est fu*ante 8 et sansscrupule 8 ( son +le, t*ranniue 8, fait penser & celle de Circ# .n tmoigne aussi l'associationuasi o)*moriue des glas58 et du plaisir 8d'une part ( du plaisir 8 et de la dtresse 8 d'autre

    part la sirne est un tre cruel ui aime la mise en ab*me du plaisir et de la douleur###

    Caucemars et visions

    1e pome s'ouvre sur la nuit 8 et le noir 8# Cette obscurit est ravagNeO de sortilges 8#Ieul le 7our amne un rpit face au) terreurs nocturnes :d'oD les ceveu) blancis 8 -; il faitnoir dans le pleur de l'enfant oubliant de pleurer 8# Ptrange proposition, peut/tre un peu prcieuse#I'il faut * voir l'effet positif du 7our ui bleuit 8 la nuit, on peut comprendre ue la fra*eurs'efface, n'est plus u'une ombre lgre pour l'enfant ui se console# l * a ici en tout cas unerfrence & ce ue Qaudelaire appelait 1'essaim des rves malfaisants 86

    @ais ce monde vou n'est pas uniuement celui des visions subies il est aussi celui desvisions provoues# 2ans son monologue intrieur, le pote s'avoue lui/mme arass de visonstouffues 8 dont le caractre rptitif et lancinant se rvle dans le passage suivant vision sur

    vision et ombre dcoupe d'ombre### n'arrivent plus & suivre la grve sous tes pas 8# 1es Iurralistesappliuent & la lettre le prcepte de ?imbaud l faut tre vo*ant, il faut se faire vo*ant### 8# C'estune ascseBpresue inumaine, ui peut loigner du rel au point de ne plus suivre la grve sousNsOes pas 8 et ui impose u'on retourne au secours de NsOon cRur 8###

    ?versibilit

    %ourtant, cet univers nocturne et inuitant du dsir, de la peur, et de la vision ui puise, estrversible# Car le pote est carmeur de noir 8# C'est/&/dire u'il apprivoise la nuit# 1a lumire estson allie, u'elle soit celle d'une toile assez familire pour tre tuto*e tu viens sourdre dans lamain toile des radeau) marcant entre les veilleuses 8 ( ou bien u'elle prenne la forme clatante

    d'un plateau de soleil 8#1e dsir lui/mme est rversible# 4n l'a vu inuitant sous les traits de la sirne ( voil& u'il

    se mtamorpose en fumeuse noncalance 8 au voisinage du soleil, clate de violence lorsu'il branle les cluses 8 ou arrace les essieu) 8, et confine & des ivresses 8 avant de retomber en fastueuse lassitude 8# 1a ponctuation des tirets accompagne un temps la frnsie des notations etla segmentation du propos mime la violence temporaire du dsir#

    5 Slas Tintement lent, sur une seule note, d'une cloce d'glise pour annoncer l'agonie, la mort ou les obsues deuelu'un# 8 C>?T1

    6 1a citation est de Carles Qaudelaire C'tait l'eure oD l'essaim des rves malfaisants H Tord sur leurs oreillersles bruns adolescents 8 :1e crpuscule du matin;

    B $scse 2iscipline ue la volont s'impose afin de tendre vers un idal soit de perfection morale, soit de crationartistiue ou intellectuelle# 8 C>?T1

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    Conclusion

    4n ne prtendra pas avoir tout compris, tout e)pliu dans ce pome foisonnant# 23ailleurs,l3Ruvre surraliste n'est pas l& pour tre intellectuellement comprise mais ressentie et la force del'image consiste 7ustement en un 7aillissement ue ne contrFle pas la raison#

    Toutefois il faut bien, et c'est une gageure, ue l'crivain, pour tre entendu, dpasse lesimages personnelles ui ne seraient comprises ue de lui seul# C3est d3autant plus important dans lecas de Tzara u'il vise & une certaine forme de l*risme# u'on ne s3attende pas & des pancements K J inutile de cercer des dtails autobiograpiues# 13Ruvre est impersonnelle# 4n sait ue lesnotations sur sa vie sont e)ceptionnelles cez Tzara et c'est tout 7uste si l'on note "a et l& l3obsessiondes souvenirsA8# mpersonnelle certes, mais pas sans rsonance# 2ans ces lignes d'un pote uitrouve dans une soudaine connivence avec le monde fLt/il surgi du pass un remde & ses peurset un repos & son travail de crateur, comment ne pas voir uelue cose d'universel ui rappelle ces

    propos de Camus J on me l3a souvent dit il n3* a pas de uoi tre fier# Ii, il * a de uoi ce

    soleil, cette mer, mon cRur bondissant de 7eunesse, mon corps au goLt de sel et l3immense dcor oDla tendresse et la gloire se rencontrent dans le 7aune et le bleu# C3est & conurir cela u3il me fautappliuer ma force et mes ressources# Tout ici me laisse intact, 7e n3abandonne rien de moi/mme,

    7e ne revts aucun masue ( il me suffit d3apprendre patiemment la difficile science de vivre uivaut bien tous leurs savoir/vivre# 8

    A Uran"ois Quot, "ristan "#ara$ l'homme %ui inventa la rvolution &ada

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