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Ferdinand Lot Du régime de l'hospitalité In: Revue belge de philologie et d'histoire. Tome 7 fasc. 3, 1928. pp. 975-1011. Citer ce document / Cite this document : Lot Ferdinand. Du régime de l'hospitalité. In: Revue belge de philologie et d'histoire. Tome 7 fasc. 3, 1928. pp. 975-1011. doi : 10.3406/rbph.1928.6536 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rbph_0035-0818_1928_num_7_3_6536

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Ferdinand Lot

Du régime de l'hospitalitéIn: Revue belge de philologie et d'histoire. Tome 7 fasc. 3, 1928. pp. 975-1011.

Citer ce document / Cite this document :

Lot Ferdinand. Du régime de l'hospitalité. In: Revue belge de philologie et d'histoire. Tome 7 fasc. 3, 1928. pp. 975-1011.

doi : 10.3406/rbph.1928.6536

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rbph_0035-0818_1928_num_7_3_6536

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DU RÉGIME DE L'BOSPITAUTÉ

Le régime de l'hospitalité, appliqué aux fédérés Barbares, wisigoths et ostrogoths dans l'Empire d'Orient, puis en Gaule, en Espagne, en Italie, bourguignons en Gaule, un instant yan-

dales en Afrique, a justement attiré l'attention des historiens et des juristes.

Le premier travail scientifique où l'on traite de l'ensemble du sujet est celui d'Ernst Theodor Gaupp, paru en 1844, et qui demeure fondamental (*). Depuis lors (2), le sujet a été abordé à maintes reprises, soit dans des manuels d'histoire du droit et des institutions (3) soit dans les histoires politiques des ré-

0) Die Germanischen Ansiedlungen und Landtheilungen in den Provinzen des römischen Westreiches in ihrer völkerrechtlichen Eigentümlichkeit und mit Rücksicht auf verwandte Erscheinung der alten Welt und des späteren Mittelalters dargestellt (Breslau, 1844, xiv-612 pages).

(2) Antérieurement on peut signaler, entre autres, Abbé Dubos, Histoire critique de l'établissement de la monarchie française dans les Gaules, éd. in-12, t. I (1742), p. 144, 302, 442, 592, 613 ; II, p. 457, 545, 554. — Savigny, Geschichte des römischen Rechts im Mittelalter, 2e éd. (1834), t. I, p. 296-300, 330, 399.

(·) Bethmann-Hollweg, Civilprozess, t. IV, p. 133-145, 182, 262, 309 ; — H. Brunner, Deutsche Rechtsgeschichte, t.I, 2e éd. p. 72-80. — R. Schröder, Lehrbuch der deutschen Rechtsgeschichte, p. 102, 195 ; — A. Heusler, Institutionen des deutschen Privatrechts, t. I, p. 262 ; — O. Gierke, Das deutsche Genossenschaftsrecht, t. I, p. 60. — G. Kaufmann, Ueber das Foederat- verhältniss des tolosanischen Reichs zu Rom (dans les Forschungen zur deutschen Geschichte, 1866, p. 435-444).

En France on peut signaler Lehuerou, Institutions mérovingiennes, p. 178 ; — Fustel de Coulanges, Histoire des Institutions politiques de l'ancienne France, Ie éd. p. 579 ; — Gar-

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gions où ce régime a été pratiqué (*), soit dans des études économiques (2), soit même dans des histoires de l'art de la guerre (8). Enfin certaines parties ont fourni la matière de monographies soignées : c'est ainsi que Γ « hospitalité » pratiquée en faveur des Bourguignons a provoqué en France l'apparition de quatre mémoires au moins, ceux de Caillemer (*), de Julien Havet (5), de Léouzon le Duc (6), enfin de R. Saleilles, le plus copieux de tous (7).

Si remarquables que soient ces travaux, ils ont, à mon sens,

sonnet, Histoire des locations perpétuelles (1879), p. 182-195. — P. Viollet, Hist des Jnstit. politiques et administratives, t. I, p. 173 ;

(*) Pour la Gaule, voy. Fauriel, Histoire de la Gaule méridionale sous la domination des conquérants germains, t. I (1836), p. 142, 520 ; — C. Binding, Das burgundische-romanische Königreich von 443 bis 532 (1868), p. 13, 297 ; — Α. Jahn, Geschichte der Burgundionen und Burgundiens bis zum Ende der I. Dynastie (1874), 2 vol. — Voir encore Pétigny, Hist, des Mérovingiens, t. II, p. 41, 159, 185, 230, 481,. — Pour l'Italie, voy. Hegel, Geschichte der Stadtverfassung von Italien, t. I (1847) ; — Ernst Mayer, Italienische Verfassungsgeschichte, t. I (1909), p. 40 ; — Pertile, Storia del diritto italiano, t. X. — L. M. Hartmann, Geschichte Italiens, t. II (1897), p. 41, 52 note 5. — Thomas Hodgkin, Italy and her invaders, 2e éd., Oxford, 1892, t. II, p. 519.

(a) Gaudenzi, Sulla propriété in Italia nella prima meta del medio evo, 1884 ; — A. Meitzen, Siedelung und Agrarwesen der West- und Ost-Germanen, t. I (1895), p. 526 ; — Max. Kowalevs- ky, Die oekonomische Entwicklung Europas , t. I (1901), p. 167.

(*) Hans Delbrück, Geschichte der Kriegskunst, t.II, 2e p. (1902), p. 331-352.

(·') Etablissement des Burgondes dans le Lyonnais au milieu du ve siècle (dans Mémoires de l'Académie de Lyon, Classe des Lettres, t. XVIII).

(*) Du partage des terres entre les Romains et les Barbares chez les Burgondes et les Visigoths (Revue Historique, t. VI, 1878, p. 87-99, et dans ses Œuvres, t. II, p. 38-51.)

(«) Le régime de l'hospitalité chez les Burgondes (dans la Nouvelle revue historique de droit, t. XII, 1888, p. 232).

(*-) De l'établissement des Burgundes sur les domaines des Gallo- Romains (dans la Revue Bouguignonne d'enseignement supérieur, année 1891, p. 43-103, 345-407).

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le tort de laisser une impression peu nette : on ne voit pas bien comment pratiquement a pu s'opérer le partage des terres et comment le régime de Γ hospitalilas a pu fonctionner. Je vais tenter brièvement de me représenter les choses d'une manière concrète, en ayant recours surtout à la Lex Burgundionum où l'on trouvele plus de renseignement sur ce régime de l'hospitalité.

La Lex Burgondionum nous apprend que lors du partage des terres entre Barbares et Romains, les premiers ont eu droit aux deux tiers /des terres et au tiers des esclaves : « ... tempore quo popülus noster mancipiorum tertiam et duas terrarum partes accepit... » (titre liv). i1).

Quelle étrange anomalie ! Si le Bourguignon reçoit les 2/3 de la terre pourquoi n'a-t-il pas droit aux 2/3 des bras qui lui permettront d'exploiter cette terre? (2). Autre sujet d'étonnement: si le Bourguignon a droit aux deux

tiers des terres et au tiers seulement des esclaves, il partage avec le Romain la moitié de la demeure rurale, du vergerM'en-

0) Lex Burgundionum, éd. L. R. de Salis, Monumenta Germa- niae, Leges, série in-4<>, t. II, pars 1 (1892), p. 88.

(*) Je ne m'attarderai pas à discuter l'opinion de Fustel de Coulanges, déjà émise par Eichhorn {Deutsche St. und Rechts- gesch., 4e éd., 1,163) et acceptée par Garsonnet (op. cit., p. 190),qu'il s'agit d'un partage de revenus et non du sol. Cette thèse a été refutée d'une manière définitive par Julien Ha vet ( Revue historique 1878, t.I, p.86-99), par Caillemer (Mém. de l'Acad. de Lyont. XVIII), enfin par R. Saleilües (loc. cit., p. 345-387), qui montrent qu'il y eut partage de possession du sol et en étudientla nature juridjque.il n'ya pas lieu davantage de s'arrêter aux conjectures inutiles de Gaupp et de Rinding. Le premier veut que partage n'ait été vraiment soumis à des règles qu'à partir du règne de Gondebaud (473-516), qui aurait augmenté la proportion des terres affectées au Rourguignon. Le second veut aussi que le partage des terres se soit fait d'abord par moitié, mais c'e t seulement entre 490 et 500 qu'il aurait été porté ai1*: deux tiers. G. Kaufmann a fortement exposé les objections auxquelles se heurtent ces systèmes dans ses Kritische Erörterungen zur Geschichte der Burgunden in Gallien, publiées dans lesForschungen dzur deutschen Geschichte, t. X, 1870, p. 353-387. Voy. aussi Rethmann-Hollweg, Der germanisch-romanisch^ Civilprozess im Mittelalter, t. I, 1868, p. 148 et suiv.

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tour de la forêt : « medietatem silvarum ad Romanos generaliter praecepimus pertinere ; similiter de curte et pomariis circa fara- mannos (*) conditionc servata, id est ut medietatem Romano estiment praesumendam » (liv, 2) (2). Enfin les réfugiés (3) ont droit seulement à la moitié de la terre et n'obtiennent aucun esclave (')·

Gaupp (e) a tenté une explication en supposant que les Bourguignons ayant des esclaves n'avaient pas besoin de réclamer au Romain les deux tiers de ses cultivateurs non-libres. Mais cette explication est contestable- Les Bourguignons, peuple errant,;]ne pouvaient traîner à leur suite les milliers d'esclaves qui eussent été nécessaires à l'exploitation des terres, et, d'ailleurs, eux-mêmes n'étaient pas des agriculteurs. Gaupp le premier remarque qu'il n'est jamais question de cultivateurs

0) Sur ce terme, voy. plus bas, p. 996, note 5. (2) Tit. LIV, 2 : « De exartis quoque novam nunc et super-

fluam faramannorum competitionem et calumniam posses- sorum gravamine et inquietudine hac lege praecepimus submo- veri, ut sicut de silvis ita et de exartis, sive anteacto sive in praesenti tempore factis, habeant cum Burgundionibus ra- tionem ; quoniam, sicut jamdudum statutum est [tit. LXVII[, medietatem silvarum ad Romanos generaliter praecepimus pertinere, simili de curte et pomariis eirca faramannos conditione servata, id. est ut medietatem Romani estiment praesumendam. » (p. 89).

(·) Les « Burgundiones qui infra venerunt » (note suivante) sont vraisembablement les Bourguignons qui n'ont pas pu ou voulu vivre sous la domination gothique, à la suite des conquêtes de Toluin en Provence, en 523, selon la conjecture ingénieuse de Carl Binding, Das burgundisch-romanische Konigsreich, t. I, p. 261 ; ib., p. 253. l

(*) Cette disposition tardive (526?) n'est pas dans la Lex mais dans les Constitutiones extravagantes, tit. XXI, c. 12 : « De Romanis vero hoc ordinavimus ut non amplius a Burgundionibus qui infra venerunt requiratur quam ad praesens nécessitas fuerit : medietas terrae. Alia vero medietas cum integritate mancipiorum a Romanis teneatur, nec exinde ullam violentiam patiantur » (p. 125).

(«) Op. cit., p. 344-345.

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ruraux bourguignons de condition servile. Quant à l'explication de Montesquieu (x) qui fait des Bourguignons un peuple pasteur, elle se heurte au fait que les deux tiers du sol qui leur est concédé se composent de terres de labour et non de pâturages (2).

Puis on a pensé, et justement, que l'explication de l'anomalie devait être cherchée dans la constitution même de la propriété foncière de l'époque.

On sait que le grand domaine — c'est sur lui qu'est installé le Barbare (3) — est divisé en deux parties : 1° la réserve seigneuriale (indominicatum), comprenant terres de labour, prés, vignes (s'il y a lieu), forêts ; 2° les tenures des petits fermiers héréditaires, les colons (mansi ingenuiles, colonicae), comprenant terres de labour, prés, vignes, mais jamais ni pâturages ni forêts (4). L'étendue de chacune de ces deux parties est sensiblement égale, mais le propriétaire conservant dans son lot forêts et prairies, sauf à en permettre la jouissance à ses colons,la superficie des terres de labour de son lot est moins considérable que celle des lots de côlons : le propriétaire n'en retient' guère, semble-t-il, que le quart en exploitation directe (5).

i1) « Le Bourguignon qui faisait paître ses troupeaux avait besoin de beaucoup de terre et de peu de serfs » (Esprit des lois, 1. XXX, c. 8-9).

(4) C'est ce que fait justement observer Carl Binding, Das Burgundisch-romanische Königreich, p. 26, note 89.

(») Cf. plus bas, p. 992. (*) Sur la constitution du domaine rural l'exposé le plus clair

demeure celui de Fustel de Coulanges, L'Alleu et le domaine rural (1889), p. 362-374.

(·) Les renseignements les plus précis que nous possédions sur ce point sont fournis par le Polyptyque de Saint-Germain-des- prés, pour le commencement du ixe siècle. On trouve que, pour 20 domaines, les réservés ou manses, dominicaux, renferment 4630 hectares en terres de labour, 113 en vignes, 92 en prés, 11.173 en bois, 11 en friches. Les tenures des colons, des serfs et les dotations des églises rurales comprennent 16.116 hectares de terres de labour, 155 de vignes, 213 de prés, 148 seulement de bois et 96 de pâturages. Voy. les évaluations rectifiées par Louis Halphen dans ses Etudes critiques sur l'histoire de Charlemagne (1921), p. 275. — On voit que la superficie des deux parties du

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On peut admettre que le droit de l'hôte bourguignon porte soit sur l'ensemble des terrae (indominicatum et tenures), soit sur Γ une de ces deux divisions .

Il porte sur les tenures déclare Hans Delbrück (!). Cette interprétation a pour elle le mérite de la simplicité

On s'explique que, ne touchant pas à la réserve (indominicatum) l'hôte n'ait besoin que du tiers des esclaves (mancipia) (2). Mais on se heurte au titre lxvii : quicumque agrum aut colonicas tenent etc. ».Il saute aux yeux que ager étant opposé à colonica, ne peut s'entendre ici que de la réserve (indominicalum) (3). Le Bourguignon avait donc droit à une part et des colonges et de la réserve.

Mais dans quelle proportion? Selon Ernst Mayer,il prélevait le tiers des tenureset les deux

tiers de la réserve (*). Mais, tout de suite, une objection vient à l'esprit : pourquoi le Barbare ne reçoit-il que le tiers des e scia-

domaine est sensiblement le même : 16.000 d'un côté, 16728 de l'autre Les tenures n'ont quasi point de forêt, mais elle comprennent plus des trois quarts des terres de labour, prés et vignes.

Néanmoins il est à présumer que à l'époque romaine, alors que, les esclaves étaient encore nombreux, le propriétaire pouvait encore avoir une réserve étendue. Celle-ci a dû diminuer, à mesure que l'esclavage proprement dit reculait. Au ixe siècle la réserve n'est plus cultivée que grâce aux corvées et manœuvres des colons.

0) Op. cit., t. II, 2« p., p. 337-338 : « Die zwei Drittel seines Ackers, die der römische Besitzer abtritt sind hauptsächlich Kolonenland.Das Drittel, das er behält ist zum Theil Kolonen- land, hauptsächlich aber der selbstbewirtschaftete Acker und dazu behält er von Wald, Garten und Weinbergen die Hälfte. Um diesen Theil weiter bewirthschaften zu können, muss er von seinen Unfreien zwei Drittel behalten etc. Cf. p. 342.

(2) Resterait cependant à savoir pourquoi le Bourguignon obtient des mancipia. Les tenures étant exploitées par les colons romains, l'hôte Barbare qui obtient la propriété de ces colonges n'a pas besoin de la main d'œuvre des serfs (mancipia).

(*) C'est ce que fait justement observer E. Mayer (cf. note euiv.), p. 204.

(*) Dans l'intéressant compte-rendu du livre de 1 . M. Hartmann, paru dans les Goeitingische gelehrte Anzeigen, lfib. Jahrgang, 1903, ρ* 204, 205.

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ves s'il a les deux tiers de la réserve, exploitée précisément avec les mains serviles ? E. M. se tire de cette difficulté en affirmant qu'il faut donner ici un sens large au mot mancipium, et entendre sous ce terme les colons aussi bien que les serfs propres (3) : dans la loi bourguignonne le colon et l'esclave seraient mal distingués, ou pour mieux dire confondus, au point de vue du droit pénal. Mais, il faut bien l'avouer, cette affirmation repose sur un véritable paralogisme. S'il est vrai que la condition du colon dans le royaume bourguignon diffère peu en pratique de celle de l'esclave, s'il est vrai, par exemple, qu'il soit soumis, comme celui-ci, à la bastonnade, il n'en demeure pas moins certain que les deux conditions sociales sont toujours nettement distinguées, et chaque fois que le terme mancipium est employé, il s'entend invariablement d'un servus ou d'une ancilla (4). Iln'apparaitdonc

(') Même interprétation de la part de Delbrück, p. 348. (*) L'identité du mancipium et du servus dans la lex Burgun-

dionum ressortirait des titres IV (p. 44, 1. 2 et 9), XI (p. 72r 1. 1), Lxxxviii (p. 108, 1. 13-14). Du titre VII (p. 48), il appert, au contraire, que si le servus et Voriginarius, dit aussi colonus, sont soumis aux mêmes punitions, ils sont néanmoins distincts. Cf. les titres XXI (p. 60, 1. 2), XXXVIII, c. 11 (p. 70, 1. 23). Le mancipium bourguignon est un serf puisqu'on l'affranchit (titre XL, p. 72). La Lex romana Bur- gundionum, cela va sans dire, fait la distinction, qui est de droit : voy. le tit. VI (p. 129, 1. 9-12) ; XXXVII, c. 6 (p. 157, 1. 1-2) ; XLV (p. 162, 1. 15-18, 27) ; XLVII (p. 163, 1. 11-18). On y voit, il est vrai, serfs, et colons assimilés pour les châtiments (tit. XII, p. 137, 1. 4), pour les contrats et le pécule (tit. XIV, c. 3, 4, 6, p. 138-139) mais Jamais le terme de mancipium n'est employé pour un colon. — Cependant B. Guérard écrit dans ses Prolégomènes au Polyptyque d'Irminon (p. 236) : « enfin les colons sont le plus souvent mis au nombre des mancipia », mais il ne cite à l'appui qu'un seul exemple réel : au chapitre XII, (De centenà Corbonensi) un nommé Silvanius figure au nombre des mancipia au § 1 ; or,il est appelé colonus sancti Ger- mani au § 41. C'est une exception rarissime à laquelle on peut opposer quantité de textes où mancipium ne s'entend que d'un servus ou d'une ancilla. Encore convient-il de faire observer que, au § 1, Silvanius est cité comme un des enfants du mancipium Sievertus et de sa femme Solberta ;au § 41 il est un homme fait, un tenancier : il :st passé depuis son enfance de la condition

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pas qu'on soit en droit au titre liv de donner à ce mot une signification différente de l'acception habituelle d'esclave (x).

Et même si l'on admettait que « mancipium » doive s'entendre de tout le cheptel humain, sans distinction de colons et de serfs, des énigmes subsisteraient. Celle-ci par exemple : comment l'hôte Barbare n'obtenant que le tiers des mancipia pourra-t-il exploiter les deux tiers de la réserve avec un personnel aussi réduit? On peut supposer qu'il usera des services des colons des colonges, mais alors il augmentera la charge qui leur est imposée, charge coutumière, immuable, et ce sera illégal (2). Quant à traiter les colons en serfs et à les arracher à leur colonge,c'est chose inadmissible : les colons sont fixés au sol par la loi et nul, pas même le propriétaire, n'a le droit de les arracher à la glèbe (3) ; ce n'est pas un personnel mobilisable à volonté (4).

de serf à celle dé colon. Aux § 2 et 3 il est question de mancipia, mais ils ne sont pas des coloni ;au § 8 on signale que la femme du mancipium Geroinus, Odelildis,est colona sancti Germani : il y a donc opposition et non assimilation des deux termes. Quant au prétendu 6e capitulaire de 803 (Boretius p. 145, n° 58, c. 1), c'est une réponse à un missus, écrite entre 801 et 804, où Ton dit qu'il n'y a que deux conditions sociales : la liberté, le servage. Un empereur romain eut répondu la même chose : juridiquement le colon est un liber, affirmation dérisoire, car socialement et politiquement il est ravalé à peu près au niveau de l'esclave.

(l) Je me pose encore l'objection suivante, provoquée par Je début du titre LIV : « quicunque agrum cum mancipiis seu pa- rentum nostrorum sive nostra largitate, etc. (p. 88). Mancipia doit s'entendre des colons aussi bien que des serfs proprement dits. Cela est forcé,à moins de restreindre les donations du roi à Y indominicatum exploité par les serfs et d'en exclure les colonges, idée parfaitement insoutenable. — En réalité le roi n'a pas à parler des colons :ils font partie intégrante de la terre (terra, offer) ; il n'en va pas de même des mancipia,qui sont un capital mobilier.

(a) Fustel de Coulanges, Recherches sur quelques problèmes d'histoire, p. 125. .

(3) Ibid., p. 115-117. (4) On peut transférer un colon d'une colonge à une autre

(Cod. Just. IX,47,13), mais non changer sa condition sociale en le transformant en esclave,même rural. Valentinien Ier avait même eu l'idée de distinguer dans les ventes l'esclave rural (cen-

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Pour la même raison, le Romain, qui aurait perdu les deux tiers de la réserve, n'aurait que faire de conserver les deux tiers des mancipia. C'est trop, et il pourra difficilement refouler vers les tenures de colon,dont il n'a plus qu'une faible partie, le personnel surabondant qu'on lui laisse, on ne sait pourquoi.

De quelque côté qu'on se tourne on n'arrive donc pas à une solution qui satisfasse l'esprit.

Une dernière hypothèse s'offre à nous et je n'hésite pas à la formuler : le Bourguignon n'a que le tiers des esclaves parce qu'il ne reçoit que le tiers de la réserve (indominicatum) ; le Romain conserve les deux tiers des esclaves parce qu'il garde les deux tiers de la réserve.

A cette époque, en effet, la réserve est encore exploitée principalement par les esclaves du propriétaire (*).

Ne recevant que le tiers de la réserve,le Barbare aura la majorité des colonges à sa disposition. Pour les exploiter nul besoin de main d'œuvre servile : les colons, attachés héréditairement au

sitos servos) et la terre (Cod. Just, XT, 47, 7). Théodoric FOstro- goth revint sur cette décision au § 142 de son Edit : il y autorise le maître à transférer les esclaves ruraux d'un lieu dans un autre et même à les reprendre pour le service domestique,fussent-ils originarii, c'est-à-dire nés sur le domaine rural. :« Liceat uni- cuique domino ex praediis, quae corporaliter et legitimo iure possidet, rustica utriusque sexus mancipia, etiamsi originaria, sint, ad juris sui loca transferre vel urbanis ministeriis adplicare ita ut et illis praediis adquirantur ad quae voluntate domini migrata fuisse constiterit et inter urbanos f amulos merito cen- seantur, nec de ejusmodi factis absque ordinationibus velut sub oppositione originis quaestio Ulla nascatur. Alienare etiam supra- dictae conditionis hommes liceat dominus absque terrae aliqua portione sub scripturae adtestatione, vel cedere, vendere cui libuerit, vel dare. » (Mon. Germ., Leges, t. V, p. 166, § 142). Ce sont des dispositions exorbitantes. Garsonnet (op. cit., p. 128) a compris que le roi affranchissait les colons de la servitude de la glèbe 1

(x) A l'époque carolingienne, quand l'esclavage antique aura disparu presque entièrement, la réserve ne sera plus guère exploitée que par les corvées et manœuvres des tenanciers (colons et serfs ruraux chasés) et les redevances en argent ou en nature passeront au second plan. Cf. page 985, note 2.

R. B. Ph. H. — 62.

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sol, travaillent pour lui. Le Bourguignon est simplement substitué aux droits du propriétaire romain ; il perçoit à sa place les redevances en nature ou en argent dues par le colon et exige manœuvres, corvées et charrois à son profit, — voilà tout.

Tentons de nous représenter d'une manière concrète un domaine (fundus, villa) soumis au partage. Attribuons lui la superficie moyenne d'un de nos villages, 1300 hectares. Le propriétaire romain a partagé, rigoureusement, par hypothèse, en deux parties égales son domaine, attribuant 650 hectares (2600 jugera) de terres labourables, prés et yignes à ses colons, à raison, par exemple, de 12 hectares (48 jugera) par ménage, constituant ainsi 54 « colonges ». Il se réserve 650 autres hectares, dont la majeure partie est formée de forêts et de prairies et le reste, 200 hectares, par hypothèse, en terres de labour (x).

Arrive l'ordre de partage. L'« hôte » bourguignon a droit aux deux tiers des « terres ». Le total des « terres » est de 650+200 soit 850 hectares, dont l'hôte aura les deux tiers, soit 566 hectares. N'ayant droit qu'au tiers des esclaves (mancipia), le Barbare, ne prendra, selon notre interprétation, que le tiers de la réserve cultivée, soit 66 hectares. Il lui restera à prélever sur les tenures 566 — 66 = 500 hectares, soit 41 à 42 colonges.

Le Romain se trouvera réduit à 134 hectares de terres de labour sur sa réserve et à 12 ou 13 colonges.

Ce schéma présente un double inconvénient : 1° il est compliqué, exigeant un calcul pour soustraire du total des terres des colonges la portion des terres de la réserve attribuée à l'hôte ; 2° il est peu satisfaisant, et même invraisemblable. parce que le Barbare, vivant du produit des quatre cinquièmes des colonges, on ne comprend pis pourquoi celles-ci n'ont droit qu'à la moitié de la forêt dont les produits sont indispensables à l'économie rurale du temps.

Une autre mterprétation me parait préférable : l'hôte Barbare a droit à un tiers des terres de la réserve. Pour compléter sa part

(*) Ce schéma est naturellement de pure fantaisie et n'a d'autre objet que d'obliger l'esprit à serrer la question de près. La superficie de la réserve au ve siècle était certainement supérieure à ce qu'elle sera plus tard, au ixe siècle, quand l'esclavage proprement dit ne sera plus qu'un souvenir.

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du domaine, laquelle doit comprendre les deux tiers du sol arable, il prendra les deux tiers des tenures ou colonges. On s'explique mieux ainsi que les colongers concédés au Barbare n'aient droit qu'à la moitié de la forêt. En effet, le propriétaire romain, s'il n'a conservé que la minorité des colonges, un tiers environ, retient, par contre, les deux tiers de la réserve.

Cette dernière interprétation permet de comprendre, en outre, pourquoi le Romain conserve, non seulement la moitié des bâtiments d'exploitation (la curtis) et la moitié du verger,mais la moitié de la forêt.Elle montre que le partage n'est pas, en réalité, aussi défavorable au Romain qu'on le pense. Pour le revenu, le dominus romain et Γ« hôte » bourguignon ont des parts très sensiblement égales (*) : le produit de Yindominicatum ou réserve doit être pour le propriétaire, à superficie égale, supérieur à celui des tenures, les colons rapportant plutôt par leurs manœuvres et corvées que par leurs versements en argent ou même en nature. (2)

(x) Si notre explication est recevable, elle achève de rendre inutile l'hypothèse d'un premier partage par moitié des terres arabes, proportion portée ensuite aux deux tiers par l'hôte Barbare. Cette théorie esquissée par Gaupp, développée par Carl Binding, est considérée comme prouvée par R. Saleilles (loc. cit., p. 65) et H. Delbrück (op. cit., t. II, 337, note 1). A. Jahn (Gesch. der Burgundionen, p. 397, note 4) n'admet le partage égal des terres que pour la Lyonnaise (459). En Sapaudia les Bourguignons n'auraient reçu (443) que le tiers des terres. Voy. encore Caiilemer (loc. cit., p. 11 note 1) et G . Kaufmann dans les Forschungen zur deutschen Geschichte, t. Χ, 1870, p. 353, 387. Cf. plus haut, p. 977, note 2.

(2) II suffit de parcourir un polyptyque pour se rendre compte que les versements en argent des tenanciers sont infimes. Ils rentrent pour la plupart dans les trois catégories suivantes: 1° rachat du service de guerre (hostilitium), transmis peut-être au souverain par le propriétaire, 2° parfois le chevage : versement du cens annuel et symbolique de 4 deniers par tête ; 3° indemnité pour le droit de couper du bois ou de faire paître les bestiaux. Les versements, en nature eux-mêmes sont peu importants : des œufs, des poules, parfois du vin, des bardeaux, etc. Le vrai profit pour le maître, c'est de trouver une main d'œuvre assurée et gratuite pour les travaux de la réserve : labours, se-

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Quant aux Bourguignons réfugiés vers 523 ou 524 (i), ils n'ont droit qu'à la moitié des colonges, selon notre interprétation mais nullement à la réserve : par suite on ne leur attribue aucun mancipium (2). Ils viennent trop tard pour qu'on les favorise comme les premiers occupants. On peut toujours détacher sans difficulté la moitié des colonges d'un domaine,mais on n'opérera pas pour eux de partage compliqué.

En somme, la phrase « le tiers des esclaves » est, selon nous, une manière elliptique de dire le tiers de la réserve, avec forcément le tiers des esclaves pour la cultiver.

Quelle que soit l'interprétation à laquelle on s'arrête, il demeure que le premier partage s'opère d'une manière compliquée et il faut se demander pourquoi il est compliqué. Il eut été si simple de prendre ou tout un domaine — entre beaucoup — ou, dans une proportion quelconque, la moitié, le tiers, les deux tiers, peu importé, une partie bien déterminée, la réserve, par exemple, ou les colonges, d'un même domaine.

Il est certain que cette complication a été voulue· On a entendu, au début du moins, sauvegarder les droits du propriétaire romain, du dominus, en enchevêtrant avec les siens les intérêts de Γ« hôte » Bourguignon. Que le Romain soit longtemps encore, considéré comme le véritable propriétaire, c'est chose certaine. Un passage de la loi, qui a justement retenu l'attention, interdit au Bourguignon, même si le Romain y consent, de se mêler d'un procès entre Romains portant sur les limites des terres (agri) possédées par des Barbares à titre d'hospitalité(3).

mailles, hersage, récolte, clôtures, grâce aux manœuvres (mano- perae) et aux corvées (corvadae) des colons et des serfs. Il peut -aussi exiger d'eux des charrois et des courses à cheval (caballi- care .

(!) Ludwig Schmidt, Geschichte der deutschen Stämme, I, 398. (2) Cf. plus haut, p. 978, notes 3 et 4. (3) Tit. LV, De removendis barbarorum personis quotiens inter

duos Romanos de agrorum finibus fuerit exorta contentio. Cap. 2 : Quotiens de agrorum finibus. qui hospitalitatis jure a Barbaris possidentur, inter duos Romanos fuerit mota contentio, hospites eorum non socientur litigio, sed Romani in judicio contendentes expectentur,ut cujus Barbari hospes evicerit cum ipso postmodum de re obtenta habeat rationem... Cap4 4 : quod si eum Romanus,

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Au contraire, l'intervention du Barbare est recevable s'il y a contestation sur les limites d'un ager possédé en entier avec ses esclaves (mancipia) par un Bourguignon qui ]e tient publica lar- gitione, c'est-à-dire en vertu d'une donation royale (J) ; nous savons en effet que la donation du roi bourguignon, comme celle du roi franc, est en pleine propriété (2). En ce cas la loi libère le Romain de l'obligation du partage avec un hôte Barbare (3).

Même quand les sortes du Barbare furent devenues, en fait, une propriété dont Γ« hôte » put disposer à son gré, le propriétaire romain garda en cas de vente un droit de préemption (4).

hoc est hospes ipsius,adhibere praesumpserit, utrumque duo- denos solidos jubemus exsolvere et causam Romanis legibus terminari. » (éd. Salis, p. 90).

(*) Ibid., c. 5 : sane si ex ejusdem agri finibus quem Barbarus ex integro cum mancipiis publica largitione perceperit fuerit contentio cepta, licebit ei, sive pulsatus fuerit, seu ipse pulsa- verit, Romano jure contendere.

(2) Saleilles, p. 356-357. (8) Tit. LIV :De his qui tertiam mancipiorum et duas t rrarum

partes contra interdictum publicum praesumpserint. Cap. I : licet eodem tempore quo populus noster mancipiorum tertiam et duas terrarum partes accepit ejusmodi a nobis fuerit emissa praeceptio ut quicumque agrum cum mancipiis seu parentum nostrorum sive nostra largitate perceperat, nec mancipiorum tertiam nec duas terrarum partes ex eo loco in quo ei hospitali- tas fuerat delegata requireret, tarnen quia complures comperi- mus, immemores periculi sui, ea quae praecepta fuerant exces- sisse, necesse est ut praesens auctoritas, ad instar mansurae legis emissa, et praesumptores coerceat et hucusque contemptis remedium debitae securitatis adtribuat. Jubemus ergo ut quid- quid ab his qui agris et mancipiis nostra magnificentia potiun- tur, de hospitum suorum terris contra interdictum publicum praesumpsisse docentur, sine dilatione restituant (p. 88-89).

(4) Tit. LXXXIV : De venditione terrarum : cap. 1 : Quia agno- vimus Burgundiones sortes suas nimia facilitate distrahere,} hoc praesenti lege credidimus statuendum ut nulli vendere terram suam liceat nisi illi qui alio loco sortem aut possessionem habet ; cap. II : hoc etiam interdictum ut quisque habens alibi terram vendendi necessitatem habet, in comparandam quod Bur- gundio vénale habet, nullus extraneus Romano hospiti praepo- natur nec extraneo per quodlibet argumentum terram liceat

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A cette mesure je crois apercevoir un double motif. Premièrement celui de rassurer la population romaine. Il ne

faut pas oublier en effet que l'établissement des Bourguignons en Sapaudia ne fut pas l'effet d'une conquête, mais fut imposée par le gouvernement romain, par Aetius (x). Le cantonnement des Barbares en cette région n'était envisagé, d'ailleurs, comme définitif, ni par les Romains ni par les Barbares eux-mêmes (2). Il eut été inconsidéré à tous les points de vue de fixer ces derniers en qualité de propriétaires véritables, de domini.

En deuxième lieu, si le droit « eminent », comme on dira plus tard, du Romain est maintenu par les rois bourguignons, même lorsque ceux-ci sont devenus de vrais souverains pour les deux races, cela tient sans doute à des préoccupations fiscales. Dans l'intérêt du fisc le fundus devait conserver, comme à l'époque romaine, son individualité, ses frontières (3).

Les rois bourguignons ont naturellement continué à percevoir l'impôt foncier. Et cet impôt, seul le propriétaire romain le payait.

Il n'y a pas lieu de croire, en effet, que l'hôte bourguignon l'ait plus versé que l'hôte wisigoth (4).Déjà à l'époque romaine

comparare. — Cap.in : observandum tamen ut de illo ipso hospes suus comparet quem alibi terram habere constiterit. (p. 106-107).

Sur ce droit de préemption, cf. Gaupp, p. 356 ; Saleilles, p. 347-348.

(x) Les Bourguignons venaient d'être battus, écrasés, et leur antique race royale avait peut-être disparu.

(2) Cf Gaupp, op. ci ., p. 189, 198 et suiv. ;— Saleilles, p. 397- 398.

(8) Sur la persistance de la villa, indissoluble au point de vue administratif et fiscal, voy. Mommsen, Die italische Bodenthei- lung (dans Hermès, 1884) ; — Lécrivain, Le partage oncial du fundus romain (dans Mélanges de l'École française de Rome 1885) ; — Fustel de Coulanges, L'Alleu et le domaine rural, p. 21, 248, 253-262, 397 ; — H. Brunner, Deutsche Rechtsgeschichte, I, 2e éd., p. 74, note 4 ; — Saleilles, p. 98.

(4) Lex Visigothorum, lib. X, c. xvi : Ut si Goti de Roma- norum tertia quippiam tullerint, judice insistente Romanis cunc- ta reforment : Judices singularum civitatum, vilici atque prepo- siti, tertias Romanorum ab illis qui occupatas tenent auferant et Romanis sua exactione sine aliqua dilatione restituant, ut

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DU RÉGIME DE L'HOSPITALITÉ 989

il ne paye rien. Fédéré, il est un soldat au service de l'Empire et il n'a pas plus à acquitter l'impôt que le légionnaire romain : le produit de la terre qu'il occupe lui tient lieu de solde.

Des deux hôtes, des deux consorts, seul le Romain payait l'impôt, sauf naturellement à jouir d'une décharge pour la portion de son domaine concédée à son « hôte » Barbare.

Jusqu'ici nous avons raisonné comme si la terre soumise au régime de l'hospitalité était un grand domaine, admettant implicitement que cette charge retombait sur l'aristocratie foncière. Cette opinion peut s'autoriser d'un texte familier à tous ceux qui se sont occupés du sujet,un passage de la Chronique de Marius, évêque d'Avenche,qui portesous l'an 456 : Eo anno Burgundiones partem Galliae occupaverunt terrasque cum Gallis senatoribus divîserunt (x). 11 faut tirer de cette ligne la double conclusion : 1° que les Bourguignons partagèrent la terre avec les membres de l'aristocratie (senatores) (2) lyonnaise — car il

nihil fisco debeat deperire, si tarnen eos quinquaginta annorum numerus aut tempus non excluserit (éd. Zeumer, 1894, p. 281). Cette lex est dite antiqua ; elle remonte par suite à Leovigild ou bien plutôt à Euric, donc à la période comprise entre 464 et 485* Tout le monde a justement tiré de ce passage la conclusion que le Wisigoth ne paye pas d'impôt pour le lot qui lui est attribué, alors que le Romain continue à verser l'impôt foncier pour la partie du domaine qu'il conserve. Voy., entre autres : Gaupp, op. cit., p. 405 ; Dahn, Die Könige der Germanen, t. VI, 2e éd., p. 257 ; — J. Ha vet (dans Revue historique, 1878, I, p. 91 ; — Saleilles, loc. cit., p. 363 e t suiv. ; — Gar- sonnet, Locations perpétuelles, p. 187, note 2. — Mais pour les propriétés romaines qu'il pourra acquérir en dehors de son lot, par achat,échange, don, héritage, etc. il paraît évident que le Barbare paye l'impôt foncier comme son prédécesseur romain.

(l) Mon. Germ, hist., Auetores antiquissimi, XI, 232. (a) On entend par ce terme les membres provinciaux du Sénat,

les clarissimi, qui n'étaient pas tenus de siéger à Rome et étaient autorisés à vivre sur leurs terres ; ils étaient au nombre de quelques milliers (2.000 en Orient après 359). Voy. Lécrivain, Le Sénat romain depuis Dioctétien, p. 64 ; — Sund- wall, Weströmische Studien, 1925, p. 150. Puis on donne ce titre

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s'agit certainement de cette région (x), ce qui autorise par analogie à croire qu'il en fut de même ailleurs, ainsi en « Savoie » ; 2° que ce partage n'était pas très onéreux, puisque l'initiative de l'appel aux Barbares vient des Romains eux-mêmes, et on se rappelle aussitôt un passage où Cassidore avance, non sans un optimisme de commande que le partage ultérieur entre Romains d'Italie et Ostrogoths s'opéra sans que personne eût à en souffrir (2).

Seulement l'évêque d'Avenche écrit sa brève chronique à la fin du VIe siècle et, si vraisemblable que soit l'opinion qu'il copie une annale contemporaine, ce n'est toutefois, peut-on objecter, qu'une vraisemblance," non une certitude (3).

de senator au grand propriétaire foncier. Voy. Fustel de Cou- langes, L'invasion germanique, p. 198-199 ; — God. Kurth, Les sénateurs en Gaule au vie siècle dans sesEtudes franques, t. II, 1919, p. 97-116 ; et déjà C. Binding, I, 20.

Gaupp (p. 322), suivi malheureusement par Saleilles (p. 51), a cru qu'il s'agissait des « décurions », ce, qui a entraîné,pour ce dernier surtout, des erreurs graves (cf.p.994, notel). Les curies é- taient réduites à un tel état de dégradation que leurs membres n'auraient pu être qualifiés sénateurs que par dérision. Les décurions n'ayant le plus souvent que de faibles propriétés (cf. page suiv.), on ne se représente pas qu'ils provoquent un partage qui les ruinerait. Gaupp a senti probablement l'objection : il cantonne les simples hommes libres Bourguignons chez les petits possessores, les grands « optimates » Barbares chez les honorati, qui constituent une sorte de petite noblesse provinciale. Que ces derniers aient pu être soumis au régime de Γ« hospitalité, c'est admissible ; il n'en va pas de même des simples possessores.

(x) On sait par ailleurs (Prosper, Continuatio H avniensis) que Lyon tomba au pouvoir des Bourguignons en 457 et fut recouvré l'année suivante par l'empereur Majorien.

(2) Lettre de Théodoric au Sénat de Rome (entre 507 et 511). Voy. plus bas, p. 1001.

(s) Même si on l'appuie d'un passage douteux de la Chronique dite de Frédégaire, écrite près d'un siècle après celle de Marius d'Avenche : « In illo tempore Burgundionum octoaginta ferme milia, quod nunquam antea nec nominabantur, ad Renum dis- cenderunt t ibi castra posuerunt quasi burgo vocitaverunt ; ob hoc nomen acceperunt Burgundiones ; ibique nihil aliud praesumebant nisi quantum praecium ementis a Germanis eo

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A défaut même de ce texte, la réflexion suffit à persuader que l'obligation de Γ« hospitalité » ne put peser sur les petits propriétaires fonciers, les possessor es au sens particulier de ce terme, les curiales. Pour être subjectus curiae il suffisait d'être détenteur de 50 jugera (12 à 13 hectares) de terre,dont la moitié seulement en propriété (x). Enlever à un Romain de cette condition sociale les deux tiers, ou même simplement la moitié, de cette superficie, c'est le condamner à la misère (2), ou même, en pratique, l'évincer. Il est invraisemblable d'imaginer que l'administration romaine, en 443, ait pu concevoir une spoliation aussi dangereuse : ces gens dépossédés, qui eussent été au nombre de plusieurs milliers (3), se seraient joints

rum stipendia accipiebant. Et cum ibidem duobus annis rese- dissent, per legatos invitati a Romanis vel Gallis, qui Lugdu- nensium provinciam a Gallia comata, Gallia domata et Gallia cisalpina manebant, ut tributa reipublicae possent rennuere, ibi cum uxores et liberos visi sunt consedisse. » La première phrase s'inspire, en y ajoutan t des bévues, du 1. VII, chapitre 32 de l'ouvrage d'Orose, où il est raconté que les Bourguignons parvinrent jusqu'au Rhin en Tan 372. La seconde phrase (depuis et cum ibidem) aurait une réelle valeur .historique et serait inspirée par les événements de 456-457, selon Gabriel Monod, Sur un texte de la compilation dite de Frédégaire relatif à l'établissement des Burgundions dans l'Empire romain (dans Mélanges publiés par la section historique et philologique de l'École des Hautes Études pour le dixième anniversaire de sa fondation, Paris, 1878), p. 229-239. Nous estimons plus prudent de ne rien tirer d'un passage aussi corrompu.

(1) Voy. Declareuil, Quelques problèmes d'hisioire des institutions municipales au temps de l'Empire romain, p. 169-172 (Extr. de la Nouvelle revue historique de droit, 1911) ; — F. Lot, De l'étendue et de la valeur du caput fiscal sous le Bas-Empire, p. 17-19 (Extr. de la même revue, 1925).

(2) C'est ce que fait justement observer Delbriick, t. II, p. 338.

(3) Si réduits qu'aient été les Bourguignons à la suite des désastres de 435-436, ils formaient encore plusieurs milliers de familles, qui eussent évincé un aussi grand nombre de familles de petits propriétaires gallo-romains. Le nombre des Bourguignons en état de porter les hommes est évalué à 80.000 par saint Jérôme, lorsqu'ils arrivent sur le Rhin vers 370. L'exagération

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aux Bagaudes (x). Quelle garantie de stabilité, de sécurité même pour l'hôte Barbare, eut pu présenter une semblable opération ? Le simple bon sens oblige d'admettre que la grande propriété a fait seule, ou presque, les frais de l'opération. On sait l'énor- mité des fortunes territoriales sous l'Empire romain. Un « sénateur » auquel on prend pour hospitaliser les Barbares un domaine, entre dix ou vingt — car il ne fut jamais question de confisquer l'ensemble de la fortune territoriale (2), n'est pas socia-

est évidente : ce chiffre est peut-être celui de la peuplade tout entière. Les Vandales Asdingues, unis aux débris des Alains, atteignaient ce chiffre en mai 429, lorsqu'ils passèrent en Afrique, mais en y comprenant femmes et enfants (Victor Vitensis, De persecut., c. 1). Au contraire, Socrate (Hist, eccles., VII, 30) fait occire des milliers de Huns par 3.000 Bourguignons seulement (τρίσχίλιοή dans une rencontre qui aurait eu lieu vers 430. Mais, en 435, les Bourguignons subirent une terrible défaite de la part des Huns fédérés d'Aeius. Leur roi, Günther (Gunda- har) périt ainsi que toute sa race(cf. G. Waitz, dans Forschungen zur deutschen Ges hichte, t. I, 1862, ρ.Ί). Les survivants furent cantonnés par Aetius, en 443, dans la Sapaudia, région qui allait de Grenoble à Ebrodunum (sans doute Yverdon sur le lac de Neufchâtel) A quel chiffre étaient-ils alors réduits? On ne sait. A Jahhn, les évalue à 93.900 hommes (sic), ce qui ferait 281.700 âmes! Ce sont des vues chimériques, comme l'a montré H. Delbrück (op. c ., t. II, p. 305-306, 341). Ce dernier estime le nombre des guerriers au moment où ils reçoivent Γ« hospitalité » en « Savoie » à 3.000, 5.000 au plus. Même à la fin du siècle, il n'y aurait eu que 200 guerriers en moyenne par « comté » (le royaume en comptait 32 à cette époque). C'est peut-être pêcher par un excès inverse. Quoi qu'il en soit, il est difficile de croire que la région comprise entre les Alpes, la Durance, le Rhône et, au Nord, le plateau de Langres et le lac de Neufchâtel, ait renfermé vers 500 plus de 10 à 15.000 Barbares en état de porter les armes.

(*) Des bandes de paysans réduits au brigandage infestaient la région. En 407, le goth Sarus, qui venait d'échouer dans sa tentative d'enlever Valence à l'usurpateur Constantin, dut acheter aux « bagaudes » le passage des Alpes pour rentrer en Italie (Zosime, VI, 2).

(2) Delbrück (II, 2, 342) fait justement observer que si le régime de l'hospitalité avait enlevé aux Romains les deux tiers de leurs propriétés, comme certains ont l'air de le croire, ce serait

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lement atteint (*). Il n'est même pas sérieusement appauvri, car cette diminution de la superficie de sa propriété s'accompagne d'une diminution corrélative d'impôt foncier et, en outre, de garanties appréciables de sécurité.

A ce problème de la condition sociale de Γ « hôte » romain, se lie étroitement celui de la condition sociale de Γ « hôte » barbare. Celui-ci est-il un aristocrate, comme le veut Delbrück, par exemple (2), ou un homme « moyen », opinion jd'Ernst Mayer (3), ou même un pauvre diable, comme semble le croire Saleilles (4) ? Quelle idée se fait-on de ces « fédérés » ?

La minorité, cela va sans dire, est composée de nobles. Mais la majorité, qui n'a que ses bras, entend-elle se livrer à l'agri-

une révolution sociale telle que l'histoire du monde n'en connaîtrait pas d'autre exemple. Il ne peut s'agir que d'une partie des terres en certains endroits déterminés « ex eo loco in quo ei hos- pitalitas fuerat delegata » (tit. LIV, 1). Voy. encore Saleilles (p. 71). Dès 1836, Fauriel, dans son Histo re de la Gaule méridionale sous la domination des conquérants germains (t. I, p. 142- 143) écrit : « il est probable qu'il ne s'agissait pas des deux tiers du sol cédé pris en masse, mais des deux tiers d'un nombre déterminé de propriétés particulières, sur chacune desquelles une part, ou, comme on disait, un sort. Il s'ensuivrait de là qu'il n'y eut que les terres des classes opulentes ou riches de soumise à cette dure loi de la conquête (sic)» Cette dernière idée est à rejeter. Un des mérites de Gaupp (op. cit., p. 179-181, 192) c'est d'avoir montré contre Savigny (Gesch. d. Rom. Rechts im Mittela ter, t. I, p. 115, 290) que Y hospitalitas ne dérive pas du droit de conquête. Montesquieu (Esprit des lois, 1. XXX, c. 8), à propos des Francs, observe que l'ensemble des terres n'a pu être partagé « probablement parce qu'ils n'étaient pas assez nombreux, pour avoir besoin de le faire. En fait de conquête il ne faut pas parler de modération ».

(*) Cf. Delbrück, t. II, 343. (2) Op. cit. , t. II, p. 337, 348-349. — Gaupp (p. 338-339)

était d'avis qu'on n'avait accordé Γ« hospitalité » qu'aux chefs de famille. Pour Delbrück cette famille est la famille élargie, la Sippe, la Fara.

(8) Loc. cit., 1903, p. 2O4.Cf. H. Brunner, op. cit., t. I, 2e éd., p. 76, note 12.

(*) Voy. note suiv.

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culture? Goths, Bourguignons, Vandales aspirent-ils à être des laboureurs, ou même des soldats-laboureurs?

Répondre par l'affirmative serait soutenir des vues parfaitement invraisemblables. Déracinés depuis longtemps,errants par l'Europe et l'Afrique à la recherche d'une retraite confortable, ces gens n'ont eu, pendant bien des générations, ni le goût, ni même les possibilités, de consacrer leurs bras à l'agriculture. Les fédérés sont des guerriers qui cherchent à se faire entretenir, par les Romains. L'idée de se substituer au misérable colon, ou même au pauvre petit propriétaire, n'a pu venir à l'esprit d'aucun Barbare sensé. Il entend vivre en maître, entretenu par le travail des colons et des serfs romains et non par l'œuvre de ses mains comme les dediticii (2).

Est-ce à dire que tout Bourguignon a reçu en partage un grand domaine, est devenu un gros seigneur? Non, à coup sur. Nul établissement n'a transformé de la sorte une peuplade toute entière, même après une conquête violente — et ce n'est pas le cas, les fédérés n'étant pas, à l'origine, des conquérants.

Cette mesure aurait eu, d'ailleurs, des résultats désastreux pour les Goths, Bourguignons, Vandales. Dispersés parmi la population romaine, beaucoup plus nombreuse, les Barbares auraient rapidement perdu leur langue, leurs mœurs, leurs lois. Ils auraient vite cessé d'être des guerriers à la disposition de leurs rois nationaux (3). Genséric le comprit si bien qu'il

C1) G. Kaufmann (loc. ci1., p. 30-6) se représente-t-il l'hôte germain comme un laboureur qui met la main à la pâte, mais sans déchoir de sa condition de libre ?

Saleilles, (loc. ci ., p. 351, 369, 392) réduit l'hôte bourguignon à la condition d'un petit fermier à part de fruits. Il parle de son petit lot de terre, de son petit centre de culture (p. 95). Cette erreur surprenante découle d'une fausse idée de la fortune du consort romain en qui il voit un simple curiale. Cf. plus haut, p. 989, note 2.Delbriick lui-même imagine (p. 336-340) que, en dehors des membres de l'aristocratie, les Bourguignons se seront contentés de tenures de colons. A mon avis, seuls les affranchis Barbares ont pu se satisfaire d'une pareille condition.

f2) Sur les dediticii voy. Garsonnet, op. cit., p. 467-472. (8) Brunner (I, 77-78), qui repousse les vues de Delbrück

que nous allons exposer, soutient que la population germanique

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DU RÉGIME DE L'HOSPITALITÉ 995

massa tout son peuple dans la Proconsulaire, c'est-à-dire dans le Nord de la Tunisie actuelle, autour de Carthage (*).

Dans la période primitive, alors que les fédérés étaient encore vraiment au service de l'Empire, les inconvénients n'eusent pas été moins éclatants. Comment mobiliser pratiquement cette poussière humaine ?

Les fédérés sont assimilables aux L.tes, aux Gentiles,qui sont des Germains, ou des Iraniens (Sarmates et Alains), transplantés sur le sol romain et qui y vivent en qualité, non de laboureurs, mais de guerriers. Ils ne sont pas dispersés, mais cantonnés en des lieux déterminés où ils demeurent comme une sorte d'armée territoriale, sous la direction des « Préfets des Lètes » (2).

Autre difficulté : les textes où il est fait allusion à « l'hospitalité » ne mettent en face l'un de l'autre qu'un seul Romain et un seul Barbare.

Mais au titre liv de la Lex Burgundionum il est dit : « Ceux qui tiennent de Vager (réserve seigneuriale) ou des colonges partageront la forêt au prorata de ce qu'ils possèdent en terre, étant entendu que le Romain, si on fait des défrichements, en aura la moitié (3).

ne s'est installée nulle part en masse compacte sur le sol romain ; répandus parmi les populations romaines les envahisseurs se sont romanisés. Sans doute, mais au bout d'un temps relativem en ï considérable : deux siècles au moins. Si les Barbares avaient été, dès le début de leur installation, aussi disséminés que semble le croire Brunner, ils auraient été instantanément engloutis dans la population indigène et auraient perdu tou de suite langue, mœurs, usages et coutumes, — et l'on sait qu'il les ont conservés avec une ténacité surprenante.

(*) F. Martroye, Genséric, la conquête vandale en Afrique et la destruction de l'Empire en Occident (1907, p. 327.

(a) Sur les Laeti voy.Lécrivain dans le Die ionnaire des Antiquités de Saglio, t. III, 2e partie, p. 905; — Gaupp, op. cit., p. 182 ; — Garsonnet, op. cit., p. 467-472 ; — C. Jullian (Histoire de la Gaule, t. VIII, 1926, p. 81-85) fait d'eux des soldats-laboureurs, tout en reconnaissant (p. 81, note 4) que le devoir essentiel des Lètes est le service militaire.

(») Cf. plus haut, p. 978, note 2.

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Des Bourguignons ont entrepris de défricher une forêt(1). Le roi, conformément aux pratiques romaines (2), attribue à chacun d'eux une part des « essarts »proportionnelle à son lot de terre arable, et il rappelle que le Romain ayant la moitié de la forêt et de ses produits a droit à la moitié des défrichements.

Ce qui nous intéresse ici c'est de voir que, en face du Romain, il y a plusieurs hôtes Bourguignons sur un seul domaine.

On a tenté de résoudre la contradiction, qui ne peut être qu'ap-, parente, entre ce texte et ceux qui ne parlent de l'hôte barbare qu'au singulier, en supposant que des partages successoraux sont intervenus entre les descendants du premier Bourguignon établi sur le domaine. (3)

Cette opinion n'est pas à rejeter a priori, mais une autre interprétation, d'une portée plus large, a été présentée parH.Del- briick (4). L'hôte Bourguignon n'est pas un simple particulier mais le chef d'une famille étendue,qui comprend non eeulement les gens de sa race, mais ses serviteurs et ses dévoués, une fara, un petit clan (5). C'est aux chefs de ces f aras qu'ont été concédés

(x) Saleilles, p. 90. Selon Ch. Lamprecht (Etudes sur l'état économique de la France pendant la première partie du Moyen age, trad. Marignan, 1889, p. 130, note 3) il s'agit autant de la pratique de l'écobuage que de celle de l'essart, mais la différence importe peu en l'espèce.

(*) Frontin, De controv. agrorum, dans Gromatici veteres, éd. Lachman, t. I, p. 15, 48. Cr. Fustel de Coulanges, L'Alleu, p. 111, note 3.

(·) Gaupp, p. 342. («) Op. cit., t. II, p. 2e p., p. 338, 347-348. (6) Fara est rendu par genealogia. Elle n'est pas seulement un

lien de parenté, elle représente une unité militaire. Voy. Paul Diacre, Hist. Làngob., II, 9 ; et l'Édit. de Rothari, c. 177). Sur les divers sens attribués à ce terme, voy. G. Waitz, Deutsche Verf. Gesch., t. I, 3e éd., p. 81, note 3 ; — H. Brunner, Deutsche Rechtsgesch., t. I, 2e éd., p. 118, note 37. Il est à remarquer que dans le passage cité plus haut (p. 978, note 2), de la lex Burg., faramanni a le sens de « consorts », comme l'a bien vu Wacker- nagel (dans Binding, op. cit., p. 354). De même dans le Code, wisigothique les hôtes Goth et Romain sont dits consortes (éd. Zeumer, p. 3). Ne serait-ce pas que le rédacteur de l'édit royal considère que les liens entre l'hôte barbare et le propriétaire

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DU RÉGIME DE L'HOSPITALITÉ . 997

les deux tiers des « terres » et le tiers des mancipia. Ce sont eux les « hôtes » barbares. Avec cette interprétation tout devient clair. Il n'y a en principe qu'un seul hôte barbare en face du sénateur » romain, mais cet hôte est, lui aussi, un grand seigneur. Le domaine soumis à l'hospitalité ,qui serait trop considérable pour une seule personne, surtout si elle est de condition sociale médiocre, est à la mesure d'un petit clan ou f ara.

On doit admettre que l'hôte Barbare dispose de son lot (sors) à son gré. Lui-même habite avec sa famille et ses serviteurs personnels la demeure rurale (curtis) dont le Romain lui abandonne la moitié (x). Il vit des redevances en argent ou en nature que lui versent, les deux tiers des colongers et du travail du tiers des esclaves romains sur la réserve. Quant aux guerriers, sous ses ordres, il peut, par hypothèse, soit les entretenir à ses frais, soit les cantonner sur une partie de sa sors, par exemple affecter à chacun d'eux, quatre ou cinq colonges (2). Quel que

romain sont si étroits qu'ils forment une même société, presque un même clan ? Le terme f ara s'entendit aussi de l'aristocratie bourguignonne, tant ecclésiastique que laïque. Voy. la Chronique du bourguignon Frédégaire, c. 41.

(*) Cf. plus haut, p. 978. Un passage souvent cité des poésies de Sidoine Apollinaire (Carm., XII) prouve que les Barbares habitaient la même demeure que le propriétaire romain. Sidoine se plaint de ne pouvoir composer pour un ami un chant d'hy- ménée : il est au milieu d'un troupeau de Barbares chevelus parlant le germanique. Il donne des louanges, en gardant son sérieux, au Bourguignon qui chante la bouche pleine, après avoir répandu du beurre rance sur ses cheveux. Ces géants, qui empestent l'ail, ne sont que trop empressés auprès du noble romain : dès le point du jour ils viennent lui faire la cour, lui présenter leurs salutations. — Cette promiscuité désagréable cessa quand l'établissement des Barbares apparut comme définitif. La séparation de logis était opérée quand fut rédigée la lex Burgundio- num. Cela ressort du tit. XXXVIII, .c. 7 : « si in causa privata iter agens ad Burgundionis domum venerit et hospitium petie- rit et ille domum Romani ostenderit etc. »

(2) Delbriick (II, 337) a fait observer que trois ou quatre colons ne sont pas en état d'entretenir une famille de seigneurs ( Herrenfamilie). L'observation est très juste appliquée aux chefs de clan, mais la plupart des hommes libres de l'époque franque,

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998 FERDINAND LOT

soit le procédé dont use l'optimate Barbare, il est certain qu'il a ses hommes sous son œil et sous sa main et qu'il peut les mobiliser rapidement sur l'ordre de son roi. En même temps, le sens de la solidarité se conserve entre Barbares et les empêche de longtemps de se dissoudre dans le milieu romain.

Que le lot du barbare, sa sors, comme on disait (^»fut à l'ori- rigine une possession et non une propriété au sens romain, un dominium, c'est chose certaine (a). Néanmoins, lorsque l'autorité des rois bourguignons ou goths se fut enracinée, lorsqu'il apparut comme évident que les « fédérés » ne quitteraient plus, le pays où ils avaient été cantonnés en qualité d'« hôtes lorsque enfin l'Empire eut disparu en Occident (en 476) et ne fut plus qu'une domination idéale dont le siège, Constantinople, était sans action réelle sur la Gaule, l'occupation fut, par la force même des choses, envisagée comme une véritable propriété.

D'abord la délimitation entre le propriétaire romain et l'hôte barbare fut considérée comme définitive. Une loi gothique, an/igua,remontant à Euric (463-485) établit à ce sujet la prescription de cinquante ans (3). Il est plus que probable qu'il en fut de même chez les Bourguignons.

De bonne heure l'hôte Barbare eut la faculté de transmettre son lot à ses enfants, même de le vendre (4). Il restait au Romain, on l'a vu, en ce dernier cas, un droit de préemption (5). Ce droit,

assujettis au service militaire, n'avaient que 4 manses (Waitz, op . cit., t. IV, p. 567) et il n'y a pas à supposer" qu'ils les cultivaient eux-mêmes.

(x) Le mot sors s'entend déjà d'un fonds de terres chez les Romains (Gaupp, p. 346, note 2 ; Fustel de Coulanges, iVou- veÎles recherches sur quelques problèmes d'histoire, p. 306-313). Dans les passages des lois où il est question de l'hospitalité, sors s'entend du lot du Barbare.

(2) Voy. particulièrement le mémoire de R. Saleilles. (·) Fragment CCLXXVII : « Sortes gothicas et tertias Roma-

norum quae intra L annis non fuerint revocate nullo modo repe- tantur » (Leges »Visigothorum antiquiores, éd. K. Zeumer, p. 3). Disposition reprise par Rekesvinth (ibid., t. X, 1, p. 284).

(·) Lex Burgund., t. LXXVIII ; cf. t. LI et I. («) Voy. p. 987, note 4.

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BÜ REGIME DE L'HOSPITALITE 909

peu gênant pour le Barbare dont il ne limitait pas pratiquement la faculté d'aliéner, a dû tomber en desuétude.Lorsque les Francs eurent détruit, en 507 et 534, les royaumes wisigoth et bourguignon en Gaule, il y avait sans doute beau temps que les sottes des Barbares étaient devenues des propriétés véritables. Certainement, en dépit de toutes les prescriptions des rois (1), elles avaient souvent changé de mains, léguées, données, venduts, tantôt à des Barbares, tantôt à des Romains. L'institution de l'hospitalité n'était sans doute plus qu'un souvenir un siècle après sa première application, du moins en Gaule, et il est significatif que les noms de lieux en Gaule, où l'on peut soupçonner une origine bourguignonne ou wisigothique soient en nombre insignifiant (2).

En Italie, au contraire, le régime de l'hospitalité reprit vigueur et poursuivit ses destinées.

Le coup qui acheva de mettre fin à l'Empire en Occident, en 476, fut porté parla dernière armée « romaine », qui précisément voulut jouir du régime de Γ« hospitalité » en Italie. Cette armée n'était plus composée que des débris de petits peuplades germaniques de la région danubienne. Battus par les Ostrogoths

0) En principe, le lot de l'hôte barbare est inaliénable : il ne peut en disposer que s'il postule en un autre lieu un autfe lot (sors) ou une propriété ; et en ce cas même le consort romain, on vient de le dire, a un droit de préemption.

(2) On s'en rendra compte pour les Goths en examinant le relevé dressé par A. Longnon dans Les Noms de lieux de la France, 2e fasc, 1922, p. 205-206. La liste des noms terminés en -ing rencontrés darts des régions jadis bourguignonnes est, au contraire, assez copieuse (p. 197-202). Mais il convient de remarquer (et Longnon en fait l'aveu, p. 203) que ces noms sont dtts aux envahisseurs alamans, du ve ou vie siècle. Là chose est certaine pour les prétendues localités burgondes des cantons de Fribourg et de Vaud en Suisse et pour celles du DOttÉxs et de la Haute-Sa.ône en France. Pour l'Ain, où le suffixe ligure -incq entre en concurrence avec -ing germanique, la chose est débattue entre Ed, Philipon (Diet, topogr. de l'Ain) eï Loïîgnon (p. 201, note 1). Restent un nom de lieu dans la Côte d'-Ot, et trois en Sadne-et-Loh-e qui peuvent être d'origine bourguignonne. C'est un total misérable. R. B. Ph. H. — 63.

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lOOO PERDiriANO LÖT

en Pannonie, quelques milliers de Skyres, de Rugues, d'Hérules, de Turkilingues, se réfugièrent en Italie vers 470 (*). Depuis la fin du IVe siècle le recrutement des troupes^au service de Rome se faisait chez les Goths, les Vandales, les Huns, les Alains. Ces sources de recrutement étaient pour lors taries(2).Le patrice, Ricimer, qui gouvernait Γ Italie au nom d'empereurs f antô mes prit à la solde de l'Italie ces fugitifs. Soumis au système romain, ceux-ci furent cantonnés chez l'habitant dans la plaine du Pô, surtout entre Milan et Pavie. Les magasins de l'administration militaire,, le service de Vannone, l'intendance, les nourrissaient, les habillaient, les armaient (3). Ges troupes sauvages, mal disciplinées, avides, refusèrent de continuer à vivre de la vie du légionnaire et de l'auxiliaire (4). Elles en vinrent à envier le « fédéré », ostrogoth, wisigoth, bourguignon, vandale, dont la condition leur paraissait supérieure. Elles exigèrent du patrice Oreste, père du jeune empereur Romulus, le partage des terres, c'est-à-dire le régime de l'hospitalité. Oreste refusa. Il fut aussitôt abandonné et tué et, le 25 août 456, le Skyre Odoacre, fut proclamé roi par les « nations » (5).

Aussitôt qu'il eut la force en mains, Odoacre abandonna à ses compagnons d'armes le tiers des terres d'Italie (e).

(!) J. B. Bury, History of the later roman Empire, t. I (1923), Ρ- 412.

(2) Les Wisigoths étaient passés en Gaule en 412, les Huns ne s'engagèrent plus comme mercenaires à partir du moment (441) où Attila s'attaqua à l'Empire d'Orient.

(8) Voy. Gaupp, p. 78-85. (*) II est possible aussi que, traînant avec eux femmes et en

fants, ils aient jugé incommode la vie du soldat régulier. Cependant, celui-ci pouvait être marié depuis le principat de Septime Sévère.

(B) Bury, op. cit., p. 404-407 ; — Gaupp, p. 457 ; — Hodgkin, Italy and her invaders, vol. II, p. 529.

(e) Procope, De bello Get., I, 1 : « τελευτώντες ξύμ- παντας προς αυτούς νείμασθαι τους επί της 'Ιταλίας αγρούς ήξιουν. ων δη το τριτομόριον σφίσι διδόναι τον 'Ορέστην εκέλενον, ταΰ- τα τε ποιήσειν αυτόν ώς ήκιατα δμολογοϋντα ευθύς ϊκτειναν.

(Leur ardeur s'accrut au point de vouloir se partager les terres de toute l'Italie et ils en réclamèrent le tiers à Oreste. Celui-ci ayant rejeté leur demande, ils le tuèrent aussitôt) Cf. p. 1002.

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btr regime de l'hospitalité 10Ö1

C'est également le tiers que Théodoric distribua à ses guerriers quand il eut vaincu et tué Odoacre (493) (2). L'opération fut confiée à un administrateur éprouvé,le préfet du prétoire Libère. Celui-ci s'en acquitta à merveille, s'il en faut croire Théodoric lui-même. Empruntant la plume de Cassiodore (2), le roi écrit au Sénat romain : « II nous plaît de rapporter de quelle manière en assignant les tierces, il a uni les possessions des Goths et des Romains non moins que leurs cœurs. D'habitude le voisinage provoque des froissements entre hommes, et voilà qu'il a réussi à faire naître la concorde de la communauté des biens fonciers ! Vivant en commun, les deux races n'ont qu'un même vouloir. Fait nouveau, digne de toutes les louanges, l'union des propriétaires résulte de la division du sol ! Le préjudice accroit l'amitié ! En abandonnant une portion du domaine on acquiert un défenseur qui assure üentière sécurité de tout. L'une et l'autre partie sont rassemblées en une même loi, dans un ordre équitable. Il est nécessaire de développer une douce affection entre gens qui retiennent continuellement les limites fixées. C'est ainsi que l'État romain doit sa tranquillité à Libère qui a confié a dëïixf nations si illustres la tâche de s'aimer » (3). Chose admirable, l'opération a enrichi le fisc sans porter préjudice aux particu-

(1) Bury, p. 422-426 ; — Hodgkin, vol. III ; — L. M. Hartmann, Gesch. Italiens im Mittelalter, t. I, p. 72-76.

(2) Celui-ci y déploie toutes les ressources d'un art littéraire qui devait émerveiller Théodoric et qui nous parait intolérable.

(») Cassiodorus Senator, Variae, 1. II, n° 16 : « Juvat nos referre quemadmodum in tertiarum deputatione Gothorum Ro- manorumque et possessiones junxit et animos. Nam cum se homines soleant de vicinitate collidere, istis praediorum com- munio causam videtur praestitisse concordiae : sic enim conti- git ut utraque natio dum communiter vivit ad unum velle convenerit. En factum novum et omnino laudabile : gratia do- minorum de cespitis divisione conjuncta est ; amicitiae popuHs, per damna creverunt et parte agri defensor adquisitus est, ut substantiae securitas intégra servaretur. Una lex illos et aequa- bilis disciplina complectitur. Necesse est enim ut inter eos sua- vis crescat affectus qui servant jugiter terminos constitutos. Debet ergo Roniana res publica et memorato Liberio tranquilli- tatem suam, qui nationibus tam praeclaris tradidit studia cari- tatis » (éd. Mommses, Auctores antiquissimi, t. XII, p. 55-56),

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1Ô02 ^ERÖlKANb LOt

liers (x). Ennodius, évêque de Pàvie, répète les mêmes éloges et reprend les mêmes assertions dans une lettre à Libère : « Ces innombrables troupes de Goths, tu les a enrichies par une large distribution de terres et les Romains s'en sont à peine aperçus. » Uns inscription funéraire de Ravenne célèbre enfin les mérites du « patrice » (2).

Théodoric veilla à ce que les Goths, ou même tous lés Barbares cantonnés en Italie, ne se missent pas en possession de leurs sortes sans formalités administratives. L'hôte barbare ne peut occuper sa part qu'en exhibant la pittacia délivrée par un fonctionnaire, le delegator (3).

En dépit de l'assertion que toute l'Italie fut distribuée aux compagnons d'Odoacre (4), il est certain que ceux-ci, et même les Ostrogoths, qui les supplantèrent, n'occupèrent en masse qu'une partie de ce pays. Le Sud et la Sicile ne virent quasi point d'établissement de Barbares. La majorité des troupes d'Odoacre fut concentrée sous Ravenne. Des Ostrogoths furent établis

(x) « Sub generalitatls gratia publica videtur procurasse compendia, censum non addendo sed conservando protendens, dum illa quae consueverant male dispergi bene industria providente collegit. Sensimus auctas illationes, vos addita tributa nescitis Ita utrumque sub ammiratione perfectum est ut et fiscus cresceret et privata utilitas damna nulla perferret » (ibid., p. 55).

(a) Ibid., p. 496. Cf. Gaupp, p. 472 ; — Saleilles, p. 407, (8) Cassiodore, Variae, I, 18 : « Si Romani praedium ex quo,

Deo propitio, Sonti fluenta transmisimus,ubi primum Italiae nos suscepit imperium, ine delegatoris cujusdam pittacio prae- sumptor barbarus occupavit, eum priori domino summota dila- tione restituât. Quod si ante designatum tempus rem videtur ingressus, quoniam praescriptio probatur obviare tricenarii, petitionem jubemus quiescere pulsatoris. » (p. 24). Cette dernière phrase prouve que les Barbares d'Odoacre ont vu consolider leur situation sur leur portion après 506-507, en vertu de la prescription trentenaire. Le passage de l'Isonzo (marquant la limite de l'Italie) par Théoderic, et la première défaite d'Odoacre, se placent le 28 août 489.

(«) Voyez p. 1000, note 6.

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DU RÉGIME DE L'HOSPITALITE 1003

en Samnium, Picenum, Valérie, Toscane, mais le gros demeura en Ligurie, c'est-à-dire, dans la vallée du Pô (x).

Naturellement les Ostrogoths, pas plus que les Wisigoths et les Bourguignons, ne furent pas établis comme fermiers (colons), mais comme propriétaires fonciers (2). Mommsen (3) a cru pouvoir déterminer la grandeur du lot de l'hôte barbare : il serait un jugum ou cap«f,unité fiscale de l'Empire depuis Dioclétien ; les millenarii goths, qui paraissent dans une lettre de Théodoric, seraient les possesseurs d'une millena, équivalent du jugum en Italie (4). Mais il ressort de la lettre invoquée û l'appui de cette conjecture que le millenarius est un Goth et un guerrier ; il y est parlé de la nécessité de récompenser sa belle conduite à la guerre et l'objet delà circulaire est de convoquer les millenarii du Picenum et du Samnium àRavenne pour y recevoir le donativum. Rien absolument n'obligea voir en eux des propriétaires fonciers, ne détenant qu'une millena. Ce sont plutôt des officiers (5).

(*) L. M. Hartmann, op. cit., I, p. 93-96, 127-128. (2) C'est ce qu'a bien vu Hartmann, I, p. 92, 109. (8) Dans le Neues Archiv, t. XIV, p. 499. Il est suivi par Hart

mann (p. 128, note 9). (*) Cf. Revue historique de Droit, année 1925, p. 26. (*) Cassiod., V, 27 : Guduin saioni Theodericus rex. Consuetu-

dine liberalitatis regiae commonemur ut Gothis nostris de- beamus sollemnia dona largiri. Et ideo devotio tua millenarios provinciae Piceni et Samnii sine aliqua dilatione commoneat, ut eos qui annis singulis nostrae mansuetudinis praemia conse- quuntur pro accipiendo donativo ad comitatum faciat incunc- tanter occurrere, quatenus qui bene nobis meriti fuerint majore munificentia gratulentur. Inculpabiliter enim necesse est vivat qui suàm praesentiam novit principibus offerendam : bonos enim laus malos querela comitatur. Decet etiam nos sub hac occasione singulorum facta perquierere, ut nulli possit perire quod fecit in acie. Nam si semper consuetudinarias res expec- tet exercitus virtutem non potest amare neglectus. Trepidus discat ad judicem venire qui se non meminit aliquid audacter egisse ; ut melius possit hostibus violentus insurgere qui nostrae mavult imputationis vulnera declinare » (p. 159).

(e) Voy. Ernst Mayer dans Goetting. gel. Anzeigen, 1903, p. 202 ; cf. F. Dahn, Die Könige der Germanen, t. Ill, p. 143. — Remarquer enfin que l'hypothèse qui identifie le lot du bar-

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1004 FERDINAND LOT

II n'est pas moins erroné d'affirmer que le lot de l'hôte barbare était appelé condama i1). Le terme ne se trouve que dans deux lettres de Théodoric où il est question du passage de Pannonie en Gaule, en traversant la Vénétie et la Ligurie, d'auxiliaires Gépides. Le procédé normal était de faire nourrir les troupes par l'intendance. Pour éviter une distribution de vivres avariés et aussi des contestations avec la population, Je roi attribue aux Gépides trois sous par condama. Grâce à ce subside, les mercenaires pourront payer leur logement et s'acheter des vivres (2).

Trois sous d'or représentent en poids métallique environ 45 francs (or), mais, pour avoir le pouvoir d'achat, il faudrait multiplier cette somme par un coefficient inconnu, mais qui ne

bare à une millena est en contradiction avec les textes qui établissent que l'hôt& a droit au tiers du domaine.

(*) Mommsen, loc. cit., p. 498 et glossaire de l'édition des Variae, p. 529. — Hartmann, t. I, p. 110. — E. Mayér (loc. cit., p. 201) fait observer que, de toutes manières, l'express- sion ne peut s'appliquer exclusivement au lot du Barbare.

(2) Cassiod., V, 10 : « ... delegamus ut multitudinem Gepida- rum quam facimus ad Gallias, custodiae causa, properare, per Venetiam atque Liguriam sub omni facias moderamine tran- sire. Quibus, ne aliqua excedendi praeberetur occasio, per unam- quamque condamam sumptus eis tres solidos largitas nostra direxit, ut illis eum provincialibus nostris non rapiendi votum, sed commercii sit facultas ». Les « possesseurs » sont tenus seulement de remplacer les chariots cassés ou les bêtes de transport fourbues et cela sine aliqua oppressione (p. 149).

La lettre aux Gépides (V, 11) n'est pas moins claire : « fuerat quidem dispositionis nostrae ut vobis iter agentibus annonas juberemus expendi. Sed ne species ipsae aut corruptae aut difficile praeberentur, in auro vobis tres solidos per condamam ele- gimus destinare, ut et mansiones vobis, prout herbarum copia suppetit,possitis eligere, et, quod vobis est aptum magïs, emere debeatis. Nam et possessorem haec.res occurrere facit, si vos necessaria comparare cognoscit. Movete féliciter, ite moderati, tale sit iter vestrum quale decet esse qui laborant pro salute cunctorum » (écrit entre 523 et 526). Ces deux épîtres représentent visiblement des ordres du souverain dictés à Cassiodore et non un exercice littéraire de ce dernier.

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DU RÉGIME DE L'HOSPITALITÉ 1005

peut être inférieur à 3,4,6,10(?)(1). C'est dire que la somme est trop considérable pour être le partage de chaque Gépide. Aussi le condama me paraît désigner ici une subdivision militaire (2). Cette somme de trois sous d'or peut, en effet, défrayer une escouade (de 1 0 hommes ?) pendant la traversée del' Italie du Nord, de l'Isonzo aux Alpes.

Les soldats d'Odoacre, puis de Théodoric (3), peut-être même ceux du lombard Alboin (4) »demandèrent et reçurent le tiers

(x) On trouvera des aperçus hypothétiques à ce sujet dans la Revue historique de droit, année 1925, p. 39-46.

(2) Dans d'autres textes (Du Cange, éd. Favre, t. II, p. 484- 485), condama, conduma, condoma s'entend d'une famille serve ou de son domicile. Il s'agit d'un groupe humain et je ne sais s'il convient de rapprocher comme on fait (E. Mayer, loc. cit., p. 201-202) condama ou condoma de la condamina, qui est le manse dominical, Y indominicatum.

L'interprétation de Hartmann (p. 127, note 4) est que les Ostrogoths cantonnés formeraient une communauté conservant un caractère militaire. Mais la condama est constituée par les Gépides !

(») Voy. p. 1000, note 6. (*) Le mode d'établissement des Lombards ne nous est connu- !

que par quelques lignes de Paul Diacre {De gestis Langobar dorum, II, 32). Klep h, successeur d' Alboin, aurait traité les Romains avec la dernière dureté : « his diebus multi nobilium Romanorum ob cupiditatem interfecti sunt ; reliqui vero per hospites {et non : hostes) divisi, ut tertiam partem suarum frugum Longobardis persolverent, tributarii efficiuntur. Per hos Longobardorum duces septimo anno ab adventu Alboini et totius gentis, spoliatis ecclesiis, sacerdotibus interfectis, civita- tibus subrutis, populisque, qui more segetum excreverant, ex- tinctis, exceptis his regionibus quas Alboin ceperat, Italia ex maxima parte capta et a Longobardis subjugata est ». Mais avec l'avènement d'Authari tout change de face ; plus de violence, plus de vols, plus d'embûches : chacun va tranquillement à ses affaires. Les ducs donnent la moitié de leur subsistance au roi ; puis vient cette phrase : «populi tamen aggravati per Longo- bardos hospites partiuntur » (111,16). A s'en tenir à la lettre, les Romains, même les plus nobles, auraient été ou tués ou réduits à la condition de colons partiaires au tiers de fruits. C'est possible, mais il est également admissible que Paul Diacre, qui écrivait deux siècles après le début de l'invasion lombarde,ait inter-

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10Ô& FERDINAND LOT

des domaines où ils furent cantonnés. Cette proportion a été suggérée par la pratique du logement des gens de guerre ( x), bien connue grâce aux constitutions impériales. Le soldat, 6u let fonctionnaire (a ), qualifié « hôte », muni du billet de logement (pittacium), avait droit au tiers de la maison où il recevait Γ« hospitalité ». Le propriétaire faisait trois parts de sa demeure et retenait l'une d'elles, l'hôte choisissait l'une des deux parts restantes. Les hôtes ayant rang d' « illustres », c'est-à-dire les plus hauts personnages de l'État, avaient droit à la moitié de la maison où ils étaient hospitalisés (3).

Il était interdit d'exiger l'hospitalité dans certaines catégories de bâtiments : palais impériaux, synagogues, ouvroirs, boutiques etc. (4), Étaient dispensés du logement des gens de guerre, les sénateurs, les professeurs, les médecins, les hauts fonctionnai-

prêté à sa manière un texte où il était question de la tertia que le Romain doit à son hôte barbare. En ce cas, l'installation des Lombards se serait opérée par les mêmes procédés que celle des Ostrogoths.

Sur cette question, très controversée, voy.· entre autres : Gaupp» p. 503-515 ; — Hartmann, t. II, p. 41, 52, note 5 ; — E. Mayer, loc. cit., p. 201 ; — Delbrück, t. II, p. 331 ; — Brun- ner, t. I, p. 72, 79 ; Garso net, p. 192-195.

0) L'expression allemande « Einquartirung », commode, n'est pas traduisible en français.

(*) Les « hi qui nobis militant » de la constitution de 398 (voy. note suiv.) ne sont pas seulement les hommes de guerre. La militia s'entend du service de l'État en général. Cf. p. 1008, note 1.

(*) Constitution d'Arcadius et Hono ius de 398 : « In qualibet vel nos ipsi urbe f uerimus vel qui nobis militant commorentur, omni tam mensorum quam etiam hospitum iniquitate summota, duas dominus propriae domus, tertia hospiti deputata, eatenus intrepidus ac securùs possideat portiones, ut in tres domo divisa partes, primam eligendi dominus habet facultatem, secundam hospes quam voluerit exequatur, tertia domino relinquenda (Cbd. Theod., VII, 8, 1. 5).

(*) Cependant les ergasteria peuvent être réquisitionnés si le soldat ne trouve pas d'écurie dans la demeure où il reçoit l'hos- italité.

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DU RÉGIME DE l'HOSPIT ALITÉ 1007

res, etc. mais uniquement pour la demeure où ils habitaient effectivement (2).

Logés, les soldats n'étaient pas nourris par le propriétaire Ils recevaient des bons de vivre (delegatoria) à faire valoir sur les magasins de l'État au service de l'Annone (3).

Le régime de l'hospitalité a servi de modèle, de cadre juridique, aux cantonnements des Barbares fédérés. Au début même du « fédéralisme » les Barbares semblent avoir été traités exactement comme les soldats réguliers : logés chez l'habitant, ils étaient nourris par les magasins publics (4). La première révolte des Wisigoths accueillis dans l'Empire en 376 fut provoquée par la cupidité des fonctionnaires romains qui, au lieu de fournir de vivres les fugitifs,fermèrent les magasins de l'État et leur vendirent très cher des aliments avariés (5). Même en 412, quand les Wisigoths d'Athaulf s'établirent entre Narbonne et Bordeaux ils semblent avoir logé dans les villes. Un passage bien connu de Γ EucharisHcon de Paulin de Pelle nous apprend que celui-ci n'eut pas à se féliciter de n'avoir pas reçu d'hôte barbare à Bordeaux : lorsque Athaulf fit passer ses troupes en Espagne, en 414, les Goths, croyant sans doute partir sans esprit de retour, pillèrent les villes où ils avaient été accueillis pacifiquement (6). Seules quelques maisons ayant des hôtes barbares

(2) Les textes sont rassemblés par Gaupp, p. 90 et Garson- net, p. 182, 189 note 6.

(8) Gaupp, p. 78-85 ; — Garsonnet, p. 172. (4) Athaulf, établi à Narbonne, refuse de rendre Placidie,

parce qu'on ne lui a pas versé les grains promis (τον ορισθέντα σϊτον) selon Olympiodore, c. 21.

(«) Gaupp, p. 172. (e) Les Goths tentèrent alors de mettre la main sur Bazas.

Paulin sauva la ville en détachant des Goths,le roi des Alains (Goar). Celui-ci entra dans Bazas pour la protéger et les assiégeants décampèrent (Eucharisticon, ν 291 et suiv , dans Corpus script, eccles. latin., XVI, p. 289). Les Alains devinrent, ou redevinrent, fédérés et hôtes : « fidem pacis servare parati Romanis, quoquo ipsos sors oblata tulisset » Voy W. Levison, Bischof Germanus von Auxerre dans Neues Archiv, t. XXIX, 1903, p. 135. — Goar et ses hommes durent être cantonnés un instant en Aquitaine. On ne s'explique guère autrement la popularité du nom de Goar dans cette région. Le saint qui fonda, au vi<*

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échappèrent à la dévastation (*). Le successeur d'Athaulf, Wallia s'engagea à nettoyer l'Espagne des Vandales, Alains et Suèves et à rendre Placidie si on lui fournissait 600.000 mesures de blé (2). 11 apparaît donc plutôt comme un condottiere payé en nature que comme un fédéré.

Mais les Wisigoths revinrent en Gaule en 418 et furent établis dans la vallée de la Garonne, de Toulouse à l'Océan (3),région qui passait pour la meilleure partie de la Gaule (4). Cette fois le régime du cantonnement proprement dit fut certainement appliqué ( 5) après un stade d'hospitalité à la romaine ( 6).

Les analogies extérieures, de forme, entre le logement de gens de guerre et des fonctionnaires romains (7) et le régime de Γ« hospitalité », concédé de gré ou de force aux fédérés barbares, ne doivent pas voiler une différence fondamentale. Cantonnés à la campagne, les fédérés cessent d'être une horde errante. Ils prennent racine ;ils deviennent, assez lentement, mais sûrement, une population stable, mêlée à la vie romaine, mais conservant son individualité, ses mœurs, ses lois, ses chefs.

siècle, sur le Rhin un établissement qui a donné la célébrité à ce nom, Goar, était un Aquitain, fils de Georges et de Valérie. Voy. sa Vita dans B. Krusch, Script, rerum Merov., t. IV, p. 405, 411.

(!) Cf. Fustel de Coulanges, L'invasion germanique, p. 426.

(2) Olympiodore : « '0 ôè έτοίμως δέχεται και άποσταλέντος αύτφ σίτον εν μνριάαιν έξήκοντα, απολύεται Πλακίδια. (Fragm. histor. graec, t. IV, p. 64, § 31).

(») Bury, t. I, p. 204. (·) Salvien, De gubern., VII, 2 : « nemini dubium est Aqui-

tanos e Novempopulanos medullam fere omnium Galliarum et über totius fecunditatis habuisse, nec solum fecunditatis sed quae proponi interdum fecunditati soient, jucunditatis, pulcri- tudinis, voluptatis, etc.

(6) Freeman, Western Europe, p. 237. (e) Gaupp, (p. 198-200), tout le premier, a vu qu'il avait existé

une période intermédiaire entre Γ« Einquartirung » à la romaine et le cantonnement définitif.

(') Sous le Bas-Empire,la militiù s'entend du service du prince en général et non pas seulement du service militaire. Voy. Guil- hiermoz, Origine de la Noblesse en France, p. 337.

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Au début du cantonnement il a pu sembler à l'administration romaine que rien d'essentiel n'était changé : au lieu de vivre à la ville, logés chez l'habitant, entretenus par l'administration de Γ« annone », les fédérés au service de l'Empire sont envoyés aux champs ; ils vivent désormais des produits de la terre, fournis par la partie d'un domaine attribué à leurs chefs.

Rien n'empêche en théorie que l'autorité civile romaine subsiste. Sous la direction du préfet du prétoire, les gouverneurs de province, sous celle, des deux ministres de finances, les agent dufisc continueront à juger, à administrer, à percevoir l'impôt (*).

Pas pour longtemps. Dans la région où sont cantonnés les fédérés, ils constituent l'unique force militaire. L'homme tout puissant est le chef barbare, le roi, et à lui seul obéissent les fédérés. Soyons bien assurés que le Goth ou le Bourguignon ne laissa pas longtemps le produit de l'impôt prendre le chemin d'Arles et de Rome, mais qu'il se l'appropria très vite.

Les fonction civiles furent usurpées par lui, confiées à des Romains, mais à sa dévotion (2). Il n'est même jusqu'aux évêques catholiques sur lesquels ces souverains ariens ne prétendirent avoir autorité (3).

Le traité, le foedus, devint une ficti on avec plus moins de rapidité, selon l'habileté ou la puissance des rois germains. Les Vandales en Afrique, sans doute les Suèves en Espagne, s'en affranchirent les premiers (4). Chez les Wisigoths, Théodoric Ier à la lin de son règne, e t Théodoric I l,sont des alliés de Rome beaucoup plus que des fédérés à proprement parler : on traite avec

(1) Fustel de Coulanges (Invasion germanique, p. 432) s'est demandé si le régime ne comportait pas pour le chef barbare la perception des impôts. C'est parfaitement invraisemblable, du moins au début.

(2) Voy. Fauriel, Histoire de la Gaule méridionale sous la domination des conquérants germains, t. I (1836), passim.

(*) Sur les rapports de l'Église et de l'État bourguignon, voy. C. Binding, t. I, p. 134-138. — Pour l'État wisigothique voy. Dahn.

(*) Genséric, au lendemain de l'assassinat de Valentinien II en mars 455. (Martroye, Genséric, 1907. p. 162). De même Rechiaire, roi des Suèves d'Espagne (Lebeau Hist, du Bas-Empire, t. VII, p. 401).

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eux de puissance à puissance^1). Enfin Euric, en 466, rejette le foedus et se conduit ouvertement en prince indépendant (2), tout comme Genséric en Afrique et Rechiaire en Espagne. Seuls les Bourguignons, jusqu'à la fin, ont maintenu la fiction, même lorsque l'Empire se fut réfugié à Constantinople (3). C'est qu'ils sont divisés et faibles, tremblants d'être écrasés par leurs voisins, Wisigoths, Francs, Ostrogoths, Alamans.

Si gênant qu'il ait pu être dans la pratique et en dépit des abus que les édits et les lettres tentent de voiler, (4), le régi-

0) La chose se voit dès 451, lorsqu'il s'agit de lutter contre Attila, Aetius lui-même traite avec le roi de Toulouse de puis sance à puissance.

(a) Georges Yver, Euric,roi des Wisigoths (466-485) dans Etudes d'histoire du moyen age dédiées à Gabriel Monod, p. 11-46

(8) Fustel de Coulanges, L'Invasion germanique, p. 452- 459.

(·) Quand Grégoire de Tours,parlant de Gondebaud, nous dit (II, 24) :« Burgundionibus leges mitiores instituitne Romanis obpraemerent », il prouve que les Romains n'avaient pas toujours à se louer des Bourguignons.

Il est même un peuple, tout à fait sauvage celui-là,qui ne put s'accommoder du régime de l'hospitalité, c'est celui des Alains. En 440 on en avait cantonné dans les parties dévastées du Va- lentinois, un corps commandé par Sambida : « Déserta Valen-, tinae urbis rura Alanis, quibus Sambida praeerat, partienda tra- duntur » (Chron. Gai . dans Mon. Germ., Chronica minora, t. I p. 660). Un autre corps, sous Goar probablement,- obtint d' Aetius, deux ans après (442), à la charge de les partager avec les indigènes, des terres dans la Gaule ultérieure (sur la Loire?). Mais ayant expulsé de force les propriétaires, ces Alains se rendirent maîtres du tout : « Alani, quibus terrae Galliae ulterioris cum incolis dividendae a patricio Aetio traditae fuerant, resïs- tentes armis subigunt et, expulsis dominis, te rae possessionem vi adipiseuntur » (ibid., 617). Sur cet épisode voy. W. Levison dans Neues Archiv, t. XXIX, 1903, p. 136. La suite est ignorée. Les Alains, trop barbares, ne firent pas d'établissement durable. Une partie alla se faire tuer en Italie, près de Bergame, en 464 (Hodgkin, Italy and her invaders, II, 439) ; le reste se fondit avec la population de la Gaule, notamment avec les* Bretons de la Basse-Loire auxquels ils transmirent leur nom ethnique, AZàzn,comme sobriquet. Sur les quelques localités de Gaule, nommées Alagnef Alaine, voy. Longon, op. cit., p. 133.

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DÛ RÉGIME DE l'hOSPI'Î ALITE 1011

me de l'hospitalité n'a pas été une mesure malfaisante, loin de là. Depuis la mort de Théodose et surtout celle de Stilichon, il était évident que la Romania ne pourrait plus en Occident éliminer le virus barbare qui s'était glissé en elle. Le monde barbare et le monde romain étaient destinés à se pénétrer. La pratique, la fiction, si l'on veut, de Γ« hospitalité » évita aux populations civilisées les horreurs d'une conquête brutale. Elle ménagea la transition, elle prépara le rapprochement nécessaire entre le Barbare, maître de la force, mais inculte, et le Romain, désarmé, mais détenteur de la civilisation antique sous sa double forme païenne et chrétienne.

Ferdinand Lot.