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L'épouse du cheikhTeresa SouthwickHarlequin (2007)

Etiquettes: Romance

Pour éviter à sa s ur jumelle d avoir à honorer la promesse de mariage faite jadis en son nom à Malik Hourani, prince du lointain royaume de Bha'khar, Beth court le risque inouï de sefaire passer pour elle auprès du souverain, juste le temps de le convaincre de renoncer à cette union... Hélas, son stratagème ne tarde pas à se retourner contre elle car bientôt, elletombe amoureuse du fiancé de sa soeur qui, loin du macho tyrannique que celle-ci lui avait décrit, se révèle un compagnon attentionné, au charme mystérieux... Dès lors, Beth doit faireface à un choix impossible : avouer son mensonge à Malik, et le perdre à jamais, ou ne rien lui révéler et risquer de voir le seul homme qu'elle ait jamais aimé épouser sa jumelle...

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L’épouse du cheikh

TERESA SOUTHWICK

COLLECTION HORIZON

éditions Harlequin

Si vous achetez ce livre privé de tout ou partie de sa couverture, nous vous signalons qu’il est en vente irrégulière. Il est considéré comme« invendu » et l’éditeur comme l’auteur n’ont reçu aucun paiement pour ce livre « détérioré ».

Cet ouvrage a été publié en langue anglaisesous le titre :

THE SHEIKH’S CONTRACT BRIDE

Traduction française deMARIE-CHRISTINE DERMANIAN

HARLEQUIN®est une marque déposée du Groupe Harlequin

et Horizon® est une marque déposée d’Harlequin S.A.

Toute représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 etsuivants du Code pénal.

© 2007, Teresa Ann Southwick. © 2008, Traduction française : Harlequin S.A.83-85, boulevard Vincent-Auriol, 75013 PARIS – Tél. : 01 42 16 63 63 Service

Lectrices – Tél. : 01 45 82 47 47ISBN 978-2-2808-4623-3 – ISSN 0993-4456

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1.

Puisqu’elle se dirigeait tout droit vers l’enfer, pourquoi ne pas faire demi-tour ? se demanda Beth dans un accès d’humour noir.Pourtant Alina Bethia Farrah, alias Beth, savait que le meilleur moyen d’échapper au purgatoire consistait à dire la vérité. Il lui était certes

déjà arrivé de dévier de cette ligne de conduite. Jamais à ce point, cependant. Endosser l’identité de sa sœur jumelle était une faute grave.Surtout lorsqu’il s’agissait d’affronter Son Altesse Royale, Malik Hourani, prince du royaume de Bha’Khar.Beth n’avait jamais pu compter que sur sa sœur, le seul être au monde qui l’ait jamais aimée. Refuser de lui venir en aide lui aurait paru tout

simplement impossible. Inimaginable.A présent pourtant, tandis qu’elle attendait l’arrivée du prince héritier dans la suite du palais, elle s’interrogeait sur la pertinence de cette

décision. La témérité qui l’avait incitée à accepter commençait à s’émousser.Fixant ses bagages alignés côte à côte sur le sol de marbre fin, Beth se mordilla les lèvres. Dans son appartement de Los Angeles, cette

supercherie lui était apparue comme un acte empreint de noblesse. Mais en ce moment même, sa démarche lui semblait plus proche de lafolie…

Elle s’apprêtait à jouer le rôle de future épouse du cheikh, rôle qui avait été attribué à sa sœur dès sa naissance, et dont celle-ci ne voulaitpas. Addie, son aînée de deux minutes, avait été fiancée au prince héritier par son père, ambassadeur de Bha’Khar aux Etats-Unis.

A présent, Addie se trouvait donc confrontée à un cruel dilemme : soit elle épousait un homme qu’elle n’avait jamais vu, soit elle risquaitd’être reniée par un père qu’elle adorait. Or aucune de ces éventualités ne l’enchantait. D’autant qu’elle venait de rencontrer quelqu’un qui luiplaisait beaucoup – et qu’elle considérait déjà comme l’homme de sa vie.

Addie, qui avait atteint depuis quelques années l’âge adulte, s’était prise à espérer que le prince héritier ait tout oublié de ces fiançailles.Jusqu’au jour où, un mois à peine plus tôt, il s’était manifesté et avait exprimé son désir de voir aboutir ce projet de mariage.

C’était à ce moment-là qu’avait germé en elle cette idée. Ce n’était pas la première fois que les deux sœurs échangeaient leurs identités, àvrai dire. Beth, qui n’avait pas coutume de mâcher ses mots, était souvent intervenue en faveur d’Addie. Cette dernière étant la plus effacéedes deux, Beth avait plus d’une fois volé à son secours en se faisant passer pour elle.

Il ne s’agissait cependant pas, cette fois, d’une affaire de lampe cassée ou de brocolis laissés au bord de l’assiette. Car leur secret pourraitavoir des répercussions internationales…

Beth n’aimait pas les secrets. Mais elle aimait moins encore la situation de sa sœur. Elle avait elle-même rencontré quelque tempsauparavant un homme issu d’un milieu semblable à celui du cheikh, pour qui il était apparemment normal d’être marié et d’avoir une vieamoureuse parallèle. Il s’y sentait autorisé, puisqu’il appartenait aux grands de ce monde.

Or sa sœur était désormais fiancée à l’un des hommes les plus puissants de la planète, et Beth ne pouvait qu’imaginer les prétendues règlesselon lesquelles vivait le prince Hourani.

Ce mariage de convenance était une erreur monumentale. Beth allait faire en sorte de libérer sa sœur d’une parole qu’elle n’avait jamaisdonnée.

Elle soupira. En ce moment même, elle attendait le prince héritier dans les appartements destinés à sa fiancée jusqu’au mariage. Nerveuse,elle allait et venait dans la suite spacieuse et lumineuse, sans prêter grande attention aux objets d’art qui la décoraient.

Des portes-fenêtres donnaient sur un balcon surplombant la mer. Lorsqu’elle les ouvrit, un vent léger s’engouffra dans les voilages. Les yeuxmi-clos, elle huma les senteurs marines tout en appréciant la fraîcheur de la brise sur ses joues brûlantes.

Puis elle souleva les paupières et serra les poings, résolue à mener à bien cette mission. Elles étaient, sa sœur et elle, interchangeables.Personne, pas même leur père, ne réussissait à les distinguer l’une de l’autre. Il n’y avait donc aucun risque pour qu’un étranger y parvienne.

Bien qu’elle s’y attendît, les deux coups frappés à la porte de la suite la firent sursauter. Peut-être justement, réagissait-elle ainsi parcequ’elle s’y attendait…

Après avoir lâché un long soupir, elle traversa la pièce pour ouvrir. Et elle resta figée sur place, à regarder l’homme qui se tenait devant elle.Il était grand, brun… superbe.

Au prix d’un effort, elle réussit à sourire et à articuler un « bonjour ».– Je suis Malik Hourani, déclara-t-il, s’inclinant à peine devant elle, en un salut respectueux mais non obséquieux.– Le prince ?– Lui-même.– Enchantée. Comment allez-vous ?Ses yeux de jais reflétaient l’approbation.– Très bien, merci. Je regrette de ne pas avoir pu me libérer pour vous accueillir à votre descente d’avion. J’aurais voulu être là à votre

arrivée.– Ce n’est pas très grave.Elle avait en fait été soulagée de ne pas le voir au pied du jet privé.– On m’a prévenue que vous étiez retenu pour affaires jusqu’à ce soir.– La réunion s’est déroulée bien mieux que je ne l’espérais et a donc terminé assez tôt, ce dont je me réjouis car j’avais hâte de vous

rencontrer. Bienvenue à Bha’Khar, Adina Farrah.« Première étape franchie… », se dit-elle.

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Le cheikh l’avait aussitôt prise pour Addie.Beth sentit son cœur cogner dans sa poitrine.Tout allait se jouer maintenant. Le prince se tenait en face d’elle. Un prince bien plus séduisant qu’elle ne l’avait imaginé.Son costume bleu marine, signé sans doute d’un grand couturier, mettait en valeur un corps long, que l’on devinait tout en muscles. Les

traits de son visage étaient bien dessinés : des pommettes hautes, un nez droit, une mâchoire carrée. Mais ce fut sa bouche qui retint l’attentionde la jeune femme.

Beth se surprit à ne pas pouvoir détacher le regard de ces lèvres charnues, sensuelles. Les images qui jaillirent soudain en elle la surprirentdavantage encore. Il ne lui avait pas fallu plus de quelques secondes pour s’imaginer dans les bras de cet homme, en train de l’embrasser…

Elle s’éclaircit la voix.– Presque personne ne m’appelle Adina.– Ah ? Pour quelle raison ?Très bonne question. D’autant qu’elle allait pouvoir y répondre sans mentir.– On m’appelle Beth, qui est le diminutif de Bethia.– Et pourquoi ? insista-t-il.– C’est mon deuxième prénom. Mes parents n’ont pas beaucoup réfléchi quand ils ont décidé de nous appeler ma sœur et moi

respectivement Adina et Alina, conclut-elle avec un haussement d’épaules.– Vous êtes jumelles, n’est-ce pas, me semble-t-il ?– Oui.Son cœur se mit de nouveau à battre très fort. Allait-il maintenant deviner sa supercherie ? Il y avait pourtant peu de risques pour qu’il

soupçonne quoi que ce soit.– Vous imaginez la confusion, avec des prénoms presque identiques…, enchaîna-t-elle. Voilà pourquoi je suis devenue Beth.« Parfait. Essaie de t’éloigner le moins possible de la vérité. Tu éviteras ainsi tout risque de bévue. »– Vous souhaitez donc qu’on vous appelle Beth ici aussi ?Comme elle acquiesçait, il lui sourit.– Très bien. Vous serez donc Beth.– Merci, Votre Altesse.– S’il vous plaît, appelez-moi Malik. Je voudrais que vous vous sentiez à l’aise dans ce palais, dans ma famille.Il avait donc remarqué sa fébrilité. Par chance, il avait attribué cette nervosité aux circonstances.– En qualité de fille d’ambassadeur, j’ai été familiarisée dès mon plus jeune âge avec un certain protocole. Il n’est pas pour moi très facile de

me défaire de ces habitudes, solidement ancrées.– Je comprends bien. Il arrive qu’on m’appelle Votre Altesse, ou bien sire… ou encore qu’on m’affuble de certains noms d’oiseau que mon

éducation m’empêche de répéter devant une dame !Il sourit soudain, montrant une rangée de dents d’un blanc éclatant, qui contrastait avec sa peau hâlée.– Mais en privé, j’aime autant qu’on utilise tout simplement mon prénom.Beth sourit à son tour, cherchant à se détendre. Était-ce un effet de son imagination, ou la voix du prince s’était-elle faite plus basse, plus

suggestive, lorsqu’il avait prononcé le mot « privé » ? Était-ce aussi un effet de son imagination, ou la température venait-elle de grimper dequelques degrés dans la suite ?

– Bien. Ce sera donc Malik… C’est pour moi un plaisir de faire enfin votre connaissance, Malik.– Tout le plaisir est pour moi, Beth.Elle prit la main qu’il lui tendait. Il avait une poigne ferme, celle d’un homme habitué à diriger, mais son regard sombre et presque caressant

démentait ce message. De curieux petits picotements remontèrent le long du bras de Beth, gagnèrent sa gorge, sa nuque.– Bon, voilà… Les présentations sont faites, balbutia-t-elle, pressée de lui lâcher la main.Elle avait brusquement l’impression d’être privée de ses moyens, comme si le simple fait de toucher cet homme avait empêché ses neurones

de fonctionner normalement.D’un geste du menton, il désigna le grand salon devant lequel elle se tenait.– Pourquoi ne pas nous asseoir et prendre le temps de bavarder un peu ?Beth recula et se tourna vers le salon en question, avant de se diriger vers le fauteuil le plus proche. Elle se réjouissait de pouvoir s’asseoir

même si, elle le savait, cette position plus confortable ne diminuerait en rien la tension que lui procurait ce premier entretien avec le prince. Unetension davantage liée à la présence de l’homme lui-même qu’au motif de sa visite au royaume de Bha’Khar.

Elle s’enfonça dans le siège tapissé de soie vert bronze et attendit. Pas longtemps.– Je voudrais que vous me parliez de vous, Beth…S’agissait-il d’un ordre ? Ce fut le ton impérieux sur lequel il s’était adressé à elle qu’elle retint, plutôt que le message en lui-même.– Ne savez-vous déjà pas tout à mon sujet, puisque nous sommes fiancés ?Installé en face de la jeune femme, Malik ouvrit le veston de son costume, révélant une chemise bleu ciel boutonnée sur un ventre extra plat.– Il y a forcément une foule d’informations qui m’ont échappé. Je sais que vous avez grandi aux Etats-Unis, puis que vous avez fréquenté

une pension en Suisse avant d’entamer des études de lettres et d’histoire de l’art en Angleterre. Je sais également que nous avons été fiancésl’un à l’autre parce que votre père est un ami du mien, et aussi l’ambassadeur en lequel il a le plus confiance. Avant toute chose, comment seporte votre père ?

– Bien, je vous remercie.

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Du moins était-ce le cas la dernière fois qu’elle l’avait vu, ce qui remontait à un certain temps.– Je m’en réjouis. Nous nous connaissons peu, mais, lors de notre dernière rencontre, il m’a parlé de vous en termes très élogieux. Tout en

ne me fournissant que des détails…La jeune femme se raidit. Des détails ! Voilà ce qui risquait de la perdre. Cette situation lui plaisait décidément de moins en moins. Elle fut

tentée de révéler sur-le-champ toute la vérité à Malik, mais décida d’attendre encore un peu.– Je ne sais pas trop par où commencer…, dit-elle après s’être éclairci la voix.Et cette fois, elle ne mentait pas. Il la fixait toujours lorsqu’il reprit :– Pourquoi ne pas agir comme si le hasard vous avait placée sur mon chemin ? suggéra-t-il. Prenons le temps de nous découvrir

mutuellement. J’aime les surprises.Beth réprima une grimace. S’il aimait les surprises, il serait bientôt comblé…Changer d’identité avec sa sœur était beaucoup plus simple quand elles étaient encore enfants. Elles portaient alors les mêmes tenues et

étaient coiffées de façon identique, ce qui leur facilitait la tâche.Après le baccalauréat, elles avaient toutes deux suivi des études. Aujourd’hui, Beth était devenue enseignante, alors que sa sœur organisait

de grands dîners mondains.– Eh bien, préparez-vous à être surpris…, murmura-t-elle.Elle devait néanmoins continuer à jouer le jeu. Si elle mettait tout de suite un terme à cette mise en scène, Addie en serait lourdement

pénalisée.Mieux valait s’en tenir au plan qu’elles avaient échafaudé et, surtout, s’écarter le moins possible de la vérité.– Je suis professeur, déclara-t-elle en croisant les mains. J’enseigne la littérature anglaise dans un lycée.Et voilà comment elle passait ses vacances d’été… A jouer les futures reines de Bha’Khar !– Je l’ignorais. Vous avez donc un métier ?– Oui.– Un métier qui vous plaît ?Son visage reflétait un intérêt réel. Il ne lui posait apparemment pas ces questions dans le but de la piéger. De toute évidence, il ne se doutait

de rien.Cette fois encore, Beth répondit par l’affirmative.– Aimez-vous aussi les enfants ?– Mes élèves sont de grands enfants, lui répondit-elle avec un sourire. Je m’entends bien avec eux, et je crois pouvoir dire, de façon plus

générale, que j’aime les enfants. Pourquoi me posez-vous la question ?– Parce qu’on attend de moi que je donne un héritier au trône.– Dans ce cas, portez cet enfant pendant neuf mois et élevez-le vous-même !Ces mots avaient franchi spontanément ses lèvres. Jamais sa sœur n’aurait réagi ainsi.Le prince l’observait toujours. Ses sourcils s’étaient arqués, formant deux accents circonflexes parfaits.– Comment dois-je interpréter votre réaction ? S’agit-il de votre part d’un refus catégorique de maternité ?– Non. Un jour peut-être, répliqua-t-elle, évasive.Elle doutait toutefois que cela se produise. Un enfant était le fruit de l’amour, et elle n’était pas certaine de connaître un jour l’amour.– Pensez-vous que votre activité vous manquera beaucoup, quand nous serons mariés ?Voilà qui avait le mérite d’être clair : il attendait d’elle qu’elle consacre tout son temps à son rôle d’épouse – et de mère. Rôle pour lequel sa

sœur avait été formée. Pas elle. Elle avait travaillé dur pour obtenir ses diplômes, et prenait beaucoup de plaisir à enseigner.– Je dois être honnête…– Je n’en attends pas moins de vous, Beth.– J’aime mon métier. Le quitter ne me serait pas facile.Songeur, Malik posa les bras sur les accoudoirs.– C’est un pont que nous franchirons le moment venu.Elle reconnaissait là le langage d’un habile politicien. Traduction : « Nous ferons comme bon me semble, et tant pis si tu en as le cœur brisé. »La femme qu’il épouserait devrait se plier à sa volonté. Grâce au ciel, Beth n’était pas cette femme-là.– D’accord, dit-elle néanmoins, puisqu’elle était censée se montrer conciliante.– Que pensez-vous de Bha’Khar ?– Je n’en ai pas vu grand-chose, pour le moment. Mais je me rappelle certaines promenades au marché, quand j’étais enfant. Ma mère avait

l’habitude de…Soudain, elle fut assaillie par des souvenirs vivaces de couleurs, d’odeurs, de bruits. Elle eut l’impression de sentir la main de sa mère qui

serrait la sienne, de retrouver la merveilleuse sensation de sécurité que lui apportait ce contact.Le moment fut bref. Elle fut aussitôt happée de nouveau par le vide intérieur qui s’était installé en elle depuis le jour où sa mère les avait

abandonnées, Addie et elle. Jour à partir duquel elles avaient été élevées par un père sévère et autoritaire.Le scandale causé par ce départ, le chagrin lié à cet abandon avaient dévasté Beth. Plus fragile qu’elle, sa jumelle avait été plus affectée

encore par ce terrible événement.– Que vous arrive-t-il, Beth ?Elle cligna des paupières et secoua la tête.

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– Oh, rien… Rien du tout.La crampe qui lui nouait l’estomac démentait ces propos, mais l’heure ne se prêtait pas à ce genre de confidence. Elle voulait profiter de son

séjour à Bha’Khar pour voir sa mère et lui dire ce qu’elle pensait d’une femme capable de se comporter avec ses enfants comme elle l’avait fait.Elle profiterait de l’occasion pour lui poser la question qui lui tenait à cœur depuis tout ce temps : quel motif avait bien pu la pousser à agirainsi ?

Mais pour l’heure, c’était Malik qui dirigeait les opérations et les posait, ces questions. A elle maintenant d’entrer en scène et de l’interroger.Non pas pour satisfaire sa propre curiosité, mais pour être en mesure de fournir à Addie quelques informations sur son fiancé. Informationsqu’elle pourrait ensuite utiliser pour se soustraire à ce mariage de raison.

– A vous de me parler de vous, déclara-t-elle avec un sourire un peu tendu.Il réfléchit et se redressa dans le fauteuil.– Je serai bientôt couronné roi de Bha’Khar. Depuis la naissance, j’ai été préparé à monter sur ce trône pour diriger mon pays et assurer à

son peuple sécurité et prospérité. Mon père a été pour moi un excellent exemple. Il y a maintenant un certain nombre d’années qu’il me met audéfi de le surpasser, ce qui n’est pas facile, mais que je m’efforce de faire.

– Quelles études avez-vous suivies pour vous préparer à occuper ce poste ?Sitôt la question posée, elle la regretta. Il lui aurait suffi de consulter la presse ou certains sites pour connaître la réponse. Il ne lui restait

plus qu’à espérer qu’il ne soit pas vexé de ce manque d’intérêt manifeste…– J’ai fréquenté Wharton School, l’une des plus prestigieuses écoles de commerce, politique et gestion des Etats-Unis, et j’ai obtenu un

mastère dans ces différentes matières.Non content d’être séduisant, cultivé et raffiné, il était aussi brillant. Malik Hourani avait décidément tout du prince charmant !– Et quelles sont vos intentions à l’égard de ma…Elle s’interrompit pour toussoter et enchaîna :– A mon égard. Je veux dire… qu’attendez-vous d’une épouse ?– Cette conversation prend l’allure d’un entretien d’embauche, observa-t-il, ironique.– Vraiment ? Vous est-il déjà arrivé de passer ce genre d’épreuve ?– Pourquoi me posez-vous la question ?Beth haussa les épaules.– Dans la mesure où vous êtes depuis toujours destiné à monter sur le trône de Bha’Khar, je doute que vous ayez dû un jour postuler pour

un emploi.– Vous avez raison. Personne ne m’a fait passer d’entretien d’embauche pour occuper ce poste. Le prince héritier est soumis à un autre type

d’examen : on attend de lui qu’il donne le meilleur de lui-même. Et ce, tout le temps.– Doit-il aussi donner le meilleur de lui-même en qualité de mari ? Et son épouse, est-elle censée donner le meilleur d’elle-même ?Il se frotta le menton, pensif.– J’avoue ne pas m’être penché sur la question.– Le temps passe, Votre Altesse. Il va peut-être falloir y réfléchir.La voix de la jeune femme, soudain plus aiguë, trahissait une certaine nervosité. Nervosité qu’il avait déjà perçue lorsqu’elle lui avait serré la

main et qui transparaissait maintenant aussi sur ses traits. Il avait l’impression que son regard, d’un brun clair, presque mordoré, s’était faitfuyant.

Venant d’une autre qu’elle, il aurait vu en ces signes les preuves d’un plan caché. Sa malheureuse expérience avec une femme qui l’avaittrompé, s’était ri de lui, l’avait marqué. Chez Beth cependant, cette anxiété s’expliquait. Cette première rencontre avec son fiancé suffisaitamplement à justifier une telle appréhension.

A vrai dire, il se sentait lui aussi plus nerveux qu’il ne l’aurait imaginé. Jusque-là, il n’avait vu que quelques clichés de celle qui lui étaitdestinée. La beauté n’était pas essentielle, pour le rôle qu’elle aurait à jouer. On attendait surtout de la future reine des qualités de cœur tellesque bonté, intégrité, générosité.

Il avait néanmoins été aussitôt séduit par le physique de la jeune femme. Il aimait cette masse de cheveux bruns et luisants qui caressait sesdélicates épaules. Il aimait aussi les rondeurs de sa poitrine, discrètement mise en valeur par la fine soie écrue de son chemisier. Ainsi quel’élégance de son port de tête, la grâce de ses gestes.

Il aimait encore cette force qui vibrait en elle, et qui ne transparaissait pas sur les photos que lui avait montrées son père l’ambassadeur.Bien sûr, ces clichés ne pouvaient en aucun cas représenter le personnage en trois dimensions, ni traduire la chaleur qui émanait de tout sonêtre, pas plus que l’éclat lumineux qui traversait parfois ses prunelles.

– Avez-vous l’impression que tout va trop vite ? lui demanda-t-il. Je ne voudrais pas vous bousculer…– J’ai toujours su que ce mariage aurait lieu.A la voir, à l’entendre, on aurait dit qu’elle choisissait soigneusement ses mots.– Mais aucune date n’a jamais été fixée, conclut-elle.De son propre fait, Malik en était conscient. Il s’était épris d’une femme qui n’était pas celle qu’il croyait. Son erreur de jugement avait

presque été rendue publique, et il avait dû en informer le roi.Cet incident l’avait gêné, tant au plan personnel que professionnel, et avait profondément déçu son père. Le manque de discernement dont il

avait témoigné avait semé le doute sur ses capacités à faire un bon chef d’Etat.Suite à cette mésaventure, Malik avait évité toute relation amoureuse. Il se serait volontiers installé à tout jamais dans cette situation, mais

cela relevait de l’impossible. Son sens du devoir le lui interdisait. Certaines fonctions, et non des moindres, l’attendaient.– Mon père a exprimé le souhait de céder sa place sur le trône dans des délais assez brefs. Il souhaite donc que je sois rapidement en mesure

de lui succéder.

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– Je vois.Assise maintenant sur le bord du fauteuil, Beth lissa d’un geste machinal le coton marron glacé de son pantalon.– Vous pourriez toutefois être couronné et diriger le pays sans vous marier… n’est-ce pas ?– En effet. Mais comme je vous le disais tout à l’heure, il est de mon devoir d’assurer ma succession. Ce qui implique un enfant légitime, et

donc un mariage.Un élément que le roi avait pointé du doigt lorsque Malik avait tenté de retarder l’inéluctable. Son père avait aussi souligné que le mariage

apportait à un homme stabilité et dignité, non négligeables pour un souverain.Il avait par ailleurs insisté sur le fait que sa future épouse avait été choisie selon des critères clignes de confiance. Issue d’un milieu

semblable au sien, cette fiancée avait appris à obéir et à placer son devoir de patriote avant ses intérêts personnels. Il y avait donc peu derisque, avait décrété son père, pour que cette union aboutisse à un autre regrettable incident.

– Je ne saisis toujours pas très bien cette brusque hâte.– En dehors du fait que mon père désire prendre sa retraite ? Il est tout simplement temps d’accomplir nos destins respectifs, et le vôtre est

de devenir reine de Bha’Khar.– Oh !Un éclair de panique avait traversé son regard.– Je ne comprends pas bien votre réaction. Vous avez pourtant toujours su ce qui vous attendait, n’est-ce pas ?– Bien sûr, mais il y a un gouffre entre le virtuel et le réel. C’est un peu comme de se savoir condamné sans monter à l’échafaud…Beth se mordit la lèvre, très embarrassée par le choix de sa métaphore.– Je suis désolée, s’empressa-t-elle d’ajouter.– Puis-je vous poser une question ?– Est-ce bien nécessaire ? fit-elle avec un sourire penaud.– J’en ai peur.Il souriait cependant lorsqu’il reprit :– En qualité de fille d’ambassadeur, on vous a inculqué, j’imagine, certains principes. Selon le protocole en vigueur, je doute qu’il soit

politiquement correct de comparer le mariage avec un prince à une condamnation à mort…Redressant le menton, Beth chercha son regard.– Me permettez-vous de vous poser une question à mon tour ?– Bien sûr.Elle s’était levée, et fit quelques pas dans la pièce avant de revenir vers le fauteuil où était assis le prince.– Cela ne vous ennuie pas qu’« on » choisisse votre épouse à votre place ? Comme une cravate, ou une paire de chaussures…Malik, qui s’était lui levé aussi, lui sourit.– La comparaison me semble cette fois encore déplacée. Je ne vous considère pas comme une cravate ou comme une paire de chaussures.– Je pense que vous avez compris le sens de ma question. Supposons que nous ne nous entendions pas bien. Que nos avis soient divergents

sur des points essentiels. Que nous n’ayons pas envie de rire des mêmes choses. Que…Il tendit alors la main pour interrompre la jeune femme.– En clair, vous émettez des réserves à l’égard de ces fiançailles ?– Oui, lui répondit-elle sans la moindre hésitation. Pas vous ?– Non.Elle avait été choisie et élevée pour devenir reine. Ensemble, ils renforceraient l’image de ce pays sur la scène internationale. Voilà tout ce

qu’il avait besoin de savoir.Il nota au passage qu’elle n’avait pas abordé le sujet considéré comme crucial à la veille d’un mariage.– Je ne vous ai pas entendue prononcer le mot amour…Elle pinça les lèvres.– Je ne crois pas que ce sentiment soit à la hauteur de tout ce qui a été dit et écrit en son nom.Sitôt ces mots prononcés, elle s’éloigna de lui pour faire de nouveau quelques pas dans le vaste salon.– Je suis de votre avis, déclara-t-il, néanmoins intrigué par la position de la jeune femme.– Tant mieux.– Vous voyez bien : nous sommes déjà d’accord sur ce point !– Le thème de l’amour n’est pas le seul, objecta-t-elle. Nous pouvons vous et moi avoir des opinions divergentes sur bien d’autres sujets.– Absolument. Cette fois encore, je partage votre avis. Mais quand nous serons mariés, nous aurons toute la vie devant nous pour venir à

bout de ces désaccords.Beth darda son regard sur lui.– C’est là que le bât blesse, justement. D’habitude, un homme et une femme s’efforcent, avant le mariage, de savoir s’ils sont faits l’un pour

l’autre.– Pas dans les familles royales.– J’avais cru le remarquer ! ironisa-t-elle.– Votre père est-il au courant de vos réticences, Beth ? Lui en avez-vous parlé ?

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Elle détourna le regard.– Mon père n’est pas ce qu’on appelle un homme de dialogue. Il a plutôt tendance à donner des ordres.– Si vous n’acceptez pas cet usage, pourquoi avoir parcouru tout ce chemin ?– Il se trouve que…Son regard était franc et direct lorsqu’elle ajouta :– … je suis venue jusqu’ici pour vous dissuader de m’épouser.

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2.

– Vous avez traversé la moitié du monde pour contester le bien-fondé de cette tradition propre à mon pays ?La jeune femme cligna des paupières.Elle avait entrepris ce voyage parce que sa sœur l’en avait suppliée. Addie souhaitait disposer d’un peu de temps pour trouver un moyen

d’annoncer à son père cette rupture, sans que cela ait des répercussions dramatiques sur leurs rapports. Elle tenait à préserver cette relationavec leur unique parent.

Beth, elle, n’était pas aussi docile. Elle disait en général ce qu’elle avait sur le cœur, ce qui lui avait d’ailleurs valu quelques discussionshouleuses avec monsieur l’Ambassadeur.

Elle comprenait toutefois la position de sa sœur. Dans la mesure où elles avaient grandi sans leur mère, Addie cherchait à tout prix àpréserver sa relation avec cet homme qui, pourtant, pouvait parfois se montrer tyrannique.

Si Addie n’avait pas existé, Beth aurait grandi dans un univers dépourvu d’amour. Elle n’aurait rien connu de la richesse infinie de cesentiment. Et si son expérience amoureuse ne s’était pas terminée comme un conte de fées, elle ne regrettait pas pour autant de l’avoir vécue.Elle se sentait donc redevable à l’égard de sa jumelle. Comment refuser de voler à son secours, et la priver ainsi de son histoire d’amour ?

Il lui semblait normal à présent de chercher à démontrer à Malik les travers de cette tradition matrimoniale, pratiquée depuis des lustres. Ilalliait bientôt être couronné roi. Ne jugeait-il pas normal de choisir lui-même celle qui le seconderait dans la lourde tâche qui l’attendait ?

Les yeux toujours rivés sur lui, elle déclara :– Les changements sont quelquefois salutaires. Ils apportent un bol d’oxygène, permettent d’aller de l’avant.– Les habitudes aussi peuvent être salutaires.– Si vous y tenez…, fit-elle, sceptique. Vous n’avez toujours pas répondu à ma question : cela ne vous ennuie pas que le choix de votre

épouse vous soit imposé ?– Laisser les autres choisir à notre place ne comporte pas que des inconvénients. Ils font preuve d’une objectivité dont nous manquons

parfois, quand un sujet nous touche de trop près.Haussant une épaule, il sourit.– Et je dois dire que le choix de mon père ne me déplaît pas.– Bien sûr, rétorqua-t-elle, pincée. Pourquoi vous déplairait-il ?Déconcerté par cette réaction, Malik fronça les sourcils.– Excusez-moi, mais je crains de ne pas vous suivre…– De par votre situation, vous avez le rôle dominant. C’est-à-dire que tout est sous votre contrôle, A vous d’imposer les règles qui vous

conviennent, de veiller à ce qu’elles soient respectées. Dans cette situation, rien n’est en ma faveur.– Rien ? répéta-t-il. Me trouveriez-vous repoussant ?Sidérée, elle écarquilla les yeux.– Seigneur Dieu, non ! Au contraire, vous êtes très attirant.– Merci, je n’en demandais pas tant ! fit-il avec un petit sourire en coin.« Peut-être aurais-tu dû modérer ta réaction, Beth… »– Ai-je dit ou fait quelque chose qui vous ait choquée, et qui justifie un tel a priori défavorable ? insista-t-il.– Du tout. Nous nous connaissons depuis quelques minutes à peine…– Dans ce cas, serait-ce le palais que vous ne trouvez pas à votre goût ? Si la perspective d’y vivre ne vous enchante pas…– Absolument pas ! protesta-t-elle cette fois encore avec véhémence. Ce palais ne déparerait pas dans une illustration des contes des Mille

et Une Nuits. Il est superbe !Malik la dévisagea, perplexe, avant de secouer doucement la tête.– Sur quoi sont donc fondées vos objections ?– Voyez-vous, il me semble qu’un mariage ne repose pas uniquement sur un physique, une personnalité, ou bien un logement.Comme elle énumérait ces différentes conditions, Beth prit conscience de se montrer quelque peu exigeante.– Il faut garder à la mémoire les principes élémentaires d’une rencontre, la façon normale dont elle se déroule, enchaîna-t-elle néanmoins.– Qu’entendez-vous au juste par « normale » ?La question à elle seule était significative. Mais elle était censée représenter Addie, cette sœur toujours prête à voler au secours de son

prochain.– Bien. Je vais essayer de vous décrire les différentes étapes qui précèdent le mariage. Une femme rencontre un homme. Il lui plaît

beaucoup. Au fil du temps, elle apprend à le connaître et s’éprend de lui. Voilà ce dont vous privent les coutumes de votre pays !– Me privent ? Ne serait-ce pas plutôt vous qu’elles privent ?– Les deux, lui répondit-elle sans hésiter.– Sachez que je suis considéré comme un excellent parti.

Page 12: L'épouse du cheikh - Le Jardin d'Evele-jardin-d-eve-horizon.e-monsite.com/medias/files/l-epouse-du-cheikh.pdfElle avait en fait été soulagée de ne pas le voir au pied du jet privé

Elle avait entendu son père tenir ces mêmes propos à Addie.– J’essaie de vous expliquer que le mariage représente un grand pas à franchir, et qu’il est d’autant plus difficile si on ne connaît pas le

terrain.– Le terrain…, répéta-t-il avec une moue amusée.– Façon de parler.– J’avais bien compris. Une chose m’échappe, pourtant. Puisque vous avez été préparée depuis un certain temps à porter un jour la

couronne de Bha’Khar, comment se fait-il que personne ne vous ait expliqué que la période dite des fiançailles permet précisément aux futursépoux de lier connaissance.

– On me l’a expliqué.Sans doute. Pas à elle, bien entendu. Et de toute façon, cela ne changeait rien à la situation.Par la fenêtre ouverte, la brise fraîche de l’océan venait de temps en temps lui caresser le visage. Elle huma les senteurs vivifiantes que

charriait cette brise, et plongea le regard dans celui du prince. Elle souhaitait connaître le fond de sa pensée.– Imaginez que cette union se solde très vite par un échec, poursuivit-elle, que vous ne me supportiez plus, au bout de quelques semaines,

que…Elle ne put en dire plus long, car il lui avait posé le doigt sur les lèvres, lui imposant ainsi le silence.– Envisagez-vous toujours le pire ?– Supposons que je vous réponde par l’affirmative. Est-ce que ce serait un motif de rupture ?Il éclata de rire.– Décidément, vous êtes prête à tout pour me déplaire !– Est-ce que ma méthode porte ses fruits ?– Je ne sais pas.– Faut-il que je me montre plus persuasive ?– Tout dépend de ce que vous souhaitez. Je ne me suis encore forgé aucune opinion sur vous, et je pense que vous devriez éviter de me juger

de façon trop hâtive.– Je n’ai aucun préjugé à votre égard.– Je suis convaincu du contraire. Vous avez fait ce voyage pour me dissuader de vous épouser, ce qui signifie que vous avez déjà décidé que

ce mariage ne vous apporterait rien de bon.– Imaginons que ce soit le cas, insista-t-elle sans le quitter du regard.Souriant, il lui souleva le menton.– Pourquoi ne pas oublier vos idées préconçues, Beth ? Laissez-moi une chance de vous prouver que je suis quelqu’un de bien sous tous

rapports, selon l’expression consacrée, et que notre union ne serait pas forcément vouée à l’échec.Il se tenait assez près d’elle pour que les fragrances de son eau de toilette, un savant mélange de senteurs boisées et épicées, montent

jusqu’à elle. Il y avait dans son regard une petite flamme qui l’agaçait et lui plaisait à la fois. Elle reflétait la confiance de celui qui se sait assezpuissant pour arriver à ses fins. Le prince de Bha’Khar déploierait des trésors d’ingéniosité pour lui prouver qu’elle avait tort, et elle était prêteà parier que parmi les moyens qu’il utiliserait, la séduction figurerait en bonne place.

Comme cette pensée lui venait à l’esprit, elle ressentit un petit frisson d’anticipation, et se reprocha aussitôt cette réaction.– Vous êtes doté de multiples qualités, Malik, je n’en doute pas un seul instant. Je n’avais aucune intention de vous blesser et, si je l’ai fait,

sachez que je le regrette.– Je comprends vos craintes.Cette façon tranquille qu’il avait de réagir à ses remarques parfois agressives la déstabilisait.En dépit de ses bonnes manières, elle n’était pas certaine qu’il soit très différent de l’homme qui l’avait quittée pour une autre. Une autre qui

lui était destinée, et qui correspondait à un choix politiquement beaucoup plus correct.Peut-être même était-il pire, car plus puissant...S’il n’avait tenu qu’à elle, elle n’aurait pas passé une minute de plus en compagnie du cheikh. Elle serait partie sur-le-champ. A vrai dire, elle

n’aurait pas même pris la peine de venir à Bha’Khar.Mais elle était là pour se substituer à Addie, qui avait besoin de faire une pause. Elle ne pouvait donc pas agir à sa guise.– Je vous remercie de votre patience, Malik.– Remerciez moi en vous montrant à votre tour patiente. Prenons au moins le temps de lier connaissance. Nous verrons bien où cela nous

conduira. Ensuite, si l’un de nous deux a des doutes, nous agirons en conséquence.En d’autres termes, il lui proposait une trêve.Beth réprima une grimace. La tâche lui aurait paru plus facile si elle avait eu affaire à un individu stupide et arrogant, auquel elle aurait

annoncé avec plaisir son désir de rompre.Cette proposition ne comportait cependant pas que des inconvénients. Si Malik constatait lui-même que cette union ne lui convenait pas, il y

mettrait un terme, et leur père ne pourrait pas en tenir rigueur à Addie.– Comment refuser une proposition aussi sage ? fit-elle donc avec un sourire.

** *

Neuf femmes sur dix auraient été enchantées par ces fiançailles. Malik était tombé sur la dixième. Curieusement, cela ne le gênait pas dutout. On lui avait enseigné les vertus de l’obéissance chez une femme, mais après avoir rencontré Beth, il se surprenait à apprécier soncaractère ferme. Un être docile ne présentait pas que des avantages : il arrivait qu’on s’ennuie en sa compagnie…

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Or il y avait peu de risques pour qu’il s’ennuie avec Beth Farrah. Celle-ci semblait disposée à lui tenir tête ! Lorsqu’elle lui avait dit qu’elle leconsidérait comme un homme puissant, il avait bien remarqué, au ton de sa voix, qu’il ne s’agissait pas pour elle d’un compliment.

Il avait maintenant hâte de lui prouver qu’elle se méprenait à son sujet. Hâte aussi de découvrir l’origine de la méfiance que lui inspirait lemariage.

Malik traversa la spacieuse salle à manger-salon des appartements qu’il occupait dans une aile du palais, et baissa la lumière afin de mieuxmettre en valeur l’éclairage des chandeliers. Le goulot d’une bouteille de champagne de grande marque dépassait d’un seau en argent. Deuxcoupes en cristal fin étaient posées sur la table basse, à côté du seau.

Elles n’attendaient que Beth. Tout comme lui.Sa « fiancée » allait arriver d’un instant à l’autre, et chacun se livrerait de nouveau aux pas compliqués de ce ballet destiné à lier

connaissance.Tourné vers la porte, Malik sourit. Il y avait longtemps qu’il n’avait éprouvé un tel plaisir à la perspective de revoir une jeune personne du

sexe opposé. Longtemps aussi qu’il n’avait été sur le point de retrouver une femme qui le fascinait à ce point.La dernière fois que cela lui était arrivé, la femme en question s’était moquée de lui. C’était agréable et rassurant de penser que celle qui lui

était promise ne pouvait pas lui jouer un tour pareil.Sans cesser de sourire, il passa la main sur ses joues à la peau douce et lisse. Il s’était rasé une demi-heure à peine avant ce rendez-vous –

au cas où il embrasserait Beth, ce dont il avait très envie.Il portait une chemise écrue en lin léger, sur un pantalon noir. Une tenue assez décontractée pour que Beth se sente à l’aise en sa présence.Un petit coup retentit à la porte. Il ouvrit aussitôt, et fut saisi par le spectacle qui l’attendait. Vêtue d’une robe vert jade, à col montant, sans

manches, la jeune femme était époustouflante de beauté. Ce vêtement, aussi simple qu’élégant, rehaussait les lignes de sa silhouette gracile.Son regard chercha alors le sien, et y lut une indéniable anxiété.– Bonsoir Beth, fit-il en s’inclinant légèrement. Entrez.– Merci.Comme elle passait à côté de lui, il se laissa imprégner des notes fleuries de son parfum. Notes qui, curieusement, n’évoquaient pas en lui des

images de jardin mais plutôt de peau nue, de corps enlacés…Au lieu d’entrer dans la suite, comme il l’y invitait, elle s’arrêta après avoir fait deux pas dans le hall et regarda autour d’elle.– Bienvenue dans votre future maison, dit-il. Voilà où nous vivrons quand nous serons mariés.– Au sujet de ce mariage…– Beth…Elle se tourna vers lui.– Oui ?– Vous avez promis de nous laisser au moins une chance, lui rappela-t-il.– « Promis » n’est pas le terme exact. Je crois plutôt vous avoir dit qu’il m’était difficile de refuser la sage proposition que vous me faisiez.– Aucune importance, répliqua-t-il avec un sourire. Vous avez en tout cas consenti à ce que nous fassions plus ample connaissance avant de

prendre une quelconque décision. Et s’il vous plaît…Comme il se taisait, elle l’invita d’un geste du menton à poursuivre.– … évitez pendant le restant de la soirée toute allusion négative à ce mariage ! Passez plutôt sur la terrasse, je vais apporter le champagne.– Serait-ce un ordre ?Il ne fut pas sans remarquer que la jeune femme lui avait posé la question d’une voix plus aiguë. Elle paraissait soudain affolée.

Apparemment, elle croyait qu’il envisageait de se lancer dans une opération de séduction – perspective qui d’ailleurs ne lui aurait pas déplu. Ilne commettrait cependant pas ce qui, dans l’immédiat, serait une erreur.

Ce soir, il allait la charmer. La pleine lune qui se reflétait sur l’océan, la brise tiède chargée du parfum des jasmins l’y aideraient. Le cadreétait parfait pour un début d’idylle.

– Pas du tout, une simple suggestion. Je pensais que vous prendriez plaisir à profiter de cette belle soirée.Hochant la tête, elle traversa le salon pour se diriger vers la terrasse. Avant de rejoindre la jeune femme, Malik déboucha la bouteille de

champagne et remplit les deux coupes.– A quoi allons-nous porter un toast ? fit-il, tandis qu’il en tendait une à Beth.Elle réfléchit pendant quelques instants.– A la loyauté.Compte tenu de sa récente déconvenue, Malik ne pouvait qu’approuver ce choix, qui lui aurait peut-être semblé étrange en d’autres

circonstances.– Et à la sincérité, ajouta-t-il.Leurs coupes se rapprochèrent et se choquèrent dans un tintement pur, clair, qui parut résonner autour d’eux. Puis Beth but une gorgée du

liquide blond et pétillant, dont elle apprécia la fraîcheur et le goût légèrement fruité. Seul le bruit des vagues rompait çà et là le silenceenvironnant.

– Vous avez d’ici une vue magnifique.– En effet.Ce n’était pourtant pas l’océan, mais la jeune femme qui retenait son attention. Dans cette semi-pénombre, elle était d’une beauté à couper

le souffle. Si ses pensées persistaient sur cette voie, il n’était pas certain de parvenir à se cantonner longtemps dans une attitude de gentleman.– J’aimerais que vous me parliez encore de vous, reprit-il, les yeux rivés sur son profil racé.Pour cacher sa nervosité, elle porta de nouveau la coupe à ses lèvres.

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– Que voudriez-vous savoir ?– D’où vous vient, par exemple, cette vision désabusée de l’amour ?– Oh ! Je ne suis pas certaine que cela vous intéresse.– Détrompez-vous. Je pense c’est là qu’il faut chercher l’origine de vos réticences à l’égard du mariage.Sans cesser de l’observer, il but lentement une gorgée de champagne.– Soit…, commença-t-elle, après quelques instants d’hésitation. Il y a eu un homme. Je l’ai connu à l’université, et un courant est aussitôt

passé entre nous.– Êtes-vous amoureuse de cet homme ?Cette éventualité provoqua en lui un sentiment de rancœur qu’il jugea démesuré : après tout, il ne connaissait Beth que depuis quelques

heures.– Plus maintenant.– Mais vous l’avez été.– J’ai cru l’être.– Que s’est-il passé ?– Il m’a laissé entendre que j’étais la seule femme qui comptait dans sa vie. Et puis il en a épousé une autre.Malik se sentit soudain plus léger, et donc plus apte aussi à poser sur la situation un autre regard.– Vous savez, j’imagine, que votre statut de future reine de Bha’Khar vous empêche de donner votre cœur à un autre…– Il s’agissait de mon cœur seulement, Malik. Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point… Par chance, j’en suis restée là.Elle prononça ces mots sans détourner le regard, et il ne mit pas un instant sa parole en doute. Ne venaient-ils pas de porter un toast à la

loyauté, à la sincérité ?– Je vous crois, dit-il.Beth avança jusqu’à la murette stuquée qui entourait la terrasse, et s’y assit avec un petit soupir.– Je suppose que vous regrettez maintenant de m’avoir posé la question ?– Votre honnêteté est rafraîchissante. La vérité n’est pas toujours facile à dire ni à entendre, mais je la préfère, et de très loin, au mensonge

sous toutes ses formes.La jeune femme, qui était en train de boire à ce moment-là, se mit soudain à tousser.– Ça va ?– Oh… oui, dit-elle après s’être éclairci une dernière fois la voix. Je… J’ai avalé de travers.Il grimaça.– Ce n’est pas très agréable. Ça ne me plaît pas beaucoup à moi non plus.Il marqua une pause de quelques secondes avant d’ajouter :– Ça ne me plaît pas beaucoup non plus de vous imaginer dans les bras d’un autre.Il se bornait à exprimer la vérité.– Dans la mesure où cette relation n’a abouti à rien, aucun mal n’a été fait.– Je ne suis pas de votre avis.– Vous retiendriez donc cette charge contre moi ?Malik haussa imperceptiblement un sourcil. Était-ce de l’espoir qu’il décelait dans la voix de la jeune femme ?– En supposant que ce soit le cas, il nous reste toujours la possibilité d’annuler ce mariage, poursuivait-elle. Je comprendrais parfaitement

que vous optiez pour cette solution. Il vous suffit de me le dire. Je repartirai pour l’Amérique, et…Il leva la main pour l’interrompre. Il avait remarqué que, lorsqu’elle était nerveuse, elle parlait à la fois trop et trop vite.– Bien au contraire. Je suis convaincu qu’une femme qui a connu l’amour sera plus encline à le chercher de nouveau.– Même si je vous ai dit que je ne souhaitais plus tomber amoureuse ?– Absolument.– Vous avez tort ! Je ne veux plus jamais rien éprouver de pareil.– Pourquoi ?– Si je n’aime pas, je n’aurai pas l’occasion de pleurer. Or je me suis bien promis de ne plus jamais pleurer pour un homme !Il comprenait cette réaction. Il s’était lui aussi juré de ne plus succomber au charme d’une femme au point d’en perdre la tête. Son père

n’avait pas mâché ses mots lorsqu’il lui avait reproché son manque de discernement. Malik considérait donc ne plus avoir droit à l’erreur.Mais il devait se marier, donner un héritier au trône. Et le mariage décidé par le roi et l’un de ses ambassadeurs lui était apparu comme la

solution idéale. Auprès de Beth, il mènerait une vie raisonnable, empreinte de sentiments respectables. Une vie où il serait à l’écart de cespassions dévorantes aux effets si néfastes.

Leurs épaules se frôlèrent tandis qu’il prenait lui aussi place sur la murette. Sans mot dire, ils restèrent assis côte à côte, à admirer lespectacle de l’astre argenté dans son écrin de velours.

La douce chaleur de ce corps féminin irradiait jusqu’à lui, et il sentit monter en lui une bouffée de désir.Une vie « raisonnable », vraiment ?– Je persiste à penser que notre union aurait pour vous aussi un aspect positif, reprit-il d’un ton serein. Comparée à votre malheureuse

expérience, précisément.

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– Ah ? Qu’est-ce qui vous permet d’en être aussi sûr ?– Vous deviendriez reine de Bha’Khar, avec tous les avantages liés à cette position, sans pour autant vous compliquer l’existence avec une

relation amoureuse.– Si je ne m’abuse, vous décrivez là un fantasme typiquement masculin…, observa-t-elle, caustique.Elle accompagna cette remarque d’un petit sourire, qui se dissipa tandis qu’il la fixait en silence. Il lui prit alors la main et la rapprocha de

son visage pour déposer un léger baiser au creux de son poignet.Ils se dévisagèrent, les traits tendus, et il lui lâcha la main.Tout comme elle, Malik ne souhaitait pas se montrer vulnérable en amour. Il ne pouvait que se féliciter qu’ils soient du même avis, car sa

fiancée était décidément très tentante. Et ce, à tous points de vue. Il appréciait tout autant son physique que son tempérament.Se savoir uni à elle par un contrat, avait pour lui un aspect rassurant. Cet arrangement prévu de longue date représentait une sorte de

garde-fou.– Vous n’avez rien de masculin, Beth, murmura-t-il. Et je m’en réjouis…

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3.

Le lendemain matin, la jeune femme buvait une tasse de café sur la terrasse de sa suite, face à l’océan, tout en songeant à la soirée de laveille. Elle revoyait Malik qui lui souriait, elle entendait sa voix à la fois grave et mélodieuse.

Elle avait l’impression de sentir encore sur son poignet le contact de ses lèvres chaudes.Elle se rappelait avoir désiré, à ce moment-là, qu’il l’attire contre lui et l’embrasse. Et elle s’était aussitôt reproché cette pensée. Reproché

d’avoir oublié, ne serait-ce qu’un instant, le motif de sa présence au palais.Adossée au mur, Beth avala une autre gorgée du breuvage à l’arôme corsé.Malik Hourani ne cadrait pas du tout avec le personnage qu’elle avait imaginé. Il était charmant, attentionné, romantique. Or cela ne lui

facilitait pas la tâche. S’il ne commettait pas rapidement un acte l’incitant à le voir sous un angle beaucoup plus défavorable, la situation risquaitde se compliquer davantage encore…

Elle soupira, finit sa tasse d’une traite et rentra dans le salon pour prendre son téléphone portable. Elle allait appeler Addie, et la supplier demettre un terme à cette mascarade. Au moment où elle s’apprêtait à composer le numéro de sa sœur, le téléphone fixe sonna.

Elle décrocha.– Allô ?– Bonjour.Elle reconnut sur-le-champ le timbre chaud de cette voix masculine.– Bonjour, Malik.– J’espère que vous avez bien dormi.– A merveille.Un mensonge de plus. Bien que résolue à s’écarter le moins possible de la vérité, elle constatait qu’il lui était de plus en plus facile de mentir.– Tant mieux. J’ai une surprise pour vous.– Ah ? Quoi donc ?– Si je vous le dis, ce ne sera plus une surprise ! Sachez seulement que je passerai vous chercher dans une heure.– Pour aller où ?– Surprise ! répéta-t-il avec un éclat de rire qui procura à la jeune femme un curieux frisson dans le dos.– Soit. Mais il me faut tout de même un indice pour savoir comment m’habiller…– Je vous conseille une tenue décontractée.– Mais encore ? Plutôt une robe à bretelles ou un pantalon ?– Un jean serait parfait. Et je ne dirai pas un mot de plus !Suite à quoi il raccrocha. Le cœur battant, Beth reposa elle aussi le combiné. Les rares surprises que lui avait réservées la vie n’avaient pas

été des plus agréables. Pourtant, le plaisir qui transparaissait dans la voix de Malik laissait présager des moments heureux, et elle avait hâte dese préparer.

Une heure plus tard, le prince frappait à sa porte. Il portait une ample chemise marine sur un jean, et était chaussé de bottes. Refusanttoujours de lui révéler leur destination, il l’escorta jusqu’à la voiture qui les attendait.

Au bout de quelques minutes, le véhicule longea une clôture de bois blanc. Lorsqu’il s’arrêta à l’entrée des écuries, Beth se mordit la lèvre.La surprise ne serait peut-être pas aussi bonne qu’elle l’avait espéré.

– Pourquoi sommes-nous venus ici ? lui demanda-t-elle, au moment où il l’aidait à descendre de voiture.– Je voudrais vous montrer le cheval que mon frère Kardahl a acheté à votre intention, quand il a rendu visite à ses beaux-parents. Ceux-ci

possèdent un haras dans nos montagnes. C’est dans cette région que sont élevés les meilleurs chevaux du monde.Beth quitta le soleil pour le suivre dans le bâtiment où régnait la pénombre. Une pénombre identique à celle qui se faisait en elle. Il était bien

possible que sa mise en scène doive s’arrêter là…Ce cadeau était destiné à la future reine de Bha’Khar. Celle qui, à la suite de ses études, n’avait pas son pareil pour organiser une grande

réception et était rompue aux règles du protocole. Celle qui était aussi une cavalière émérite, car l’équitation était un sport très répandu dansles familles royales.

Sa sœur, Addie…L’expérience de Beth en la matière était très limitée : elle n’avait jamais monté que les chevaux de bois des manèges.– Je ne sais que dire…Après tant de mensonges, énoncer la vérité avait sur elle un effet lénifiant.Il lui sourit et la prit par la main.– Venez, je vais vous présenter cette jument.Il la conduisit jusqu’au box où se tenait le superbe animal à la robe d’un noir profond et luisant. Addie aurait été transportée de joie. Beth

l’était beaucoup moins.

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– Merci Malik, dit-elle poliment.– Je vous en prie. Tout le plaisir est pour moi.Elle essaya de se montrer confiante lorsqu’elle tendit la main pour flatter le col de la jument.– Comment s’appelle-t-elle ?L’animal posa la tête sur l’épaule de Malik, ce qui provoqua son rire.– Dans la mesure où elle vous appartient, c’est à vous de choisir son nom.– Jezabel.Ce nom-là était celui qui lui était venu spontanément à l’esprit. Celui d’une femme dénuée de scrupules, comme elle.Comme il l’interrogeait du regard, apparemment surpris par ce choix, elle ajouta :– J’aime les sonorités de ce nom.– Très bien. Ce sera donc Jezabel. Je vais faire seller deux chevaux et nous irons…– Non.Il fronça les sourcils.– Non ? Je ne comprends pas. J’avais pourtant eu l’impression que ma fiancée aimait monter…– Exact, elle aime monter.Elle s’aperçut soudain qu’elle parlait à la troisième personne. D’un point de vue technique, elle ne disait que la vérité : Addie adorait monter.– Dans ce cas, j’avoue ne pas bien comprendre…– Je suis un peu fatiguée.– Vous avez pourtant bien dormi.Cette fois encore, elle était prise au piège. Elle avait l’impression que la toile se resserrait autour d’elle.– En effet. Mais j’ai franchi un certain nombre de fuseaux horaires pour arriver jusqu’ici, et je suppose que je suis encore sous le coup du

décalage.– Je comprends. J’aurais dû attendre un peu, mais j’avais hâte de vous offrir ce cadeau.– Il est superbe et je vous en remercie. Je dois toutefois vous dire que… je n’ai pas monté depuis un certain temps, et qu’il n’est pas

impossible que je sois un peu rouillée.– Nous attendrons donc pour y remédier que vous soyez parfaitement reposée et acclimatée.A ce moment-là, si tous les dieux n’avaient pas décidé de se liguer contre elle, Addie aurait peut-être trouvé un moyen de la tirer de cette

situation.– Avec plaisir, dit-elle néanmoins tout en donnant une petite caresse affectueuse sur le museau de la jument.Puis elle tourna les talons pour quitter le bâtiment. Une fois dehors, elle avança vers la barrière de bois à laquelle elle s’accouda. Au loin, la

silhouette majestueuse des montagnes se découpait sur le bleu du ciel. Difficile de rester insensible à la beauté sauvage de ces contrées.Bha’Khar était un pays magnifique. Malik était un homme magnifique. Mais Beth, qui veillait depuis longtemps sur sa jumelle, savait que

cela ne suffirait pas à la rendre heureuse.Si elle ne parvenait pas à convaincre le prince que cette tradition ancestrale reposait sur une erreur fondamentale, Addie serait reniée par

leur père. De son propre avis, ce serait préférable à un mariage qui la conduirait tout droit au malheur. Car elle finirait par s’éprendre de Malik,qui ne manquait pas de qualités et qui, comme la plupart des grands de ce monde, ne tarderait pas à lui briser le cœur par ses infidélités.

Il l’avait rejointe et se tenait derrière elle, assez près pour qu’elle sente la chaleur de son corps.– Vous avez l’air perdue dans vos pensées. Et je ne crois pas beaucoup me tromper si j’affirme que ces pensées sont liées à nos fiançailles…En guise de réponse, elle hocha la tête.– Dites-moi tout.Il était venu se placer à côté d’elle, à présent.– Eh bien… je persiste à ne pas approuver cette coutume matrimoniale. Pourquoi devrait-on accepter un itinéraire tracé par d’autres ?– C’est votre point de vue. Je pense pour ma part que les traditions ont un aspect rassurant. Celle-ci en particulier. Mais si vous vous

opposez réellement à ce mariage, il vous suffit de le dire.Elle se passa la langue sur les lèvres.– Ce n’est pas si simple…Son père serait furieux. Or dès leur plus jeune âge, elles avaient appris, Addie et elle, à lui obéir au doigt et à l’œil, cherché à lui faire plaisir

dans le but d’obtenir l’un de ses rares mots de félicitations, et surtout, de se frayer un chemin jusqu’à son cœur.Au fil des ans, Beth avait fini par se dire que cet homme ne l’aimerait jamais. Addie deviendrait reine, mais aucun destin ne lui était réservé

à elle.Elle avait donc décidé de faire ce qui lui plaisait, et avait embrassé la carrière d’enseignante.Comme elle s’y attendait, il l’avait reniée, lui reprochant sévèrement son choix. Quel besoin avait-elle de travailler au lieu d’attendre le

mariage, à l’instar de toutes les femmes de sa condition ? lui avait-il maintes fois répété, d’un ton très dur. N’avait-elle donc rien retenu de cequ’il s’était évertué à leur apprendre, à sa sœur et à elle ?

Il ne l’avait pas ménagée. Elle gardait un souvenir cuisant de cet affrontement, qui l’avait affectée bien plus qu’elle ne l’aurait imaginé. Elleavait aussi souffert beaucoup plus qu’elle ne l’aurait supposé, lorsqu’il avait interrompu toute forme de relation avec elle. Elle comprenait doncles réticences de sa jumelle à en passer par là.

Malik, qui s’était lui aussi accoudé à la balustrade, se tourna vers elle.

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– J’ignore ce qui vous préoccupe à ce point, mais j’espère que vous aurez un jour assez confiance en moi pour m’en parler.Elle esquissa un sourire. S’il n’avait tenu qu’à elle, elle lui aurait exposé sans plus tarder l’origine de ses tourments. Mais elle n’en avait pas le

droit. Ce serait mettre sa sœur en péril.– Merci, Malik.– Je voudrais vous exposer mon opinion au sujet de « l’itinéraire tracé » auquel vous faisiez allusion. Voyez-vous, une vie bien ordonnée ne

comporte pas que des aspects négatifs, loin de là.Elle le fixa, les yeux arrondis.– Oh ? Drôle d’opinion, venant d’un homme qui aime les surprises !– L’ordre n’est pas incompatible avec les surprises.– Mmh…, fit-elle avec une moue dubitative.– Je m’évertuerai à vous le prouver. A propos de surprise, y a-t-il un souhait qui vous soit particulièrement cher et que je sois en mesure

d’exaucer ?Elle cligna des paupières.– Je ne suis pas bien certaine que cela entre dans la catégorie des surprises.– Je vous écoute.– Je voudrais retrouver ma mère.– Bien qu’elle ne fasse plus partie de votre vie depuis de longues années ?Il était donc au courant de sa situation familiale.– Plutôt, parce qu’elle ne fait plus partie de ma vie depuis de longues années !– D’accord. Je m’en occupe, déclara-t-il sans l’ombre d’une hésitation.– Est-ce donc aussi simple que cela ?– Bien sûr.– Merci. Je vous en suis très reconnaissante.Elle vit les lèvres pleines se retrousser lentement, en un irrésistible sourire.– Vraiment ? Assez pour m’embrasser ?Beth retint sa respiration. Elle se serait volontiers laissé tenter. Et pas seulement par gratitude. Elle s’écarta de Malik puis s’éloigna de la

barrière pour revenir sur ses pas.– Je ne pense pas.– Vous ai-je offensée ? fit-il, lui emboîtant le pas.– Non.– Mais je vous ai plongée dans l’embarras.C’était le moins qu’on pouvait dire.– Pas réellement, lui répondit-elle néanmoins.Il lui posa la main sur le bras pour qu’elle s’arrête, et se plaça en face d’elle.– Est-ce bien sûr ?Cette fois, elle se borna à hocher la tête.– Tant mieux. Parce qu’il faut que vous sachiez quelque chose.Comme il se taisait, elle fronça les sourcils.– Quoi donc ?– Que je vais vous embrasser. Bientôt.– Oh ?La syllabe avait franchi ses lèvres, pareille à un petit cri aigu.– Et quand cela se produira, vous en aurez autant envie que moi, Beth.La gorge sèche, elle détourna le regard. S’il cherchait à l’embrasser, elle n’était en effet pas certaine de parvenir à lui résister.Or elle n’était pas sa fiancée mais un imposteur.Plus le temps passait, plus elle appréciait les qualités de cet homme. S’enferrer dans le mensonge lui devenait donc de plus en plus pénible.En acceptant de venir en aide à sa jumelle, elle n’imaginait pas qu’il lui serait aussi difficile de jouer la comédie. Elle se doutait moins encore

qu’elle aurait affaire à un être pareil.Beth savait ce que l’on ressentait en découvrant qu’on avait été trompé. Malik ne méritait pas d’être traité de la sorte.Elle devait parler à Addie.

** *

Une tasse de thé dans une main, son portable dans l’autre, Beth prit place dans le canapé de la suite qu’elle occupait. Après avoir pianoté surquelques touches pour connaître l’heure de Los Angeles, elle grimaça.

« Tant pis, Addie. Je vais te réveiller, mais nous sommes confrontées à une situation de crise. »Ses doigts volaient presque sur le petit clavier tandis qu’elle composait le numéro de sa sœur.– Allô ?

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La voix ensommeillée de sa jumelle résonna dans le combiné, claire, distincte.– Coucou, Ad ! C’est moi.– Beth !Il n’avait pas fallu plus d’une seconde à la voix féminine pour redevenir alerte.– Comment vas-tu ? enchaîna-t-elle.– Physiquement, bien. Pour ce qui est du reste… moins bien.– Que se passe-t-il ?– Il faut que j’avoue la vérité à Malik. Que je lui révèle ma véritable identité.Ces mots furent salués par un silence, qui n’avait rien à voir avec le délai dû à la distance. Beth avait l’impression de voir sa sœur en train de

réfléchir, les yeux plissés.– Pourquoi ? Se douterait-il de quelque chose ?Soupirant, Beth but une gorgée de thé avant de reposer la tasse sur un plateau aux motifs dorés.– Il ne devrait pas tarder à avoir des soupçons. Il m’a offert – ou plutôt, t’a offert ! – une jument.– Oh, Seigneur…– Comme tu dis ! Et tu connais mon aisance avec ces animaux.– Et alors ?Addie s’exprimait à présent d’une voix saccadée qui trahissait sa nervosité.– Alors je lui ai dit que j’étais fatiguée à cause du voyage et du décalage horaire.Les mensonges lui venaient de plus en plus facilement aux lèvres, et elle ne s’en enorgueillissait pas.– Est-ce qu’il t’a crue ?– Je pense. Je n’en suis pas certaine.Machinalement, elle tendit la main vers un coussin en satin ocre, très moelleux, dans lequel elle enfonça les doigts à plusieurs reprises.– J’ai vraiment failli me trahir et lui dire la vérité.– C’est impossible, Beth.Cette dernière serra très fort le coussin dans sa main.– Cette situation ne me plaît pas, Ad. Pas du tout, même. Le prince Malik me donne l’impression d’être quelqu’un de bien. Il est beau,

intelligent, romantique, gentil… Il m’a même promis de m’aider à retrouver notre mère.– Es-tu bien sûre de vouloir la retrouver, Beth ?– Elle nous a quittées quand nous étions enfants, sans un mot d’explication. Elle nous a laissées aux mains d’un homme froid, qui nous a

expédiées dans des internats pour vivre sa vie comme il l’entendait, et collectionner les aventures. Je veux la rencontrer. Je veux qu’ellem’explique pourquoi elle ne s’est plus souciée de moi. Et je veux aussi qu’elle sache ce que je pense d’elle. Je lui dirai en la regardant droit dansles yeux qu’elle n’est qu’une égoïste, une femme sans cœur.

Elle inspira à petits coups, afin de chasser le nœud qui s’était logé dans sa gorge.– Père croyait bien faire. Il nous aime à sa façon.– Il t’aime, nuance !Un long soupir retentit sur la ligne.– Tu t’es toujours occupée de moi, tu m’as toujours défendue, Bethie. Je me demande ce que je serais devenue sans toi.– Tu es ma sœur. Je t’aime.– Je le sais bien.– Malik te plaira beaucoup, Addie.Si seulement le prince avait été un véritable ogre… Addie aurait catégoriquement refusé de l’épouser, et leur père aurait été obligé de se

plier à sa décision. Ses multiples qualités rendaient la situation plus complexe.– J’ai besoin de davantage de temps, déclara alors Addie.– Pourquoi ?– Pour mieux connaître Tony. Je crois qu’il pourrait jouer un rôle très particulier dans ma vie. Je n’ai jamais été amoureuse. J’aimerais

savoir ce que l’on ressent…– Ce n’est pas aussi merveilleux qu’on le prétend.Au moment même où elle prononçait ces mots, Beth se rappela sa conversation avec Malik. Comme elle, il avait eu une expérience

malheureuse. Comme elle, il se tenait désormais sur ses gardes et préférait éviter tout sentiment excessif.– Si tu voulais bien me laisser quelques jours encore…– Une vie entière ne suffirait pas pour que tu sois sûre de faire le bon choix. Ad. Tu te poseras toujours des questions.Ne s’en posait-elle pas, elle ? Que de fois s’était-elle demandé comment elle avait pu être assez idiote pour s’éprendre d’un homme qui

jugeait normal d’avoir à la fois une femme et une maîtresse ?Ne lui arrivait-il pas de se demander si le prince Malik appartenait à cette même catégorie ?– Tout s’est décidé si vite ! reprit Addie. Je ne m’attendais pas du tout à ce que le cheikh se manifeste soudain et veuille que je le rejoigne

dans les plus brefs délais à Bha’Khar.– Le roi souhaite céder le trône à son fils. Et la coutume veut que le prince soit marié avant d’être couronné.

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Beth accompagna cette précision d’un soupir.– Le moment n’aurait pu être plus mal choisi, je le sais bien, ajouta-t-elle.Elle marqua une nouvelle pause.– Écoute, Addie… pourquoi ne pas expliquer à père que tu refuses de te soumettre à cette décision, prise à ta naissance ?– Il faut d’abord que je sois sûre de Tony.Sûre de ne pas me tromper en lui sacrifiant ma relation avec mon père.– Il ne s’agit pas de cela. Je te suggère d’agir pour toi, pas pour cet homme. De tenir tête à père.– Je ne suis pas aussi forte que toi, Bethie. Père peut se montrer autoritaire, ne jamais exprimer ses sentiments, je le sais. Mais je sais aussi

qu’il n’a pas une pierre à la place du cœur.– Si tu n’étais pas l’aînée…– De deux minutes, lui rappela Addie.– Deux secondes auraient suffi, ce n’est pas la durée réelle qui compte. Tu as été la première à voir le jour, et c’est donc toi qui as été

destinée au prince de Bha’Khar.Elle soupira de nouveau avant d’ajouter :– Père n’a jamais été capable de nous distinguer l’une de l’autre, mais je suppose que cela ne lui a jamais été nécessaire, puisqu’il a

quasiment ignoré mon existence, pendant toutes ces années.– Il n’a pas que des qualités, j’en conviens. Mais c’est notre père. J’ai déjà perdu un parent, je n’envisage pas à la légère de prononcer les

mots qui me feront perdre l’autre. Il me faut encore un peu de temps pour trouver le courage de lui parler.Beth baissa les paupières.– D’accord. Je ne dirai rien à Malik. Pour le moment.– Merci, Beth.En acceptant de jouer ce rôle, Beth avait réussi à se convaincre qu’il s’agissait d’une mauvaise action destinée à desservir une bonne cause.

Elle avait toutefois de plus en plus de mal à y croire.Tromper ainsi Malik lui déplaisait de plus en plus. Sans doute parce qu’elle l’appréciait de plus en plus.Elle n’avait pas imaginé être confrontée à un individu pareil.« Méfie-toi. Les hommes de son rang ne dévoilent pas sur-le-champ leur véritable personnalité. »Le temps lui dirait si elle se méprenait ou pas.D’ici là, sa sœur serait arrivée et ce problème ne serait plus le sien.

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4.

– Vous avez certainement des choses plus importantes à faire…Beth se tenait à côté de la voiture avec chauffeur qui attendait, devant l’un des portiques du palais. Durant le déjeuner, le roi et la reine,

apparemment séduits par leur future belle-fille, avaient suggéré à Malik de lui faire visiter les alentours.Beth avait parfaitement répondu à toutes les questions polies qu’ils lui avaient posées, mais il avait décelé une certaine hésitation au fond de

ses prunelles.Il la sentait plus distante depuis quelques jours. Depuis qu’il lui avait dit qu’il avait envie de l’embrasser. Plus nerveuse, aussi, ce qui l’incitait

à penser que son attirance pour elle n’était peut-être pas à sens unique.Des tâches plus importantes l’attendaient en effet, en ce début d’après-midi. Son statut de prince héritier allait de pair avec un emploi du

temps très chargé. Mais depuis fort longtemps, il avait compris que les suggestions de son père avaient valeur d’ordre.– Plus importantes que quoi ? insista-t-il cependant.– Eh bien, que vous occuper de moi en me faisant visiter les environs.– Vous êtes ma fiancée. Il est de mon devoir de vous montrer comment vivent les habitants de Bha’Khar en général, et les membres de la

famille royale en particulier, dit-il en lui ouvrant la portière.Elle s’installa, prenant soin de se tenir le plus loin possible du siège où il allait s’asseoir.– J’ai réellement apprécié ce déjeuner avec votre famille, dit-elle dès qu’il l’eut rejointe. Vos parents m’ont beaucoup plu, ainsi que votre

frère et son épouse. En ce qui concerne cette visite, je pense que quelqu’un d’autre que vous pourrait s’en charger. Quelqu’un qui ait moinsd’obligations.

– Il se trouve que j’ai envie d’être avec vous.– Mais vous m’avez déjà consacré une partie de votre journée, en me faisant visiter le palais. J’ai d’ailleurs été très impressionnée par ces

enfilades de pièces, ces immenses salons décorés d’objets précieux. Très impressionnée aussi par le garage et le nombre de voitures de luxealignées là.

– Peu importe le nombre ou la marque. Vous devez seulement retenir qu’il y aura toujours ici un véhicule à votre disposition.– En supposant que j’arrive à retrouver le garage…– Je serai toujours ravi de vous montrer le chemin.– Ce ne sera pas nécessaire.Ainsi donc, elle s’obstinait à le tenir à distance. On lui avait dit plus d’une fois qu’il était nanti d’un solide esprit de contradiction. Sa réaction

vis-à-vis de Beth prouvait combien cette opinion était fondée : plus elle tentait de le repousser, plus il cherchait à forcer le barrage.– N’avez-vous pas pris plaisir à visiter l’endroit où vous vivrez ?– Si, beaucoup. Mais, au cas où vous envisageriez de me réserver une autre surprise, sachez qu’un GPS me serait plus utile qu’un cheval ! A

moins, bien sûr, que je ne décide d’avoir recours à la méthode du Petit Poucet…– Vous vous habituerez au palais.– J’ai une meilleure idée encore : une puce me permettrait d’être rapidement localisée ! Ou peut-être un collier avec mes coordonnées…Il éclata de rire tandis que le véhicule s’éloignait doucement, passait les portes du palais et entrait dans la ville. Le soleil se réfléchissait sur

les bâtiments couverts de stuc d’un beige rosé, qui rappelait la couleur du désert environnant. Aucune brise n’agitait les feuilles dentelées despalmiers. A cette heure de la journée, une chaleur écrasante pesait sur la cité, qui paraissait endormie.

C’était l’été. Un été torride, comme tous ceux que Malik avait vécus sous ces latitudes. Mais il faisait bon dans la voiture climatisée. Il sourit,guettant les réactions de sa compagne qui regardait par la fenêtre. Il allait lui montrer aujourd’hui que devenir reine de Bha’Khar ne comportaitpas que des désagréments.

– Le palais n’est tout de même pas immense, déclara-t-il d’un ton léger.– Bien sûr que si !– Il y en a de bien plus grands, croyez-moi. J’ai eu l’honneur d’être récemment invité par le sultan de Brunei, qui habite un palais

gigantesque. Pour vous donner une idée, il ne compte pas moins de deux cents salles de bains !En entendant ce nombre, la jeune femme se tourna vers lui, les yeux écarquillés.– Je suppose que le personnel s’y déplace en patins à roulettes ! s’exclama-t-elle.Cette fois encore, il éclata de rire.– Non, mais j’imagine le spectacle ! Je cherchais seulement à vous expliquer que…– … que les dimensions de votre palais n’ont rien d’extraordinaire. Pour vous sans doute. Vous y avez grandi, et vous devez en connaître les

moindres coins et recoins. Pour moi en revanche… J’ai l’impression de découvrir chaque jour de nouvelles ailes, et je ne vous cacherai pas que jem’y perds, entre les différents salons réservés à telle ou telle occasion, les salles de banquet, les vérandas, les suites…

Elle soupira avant de conclure avec une grimace comique :– Peut-être qu’une simple boussole ferait l’affaire, finalement !Malik sourit. Il n’avait jamais prêté attention aux dimensions du palais. Il avait grandi là, avait maintes fois joué avec son frère dans les

interminables couloirs aux sols en mosaïque. Le palais, qui appartenait à la famille royale depuis des siècles, était sa maison. Que de fois

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s’étaient-ils cachés, Kardahl et lui, afin d’échapper à l’un ou l’autre membre du personnel parti à leur recherche ?Malheureusement, le palais n’avait pas été assez grand pour lui permettre d’échapper à celle dont le seul but était de l’utiliser à des fins

personnelles. Il n’avait pas su reconnaître la carriériste en elle.On lui avait appris, dit et répété au fil du temps, que sa position privilégiée pouvait attirer certains individus dénués de scrupules. Il ne

s’attendait cependant pas à trouver une intrigante dans l’équipe du palais. Sous son propre toit, pour ainsi dire ! La déception n’en avait été queplus rude…

– Où allons-nous maintenant ? lança Beth. J’ai rencontré votre famille, visité le palais, y compris le garage et les écuries… Ah, j’allais oublierle voyage en jet privé ! Que pourrait-il me rester encore à découvrir ?

Comme ils longeaient la mer, d’un bleu intense ce jour-là, elle s’écria :– J’y suis ! Il manque le yacht !– Vous avez deviné, fit-il en fronçant le nez. Ce ne sera donc plus une surprise. Dommage !– Y en a-t-il un ou plusieurs ?– Un. Mais assez grand pour contenir la famille royale au grand complet.Quelques minutes plus tard, le véhicule ralentissait puis s’arrêtait à côté d’un très beau modèle de yacht : blanc, spacieux, racé.Malik aida la jeune femme à descendre de voiture et à monter sur la passerelle, au bout de laquelle les attendaient le capitaine du bateau, le

steward et le cuisinier. Après les avoir salués, ceux-ci se retirèrent discrètement, laissant ainsi au prince le loisir de faire les honneurs du yacht.Les yeux grands ouverts, Beth le suivit jusqu’au vaste pont, puis visita les cabines, parfaitement aménagées, la salie de sport ainsi que le spa,

et pour finir, la salle à manger-salon. Il invita la jeune femme à prendre place dans l’un des confortables canapés en cuir brun. De là, elle avaitune vue magnifique, tant sur le port que sur la mer.

– Alors ? lui demanda-t-il, s’asseyant à côté d’elle. Qu’en pensez-vous ? Car je sais que vous avez une opinion, Beth… comme toujours !Elle lui sourit avant de laisser son regard se promener une fois encore autour d’elle.– C’est impressionnant, dit-elle avec une moue qui ne démentait pas ses propos.Puis elle se rapprocha de la grande fenêtre latérale pour admirer la surface scintillante de l’océan, et murmura :– Et quel merveilleux moyen de s’échapper...Intrigué par le sens de ces propos, Malik s’apprêtait à l’interroger quand le steward les rejoignit avec un plateau qui contenait deux verres

d’eau pétillante. Après avoir posé les verres sur la table basse, il s’inclina légèrement.– Souhaitez-vous autre chose, Votre Altesse ?– Non Salleh. C’est parfait, merci.Beth but aussitôt, appréciant les picotements frais sur son palais, puis garda le verre glacé entre ses mains.– Je dois tout de même vous dire que je suis un peu déçue.Elle avait l’air sérieux, mais il la connaissait assez à présent pour reconnaître cette petite lueur espiègle au fond de ses prunelles.– Ah ?– Jusqu’ici, vous ne m’avez montré que des jouets pour garçons.Comme il haussait un sourcil, elle poursuivit :– Avion, voitures, bateau…– Et cela ne vous plaît pas ? fit-il, un peu décontenancé.– Ne vous méprenez pas, je ne déclinerais pas une invitation à une croisière… mais vous ne m’avez pas montré les trésors cachés dans la

chambre forte du palais.– Je pensais que vous n’y trouveriez pas grand intérêt.– Erreur ! Je m’y intéresserais si je savais que sont cachés là des tiares de diamants, des parures de rubis et d’émeraudes, des bracelets en

or massif… Où se trouvent donc les vêtements rehaussés de perles, les capes en étoffes précieuses, les bijoux, toutes ces choses qui font battreplus vite le cœur d’une femme ?

Au moment même où elle prononçait ces mots, il s’aperçut qu’il avait envie de faire battre son cœur plus fort. Mais pas pour des joyaux.Pour lui.

Cette pensée le déconcerta davantage encore. Que lui arrivait-il ? Oublierait-il que leur union n’avait d’autre valeur que celle d’un contrat ?Oublierait-il aussi que cela lui convenait à merveille, après son cuisant échec sentimental ?

– Si vous souhaitez quelque chose, dites-le-moi, et vous l’aurez.Elle reposa son verre sur la table et, du bout de l’index, traça un sillon sur la buée qui s’y était formée.– Ce que je voudrais, commença-t-elle d’une voix basse, grave, c’est que vous annuliez ce mariage.Ils se retrouvaient donc à la case départ. D’une certaine façon, Malik se réjouissait que tout le luxe déployé depuis l’arrivée de la jeune

femme n’ait pas altéré ses convictions. Cette attitude révélait un caractère intègre.– Je suis désolé…Il avait lui aussi, autrefois, voulu résister à cette tradition qui autorisait le roi à choisir les époux de ses enfants. Malheureusement, son

piètre choix l’avait incité à réviser son jugement. Mieux valait tout compte fait s’en remettre à la décision d’un homme plus âgé et donc plussage, plus avisé. Ainsi, ses sentiments n’altéreraient pas sa raison.

– Ce souhait est bien le seul qu’il me soit impossible d’exaucer, reprit-il.Elle se tourna vers lui et soupira.– Autant vous prévenir : je n’envisage pas de baisser les bras.Cette persévérance affichée eut soudain une résonnance particulière dans l’esprit du prince. Depuis sa naissance, Beth lui était destinée. Elle

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avait toujours su qu’elle deviendrait reine de Bha’Khar, et avait reçu une éducation spécifique aux fonctions qui l’attendaient. Pourtant, elle nesemblait guère pressée de les occuper.

En dépit de ce qu’elle affirmait, serait-elle encore amoureuse de l’homme qui l’avait trahie ?Il posa à son tour son verre sur la table, et prit dans les siennes les mains glacées de sa compagne.– Je ne peux pas m’empêcher de penser que quelque chose d’autre vous préoccupe.– Rien de nouveau, fit-elle en détournant le regard.– Vous ne pensez pas encore, j’espère, à celui qui vous a fait souffrir !– Le jour où il s’est marié, j’ai eu l’impression d’avoir échappé au pire !– Êtes-vous bien sûre de ce que vous affirmez ?– Certaine !– Soit… Comme je vous le disais, Beth, j’aime les surprises. Mais celles que je réserve aux autres, pas celles qui me sont destinées. Si vous

avez quelque chose de particulier à me dire, le moment est venu.– Vous connaissez de mon passé tout ce que vous avez besoin de connaître.Il n’en était pas si sûr. Il ressentait le besoin de tout savoir sur la jeune femme.

** *

Debout à côté de Malik, Beth assistait à la répétition du mariage de son frère, événement qui la déroutait. Pas la répétition.La famille royale posait pour les photographes, à l’entrée de la salle où se déroulerait deux jours plus tard la cérémonie. La réception, à

laquelle assisteraient des dignitaires du monde entier, aurait lieu dans le plus grand des salons du palais.Entourés de leur proche famille, Kardahl et Jessica, qui se tenaient par la main, échangeaient des regards langoureux. Lorsque le jeune

prince s’inclina vers la jeune femme pour l’embrasser, les flashes crépitèrent autour d’eux. Éblouie, Beth cligna des paupières. Elle avait lamâchoire crispée à force de sourire.

En outre, cette affaire de mariage la perturbait. Pourquoi tant d’agitation autour de cette cérémonie ? Cela paraissait presque déplacé,puisque le frère de Malik était déjà marié à Jessica – par procuration, lui avait-on dit.

Par procuration !Sa sœur pouvait donc se retrouver mariée sans même avoir eu à prononcer le traditionnel « oui, je le veux ». Cette situation était

décidément des plus troublantes. Addie, Malik, elle…Comme s’il était conscient de la confusion qui l’habitait, Malik se pencha vers elle.– Tout va bien ?– Oui. Je suis seulement… un peu désorientée.– A cause des photographes ?Elle préféra lui répondre par un haussement d’épaules, et il lui passa le bras autour de la taille.– Nous n’en avons plus pour très longtemps.Le temps imparti aux photographes était en effet écoulé, et le service de sécurité arriva pour mettre un terme à la séance. Le petit groupe se

dirigea alors vers la salle où devait avoir lieu la cérémonie, orchestrée par le ministre de la Justice de Bha’Khar.Beth y assista comme dans un songe. Elle avait l’impression de voir un film tourné au ralenti, et ne sortit de cette semi-torpeur qu’au

moment où Kardahl embrassait Jessica.La manifestation de cette passion évidente rappela à la jeune femme les paroles de Malik : « Je vais vous embrasser. Et quand cela se

produira, vous en aurez autant envie que moi. »Le contact de sa main sur son bras la fit tressaillir. Il la guidait vers le seuil de la salle, que franchissaient déjà les membres de la famille. Un

repas, semblable à celui concocté pour la grande occasion, allait être servi dans l’une des pièces voisines.Dans le couloir, elle marqua une pause et hasarda un regard en direction du prince, qui fronça les sourcils.– Beth, êtes-vous certaine que rien de particulier ne vous préoccupe ?Ses sources de tourment étaient multiples, mais elle ne pouvait en souffler mot à Malik. En acceptant de venir à la rescousse de sa jumelle,

pas un instant elle n’avait mesuré la difficulté de la tâche qui l’attendait. Tout lui avait paru si facile, alors…Or l’image du jeune couple lui rappelait qu’elle était censée être elle aussi amoureuse de son prince. Prince qui, justement, commençait à lui

plaire bien plus qu’il ne l’aurait fallu.« Tu remplaces Addie, bon sang, ne l’oublie pas ! Et aussi charmant qu’il te paraisse en ce moment, il la fera souffrir si elle consent

finalement à l’épouser. »– Non, je… Enfin, si. J’avoue que quelque chose m’échappe.– Je vous écoute, dit-il, l’invitant d’un geste du menton à poursuivre.– Eh bien, voilà, je pensais que Kardahl et Jessica étaient déjà mariés.– En effet.– Dans ce cas, pourquoi se remarient-ils ?– Ils s’aiment et veulent montrer à la terre entière combien ils sont heureux.– Mais… pourquoi ne pas avoir organisé la première fois un mariage de cette envergure ?Malik plongea les mains dans les poches de son veston.– Dans un premier temps, ils se sont mariés par procuration.– C’est ce qu’on m’a dit. J’ai du mal à comprendre que ce genre de pratique existe encore de nos jours.

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– C’est parfaitement légal.– Vous avez l’air sur la défensive, insista-t-elle.– Pas du tout !– Dans ce cas, pourquoi ne pas m’expliquer ce qui s’est réellement passé ?Il la dévisagea quelques instants en silence, et elle crut qu’il ne lui répondrait pas. Puis il lâcha un soupir.– C’est une longue histoire…Beth tourna la tête en direction de la porte que venait de passer la petite assemblée.– Nous avons le temps. Ils en sont à peine au champagne.– Vous n’envisagez pas de lâcher prise, n’est-ce pas ?– Exact.Il hésita encore, et finit par hausser les épaules.– Soit. Jessica a été fiancée à mon frère avant sa naissance. Elle avait quelques mois à peine quand sa mère est « partie vivre aux Etats-

Unis. On a retrouvé sa trace à un moment où mon frère traversait une période de sa vie assez tumultueuse. Notre père s’est alors montré assezinsistant sur ce mariage. L’émissaire qu’il a envoyé pour faciliter la visite de Jessica à Bha’Khar s’est toutefois montré un peu trop zélé.

Il se tut et soupira de nouveau.– Mais encore ? fit Beth.Après avoir balayé du regard le vaste hall vide, Malik reporta son attention sur la jeune femme, qu’il fixa.– La procuration était écrite en bha’kharien. Il a placé le document correspondant au consentement parmi d’autres papiers officiels qu’elle

devait signer.– Pour faire bonne impression sur le roi ?Il répondit à sa question par un hochement de tête.– Je vois, murmura-t-elle.Voilà qui confirmait ses pires craintes concernant l’abus de pouvoir. Elle avait entendu dire que le pouvoir absolu pouvait mener à la pire

corruption. Non qu’elle doutât de l’intégrité de la famille de Malik, mais cela ravivait ses propres craintes à l’égard des puissants de ce monde,qui imposaient leurs règles aux autres.

Elle avait elle-même retenu la leçon, et se félicitait qu’Addie ait décidé de se soustraire à ce mariage de raison.Elle sursauta presque lorsque Malik glissa son index sous son menton.– Je crois au contraire que vous ne « voyez » pas, dit-il, la sondant du regard.– Pardon ?– Kardahl et Jessica prouvent bien que cette tradition n’a pas que des aspects négatifs. Leurs parents ont décidé de les fiancer l’un à l’autre,

la vie les a finalement réunis… et ils s’aiment !– Un vrai conte de fées ! ironisa-t-elle. Mais vous savez aussi bien que moi que la vie n’est pas un conte de fées.– Pourtant…– Simple question de chance.Elle se réjouissait que Jessica et Kardahl aient trouvé le bonheur ensemble, même si elle condamnait ces pratiques ancestrales. Car, en dépit

des assertions de Malik, elle avait du mal à voir en son père un homme sage et avisé. Froid et distant, Rafi Farrah ignorait quel genre d’hommepourrait rendre Addie heureuse. Peut-être même ne s’en souciait-il pas. Peut-être n’était-ce que l’appât du pouvoir – à travers sa fille – quil’avait motivé.

Beth aimait sa sœur plus que tout au monde, et était prête à tout pour éviter qu’elle souffre. Elle souhaitait que sa sœur rencontre l’amour,qu’elle soit aussi heureuse que Jessica et Kardahl.

Mais, ironie du sort, c’était à elle que plaisait le prince héritier.L’espace d’un instant, elle se surprit à regretter la situation. Jamais elle ne saurait si leur relation aurait eu une chance d’aboutir.Et c’était très bien ainsi. Malik Hourani appartenait à la race d’hommes qu’elle fuyait : ceux qui gouvernaient le monde et croyaient que tout

leur était permis.

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5.

Malik prêtait une oreille distraite au discours que prononçait son frère avant de passer à table. La famille et les amis réunis là pour l’occasionlevèrent leur coupe de champagne, et les photographes circulèrent dans la salle pour prendre les meilleurs clichés de cette répétition. Clichésqui circuleraient de par le monde, affichant le bonheur du jeune couple.

Son propre mariage avec Beth serait plus fastueux encore, puisqu’il marquerait l’union du futur roi de Bha’Khar. Cette pensée provoqua enlui une réaction de plaisir anticipé pour le moins inattendue. Pourquoi diable s’enthousiasmer ainsi, à la veille d’un mariage de raison qui,précisément, les mettrait tous deux à l’abri de cruelles déconvenues sentimentales ?

Résolu à se montrer plus raisonnable, il fouilla la salle du regard en quête de sa fiancée. Mais il eut beau aller et venir, inspecter le moindrerecoin du grand salon, il ne trouva nulle trace de Beth.

Il décida donc de poursuivre ses recherches dehors, et passa les portes-fenêtres qui conduisaient à la terrasse. Les lumières extérieuresilluminaient le patio, et l’une des allées qui menait jusqu’à la plage, située à une centaine de mètres de là. Assez près pour que, par cette nuit depleine lune, il distingue la silhouette féminine dressée sur la rive, près de l’endroit où les vaguelettes venaient lécher le sable.

– Beth…, chuchota-t-il, soudain pressé de sentir près de lui la chaleur de son corps, d’entendre son rire cristallin, de voir étinceler ses yeux.Le sable étouffait le bruit de ses pas, et elle ne l’entendit pas arriver. Comme il se rapprochait d’elle, il remarqua qu’elle avait enlevé ses

sandales argentées à hauts talons, qui rendaient ses longues jambes plus fines encore. La robe fourreau de satin noir choisie pour la circonstancemettait en valeur les délicieuses rondeurs de son corps svelte.

Malik ralentit l’allure. Il aurait préféré être moins sensible au charme de celle qui lui était promise. Cela risquait de le rendre vulnérable, et iln’y tenait pas. Sa dernière expérience lui avait suffi. Il souhaitait bien s’entendre avec la future reine de Bha’Khar, mais certainement pasperdre la tête pour elle.

– Voilà donc où vous vous cachiez ! lança-t-il au moment où il la rejoignait.Beth se tourna vers lui. A l’expression de son visage, il devina qu’elle n’était pas particulièrement heureuse qu’il l’ait rejointe.– J’avais besoin de prendre l’air.– Ah ?– Je commençais à étouffer, au milieu de cette foule.Sous l’effet de la brise humide qui venait de la mer, des boucles se formaient dans son épaisse chevelure. Pris d’un vif désir de glisser les

doigts dans cette masse brune, qui luisait sous la lune, Malik mit les mains dans ses poches.– Je comprends, dit-il, tourné vers l’étendue noir d’encre.– Vraiment ?Sans doute s’attendait-elle à l’entendre protester, car elle parut surprise par sa réaction.– Oui. La famille royale est soumise à un examen permanent de la part des médias. Nos moindres faits et gestes sont exposés, commentés.

Les histoires nous concernant se vendent bien, et font donc les joies de la presse. C’est regrettable, mais nous n’y pouvons rien changer.– Voyons, si je ne me trompe pas, vous seriez prêt à admettre que l’existence que vous menez n’est pas toujours dorée.– Bien sûr. Vous avez l’air surprise…– Je le suis. Jusqu’ici, le tableau que vous m’avez brossé était idyllique. Vous vantiez les mérites des traditions, la sagesse des personnes plus

âgées qui prenaient les décisions à votre place. Je suis presque choquée de vous entendre énoncer un défaut dans ce système !– Si c’est l’impression que je vous ai donnée, j’en suis désolé. Rien n’est parfait. Aussi agréable soit-elle, la vie au palais comporte aussi des

inconvénients.Il s’agissait là d’un euphémisme.Il avait cru être à l’abri des regards curieux, dans l’aile du palais où il gérait les affaires qui lui étaient confiées. Jusqu’à ce qu’une femme

réussisse à s’immiscer dans son existence. Il avait alors été assez stupide pour cesser de se méfier, et avait payé cher cette imprudence.Raison pour laquelle il jugeait désormais devoir toujours se tenir sur ses gardes. Même auprès de celle que son père avait choisie pour lui.– Y a-t-il autre chose encore que je devrais savoir ?– Beaucoup de choses.– Citez-en une.Il réfléchit. Pas plus de quelques secondes.– Faites de la méfiance votre devise.– C’est… assez cynique, comme conseil.– Je ne tiendrais pas ce genre de propos sans raison.– Je n’en doute pas, puisque vous me donnez l’impression d’être quelqu’un de très raisonnable. Au risque de vous contrarier, je dirais que

ces recommandations ne font que me conforter dans mon opinion : ce mariage serait une erreur.A ces mots, Malik réprima un mouvement d’impatience. Il s’apercevait que, plus la jeune femme cherchait à lui échapper, plus il voulait l’en

empêcher.– Nous y revoilà donc ! lança-t-il, arquant un sourcil. Vous ne respectez pas notre contrat.

Page 26: L'épouse du cheikh - Le Jardin d'Evele-jardin-d-eve-horizon.e-monsite.com/medias/files/l-epouse-du-cheikh.pdfElle avait en fait été soulagée de ne pas le voir au pied du jet privé

– Bien sûr que si ! Ne suis-je pas ici, avec vous ?Elle était là en effet, tout près de lui. Ravissante, exquise, terriblement attirante.– Ce n’est pas de cela qu’il s’agit. Vous saisissez le moindre prétexte pour pointer du doigt les aspects déplaisants de la vie au palais.Or il me semble que vous aviez accepté de vous monter patiente, d’observer sans préjugé d’aucune sorte.Malgré ce fâcheux travers, Beth lui plaisait. Et ce n’était pas seulement son physique qui l’attirait. Des belles femmes, il en avait connu un

certain nombre avant de rencontrer celle que son père avait choisie pour lui. Belles, mais aussi drôles, intelligentes, dotées d’un esprit vif.Que possédait donc celle-ci qui l’attirât à ce point ?« Ne te plairait-elle pas justement parce qu’elle te résiste ? »Celle qui l’avait trahi s’était montrée conciliante, enjôleuse. Elle n’avait pas ménagé ses flatteries pour arriver à ses fins : le manipuler à sa

guise. Beth, en revanche, lui exposait sans détour son opinion. Elle ne s’embarrassait pas de circonlocutions pour exprimer le fond de sa pensée,et cette attitude lui faisait l’effet d’une bouffée d’air pur.

Malik retint son souffle. Ces lèvres bien dessinées lui semblaient de plus en plus irrésistibles.– Je garde l’esprit ouvert, déclara-t-elle. Je cherche simplement à m’informer.– Une attitude louable, fut-il forcé d’admettre.– Et plus j’y réfléchis, plus la difficulté de votre rôle m’apparaît comme une évidence. Même en amitié, il doit vous arriver de douter de ceux

qui vous entourent. Comment deviner si les gens vous apprécient pour vos qualités ou plutôt pour votre position ?La lucidité dont elle faisait preuve était saisissante. A croire qu’elle lisait dans ses pensées !– Cet intérêt – plus ou moins sincère – que portent les gens aux membres de la famille royale compte parmi les aspects les plus…

désagréables de notre statut.Les yeux plissés, elle le fixa soudain avec une attention soutenue.– Feriez-vous par hasard allusion à votre récente déconvenue amoureuse ?Elle le vit serrer les mâchoires, et en déduisit qu’elle ne s’était pas trompée.– J’aime autant ne pas aborder ce sujet, répliqua-t-il, la mine renfrognée.– Êtes-vous encore amoureux d’elle ?– Absolument pas !– Mmh… Tant de véhémence à protester m’inciterait pourtant à penser le contraire. Devrais-je être jalouse ?– Ce genre de décision n’appartient qu’à vous.– Votre épouse serait en droit d’être jalouse, si vous en aimiez une autre qu’elle au moment du mariage.– Vos insinuations me blessent, Beth.– Ah ? Il s’agit pourtant d’une pratique assez courante, surtout dans un certain milieu. Les hommes qui occupent un rang important ont

tendance à croire que les règles de décence élémentaire ne s’appliquent pas à eux…Ce n’était pas la première fois qu’elle abordait ce sujet, qu’elle s’interrogeait sur les principes du futur roi qu’il était. Cette fois encore, il se

demanda si l’homme qu’elle avait aimé ne comptait réellement plus pour elle. Cette pensée fut accompagnée d’une étrange sensation : soudain,il eut l’impression de recevoir un coup de poing au creux de l’estomac. Était-ce une manifestation de cette jalousie, qu’ils venaient justementd’évoquer ?

– Elle n’a plus pour moi la moindre importance, dit-il, résolu à faire preuve d’honnêteté.Certes, il ne l’oublierait jamais. Pour être plus précis, il n’oublierait jamais comment elle s’était moquée de lui.– Alors pourquoi ne m’avez-vous pas encore embrassée ?A ces mots, Beth sursauta. Était-ce possible que ce fût elle qui les ait prononcés ?Il se rapprocha d’elle et lui posa les mains sur les épaules. Le contact de ces paumes tièdes sur sa peau nue lui procura un délicieux frisson.– J’espère que vous me croirez, si je vous dis que j’ai eu envie de vous embrasser dès que j’ai posé les yeux sur vous.– Vous ne l’avez pourtant pas fait…L’intensité de son regard, le léger fléchissement de sa voix étaient éloquents. Quoi qu’elle prétende, elle était elle aussi attirée par lui. Les

paroles pouvaient être déformées, mal interprétées. Le corps, lui, mentait rarement.Il ne livrerait pas de sitôt son cœur à une femme, mais il éprouvait un désir fou pour celle-ci.– Je ne vous ai pas embrassée, répéta-t-il d’une voix rauque en se rapprochant d’elle.Leurs lèvres se touchaient presque.Auprès de Beth, il avait cependant appris que le refus attisait le désir. Plus elle tentait de se soustraire à leur mariage, plus il avait envie de

la retenir.Il allait donc prolonger l’attente.– Je réparerai cet oubli, murmura-t-il. Bientôt.

** *

Beth était assise à côté de Malik. Ils traversaient la ville, mais cette fois encore elle ignorait leur destination. Il aimait les surprises, et il le luiavait prouvé. Laquelle lui réservait-il, cette fois ?

Elle prit une profonde inspiration et essaya de chasser sa morosité, de réveiller son enthousiasme. Mais les événements de la veille l’avaientaffectée. Il y avait d’abord eu cette répétition de mariage, éprouvante à maints égards, et pour finir, son tête-à-tête avec Malik sur la plage.Tête-à-tête qui s’était terminé sur une promesse de baiser.

Cette attitude des plus frustrantes l’avait perturbée, et aussi incitée à se poser quelques questions. Pourquoi réagissait-elle de la sorte, alors

Page 27: L'épouse du cheikh - Le Jardin d'Evele-jardin-d-eve-horizon.e-monsite.com/medias/files/l-epouse-du-cheikh.pdfElle avait en fait été soulagée de ne pas le voir au pied du jet privé

qu’elle était censée remplacer sa sœur ?« Décidément, tu t’investis beaucoup dans cette tâche… »Cette phrase, elle se l’était souvent répétée au cours de la soirée. Elle avait ensuite passé une nuit agitée, et ne s’attendait pas à trouver

Malik devant sa porte ce matin-là, souriant. Lorsqu’il l’avait invitée à une promenade surprise, elle avait été sur le point de lui fermer la porteau nez, mais s’était vite ravisée. D’une part, rien ne justifiait vraiment un tel comportement de sa part. D’autre part, elle avait envie de lesuivre !

Et c’était bien là le plus ennuyeux : le plaisir croissant qu’elle prenait à sa compagnie.Ils étaient donc montés dans l’élégant véhicule, avaient roulé et se trouvaient à présent devant une petite maison carrée à la façade ornée de

stuc rose, entourée d’un jardin où poussaient quelques plantes grasses.Beth se tourna vers lui.– Sommes-nous arrivés ?– Oui.Le chauffeur descendit pour leur ouvrir la portière. Debout à côté de Malik, la jeune femme regarda autour d’elle. Les maisons étaient plus

rares dans cette partie haute de la ville, qui se trouvait presque aux portes du désert.– Et où sommes-nous au juste ?– Chez votre mère. Elle vous attend.Beth se figea et le dévisagea, ébahie.– Mais… comment…– J’ai des relations, railla-t-il. Comme vous vous plaisez à le répéter, je suis un homme influent.Un bruit de porte se fit alors entendre, et Beth pivota lentement sur ses talons. Une femme d’une stature semblable à la sienne se tenait sur

le seuil. Elle portait une robe en coton couleur safran sans manches, qui lui arrivait au genou.Ses cheveux poivre et sel étaient coiffés en un chignon qu’elle portait bas sur la nuque.Ce fut Malik qui rompit le silence.– Elle attend, dit-il en lui tendant le bras.Incapable de proférer le moindre son, elle s’y agrippa et franchit avec lui les quelques mètres qui les séparaient de la maison. Ses jambes

avaient du mal à la porter. Pesant de tout son poids sur le bras de Malik, elle réussit à parcourir la faible distance pour s’arrêter face à celle quiles avait mises au monde, Addie et elle.

Les secondes s’égrenèrent tandis qu’elles s’observaient en silence.– Beth…, dit enfin sa mère.La jeune femme sentit des larmes lui brûler les paupières. Celle qui se tenait devant elle l’avait reconnue sur-le-champ. Elle ne l’avait pas

confondue avec Addie. Puis le souvenir de ces longues années durant lesquelles elle avait été privée de présence maternelle l’assaillit, et lacolère sécha ses larmes.

– Bonjour, mère.Il y eut un moment de gêne, lorsque la plus âgée des deux femmes tendit les bras. Mais Beth ne bougea pas.– Entrez, je vous en prie, fit-elle alors en s’effaçant pour les laisser passer. Je suis Sameera Hamman, Votre Altesse.Il lui prit la main et s’inclina vers elle.– Je suis enchanté de connaître la mère de ma fiancée.Face à l’air décontenancé de sa mère, Beth sentit son sang se glacer dans ses veines. Celle-ci l’avait reconnue, et savait laquelle des deux

jumelles était fiancée au prince héritier.Elle chercha son regard afin de la mettre en garde et, après un bref instant d’hésitation, celle-ci cligna des paupières, lui faisant ainsi

comprendre qu’elle avait saisi le message.– Puis-je vous offrir un rafraîchissement ?– Je vous remercie, mais il m’est impossible de rester.Tourné vers Beth, il ajouta :– Je voulais seulement exaucer votre vœu et vous en faire la surprise.– Mission accomplie ! s’exclama Beth. Pour une surprise, c’en est une…– Je vais vous quitter toutes les deux maintenant, pour que vous puissiez parler en toute tranquillité. La voiture viendra vous chercher plus

tard pour vous reconduire au palais, Beth.Émue par ce geste merveilleux – qui avait pourtant failli dégénérer en catastrophe –, la jeune femme avança vers lui, les bras ouverts.– Merci, Malik.Il la serra contre lui.– De rien. Tout le plaisir a été pour moi.Leurs regards restèrent rivés l’un à l’autre pendant les secondes qui suivirent, puis il disparut.Beth porta instinctivement les mains à ses joues, qui étaient brûlantes, et inspecta ensuite le salon, meublé dans un dégradé de tons crème,

avant de poser enfin les yeux sur la femme qui se tenait à côté d’elle, immobile.– Veux-tu boire quelque chose ? Du thé, de l’eau…Comme Beth refusait d’un geste de la tête, Sameera tendit la main vers le canapé en cuir beige, l’invitant ainsi à y prendre place.– Asseyons-nous.

Page 28: L'épouse du cheikh - Le Jardin d'Evele-jardin-d-eve-horizon.e-monsite.com/medias/files/l-epouse-du-cheikh.pdfElle avait en fait été soulagée de ne pas le voir au pied du jet privé

Beth s’installa dans le confortable sofa, et sa mère vint se mettre à sa droite. C’était étrange, de se trouver avec quelqu’un qui devinait tout.– Comment avez-vous su que je n’étais pas Addie ? s’enquit-elle, lui posant la question qui lui brûlait les lèvres.Elle l’avait vouvoyée à dessein, pour mettre l’accent sur la distance qui les séparait. Distance dont Sameera était seule responsable.Sa mère tendit vers elle une main tremblante et lui caressa la joue avant de laisser ses doigts s’aventurer sur son cou.– Tu as une petite tache de naissance juste derrière l’oreille. C’est ce qui me permettait de vous distinguer l’une de l’autre quand vous étiez

bébés, avant que chacune n’acquière sa propre personnalité.La jeune femme se passa la main dans le cou. Elle avait oublié ce détail.– Père est-il au courant de cette marque ?– Je lui en ai parlé à votre naissance.– Apparemment il n’en a gardé aucun souvenir ! déclara-t-elle d’un ton sec. Il n’a jamais été capable de nous reconnaître. A vrai dire, il ne

s’est intéressé à moi que les rares fois où il m’a prise pour Addie !– Ce n’est pas toi qui es née en premier, Beth. Tu n’étais pas destinée à devenir reine de Bha’Khar.– Sa conduite n’a pas l’air de vous surprendre, observa-t-elle, un sourcil levé.Sa mère savait donc quel traitement lui réserverait son père, mais cela ne l’avait pas empêchée de partir. Un mélange de rage, de chagrin et

de douleur la submergea. Personne ne l’avait jamais aimée. Personne, excepté Addie.– Comment avez-vous pu me laisser avec lui ?Il lui en avait coûté, mais elle avait réussi à parler d’une voix à peu près calme, à maîtriser ses émotions.Sa mère parut choquée, puis triste, et enfin résignée. Les rides de son visage s’étaient creusées.– Tu n’as donc pas reçu mes lettres…, murmura-t-elle.– Quelles lettres ? Nous n’avons jamais eu le moindre message de vous. Vous êtes partie sans un regard en arrière !Sameera secoua tristement la tête.– J’ai écrit tous les jours à mes filles, pendant des mois. Des années.Abasourdie, Beth cligna des paupières. Cette éventualité ne lui avait jamais effleuré l’esprit.– Apparemment, ces lettres ont été interceptées, reprit Sameera. C’est bien ce que je craignais.Elle poussa un long soupir avant de croiser les mains sur ses genoux.– Il faut que tu saches que je t’aime, Beth. Et que j’aime aussi ta sœur.Le regard lointain, elle ajouta d’une voix vibrante :– Mes petites filles… Vous êtes ce que j’ai de plus précieux au monde.Se tournant vers Beth, elle enchaîna :– Je ne suis pas partie. Je ne vous ai pas abandonnées. C’est votre père qui vous a emmenées.Stupéfaite, la jeune femme porta la main à sa gorge.– Je ne comprends pas. Pourquoi ? Pourquoi aurait-il agi ainsi ?– Parce que j’allais le quitter.Choquée par cette avalanche d’informations, Beth ne put que répéter :– Pourquoi ?Sameera soupira de nouveau.– Je venais de recevoir une visite de sa maîtresse. Elle m’avait dit qu’il n’avait jamais tenu à moi, qu’il ne m’avait épousée que parce que

j’avais quelques relations avec une branche de la famille royale. Elle m’avait aussi annoncé qu’ils étaient amants avant notre mariage, et quecette relation durait encore.

– Oh, Seigneur…– J’étais bouleversée, mais je refusais de la croire. Et puis j’ai obtenu confirmation, et je me suis sentie terriblement humiliée. J’ai donc dit à

votre père que je souhaitais divorcer.Bien que connaissant la suite, Beth pressa sa mère de poursuivre.– Votre père était alors une étoile montante du royaume de Bha’Khar. Il a usé de son influence et de son pouvoir pour partir avec vous.– Aux Etats-Unis ?Sameera hocha la tête.– Il venait d’obtenir un poste là-bas et nous étions d’ailleurs en train de préparer le déménagement. Suite à notre dispute, il a décidé de

partir sans moi. Sans moi, mais avec vous.– J’ai du mal à le croire.– Vraiment ? fit Sameera d’un ton sec.– Non. Je le crois ! Mais pourquoi ne pas avoir essayé de nous retrouver ? Pourquoi ne pas vous être battue pour nous ?Sameera lâcha un rire qui ressemblait à un sanglot.– Je vous ai suivies, j’ai tout tenté pour vous approcher, mais mes démarches n’aboutissaient jamais. Il avait des relations, des gardes du

corps qui faisaient barrage. Sache que je n’ai pas baissé les bras pour autant. Je suis restée là-bas, à attendre le moment propice. J’ai fini pardécouvrir qu’il vous avait envoyées toutes les deux dans un internat très chic. Mais personne n’a consenti à me donner les coordonnées de cetétablissement.

Haussant les épaules avec lassitude, elle poursuivit :

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– C’est à ce moment-là que j’ai commencé à vous écrire. J’espérais que ces lettres finiraient, d’une façon ou d’une autre, par arriver jusqu’àvous. J’ai reçu une seule réponse : une enveloppe qui contenait une lettre de toi et une autre de ta sœur. Vous me disiez que vous ne vouliezplus entendre parler de moi, et qu’il fallait que je vous laisse en paix.

Interloquée, Beth ouvrit grand les yeux.– Jamais je ne vous ai envoyé une lettre pareille. Jamais, je le jure. Pas plus que ma sœur.Elle vit les yeux de sa mère s’embuer de larmes et, remarquant que ses lèvres tremblaient, fut tentée de lui prendre la main pour la

réconforter.– J’imagine que cette initiative vient de père. J’ai toujours su qu’il était froid, mais je ne l’imaginais pas menteur.A l’instant même où elle prononçait ces mots, Beth sentit son estomac se nouer.« Tel père, telle fille ! »– Tu dois me croire quand j’affirme que je vous aime, ta sœur et toi. Je n’ai jamais cessé de vous aimer, et je vous aimerai toujours.– J’aurais dû m’en douter. Mais toutes ces années à subir l’endoctrinement de notre père ont fini par émousser notre capacité de jugement…– Personne au monde ne peut mieux te comprendre que moi. Tout comme je comprends que tu usurpes certainement l’identité de ta sœur

pour une bonne cause.– En effet.Par ses révélations, sa mère venait de donner plus de poids à sa décision. Elle devait laisser à Addie le temps nécessaire pour mettre un

terme à ces fiançailles de la façon qui lui conviendrait le mieux.Pour la première fois de sa vie, elle se sentit en paix avec le monde, avec elle-même.– Quand le prince héritier a décidé de se manifester pour réclamer son dû, Addie a voulu rompre. Mais elle redoute d’affronter père. Elle a

surtout peur qu’il brise à tout jamais leur relation.– J’aimerais pouvoir vous rassurer, ta sœur et toi, dire qu’il est incapable d’une attitude pareille, mais ce serait mentir. Cet homme a gâché

ma vie.– Il a tout mis en œuvre pour gâcher la mienne aussi.Beth parla alors à sa mère de la froideur affective dans laquelle elle avait grandi. Elle lui raconta aussi sa discussion houleuse avec son père,

lorsqu’elle lui avait annoncé qu’elle n’envisageait pas de renoncer à sa carrière d’enseignante pour attendre le mariage, comme il l’exigeait.Sameera, qui s’était rapprochée de sa fille, lui passa le bras autour des épaules.– Je suis fière de toi, Beth.Le regard dont elle enveloppa la jeune femme donnait plus de poids encore à ses mots.– Fière que tu tiennes tête à cet homme, car je sais combien c’est difficile.Souriant à sa mère, elle lui fournit davantage de détails sur les circonstances de sa présence à Bha’Khar.– Tu es donc venue afin que ta sœur dispose d’un peu plus de temps pour décider de sa destinée, conclut Sameera.– Oui.– Et par la même occasion, tu t’es rapprochée du prince héritier. Alors, comment est-il ?– Magnifique !Gênée par la teneur de sa réponse, qui avait été spontanée, Beth rougit.– Mais vous l’avez vu comme moi, ajouta-t-elle en hâte. Malik est aussi quelqu’un de brillant, drôle, prévenant. Je le crois également nanti

d’une grande générosité et d’un sens de la justice assez développé. En bref, il devrait faire un bon souverain.Sameera hocha la tête.– Il semblerait que ta sœur ne soit pas la seule à avoir rencontré un homme qui lui plaise beaucoup, dit-elle avec un sourire entendu.– Oh, non ! Enfin… oui. J’aime Malik, mais pas comme vous l’imaginez. Il n’est pas… mon genre, finit-elle d’une voix faible.– Tu envisages donc de te retirer de la scène quand tout sera rentré dans l’ordre ?– Bien sûr.– Penses-tu être capable, le moment venu, de tourner le dos à cet homme sans le moindre regret ?L’effet que produisirent sur elle ces mots confirma ses pires craintes : les sentiments que lui inspirait le futur roi de Bha’Khar n’étaient pas

exclusivement amicaux.Tout compte fait, elle se réjouissait qu’il ne l’ait pas embrassée la veille au soir, sur la plage.

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6.

C’était un mariage très réussi. Un mariage de rêve.Entourés de leur famille, de leurs amis et des plus hauts dignitaires du monde, Jessica et Kardahl s’étaient juré amour et fidélité. Cette

promesse avait été scellée par un long baiser, et la cérémonie s’était terminée dans les jardins du palais, sous un dais de roses et de jasmin.Kardahl était très élégant dans son smoking blanc, et Jessica ravissante dans sa longue robe en dentelle immaculée. Émue par ce spectacle

de bonheur évident, Beth essuya furtivement une larme. Ce bonheur-là, elle en serait privée. Elle ne se faisait aucune illusion : elle nerencontrerait jamais l’amour.

Elle en était là de ses pensées lorsque son regard se posa sur Malik, qui se tenait à côté de son frère. Le prince héritier était particulièrementséduisant ce jour-là, dans ce smoking bleu nuit.

Son regard sombre paraissait plus brillant, son sourire plus éclatant que jamais.Beth passa machinalement la main sur sa robe de satin noir, signée d’un grand couturier français. C’était un cadeau de Malik. Il l’avait fait

venir de Paris, et la couturière du palais avait procédé aux retouches nécessaires. Elle portait aussi une parure en saphirs et diamants quiappartenait à la famille royale.

Dans ces atours, elle avait l’impression d’être une princesse. Pis encore : cela lui plaisait ! Et cette réaction, qui n’avait pourtant rien de trèsanormal, lui donnait l’impression de vendre son âme au diable.

La cérémonie était finie. Malik, qui l’avait rejointe sans qu’elle s’en aperçoive, lui tendait le bras en souriant afin de l’escorter jusqu’auxgrands salons où se déroulerait la réception. Ses gestes galants lui devenaient familiers. Tout comme ses regards chauds, ses sourires tendres.

Ce fut dans une sorte d’état second qu’elle fut présentée aux personnalités de la scène politique internationale réunies là. Si Malik n’avait pasété tout près, elle se serait sentie perdue. Celle qu’il épouserait devrait s’habituer à ce cérémonial.

Au bout d’une demi-heure, n’y tenant plus, elle prétexta une retouche de maquillage pour lui fausser compagnie.– Je vous attends ici, lui dit-il.– Non, c’est inutile. Il y a une foule de gens avec lesquels vous devez converser.– Vous aussi. Je souhaite présenter à tout le monde ma future épouse.– Pas de répit pour les braves…, murmura-t-elle.Il sourit et accentua la pression de ses doigts sur le bras de la jeune femme avant de la lâcher.– N’ayez aucune crainte, Beth. Vous avez été préparée à tenir ce rôle, et ces mondanités n’auront bientôt plus aucun secret pour vous. Elles

font aussi partie du devoir royal.Elle lui répondit par un hochement de tête et s’éloigna vers le couloir, où se trouvait un cabinet de toilette pour dames. Dès qu’elle en eut

poussé la porte, elle trouva Jessica assise à l’une des coiffeuses. La jeune mariée peinait visiblement à enlever son voile.– Oh… je suis ravie de vous voir !– Vous êtes seule ? s’étonna Beth.– Oui. J’ai commis l’imprudence de décréter que j’arriverais très bien à me débrouiller sans mes demoiselles d’honneur, et voilà que le

diadème qui retient ce voile est coincé dans mes cheveux.– Je vais vous aider.Après avoir inspecté le diadème de plus près, Beth parvint à trouver le système qui le fixait à la chevelure de Jessica, et l’enleva.– Voilà qui est fait, dit-elle en le lui tendant.– Merci infiniment.La jeune femme s’assit à côté de la nouvelle mariée, et la regarda faire quelques retouches de maquillage.– C’est du temps perdu : vous êtes parfaite.Jessica lui adressa un sourire radieux.– J’en doute, mais merci quand même ! En tout cas, jamais je ne me suis sentie aussi bien.– Vous êtes heureuse ? insista Beth.– A un point que je n’aurais jamais imaginé !Elle paraissait sincère. A moins qu’elle n’ait de véritables talents d’actrice, ce dont il lui était impossible de juger.– Racontez-moi votre première rencontre avec Kardahl, fit-elle, incapable de contenir sa curiosité.Jessica soupira.– On ne peut pas dire que j’en garde un souvenir merveilleux.– Ah ?Le début de cette histoire ne ressemblait donc pas à celui des contes de fées.– Je n’étais pas encore descendue de l’avion qu’il m’annonçait que nous étions mariés par procuration !– Malik m’a raconté en quelles circonstances cela s’était produit.– J’avais découvert tout récemment le passé de ma mère. Quand je suis arrivée ici, j’ai été assez choquée d’apprendre que j’étais déjà nantie

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d’un mari !– Je veux bien le croire.– C’était une situation épouvantable. J’aurais voulu retrouver cet émissaire zélé et l’étrangler de mes propres mains ! Je n’avais aucune

envie d’entendre parler d’amour.– Qu’est-ce qui vous a fait changer d’avis ?– En un mot : Kardahl.– Comment s’y est-il pris ? A-t-il cherché à exercer une quelconque pression sur vous ? Vous a-t-il vanté les multiples mérites de la vie au

palais ?– Du tout. L’inverse, plutôt. Il m’a dit que si cette situation ne me convenait pas, il demanderait l’annulation de notre mariage – ce qui était

possible tant qu’il n’avait pas été consommé.– Il semblerait que l’annulation n’ait pas eu lieu.Les joues toutes roses, la jeune mariée sourit.– Je viens d’annoncer au roi et à la reine que nous attendons un enfant. Je l’ai découvert hier.Jessica rayonnait de bonheur. Un bonheur dont Beth se réjouissait, et qu’elle lui enviait à la fois. Elle se rapprocha d’elle pour la serrer

affectueusement dans ses bras.– Toutes mes félicitations ! Malik est-il au courant ?– A l’heure qu’il est, probablement.Jessica croisa les mains sur son ample jupe en dentelle.– Après la mort de ma mère, j’ai grandi dans un orphelinat. Les filles de mon rang ne reçoivent pas une éducation destinée à faire d’elles des

princesses. Mais Kardahl m’aime, et je l’aime. Je l’aimerais tout autant s’il était issu d’un milieu modeste, parce que je sais qu’il me traiteraitquand même comme une princesse.

– Je suppose qu’il est inutile de vous demander si vous ça vous ennuie d’avoir été fiancée à quelqu’un que vous ne connaissiez pas…– Kardahl pense que ce que nous vivons n’a aucun rapport avec cette tradition ancestrale. Il est convaincu que le destin nous a réunis parce

que nous étions faits l’un pour l’autre.– C’est une vision très romantique…Jessica, qui avait perçu une certaine mélancolie dans la voix de Beth, haussa un sourcil.– Vous vous souciez de votre avenir avec Malik ?– Il y a de cela…, admit-elle.Jessica lui posa en souriant la main sur l’épaule.– Je comprends. Et je ne peux vous donner qu’un seul conseil : détendez-vous… et tentez votre chance !– Je vais essayer de suivre ce conseil. Merci. Et vous devriez à votre tour suivre le mien : retournez vite auprès de Kardahl ! Votre mari doit

commencer à trouver le temps long…Malgré son heureux dénouement, l’histoire de Jessica ne réussissait pas à balayer les doutes de Beth. Quelles que soient les qualités de

Malik, il appartenait au cercle restreint des grands de ce monde, qui vivaient selon leurs propres règles. En ce moment même, il devait être entrain de bavarder avec des chefs d’Etat. Cela faisait partie de ses fonctions.

Et elle se trouvait à quelques mètres de là, seule, en train de penser à lui. La femme qu’il épouserait devrait s’habituer à la solitude. Entreson statut et ses maîtresses, il n’aurait pas beaucoup de temps à accorder à la reine de Bha’Khar.

– Vous dansez très bien, lui dit Malik en resserrant légèrement son étreinte.– Merci. Vous aussi.A la fin du repas fastueux, les desserts avaient été servis sur la grande terrasse, où un orchestre jouait à présent des airs mélodieux. Les

jeunes mariés avaient ouvert le bal, acclamés par l’assistance. Quelques couples s’étaient joints à eux, parmi lesquels celui que formaient leprince héritier et sa fiancée.

La tête penchée vers elle, il la dévisageait avec un sourire léger, presque gourmand, qui accentua les battements de son cœur.– Alors, fit-elle, pressée d’interrompre le silence troublant qui s’installait entre eux, que pensez-vous de ce mariage ?– Le mariage en soi m’importe peu. Ce qui compte le plus pour moi, et de loin, c’est de voir mon frère amoureux et heureux.– Sera-t-il encore amoureux de Jessica demain ?Tout près d’elle, elle vit ses épais sourcils noirs se rapprocher.– Vous êtes la jeune femme la plus sceptique que j’aie jamais connue.– En avez-vous connu beaucoup ?– Évidemment.– Une en particulier ?– Sans grande importance.– Et vos expériences ne vous ont pas rendu sceptique ?– Pas autant que vous ! répliqua-t-il, de ce ton moqueur qu’il adoptait en certaines circonstances. Mais pour en revenir à mon frère, il a l’air

très amoureux de sa femme, et elle de lui. Il ne fait donc aucun doute pour moi que leur union durera toute la vie.– Prenez-vous vos désirs pour des réalités, ou seriez-vous plutôt d’un romantisme acharné ?Cela paraissait peu probable. Le pouvoir était, pour les hommes de son rang, le plus puissant des aphrodisiaques.

Page 32: L'épouse du cheikh - Le Jardin d'Evele-jardin-d-eve-horizon.e-monsite.com/medias/files/l-epouse-du-cheikh.pdfElle avait en fait été soulagée de ne pas le voir au pied du jet privé

– Je connais bien mon frère, et je ne l’ai jamais vu aussi heureux qu’aujourd’hui.Que répondre à cela ? D’autant qu’il reprenait déjà la parole.– Mais pourquoi ne pas profiter de l’instant présent, au lieu de spéculer sur l’avenir des nouveaux mariés ?Beth avala sa salive.– Vous aimez donc danser ?– Pas spécialement.– Ah ? Comme vous suggériez de profiter de l’instant présent…Cette réflexion lui soutira un sourire.– Vous êtes d’une exquise naïveté !– J’ai du mal à vous suivre. Tout à l’heure j’étais sceptique, maintenant naïve…– Les multiples facettes de votre personnalité m’enchantent. Je n’aurai pas souvent l’occasion de m’ennuyer auprès de ma femme.En entendant ces mots, Beth ressentit une bouffée de plaisir qu’elle se reprocha aussitôt. Cet homme suscitait en elle des sensations qu’elle

n’aurait jamais dû éprouver.En tout premier lieu, jamais elle n’aurait dû être là, à la place d’Addie.– Je crois que j’ai besoin de respirer un peu d’air frais, dit-elle en s’écartant de lui. Et vous devriez peut-être rejoindre vos invités de

marque…Sans lui laisser le temps de répondre, Beth lui faussa compagnie et sortit par l’une des portes-fenêtres. Elle fit quelques pas dans le jardin

avant de s’arrêter pour respirer l’air qui embaumait la rose et le galant de nuit. A ces fragrances sucrées, presque entêtantes, se mêlait l’odeurplus tonifiante de l’océan.

Après avoir passé ces dernières heures au milieu des gens, du bruit, de l’agitation, elle appréciait infiniment ce havre de paix. Derrière elle,des accents de musique mêlés aux bruits de voix résonnèrent soudain, brisant le calme environnant. Cela ne dura pas plus de quelques instants.La porte qui s’était ouverte venait de se refermer.

Elle soupira, entendant les gravillons crisser. La chance ne l’accompagnait pas.– J’espère ne pas vous avoir blessée…Malik se tenait juste derrière elle lorsqu’il prononça ces mots.– Pas du tout.– Les responsabilités qui incombent à la future reine peuvent paraître effrayantes, j’en suis conscient. Mais l’assurance, la confiance en soi

viennent avec le temps. Au début, vous serez entourée d’une équipe de conseillers qui vous guidera.Il attribuait sa conduite à l’affolement que provoquaient en elle les fonctions qu’elle serait appelée à assumer. Si seulement cela avait été

aussi simple…– Tout va bien, Malik, mentit-elle. J’avais besoin de prendre l’air, rien de plus.Il n’était apparemment pas décidé à en rester là. A croire que plus elle essayait de le tenir à distance, plus il cherchait à se rapprocher d’elle.– Vous vous interrogez sur le rôle que vous aurez à tenir quand nous serons mariés, n’est-ce pas ? insista-t-il.Elle leva les yeux vers lui et le regretta aussitôt. La lune avait ce soir-là une lumière or pâle, qui rehaussait la beauté virile de ses traits. Le

noir de ses yeux lui parut plus dense que jamais.Elle répondit à sa question par une autre question.– Qui ne le ferait pas ?– Bien sûr. Je crois cependant ne pas avoir été aussi attentif que j’aurais dû l’être.– Ah ? fit-elle, étonnée. C’est-à-dire ?– Vous m’avez exposé clairement votre position à l’égard de l’amour. Une position que je comprends, que j’approuve, même. Mais cela ne

devrait pas nous empêcher d’éprouver un respect mutuel, de prendre plaisir à être ensemble.Beth fronça les sourcils.– Je ne vois toujours pas où vous voulez en venir.– Le rôle de reine comporte de lourdes responsabilités. Mais une reine est aussi une femme. Une femme qui, comme toutes les autres

femmes au monde, a des désirs.La gorge sèche, elle le vit avancer vers elle.– Je ne vous ai toujours pas embrassée, Beth.– Ce n’est pas… grave, déclara-t-elle, reculant d’un pas.– A mon sens, si.Elle passa la langue sur ses lèvres sèches.– Mais vous m’avez laissé entendre que notre premier baiser représenterait en quelque sorte une étape. Or rien de particulier ne…– Nous entrons dans une nouvelle phase de notre relation. Nous allons apprendre à nous découvrir physiquement, à faire jaillir entre nous

une étincelle à partir de laquelle nous allumerons un feu.Il s’était rapproché d’elle et lui avait posé une main sur la nuque. La pression de ces doigts chauds sur sa peau lui fit oublier sur-le-champ ce

qu’elle s’apprêtait à objecter.– Vous êtes si belle…, chuchota-t-il.Et soudain elle se retrouva dans ses bras, serrée contre lui. Comme aimantées, leurs bouches s’étaient jointes. Le baiser qu’ils échangeaient

n’était en rien lié à cette notion de respect mutuel évoquée un peu plus tôt.

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Ce fut Malik qui mit fin à cette étreinte ardente. Ils étaient tous deux à bout de souffle quand il souleva le menton de la jeune femme, commeil le faisait souvent, pour fouiller son regard.

– Voilà un mariage qui se présente sous d’heureux auspices...Pétrifiée, Beth ne trouva pas la force de lui répondre. Comment continuer à se mentir, à présent ? Comment nier qu’elle était

irrésistiblement attirée par celui que le sort destinait à sa sœur ?Cette fois encore, elle courait au désastre sentimental.

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7.

Malik fouilla du regard le grand salon. Beth semblait s’être évaporée. Il ne l’avait pas revue depuis qu’ils s’étaient embrassés dans les jardinsdu palais. Elle l’avait quitté en hâte, et il avait préféré ne pas chercher à la retenir.

Une heure plus tard, il sentait encore sur ses lèvres le goût sucré de celles de la jeune femme. Il voyait encore l’éclat de la passion luire dansle châtain doré de ses prunelles. De toute évidence, elle aurait volontiers prolongé cette étreinte. Lui aussi. Mais il avait préféré en rester là.C’était de sa part un choix tactique.

Il commençait à se faire tard, et les invités repartaient par petits groupes. Pressés de profiter de leur lune de miel, Kardahl et Jessicaavaient quitté les lieux depuis quelque temps.

Malik regarda de nouveau autour de lui. Il enviait son frère et le bonheur que celui-ci avait trouvé. S’il ne croyait pas lui-même à lapossibilité d’une seconde passion, il n’espérait pas moins pour autant vivre heureux auprès de Beth. Celle-ci était jolie, indéniablement brillante,d’une intéressante personnalité… et d’un tempérament fougueux à tous les sens du terme, ce qui n’était pas pour lui déplaire. Le baiser qu’ilsvenaient d’échanger lui donnait un avant-goût très agréable de ce que pourrait être leur vie de couple.

Ce fut à ce moment précis qu’il la vit, tout au bout du salon. Elle tenait à la main une coupe de champagne qu’elle levait, prête à porter untoast. Avec un homme. Un homme que Malik reconnut au premier regard, en dépit de la distance. Il s’agissait d’un ami de Kardahl, un individuque son frère fréquentait assidûment à l’époque où il menait une vie de célibataire assez dissolue.

Il n’y avait dans leur attitude rien d’équivoque, mais cette image lui déplut. Il n’aimait pas savoir la jeune femme en compagnie d’unséducteur pareil, qu’il savait dénué de scrupules. Sans hésiter, il traversa la salle pour la rejoindre. Comme il avançait vers Beth, il se répéta queseul son instinct de protection à son égard l’incitait à se comporter de la sorte.

Ce n’était pas la jalousie qui le guidait. Certainement pas.Arrivé à côté d’elle, il lui passa le bras autour de la taille avant de porter son attention sur le séducteur invétéré. La nature avait doté celui-ci

d’un physique qui lui facilitait les conquêtes.– Bonsoir, Carlo. Je constate que vous avez déjà fait connaissance avec ma fiancée.– En effet. Vous êtes un homme chanceux.Le regard appréciateur dont il accompagna ces paroles manqua faire perdre à Malik le sang-froid dont on lui avait appris à ne jamais se

départir. Cette brusque manifestation de possessivité, cet accès de colère le surprirent. Ses sentiments pour Beth seraient-ils beaucoup moinssages et contrôlables qu’il ne le pensait ?

Il se ressaisit aussitôt. Ce réflexe était inadmissible pour un homme appelé à diriger un pays.– Très chanceux, renchérit-il.Surprise par ce ton sec auquel elle n’était pas habituée, Beth lui lança un regard en biais avant de prendre à son tour la parole.– Carlo m’expliquait justement qu’il était lui aussi fiancé. A une comtesse hongroise.Et sans doute richissime ! songea Malik. Le bel Italien fonctionnait selon des principes moraux qui lui étaient très personnels.– Toutes mes félicitations, fit-il néanmoins avec une politesse extrême. Je vous souhaite beaucoup de bonheur.– Merci, vous de même !Jouant les hôtes parfaits, Malik regarda en souriant autour de lui.– J’espère que vous allez nous la présenter.– Elle n’a malheureusement pas pu se joindre à moi ce soir, déclara Carlo avec un soupir de déception digne d’un acteur accompli.– Quel dommage ! lança Malik. La date de votre mariage est-elle fixée ?– Pas encore. Et la vôtre ? Serai-je bientôt invité de nouveau à Bha’Khar pour célébrer l’événement ?« S’il ne tient qu’à moi, sûrement pas ! » pensa Malik.– Nous n’avons pas encore choisi de date, mais le plus tôt sera le mieux, répondit-il avec un sourire éloquent pour Beth, qu’il tenait toujours

par la taille.La jeune femme cligna des paupières et porta à ses lèvres sa coupe de champagne.– Je comprends votre hâte, observa Carlo avec une moue tout aussi éloquente.Puis il s’inclina légèrement avant d’ajouter :– Maintenant, si vous voulez bien m’excuser… Beth, j’ai été enchanté de vous connaître.– Tout le plaisir a été pour moi.Malik eut du mal à cacher sa joie lorsque Carlo consentit enfin à les laisser seuls. Prenant sa compagne par le bras, il la guida vers un canapé

d’angle en cuir bleu, assez éloigné de l’endroit où étaient rassemblés les derniers convives.La journée avait été longue, la nuit était bien entamée, mais Beth gardait toute l’élégance d’une véritable princesse.– Vous ai-je dit combien vous êtes belle aujourd’hui ? murmura-t-il, caressant du regard l’arrondi de ses joues, les contours de ses lèvres.Il y avait dans le sourire qu’elle lui adressa un mélange de plaisir et de timidité.– Merci. Grâce à la robe et aux bijoux…C’était faux. Elle aurait été tout aussi jolie en jean et T-shirt… ou sans rien. L’espace d’un éclair, il crut avoir sous les yeux ce corps souple et

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gracieux, entièrement dénudé. La force du désir qui le submergea le laissa sans voix.Pour se donner une contenance, il héla un serveur qui passait entre les derniers convives, proposant des coupes de champagne. Il en prit

deux et remercia le serveur.– Je propose que nous portions un toast à de nouveaux débuts.Beth hocha la tête et leva son verre. Les coupes se rapprochèrent, produisant un léger tintement musical qui résonna entre eux. Fasciné,

Malik vit sa compagne porter la sienne à ses lèvres.Il but à son tour, cherchant désespérément un sujet qui lui permette de reléguer au second plan le désir fou qui bouillonnait en lui.– Vous m’avez peu parlé de votre rencontre avec votre mère. Dans la mesure où… nous nous rapprochons l’un de l’autre, vous devriez me

manifester davantage de confiance.Beth regarda autour d’elle. Le salon était presque vide à présent. Elle aurait du mal à trouver une échappatoire.– Eh bien, je dirais que cet entretien a apporté un nouvel éclairage sur cette période de ma vie.– Mais encore ?Les traits de la jeune femme se durcirent, son regard s’assombrit.– Depuis toute petite, je reprochais à ma mère de nous avoir abandonnées…– Nous ? l’interrompit-il.Cette question la fit presque sursauter, mais elle fut prompte à se ressaisir.– Ma sœur et moi.– Oui, bien sûr. J’ai tendance à oublier que vous avez une sœur.– Nous sommes deux. Pour en revenir à ma mère, j’ai découvert qu’elle avait souffert auprès d’un homme qui vivait à son gré, en imposant

ses opinions sans se soucier le moins du monde de celles de ses proches.– L’ambassadeur ? s’étonna-t-il.– Lui-même. Avant de connaître ma mère, il a eu une liaison à laquelle il n’a pas jugé utile de mettre fin après son mariage. Lorsque ma

mère l’a découvert, elle lui a annoncé qu’elle refusait de continuer à vivre avec lui. Mais il l’a quittée en nous emmenant ma sœur et moi auxEtats-Unis, où l’on venait de lui confier un nouveau poste. Durant toutes ces années, il a empêché ma mère de nous voir. Sa position d’hommeinfluent lui permettait de dresser un barrage entre elle et nous, quelles que soient les circonstances. Et pendant tout ce temps, il m’a laissécroire qu’elle ne m’aimait pas.

Si Malik savait que l’ambassadeur était un homme divorcé, il ignorait en revanche les dessous de cette affaire. Beth venait de les lui révélerd’un ton empreint d’amertume. Peut-être même existait-il des zones d’ombre dans cette histoire douloureuse ? Voilà qui lui permettait demieux comprendre encore ses réticences envers le mariage.

– Il me serait tout à fait possible de mettre fin à la carrière de votre père, déclara-t-il.Beth le dévisagea, stupéfaite.– Vous… feriez une chose pareille ?– Je serai bientôt roi de Bha’Khar. Comme vous me l’avez vous-même fait remarquer à maintes occasions, je serai libre d’agir à ma guise,

d’appliquer comme je l’entends mes propres règles. Un mot de vous suffira, Beth, pour que je lui fasse regretter de vous avoir renduemalheureuse.

Elle soupira, secouant doucement la tête.– J’apprécie votre geste, Malik. Quel dommage que vous ne soyez pas assez puissant pour me rendre mon enfance ! Une enfance dans

laquelle ma mère aurait tout le loisir de jouer son rôle. Mais il est trop tard. Nous ne pouvons pas remonter le temps.– Je n’ai pas de baguette magique, en effet. Vous avez cependant retrouvé votre mère, et elle fera désormais partie de votre vie.– Oui. Et je vous en remercie infiniment. Sans vous, cela n’aurait sans doute pas été aussi facile.Elle se tourna vers lui pour effleurer sa joue d’un baiser.Le contact de ces lèvres tièdes sur son visage lui procura un curieux effet. Il se sentit plus ébranlé encore qu’il ne l’avait été lorsqu’ils avaient

échangé, un peu plus tôt, cette étreinte fougueuse. En l’embrassant ainsi, la jeune femme lui témoignait sa confiance. Et ce témoignage letouchait profondément, car la vie avait appris à Beth à se montrer avare de cette confiance.

Lorsqu’elle lui dit qu’elle était fatiguée et souhaitait se retirer dans ses appartements, il ne chercha pas à la retenir. Il avait besoin deréfléchir à la tournure que prenait leur relation.

N’avait-il pas décidé, après son récent échec amoureux, d’éviter de s’exposer ? N’était-ce pourtant pas ce qu’il était en train de faire ?Son destin était tout tracé : il allait diriger son pays, consolider un système économique déjà dynamique, et veiller à ce que diminuent encore

les inégalités sociales. Il allait aussi faire en sorte que son règne soit jalonné d’événements qui marqueraient favorablement l’histoire deBha’Khar. Et rien ni personne ne devait le distraire de cette tâche.

Mais Beth faisait également partie de ce destin. Ensemble, ils guideraient du mieux possible le peuple de Bha’Khar dans un monde de plus enplus fou.

Ensemble.Les trois syllabes impliquaient une entente parfaite, une confiance mutuelle inébranlable. Or cette confiance ne lui était pas acquise, loin de

là. Les révélations de sa mère avaient de toute évidence renforcé ses doutes à l’égard de l’institution matrimoniale.Pourtant, lorsqu’il lui jurerait fidélité, il tiendrait sa promesse. A l’inverse de l’ambassadeur et du sombre individu qui s’était joué d’elle,

Malik était un homme de parole.Il ne lui restait plus qu’à trouver un moyen de le lui démontrer.

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– Vous avez pensé que visiter le harem du palais me ferait plaisir ? Tiens donc ! Pour quelle raison ?– Parce qu’il appartient à l’histoire de ma famille.C’était le lendemain du mariage. Ils quittaient les appartements royaux après un dîner à quatre, qui s’était déroulé dans la plus grande

simplicité. Beth appréciait de plus en plus la compagnie du roi et de la reine. Ceux-ci l’avaient accueillie chaleureusement dès le début, etsemblaient déjà la considérer comme un membre de la famille.

Les attentions dont on l’entourait étaient si touchantes, si différentes de ce qu’elle avait connu auprès de ce père froid et sévère ! Ce climataffectueux lui rendait d’autant plus difficile la tâche dont elle devait s’acquitter. Elle avait honte de mentir ainsi à tous ceux qui lui manifestaientun intérêt sincère, la traitaient avec tant de gentillesse.

Afin de se redonner un peu de ce courage qui lui faisait de plus en plus souvent défaut, elle se rappela qu’elle agissait ainsi pour le bien de sasœur. Jamais elle n’oublierait la première nuit qu’elles avaient passée loin de leur mère, serrées l’une contre l’autre pour tenter de lutter contrel’affolement, la peur.

Depuis cet instant, Addie et Beth étaient unies à jamais.Elle ne pouvait pas faire faux-bond à sa jumelle. Ne s’était-elle pas engagée à lui venir en aide ? Et puis, cette mise en scène prendrait

bientôt fin.Ignorant le petit serrement au cœur que lui provoquait cette pensée, elle monta dans l’ascenseur. Après avoir appuyé sur le dernier bouton,

Malik lui prit la main. Ce geste à la fois tendre et naturel ne fit qu’accentuer sa sensation de malaise.Décidée à la surmonter, elle lui adressa un sourire en coin.– Je vais maintenant avoir droit à une visite guidée du temple sacré de l’infidélité ? Quel honneur !Il lui sourit à son tour.– Peut-être devriez-vous éviter tout préjugé avant la visite…– Comment me serait-il possible de me tromper ? Par définition, un harem représente un groupe de femmes liées à un seul homme.– Tout à fait, admit-il. Autrefois, c’était aussi là que logeaient les servantes et les femmes de la famille pas encore mariées.– Ainsi que les maîtresses…– Autrefois, le terme employé était « concubines ».– C’est en effet beaucoup plus élégant ! railla-t-elle.– Vous a-t-on déjà dit que vous êtes dotée d’un solide esprit critique, Beth ?– C’est une question piège ! Que je réponde par oui ou par non, vous pourrez interpréter ma réponse comme un assentiment.Ils rirent de concert.L’ascenseur s’arrêta alors, et les portes s’ouvrirent. Au bout d’un couloir long d’une dizaine de mètres à peine, Malik poussa une porte de

bois travaillé qui donnait sur un ravissant jardin fleuri, éclairé çà et là par des guirlandes lumineuses.– Oh, comme c’est joli ! s’exclama-t-elle. J’ignorais qu’un tel bijou se cachait dans l’enceinte du palais.– Un endroit rêvé pour un harem, non ?– Merci de me le rappeler ! lança-t-elle, sarcastique. J’avais oublié l’objet de cette visite…– Venez.Il lui passa le bras autour des épaules et se dirigea vers une allée bordée d’une végétation luxuriante. Ils arrivèrent devant un bâtiment

couleur abricot, surmonté d’un toit de tuiles en céramique. Les fenêtres en ogive étaient ornées de vitraux.Aucune lumière ne filtrait de l’intérieur. Bien qu’étonnée, Beth ne fit aucun commentaire.Malik la lâcha pour sortir de sa poche une grande clé, qu’il glissa dans la serrure décorée de ferronnerie. Cette fois, elle ne chercha pas à

cacher sa surprise.– C’est fermé ? Vous craignez que quelqu’un vienne voler vos femmes ? A moins que… Non. C’est impossible ! Vous ne les retenez pas

prisonnières, n’est-ce pas ?Sans répondre, il tourna la clé et ouvrit la porte en grand. Puis il tendit la main pour appuyer sur un interrupteur, et un lustre éclaira la

pièce. Le regard de Beth fut aussitôt attiré par le sol en fine mosaïque, dont le motif représentait une princesse couronnée, en tenuetraditionnelle, au milieu d’un jardin semblable à celui qu’ils venaient de traverser.

Les murs rappelaient le ton abricot de la façade, en plus pâle. Les meubles, canapés, poufs et voilages, portaient une empreinte beaucoupplus orientale que tout ce qu’elle avait vu jusqu’ici au palais.

Elle suivit Malik de pièce en pièce, regardant autour d’elle, aussi fascinée qu’une enfant qui découvre l’univers merveilleux des contes desMille et Une Nuits.

La dernière chambre qu’ils visitèrent avait les dimensions de l’appartement qu’elle occupait à Los Angeles. Un très grand lit recouvert d’unédredon richement brodé en occupait le centre.

– Voilà donc où le roi vient… se détendre, observa-t-elle, incapable de dissimuler la froideur de sa voix.Malik arborait une expression aussi sérieuse que sincère lorsqu’il secoua la tête.– Le harem est inoccupé depuis l’époque de mon arrière-grand-père.Elle cligna des paupières.– Vraiment ?– Oui.– Il a épousé celle qui lui était destinée depuis la naissance, et il semblerait qu’ils soient aussitôt tombés éperdument amoureux l’un de

l’autre. D’après ce que m’a raconté mon père, mon arrière-grand-mère aurait tenu tête au roi en affirmant qu’elle l’aimait, et qu’il n’y auraitdans son lit aucune autre femme qu’elle. Sans quoi elle partirait, car elle ne supportait pas l’idée de devoir le partager.

– Oh… Elle avait apparemment du caractère !

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– Je crois.– Et comment a réagi votre arrière-grand-père ?Les lèvres de Malik se retroussèrent lentement.– Il lui a répondu qu’il ne voulait avoir dans son lit nulle autre qu’elle !– Et ensuite ?– Le harem a été fermé.– Plus personne ne s’en est jamais servi ? insista-t-elle, sceptique.– Plus personne. Enfin… si. D’après la rumeur, ils venaient de temps en temps là, tous les deux.– Jouer au roi et à la concubine ?Il hocha la tête, la buvant du regard, et elle retint son souffle. Puis il reporta son attention sur le lit, dont il caressa distraitement un montant

de bois finement sculpté.– Ils ont vécu heureux ensemble pendant plus de cinquante ans, et sont morts à quelques semaines d’intervalle. Comme s’il était impossible

à l’un de survivre à l’autre.Beth soupira.– C’est une belle histoire.– Ce n’est pas seulement « une » histoire, mais la mienne. Depuis ce temps-là, tous les hommes de la famille sont restés fidèles à leurs

épouses.Elle le dévisagea. Il avait l’air solennel. Son instinct l’incitait à le croire. Mais pouvait-elle se fier à ce même instinct qui l’avait poussée à

commettre une grossière erreur, quelques mois plus tôt ?Ce n’était pourtant pas son instinct, mais son cœur, qui lui faisait regretter de ne pas avoir rencontré Malik en d’autres circonstances.– Je vous trouve bien silencieuse. Ce n’est pas dans vos habitudes.– J’essaie d’assimiler ce que vous venez de me dire. Une femme imposant sa loi à un homme puissant, et il y a de cela plus d’un siècle, par-

dessus le marché… J’avoue avoir du mal à y croire.– Un homme, fût-il roi, n’est jamais qu’un homme.Toujours dubitative, Beth regarda autour d’elle. Cette chambre était un véritable nid d’amour.– Le roi de Bha’Khar aurait renoncé à ses privilèges parce que la femme qui avait été choisie pour lui le lui demandait ? insista-t-elle.– Il n’était pas seulement le roi de Bha’Khar. Avant toute chose, il était marié à une femme qu’il aimait.– Mais…– Ne sous-estimez pas le pouvoir que peut avoir une femme sur un homme.Malik s’était rembruni, et le ton rude sur lequel il avait prononcé ces mots les privaient de toute connotation romantique.Il ne lui avait pas caché avoir eu une malheureuse expérience amoureuse, sans pour autant lui fournir de détails.– Comment la femme que vous avez aimée a-t-elle exercé ce pouvoir sur vous ?– Je préfère ne pas aborder ce sujet.Il quitta la pièce, mais elle lui emboîta le pas. Cette fois, elle n’était pas disposée à lui permettre de s’esquiver. Il traversait les couloirs à vive

allure. Elle réussit à le rattraper au moment où il sortait du bâtiment.– Malik, fit-elle en lui posant la main sur le bras, c’est bien vous qui avez dit que nous devions prendre le temps de nous connaître, n’est-ce

pas ? Je vous ai parlé de moi, il faut maintenant que vous me racontiez à votre tour ce qui vous a meurtri à ce point.Les mâchoires serrées, il se passa la main sur le visage, puis articula :– Je voudrais tant oublier ce lamentable épisode de ma vie…– Je vous ai fait confiance. A vous, maintenant.Tête basse, il hésita encore. Puis il soupira et redressa la tête pour croiser le regard de la jeune femme.

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8.

– Je me suis épris d’une femme qui n’était pas celle qu’elle prétendait être.Beth fut prise de vertige. Elle eut l’impression que ses jambes se dérobaient sous elle, et dut s’adosser au mur du bâtiment.Serait-il en train de parler… d’elle ?L’aimerait-il ?Les bourdonnements à ses oreilles diminuèrent d’intensité, et elle recouvra aussitôt ses facultés de jugement. Décidément, la culpabilité

faussait le jugement !Il était impossible que Malik fasse allusion à elle. Sa voix était empreinte d’amertume. S’il avait, de quelque façon, réussi à percer à jour sa

supercherie, il aurait sans nul doute été furieux contre elle.« Bien sûr. Calme-toi. »– Où l’avez-vous connue ?– Ici-même, au palais. Elle travaillait dans la partie réservée aux bureaux. Dans le secteur économique, pour être plus précis. Elle secondait

une secrétaire.– Le personnel du palais est recruté aussi facilement ? Je pensais qu’une enquête sérieuse était menée avant toute embauche.– C’est en effet le cas. Mais elle venait tout juste de terminer ses études. La partie de son CV réservée à l’expérience professionnelle était

donc vide. Personne n’était au courant de sa véritable activité.– Qui était ?– Journaliste dans la presse à scandale.– Que s’est-il passé ?La question lui était venue spontanément aux lèvres, mais elle en connaissait la réponse.– Elle a d’abord attiré mon attention en laissant tomber une pile de dossiers juste devant la porte de mon bureau.L’expression de son regard était d’une froideur extrême.– Elle n’avait rien à faire là, mais sur le moment, cette idée ne m’est pas venue à l’esprit. Je suis sorti pour l’aider à les ramasser.Parce qu’il était courtois, attentionné, toujours animé de bonnes intentions. Elle regrettait à présent d’avoir ravivé ces douloureux souvenirs,

mais il était trop tard pour revenir en arrière.– D’autres incidents de ce genre se sont produits, poursuivit-il, plongé dans ses pensées. J’ai commencé à remarquer qu’elle était charmante

à tout point de vue, à guetter ses apparitions… Après n’avoir échangé que quelques formules de politesse, quelques banalités, nos conversationsse sont étoffées. Elle savait écouter, une qualité rare, sauf dans le milieu du journalisme, évidemment. Comment aurais-je pu deviner qu’elleexploitait la situation, qu’elle prenait des notes pour publier un ouvrage dont le titre était très clair : L’intimité du futur roi ?

– J’imagine que cela a abouti à un scandale public ?– En fait, non. Dans la mesure où il s’agissait d’un contrat de publication à caractère confidentiel, j’ai usé de mes relations pour le faire

annuler. En famille, ça ne s’est pas aussi bien passé. Le roi était très en colère.Beth était bien placée pour savoir ce que l’on ressentait dans ce genre de conflit familial.– Comment auriez-vous pu deviner qu’elle vous manipulait ?– J’aurais dû ! On attend de moi plus que du commun des mortels, voilà ce qui m’a été rappelé.– C’est épouvantable que quelqu’un vous ait utilisé à de telles fins.– Ah ? lança-t-il, glacial. Pourquoi ? Vous pensez qu’on peut être utilisé à de « nobles » fins ?La sensation de malaise assaillit de nouveau Beth, qui se fit violence pour ne pas détourner le regard.– Je voulais dire par là que, en de très rares occasions, certaines actions peu louables peuvent se justifier.– Certainement pas. A mon sens, faire le mal pour servir une bonne cause reste un acte répréhensible. Le mensonge est indéfendable. Et

vous êtes bien placée pour le savoir, vous qui venez aussi d’essuyer un échec sentimental.Difficile de prétendre le contraire.Les traits tendus, il secoua la tête tout en poussant un long soupir.– Quand je pense que…Il se tut.– Que ? insista Beth.– J’étais très attaché à cette femme. Au point de trouver insupportable l’idée d’en épouser une autre. Je suis allé trouver mon père pour lui

exposer la situation. C’est à ce moment-là qu’il a chargé l’un de nos agents de mener une enquête sur elle. Enquête qui a révélé sa véritablenature, finit-il, tout bas.

– Vous étiez prêt à renoncer à cette tradition pour elle ?– Oui, fit-il, l’œil noir.– Vous deviez beaucoup l’aimer.

Page 39: L'épouse du cheikh - Le Jardin d'Evele-jardin-d-eve-horizon.e-monsite.com/medias/files/l-epouse-du-cheikh.pdfElle avait en fait été soulagée de ne pas le voir au pied du jet privé

– La chute n’en a été que plus rude !– Je persiste à penser que vous n’êtes pas fautif.Il lâcha un rire sec.– Qui d’autre blâmer, alors ? Cette leçon m’aura au moins appris à me méfier des femmes, et à mesurer toute la valeur de notre tradition

matrimoniale. L’amour rend aveugle, c’est certain. Or un roi n’a pas le droit de se laisser aveugler. Mieux vaut donc qu’une personne plus sagechoisisse à sa place celle qui l’accompagnera tout au long de son règne.

Elle comprenait mieux à présent son attachement à cette tradition. Et elle se sentait plus mal encore. Après avoir été trompée, elle trompaità son tour…

L’heure de vérité avait sonné. Elle allait révéler à Malik les dessous de ces fiançailles. Cela étoufferait de surcroît les sentiments de plus enplus forts qu’elle nourrissait à son égard. De façon brutale, certes, car elle ne doutait pas un instant de l’intensité de sa réaction.

Au fond d’elle-même une voix cherchait à se faire entendre. Une voix qui voulait l’empêcher de parler. Elle tenta de l’ignorer, et cherchaitses mots quand une sonnerie de portable retentit soudain, rompant le silence.

Elle sortit son téléphone de sa poche pour constater qu’elle n’avait aucun appel en attente. Malik en revanche avait décroché le sien.Il écouta, lança un « D’accord », puis referma le clapet.– Je dois vous quitter. Une affaire m’attend.– A cette heure ? s’étonna-t-elle.– Oui. Je suis désolé.– Le prince n’a pas d’horaires de travail fixes ?Il acquiesça et lui posa la main sur la taille.– Je vais vous raccompagner.– Non, merci. J’ai envie de rester un peu plus longtemps ici, de profiter de cette belle soirée dans l’atmosphère sereine de ces jardins.– Vous en êtes sûre ?Elle acquiesça.– Ne vous inquiétez pas, je saurai retrouver mon chemin jusqu’à ma suite.– Vous commencez à vous familiariser avec les lieux, observa-t-il, amusé, avant de regarder autour de lui. Je comprends que vous souhaitiez

rester ici. Cet endroit est très reposant.Il lui sourit une dernière fois et tourna les talons. Lorsqu’il fut parti, Beth se sentit soulagée et commença à déambuler le long des allées,

s’arrêtant de temps en temps pour respirer le parfum d’une fleur, admirer la couleur d’une autre, et surtout, chercher une paix intérieure quitardait à venir.

Plus d’une heure s’écoula ainsi, et elle comprit qu’elle ne trouverait pas cette paix avant d’avoir avoué sa faute.Elle rebroussa chemin pour regagner la suite qu’elle occupait. Sitôt la porte franchie, la sonnerie de son portable résonna.– Beth ? C’est Addie. Je suis à Bha’Khar.

Assise à l’arrière de la voiture que Malik avait mise à sa disposition, Beth regardait distraitement par la fenêtre. Ils avaient déjeunéensemble, et quand elle lui avait annoncé qu’elle désirait rendre visite à sa mère, il avait aussitôt appelé un chauffeur.

Ce n’était cette fois qu’un demi-mensonge, puisqu’elle devait retrouver Addie chez leur mère. Mais elle en avait assez de devoir toujourscacher la vérité. L’arrivée de sa sœur allait lui permettre de mettre fin à cette supercherie.

A ce stade de ses pensées, elle se sentit soudain oppressée. Elle ne reverrait plus Malik. Il ne lui resterait que des souvenirs. Souvenirs deses regards, de ses baisers, des moments qu’ils avaient passés ensemble… Comment oublierait-elle leur tête-à-tête dans les jardins du harem,le moment où il lui avait raconté sa déception amoureuse ? Une confiance fort mal placée…

Elle était profondément abattue lorsque le chauffeur s’arrêta devant la maison de Sameera. La perspective de revoir sa mère lui mitcependant du baume au cœur.

– Il est inutile que vous m’attendiez, dit-elle au chauffeur.– Comme vous voudrez, mademoiselle, lui répondit-il en inclinant la tête. Appelez le palais quand vous serez prête à repartir. Si je ne suis

pas disponible, l’un de mes collègues viendra vous chercher.Elle venait tout juste de frapper à la porte de la maison qu’elle la vit s’ouvrir sur Addie.Beth eut l’impression de se trouver en face d’un miroir : les mêmes cheveux châtain foncé qui arrivaient aux épaules, les mêmes yeux

noisette pailletés d’or, le même ovale du visage, le même profil.Sa sœur lui avait terriblement manqué. D’un même geste, elles ouvrirent les bras pour se serrer l’une contre l’autre en riant. Derrière elles,

Sameera avait du mal à contenir ses larmes.– Si je vous disais que je suis contente de vous avoir toutes les deux sous mon toit, ce serait une bien pâle image de ce que je ressens, dit-elle

d’une voix altérée par l’émotion.Tournées vers leur mère, elles lui adressèrent un sourire tremblant.– Maman m’a reconnue tout de suite, dit Addie, l’œil luisant.– Moi aussi.– Et elle m’a expliqué ce qui s’est passé entre père et elle.– N’évoquons plus ces mauvais moments, intervint Sameera. Asseyons-nous plutôt toutes les trois pour parler du présent.Quelques minutes plus tard, elles étaient installées dans le salon, autour d’un plateau contenant des rafraîchissements, du thé et des

pâtisseries orientales. Le moment parut idéal à Beth pour aborder le sujet qui lui tenait tant à cœur : la situation avec Malik.

Page 40: L'épouse du cheikh - Le Jardin d'Evele-jardin-d-eve-horizon.e-monsite.com/medias/files/l-epouse-du-cheikh.pdfElle avait en fait été soulagée de ne pas le voir au pied du jet privé

– Alors, où en es-tu de cette histoire avec l’homme que tu as rencontré il y a peu de temps – et qui est à l’origine de ma présence àBha’Khar ? Je suppose que tu as eu maintenant assez de temps pour réfléchir.

– Oh oui !Ce ton, ce soupir, ce regard triste n’auguraient rien de bon. Cette fois encore, Beth eut l’impression de voir dans un miroir le reflet de ce

qu’elle avait été, suite à sa désillusion amoureuse.– Il a fini par m’avouer qu’il était marié. Quelle idiote je fais !– Non. Quel pauvre idiot il fait ! rectifia Beth d’un ton vif.– C’est exactement ce que j’ai dit à ta sœur. Elle sera bien mieux sans un individu pareil.Adina tendit la main vers un gâteau à la pâte d’amande qu’elle dégusta avec des mines de chatte gourmande.– Ne t’inquiète pas, Addie. Je te soutiendrai quand tu annonceras à père que tu désires rompre ces fiançailles avec le prince de Bha’Khar.– Ce n’est pas nécessaire.– Es-tu sûre de vouloir l’affronter seule ?Pour défendre sa sœur, elle se sentait prête à se battre contre les fauves les plus féroces s’il le fallait.– Je n’aurai pas à l’affronter.Surprise, Beth se tourna vers sa mère, qui haussa les épaules en soupirant. Elle reporta alors son attention sur Addie.– J’ai du mal à te suivre, Addie.– Je vais épouser le prince, comme convenu. Je n’ai donc rien de particulier à dire à père.La sensation de vertige qui s’était emparée d’elle la veille se manifesta de nouveau.– Mais Addie, ce… c’est impossible, voyons. Te soumettre à ce genre de pratique…– Quel mal y a-t-il, si je suis consciente de la portée de mon acte, et si cette décision correspond à mes attentes ?– Et quelles sont ces attentes ?– Me marier. Avoir des enfants.C’était aussi ce que désirait Malik, Beth le savait. Elle savait aussi, après avoir passé ces quelques jours avec sa famille et lui, que ce genre

d’union pouvait parfaitement aboutir à un mariage réussi.– Rien de plus ? s’entendit-elle néanmoins ajouter.A l’aide d’une serviette brodée, Addie s’essuya la bouche avec délicatesse.– Dans l’établissement que j’ai fréquenté, on m’a appris toutes les règles du protocole en vigueur à la cour. J’ai été élevée pour devenir reine

de Bha’Khar, et servir auprès du roi les intérêts de ce pays. J’espère y parvenir.– Tu n’as donc aucune ambition de bonheur ?Même si elle voyait ses propres perspectives de bonheur s’évanouir, elle se souciait du sort de sa sœur. Elle redoutait qu’Addie se retrouve

piégée dans une situation où elle souffrirait peut-être.– Beaucoup de femmes éprouvent de la satisfaction à accomplir leur devoir. C’est ce à quoi j’aspire. Si j’ai de la chance, nous nous

attacherons l’un à l’autre, le futur roi et moi.Beth se figea. Que signifiait cette vive douleur qu’elle ressentait au creux de la poitrine ? Elle avait l’impression qu’on lui broyait le cœur. Et

pourquoi s’efforçait-elle de prouver à Addie qu’elle commettrait une erreur en se pliant à ce mariage de raison ? Agissait-elle ainsi pour le biende sa sœur… ou plutôt pour le sien ?

Non contente d’être menteuse, voilà qu’elle devenait maintenant égoïste !– Addie, réfléchis quand même.– Tu crois peut-être que je n’ai pas réfléchi ? Le voyage en avion est long, Bethie. J’ai eu tout le temps d’y penser.Tournée vers Sameera, elle lui sourit avant de reprendre :– Je viens de retrouver ma mère après de longues années d’une absence qui nous a été à toi comme à moi très douloureuse. Je n’ai pas

maintenant envie de perdre mon père. Je ne me fais aucune illusion à son sujet. Je sais qu’il n’est pas parfait, mais je l’aime et j’ai besoin de luidans ma vie.

Beth connaissait mieux que quiconque le caractère entêté de sa sœur, et savait à quel moment il fallait déposer les armes. L’estomac noué,elle reposa son assiette qui contenait un gâteau auquel elle avait à peine goûté.

– Bien. Il faut donc que nous procédions à cet échange sans éveiller l’attention de qui que ce soit au palais. Nous avons la même coiffure, nousnous ressemblons comme deux gouttes d’eau… Il faudra seulement que nous échangions nos vêtements. Je vais te dessiner un plan détaillé dupalais, et t’expliquer tout ce qui s’y est passé depuis mon arrivée.

Sans évoquer le baiser fougueux qu’ils avaient échangé, le prince et elle. Addie n’était pas obligée de tout savoir.Elle préférait ne pas imaginer sa sœur dans les bras de Malik. Cela lui semblait trop… complexe. Et douloureux.– Alors, comment est-il ?Tirée de ses pensées, elle sursauta presque.– Qui ?– Le prince !– Malik, rectifia-t-elle. En privé, il préfère qu’on l’appelle par son prénom.– Soit. Malik. Que peux-tu me dire encore à son sujet ?« Qu’il ne veut plus tomber amoureux. Qu’il considère la tradition du mariage de raison comme une bonne chose. Que, dans sa famille les

hommes sont fidèles. Qu’il est intègre, qu’il possède de grandes qualités de cœur, qu’il embrasse à merveille, qu’il… »

Page 41: L'épouse du cheikh - Le Jardin d'Evele-jardin-d-eve-horizon.e-monsite.com/medias/files/l-epouse-du-cheikh.pdfElle avait en fait été soulagée de ne pas le voir au pied du jet privé

– Bethie ?Elle cligna des paupières, et sentit le regard sagace de sa mère posé sur elle.– Ta sœur voudrait que tu lui parles du prince.– Oui, bien sûr… Par où commencer ? Il est bel homme.– J’ai vu des photos de lui.– Elles ne le mettent pas en valeur. Il est beaucoup plus séduisant en chair et en os ! Beaucoup plus agréable aussi que je ne le pensais.– Tant mieux. J’en déduis que tu l’aimes bien.Beth sentit sa gorge se nouer.L’aimer bien ? Ne se serait-elle pas mise plutôt à l’aimer tout court ?– Je crois qu’il te plaira, et c’est là tout ce qui compte.Il était parfait pour Addie, et elle pour lui.– Je vais noter tout ce que tu as besoin de savoir.– D’accord. Mais il me faudra un peu de temps pour étudier ces notes.Addie accompagna cette remarque d’un regard pour sa mère.– Combien de temps ? insista Beth. Tu pourrais occuper ton propre rôle ce soir, à l’heure du dîner, je suppose ?– En fait… Je viens toute juste de retrouver maman après une longue séparation– Rien ne t’empêche de venir lui rendre visite aussi souvent qu’il te plaira.– Bien sûr, mais je risque d’être très occupée. Je vais devoir m’habituer à tenir mon propre rôle, rencontrer des gens, m’occuper des

préparatifs du mariage…– Tu ne feras jamais que mettre en pratique tout ce que tu as appris pendant ces longues années dans ces instituts réservés aux jeunes filles

destinées à tenir un rang important.– Je sais bien.Un sourire désarmant aux lèvres, elle enchaîna :– Il se trouve que… avant de franchir ce pas décisif, j’aimerais passer un peu de temps avec maman. Je ne rattraperai pas toutes ces années

perdues, j’en suis consciente, mais…Du temps ? Davantage de temps encore ? Addie avait-elle idée de ce qu’elle lui demandait ? Non, bien sûr. Comment aurait-elle pu

soupçonner la portée de sa requête ?Addie ignorait ce que Beth avait ressenti lorsqu’ils s’étaient embrassés, Malik et elle. Elle ignorait aussi tout du plaisir qu’elle éprouvait à

être avec lui, à bavarder de tout et de rien au petit déjeuner, à faire des projets…Comment le lui révéler ? Non contente de mentir à Malik, elle se retrouvait désormais à mentir également à sa sœur Addie.« Quel imbroglio ! Comment as-tu pu te mettre dans une situation pareille ? »En acceptant de venir au secours de sa jumelle, elle ne pouvait pas imaginer ce qui l’attendait.– Je persiste à penser que tu devrais t’installer au palais sans plus tarder, Addie. J’ai d’ailleurs moi aussi envie de rester avec maman.– Tu en auras tout le temps plus tard. Tes vacances ne sont pas terminées. Je te demande de me remplacer quelques jours encore. Une

semaine tout au plus. Bethie… une occasion pareille ne se représentera sans doute plus jamais.Depuis sa plus tendre enfance, elle avait toujours soutenu sa sœur si vulnérable. Briser soudain ce mode de relation avec elle lui était difficile.

Aussi difficile que tourner le dos à l’occasion qui s’offrait à elle : passer quelques jours encore – les derniers – auprès de Malik.Elle se mordit la lèvre et soupira.– D’accord. Une semaine, pas un jour de plus.

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9.

L’avion privé accéléra l’allure sur la piste de décollage, puis prit son envol. Malik gardait les yeux rivés sur Beth. Assise à côté de lui, le teintpâle, la jeune femme regardait par le hublot.

– Vous n’appartenez pas à cette catégorie de gens qui sont terrorisés à l’idée de prendre l’avion ?– Si tel était le cas, votre question arriverait un peu tard !– J’en déduis donc que la réponse est négative.Il sourit, satisfait. Depuis quelques jours, Beth avait perdu sa vivacité d’esprit, ce sens de la repartie qu’il aimait tant. Apparemment, elle

redevenait elle-même.Mais il fut prompt à déchanter. La position de sa nuque, de ses épaules, trahissait une tension intérieure qu’il ne lui avait jamais connue et

qui l’inquiétait. Ce qui l’inquiétait davantage encore, c’était d’avoir remarqué ce changement d’attitude à peine perceptible, et d’en êtreperturbé autant. Au point de décaler tout son agenda pour cette escapade destinée à lui faire recouvrer sa véritable nature.

– Vous ne m’avez posé aucune question sur notre destination, observa-t-il.– Vous aimez faire des surprises. Je ne voulais pas vous priver de ce plaisir.– Soit. Mais je n’ai pas non plus remarqué le moindre signe de curiosité de votre part.– Bien sûr que si ! protesta-t-elle sans grande véhémence.– Je vais vous donner un indice. Nous nous rendons dans une capitale européenne.– C’est un indice assez maigre…– Soit. J’ajouterai donc que le pays en question est célèbre pour sa gastronomie, sa culture, son Histoire avec un grand H.Elle réfléchit avant de secouer la tête.– Je ne vois toujours pas.– Cette capitale possède un monument mondialement connu. Une certaine tour très longiligne…– La tour Eiffel ! s’exclama Beth. Nous allons à Paris ?– Tout juste.– Oh, Malik…Pendant quelques instants, ses yeux scintillèrent. Elle le regarda, émerveillée comme une enfant un soir de Noël, face à un sapin croulant

sous les cadeaux. Puis elle cligna des paupières et toute trace d’émerveillement déserta son visage.– J’aurais préféré… que vous évitiez de me réserver une surprise pareille.– Pourquoi ?– C’est plutôt à moi de vous poser la question, Malik. Pourquoi avoir voulu me gâter ainsi ?– Parce que j’avais envie de vous faire plaisir. Est-ce donc si difficile à comprendre ?Le signal lumineux des ceintures de sécurité s’éteignit au-dessus de leurs têtes, et Malik n’attendit pas un instant de plus pour déboucler la

sienne et se lever.– Venez, dit-il, la main tendue vers la jeune femme. Je vais vous faire visiter les lieux.Elle glissa la main dans la sienne, et, au moment où elle se levait à son tour, un trou d’air la précipita dans les bras de Malik, qui la garda

serrée contre lui. Le cœur battant, elle s’écarta de lui dès qu’elle eut recouvré son équilibre.– Cet avion n’est pas celui dans lequel je suis venue à Bha’Khar. Possédez-vous une importante flotte ?– Nous sommes en possession de quelques appareils à usage privé. Pour leur lune de miel, Kardahl et Jessica sont partis avec celui que vous

connaissez, qui est plus grand. J’ai préféré celui-ci, plus intime.Il ouvrit une porte et ils entrèrent dans un espace, aménagé en mini salle de conférences et salon.– Très astucieux, observa Beth, sans chercher à cacher son admiration.– C’est la partie travail. Nous allons maintenant passer à la partie repos, dit-il en poussant une nouvelle porte, située au fond de cet espace.La queue de l’appareil se composait d’une chambre avec deux lits jumeaux installés côte à côte. Il y avait une salle de bains attenante, petite

mais parfaitement équipée.– J’avoue être impressionnée par la façon dont peuvent être utilisés les espaces les plus restreints…Elle promena de nouveau le regard autour d’elle avant de lever les yeux vers Malik, qui se tenait tout près d’elle.– Pourquoi avoir fait cela ?– Parce que mes moyens me le permettent… et que j’avoue avoir un faible pour le luxe.– Je ne parlais pas de l’aménagement de cet avion, mais du voyage en soi. Pourquoi m’avoir réservé une surprise de cette envergure ?– Pour vous, prouver que je suis réellement un bon parti !Il s’attendait à la voir réagir, à l’entendre protester, à engager ce genre de discussion animée qui lui avait tant manqué ces derniers jours. Au

lieu de cela, elle baissa les yeux, l’air infiniment malheureux.

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Il l’observa en silence, les sourcils froncés.– Que se passe-t-il, Beth ? Quelque chose vous chagrine, j’en suis sûr.– Oh non ! Je suis seulement… époustouflée. Je ne m’attendais pas à une surprise de cette taille.Elle accompagna ces propos d’un sourire figé qui ne réussit pas à le tromper.– Vous avez l’air préoccupé. J’espère qu’il ne s’est rien passé de fâcheux chez votre mère ?– Non ! protesta-t-elle à la hâte. Non, bien sûr.– Dans ce cas, pourquoi paraissez-vous aussi accablée ? A vous voir, on croirait que vous venez de perdre votre meilleur ami !– Pas du tout, vous vous trompez.Fouillant son regard, il lui releva le menton, comme il avait pris l’habitude de le faire.– Je vous connais mieux que vous ne le croyez. Et j’ai bien remarqué que vous avez changé, ces derniers temps.– Non, Malik.– Si, Beth. Je crois même deviner la raison de ce changement.Elle se passa la langue sur les lèvres avant de murmurer :– Vraiment ?– Vous vous inquiétez toujours au sujet de ce mariage, n’est-ce pas ?– D’une certaine façon…– N’ayez aucune crainte, tout se passera bien.Le ton apaisant sur lequel il lui avait parlé n’eut sur elle aucun effet. Elle paraissait toujours aussi abattue, aussi affligée. Et cette attitude lui

était de plus en plus insupportable. Celle qui bouillonnait de vie s’était transformée en une sorte de poupée inerte.Bien plus affecté qu’il ne l’aurait voulu par le changement qui s’était opéré en elle, il l’attira contre lui, comme s’il avait voulu dans ce geste lui

insuffler toute l’énergie qui l’avait désertée.– Je ferai de mon mieux pour vous rendre heureuse, murmura-t-il, la tête enfouie dans la masse soyeuse de ses cheveux.Pour donner plus de poids à cet engagement, il chercha ses lèvres. Dès que leurs bouches se touchèrent, une incontrôlable poussée de désir

monta en lui. Un désir partagé, à en croire l’ardeur que lui témoigna sur-le-champ la jeune femme.Il resserra son étreinte, jusqu’à ce qu’il sente contre lui les courbes de ce corps souple, chaud, vibrant. Le faible gémissement que poussa

alors Beth attisa davantage encore son désir. Il laissa ses mains errer le long de son dos, épouser le galbe de ses hanches.La sentant frémir sous ses caresses, il s’écarta légèrement d’elle pour la dévisager. Le souffle court, elle posa sur lui un regard trouble.– Oh Beth ! Tu es si belle…Il repoussa ses cheveux en arrière et découvrit une petite tache de naissance qu’il n’avait pas remarquée jusque-là. Il s’inclina pour

embrasser ces quelques millimètres de peau un peu plus brune, avant de chercher de nouveau ses lèvres offertes. Lentement, il lui caressa lesépaules, le haut du dos, et chercha le premier bouton de son chemisier.

– J’ai tellement envie de toi, fit-il d’une voix rauque. Je ne veux plus attendre.Ces mots eurent sur la jeune femme un effet immédiat : elle se raidit et renversa la tête en arrière pour mettre un terme à leur baiser. Elle

était soudain livide. Ses prunelles dorées ne reflétaient plus qu’affolement.– Je… Non, c’est impossible.– C’est tout à fait possible, au contraire.– Il… ne faut pas, balbutia-t-elle. Je ne suis pas…Mais au lieu de poursuivre, elle se mordit la lèvre et, d’un geste de la tête, il l’invita à finir sa phrase.– Je… je préfère attendre le mariage.Il esquissa un sourire tendu.– Supposons que je ne souhaite pas attendre ?– Supposons que je souhaite attendre ?Elle avait parlé d’une voix vacillante. Aussi vacillante que la volonté de Malik, qui poussa un soupir.– Ce ne serait pas très élégant de ma part d’insister. Nous allons donc patienter. Mais je voudrais en échange quelque chose de vous.Elle remarqua qu’il avait repris le vouvoiement, ce qui la soulagea et la déçut à la fois.– Quel genre de chose ? s’enquit-elle.– Que vous fixiez la date de notre mariage… et quelle soit le plus proche possible !

** *

– J’ai dû déployer des trésors d’ingéniosité pour qu’il consente à attendre encore un peu pour fixer cette date.– Voilà donc pourquoi, depuis votre retour de Paris, tu insistais tant pour que vous échangiez les rôles au plus vite, ta sœur et toi ?– Oui.Et aussi, parce qu’après ce qui s’était produit entre eux dans l’avion, la journée et la nuit passées dans la capitale française avaient pris pour

elle l’allure d’une véritable torture.Les attentions dont l’avait entourée Malik l’avaient troublée bien plus encore que ses étreintes. Ce qu’il lui laissait entrevoir était infiniment

tentant. Elle qui n’avait jamais été aimée…Voilà pourquoi, dès son retour, elle avait insisté auprès de sa sœur pour qu’elle occupe le devant de la scène. De crainte de ne plus trouver en

elle le courage de renoncer à cet homme.

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Beth se trouvait à présent avec sa mère dans la petite chambre que sa jumelle venait de quitter. Elle allait passer quelques jours chezSameera avant de repartir pour les Etats-Unis. Elle avait fourni à Addie une foule de notes et un plan très détaillé du palais avant que celle-cin’y parte retrouver Malik, avec lequel elle devait dîner.

Et, la mort dans l’âme, elle l’avait regardée partir. Elle s’était répété qu’ils seraient heureux ensemble. Elle avait même essayé de s’enréjouir. En vain. Car seul le temps pourrait panser ses blessures.

Le front soucieux, Sameera s’assit elle aussi sur le lit.– Il me semble que tu fuis quelque chose, Bethie.– Mais non, maman, lui répondit-elle, consciente néanmoins de parler sans conviction.Sameera secoua la tête en soupirant.– Je ne peux pas m’empêcher de penser que je suis responsable de cette situation.– Non, répéta Beth. Ce n’est pas toi qui as décidé de ces fiançailles à notre naissance.– J’y étais même opposée. Si seulement j’avais su imposer ma volonté avec plus de fermeté, si je n’avais pas permis à votre père de prendre

toutes les décisions, dès l’instant où nous nous sommes connus, tout aurait été différent, conclut-elle d’une voix triste.Comme Beth l’interrogeait du regard, elle poursuivit :– J’aurais dû taper du poing sur la table pour interdire ces fiançailles. Taper du poing sur la table aussi et surtout pour ne pas être éloignée

de mes filles. Qui sait, mes conseils t’auraient peut-être épargné cette douloureuse expérience qui t’incite maintenant à te méfier de tous leshommes.

– Ou peut-être pas.Sameera lâcha un soupir.– Le respect mutuel constitue l’une des bases essentielles de l’amour. Or ton père ne m’a jamais respectée.– Je doute qu’il respecte qui que ce soit, excepté le roi. Ainsi que Malik, probablement, puisqu’il est appelé à succéder à son père.– Des hommes de pouvoir… Un pouvoir auquel il rêve d’accéder.– Raison pour laquelle il a fiancé sa fille au prince. Sans se soucier le moins du monde de son bonheur !Sameera soupira de nouveau.– Et j’ai bien peur qu’Addie ne possède pas ta force de caractère, qui ferait de cet arrangement un succès. J’aurai au moins tiré cette leçon de

mon échec matrimonial avec ton père : un homme puissant a besoin de vivre avec quelqu’un qui soit son égal.Ces mots firent réfléchir Beth. Elle se rappela ses discussions avec Malik, et dut admettre que sa façon de lui tenir tête semblait ne pas lui

déplaire. De toute évidence, il appréciait leurs joutes oratoires. Et ce n’était pas là tout ce qu’il appréciait, à en juger par la nature ardente deleurs étreintes. Leurs échanges physiques s’étaient avérés des plus prometteurs.

Elle était donc d’autant plus triste de devoir tourner la page sur cette histoire. Ses préjugés défavorables à l’égard du prince n’avaient pastenu bien longtemps. Malik Hourani lui avait vite démontré qu’il ne ressemblait en rien à l’image qu’elle s’était forgée de lui. Si le pouvoir faisaitpartie de son héritage, il n’en restait pas moins pétri de qualités humaines. C’était d’ailleurs en ces termes élogieux qu’elle l’avait décrit à Addie.

Sameera lui posa la main sur le bras.– A quoi penses-tu, Bethie ?– Je crois que tu as raison d’affirmer que le respect mutuel est la pierre angulaire d’un mariage réussi. Or Malik est un homme aussi

respectueux que respectable.Elle se rappela alors les propos qu’il lui avait tenus au sujet de la fidélité, le jour où il lui avait fait visiter le harem déserté depuis longtemps,

et sentit son cœur se serrer.– Addie est une femme chanceuse. Ils seront heureux ensemble, j’en suis persuadée.– Et toi, Bethie, pourras-tu te réjouir de ce bonheur ? insista Sameera d’une voix douce.La jeune femme se rappela l’horrible sensation de vide qui s’était emparée d’elle au moment où elle avait vu sa sœur partir dans la voiture

du palais. Vide que rien ni personne ne pourrait jamais combler, elle le pressentait.Lorsqu’elles avaient forgé ce plan, pas un seul instant la possibilité qu’elle s’éprenne de Malik n’avait été envisagée. C’était pourtant ce qui

s’était produit.– Bien sûr, articula-t-elle néanmoins. Pourquoi me poses-tu cette question ?– Parce que je pense que tu es amoureuse du prince.– Oh, voyons, maman !Elle essaya de rire, mais le son rauque qui franchit ses lèvres n’avait rien de joyeux.– Le prince charmant – car il mérite bien ce titre ! – est fiancé à ma sœur. Ce serait donc pure folie de ma part…Les paroles de Malik le soir où il lui avait révélé sa malheureuse histoire d’amour lui revinrent à la mémoire. De son point de vue, le

mensonge était « indéfendable » et ce quelles que soient les circonstances.Leur père avait menti à Sameera, et les conséquences de cette attitude avaient lourdement pesé sur sa vie, celle de sa sœur, et celle de leur

mère. Une nouvelle chance s’offrait à elle. Elle ne devait pas la gâcher en ayant recours au mensonge.Elle soupira et leva les yeux vers sa mère, qui la fixait, le regard débordant de tendresse.– Il n’est pas impossible que j’éprouve certains sentiments à l’égard de Malik, admit-elle.Elle refusait de mettre un nom sur ces sentiments. Qui sait, si elle ne prononçait pas le mot « amour », peut-être parviendrait-elle à éluder

la vérité.– Je pense que tu devrais lui parler en toute sincérité.– Certainement pas !

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– Pourquoi ?– Pourquoi ? Parce que ma sœur va l’épouser, voilà pourquoi ! A cause d’une déception amoureuse, certes, mais c’est son choix et je le

respecte. Elle sera parfaite pour lui : obéissante, sage, et qui plus parfaitement préparée à occuper ces hautes fonctions. Il sera lui aussi parfaitpour elle, conclut-elle d’une voix étranglée.

– Et toi ? insista Sameera.– Eh bien, je serai sa belle-sœur, quelqu’un pour qui il nourrira de l’affection.« S’il découvre un jour tes manigances, tu seras privée aussi de cette affection », songea-t-elle, affligée.– Supposons qu’il ait lui aussi des sentiments pour toi, déclara alors Sameera.Beth secoua la tête.– Il me prend pour Addie.– Supposons qu’il vous distingue l’une de l’autre ?– Nous avons souvent échangé nos rôles, et personne ne l’a jamais remarqué.– Il y a toujours une première fois.– Jusqu’ici, il n’y a que toi qui aies réussi à deviner qui était qui. Mais tu es ma mère, c’est différent.Le tutoiement lui était venu tout naturellement aux lèvres. Le regard de Sameera brilla d’un éclat nouveau.– Vraiment ? Je ne vous avais pas vues depuis très longtemps. Et je t’ai reconnue avant même d’avoir vu la tache de naissance.– Il y a chez les mères quelque chose d’instinctif...– Je crois que c’est plutôt l’amour qui nous guide. L’amour qui, au-delà de l’apparence physique, permet de reconnaître l’être cher.Beth cligna des paupières pour chasser ses larmes.– J’espère que tu te trompes, fit-elle d’une voix à peine audible.

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10.

Où était Beth ?Pareil à un lion en cage, Malik faisait les cent pas dans l’allée du harem. Il avait à la main une rose pourpre, pas tout à fait éclose, qui

dégageait un parfum soutenu.Beth n’avait pas coutume d’être en retard. Il l’avait appelée pour modifier leur lieu de rendez-vous, et elle n’avait pas protesté. Il s’attendait

à une remarque acerbe de sa part, lorsqu’il avait suggéré qu’ils se retrouvent devant le harem, mais rien n’était venu. Elle ne l’avait pourtantpas habitué à tant de docilité…

En raccrochant, il avait froncé les sourcils. Ces quelques mots échangés avec la jeune femme lui avaient laissé une impression bizarre, quis’était accentuée au fil des minutes. Il avait perçu dans sa voix quelque chose de différent, un timbre qu’il ne reconnaissait pas.

De toute évidence, elle n’avait pas encore retrouvé cette vivacité de caractère qui lui plaisait tant. Il n’oubliait pas l’éclair de panique quiavait traversé son regard, dans l’avion, lorsqu’il l’avait pressée de fixer une date de mariage.

Ces quelques heures passées en sa compagnie à Paris n’avaient pas atténué son désir pour elle. Bien au contraire, même. Il avait hâte de lafaire sienne, de tout partager avec elle : son lit, son quotidien, sa vie… Tout.

Or son attitude lui faisait redouter le pire. Il craignait qu’elle ne souhaite rompre leurs fiançailles.Et l’angoisse que suscitait en lui cette éventualité lui était tout aussi insupportable que l’éventualité elle-même. Il lui tardait de l’épouser.

Les émotions indésirables qu’elle avait fait naître en lui finiraient par s’apaiser, et son existence reprendrait son cours normal, serein.Il distingua alors un bruit de talons au bout de l’allée, et s’en voulut d’éprouver un tel soulagement. Décidément, l’arrivée de Beth au palais

avait semé le trouble dans cette vie paisible qu’il avait eu du mal à retrouver, et qu’il tenait tant à conserver.Il allait y mettre davantage de volonté. Le roi lui avait souvent dit qu’aucun problème n’était insurmontable si on se donnait vraiment la

peine de le surmonter.Immobile devant la porte du harem, il attendit qu’elle le rejoigne.– Beth…– Votre Altesse…Avec un signe de tête poli, elle leva la main vers Malik qui, sidéré, la lui baisa machinalement. Que se passait-il à présent ? Mais peut-être

n’était-ce là qu’une forme de plaisanterie ?La jeune femme qui se tenait devant lui n’avait pourtant pas l’air de plaisanter. Elle avait une attitude guindée, rigide, qu’il ne lui connaissait

pas.– Ai-je fait quelque chose qui vous a offensée ? demanda-t-il.Elle leva vers lui le regard consterné de celle qui vient de comprendre qu’elle a commis une erreur.– Oh non, bien sûr… Malik.Elle semblait avoir du mal à prononcer son prénom. Aurait-elle oublié les moments passionnés où elle le chuchotait, serrée contre lui ?Dérouté par ce comportement, il lui tendit la rose rouge.– Elle est très belle, merci, fit-elle avec un sourire.– Je vous en prie. Je me suis permis de demander qu’on nous serve le dîner ici, au harem, ajouta-t-il sans cesser de l’observer.– Très bien. Comme vous voudrez.Malik, qui s’était attendu à quelque commentaire narquois sur son choix, en fut pour ses frais. De plus en plus perplexe, il ouvrit la porte du

bâtiment et s’effaça pour laisser passer sa compagne.Sitôt le seuil franchi, celle-ci regarda autour d’elle, émerveillée.– Cet endroit est magnifique. Et ces vitraux, quelle splendeur !– Rien n’a changé depuis votre dernière visite.– Évidemment, mais… je suis plus sensible encore aujourd’hui à la beauté de cet endroit.Malik hocha la tête avec lenteur. Il y avait en Beth quelque chose d’étrange. De différent.Il la prit par le bras et la guida vers la salle à manger, où était dressée une table pour deux. La pièce, qui baignait dans la douce lumière

dispensée par les chandeliers, était ornée de bouquets colorés qui se mariaient à merveille avec ce décor oriental.Sortant la bouteille de champagne du seau en argent, il remplit deux coupes et en tendit une à la jeune femme.– A nous.– A nous, répéta-t-elle.D’un même geste, ils portèrent la coupe à leurs lèvres. Puis ils restèrent quelques instants à se dévisager.Décidément, Beth était différente ce soir-là. Les traits de son visage lui paraissaient plus anguleux. Il manquait à son menton quelque chose

de volontaire. Et son regard semblait bien terne : aucune chaleur, aucune lueur espiègle… Même les paillettes qui y étincelaient d’habitudeavaient perdu de leur éclat.

– Vous êtes d’un calme étonnant.– Je vous prie de m’excuser.

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Le sourire qu’elle lui adressa alors accentua sa sensation de malaise.Il fallait qu’il en ait le cœur net.Il lui prit la coupe des mains et la posa avec la sienne sur la table, avant de lui relever le menton pour s’emparer de ses lèvres. Et ce baiser le

dérouta davantage encore. Les lèvres de la jeune femme étaient tièdes, souples. Sages. Nulle trace de passion. Il avait l’impression de tenir dansses bras une femme… soumise.

Glissant la main dans sa chevelure, il s’inclina de nouveau, prêt à embrasser la petite marque qu’il avait découverte là, juste derrière l’oreille.Mais il n’y avait aucune marque. La tache de naissance avait disparu.Il redressa la tête et darda sur la jeune femme un regard froid.– Qui êtes-vous ?– Que voulez-vous dire ? Je ne comprends pas. Malik, je…– Vous n’êtes pas Beth. Vous lui ressemblez, mais…Sa voix vibrait de rage mal contenue lorsqu’il ajouta :– Vous êtes sa sœur !Elle recula, comme s’il avait levé la main sur elle.– Sa jumelle, reprit-il, d’un ton cinglant.Il avait entendu dire qu’elles étaient identiques en tout point, mais il ne partageait pas cet avis.– Que se trame-t-il au juste ? Pourquoi vous a-t-elle demandé de vous substituer à elle ? Nos fiançailles lui paraissent donc si

insupportables ?– Non, Votre Altesse.– Non ? Dans ce cas, quel est le motif de cette supercherie ? J’attends vos explications.Les épaules basses, elle croisait et décroisait nerveusement les doigts.– Je suis Adina Farrah.Il ouvrit grand les yeux.– Comment ? Ce serait… vous, ma fiancée ?– Oui.– Et Beth ?– Beth est ma sœur Alina. Comme Adina et Alina se ressemblaient trop, on l’a appelée Beth.– Voilà au moins un point sur lequel elle ne m’aura pas menti ! lança-t-il avec un rire sec.– Ne lui en veuillez-pas. Je suis seule responsable.– Ah ? fit-il, un sourcil levé.Il s’étonnait lui-même de parvenir à faire preuve d’un tel calme, alors qu’il bouillait de colère.– Quand vous avez manifesté le désir que nos fiançailles deviennent… effectives, j’ai supplié Beth de me remplacer. Pour que je puisse régler

quelques problèmes d’ordre personnel.– Quel genre de problèmes ? insista-t-il sans se départir de sa froideur.Addie se mordilla la lèvre inférieure.– J’avais rencontré quelqu’un.– Je vois.– Non, ne soyez pas aussi catégorique. Vous ne pouvez pas comprendre. Je n’avais jamais été amoureuse. Je voulais connaître l’amour.– J’imagine que vous avez essuyé un échec. L’amour n’existe pas !Il avait de plus en plus de mal à contenir sa rage.– Vous avez raison. Cet homme ne valait pas grand-chose.– Vous voudriez donc maintenant « revenir » vers moi ? Quelle noblesse de sentiments !– Je suis prête à accomplir mon devoir. Mon père serait enchanté que ce mariage ait lieu dans des délais assez brefs. Vous aussi,

apparemment.Elle tenait sans aucun doute cette information de Beth. Il comprenait mieux maintenant l’affolement de celle-ci, lorsqu’il l’avait pressée de

fixer une date de mariage.Comment avait-il pu se laisser berner ainsi, une seconde fois ? Lui qui croyait opter pour la sagesse, la sécurité, en se fiant au choix de son

père…

Beth poussa la porte du bureau de Malik après avoir franchi sans encombre les différents obstacles. Pas plus le service de sécurité que sasecrétaire ne cherchèrent à la retenir, persuadés qu’ils étaient d’avoir affaire à la fiancée du prince.

Après avoir refermé la porte derrière elle, elle avança d’une démarche ferme vers le bureau auquel il était assis. Addie lui avait tout raconté.Elle devait s’expliquer, à présent.

– Que voulez-vous, Beth ?Il l’avait reconnue sur-le-champ. Hormis Sameera, lui seul en était capable. Son cœur, qui battait déjà très vite, s’emballa. Il fallait qu’elle se

ressaisisse. Elle n’avait plus grand-chose à perdre, mais elle devait s’ingénier à faire comprendre à Malik les motifs personnels de ce mensonge.

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Par-dessus le marché, elle venait d’apprendre par Addie que leur père arriverait à Bha’Khar dans la semaine. Pour le bien de sa jumelle,mieux valait aplanir les problèmes.

Elle regarda autour d’elle et, avec un calme feint, déclara :– Vous ne m’avez jamais fait visiter votre bureau. Travailler dans un endroit pareil ne doit pas être désagréable…La pièce d’angle, très grande, donnait sur les jardins. Une immense bibliothèque occupait tout un mur. Les autres étaient couverts de photos

représentant la famille royale. Certains objets de valeur, offerts sans doute par des chefs d’Etat en visite officielle à Bha’Khar, étaient exposéssur des rayonnages.

Elle avala sa salive, et hasarda un regard en direction de Malik qui la fixait. Il lui avait tant manqué… Et à présent elle avait en face d’elle unhomme dont l’attitude ne reflétait qu’hostilité.

Les jambes tremblantes, elle remarqua deux fauteuils face au bureau et s’en approcha.– Puis-je m’asseoir ?Il hésita, manifestant ainsi le peu de plaisir que lui procurait sa visite impromptue, puis finit par hocher la tête.– Il faudra que je donne à mon équipe des consignes plus strictes à l’égard des visiteurs indésirables.– Ce n’est pas nécessaire. Je n’envisage pas de faire de cette pratique une habitude.– Vous voulez dire, d’usurper l’identité de quelqu’un d’autre ?Il s’était exprimé sur un ton tranchant, et elle eut l’impression de recevoir une nouvelle flèche en plein cœur. Sans attendre d’y être conviée,

elle s’installa dans l’un des fauteuils. Si elle restait plus longtemps debout, ses jambes refuseraient sans doute de la porter.– Je désire vous expliquer pourquoi j’ai agi ainsi. C’est très important.– Ça ne changera pas mon opinion sur cette lamentable affaire.– Je vous demande seulement de m’écouter.– Faites vite, alors.Beth acquiesça, tout en se demandant comment elle pourrait résumer en quelques mots ces longues années de malheur, et essayer de

justifier rapidement sa position.– Nous avons grandi Addie et moi sans mère, et de fait, sans père non plus. Ma sœur jumelle est la seule personne qui m’ait jamais aimée.

Mon père était un homme froid, dénué de sentiments. Il ne s’intéressait à moi que quand il me confondait avec ma sœur, me prenant ainsi pourla future reine de Bha’Khar.

– Vous est-il arrivé souvent de vous faire passer pour Adina ?– Je n’en avais pas besoin ! lui répondit-elle avec un rire caustique. Il n’a jamais été capable de nous distinguer l’une de l’autre, et quand il

voyait l’une d’entre nous, il décidait tout naturellement qu’il s’agissait de ma sœur. Elle seule existait à ses yeux.– Où voulez-vous en venir, au juste ?Il la dévisageait, les traits toujours aussi durs.– Pour autant, je ne pense pas qu’il se soit jamais soucié de son bonheur.– Elle m’a expliqué pourquoi elle vous a demandé de la remplacer. Mais je ne comprends toujours pas pourquoi vous avez accepté de vous

livrer à cette mascarade.– Parce que je l’aime, tout simplement. Parce que je n’ai jamais compté que sur elle, et elle sur moi. Vous n’êtes pas obligé de me croire, bien

sûr, mais je déteste le mensonge.– Je ne vous crois pas, en effet.Évidemment, pourquoi la croirait-il ? Il considérait sans doute qu’elle ne valait guère mieux que l’intrigante qui s’était moquée de lui

quelques mois plus tôt.– J’ai agi dans le seul but de protéger ma sœur.Il la toisa, un sourcil levé.– Je n’ai jamais eu l’intention de faire le moindre mal à ma fiancée !– Pas intentionnellement. Je le sais maintenant, mais je l’ignorais au moment où j’ai accepté de l’aider. Compte tenu de mes expériences

personnelles, j’étais persuadée que les hommes de pouvoir ne se souciaient pas beaucoup de leurs proches. Comment aurais-je pu deviner quevous étiez différent ? Comment aurais-je pu savoir que ma sœur ne serait pas terriblement malheureuse auprès de vous ? Qu’elle ne gâcheraitpas sa vie ?

Elle marqua une brève pause, le temps de reprendre son souffle.– Dans un premier temps, je voulais vous inciter à renoncer à ce mariage. Il était impossible à Addie de prendre une telle décision. Elle aurait

dû pour cela affronter mon père, et leur relation en aurait considérablement pâti. De plus, elle venait de rencontrer quelqu’un…– Rien de tout cela ne justifie votre attitude.Ignorant cette intervention, elle poursuivit :– J’ai appris à vous connaître. Vous êtes un homme d’honneur. Un homme intègre, sincère.Si une partie d’elle-même regrettait de lui avoir menti, elle ne regretterait jamais en revanche de l’avoir connu. Il ressemblait à celui qu’elle

avait toujours attendu, dont elle avait toujours rêvé.– Je comprends qu’il vous soit impossible de saisir la nature profonde du lien qui unit des jumeaux. Vous avez cependant un frère que vous

aimez. Supposons que son bonheur soit en jeu. Supposons qu’il vous demande une faveur. Une faveur qui exigerait que vous vous écartiez de lavoie de l’honnêteté.

– Il me semble avoir déjà eu avec vous ce genre de discussion. Et je me rappelle vous avoir dit qu’à mon sens, le mensonge est indéfendable,même s’il est destiné à servir une bonne cause. Je n’ai pas changé d’avis.

Les inflexions de sa voix étaient toujours aussi dures, son regard toujours aussi glacial. Il était resté insensible à ses propos, ce qu’elle n’avait

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pas envisagé en décidant de venir le trouver. Et cet échec la plongeait dans un abîme de désespoir.Désespoir qui céda vite place à la crainte.– Qu’allez-vous faire ? lança-t-elle d’une voix blanche.– Mon devoir.– En épousant ma sœur ?– Oui.Elle baissa les paupières.– Je sais bien que je n’ai pas le droit de vous demander quoi que ce soit, mais je fais appel à votre bonté. S’il vous plaît, ne tenez pas rigueur à

Addie de ce… ce regrettable incident.– Vous avez raison sur ce point au moins : votre position ne vous permet pas de me demander quoi que ce soit !Il se leva alors, signifiant ainsi à la jeune femme la fin de leur entretien.Au prix d’un effort, elle réussit à puiser en elle assez de dignité pour se lever à son tour et rejoindre la porte sans trahir sa détresse. La main

sur la poignée, elle se tourna vers Malik et soutint son regard.– Voyez-vous, Votre Altesse, il est facile de juger autrui quand on n’a soi-même jamais eu à s’interroger sur la place qu’on occupe sur cette

terre. Quand on ne s’est pas demandé qui nous aime, et à qui on manquerait si on venait à disparaître. J’ai toujours protégé ma sœur… et je neregrette pas de l’avoir fait cette fois encore. Pour finir, ajouta-t-elle, redressant le menton, sachez que vous devriez remercier le ciel !

– Ah ? Pourquoi donc ?– Si j’étais née deux minutes plus tôt, c’est moi que vous devriez épouser !Elle sortit, claquant presque la porte derrière, et traversa les longs couloirs dans une sorte d’état second.Malik l’avait aussitôt reconnue.« C’est l’amour qui, au-delà de l’apparence physique, permet de reconnaître l’être cher », avait dit Sameera.Suffoquant de chagrin, elle avait du mal à avancer. Elle avait trouvé l’homme de sa vie et allait devoir renoncer à lui. A cause du destin, de la

tradition et de sa propre stupidité.Pour la deuxième fois de sa vie, elle s’éprenait d’un homme sur le point d’en épouser une autre. Mais c’était bien pire cette fois, car l’homme

en question était nanti de ces qualités de cœur qui, pour elle, n’avaient pas de prix.Or elle l’avait blessé, et il ne le lui pardonnerait jamais.

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11.

– Bienvenue à Bha’Khar, monsieur l’ambassadeur...Le roi leva sa coupe de champagne et, autour de la table ronde dressée ce soir-là avec apparat, tout le monde fit de même.Y compris Malik.Les personnes réunies là ce soir constituaient un groupe intime. Il y avait le couple royal, le prince et, pour finir, l’ambassadeur entouré de

ses deux filles.Malik n’avait pas soufflé mot à ses parents des derniers rebondissements de ses fiançailles. Il était d’ailleurs persuadé que Beth était venue

le trouver dans son bureau pour éviter que son père n’ait vent de la supercherie dont sa jumelle était à l’origine.Il ne savait pas trop ce qui l’avait empêché de divulguer cette affaire. Sans doute avait-il agi ainsi par égard pour le roi son père, qui avait

choisi sa fiancée. Peut-être aussi avait-il voulu éviter d’afficher cette nouvelle humiliation. Ce n’était pourtant pas la honte qui l’affectait le plus.Il s’en voulait surtout de n’avoir pas réussi à museler ses sentiments.

Mais il s’en débarrasserait, de ces sentiments. Même s’il devait pour cela lutter jusqu’à son dernier souffle !Refusant de regarder Beth, il concentrait son attention sur l’ambassadeur. Il avait déjà rencontré quelquefois cet homme proche de la

soixantaine, aux cheveux poivre et sel, aux yeux noirs luisants d’intelligence. Ce soir pourtant, il posait sur lui un regard nouveau. Il n’oubliaitpas le portrait peu flatteur que lui avait brossé Beth de son père.

Machinalement, il se tourna vers la jeune femme. Ce n’était pas lui qui avait souhaité l’inviter. La reine, qui avait appris que les deux filles del’ambassadeur se trouvaient à Bha’Khar, avait voulu profiter de l’occasion pour convier toute la famille afin de mieux lier connaissance.

L’ambassadeur Rafi Farrah leva à son tour sa coupe.– A ma fille Adina, future épouse du prince héritier.Tout le monde porta un toast à la future mariée.Tout le monde, excepté Malik. Avant de découvrir qu’« on » s’était moqué de lui, il avait proposé une date de mariage que ses parents

n’avaient malheureusement pas oubliée. L’idiot…– Malik ?La voix de sa mère le ramena à la réalité. Il s’aperçut alors que toutes les coupes étaient levées. Tous les regards convergèrent alors vers lui,

attendant qu’il prenne la parole.Beth seule fixait les minuscules bulles du liquide doré.– A Adina, dit-il enfin. Que notre bonheur soit aussi fort que la sincérité de notre amour.Il avait prononcé ces mots les yeux rivés sur Beth, qui cligna des paupières.– N’ayez aucune crainte, Votre Altesse, dit l’ambassadeur avec un sourire de satisfaction. Elle est aussi obéissante que belle.La reine dévisagea tour à tour les deux jeunes femmes.– Vos deux filles sont absolument ravissantes.– Mmh… Adina est un joyau parmi les joyaux, insista Rafi, la voix gonflée d’orgueil, avant de tapoter la main de Beth.Malik se demanda si les jumelles avaient décidé de s’habiller de façon identique pour tromper leur père. Ou peut-être le tromper, lui…– Pour reprendre une expression vieille comme le monde, intervint le roi, elles se ressemblent comme deux gouttes d’eau !« Pas pour moi », songea Malik. Il avait su presque tout de suite qu’Adina n’était pas Beth. L’embrasser n’avait fait que confirmer ce qu’il

pressentait : cette femme-là n’était pas celle qu’il avait appris à connaître, à… aimer ?Comment pouvait-il éprouver des sentiments aussi forts pour Beth, alors qu’elle s’était délibérément moquée de lui ?– Je suis tout à fait de l’avis de mon époux, renchérit la reine. Comment parvenez-vous à distinguer vos filles l’une de l’autre, monsieur

l’ambassadeur ?– Une question de maintien… d’allure.Il sourit à Beth avant de poursuivre :– Adina ne vous décevra pas, Votre Altesse. Elle a reçu une éducation propre à faire d’elle une grande reine.Assise bien droite sur sa chaise, Beth décocha à son père un regard hautain. Malik la connaissait assez pour savoir qu’en ce moment même,

elle brûlait d’envie de remettre à sa place l’ambassadeur. Elle ne dit rien, toutefois. Sans doute pour ne pas heurter la sensibilité de sa sœur.Certainement pas, en tout cas, pour épargner cet homme dont il percevait maintenant toute l’arrogance.

Adina posa alors la main sur le bras de son père.– Je vous suis très reconnaissante de l’éducation qui m’a été donnée, père. Cette éducation se poursuivra désormais auprès de la reine, qui

me guidera.Le roi eut un sourire amusé.– Une autre diplomate dans la famille, Rafi ? Et quelle voie a décidé de suivre votre autre fille ?Beth sourit au couple royal.– Je suis enseignante…

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– Elle n’est pas au service de Bha’Khar, l’interrompit l’ambassadeur. Rien, donc, qui mérite grand intérêt.Stupéfait, Malik le vit accompagner ces mots d’un geste évasif de la main. Comment cet homme pouvait-il traiter de la sorte son autre fille,

cette femme nantie d’une personnalité aussi riche ?Il se rappela ce qu’elle lui avait dit au sujet de ce père abusif, des liens particulièrement forts qui s’étaient tissés entre sa sœur et elle, pour

supporter ce joug. Par respect pour ses parents, il ne fit aucun commentaire, tout en se promettant d’aborder plus tard ce sujet avec eux.– Adina parle plusieurs langues, poursuivait l’ambassadeur avec emphase. Elle est tout à fait capable d’avoir une conversation avec de hauts

dignitaires français, allemands ou espagnols, dans leur langue.Gênée par ce panégyrique, Adina se tourna vers Beth.– Ma sœur a des rapports merveilleux avec les adolescents auxquels elle enseigne la littérature. Il s’agit d’un mode de communication bien

plus riche que n’importe quelle langue étrangère.L’ambassadeur lâcha un soupir.– Adina et Beth ne se ressemblent pas du tout. Mon autre fille n’en a fait qu’à sa tête. Elle a voulu embrasser une carrière au lieu d’attendre

tranquillement le mariage.– Elle aurait gâché ses talents.Beth se pencha un peu en avant pour adresser à sa sœur un sourire affectueux. Malik distingua dans son regard un avertissement. Elle avait

manifestement pris l’habitude de protéger Adina, et lui déconseillait de rester sur cette voie.Toujours plongé dans le silence, il but une gorgée de champagne. Des sentiments contradictoires se livraient bataille en lui. Il en voulait

toujours à Beth d’avoir agi comme elle l’avait fait, mais il admirait aussi cette force de caractère qui l’avait poussée à prendre sa vie en main.Une vie qui n’avait pas toujours été facile, loin de là : pas de mère, un père qui l’avait ignorée. En tout et pour tout, une sœur qu’elle adorait.

Une sœur qu’elle était prête à aider, coûte que coûte.Soudain, toute trace de colère le déserta. Il eut l’impression de sortir d’un tunnel, d’être ébloui par une belle lumière dorée.Il se trouvait à présent confronté à un dilemme d’ordre national. Dans la longue lignée des princes héritiers de Bha’Khar, aucun n’avait

jamais défié l’histoire pour épouser la femme de son choix.

Addie se laissa aller contre l’oreiller en poussant un petit soupir.– Je suis contente que nous soyons toutes les deux chez maman, ce soir. C’est si bon de la retrouver.La situation étant toujours très compliquée, Addie avait préféré retourner dormir ce soir-là aussi chez Sameera, avec Beth. Elles se

retrouvaient à présent toutes deux dans la même chambre, allongées face à face, dans ces mêmes lits jumeaux où elle dormaient, enfants.Les deux sœurs se sourirent.– Quand je pense que, pendant tout ce temps, nous avons cru qu’elle nous avait abandonnées, observa Beth. Si seulement nous avions pu

deviner qu’elle cherchait par tous les moyens à nous revoir…– Tout est bien qui finit bien. Ou presque ! Ce dîner au palais était des plus étranges…– N’en parlons plus, dit Beth avec un haussement d’épaules.Étrange ? Infiniment douloureux, surtout, pour elle. Chaque fois que son regard avait croisé celui, si sombre, du prince, elle s’était rappelé ce

qui avait été. Ce qui aurait pu être.– Si tu savais à quel point je regrette de t’avoir entraînée dans cette aventure, Bethie…– C’est la dernière fois que tu me dis une chose pareille, Addie ! Je te viendrai toujours en aide. Toujours. Parce que je t’aime.– Je t’aime moi aussi de tout mon cœur, Bethie. Et je ne te remercierai jamais assez de m’avoir toujours soutenue, en dépit de conditions très

difficiles. J’ai vu père à l’œuvre, ce soir. Pour la première fois de ma vie, j’ai ouvert les yeux sur sa véritable nature.– Il faut dire qu’il était dans son élément ! lâcha Beth avec un rire empreint d’amertume. Il se frottait les mains à l’idée d’appartenir bientôt,

par alliance, à la famille royale.Pensive, Adina hocha la tête.– Penses-tu que le roi et la reine soient au courant de notre ruse ?– Je ne crois pas, lui répondit Beth après quelques instants d’hésitation. Ils étaient très aimables avec nous. J’ai eu l’occasion de les

rencontrer quelques fois pendant mon séjour au palais, et je n’ai remarqué ce soir aucun changement dans leur attitude. Pour une raisonquelconque, Malik ne leur a rien dit.

Pour éviter sans doute de leur annoncer que, une fois de plus, il s’était laissé duper. Beth pouvait difficilement le lui reprocher, ayant subielle-même les affres de l’humiliation.

Addie se leva pour s’asseoir à côté de sa sœur.– Je n’ai pas l’intention d’épouser Malik, Beth.Cette dernière, qui s’était aussitôt redressée, fixait sa sœur, les yeux écarquillés.– Mais pourquoi ? Aurais-tu peur qu’il te fasse payer d’une quelconque façon notre supercherie ? Il ne le fera pas, Addie. J’ai appris à le

connaître. Il passera sur cette affaire.– Non, il ne l’oubliera jamais complètement.Il traiterait sa femme avec égards, mais il ne pourrait plus avoir confiance en elle, Beth en convenait. Or un mariage qui n’était pas fondé sur

la confiance avait peu de chances de réussir.– Tu as raison, admit-elle avec un soupir.– Ce n’est toutefois pas pour cette raison que je ne veux plus épouser le prince.– Te sentirais-tu prête à affronter père ?

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– Comme je te le disais, je l’ai vu ce soir sous son vrai jour. Jusqu’ici, j’avais peur de perdre son amour. Mais la façon dont il t’a traitée m’asemblé… monstrueuse ! Aussi monstrueuse que sa hâte d’avoir pour gendre le roi de Bha’Khar. Il aime le pouvoir plus que ses propres enfants.J’ai compris que je ne pouvais pas perdre ce que je n’ai jamais eu, conclut-elle, le regard lointain.

Beth prit la main de sa sœur et la serra dans la sienne.– Ce fiasco aura au moins eu un mérite, dit-elle. Veux-tu que j’aille avec toi annoncer la nouvelle à père ?– Non. Il est temps que je grandisse, que je mène seule mes propres combats. Malgré tout, je ne tiens pas à le rayer de ma vie. Mais s’il n’est

pas capable de comprendre… eh bien tant pis !Beth lui sourit.– J’espère que tu trouveras un homme qui saura te rendre heureuse, Addie. Je suis contente que tu aies pris conscience des risques que

comporte ce genre d’union, avant qu’il ne soit trop tard.– A vrai dire, moi aussi.Son regard se fit triste, tandis qu’elle fixait sa jumelle.– Et toi, Beth ?– Comment cela, et moi ?– As-tu trouvé celui qui saura te rendre heureuse ?Oui. Mais la vie l’obligeait à lui tourner le dos.– Ne te fais pas de souci pour moi, répondit-elle cependant à sa sœur.– Bien sûr que si, je me fais du souci pour toi ! C’est d’ailleurs pour cette raison que j’ai décidé d’affronter père.– Comment ? Où est le rapport ?– Je ne peux pas épouser l’homme que tu aimes !Prompte à réagir, Beth s’exclama :– Mais pas du tout ! Tu…– N’essaie pas de me mentir, sœurette. Personne au monde ne te connaît aussi bien que moi. Et j’ai vu comment tu regardais Malik. J’ai vu

aussi comment il t’arrivait de fuir son regard.– Écoute, Addie, en supposant que tu aies raison – ce qui reste à prouver –, je ne suis pas, à l’inverse de toi, faite pour devenir reine. J’ai un

caractère très affirmé, je n’ai pas reçu l’éducation adéquate, et surtout, Malik ne voudrait pas de moi après ce qui s’est passé !– Permets-moi d’en douter. Il n’a pas cessé lui non plus de t’observer, ce soir.– Il s’interrogeait sans doute sur le moyen le plus efficace de mettre fin à mes jours !– Pas si sûr ! rétorqua Addie dans un éclat de rire. Ce qui est sûr en tout ca, c’est que je ne pourrais jamais me marier avec un homme

amoureux d’une autre femme.– Bien sûr. Ce serait aller au-devant de graves problèmes. Mais Malik…– Malik est amoureux de toi, Bethie ! Il a deviné presque sur-le-champ que je n’étais pas toi.Beth se passa la langue sur les lèvres. Sa mère lui avait tenu ces mêmes propos. Son cœur s’affola. Pouvait-elle espérer avoir une chance

avec Malik ?– Il ne me pardonnera jamais de l’avoir trompé, dit-elle d’une voix tremblante.– Ne dit-on pas que l’amour est plus fort que tout ?– C’est ce que j’ai cru moi aussi, mais la vie s’est chargée de me prouver le contraire.Malik ne comprendrait jamais pourquoi elle avait menti, ce qui ne lui laissait aucune chance de réparer sa faute.Elle devait se rendre à l’évidence, accepter la vérité, aussi cruelle soit-elle : ils ne vivraient pas heureux ensemble.

Page 53: L'épouse du cheikh - Le Jardin d'Evele-jardin-d-eve-horizon.e-monsite.com/medias/files/l-epouse-du-cheikh.pdfElle avait en fait été soulagée de ne pas le voir au pied du jet privé

12.

Après une nuit sans sommeil, Malik poussa la porte du bureau de son père, qui parut surpris par cette visite inopinée.– Que t’arrive-t-il donc, mon fils ? Je dirai au passage que tu as une mine épouvantable…– Je veux bien le croire. Je dors assez mal, depuis que ma fiancée est arrivée.– Elle est charmante. Nous en parlions justement hier soir avec la reine, qui est persuadée qu’il y a entre vous une véritable étincelle.Sa mère faisait bien entendu allusion à Beth. Et « étincelle » était une version très édulcorée de la situation. Il avait l’impression, lui, de se

trouver au beau milieu d’un brasier !– Il y a en effet une… étincelle entre nous, dit-il cependant.Un sourire satisfait aux lèvres, le roi hocha la tête.– Parfait.– Non. Pas si parfait que tout porterait à le croire.Cette fois, le roi haussa un sourcil.– Ah ?– Beth n’est pas ma fiancée.– Comment ?Malik raconta alors à son père tout ce qu’il savait, sans omettre les motifs profonds qui avaient incité la jeune femme à le berner.– Elle a menti pour servir une bonne cause.Ce fut en ces termes qu’il conclut son récit.– Je ne partage pas ton avis, mon fils, déclara le roi, la mine sévère.Malik se rappelait avoir eu la même réaction que son père.– J’ai appris à la connaître, et je la crois incapable de vivre de façon permanente dans le mensonge. Beth est une femme droite, qui a eu

recours à ce stratagème pour venir au secours de sa sœur. Et elle a des excuses, père. Je ne suis pas bien certain que l’ambassadeur méritetoute l’estime que vous avez pour lui.

En quelques phrases, il lui rapporta les informations qu’il tenait de la jeune femme elle-même. Informations qu’il ne mettait pas en doute,après avoir vu la veille au soir comment Rafi Farrah se comportait avec ses deux filles.

– Cet homme est assoiffé de pouvoir ! lança-t-il pour finir.– Je m’occuperai en temps utile de son cas. Il n’en reste pas moins que l’attitude de cette jeune personne est inexcusable.Les deux hommes passèrent les instants suivants à se mesurer du regard.– J’ai pour vous un immense respect, père. Mais je ne vous permettrai pas de critiquer Beth.– Tu l’aimes.Ce n’était pas une question.– Oui, je l’aime. Je m’étais pourtant juré de ne plus laisser mes sentiments gouverner ma vie, influencer ma capacité de jugement. Je ne

voulais pas m’écarter des responsabilités qui m’incombent.Cette fois encore, les deux hommes se dévisagèrent en silence.– L’amour est un don du ciel, mon fils. Si je t’ai incité à penser autre chose, sache que j’en suis désolé.– Vous n’y êtes pour rien, père. Je tiens cet enseignement de ma propre mésaventure.– Tu fais allusion à cette petite journaliste arriviste, je suppose.Comme Malik acquiesçait, le roi soupira.– On ne peut pas avancer dans la vie en se méfiant de tout et de tous, Malik. Nul n’est à l’abri d’une erreur de jugement. Ce faux pas ne doit

pas altérer ta confiance en toi. Tes décisions doivent être fondées sur ce que te dicte ton cœur.– Voilà pourquoi je suis venu vous trouver. Je ne peux pas épouser la femme que vous avez choisie pour moi.Le roi se pencha en avant et croisa les bras sur son bureau.– Je vois. Et… ?– Kardahl a respecté la tradition, lui. Il a eu aussi la chance de s’éprendre presque sur l’heure de celle qui lui était destinée. Je pense donc

qu’il est de mon devoir de lui céder ma place. Ce sera lui qui vous succédera.– Tu renoncerais au trône de Bha’Khar pour Beth ? Elle compte donc à ce point pour toi ?– Elle est tout pour moi.Jusque-là, il ne s’était pas autorisé à exprimer toute l’étendue de ses sentiments. Au moment même où il prononçait ces mots, Malik prit

conscience de la place qu’occupait la jeune femme dans son existence.– Je vois, répéta le roi.– Je regrette infiniment de vous décevoir, père. Vous avez toutes les raisons d’être en colère contre moi…

Page 54: L'épouse du cheikh - Le Jardin d'Evele-jardin-d-eve-horizon.e-monsite.com/medias/files/l-epouse-du-cheikh.pdfElle avait en fait été soulagée de ne pas le voir au pied du jet privé

– Beth t’aime-t-elle ?– Je l’ignore.Il préférait se retrancher derrière ces paroles, plutôt que d’avouer la vérité : il avait refusé de l’écouter lorsqu’elle s’était présentée à son

bureau sans crier gare. En supposant qu’elle ait nourri pour lui des sentiments, il les avait ignorés, bafoués.Au souvenir de cet entretien, une douleur lancinante lui traversa la poitrine. Une douleur avec laquelle il devrait apprendre à vivre.– Et tu es quand même prêt à renoncer à tes droits d’aîné pour cette femme ?– Pas seulement. J’y renonce parce que je préfère être seul plutôt qu’en épouser une autre dans le seul but de respecter la tradition.– En qualité de roi, je te répondrais que la tradition ne doit pas être ignorée. Mais je suis aussi ton père, et je ne souhaite que ton bonheur.– Les deux sont incompatibles.– Ne sois donc pas si pressé, mon garçon. Il existe peut-être une autre solution.

** *

Refoulant ses larmes, Beth vérifiait une dernière fois qu’elle n’avait rien oublié dans les tiroirs de la commode. Elle était étonnée d’avoir lesmêmes bagages qu’à son arrivée à Bha’Khar. Elle se sentait elle-même tellement plus lourde…

L’ironie de la situation ne lui échappait pas. Venue pour protéger sa sœur des « griffes » du prince, elle s’était elle-même éprise de lui ! Ellene pouvait pas même regretter de l’avoir perdu, puisqu’elle n’avait jamais eu le moindre espoir de voir ses sentiments pour lui payés de retour.

Un petit coup retentit à la porte et, après y avoir été conviée, Sameera entra dans la chambre.– J’aimerais que tu prennes le temps de réfléchir encore un peu, Beth, commença-t-elle. Tu trouverais sans aucun mal un poste

d’enseignante ici. Et nous serions…Elle poussa un long soupir avant d’ajouter, d’une voix brisée par l’émotion :– Ça me fendra le cœur de te savoir à l’autre bout du monde.La jeune femme avança vers elle pour la prendre dans ses bras.– Nous ne serons plus séparées l’une de l’autre, maman. Il y a le téléphone, l’e-mail, l’avion. Pourquoi ne viendrais-tu pas me voir là-bas ?– Je viendrai, ma chérie, déclara Sameera avec un sourire tremblant. Mais… cette dernière soirée ne doit pas se dérouler dans la tristesse.

J’ai préparé un petit repas de fête. Ta sœur ne devrait pas tarder à arriver pour le partager avec nous.– Parfait. Je me demande comment a réagi Malik quand elle lui a annoncé qu’elle désirait tout annuler.– Nous le saurons très bientôt. Finis tes bagages, je m’occupe du repas.Une demi-heure plus tard, Beth ouvrait la porte à sa sœur.– Coucou ! lança celle-ci avec un sourire un peu nerveux qui intrigua Beth.– Tu vas bien ?– Très bien, Beth. Et toi ?– Comment s’est passée ton entrevue avec Malik ?– Très bien, répéta-t-elle en évitant son regard. Tu devrais allumer tout de suite la télévision.Étonnée, Beth s’exécuta.– Assieds-toi, lui dit Addie.Le visage du présentateur apparut sur l’écran au moment où elle s’installait sur le canapé.– … recevons à l’instant un document en provenance du palais, que nous allons diffuser sans plus tarder.Et le visage de Malik succéda à celui du présentateur. Beth en eut la respiration coupée.– Je vais aider maman en cuisine.– Non, déclara Sameera, qui venait de rejoindre ses filles. Reste donc où tu es.Terriblement troublée, Beth n’entendit pas les premières formules de politesse. Elle réussit à se ressaisir au moment où le prince entrait

dans le vif du sujet.– Comme vous le savez tous, je me suis engagé à servir mon peuple et mon pays quand l’heure de succéder à mon père aura sonné. Engagé

aussi, donc, à régner en respectant les traditions de Bha’Khar. L’une d’entre elles, en vigueur depuis des siècles, concerne le mariage du princehéritier. Jusqu’ici, il a toujours épousé celle qui avait été choisie pour lui à sa naissance. Les mariages de cette nature se sont succédé, et je croispouvoir affirmer sans me tromper que les couples royaux ont vécu heureux au palais.

Pour donner plus de poids à ce qui allait suivre, il marqua une pause et sourit.– Mais on ne choisit pas une femme comme on choisit une voiture. Le roi pense, comme moi, qu’il est temps de tourner la page, et de

permettre au prince de choisir lui-même celle qui l’accompagnera tout au long de sa vie.La sonnerie de la porte d’entrée résonna de nouveau, faisant sursauter la maîtresse de maison.– Je n’attends personne d’autre…Beth fixait sa sœur.– Qu’y a-t-il ? Pourquoi me regardes-tu de cette façon ? fit Addie.La sonnerie retentit encore, plus fort cette fois, et Sameera partit en direction du couloir.– Que se passe-t-il, Addie ?– Tu as entendu comme moi la déclaration de Malik, déclara la jeune femme, les yeux rivés sur les pointes de ses chaussures.– Était-il furieux quand tu lui as fait part de ta décision ?– Absolument pas. Tout s’est très bien passé.

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– Savais-tu qu’il allait s’adresser à la nation ?– Plus ou moins.– Addie, vas-tu cesser de t’exprimer par…– Bonsoir, Beth.En entendant la voix masculine, la jeune femme se tourna brusquement vers la porte et se figea. Souriant, Malik avança dans le salon pour

s’asseoir à côté d’elle. A l’instant même, Sameera et Addie quittaient la pièce. Il regarda l’écran, puis prit la télécommande pour éteindre letéléviseur.

– Je voudrais discuter de certaines choses avec vous.– Je viens d’écouter votre allocution.– Et alors ?– Alors… auriez-vous perdu la tête, Malik ? lança-t-elle avec cette franchise qui lui était propre.– Du tout. J’ai simplement décidé de choisir moi-même celle avec laquelle je vivrai jusqu’à la fin de mes jours.– Le roi était-il furieux ? insista-t-elle, déroutée par la vitesse à laquelle se succédaient tous ces événements.– Non, puisque cette idée est la sienne.– Vraiment ?– Oui. Et il a pris cette décision parce qu’il savait que le choix qu’il avait fait pour moi ne me rendrait pas heureux. Je lui ai dit que c’est vous

que j’aime, Beth.A ces mots, elle se laissa doucement aller contre le dossier du sofa. Avait-elle bien entendu ?Souriant, il lui prit les deux mains et les garda serrées dans les siennes.– Mais… je vous ai menti, balbutia-t-elle.– Vous aviez des circonstances atténuantes.– Et je ne suis pas une femme docile.– Tant mieux. Je ne voudrais pas d’une femme docile. C’est toi que je veux. Toi qui es prête à te battre bec et ongles pour défendre ceux que

tu aimes… et dont j’espère faire partie.Elle le fixa, les lèvres tremblantes, et finit par lui adresser un sourire espiègle.– En douteriez-vous, Votre Altesse ?Incapable de se maîtriser plus longtemps, il se rapprocha d’elle pour la prendre dans ses bras.– Après t’avoir connue, comment pourrais-je avoir envie d’en épouser une autre que toi, Beth ? Aucune ne saurait me tenir tête comme tu

l’as fait. Aucune n’aurait ce mordant qui m’est devenu si cher, ni ce mélange de force et de fragilité. Aucune non plus n’aurait le courage de fairece que tu as fait, pour protéger cette sœur qui t’est si chère.

Elle l’écoutait, le cœur battant. Elle n’osait pas bouger, osait à peine respirer, de crainte que ce ne soit qu’un rêve qui se briserait au moindremouvement.

– J’ouvrirai à ce propos une petite parenthèse : si ton père ne change pas de comportement envers toi, et s’il tient rigueur à Adina dudénouement de cette affaire, il est bien possible qu’il soit muté.

– En Antarctique, par exemple ? suggéra-t-elle, l’œil luisant. Peut-être faudrait-il approfondir les relations diplomatiques de Bha’Khar avecces régions du Grand Nord, dans ce cas ?

Ils rirent à l’unisson, et il chercha ses lèvres pour un bref baiser.– Voilà ce que j’aime aussi en toi, Beth : cette énergie, cette joie de vivre que tu as conservées en dépit de toutes les épreuves que t’a

réservées la vie. Tu seras une grande reine de Bha’Khar.– Je serai ta femme, c’est là tout ce que je désire.