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implantologie (...) ZIRCOMANIA : du rêve à la réalité Dr Catherine HO VAN TRUC - Dr Jean PERISSE Après un article consacré aux protocoles de fabrication de la zircone, nous allons détailler ici les propriétés mécaniques et physico-chimiques de ce composant des prothèses den- taires. En effet, depuis une vingtaine d’années, les prothèses dentaires ont évolué vers des infrastructures non métalliques, pour des raisons d’esthétisme et de biocompatibilité. Ces technologies modernes font l’objet de nombreuses présenta- tions auprès des professionnels de santé et des patients. Comprendre et connaître les caractéristiques de ce matériau et ses modalités de fabrication, est un enjeu fondamental pour que les praticiens l’utilisent dans des conditions opti- males. ENTRONS DANS LE VIF DU SUJET POUR ÉTUDIER LES PROPRIÉTÉS MÉCANIQUES DE LA ZIRCONE. Il faut bien comprendre que ces propriétés dépendent princi- palement de la structure dense en micro grains et sans défauts de la zircone : pureté de la pièce, porosité, structure cristalline (proportion de phase tétragonale et monocli- nique), caractéristiques géométriques, état de surface … En effet, la présence de micro-défauts de structure de 1 à 10μm peut influencer ces propriétés. D E QUELLES MESURES PARLE T - ON ? Tout d’abord, la ténacité (voir graphique ci-dessous). C’est la résistance du matériau à la propagation d’une fissure. La ténacité de la zircone est corrélée à son comportement R- curve. La phase métastable de la zircone (matériaux non stable en théorie, en raison d’une vitesse de transformation très faible) augmente sa résistance devant la propagation de fissure par un phénomène d’absorption des contraintes. Les cristaux maintenus artificiellement en phase quadratique grâce à l’Yttrium, profitent de l’apport d’énergie pour reve- nir en phase monoclinique. Des mécanismes actifs se trouvant à l’arrière de la fissure réduisent sa propagation. Par la différence de volume entre la phase monoclinique (vol supérieur de 3 à 5%) et la phase quadratique, la fissure peu aussi se combler au fur et à mesure, par les déchets des grains libérés par la fracture ; une déflexion permet d’éviter l’anastomose entre les diverses fissures et on constate une transformation au niveau des micro fissures assurant la protection de ces zones. Graphiques 1 et 2 : ténacité des matériaux à rupture fragile et des matériaux ductiles (ductibilité : aptitude d’un matériau à supporter une déformation per- manente sans rupture) La zircone est dix fois plus tenace que le verre pour une même force donnée. 14 N°46 -juin 10 L S S

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Parution Lettre de la Stomatologie 46 - Juin 2010

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ZIRCOMANIA : du rêve à la réalitéDr Catherine HO VAN TRUC - Dr Jean PERISSE

Après un article consacré aux protocoles de fabrication de

la zircone, nous allons détailler ici les propriétés mécaniques

et physico-chimiques de ce composant des prothèses den-

taires. En effet, depuis une vingtaine d’années, les prothèses

dentaires ont évolué vers des infrastructures non métalliques,

pour des raisons d’esthétisme et de biocompatibilité. Ces

technologies modernes font l’objet de nombreuses présenta-

tions auprès des professionnels de santé et des patients.

Comprendre et connaître les caractéristiques de ce matériau

et ses modalités de fabrication, est un enjeu fondamental

pour que les praticiens l’utilisent dans des conditions opti-

males.

ENTRONS DANS LE VIF DU SUJET POUR ÉTUDIER

LES PROPRIÉTÉS MÉCANIQUES DE LA ZIRCONE.Il faut bien comprendre que ces propriétés dépendent princi-

palement de la structure dense en micro grains et sans

défauts de la zircone : pureté de la pièce, porosité, structure

cristalline (proportion de phase tétragonale et monocli-

nique), caractéristiques géométriques, état de surface … En

effet, la présence de micro-défauts de structure de 1 à 10μm

peut influencer ces propriétés.

DE QUELLES MESURES PARLE T-ON ?Tout d’abord, la ténacité (voir graphique ci-dessous). C’est

la résistance du matériau à la propagation d’une fissure. La

ténacité de la zircone est corrélée à son comportement R-

curve. La phase métastable de la zircone (matériaux non

stable en théorie, en raison d’une vitesse de transformation

très faible) augmente sa résistance devant la propagation de

fissure par un phénomène d’absorption des contraintes. Les

cristaux maintenus artificiellement en phase quadratique

grâce à l’Yttrium, profitent de l’apport d’énergie pour reve-

nir en phase monoclinique.

Des mécanismes actifs se trouvant à l’arrière de la fissure

réduisent sa propagation. Par la différence de volume entre

la phase monoclinique (vol supérieur de 3 à 5%) et la phase

quadratique, la fissure peu aussi se combler au fur et à

mesure, par les déchets des grains libérés par la fracture ;

une déflexion permet d’éviter l’anastomose entre les diverses

fissures et on constate une transformation au niveau des

micro fissures assurant la protection de ces zones.

Graphiques 1 et 2 : ténacité des matériaux à rupture fragile et des matériaux

ductiles (ductibilité : aptitude d’un matériau à supporter une déformation per-

manente sans rupture)

La zircone est dix fois plus tenace que le verre pour une même force donnée.

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La ténacité d’un matériau se mesure d’après le coefficient

Kic, soit : Kic=_b (yV_a) où _b = tension de fracture - y =

facteur géométrique - a = dimension du défaut.

L’étude de la zircone soumise aux cycles de fatigues permet

de conclure à une sensibilité exponentielle à la propagation

d’une fissure qui indique une extrême sensibilité du matériau

aux contraintes. Les prédictions à long terme varient énormé-

ment selon les hypothèses initiales de la taille des défauts.

La dureté. Elle se définit comme étant la résistance d’un

matériau à la pénétration d’un autre corps plus dur que lui.

La zircone HIP possède une grande dureté.

Parlons ensuite de la résistance à la flexion (voir gra-

phique ci-dessous). Le traitement HIP, grâce à l’augmentation

de sa densité, confère à la zircone une résistance presque

doublée (1400 et 1600 MPa) par rapport à un frittage natu-

rel. On observe des valeurs deux fois plus élevées pour la

zircone comparée à la céramique infiltrée et plus encore à

l’alumine. C’est grâce à cette résistance à la flexion très éle-

vée qu’il est envisageable de réaliser des pièces prothétiques

de longues portée en zircone, conçues avec des sections de

connexions réduites et donc plus esthétiques.

En général, la résistance mécanique en flexion est précisée

par le fabricant, mais sans indiquer les conditions des essais

(flexion 3 points, 4 points, bi-axiale …). Il est pourtant

essentiel de connaître ces conditions d’essais avant d’inter-

préter les résultats.

Notons que la résistance des matériaux

à basse ténacité est limitée et liée à la

taille du défaut.

Module d’élasticité longitudi-nale : Module de Young (Loi deHooke) (voir graphique ci-dessous).

Au-delà d’une certaine force appli-

quée, appelée limite élastique, le maté-

riau prend une déformation perma-

nente. On dit qu’il est déformé

plastiquement. Le module d’élasticité de

la zircone autorise une déformation

peu importante du matériau avant rup-

ture (en élasticité).

QUELQUES PARAMÈTRES MODIFIANT LES

PROPRIÉTÉS MÉCANIQUES DE LA ZIR-CONE

Les retouches après frittage sont

considérées comme déstabilisantes. Il

est préférable de limiter ces reprises et

de les réaliser sous eau afin d’éviter

l’échauffement local. Certains recom-

mandent de recuire systématiquement

la zircone à 1000°C après retouche.

Les rectifications de surface peuvent

réduire la résistance des pièces prothé-

tiques. Chaque rayure serait une

amorce partielle de fissure. (Kosmac

and coll : étude du modèle de

Weibull : probabilité à la rupture).

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Graphique 3 : résistance à la flexion des matériaux à rupture fragile et des matériaux ductiles

Graphique 4 : élasticité des matériaux à rupture fragile et des matériaux ductiles

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Le design de la pièce usinée doit éviter le plus possible

les angles vifs qui sont des zones de concentration de

contraintes. Une épaisseur minimale de matière doit être

observée (au minimum 0,5 mm dans la partie interne du

pilier zircone et 1mm dans la partie émergente du pilier zir-

cone. O. Etienne et S. Baixe recommandent une angulation

implant piliers inférieure à 39°. Certains fabricants ne vont

pas au-delà de 15°, les risques de fractures étant trop

important.

Les conditions d’usinage. Une machine industrielle en

cinq axes permettra un usinage fidèle au modèle, meilleur

qu’une machine à trois ou quatre axes. La quatrième géné-

ration de bridges dont l’armature est issue d’une seule et

unique pièce, grâce à un procédé de fraisage contrôlé par

ordinateur, offre une amélioration de la précision d’adapta-

tion.

Notons que la coloration de la zircone introduit des défauts

de structure à l’échelle atomique par la présence d’ajouts

minéraux (colorants) dégradant ainsi légèrement ses pro-

priétés mécaniques. Les infrastructures colorées offrent de

meilleurs résultats esthétiques et mécaniques. Il est conseillé

de cuire le cosmétique sans liner opaque. Les teintes obte-

nues par imprégnation de surfaces semblent augmenter la

solidité des zones imprégnées.

Pour conclure, retenons que les propriétés mécaniques de la

zircone dépendent directement de la qualité et de la prove-

nance des matières premières, de la validation des différents

paramètres d’usinage, du suivi et de la maintenance du

matériel de production (machines) et enfin de la fiabilité et

de la reproductivité de la totalité du procédé de fabrication.

(Sachant cependant que pour une même cuisson dans un

même four, nous pouvons trouver des différences entre les

pièces).

DANS UN SECOND TEMPS, ABORDONS LES PRO-PRIÉTÉS PHYSICO-CHIMIQUES DE LA ZIRCONE.

En règle générale, la zircone stabilisée à l’yttrium présente

une radioactivité largement inférieure aux exigences des

normes. Cependant, le fabricant doit fournir le niveau de

radioactivité de la zircone qu’il commercialise.

D’autre part, la zircone TPZ présente une très faible

solubilité chimique en comparaison avec les autres

céramiques. L’absence quasi-totale de phase vitreuse la rend

très résistante à la corrosion sous acide pendant des

temps relativement courts (24h). La zircone n’est pas avide

d’oxygène et résiste ainsi à l’oxydation.

L’énergie électronique de l’oxyde de zirconium implique une

conductivité électrique, un électromagnétisme et la pos-

sibilité d’une polarité dans les prothèses. Par contre, le fait

d’avoir des petits cristaux très homogénéisés induit une diffu-

sion électrique de peu d’amplitude.

COMMENT VIEILLIT LA ZIRCONE ?

Dans le milieu buccal, les matériaux sont soumis à des

charges statiques et dynamiques, ainsi qu’à une action chi-

mique qui modifient leur stabilité et leur résistance à long

terme. La dégradation de la zircone TZP est accélérée

notamment par la présence de vapeur d’eau ou d’eau.

Certains fabricants de poudre ajoutent une faible quantité

d’alumine, ce qui réduit le vieillissement de la zircone.

L’utilisateur devra vérifier cette proportion pour garantir le

matériau. Notons enfin qu’un polissage très minutieux aug-

mente la résistance à long terme.

Un grattage mal mesuré peut provoquer des fissures, des

éclatements et des arrachements. Contrôler la vitesse permet

de protéger les propriétés de la zircone. Avec les abrasifs

adéquats, des vitesses de 3000 à 12 000 tours seront très

efficaces, sans dommage significatif pour la zircone, avec

ou sans eau, tant que la pièce ne s’échauffe pas. Mais le

grattage doit donner une rugosité suffisante pour augmenter

la surface de contact avec la masse apportée (adhérence du

cosmétique). Un sablage de la zircone permet d’enlever les

éléments cristallites prêts à partir et donner un aspect satiné

à la surface. En revanche, les ultrasons sont à prescrire, pro-

vocant de nombreuses fractures.

Pour obtenir un état de surface idéal, un traitement ther-

mique judicieux permettra un brûlage des impuretés de sur-

face ainsi qu’un apport d’énergie thermique qui réparera les

petites agressions de surface dues au meulage.

LA ZIRCONE EST-ELLE BIOCOMPATIBLE ?

La biocompatibilité est la capacité d’un matériau à être uti-

lisé avec une bonne réponse des tissus receveurs. Le succès

de la biocompatibilité des implants en bouche dépend de

l’adhésion des tissus autour de l’implant. Les études in vitro

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ont démontré la stabilité de la zircone dans les conditions

intra buccales. Les poudres et les particules de zircone n’in-

duisent pas d’inflammation ni de toxicité sur les cellules

lymphocytes et monocytes. La plupart des résultats publiés

montrent une absence de toxicité sur les tissus conjonctifs et

l’os. La tolérance en bouche par les tissus mous

est parfaite, favorisant l’adhésion et la prolifération cel-

lulaire.

On a pu constater une absence de corrosion et une diminu-

tion de la prolifération bactérienne sur la zircone par rap-

port au titane. Cependant un composant non biocompatible

peut s’introduire lors de l’opération d’usinage. Ce pro-

blème ne se pose pas dans le cas d’usinage de bloc déjà

frittés.

D’autres études doivent être faites pour confirmer la supé-

riorité de la zircone à long terme.

En vulgarisant l’utilisation de la zircone, la démultiplication

des origines des matières premières et des systèmes de

fabrication risque d’induire une dérive des règles essen-

tielles à suivre afin de garantir une reproductibilité des

propriétés de la zircone. Les difficultés rencontrées avec

la zircone sont généralement consécutives aux malfaçons

du travail fait en laboratoire. Pour chaque étape du pro-

cessus de fabrication, le laboratoire se doit d’apporter la

preuve de l’application rigoureuse des protocoles ainsi

que de la maintenance des machines outils. Le moindre

détail peut compromettre les propriétés mécaniques et

physicochimiques de l’armature.

L’intervention du chirurgien dentiste est

importante pour valider le travail du prothé-

siste. Celle-ci nécessite une confiance absolue

dans les intervenants à qui il confie la pro-

duction de l’armature. Ces procédés sont

encore en évolution et doivent être considérés

avec précaution.

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