Lucier, P. - Racines contestées de la Révolution tranquille - 2008

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    Axe Culture, religion et socitChaire Fernand-Dumont sur la culturePierre Lucier 1 de 26 2008

    Lucier, Pierre

    Racines contestes de la Rvolution tranquilleNote critique sur Les origines catholiques de la Rvolution tranquille de Michael Gauvreau,dansRecherches sociographiques, XLIX/3, 2008, p. 313-329.

    Maintenant traduit en franais, louvrage de Michael Gauvreau sur les origines

    catholiques de la Rvolution tranquille semble promis une seconde vie. Comme dautres

    productions de lautre solitude, sa parution, en 2005, avait intress les spcialistes mais, mis au

    compte de ces lectures canadiennes de la ralit qubcoise, et bien quil ait mrit son

    auteur le prix Sir John A. Macdonald, louvrage aura fait peu lobjet de dbats publics. Et cest

    dommage, car le travail de Gauvreau mrite examen et discussion, ce que linitiative des di tions

    Fides devrait favoriser.

    Construit de manire claire et intelligente, louvrage de Gauvreau est du genre quon

    aime donner en exemple de composition. Il est remarquablement fouill. Remplissant plus de

    100 de ses 450 pages, les rfrences y sont abondantes et appartiennent souvent des fonds

    documentaires peu exploits, mme si elles ne contiennent rien de trs nouveau sur les ides

    connues des principaux intervenants. Les quarante annes de lhistoire qubcoise qui en font

    lobjet y sont tudies selon des coupes et des strates qui sappellent les unes les autres.

    Expose en quatre chapitresles deux premiers et les deux derniers, une approche

    proprement squentielle encadre le propos et lui fournit son armature. Les chapitres 1 et 2 traitent

    de la priode allant des annes 1930 la fin des annes 1950 : cest la priode que, la faveur de

    lanalyse des ides et des combats de lAction catholique et de leur insistance sur la qualit et sur

    le potentiel rvolutionnaire dune nouvelle lite jeune, lauteur propose de considrer comme les

    origines de la Rvolution tranquille. linstar dtudes de caractre plus monographique, les

    chapitres 6 et 7 poursuivent la squence et portent sur le cur de la priode des annes 1960.

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    Lun le chapitre 6se penche sur ce symbole mme de la Rvolution tranquille que fut la

    rforme de lducation. Lautre le chapitre 7traite de ce que lauteur associe une

    deuxime rvolution culturelle ayant conduit une rupture radicale avec le catholicisme, une

    dchristianisation mme, sous linfluence dterminante dun groupe de penseurs catholiques

    rformistes, Fernand Dumont en constituant le type et le chef de file.

    Entre ces deux blocs squentiels, louvrage tudie deux thmatiques, particulires mais

    centrales, sur lensemble des quarante annes considres: lvolution des positions concernant

    le mariage, la sexualit et la famillechapitres 3 et 4, dune part, et la sexualit, le contrle

    des naissances et le fminismechapitre 5, dautre part. Les enseignements tirs de ltude

    de lAction catholique des annes 1930 1958, enrichis et toffs par ces deux explorations

    thmatiques des chapitres centraux qui couvrent aussi lensemble de la priode, servent de base

    aux deux derniers chapitres, qui constituent, la manire dun CQFD, une sorte daboutissement

    de lensemble de la dmarche. On y soutient que limbrication du projet national et du

    catholicisme qui a sous-tendu lvolution de la pense qubcoise depuis les annes 1930 jusqu

    la rforme de lducation des annes 1960 se serait disloque, dans la deuxime partie des annes

    1960, dans une vritable dchristianisation.

    Cet ordonnancement des matires permet lauteur de russir un ensemble des plus

    vivant, o les acteurs sont prsents comme appartenant des tendances bien identifies, voire

    des camps, et se livrent des joutes rhtoriques et politiques dont la description emprunte

    beaucoup au drame, sinon lpope. travers des rcits pleins de verve, sertis de dtails

    souvent savoureux, on voit les factions se former, sallier, comploter, saffronter. De diverses

    manires, mais semblant obir un destin inexorable, ces factions tissent la trame dune

    volution dont on pressent assez vite lissue finale et fatale, doit-on comprendre : la

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    dchristianisation attaches la rvolution culturelle de la fin des annes 1960 est luvre des

    catholiques eux-mmes, en particulier de leur aile rformiste, personnaliste et moderniste.

    Cette lecture de la Rvolution tranquille ne manque pas doriginalit. maints gards,

    elle rajeunit les perspectives, tout le moins en obligeant de nouveaux examens de bien des

    ides reues, commencer par celle selon laquelle la Rvolution tranquille serait de nature

    essentiellement et prioritairement politique. Il faut tout de mme dpasser cette apprciation de

    fracheur et doriginalit et prendre acte quil sagit ici dune thse mthodiquement et

    intelligemment construite, mais, comme toutes les thses, destine entrer en procs, des

    tmoins pouvant toujours tre contre-interrogs, de nouveaux tmoins appels la barre, des

    preuves vrifies et soupeses au mrite.

    Cest cette thse quon se propose ici de discuter selon trois voies convergentes. La

    premire est dordre atmosphrique et concerne ce quon peut considrer comme des

    harmoniques de louvrage: et, autant le dire demble, ils sment le doute. Les deux autres

    portent sur les deux sujets traits dans les deux derniers chapitres : la rforme de lducation et

    ce que lauteur ou son traducteurappelle le cas Dumont (p. 263). Ce choix tient la fois

    ce que ces deux chapitres constituent le point de chute de louvrage et ce que le signataire de

    la prsente note a t mme de suivre de prs les questions qui y sont traites et leurs

    prolongements au cours des quarante dernires annes.

    1. Des mots qui tonnent

    Un minutieux travail darchives a permis lauteur de colliger des opinions et des prises

    de position quil rapporte fidlement: il ny a pas plus dargument contre une citation que contre

    un fait. Mais le lecteur qubcois aura tt fait de stonner dun nombre lev dindices, en soi

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    anodins, qui finissent par crer une impression de distance par rapport aux faits traits, celle de

    qui na quune connaissance indirecte des choses. Par exempleet la liste pourrait tre

    longue, qui, au Qubec, parlait ou parlerait de labb Georges-Henri Lvesque (p. 301), de

    labb Louis-M. Rgis (p. 72), de labb Jules Paquin (p.197, 203, 244), de lhistorien

    labb Lucien Campeau (p. 285), du Pre Jacques GrandMaison (p. 445) ou du Pre Jean-

    Marie Lafontaine (p. 445)? Qui associerait les Jsuites aux ordres monastiques (p. 254),

    enverrait Guy Rocher sous-ministre la culture (p. 316) ou dsignerait Guy Frgault comme

    tout premier ministre des Affaires culturelles des annes 1960 (p. 33)? Et qui donc a retenu du

    Frre Untel son snobisme culturel conservateur etpasse encore son humour aigreson

    ton condescendant (p. 253)? Quant aux membres de la Commission dtude sur les lacs et

    lglise, que Dumont a prside au tournant des annes 1970 et qui marquerait la fin de la

    Rvolution tranquille au sens fort du terme (p. 345), il sert sans doute bien la thse de louvrage

    daffirmer que, tous forms dans la rvolte personnaliste et tous danciens militants de

    lAction catholique, ils occupaient alors des postes de responsabilit dans les universits, les

    syndicats et au ministre de lducation (p.340). Mais lexamen mme sommaire des feuilles

    de route des membres montre vite que cette globalisation vocatrice est tout simplement fausse.

    Le traducteur y est pour quelque chose dans ces coups de pinceau plutt gauches, mais on

    imagine mal que leur nombre ait pu chapper la rvision dun auteur ayant analys tant de

    textes en franais.

    Plus fondamentalement, on stonne des insistances de lauteur utiliser le qualificatif de

    personnaliste, comme si les doctrines de Mounier avaient littralement envahi lunivers

    intellectuel des acteurs sociaux de la priode tudie. Certes, linfluence de Mounier et de la

    revue Espritsur la pense qubcoise est relle et solidement documente, mais on aurait tort

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    den exagrer la teneur. Dans ses affirmations fondamentales sur labsolue dignit de la personne

    humaine et sur les dimensions sociales, voire politiques, de son plein panouissement, il est sr

    que la philosophie de Mounier et de la revue Esprita beaucoup inspir la pense qubcoise

    dominante. Cependant, outre que dautres penseurs, notamment no-thomistes comme Jacques

    Maritain et certains documents magistriels de lglise catholique, faisaient aussi la promotion

    dides largement similaires, il serait un peu court de penser que cela suffit dfinir le

    personnalisme qui eu cours au Qubec. tendre la prsence de cette influence jusqu la fin

    des annes 1960 semble bien relever de la volont de prouver quelque chose. Ayant pourtant

    abondamment frquent les milieux philosophiques et catholiques francophones des annes

    1960, le signataire ne doitpas tre le seul navoir jamais ctoy ou mme crois un vrai

    mouniriste pur et dur. Les enseignements courants en philosophie faisaient sa place

    Mounier, mais avec une modration qui ne correspond pas lutilisation massive que lauteur

    fait du vocableen fait, plus dune centaine dusages. Les travaux de Warren et Meunier

    (Sortir de la Grande Noirceur. Lhorizon personnaliste de la Rvolution tranquille , Septentrion,

    2002) auront peut-tre influenc lauteur plus que de raison; mais, jusqu plus ample inform,

    ils naccrditent pas une insistance aussi pousse.

    Cette insistance tonne dautant plus que, dune manire quasi subliminale, elle associe le

    personnalisme, violemment anti-institutionnel chez Mounier (p. 73), des courants pour

    lesquels lauteur nprouve manifestement aucune sympathie particulire : le marxisme (p. 58,

    73, 74 et ailleurs), lexistentialisme (p. 62 et ailleurs), voire la pense nietzschenne (p. 53) ou

    mme la rvolution nationale de Vichy (p. 49). On notera une mme insistance de lauteur

    souligner le caractre litiste de ce catholicisme personnaliste, qui frle la religion du petit

    nombre (p. 53) et dont on stigmatise le sentiment de supriorit parfois insupportable (p. 45),

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    le mpris du catholicisme populaire (p. 72), voire le machisme de ces congratulations entre

    mles (p. 54). LA, nhsite pas marteler limportance de ce mpris de type litiste. Dans la

    conclusion de louvrage, il crira mme : Dumont, en matire de religion, est apparu comme un

    litiste encore plus virulent que la plupart des citlibristes, et son regard pessimiste sur le

    catholicisme populaire qubcois se parait de tout le prestige dune pense scientifique (p. 351).

    Pas moins! Il faut dire que, selon lauteur, Dumont appartenait ce cercle catholique

    dintellectuels peu nombreux mais influents dont, ds lintroduction de louvrage, on note tout

    son mpris, pour ne pas dire sa rpulsion lendroit des pratiques religieuses et de tout ce quoi

    sidentifiait la classe ouvrire en gnral (p. 18).

    Lutilisation de lpithte moderniste est plus intrigante encore. Car il serait bien

    tonnant quon puisse dnicher au Qubec, et forcment dans les milieux intresss au dogme

    catholique et lexgse biblique, quelque penseurou auteur pouvant revendiquerou

    mriter!lappellation de moderniste. Les modernistes ne sont pas simplement des

    modernes. On dsigne plutt ainsi ceux qui ont dfendu des thses en histoire des dogmes et

    en hermneutique et qui, par leur accueil de la subjectivit, leur mise en valeur de la relativit

    historique et leur recours aux mthodes scientifiques en exgse biblique, ont branl le

    sommeil dogmatique de lglise romaine et dchan contre eux une condamnation et une

    rpression doctrinales et disciplinaires sans prcdent depuis lInquisition. Ce sont ceux qui ont

    aussi aliment la proclamation du Syllabus de Pie IX, les raidissements institutionnels de Vatican

    I, notamment sur lautorit pontificale, et justifi lencyclique Pascendi Dominici Gregis de

    1907, de mme que, en 1910, limposition du Serment anti-moderniste aux professeurs

    enseignant dans les facults ecclsiastiques et dans les universits catholiques. En 1950,

    lencycliqueHumani generis de Pie XII visera donner le coup de grce ces ides juges

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    fausses et subversives, auxquelles la campagne alors entreprise a associ les tenants, notamment

    franais, de la nouvelle thologieles mmes, dailleurs, qui seront ensuite appels en

    renfort au concile Vatican II. Trs proche de cette glise romaine ainsi engage dans une lutte

    crispe contre les courants modernistes, il est vrai que lglise qubcoise et ses centres dtudes

    thologiques se sont spontanment rangs du ct romain. Mais, que lon sache, ce nest pas

    parce que les penseurs catholiques dici naviguaient dans la pense moderniste : ni le Syllabus ni

    Humani generisne visaient spcifiquement le Qubec, tant sen faut! Quelques professeurs dici

    auront sans doute pu emprunter ou prter en douce quelque ouvrage de Loisy, Tyrrell ou mme

    de Renan, mais de l reprer ici des penseurs catholiques modernistes, il y a un pas qui ne

    peut gure tre franchi sans fantaisie. Quant Maurice Blondel, dont on connat limportance

    dans le cheminement intellectuel de Dumont, il serait pour le moins discutable quon veuille le

    classer parmi les modernistes impnitents!

    Il faut reconnatre que lutilisation de ces deux vocables sert bien la dmonstration de

    lauteur. Dans le cas du personnalisme, elle permet dapposer une tiquette commode,

    suffisamment plausible pour ne pas rebuter les lecteurs avertis, mais suffisamment simplifie

    pour pouvoir amalgamer des perspectives rformistes par ailleurs diversifies et couvrant

    pratiquement lensemble de la priode tudie du catholicisme qubcois. On peut bien associer

    le personnalisme tous ceux qui ont gravit dans ou autour de lAction catholique : cela nest

    pas tout fait faux, mais ce nest pas davantage franchement vrai, surtout quand on considre les

    itinraires philosophiques, politiques et spirituels des uns et des autres, des itinraires fort

    diffrents et parfois mme divergents. Une doctrine qui dfinirait des positionnements aussi

    incompatibles pourrait tre considre comme pratiquement non falsifiable, donc sans

    signification. Quant lappellation de moderniste, il est vrai quelle est plus diffuse et moins

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    systmatiquement martele et attribue une ligne dindividus comme cest le cas de celle de

    personnaliste. telle enseigne quelle semble parfois avoir le sens faible de novateur, de

    progressiste, voire de moderne. Mais, on le verra plus loin, faire de Fernand Dumont un

    porte-tendard du modernisme, un mouvement quil connaissait bien par ailleurs et dont il

    dplorait la rpression brutale et mal claire, relve de lanachronisme.

    On comprend que, pour dmontrer le caractre catholique des origines et des acteurs de la

    Rvolution tranquille, il fallait bien pouvoir identifier des camps, voire des coteries. Cest

    que pratiquement tous les acteurs que cite lauteur, et si opposs quils aient t dans leurs prises

    de position et dans leurs intentions, taient dallgeance catholique. peu prs tous les citoyens

    francophones un peu instruits et capables de militance avaient t forms dans les tablissements

    et les institutions de tradition catholique. On pouvait bien tre un peu plus conservateur ou un

    peu plus ouvert au changement, un peu plus gauche ou un peu plus droite, un peu plus

    fdraliste ou un peu plus autonomiste, voire souverainiste : il sagissait pratiquement toujours

    de catholiques, plus ou moins fervents, distants, rformistes ou dissidents. Il serait sans doute

    trivial daffirmer demble que les origines de la Rvolution tranquille ne pouvaient tre que

    catholiques, mais ce ne serait pas loin de la vrit historique.

    2. La rforme de lducation (1960-1964)

    Le rcit que fait lauteur de la rforme de lducation, cette icne de la Rvolution

    tranquille, mrite une analyse plus serre. Disons-le aussi demble: datmosphrique, le

    doute devient ici objection.

    En sappuyant sur un ensemble de citations souvent isoles de leur contexte scolaire ou

    politique, lauteur entend montrer que la rforme librale de lducation a t non pas un recul

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    de la religion, mais un progrs incontestable (p. 250). En effet, cette rforme aurait t

    loccasion denchsser officiellement la religion catholique dans des structures ducatives

    publiques (p. 248, voir aussi p. 290 et 307) et dallouer des sommes considrables pour le

    personnel et la gestion de lenseignement religieux aux niveaux primaire et secondaire (p. 249).

    Plus mme, lcole allait pouvoir compenser les graves lacunes sociales et culturelles de la

    famille et ltat, contribue(r) moderniser lapproche de la doctrine catholique (p. 250).

    Dernier concordat, titre le chapitre, partenariat renouvel [de lglise] avec ltat et la nation

    qubcoise, renchrit-on (p. 269). Le Premier Ministre Lesage aurait mme fait du Qubec un

    tat officiellement chrtien (p. 279), voire catholique (p. 280).

    Le propos se fait insistant : en tant que religion de la majorit, il [le catholicisme]

    conserverait un statut officiel dans le systme publique [sic] dducation (p. 289). Le prix

    payer en aurait t la disparition de la famille dans le processus dinstruction religieuse des

    enfants (p. 293) : lglise et ltat. [] seuls, dornavant, se partageraient le pouvoir en

    matire de curriculum (p. 293). En somme, lglise et ltat se sont [] partag lducation

    publique au nom des valeurs spirituelles de la gnration montante (p. 294). La conclusion

    coule alors de source : lenseignement religieux [serait ds lors] le signe extrieur distinctif de

    lalliance comme si lenseignement religieux ntait pas dj dispens dans les coles

    publiques!, la mission premire (de ltat) tant finalement religieuse (p.302). Lglise et

    ltat se seraient ainsi donn un mme premier guide daction : raffirmer et revigorer le

    catholicisme comme dpositaire des valeurs nationales (p. 302). On croirait rver.

    On croirait aussi rver quand on lit que la foi est ainsi devenue un critre absolu

    dobtention dun poste dans la fonction publique (p. 296) et que lon souligne le caractre

    explicitement confessionnel de la machine administrative du ministre de lducation, un fait

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    que le signataire de la prsente aura mis plus dun quart de sicle ne pas voir! De moindre

    porte, mais tout aussi errone, cette affirmation selon laquelle chaque comit (confessionnel du

    Conseil suprieur de lducation) lun et lautre devenant bizarrement des sous-comits

    (p. 297-298)avait sa tte un sous-ministre adjoint de lobdience en question (p. 297). Il y

    a l de quoi faire sourciller mme ltudiant-matre qui aurait suivi distraitement son cours

    obligatoire sur les structures scolaires du Qubec! Mais de quoi aussi tablir lavance la

    gravit de la trahison des catholiques personnalistes et modernistes qui dchristianiseront ensuite

    le Qubec.

    Il y aurait beaucoup dire et dmontrer pour faire voir quon est ici largement dans la

    fantaisie. Formulons au moins les quelques observations et commentaires suivants. Et, dabord et

    avant tout, il faut rappeler lexistence de la garantie inscrite enchsse serait le bon mot

    dans ce cas-cidans larticle 93 de la Constitution canadienne de 1867. Cet article garantit aux

    catholiques et aux protestants du Qubec, les uns et les autres dsigns comme class of

    persons, le droit la dissidence dans tous les cas o lducation communment dispense sur

    leur territoire ne leur conviendrait pas. Les coles demeurent donc communes, mais il est

    possible aux catholiques et aux protestants de sen retirer pour tablir leurs propres coles. Deux

    exceptions la rgle : Montral et Qubec, les catholiques et les protestants ont, sans avoir

    exercer de dissidence, droit leurs coles et la dispensation dun enseignement conforme

    leurs croyances. La Constitution enchsse ainsi les droits reconnus lors de lUnion et selon

    lesquels, concrtement, les catholiques francophones et les protestants anglophones pouvaient

    exercer leur droit la dissidence l o la religionet la langue- de la majorit de leur convenait

    pas, sauf Montral et Qubec, o chaque class of persons contrlait, de droit, ses coles.

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    Cest sur la base de ces ralits fondamentales que se sont tablis et pratiqus les

    amnagements institutionnels que lon a connus au Qubec depuis le XIXe sicle: un

    Dpartement de lInstruction publique, appuy par deux comits , un catholique et un protestant,

    ayant autorit sur la gouverne du systme scolaire correspondant des comits qui nont jamais

    sig ensemble aprs 1908; des commissions scolaires vocation commune sur lensemble du

    territoire, mais, en fait, de configuration franco-catholique ou anglo-protestante; quelques

    commissions scolaires dites dissidentes; Montral et Qubec, des commissions scolaires

    constitutionnellement catholiques ou protestantes, exerant, dans les faits, les droits de la class

    of persons de la dnomination correspondante; aprs un infructueux essai entre 1867 et 1875,

    aucune fonction ministrielle spcifique en ducation, mais simplement un Surintendant de

    lInstruction publique ayant tche de donner suite aux recommandations de chacun des deux

    comits. Cest cet tat de fait que devaient grer ceux qui, en 1960, voulaient changer les

    choses : une norme tche, la vrit, qui valait bien quelques arrangements du type gagnant-

    gagnant.

    On comprend assez facilement que la Commission Parent, puis le Gouvernement, se

    soient dabord occups des responsabilits et des structures de ltat plutt que des questions

    confessionnelles. Tous les cours de Sciences politiques enseignent quun lphant se mange une

    oreille la fois et quil nest pas sage dattaquer une muraille par sa section la plus tanche et la

    plus solide. Si les gouvernements rformistes des annes tudies (1960-1964) ont t si

    empathiques par rapport aux impratifs de la foi et de lglise catholique, ce nest sans doute

    pas sans attachement personnel, mais cest surtout parce que ctait l la seule voie la

    moindrement raliste de faire avancer les choses. Homme dtat fru de droit constitutionnel et

    habile stratge, le rformateur Paul Grin-Lajoie naurait jamais commenc par sen prendre au

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    droit la dissidence ou la refonte des structures scolaires de Montral et de Qubec,

    particulirement de Montral, mme sil savait pertinemment quil y avait l un inexorable

    rendez-vous. Ce ne serait pas seulement les autorits catholiques quil aurait alors eu affronter.

    Lauteur passe compltement sous silence le fait que les protestants anglophones tenaient

    mordicus leurs droits confessionnels, qui taient aussi leur rempart de protection linguistique.

    Chez les francophones eux-mmes, on le verra notamment la fin de la priode tudie par

    lauteur, cest galement la protection de la langue qui fut le principal argument de lOpposition

    officielle pour bloquer la loi du ministre Guy Saint-Pierre, qui, en 1971, proposait de modifier la

    situation scolaire de lle de Montral. Cest le mme Camille Laurin, que lauteur aime bien

    citer parmi ses agitateurs prfrs, qui a alors particip activement au filibuster, qui parrainera

    la Loi 101 en 1977 et qui, en 1982, entreprendra en toute cohrence de sattaquer au statut

    confessionnel des commissions scolaires. Lorsque la dernire tranche du Rapport Parent est

    parue, qui proposait des commissions scolaires unifies pour lle de Montral, on noubliera pas

    non plus que cest le Comit protestant qui sest prononc contre lavis favorable du Conseil

    suprieur de lducation, pourtant alors appuy par le Comit catholique! Au moment de la

    rforme scolaire des annes 1960, lglise catholique ntait dcidment pas la seule partenaire

    intresse.

    Lcheveau des faits et des positions en prsence est infiniment plus complexe que ne le

    laisse entendre la thse simplifie de lauteur. En conduisant sa rforme de lducation, le

    Gouvernement na fait aucun geste visant le progrs de la religion catholique. Il a plutt et

    essentiellement affirm et tabli la responsabilit de ltat en ducation, en crant un ministre et

    en prenant en charge lensemble du systme. Par ralisme politique srement tout autant que par

    conviction, il a cr le Conseil suprieur de lducation pour rassurer les opposants et la

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    population. Le mme ralisme la conduit modifier le statut et le rle des comits

    confessionnels alors tout-puissants en les insrant dans la structure du nouveau Conseil, en

    harnachant les modes de nomination de leurs membres et en dlimitant leurs champs

    dintervention. Il respectait ainsi plus dun sicle dhistoire, tout en affirmant clairement

    lautorit gouvernementale. Les catholiques et les protestants auraient encore leur mot dire,

    mais ce serait dornavant dans un cadre juridique et institutionnel contrl par ltat. Ctait dj

    leur extraire une molaire!

    Le pas franchi en 1964 tait norme. Et les rformes qui ont suivi ont vite montr

    lampleur des concessions demandes aux autorits catholiques et protestantes. Le clerg et les

    communauts religieuses catholiques allaient notamment cder ou intgrer plusieurs de leurs

    tablissements et, avec le nouveau dcoupage scolaire dcoulant de la cration des cegeps, les

    anglo-protestants allaient devoir chambarder leurs institutions et leur curriculum, eux dont les

    diplms de 11eanne pouvaient alors accder directement luniversit pour lessentiel, le

    cegep est un concept francophone, si lon peut dire ainsi les choses. Bien sr, dun ct comme

    de lautre, on tait raliste et on savait bien que le systme en place ne pourrait pas affronter la

    vague dmographique qui allait dferler sur le systme scolaire. Ralisme aussi que daccueillir

    les ressources considrables que ltat allait dornavant allouer lducation! Mais ctait bien

    l une rvolution, et on doit lintelligence et au bon sens des uns et des autres quelle ait t

    aussi tranquille. Mme la Loi sur lenseignement priv de 1968 tmoignera de cette volont

    dentente, ainsi que lattestent les discussions parlementaires qui voquaient alors le caractre

    compensatoire et remdiateur de cette loi : aprs avoir nationalis le systme scolaire, on

    convenait de consolider la prsence de lenseignement priv, largement aux mains des

    communauts religieuses ou dorganismes confessionnels.

  • 7/29/2019 Lucier, P. - Racines contestes de la Rvolution tranquille - 2008

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    Axe Culture, religion et socitChaire Fernand-Dumont sur la culturePierre Lucier 14 de 26 2008

    Ce nest pas le lieu de sengager dans des rcits qui dborderaient forcment les limites

    chronologiques1971de la priode tudie par lauteur. Mais il faut souligner que, tout au

    long des annes qui ont suivi et mme ds avant 1971, plusieurs tentatives ont t faites pour

    faire bouger le cadre scolaire confessionnel, commencer, en 1966, par la Commission Parent,

    qui proposait de crer Montral des commissions scolaires unifies, francophones et

    anglophones, confessionnelles ou non confessionnelles, refusant ainsi de sen prendre de front

    la contrainte constitutionnelle. Dans son rglement de 1967, le Comit catholique manifestera la

    mme retenue quand il tablira le droit lexemption de lenseignement religieux confessionnel,

    tout en demeurant silencieux sur le statut des coles. En 1968, sous lautorit du ministre Jean-

    Guy Cardinal, le Comit Pag, mandat pour tudier la faon de procder une restructuration

    scolaire sur lle de Montral, proposait des commissions scolaires francophones (catholiques ou

    pluralistes) et des commissions scolaires anglophones (protestantes, catholiques ou pluralistes),

    de mme que la cration dun conseil scolaire de lle de Montral (CSIM). En novembre 1969,

    le ministre Cardinal dposait le Projet de loi 62, qui proposait la cration de commissions

    scolaires unifies et dun CSIM; aspir dans la tourmente du Bill 63, le projet mourut au

    feuilleton. En juillet 1971, le ministre Guy Saint-Pierre dposa deux projets de loi. Lun le

    projet de loi 28prvoyait des commissions scolaires unifies sur lle de Montral; lautre le

    projet de loi 27, la faon dun contrepoids politique, proposait, sur lensemble du territoire

    qubcois en dehors de Montral et de Qubec, de rduire substantiellement le nombre des

    commissions scolaires , qui seraient dornavant dsignes pour catholiques ou pour

    protestants, un statut confessionnel quelles navaient jamais eu auparavant. Rsultat paradoxal

    de la stratgie de lOpposition pquiste axe sur la protection de la langue franaise, le projet de

    loi 28 fut retir et le projet de loi 27, adopt! On obtenait ainsi un effet de confessionnalisation

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    Axe Culture, religion et socitChaire Fernand-Dumont sur la culturePierre Lucier 15 de 26 2008

    accrue alors quon visait linverse : ce qui devait tre un compromis de contrepoids devint plutt

    un nouveau poids! Cela ne changera toutefois pratiquement rien dans les faits. Voil donc pour la

    priode spcifiquement tudie par lauteur. Mais ce nest pas tout.

    En 1972, le ministre Cloutier dposait et faisait adopter le projet de loi 71, qui prvoyait

    pour Montral la cration de huit commissions scolaires (six catholiques et deux protestantes)

    pour remplacer les 33 commissions scolaires existantes. La loi, qui ne touchait pas aux garanties

    constitutionnelles, fut adopte. Elle mettait aussi sur pied un CSIM, tout de mme mandat pour

    proposer, avant la fin de 1975, un plan de restructuration scolaire, avec le loisir denvisager toute

    espce de changement jug opportun. Bon sens oblige, cependant, la loi exigeait des

    commissions scolaires quelles accueillent les enfants de confessions religieuses autres que

    catholique ou protestante. En 1976, le CSIM recevait le rapport du comit quil avait form pour

    sacquitter du mandat reu en 1972. Le comit tait divis, mais la majorit prconisait la

    cration de commissions scolaires francophones catholiques, francophones neutres, anglophones

    catholiques et anglophones protestantes : toujours la mme contrainte, on le voit, lencontre de

    commissions scolaires linguistiques plutt que confessionnelles. En mai 1977, le CSIM

    prsentait sonpropre rapport, qui recommandait le statu quo, assorti de la cration dun

    secteur neutre au sein des commissions scolaires catholiques et de mesures pour assurer une

    meilleure reprsentation des minorits linguistiques. Il ne se passa alors rien.

    lu en novembre 1976, le nouveau gouvernement avait annonc une rforme scolaire

    denvergure. Le titulaire de lducation, Jacques-Yvan Morin, qui tait une autorit en matire

    de droit constitutionnel et qui connaissait parfaitement bien les contraintes de larticle 93 de la

    Constitution canadienne, proposa ce quil dsignait comme une rforme essentiellement

    pdagogique plutt quune rforme de structures. Aucune mesure ntait donc prvue pour la

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    Axe Culture, religion et socitChaire Fernand-Dumont sur la culturePierre Lucier 16 de 26 2008

    confessionnalit scolaire. Il faudra attendre le deuxime mandat du gouvernement Lvesque pour

    voir Camille Laurin soumettre un livre blanc (Lcole qubcoise. Une cole communautaire et

    responsable) et un projet de loi (le projet de loi 40) prvoyant la cration de commissions

    scolaires linguistiques, les droits confessionnels devant dornavant tre exercs dans les coles :

    possibilit dun statut confessionnel pour les coles, triple option (enseignement religieux

    catholique, enseignement religieux protestant, enseignement moral) offerte dans toutes les

    coles, services de pastorale catholique ou danimation religieuse protestante dans les coles,

    maintien des comits confessionnels, maintien des postes de sous-ministre associ pour la foi

    catholique ou pour la foi protestante. Devant le toll suscit par un projet qui affaiblissait

    considrablement les commissions scolaires au profit des coles et nourri par la grogne anti-

    gouvernementale de cette priode, le projet de loi fut retir. Le successeur de Laurin, Yves

    Brub, reformula la proposition en redonnant du poids aux commissions scolaires et dposa le

    projet de loi 3. Adopte, mais conteste notamment par les commissions scolaires catholiques et

    protestantes, la loi fut invalide par la Cour suprme parce que ne respectant pas les droits

    confessionnels garantis par la Constitution canadienne, laquelle servait ainsi de protection pour

    les pouvoirs gnraux des commissions scolaires.

    Le ministre Claude Ryan reprit le flambeau et, en 1988, fit adopter le projet de loi 107,

    qui reprenait lessentiel de la loi invalide, mais en suspendant lapplication des articles relatifs

    la confessionnalit et en demandant quun renvoi permette de les soumettre la Cour suprme.

    En juin 1993, la Cour rendit son verdict : la loi tait dclare valide, condition de laisser aux

    catholiques et aux protestants le droit de grer leurs coles Montral et Qubec et, partout

    ailleurs, le droit dexercer leur dissidence si ncessaire. Ctait exactement le contenu de larticle

    93 de la Constitution canadienne! Ce nest pas pour rien que, ds 1986, le Conseil suprieur de

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    Axe Culture, religion et socitChaire Fernand-Dumont sur la culturePierre Lucier 17 de 26 2008

    lducation avait, malgr la dissidence de son vice-prsident de foi protestante, recommand que

    soit entreprise une dmarche damendement constitutionnel pour librer le Qubec de la

    contrainte constitutionnelle et tablir le systme scolaire qui lui conviendrait. En 1994, ctait au

    tour du comit prsid par Patrick Kenniff de proposer des arrangements qui, tout en respectant

    la lettre du jugement de la Cour suprme sur la porte de larticle 93 toujours cet article!,

    visaient faire avancer les choses : les commissions scolaires seraient linguistiques, mais

    pourraient avoir des comits confessionnels chargs de veiller lexercice des droits

    constitutionnels. Llection de 1994 empcha quon y donne quelque suite. Pas de suite non plus

    sous le nouveau ministre, Jean Garon, qui, en 1995, dclencha les tats gnraux sur

    lducation.

    Arrive lducation en janvier 1996, la ministre Pauline Marois ne tarda pas

    soumettre quelques hypothses de restructuration scolaire une consultation la lumire de

    laquelle elle proposa une solution dcoulant directement du rapport Kenniff: il y aurait des

    commissions scolaires de caractre linguistique, mais avec des instances catholiques et

    protestantes. Complexe et, comme toutes les prcdentes, tisse entre les mailles des garanties

    constitutionnelles, sa proposition ne put pas conserver les appuis ncessaires. En attente des

    recommandations prochaines des tats gnraux, la ministre ninsista pas et, lanne suivante,

    sattaqua frontalement aux garanties constitutionnelles. Forte dun consensus qubcois

    quexpliquent seulement son leadership politique et ltat de maturit du dossier dans lopinion

    publique, elle pilota lobtention dun amendement constitutionnel qui, en dcembre 1997, allait

    soustraire le Qubec lapplication des clauses particulires de larticle 93. Elle fit ensuite

    adopter la loi (projet de loi 109) qui crait, partout au Qubec, des commissions scolaires

    linguistiques, de mme quune autre loi (projet de loi 180) quelle avait dpose lautomne sur

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    Axe Culture, religion et socitChaire Fernand-Dumont sur la culturePierre Lucier 18 de 26 2008

    une nouvelle rpartition des pouvoirs entre les commissions scolaires et les coles donnant

    celles-ci beaucoup plus dautonomie que jusque-l. Du mme souffle, elle mandatait un comit,

    prsid par Jean-Pierre Proulx, pour examiner la place de la religion lcole dans le nouveau

    contexte. On connat la suite : dpt du Rapport Proulx au ministre Franois Legault, tenue dune

    commission parlementaire lautomne 1999, adoption du projet de loi 118 en mai 2000, qui

    supprimait la possibilit dun statut confessionnel pour les coles, abolissait les comits

    confessionnels, dsormais remplacs par le Comit sur les affaires religieuses (CAR), supprimait

    les postes de sous-ministre associ pour la foi catholique et pour la foi protestante, remplaait les

    services confessionnels de pastorale et danimation religieuse par des Services danimation

    spirituelle et dengagement communautaire (SASEC). Pour lenseignement religieux et moral, la

    triple option tait maintenue, mais avec un temps denseignement dornavant diminu; cette

    fin, et parce que des droits taient encore consentis aux seuls catholiques et protestants, les

    clauses drogatoires aux chartes des droits taient renouveles. En juin 2005, le ministre Jean-

    Marc Fournier faisait adopter le projet de loi 95, qui prvoit la cessation de tout enseignement

    religieux confessionnel partir de septembre 2008. Il annonait en mme temps la mise sur pied

    dun nouveau programme obligatoire en thique et culture religieuse.

    Ce survol, la fois trop long et trop brefmais les historiens ne rpugnent srement

    pas aux faits et aux rcits fait affleurer une ligne de lecture tout fait nette : cest le verrou

    constitutionnel de larticle 93 qui, depuis les premires actions de rforme de Paul Grin-Lajoie,

    a engag les gouvernements successifs dans une srie doprations souvent tortures ou de

    mesures consistant en petits pas. Et cette contrainte concernait autant, quoique pour des raisons

    diffrentes, les protestants que les catholiques, ainsi que lillustrent toutes les prises de positions

    et poursuites judiciaires qui ont marqu ces trente annes. Il fallait ultimement quon sattaque au

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    Axe Culture, religion et socitChaire Fernand-Dumont sur la culturePierre Lucier 19 de 26 2008

    cur du problme, ce qui fut fait en 1997, parce que le fruit tait alors mr et parce quon a pu

    aller droit au but : amender la Constitution canadienne. Et si, cette fois encore, les choses ont pu

    tre accomplies de manire tranquille, cest parce que le bon sens et le ralisme ont prvalu.

    Cest aussi que, depuis 1964, des volutions sociopolitiques majeures staient produites, qui ont

    culmin dans des vnements dont la porte est vidente pour lvolution des structures scolaires

    telles quelle taient installes au Qubec en vertu de la Constitution canadienne : en 1975, la

    promulgation de la Charte qubcoise des droits et liberts de la personne, qui allait faire

    clairement apparatre le caractre discriminatoire des droits accords aux seuls catholiques et

    protestants; en 1977, ladoption de la Charte de la langue franaise (Loi 101), qui dfinissait un

    cadre de protection et de promotion pour la langue franaise et pour la frquentation scolaire des

    immigrants, tout en garantissant les droits de la communaut anglophone du Qubec; en 1982,

    ladoption de la Charte canadienne des droits et liberts; en 1982 galement, le jugement de la

    Cour suprieure concernant lcole Notre-Dame-des-Neiges, qui, en dclarant que les

    commissions scolaires constitutionnellement confessionnelles ne pouvaient pas grer des coles

    autres que confessionnelles, mettait en lumire les normes difficults lies au statu quo; en

    1985, le jugement de la Cour suprme invalidant la loi 3, qui pointait encore les garanties

    constitutionnelles; en 1993, le jugement de la Cour suprme sur la loi 107, qui ramenait les

    choses au point de dpart; en 1996, les conclusions des tats gnraux sur lducation, qui

    recommandaient une refonte radicale des structures scolaires confessionnelles.

    Quen conclure? Srement pas que, avec la rforme librale de lducation des annes

    1960, lglise catholique a obtenu une entente qui aurait mis le gouvernement au service de la

    religion catholique et enchss pour elle de nouveaux droits et privilges, dont un gnreux

    financement. Lauteur parle de concordat et il nest pas le premier le faire. La ralit

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    Axe Culture, religion et socitChaire Fernand-Dumont sur la culturePierre Lucier 20 de 26 2008

    politique et institutionnelle, cest que lglise catholique a alors perdu le contrle quasi absolu

    quelle avait exerc jusque-l et a t invite cder une part importante de ses tablissements

    dducation. Elle la fait dassez bonne grce, dailleurs, par ralisme et sans doute parce quelle

    na t ni vince ni spolie. Les enjeux de lducation religieuse ont t saufs pour lessentiel,

    dautant plus que, sagissant de cet essentiel, les garanties constitutionnelles taient toujours l.

    Si, dentre de jeu, ces garanties avaient t au centre des projets de rforme, il y a fort parier

    que les protestants auraient t avec lglise catholique sur les premiers rangs de laffrontement.

    On peut aussi penser que lavenir de la langue anglaise au Qubec aurait mme pu devenir alors

    un enjeu pancanadien de grande importance.

    La lecture que propose lauteur du sens de la rforme scolaire du dbut des annes 1960

    sert sans doute fort bien sa thse gnrale. Mais, vue travers une squence de faits qui sont

    crasants de clart, elle ne tient pas la route. Non, la rforme de lducation des annes 1960 na

    pas marqu un progrs incontestable pour la religion catholique.

    3. Le cas Dumont

    Lauteur a choisi Fernand Dumont comme figure de proue de son dernier chapitre sur la

    dchristianisation du Qubec qui aurait suivi la prtendue victoire, dcidment temporaire, par

    laquelle lglise catholique aurait vu enchsser ses droits et privilges dans les lois et les

    structures publiques du Qubec et convenu dun nouveau et dernier partenariat avec ltat

    qubcois. Dumont apparat ici comme un gros gibier et mrite ds lors sans doute de figurer

    dans le titre du chapitre.

    Pour des raisons qui demeurent difficiles expliquer, lauteur semble avoir rsolu de

    rgler son compte Fernand Dumont. Ds le chapitre 2, lauteur lassocie, tout comme les

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    Axe Culture, religion et socitChaire Fernand-Dumont sur la culturePierre Lucier 21 de 26 2008

    Laurin, Blain et Rocher, cette coterie dtudiants et de jeunes professeurs de collge et

    duniversit qui empilaient les diplmes (p. 62 et note 106), entiche par linterprtation

    moderniste du catholicisme et adhrant la dfense de louverture et du dialogue avec les

    tenants des courants intellectuels la modemarxisme et existentialismedirectement

    inspire de la revue Esprit, de Mounier (p.62). Et il le range demble parmi ceux qui, en

    tant qutudiants, avaient jou un rle majeur au sein de lAction catholique (p. 100 et 308).

    Commode pour la dmonstration entreprise par lauteur,ce lien avec lAction catholique ne

    correspond pas aux tmoignages de Dumont lui-mme et de ses proches : cest plutt au sein du

    journalisme tudiant que Dumont a fait ses premires armes de jeune catholique engag. Et quil

    ait frquent les milieux de lAction ouvrire catholique lors de son sjour Paris nen fait pas

    un militant de lAction catholique. En tout cas, on ne voit vraiment pas comment, partir des

    pages 69 71 duRcit dune migration, cites en preuve par lauteur (p. 100 et note 76),

    conclure lexistence de ces liens de ltudiant Dumont avec lAction catholique.

    Relevant les descriptions que Dumont fait de la religion de ses parents (p. 312), en

    particulier de celle de sa mre qui sadonnait aux manifestations convenues de la pit

    populaire inspires par un catchisme appris par cur lglise comme aurait fait un

    perroquet, cite-t-il, lauteur nhsite pas parler dune attitude trs mprisante lendroit

    de la foi religieuse pratique par la classe ouvrire ou dans les petites villes des annes 1950

    (p. 317). Ladhsion aux thses et aux mthodes de Gabriel Le Bras aurait ainsi confirm

    Dumont dans la perspective dune division radicale entre lites religieuses militantes et

    populace ptrie de religion formelle et quasi paenne (p. 312). Mais alors, comment

    comprendre, trs tt exprim dans Pour la conversion de la pense chrtienne, repris ensuite

    dansLinstitution de la thologie et jusque dans Une foi partage, le ferme rejet de toute

  • 7/29/2019 Lucier, P. - Racines contestes de la Rvolution tranquille - 2008

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    Axe Culture, religion et socitChaire Fernand-Dumont sur la culturePierre Lucier 22 de 26 2008

    distinction de dignit entre majores et minores en matire religieuse? Comment comprendre

    alors la promotion quil a toujours faite du consensus fidelium comme source et norme de la

    thologie, voire sa dfinition du discours croyant comme thologie premire ou thologie de

    premier degr?

    Mme si elles en prennent large avec la ralit des faits, ces mentions ne suffiraient pas

    disposer de la thse de lauteur sur la pense et le rle de Fernand Dumont. Pas plus, dailleurs,

    que cette accumulation dtiquettes, sans doute plus compromettantes les unes que les autres

    admirateur de Mounier (p. 60), faisant partie des jeunes sociaux-dmocrates (p. 121),

    semployant fustiger le clerg qubcois (p. 172-173), franc moderniste (p. 263),

    rsolument moderniste (p. 272), penseur moderne (p. 274), catholique davant-garde

    (p. 305), entour dallis progressistes (p. 306) ou dmocrates et nationalistes (p. 308),

    quon peut toujours mettre au compte du procd rhtorique. On sera moins indulgent,

    cependant, au vu de ces affirmations massives dont leffet de dmonisation est vident. Ainsi en

    est-il de ce projet de Dumont denrgimenter le catholicisme dans le nouveau credo politique

    (p. 306), de vite vider le catholicisme de tous ses aspects traditionnels (p. 307) et, ds lors, de

    crer un schisme culturel (p. 307). Pas moins! Dumont aurait aussi enseign quil fallait

    subordonner la religion au nationalisme (p. 308) et contribu vacuer ce qui restait du

    consensus labor par la Rvolution tranquille (p. 308). Tout compte fait, Dumont aurait

    effectu un retour ractionnaire au gallicanisme dantan (p. 351) et prn une rvision

    nogallicane de lhistoire du Qubec (p.344), une perspective o lglise et lordre politique

    se confondaient en tous points (p. 351). Cest beaucoup pour un seul homme! Bon prince, lA.

    tient tout de mme prciser quil ne veut pas dire que Dumont et ses allis furent les seuls

  • 7/29/2019 Lucier, P. - Racines contestes de la Rvolution tranquille - 2008

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    Axe Culture, religion et socitChaire Fernand-Dumont sur la culturePierre Lucier 23 de 26 2008

    responsables de la dchristianisation du Qubec (p. 306). Il y en aurait tout de mme eu

    dautres!

    Dumont sest effectivement nourri la pense personnaliste de Mounier et la

    philosophie de Blondel : ses propres tmoignages sont explicites cet gard. Mais cela nen fait

    ni un mouniriste, ni mme un personnaliste qui naurait jur que par la revue Esprit. Et cela

    en fait encore moins un moderniste qui aurait promu quelque relativisme doctrinal ou

    exgtique. Et bien malin qui pourra dmontrer que la crise de la foi chrtienne comme crise

    permanente, dont Dumont fait tat ds ses premiers crits et jusque dans les libells du rapport

    Dumont, serait directement inspire de la fougue humaniste de Jean-Paul Sartre (p. 314)!

    Il nest pas question de vouloir mener ici quelque dfense inconditionnelle de la pense

    de Fernand Dumont, voire de rfuter les lments dinterpellation qui sous-tendent la thse de

    lauteur. Le signataire et bien dautres, sympathiques Dumont par ailleurs, ont eux -mmes leurs

    points de dsaccord ou de prise de distance avec celui qui fut un matre pour plusieurs dentre

    eux. On est seulement fond destimer bien sommaire ce procs dun Fernand Dumont qui aurait

    uvr la dchristianisation du Qubec. La perception courante des milieux intellectuels

    qubcois serait mme, tout fait loppos, que Dumont tait un croyant convaincu, voire

    impnitent, et un homme dglise proche des milieux religieux et clricaux catholiques. Son

    uvre y est souvent perue comme voluant dans la mouvance de la foi et inviterait ds lors la

    prudence, parfois mme la suspicion. Lattachement et le respect dont Fernand Dumont a t et

    est encore lobjet de la part des milieux religieux et de la hirarchie catholique ne sont pas ceux

    que lon vouerait un agent de dchristianisation. Bien au contraire, les uns et les autres ont

    trouv chez Dumont un analyste, sans doute critique, mais aussi un alli inconditionnel jusqu

    son dcs.

  • 7/29/2019 Lucier, P. - Racines contestes de la Rvolution tranquille - 2008

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    Axe Culture, religion et socitChaire Fernand-Dumont sur la culturePierre Lucier 24 de 26 2008

    Pour bien faire, cest toute la dmarche croyante et thologienne de Fernand Dumont

    quil faudrait redployer ici pour saisir la signification et la porte de ses intentions de rforme.

    Pour la conversion de la pense chrtiennecampe le dcor ds 1964. Dans lesprit et llan

    conciliaires de Vatican II, Dumont y dnonce vertement les enlisements religieux et idologiques

    de lglise catholique et plaide pour la liquidation dune culture chrtienne qui sest coupe de

    ses sources. Il lance alors un vibrant appel en faveur dune vritable conversion de la pense

    chrtienne, faite denracinement dans les sources de la foi et dune action pastorale de gran d

    vent, capable de surmonter les divorces entre lexprience et linstitution, entre la vie chrtienne

    et le discours thologique. Et oui, il y a crise de la foi chrtienne, mais, conformment une

    lecture somme toute traditionnelle, il estime que, aussi bien dun point de vue thologique que

    dun point de vue anthropologique, la foi est habite par une dynamique de crise, celle -l mme

    qui cre la bance par laquelle, ainsi capable de Dieu, la personne humaine peut accueillir

    linterpellation du message chrtien.

    Cette culture chrtienne sclrose doit tre liquide parce quelle sest dcroche et

    loigne de la vie. Mais toute luvre religieuse et thologique de Dumont est, en fait, une

    longue qute vers lmergence dune nouvelle culture chrtienne. Cest que, pour lui, il ny a pas

    de foi sans incarnation dans les figures et les signes de la culture : en Christianisme, le profane

    est ultimement le lieu mme du sacr. Sans doute Dumont a-t-il t du des avances de

    Vatican II sur cette rencontre de la foi et de la culture, mais, jusque dans son dernier ouvrage,

    Une foi partage, et mme dans ses mmoires publis titre posthume, il ne cessera pas de

    rclamer lavnement dune nouvelle culture chrtienne et de lappeler de tous ses vux, dt -il,

    faute de voir cela, continuer dvoquer les sources de son enfance chrtienne. On ne peut pas

    vivre le passage la culture savante comme un exil et une migration sans affirmer

  • 7/29/2019 Lucier, P. - Racines contestes de la Rvolution tranquille - 2008

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    Axe Culture, religion et socitChaire Fernand-Dumont sur la culturePierre Lucier 25 de 26 2008

    implicitement la valeur irremplaable de la culture premire. Ici, on est dcidment loin du

    mpris de la populace.

    On doit reconnatre que, pour Dumont, le catholicisme nest tranger ni la formation de

    la nation, ni son avenir : hritage et projet sarticulent lun lautre, a-t-il sans cesse rpt. Il

    na jamais cach non plus ses options nationalistes et souverainistes. Mais, autant il prnait la

    ncessaire immersion de la foi dans la culture et dans la vie concrte, autant il serait contraire

    la dynamique de toute son uvre religieuse, toujours prsente par lui comme ayant t conduite

    en parallle sa dmarche scientifique, de penser un instant quon puisse asservir ou

    enrgimenter la Transcendance, ft-elle sans nom, au profit de quelque cause politique.

    ***

    Ne serait-ce que par lampleur et par la richesse des sources documentaires tudies,

    louvrage de lauteurconstituera dornavant un incontournable pour tout nouvel examen de la

    Rvolution tranquille et de ses racines. Par loriginalit et la vigueur de la thse qui y est

    dfendue, il contribuera aussi puissamment lapprofondissement de sa comprhension. En

    pointant plus spcifiquement ici les chapitres portant sur la rforme de lducation et sur la

    pense de Fernand Dumontdes chapitres o cristallisent les rsultats de lensemble, on

    aura seulement voulu suggrer quune thse peut tre stimulante sans tre adquatement

    dmontre.

    Pierre LucierTitulaire de la Chaire Fernand-Dumont sur la cultureINRS-Urbanisation, Culture et SocitQubec, 21 juillet 2008

  • 7/29/2019 Lucier, P. - Racines contestes de la Rvolution tranquille - 2008

    26/26

    Axe Culture, religion et socitChaire Fernand-Dumont sur la culturePierre Lucier 26 de 26 2008