Lucieto Charles - 07/12 - Les Mystères de la Sainte-Vehme

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N°  7. — Les mystères de la Sainte-Vehme.Au cœur des sociétés secrètes allemandesOù James Nobody arrête l’espion allemand Karl Staubing.Dans le fascicule qui précède et qui a pour titre : « Les Compagnons du Désespoir », nous avons vu que James Nobody, en lutte contre la Sainte-Vehme, avait réussi à repérer et à arrêter, grâce aux révélations que lui fit la Danoise Frida Stenauer, le redoutable espion allemand qu’était Karl Staubing.La chose vaut d’autant plus d’être contée que, jamais, le grand détective ne manœuvra avec autant d’habileté qu’en l’occurrence.Il ne faut pas perdre de vue, en effet, que Karl Staubing s’était juré de s’emparer, coûte que coûte, de James Nobody.Or, c’est lui qui fut pris... Voici comment :Quand Frida Stenauer l’eut quitté, James Nobody, qu’avaient quelque peu éberlué ses déclarations relatives à Karl Staubing, se demanda, non sans perplexité, si la jeune femme n’était pas un cc agent double », c’est-à-dire si elle ne « travaillait » pas simultanément pour son compte personnel à lui et pour le compte du policier allemand.Mais, Frida Stenauer lui avait rendu de tels services depuis son arrivée à Cologne, elle lui avait donné tant de preuves de dévouement, qu’il se refusa à la considérer comme telle.D’ailleurs, il avait soigneusement « épluché » son passé, et il avait acquis la preuve que tout ce qu’elle lui avait révélé concernant sa famille et l’origine danoise de celle-ci, était l’expression même de la vérité.Et puis, sa condamnation ne plaidait-elle pas en sa faveur ? Pourquoi les Allemands se seraient-ils passés de ses services, si elle ne les avait point trahis ?Comment, d’autre part, Frida Stenauer aurait-elle déjà pu oublier son long séjour en prison et les cruels sévices qu’elle y avait subis ?Et, en tout état de cause, ne lui avait-elle pas spontanément avoué qu’elle était entrée en rapport avec Karl Staubing, le prévenant même que ce dernier avait formé le projet de s’emparer de lui ?Était-ce là le fait d’une espionne à gages ? Poser la question, c’était la résoudre.Aussi, sans plus s’occuper de Frida Stenauer que ce dernier geste innocentait à ses yeux, se mit-il à préparer l’expédition qu’il projetait pour le soir.Pensant à Karl Staubing, il murmura :— Nous verrons bien quel sera celui d’entre nous qui s’emparera de l’autre...

Citation preview

  • The Savoisien

  • Gustav Stresemann (n le 10 mai 1878 Berlin et mort le 3 octobre 1929 Berlin).

    Homme politique allemand, fondateur et dirigeant du Deutsche Volkspartei, chancelier en 1923 et ministre des Affaires trangres de 1923 sa mort. Figure incontournable de la Rpublique de Weimar, Gustav Stresemann a permis lAllemagne de retrouver un poids diplomatique et conomique perdu aprs la Premire Guerre mondiale en mettant en uvre une politique pragmatique.

    Peu avant sa mort, Stresemann avait dit au diplomate Albert Bruce Lockhart : Si les Allis taient ve-nus me voir une seule fois, j'aurais eu le peuple derrire moi, oui, encore aujourd'hui je pourrais le faire. Mais ils ne m'ont rien donn et les plus petites concessions qu'ils ont faites sont toujours venues trop tard. Ainsi, il ne nous reste rien d'autre que la violence brute. L'avenir est entre les mains de la nouvelle gnration et celle-ci, la jeunesse allemande, que nous aurions pu rallier nous pour la paix et la reconstruction, nous l'avons perdue. C'est cela ma tragdie et votre crime, vous les Allis .

  • 5CH. LUCIETOLes Coulisses de lEspionnage International

    deJames Nobody

    Copyright by ditions La Vigie , Paris.Tous droits de reproduction. de traduction et dadaptation rservs pour tous pays, y compris la Sude, la Norvge et lU. R. S. S.Vente exclusive pour la France, ses colonies et pays doccupation rserve aux Messageries Hachette 111, rue Raumur, Paris.

    Les Mystres de la Sainte-Vehme

    I

    O James Nobody arrte lespion allemand Karl Staubing.

    Dans le fascicule qui prcde et qui a pour titre : Les Compagnons du Dsespoir , nous avons vu que James Nobody, en lutte contre la Sainte-Vehme, avait russi reprer et arrter, grce aux rvlations que lui fit la Danoise Frida Stenauer, le redoutable espion allemand qutait Karl Staubing.

    La chose vaut dautant plus dtre conte que, jamais, le grand dtective ne manuvra avec au-tant dhabilet quen loccurrence.

    Il ne faut pas perdre de vue, en effet, que Karl Staubing stait jur de semparer, cote que cote, de James Nobody.

    Or, cest lui qui fut pris... Voici comment :Quand Frida Stenauer leut quitt, James Nobody,

    quavaient quelque peu berlu ses dclarations relatives Karl Staubing, se demanda, non sans perplexit, si la jeune femme ntait pas un cc agent double , cest--dire si elle ne travaillait pas simultanment pour son compte personnel lui et pour le compte du policier allemand.

    Mais, Frida Stenauer lui avait rendu de tels ser-vices depuis son arrive Cologne, elle lui avait

    donn tant de preuves de dvouement, quil se refusa la considrer comme telle.

    Dailleurs, il avait soigneusement pluch son pass, et il avait acquis la preuve que tout ce quelle lui avait rvl concernant sa famille et lorigine danoise de celle-ci, tait lexpression mme de la vrit.

    Et puis, sa condamnation ne plaidait-elle pas en sa faveur ? Pourquoi les Allemands se seraient-ils passs de ses services, si elle ne les avait point trahis ?

    Comment, dautre part, Frida Stenauer au-rait-elle dj pu oublier son long sjour en prison et les cruels svices quelle y avait subis ?

    Et, en tout tat de cause, ne lui avait-elle pas spontanment avou quelle tait entre en rap-port avec Karl Staubing, le prvenant mme que ce dernier avait form le projet de semparer de lui ?

    tait-ce l le fait dune espionne gages ? Poser la question, ctait la rsoudre.

    Aussi, sans plus soccuper de Frida Stenauer que ce dernier geste innocentait ses yeux, se mit-il prparer lexpdition quil projetait pour le soir.

    Pensant Karl Staubing, il murmura : Nous verrons bien quel sera celui dentre

    nous qui semparera de lautre...Appelant ses deux secrtaires, Bob Harvey et

    Harry Smith, il demanda lun de taper en cinq exemplaires le document que venait de lui re-

  • 4 les merveilleux exploits de james nobody

    mettre Frida Stenauer, et il chargea lautre daller lui retenir une table au Kaiser-Hoff.

    A quel nom ? demanda Harry Smith, impassible.

    Au nom du major von Holtzmann, rpondit James Nobody, en souriant. Vous demanderez, en outre, au matre dhtel lequel a dexcel-lentes raisons pour mtre agrable de vouloir bien me placer aussi prs que possible de Herr Karl Staubing, duquel je dsire vivement faire la connaissance...

    Il y avait belle et nombreuse chambre au Kai-ser-Hoff quand, vers minuit, le major von Holtz-mann, trs digne, mais aux trois quarts ivre, y fit son entre.

    O est ma table ? demanda-t-il dune voix pteuse, avine, au matre dhtel qui en laperce-vant stait port sa rencontre.

    Le Kellner la lui ayant indique dun geste d-frent, von Holtzmann y prit place et, de manire tre entendu de tous, scria :

    Jespre que nous sommes ici entre bons et loyaux Allemands et quaucun de nos oppresseurs ne sy trouve. Sil en tait autrement, je les prierai de sortir, car je nadmets en ma prsence ni man-geurs de rosbifs ni mangeurs de grenouilles .

    Trs probablement, il ne se trouvait dans la salle que de trs authentiques Teutons, car, pour si in-convenante et si grossire quelle fut, cest par un clat de rire gnral et de bruyantes acclamations que les assistants accueillirent cette boutade.

    Karl Staubing qui se trouvait une table voi-sine en compagnie de Frida Stenauer, crut devoir surenchrir.

    Se tournant vers le major qui, maintenant, en-gloutissait dj toute une srie de delikatessen , il ructa :

    Hoch ! Hoch ! Hoch ! pour ce noble et vaillant soldat qui, ds labord, se rvle nous comme un fils vertueux de notre vertueuse Allemagne !

    Mais, le fils vertueux de la vertueuse Allemagne eut tt fait de refrner cet enthousiasme.

    Lanant un coup dil de travers Karl Staubing, qui en demeura bouche be :

    Qui donc, senquit-il, vous a demand lheure quil est ?

    Mais, jai le droit, il me semble... tes-vous officier ? rugit le major. Non, mais...

    Alors, vous avez le droit de vous taire ! Cest compris ?

    Et, haussant le ton, il ajouta : Qui est-ce qui ma foutu a ? Et a-t-on jamais

    vu un civil se permettre dapprouver ou de criti-quer les gestes dun glorieux soldat ?

    Du coup, Karl Staubing se rebiffa... Pardon ! rpondit-il ; mais, moi, je ne suis pas

    un civil .Le major ajusta son monocle et, fixant Karl

    Staubing, qui se montait vue dil ; goguenard, il lui demanda :

    Vous allez peut-tre prtendre que vous appar-tenez larme ?

    Parfaitement ! En qualit de sous-vtrinaire, dlve pharma-

    cien ou dapprenti mdecin, alors ?Et comme Karl Staubing esquissait un geste de

    dngation, impitoyable, le major poursuivit : Dois-je voir en vous quelque commis aux vivres

    en rupture de boutique ou ntes-vous pas plutt un Kapelmeister infortun, dont la cl de sol a pris la poudre descampette ?

    A cette dernire saillie, la salle tout entire, et Frida Stenauer elle-mme, furent prises du fou rire.

    Ctait qui brocarderait de son mieux le mal-heureux Karl Staubing.

    Mais ce dernier prit fort mal la chose...Fou de colre et de rage, il se dressa sa place

    et, le mufle tendu vers von Holtzmann qui main-tenant stait remis baffrer, il hurla :

    Vous voulez savoir qui je suis, commandant ? Eh bien ! je vais vous lapprendre. Mais aupa-ravant, commencez par vous mettre au garde vous !

    Nein ! fit lofficier, tout en absorbant un verre de bire.

    Comment, nein ! Vous refusez ? Ya ! Vous dsobissez un suprieur, je vous en

    prviens !Le major se mit rire... Un suprieur ? Avec une gueule comme la

    vtre ? pouffa-t-il ; vous voulez rire, sans doute ? Dabord, o sont vos insignes ?

    Sur mon uniforme ! hoqueta Karl Staubing, furieux.

    Bon ! Et votre uniforme, o est-il ? insista le major.

  • les mystres de la sainte-Vehme 5

    Dans ma chambre ! Parfait ! En ce cas, allez-vous en revtir, aprs

    quoi, nous verrons.Hors de soi, Karl Staubing scria : Vous tes un insolent, monsieur ! Vous dites ? demanda le major, trs calme... Je dis et je rpte que vous tes un insolent. Jai mal entendu, sans doute ? Vous avez parfaitement compris, au contraire,

    ructa Karl Staubing, et afin quaucun doute ne subsiste en votre esprit, jajoute que vous tes un malotru.

    Lors, se levant, le major sadressa lassistance en ces termes :

    Vous tes tous tmoins, nest-il pas vrai, que ce... monsieur vient de minsulter ?

    Ya ! firent quelques voix. Parfait ! constata lofficier.Et, sadressant au matre dhtel qui, navr, avait

    assist cette scne invraisemblable : Allez me chercher, lui dit-il, deux agents de

    police.Le Kellner sinclina et sortit...Deux minutes plus tard, les agents de lautorit

    taient l... Veuillez, leur ordonna le major, en leur d-

    signant dun geste du menton Karl Staubing, conduire immdiatement et la place lindividu que voici.

    Une minute ! intervint linfortun Karl Staubing qui, aprs avoir vainement fouill toutes ses poches, cherchait maintenant son por-tefeuille sous la table...

    Que faites-vous l ? lui demanda lun-des agents en lui mettant la main sur lpaule. Lautre se redressa...

    Ce que je fais ? Vous le voyez bien ! Je cherche mon portefeuille.

    Pour quoi faire ? insista lagent. Pour vous prouver, scria Karl Staubing, fu-

    rieux, que si quelquun a le droit de donner des ordres ici, cest moi et non cet... officier.

    Bon ! rpondit lagent ; mais comme vous ne pouvez pas me fournir cette preuve, je vous invite me suivre.

    Comment ! Vous marrtez ? Cela men a tout lair ! intervint sur le mode

    ironique le second agent.Et, saisissant par le bras Karl Staubing, qui cu-

    mait littralement :

    En route ! ordonna-t-il, et plus vite que a, ou je cogne !

    Cest ainsi, entre deux agents, lesquels ntaient autres que Bob Harvey et Harry Smith, admira-blement camoufls, que Karl Staubing fit dans le bureau de James Nobody une entre dpourvue dapparat.

    Cest l que vint le rejoindre quelques instants plus tard le commandant von Holtzmann.

    Celle-l, vous me la paierez cher ! lui cria Karl Staubing ds quil laperut.

    Bah ! Croyez-vous ? rpondit le commandant qui, arrachant dun geste preste ses postiches, tourna vers Karl Staubing une figure que celui-ci ne connaissait que trop.

    Herr Gott ! Sakrament ! meugla-t-il en seffon-drant dans un fauteuil, James Nobody !

    Pour vous servir, cher collgue et trs ho-nor monsieur ! rpondit en souriant le grand dtective.

    Je crois, en effet, que je suis servi (1), mur-mura Karl Staubing, sidr ; mais, au fait, que me voulez-vous ?

    James Nobody accentua son sourire... Oh ! rpondit-il, peu de chose, en vrit. Mais encore ? Vous tenez le savoir ?Jy tiens essentiellement ! Alors, soyez satisfait.Et, tirant ngligemment de sa poche un porte-

    feuille qui sy trouvait, plus ngligemment encore, James Nobody rpondit :

    Je me propose dexaminer tout simplement les documents que contient ce portefeuille. Voulez-vous my aider ?

    Sapprochant alors du grand dtective, Karl Staubing regarda le portefeuille...

    Mais, sexclama-t-il, en plissant, ce porte-feuille est moi ! Il mappartient !

    Voire ! fit, narquois, le grand dtective... ; il vous appartenait, voulez-vous dire.

    Puis, dsignant un fauteuil son interlocu-teur , qui sy laissa choir, plutt quil ne sy assit, poliment, il ajouta :

    Veuillez prendre place, et... causons...

    1 Expression policire. Servir quelquun, cest larrter.

  • 6 les merveilleux exploits de james nobody

    II

    O James Nobody met les pieds dans le plat !

    En venant vous rejoindre ici, poursuivit le grand dtective, jai eu la curiosit bien excu-sable somme toute, tant donn qui vous tes de vrifier ce que contenait votre portefeuille. Dois-je ajouter que jy ai dcouvert des choses tonnantes ?

    A quoi faites-vous allusion ? rpondit, rageur, Karl Staubing.

    Lui passant alors le document que lui avait re-mis antrieurement Frida Stenauer, mais quil avait remis en place l ou elle lavait pris, cest--dire dans le portefeuille de Karl Staubing, James Nobody prcisa :

    Cest ceci que je fais allusion Karl Staubing plit..., puis, trs gn, il rpondit :

    Vous tes trop au courant des questions mi-litaires pour navoir pas compris quil ne peut sagir l que dun thme sans importance aucune, dun thme comme on en donne aux officiers dtat-major , dans toutes les armes du monde.

    Pardon, rectifia James Nobody, il nest quune arme au monde la vtre ! pour avoir os concevoir une horreur pareille.

    Une horreur pareille ? sexclama Karl Staubing : que voulez-vous dire par l ?

    Tiendriez-vous donc pour ngligeables les as-sassinats en masse que prmditez ? rpondit-il, en jetant son interlocuteur un coup dil de mpris.

    Javoue ne pas comprendre ! balbutia ce dernier.

    Soit ! fit James Nobody, en ce cas, je vais prciser.

    Il prit un temps, puis, posment, poursuivit : Si je men tiens la premire phase des opra-

    tions prvues par ce thme, que nous connaissions dailleurs...

    Vous dites ? interrompit Karl Staubing, ahuri...

    Je dis, rpondit James Nobody avec calme, quil y a belle lurette que ce... texte tait connu de nous.

    Vous me permettrez de nen rien croire, sex-

    clama lespion, car, rdig il y a quinze jours peine, il...

    Il nous parvenait le lendemain ! trancha James Nobody.

    Et, ouvrant son tiroir, il y prit lune des copies du thme quil avait fait taper le jour mme, on sen souvient sans doute, par Bob Harvey.

    Puis, la tendant Karl Staubing, qui en demeura bouche be, il ajouta :

    La preuve de ce que javance, la voici ! Mais alors, sexclama lespion, nous sommes

    trahis ! Vous connaissez notre plan...Quavait-il dit l ? Vous reconnaissez donc, tonna James Nobody

    en assnant un violent coup de poing sur la table, quil sagit bien l dun plan... doprations, et non dun simple thme de manuvres !

    Accabl par laveu qui venait de lui chapper, Karl Staubing ne tenta mme pas de ragir...

    Aussi bien, poursuivit le grand dtective, point nest besoin dtre grand clerc en la matire pour se rendre compte ds labord que ce... thme na rien de commun avec un Krieg-Spiel, puisque au lieu dtre adresses a de simples officiers dtat-major, les observations qui le compltent sont destines a des gnraux commandant darmes.

    Et, comme Karl Staubing persistait dans son mutisme, il reprit :

    Votre silence lui-mme tant un aveu, je nau-rai pas la cruaut dinsister. Toutefois, je tiens avoir des prcisions sur lensemble des prescrip-tions concernant la premire phase des oprations prvues.

    De quelles prescriptions voulez-vous parler ? balbutia Karl Staubing.

    De celle ayant trait lassassinat en masse car cest un assassinat, et rien dautre ! des populations civiles de larrire par vos escadres ariennes ! rpondit nettement le grand dtective.

    Vous avez des expressions dune duret in-croyable, murmura Karl Staubing, et...

    Elles le sont moins que vos projets ! interrom-pit James Nobody, car, si je hais la guerre, en raison mme des horreurs qui en dcoulent, si je la consi-dre comme le plus pouvantable des flaux, je nen ai pas moins la conviction que, tant que lAllemagne existera, elle demeurera invitable...

  • les mystres de la sainte-Vehme 7

    Et, sanimant, il poursuivit : Mais la guerre, si cruelle et si atroce soit-elle,

    conserve un certain caractre de grandeur quand elle se fait entre soldats.

    Au plus fort et au plus habile, lempoigne. Mais, arriver la nuit, au-dessus dune ville en-

    dormie, la submerger sous les gaz, assassiner les femmes, les enfants, les vieillards, les malades qui sy trouvent et qui, sen tenant la foi des traits, reposent en paix, ce nest pas faire la guerre, cela : cest prmditer une boucherie !

    Fouaill de la sorte, Karl. Staubing ragit enfin. Pour que la dcision intervienne rapidement,

    rpondit-il brutalement, il faut que la guerre soit totale.

    Cest--dire ? insista James Nobody. Cest-et-dire que nous considrons comme pro-

    fondment humains tous les moyens, quels quils soient, qui nous paraissent susceptibles damener une fin rapide des hostilits.

    Pour la seconde fois, le Boche venait de senferrer...

    Donc, insinua James Nobody, vous admettez comme probable une nouvelle guerre ?

    Cynique, Karl Staubing rpondit Ah a ! est-ce que vous croyez que nous allons

    supporter encore longtemps le rgime que vous nous imposez ?

    Que deviennent les traits en ce cas ? insista le grand dtective.

    Le coup porta...Mais, Karl Staubing nen rpondit pas moins

    avec impudence : Ils deviennent ce que deviennent les vieilles

    lunes. Au surplus, ceci nest pas mon affaire. Mon affaire, moi, cest...

    Je sais, interrompit brutalement James Nobody ; votre affaire, cest de prparer le mas-sacre gnral des innocents. Plus il y aura de pices au tableau, plus vous serez satisfait.

    Eh bien ! je vous dis, moi, que cela ne sera pas, car, aussi vrai que nous sommes deux hommes ici, je ne cous remettrai en libert que lorsque cous maurez rvl les moyens daction dont disposent vos chefs pour mener bien leurs abominables projets.

    La menace fit long feu... En ce cas, rpondit Karl Staubing, vous ris-

    quez dattendre longtemps. Cest ce que nous verrons bien, fit James

    Nobody, en appuyant quatre reprises diffrentes sur lun des boutons du clavier plac sur sa table.

    Un inspecteur se prsenta aussitt. A quelle date se runit la Cour martiale ? lui

    demanda le grand dtective. Lundi prochain, chef !James Nobody eut un geste de contrarit... Il mest impossible dattendre jusque-l,

    murmura-t-il.Puis, haute voix, il ajouta : Veuillez prier MM. Bob Harvey et Harry Smith

    de venir me parler.

    Et, quand ses deux secrtaires eurent rpondu son appel, leur dsignant dun geste du menton Karl Staubing, que commenaient inquiter vi-siblement ces alles et venues :

    Je nai pas vous prsenter lindividu que voici, leur dit-il ; comme moi, vous savez qui il est, et ce quoi il occupe ses loisirs.

    Pour des raisons quil serait trop long de vous expliquer, jai dcid de le mettre en tat darresta-tion sous linculpation despionnage et de complot contre la sret des troupes doccupation.

    Considr comme prisonnier dtat, il doit donc tre mis au secret le plus absolu jusqu sa compa-rution devant la Cour martiale qui aura connatre de ses mfaits.

    Mais, en attendant, comme linstruction de-son affaire pourra tre longue, et aussi, pour viter toute tentative dvasion, jai dcid de le transfrer Londres.

    A Londres, moi ! scria le Boche, terrifi... Sans mme lhonorer dune rponse, James. Nobody poursuivit :

    Vous allez donc ly conduire par la voie des airs, ce qui offrira le double avantage...

    Je proteste ! sexclama Karl Staubing ; jamais je ne suis mont en avion. Je...

    Et aprs ? demanda froidement le grand d-tective ; est-ce l une raison pour ny monter ja-mais ? Vous recevrez le baptme de lair, voil tout !

    De ple quil tait, Karl Staubing devint livide... Je ne veux pas ! se prit-il hurler : je ne veux

    pas ! Jai peur ! Peur de quoi ? Si jallais tomber et me tuer gmit le Boche, en

    claquant des dents....James Nobody eut un sourire de mpris... Cela ne ferait jamais quune crapule de moins

  • 8 les merveilleux exploits de james nobody

    sur la terre ! rpondit-il, cur par tant de lche-t. Lhumanit nen prendrait pas le deuil.

    Puis, sans plus soccuper de Karl Staubing, il poursuivit, en se tournant vers ses deux collaborateurs :

    Je disais donc que le transfert en avion offrait le double avantage dassurer la rapidit et le secret de lopration.

    Il est essentiel, en effet, que celle-ci soit effectue rapidement et dans le plus grand secret.

    Karl Staubing doit disparatre sans laisser de traces.

    Pourquoi ? Parce que si la Cour martiale en dcide ainsi, il

    faut quon puisse le fusiller, sans que personne, en Allemagne surtout, en sache rien.

    Cest pourquoi, ds maintenant, je vous autorise, soit lui brler la cervelle, la moindre tentative de rbellion, si cette tentative se produit terre, soit le balancer par-dessus bord, sil se rvolte en cours de route.

    Cest compris ? Cest compris, chef ! rpondirent Bob Harvey

    et Harry Smith qui, ostensiblement, armrent leurs brownings et les placrent dans les poches de leurs vestons, proximit de la main...

    Ce geste, voulu, dailleurs, mais qui, en aucun cas, naurait t suivi deffet nchappa pas Karl Staubing qui, terroris, scria :

    Et si je parlais ? Si je vous disais tout ce que je sais ?

    En ce cas, rpondit le grand dtective, nous verrions : Mais je tiens vous prvenir davance, ceci, afin dviter tout malentendu entre nous, que toutes vos dclarations seront contr-les, et que, si lune dentre elles, une seule, vous mentendez bien ! se trouvait controuve, ce nest pas la Cour martiale que vous auriez affaire, mais bien aux deux hommes que voil...

    Ce disant, Karl Staubing, totalement abruti par cette dernire dclaration, il montrait Bob Harvey et Harry Smith qui, pour la circonstance, avaient arbor leur air le plus froce...

    Aprs quoi, il ajouta : Et, ces deux-l, vous savez, ils ne vous rate-

    raient pas ! Cest en pices dtaches, quils vous renverraient vos commettants !

    Ceci dit, allez-y ! Je vous coute...

    III

    O James Nobody pose son interlocuteur des questions prcises...

    Quand il eut recouvr ses esprits, se tournant craintivement vers James Nobody qui, impassible, le couvait des yeux, Karl Staubing lui demanda :

    Que dsirez-vous savoir au juste ? Ne le savez-vous pas ? rpondit le grand d-

    tective, et faut-il que je vous rpte que je veux connatre par le dtail quel point en sont rendus vos prparatifs concernant la guerre chimique ?

    Et, prcisant sa pense, il ajouta : Dites-moi, tout dabord, ce quil peut y avoir de

    vrai dans ce plan doprations dont il a t ques-tion entre nous, tout lheure.

    Autrement dit, est-il exact que vos chefs aient conu ce projet abominable danantir ces trois centres de civilisation que sont Paris, Londres et Bruxelles ?

    Ce nest que trop exact, rpondit Karl Staubing. Je puis mme vous donner lassurance que, dores et dj, toutes les mesures sont prises pour que l opration seffectue ds quil leur plai-ra de la raliser.

    James Nobody tressaillit... Et la date laquelle seffectuera cette opra-

    tion, demanda-t-il vivement, est-elle, elle aussi, dores et dj fixe ?

    Karl Staubing tressaillit son tour...Visiblement, cette question, laquelle ce-

    pendant il aurait d sattendre, lembarrassait terriblement...

    Comme regret, il rpondit : Cette date, par cela mme quelle est condi-

    tionne par lvacuation de la Rhnanie, ne peut tre fixe lavance. Tant que les troupes allies seront sur le Rhin, tant quelles occuperont les ttes de pont, nous serons rduits limpuis-sance, et nous ne pourrons que courber la tte.

    Certes ! Mais aprs ? insista le grand dtective...

    Alors, ce fut laveu...Spontanment, il jaillit... Oh ! aprs, scria Karl Staubing, ce sera vite

    fait. Sur vos ttes, la catastrophe sabattra comme la foudre ! Vous naurez mme pas le temps de

  • les mystres de la sainte-Vehme 9

    dire : ouf ! que dj vous serez terre, pantelants et rlant, demandant grce !

    Vraiment ? fit James Nobody, sur le mode iro-nique ; ne prenez-vous pas vos dsirs pour des ralits ?

    Cette ironie, Karl Staubing la prit en trs mau-vaise part...

    Je vous demande en grce, monsieur, scria-t-il, de, ne pas rire, et surtout de tenir pour exactes mes rvlations. Faute de quoi, demain, au lieu de rire, vous pleureriez des larmes de sang.

    Et puisque vous me contraignez trahir, puisque vous mobligez vous livrer nos secrets, profitez, du moins, des dclarations que vous marrachez ainsi.

    Franchement mu, cette fois, James Nobody ne sut que rpondre...

    Il, comprit que lmotion que venait de manifes-ter Karl Staubing tait sincre et que ce serait le vexer inutilement, et peut-tre se laliner, que de feindre de ny pas croire.

    Mais dj, lespion reprenait : Vous mavez demand, fit-il, de vous fixer une

    date. Veuillez tenir pour certain que cette date sera celle ou nous raliserons l Anschluss , cest--dire la date mme o les Allemands dAutriche vien-dront rejoindre, dans le giron de la mre patrie, les Allemands du Reich.

    Il est bien certain, en effet, que les Allis ne voudront jamais admettre cette fusion des deux peuples frres.

    Trop dintrts sy opposent. Il nous faudra, donc combattre ! De quel ct seront, cette fois encore, la Justice

    et le Droit ? Du ntre, videmment. Peut-on nous reprocher, ds lors, de nous efforcer

    dy adjoindre la force ? Faudra-t-il donc, une fois de plus, cdant je

    ne sais quels vagues sentiments dhumanitarisme, nous exposer une nouvelle dfaite ?

    Vous ne le pensez pas ! Non. ! Nous nous servirons, au contraire, de

    toutes les armes que nos industriels, nos savants, nos chimistes, nos bactriologistes nous mettront entre les mains.

    James Nobody avait cout, sans se permettre la moindre interruption, cette longue tirade.

    Mais, Karl Staubing stant tu, il tint mettre au

    point ou, plutt, lui faire prciser lune de ses dclarations.

    Vous venez, lui dit-il, dvoquer vos bactrio-logistes. Songeriez-vous donc les gaz toxiques vous paraissant insuffisants en tant que moyens de destruction utiliser les bacilles ?

    Pourquoi pas ? rpondit sans hsiter Karl Staubing. Ne vous ai-je pas dit tout lheure que, pour tre courte, la guerre devait tre totale ?

    Je ne vois pas pourquoi nous nutiliserions pas les bacilles de la peste, du cholra, contre les hommes, ceux de la morve, contre les animaux, puisque comme les autres, et peut-tre mieux que les autres, ils constituent des moyens de destruction.

    James Nobody ne put rprimer un geste de dgot...

    Ce que vous dites l, scria-t-il, est horrible et de nature donner la nause aux gens les plus aguerris contre vos sophismes. Vous tes bien les dignes descendants dAttila !

    Celui-l tait un grand homme, pontifia Karl Staubing.

    Peut-tre ! Mais je lui prfre Pasteur. Pasteur tait, videmment, un chimiste re-

    marquable. Toutefois, Fritz Haber (1) le dpasse de cent coudes.

    James Nobody saisit la balle au bond... Au fait, demanda-t-il Karl Staubing, que de-

    vient-il celui-l ? Et fabrique-t-il toujours des gaz de plus en plus nocifs dans son antre du Kaiser Wilhelm Institute de Dalhem ?

    Pris de court, lespion ne put que balbutier : Cela, je lignore, mais ce que je sais, cest que

    au Reichswehrministerium, il jouit de la plus grande considration.

    tant donn que les loups ne se mangent pas entre eux, le contraire serait surprenant, ironisa James Nobody.

    Puis, tirant du portefeuille de Karl Staubing une nouvelle note, ce dernier il demanda :

    Si jen crois le document que voici, vous avez t rcemment charg, par le Gross General Stab (2) , deffectuer une enqute sur les points suivants :

    1 Linventeur juif des gaz asphyxiants, mis en ser-vice par lAllemagne, au cours de la grande guerre. Cette lamentable invention amena Mme Fritz Haber, Clara Immerwahr, se suicider !2 LEtat-major gnral de la Reichswehr.

  • 10 les merveilleux exploits de james nobody

    1 Quels seraient les dlais ncessits par la transformation de lindustrie chimique du temps de paix (rgion de la Ruhr), en indus-trie chimique du temps de guerre ?2 A quelle poque seront approximative-ment termins les travaux actuellement en cours sur les artres stratgiques : Mayence, Sarrebrck, CologneAix-la-Chapelle, CoblenceTrvesLuxembourg ?3 Quand pourrons-nous commencer la construction. sans donner lveil aux Allis, ni susciter leurs rclamations des ponts stratgiques projets Maximiliansau, Ludwigshafen et Spire et, subsidiairement, de ceux prvus Kochem, Wehleri et Treis ?

    Mais alors, scria Karl Staubing, que cette nouvelle intervention de James Nobody sembla mettre hors de lui, vous voulez donc tout savoir ?

    Parbleu ! rpondit le grand dtective, qui ne put rprimer un sourire, ne suis-je pas l, pour cela ?

    Je ne dis pas le contraire, reconnut lespion ; mais, que diraient mes chefs sils apprenaient que je livre ainsi leurs secrets au premier venu.

    Le sourire de James Nobody saccentua... Dabord, rpondit-il posment, je ne suis pas

    le premier venu. Quant vos chefs, je ne vois vraiment pas qui pourrait bien aller leur rpter notre conversation.

    Et, avec le plus grand srieux, il risqua lnormi-t que voici :

    Voulez-vous bien rflchir ceci que, vous et moi, nous sommes tenus par le secret professionnel ?

    La chose passa comme une lettre la poste tant tait grande linconscience ou, si lon prfre, le manque de sens moral, dont tait afflig Karl Staubing.

    Cest vident, fit-il, il y a le secret profession-nel... Et, gravement, il ajouta :

    Parler, serait trahir ! Parbleu ! sempressa dajouter James Nobody,

    aussi je suis prt vous donner ma parole dhon-neur que rien, rien, vous mentendez, de ce qui se dira ici, ne sortira dentre nous.

    Sil en est ainsi, dclara le Boche, rassur, je ne demande pas mieux de rpondre vos questions.

    Et, sans plus attendre, il se mit parler...

    IV

    O James Nobody ne peut dissimuler

    lindignation quil prouve...

    Permettez-moi, dclara tout dabord Karl Staubing, de minscrire en faux contre lune de vos allgations.

    Vous nous avez reproch tout lheure de pr-mditer froidement ce que vous avez appel le massacre gnral des innocents , cest--dire, lextermination totale des gens rsidant dans les grandes villes de larrire.

    La vrit est tout autre... Ce que nous voulons anantir. ds le dbut,

    ce ne sont pas les non-combattants, ce sont, au contraire, les super-combattants, excusez ce nologisme, cest--dire les organes vitaux du pays adverse, lesquels sont concentrs dans les ministres, les grandes administrations de ltat, les services centraux des compagnies ferro-viaires, ariennes ou de navigation, les entrepts de vivres, les banques, que sais-je encore ?

    Vous savez bien quune troupe prive de chefs, partant, de directives, na plus aucun ressort et est vaincue davance.

    Pourquoi nen serait-il pas de mme dun grand pays dont, du premier coup, alors quil ne sy attendrait pas car vous pensez que nous choi-sirons notre heure, nous russirions annihiler les efforts, soit en paralysant, soit en dtruisant ses organes directeurs ?

    Et alors, que nous reprochez-vous ? Sommes-nous donc responsables de ce phno-

    mne ethnique, qui veut que ce soit prcisment dans les capitales et dans leur hinterland, que se trouve, group autour de ces organes directeurs, le plus grand nombre de non-combattants ?

    Faut-il donc que, pour pargner ceux-ci, nous fassions grce ceux-l ?

    Ce serait du dernier grotesque, et contraire toutes les lois de la guerre.

    Nous avons une conception tout autre du devoir.

    Or, notre devoir est de vaincre ! Tout le reste nest que verbiage et

    superftation. Karl Staubing en tait l de son expos et dj

  • les mystres de la sainte-Vehme 11

    James Nobody sapprtait lui rpondre verte-ment quand, soudain, retentit la sonnerie du tlphone.

    Allo ! fit le grand dtective ; allo ! A qui ai-je lhonneur de parler ?

    Ici, Frida Stenauer, rpondit une voix fmi-nine. Vous me reconnaissez ?

    Fort bien ! Mais donnez-moi tout de mme votre indicatif .

    113 C. I. S ! Parfait ! Quy a-t-il pour votre service ? Est-ce que Karl Staubing est toujours chez

    vous ? Mais oui ! En ce cas, posez-lui donc la question suivante :

    Pouvez-vous me dire quels sont les produits que fa-brique actuellement la Maison Luitpold Bavella, Francfort-sur-le-Mein et ce quoi ltat-major alle-mand les destine ?

    Entendu et merci ! Attendez, cher ami. Vous lui demanderez en-

    suite ce quil pense des fabrications actuelles de lentreprise Schlner Dynamitfabrik, de Ham,- bourg, et vous vous efforcerez de savoir pourquoi ces fabrications, ds quacheves, sont directement envoyes Moscou.

    Cest tout ? Non pas ! Je viens vainement dexplorer la

    chambre quil habite lhtel o il est descendu, de fouiller les meubles et ses valises, de retourner les poches de ses vtements, pensant y retrouver certain portefeuille vert auquel il tient comme la prunelle de ses yeux, et dans lequel je nai jamais pu fourrer le nez . Il doit lavoir sur lui dans sa poche revolver. Peut-tre allez-vous y dcouvrir des choses normes. Bonne chance et, bientt.

    Cest cela, bientt.Ayant raccroch les couteurs, James Nobody se

    tourna vers Karl Staubing et, sans faire la moindre allusion aux dclarations, pour le moins cyniques, quil venait de se permettre, il lui demanda :

    Ainsi, il est bien exact que lagression que vous prmditez sera prcde dune formidable offensive aro-chimique ?

    Cest tout fait exact. Dailleurs, le thme que vous avez entre les mains est la preuve mme de ce que javance.

    Cest sans doute pourquoi vos chefs se proc-cupent, ds maintenant, de savoir sils pourront

    disposer, au moment choisi par eux, de larme chimique quils comptent utiliser ds labord.

    Me substituant eux, je vous demande mon tour :

    En combien de temps pensez-vous quils puissent tre servis ? Autrement dit, combien de temps fau-dra-t-il aux industriels groups dans l I. G. (1) pour transformer en gaz toxiques, vsicants, lacrymo-gnes, cyanhydriques, moutarde, arsines, explosifs ou incendiaires les inoffensifs produits quils fa-briquent actuellement dans leurs cent et quelques usines ?

    La rponse arriva, foudroyante... Quelles prparent les produits obtenus par la

    distillation de lanthracne, du benzol, de laniline, du phnol, du crsol, du xylol, du toluol, de la naph-taline, du chlore, etc..., quelles soccupent de fabri-cations lectro-chimiques ou lectro-mcaniques, quelles produisent des acides nitriques, sulfu-riques, chlorhydriques, du brome, du phosphore, de lazote, de liode ou mme, comme la Leuna , par exemple, du carburant synthtique, du caoutchouc artificiel ou des colorants minraux ; en moins dune journe, ces usines, sur un signal parti de Berlin, transformeront leurs fabrications du temps de paix en fabrications du temps de guerre.

    L o, hier, on fabriquait de la laine artificielle et de la soie ersatz, demain on fabriquera les plus terrifiants des explosifs.

    Il nest pas de produits qui, utiliss actuellement pour la fabrication des matires colorantes, ne puissent se transformer du jour au lendemain en gaz toxiques.

    Tel inoffensif compos chimique ou pharmaceu-tique peut devenir en moins dune heure, si tel est le bon plaisir du Gouvernement du Reich, le poison le plus nocif qui se puisse imaginer (2).

    1 Interessen Gemeinschaft Farben Industrie , qui groupe plus de cent industriels en Allemagne et ltranger ; lesquels emploient plus de 150.000 ing-nieurs, contre-matres et ouvriers, et dont le capital dpasse 6 milliards.2 Nest-ce point le doktor Hanslian, dont les livres font autorit en la matire et qui, pendant la guerre fut officier-gazier dans larme allemande qui a crit : Les spcialistes allemands travaillent conqurir cette puissance qui offrira aux nations les plus culti-ves, au sens technique et scientifique du mot, une arme suprieure qui, comme telle, confrera aux

  • 12 les merveilleux exploits de james nobody

    Il importe galement de tenir compte de ce fait que, tout le personnel des usines tant mobilis sur place, la production des gaz et des explosifs en sera intensifie dautant.

    Cest avec une sorte de sadisme, une joie mau-vaise et lvident dsir de terroriser son interlo-cuteur, que Karl Staubing fit la dclaration qui prcde.

    Mais, James Nobody ntait pas de ceux qui, pra-tiquant la politique de lautruche, se laissent ais-ment intimider.

    Et il le fit bien Je tiens pour exactes, rpondit-il avec calme

    Karl Staubing, les dclarations, qui, croyez-le bien, ne sont pas pour moi des rvlations que vous venez de me faire.

    Toutefois, il est un point sur lequel je tiens es-sentiellement, il appuya sur ce dernier mot, tre fix.

    Pouvez-vous me dire quels sont les produits que fabrique actuellement la maison Luitpold Bavella et comment vos chefs comptent utiliser ces produits ?

    Leffet produit par cette question fut formidable.Hagard, Karl Staubing scria : Comment ! Cela aussi, vous le savez ? Nest-il pas de mon devoir de tout savoir ? r-

    pondit avec flegme James Nobody.Sans doute ! reconnut lespion, mais, tout

    de mme, nous ne sommes pas plus de dix, en Allemagne, connatre ce redoutable secret.

    Cela fait neuf de trop, fit en souriant le grand dtective ; car un secret aussi rpandu, nest plus un secret.

    Et, haussant le ton : Voyons en quoi il consiste, ajouta-t-il. Confus,

    Karl Staubing baissa la tte...

    peuples les plus habiles la manier une supriorit mondiale, voire mme lempire du monde. Quel aveu ?Et, comment ne pas placer, en regard de cet aveu, le cri dalarme que vient de pousser ce grand Franais quest le professeur Charles Moureu : Il nous faut tout prix une industrie chimique or-ganique beaucoup plus dveloppe quautrefois et servie par un personnel technique plus nombreux et mieux entran. La guerre venant clater, il y aurait l, pour le pays, rien moins quune question de vie ou de mort. On ne saurait ni mieux prvoir, ni mieux dire...

    Puis, ce fut laveu. Lingnieur Luitpold Bavella, dclara-t-il tout

    bas, et comme honteux, a dcouvert un gaz qui, quel que soit le mode de protection adopt, lan-nihile entirement, attaque les tissus, traverse la peau et produit dans lorganisme humain des d-gts mille fois plus violents que ceux produits par dautres poisons, la strychnine notamment.

    Cachant la stupfaction que lui causait un tel aveu, James Nobody poursuivit :

    Il sagit, sans doute, dun gaz provenant dune matire mtallo-organique ? Pouvez-vous me fixer cet gard ?

    Karl Staubing eut une seconde dhsitation mais, voyant la mine de James Nobody que ce-lui-ci ne se contenterait pas dune quelconque explication, il complta ses aveux.

    Ce gaz, dclara-t-il, est obtenu par un amalga-me de ttrathyle de plomb et de dithyle de tellure...

    Cest--dire, scria James Nobody, par un amalgame de ce que la chimie a dcouvert jusquici de plus puissamment nocif !

    Et, suprmement mprisant, il ajouta : Cest, sans doute, laide de ce gaz que les sur-

    hommes qui commandent votre arme comptent dtruire Paris, Londres et Bruxelles ?

    A cette question prcise, Karl Staubing ne crut pas devoir rpondre.

    Mais, son silence lui-mme ntait-il pas le plus formel des aveux ?...

    V

    O James Nobody dit Karl Staubing de cruelles vrits...

    Quand son indignation se fut calme, James Nobody poursuivit linterrogatoire en ces termes :

    Eu gard aux dclarations que vous venez de me faire et, sachant fort bien que, tant que nous occuperons la rive gauche du Rhin, aucun des six ponts stratgiques projets par votre tat-major ne pourra tre construit, je mabstiens de toute question cet gard.

    Toutefois et ce sera l la dernire question

  • les mystres de la sainte-Vehme 13

    que je vous poserai, je dsire savoir pourquoi les explosifs fabriqus par les Schlner Dynamit Fabrik de Hambourg, au lieu de demeurer en Allemagne, sont envoys en Russie.

    Ah ! a, scria Karl Staubing qui ouvrit des yeux normes, mais vous tes donc le tiable ?

    Cela fut dit sur un tel ton et lespion parut si to-talement ahuri que, quelle que fut la gravit de la situation, le grand dtective ne put dissimuler un sourire.

    Il nen rpondit pas moins du tac au tac : Que je sois ou non le diable, cela importe

    peu. Lessentiel est que vous rpondiez dune fa-on prcise la question non moins prcise que je viens de vous poser.

    Aucune chappatoire ntant possible, Karl Staubing dut sincliner une fois de plus.

    Soit ! fit-il ; bien que je commette lgard de ma patrie une abominable trahison, je vais r-pondre votre question.

    Aprs stre absorb quelques instants en lui-mme, il poursuivit :

    Le produit fabriqu par la maison en question porte le nom de wurmsrite .

    Il est aux explosifs jusquici connus et utiliss ce que, jadis, larbalte fut la poudre canon.

    Cest vous dire que son pouvoir destructeur est norme et sans prcdent.

    De plus, comme il est combin avec du phosgne, il en rsulte que tout projectile charg taide de cet explosif supprime radicalement tout ce qui vit et tout ce qui respire sur lespace dun kilo-mtre carr dans la zone o il clate.

    Mais, il y a mieux. ! Leffet de lexplosion subsis-tant pendant quinze jours, car, ainsi que vous le savez, le phosgne stagne l o il se trouve et ne se dilue que trs difficilement, la zone gaze de-vient inabordable et le demeure pendant ce temps.

    Quon effectue, par exemple, un tir dinter-diction en profondeur sur une zone ayant dix kilomtres au carr, je mets au dfi qui que ce soit, sauf nous, bien entendu, et cela grce a nos tanks tanches, de franchir cette zone. Ce se-rait vouloir se suicider.

    Jentends bien, interrompit James Nobody ; mais pourquoi cet explosif est-il plus spciale-ment destin la Russie ?

    Karl Staubing eut un sourire intraduisible... Machiavel, quand il crivit Le Prince devait avoir

    de ces sourires-l... Je les crois plutt destins la Pologne et

    la Roumanie, rpondit-il, sur le mode ironique, car si la Russie les reoit effectivement sous forme dexplosifs, il se pourrait bien quelle les retourne sous forme dobus ces deux puissances, pour peu quelles bougent lors du prochain conflit.

    Cette fois, James Nobody tait fix... Ah ! Ah ! sexclama-t-il, vous avez mme pr-

    vu cela ? Mais oui ! fit le Boche ; gouverner nest-ce pas

    prvoir ? Trs juste ! rpondit le grand dtective qui,

    son tour, eut un sourire ; aussi, faisant mien cet axiome, je vous serais infiniment oblig sil vous plaisait de me remettre certain portefeuille vert qui, actuellement, se trouve dans lune de vos poches.

    Du coup, Karl Staubing seffondra... Herr Gott ! Sakrament ! scria-t-il, en lanant

    James Nobody un coup dil effar ; mais vous avez donc le don de double vue ?

    Puis, se montant- peu peu... Et, sil ne me plaisait pas de vous le remettre ?

    demanda-t-il, arrogant.James Nobody appuya sur son clavier et, ngli-

    geamment, rpondit : Mon Dieu ! je ne men ferais pas pour si peu.

    Jaurais tout simplement le regret de le prendre sur... votre cadavre !

    Vous feriez cela ? sexclama Karl Staubing, terrifi...

    Pourquoi me gnerais-je ? rpondit James Nobody, gouailleur. Dailleurs, vous allez voir...

    Et, se tournant vers Bob Harvey et Harry Smith qui, rpondant son appel, venaient dentrer dans son bureau :

    Veuillez avoir lobligeance, leur dit-il, de conduire M. Karl Staubing aux locaux discipli-naires. Vous ly enfermerez dans la cellule n 6. Il y sera gard vue, les fers aux pieds et aux mains, et ne devra recevoir daliments daucune sorte, tant quil naura pas remis entre vos mains un porte-feuille de couleur verte qui est en sa possession.

    Jajoute que si M. Karl Staubing savisait, entre temps, de dtruire ce portefeuille ou les documents quil contient, il serait immdiatement pass par les armes.

  • 14 les merveilleux exploits de james nobody

    Puis, sadressant au Boche qui, sidr, avait cout en tremblant ce verdict :

    Je ne vous retiens pas, monsieur, ajouta-t-il, glacial...

    Ce que vous faites est abominable ! scria Karl Staubing, exaspr ; jen appelle...

    Moins abominable que lagression que vous prmditez ! rpondit du tac au tac le grand dtective.

    Cest un odieux guet-apens ! Moins odieux que celui que vous prparez ! Je ne cderai que contraint et forc ! Cela vous regarde ! Et, si je meurs... Cela fera un assassin de moins ! tonna James

    Nobody, en foudroyant du regard Karl Staubing.Et, sadressant de nouveau ses deux secrtaires : Lair devient irrespirable ici, ajouta-t-il ; enle-

    vez-moi cette charogne !...Ce fut sans aucune amnit que cet ordre fut

    excut.Solidement empoign par Bob Harvey et Harry

    Smith que ses pleurs, ses protestations et ses hur-lements laissrent indiffrents, Karl Staubing fut immdiatement mis en cellule o il ne reut pour tout potage quun plat de ferraille (1) des mieux conditionns.

    Aprs quoi, ayant fait ,venir tout ce qui leur tait ncessaire, notamment des victuailles et des boissons aussi nombreuses que varies, paisible-ment ils sinstallrent ses cts, ne soccupant pas plus de lui que sil nexistait pas.

    Ce que voyant, Karl Staubing se prit rflchir... Ces gens-l, pensa-t-il, nont videmment pas

    de cur, et ils sont parfaitement capables de me laisser crever de faim.

    Et, se rendant pleinement justice, mentalement, il ajouta :

    Il nest que juste de reconnatre que si jtais leur place, je nagirais pas diffremment. Peut-tre mme ferais-je pire. Donc, moins de vouloir me suicider, il ne me reste dautre alternative que de capituler. Ce nest peut-tre pas trs reluisant , mais je ne vois vraiment pas dautre moyen de me tirer daffaire.

    1 Terme dargot policier. Le plat de ferraille est constitu par une chane qui, rive au mur, immobilise les membres des prisonniers, les mettant ainsi hors dtat de nuire.

    Stant ainsi mis en rgle avec sa conscience, laquelle devait tre dune lasticit peu com-mune, il se tourna vers les deux jeunes gens ; et, ayant toute honte bue, leur dit :

    Messieurs, jai dcid, cdant ainsi aux ob-jurgations du trs honor monsieur avec lequel je viens de mentretenir, de lui remettre le por-tefeuille quil convoite. Veuillez le prendre, il se trouve dans ma poche revolver.

    Bob Harvey haussa les paules.... Ctait bien la peine, rpondit-il, mprisant,

    de faire toute cette histoire, pour vous dgon-fler ensuite aussi aisment.

    Furieux, Karl Staubing scria : Je ne suis pas curieux ; mais je voudrais bien

    voir ce que vous feriez si vous tiez ma place !Il navait pas achev que, dj, la riposte lui arri-

    vait en pleine face, cinglante comme un coup de fouet...

    Ce que je ferais, vieille crapule ! tonna lhon-nte Bob Harvey. Ce que je ferais ! mais, tonnerre de Dieu ! je prfrerais souffrir mille morts que de trahir mon pays !

    Et, accentuant son air de mpris, il ajouta : Tenez ! Voulez-vous que je vous le dise : Eh

    bien. ! vous tes un lche, et vous navez rien dans le ventre !

    Alors, Karl Staubing eut cette rponse formidable :

    Je pense bien : je nai rien mang !Les deux jeunes gens se regardrent, puis, ne

    pouvant contenir leur hilarit, clatrent de rire Javoue, sexclama Bob Harvey, qui avait

    toutes les peines du monde reprendre son s-rieux, que celle-l je ne laurais pas trouve ! Elle est bien bonne !

    Comment veux-tu raisonner avec un type pa-reil, rpondit Harry Smith, tu lui parles de sa pa-trie, il invoque son ventre. Essaie donc aprs cela de lui faire entendre que les deux choses ne vont pas de pair ? Tu crois quil te comprendra ?

    Et, se tournant vers le Boche qui, ahuri, les re-gardait bouche be :

    Dis donc, le surhomme , le reprsentant de la race lue , tu ne te rends donc pas compte que tu es en train de te conduire comme le dernier des saligauds ?

    Mettons lavant-dernier, intervint sur le mode conciliant Bob Harvey ; car, en pareille matire,

  • les mystres de la sainte-Vehme 15

    en Allemagne surtout, il ne faut dcourager personne.

    Puis, sadressant Karl Staubing, dont lahurisse-ment savrait total :

    Allons, lui dit-il, donne-moi ce portefeuille, et plus vite que a, nest-ce pas ?

    Attends, intervint Harry Smith qui, se levant, sortit dans le couloir.

    O vas-tu ? lui cria Bob Harvey, surpris. Tu vas voir !Deux minutes plus tard, il revenait, tenant en

    main une pincette. Tiens, fit-il en la tendant son collgue et en

    lui dsignant dun geste du menton le portefeuille que leur tendait le Boche ; maintenant, tu peux le prendre.

    Cest juste, surenchrit Bob Harvey ; de cette faon, je ne me salirai pas les doigts...

    Karl Staubing stant soumis, ils donnrent lordre un surveillant de le dbarrasser de ses fers.

    Quand ce fut fait, montrant les reliefs du repas quils venaient de prendre Karl Staubing, Bob Harvey lui dit :

    Comme tu as t bien sage, je tautorise manger.

    Que croyez-vous que fit le Boche ?Il mangea.

    Tout simplement...

    VI

    O James Nobody fait de nouvelles

    et intressantes dcouvertes...

    Quand il eut examin les documents que conte-nait le portefeuille vert , James Nobody com-prit pourquoi Karl Staubing stait si nergique-ment refus le lui remettre.

    Il y trouva la preuve, en effet, de lintime colla-boration qui, en temps de guerre, existerait entre la Reichswehr et larme rouge des Soviets ; cette arme, dont son chef, le commissaire du peuple Vorochiloff, disait rcemment encore quelle est la plus forte et la mieux instruite des armes modernes .

    Encore que, fix depuis longtemps cet gard (1), le grand dtective nen constata pas moins que, depuis son dernier raid en Russie sovitique, larme rouge stait accrue dans des propor-tions tonnantes et quelle avait gagn, non seu-lement en quantit, mais aussi et cela lui appa-rut infiniment plus grave en qualit.

    Instruits par des officiers allemands, dots des engins les plus perfectionns, les soldats rouges constituaient vraiment une menace quil et t souverainement imprudent de sous-estimer.

    Parcourant lun des rapports contenus dans ce portefeuille, mais qui manait directement de lattach militaire allemand Moscou, James Nobody y dcouvrit des choses surprenantes.

    Leffort que vous mavez demand daccom-plir, crivait cet officier ses chefs, est actuel-lement en voie dachvement. Non seulement larme rouge na plus rien de commun avec les bandes indisciplines, dont elle se composait autrefois, mais elle constitue aujourdhui une force homogne, discipline, instruite, avec laquelle larme allemande elle-mme devrait compter le cas chant. Peut-tre mme, sommes-nous alls trop loin dans cette voie, car nous ne nous mesurerions pas sans risques certains avec elle. Conformment vos instructions et au plan directeur que vous mavez demand de rali-ser, larme rouge pourra mettre en ligne, ds louverture des hostilits, 2. 800.000 hommes, cest--dire 86 divisions dinfanterie et 20 di-visions de cavalerie, rparties en six groupes darmes, lesquels, judicieusement employs, auront pour mission essentielle de fixer sur place et danantir au besoin les armes polonaise et roumaine et, subsidiairement, les forces que pourraient nous opposer la Yougoslavie et la Tchcoslovaquie, ds que se serait effondr le front roumain. Enfin, se rendant compte des nces-sits de lheure prsente, le Conseil des Commissaires du peuple a dcid de porter le budget de la guerre, pour lanne courante (1929), treize milliards quatre cent

    1 Lire : Livrs lennemi du mme auteur ; Berger-Levrault, diteurs.

  • 16 les merveilleux exploits de james nobody

    cinquante millions de francs, sur les-quels quinze cents millions seront affec-ts la marine.

    Cest sur ces derniers mots que se terminait le rapport de lattach militaire allemand Moscou.

    By Jove ! sexclama James Nobody, gouailleur ; sil tait donn aux marchands de boniments de Genve, Locarno, Thoiry et autres Lugano, de tomber sur un document pareil, je crois que, du coup, ils en perdraient leurs illres.

    Puis, reprenant son srieux, mentalement, il poursuivit :

    Il importe daviser au plus vite, car jamais la situation na t aussi grave. Mais, voyons la suite :

    Prenant un second document, il lut :

    rapport de lagent x v-12sur les dclarations faites au congrs

    pan-russe de moscoule 18 juillet 1928

    Me conformant aux instructions de Son Excellence M. le comte de Snodorff-Krantzau, am-bassadeur du Reich Moscou, jai assist toutes les sances tenues par le Congrs pan-russe de lUnion sovitique, qui sest tenu les 18, 19 et 20 juil-let, dans lancienne capitale des tsars.

    Limpression gnrale qui se dgage de ce congrs est que, chauffe blanc, lopinion publique russe est mre pour la guerre.

    Non seulement elle est persuade, dans les grandes villes, tout au moins, que la disette dont souffre le peuple est due au blocus cono-mique moral voulu par les peuples de lEntente, ruais elle est persuade galement que ces peuples mditent et prparent une agression contre la Russie sovitique.

    En termes fort nets, Staline (1), lui-mme, a accus la Grande-Bretagne de fomenter une conspiration, dont laboutissement logique serait, si on ny prenait garde, la fin de la dictature du proltariat .

    Cette conspiration, il convient de la faire avorter, a poursuivi Staline.

    Comment ? Tout simplement en aidant lAllemagne abattre

    ces puissances de proie que sont lAngleterre et la France.

    Cest pourquoi nous devons considrer la guerre comme une ncessit absolue, la prparer avec soin 1 lve et successeur de Lnine, quil a remplac comme dictateur.

    et la dclarer au moment choisi par nous, ou, ce qui revient au mme, par ltat-major allemand (2).

    On ne saurait tre plus formel. Intervenant ensuite, Vorochiloff, lactuel com-

    missaire du peuple la guerre, a expos o en tait la rorganisation de larme rouge et, aux auditeurs enthousiasms, il a cit des chiffres impressionnants.

    Cest ainsi quil a rvl que larme rouge pourrait, en moins dun mois, mettre en ligne 8 millions de combattants, dont lquipement et larmement ne laisseraient rien dsirer.

    Faisant miennes les conceptions de ltat-ma-jor allemand, a-t-il ajout, je considre que larme chimique ou si vous le prfrez, les gaz as-phyxiants constituera un facteur dterminant.

    Cest pourquoi, je puis vous annoncer que, ds maintenant, nous possdons plus de trois cents usines qui ne produisent que des gaz toxiques, et dont le rendement moyen est de quarante millions de kilos par an.

    Notre aviation, dautre part, tend devenir la premire du monde.

    Il est hors de doute que, ds le dbut des hostili-ts, elle dominera compltement celle de nos adver-saires ; ce qui lui permettra non seulement de d-traquer sa mobilisation, mais aussi danantir des villes qui, comme Varsovie et Bucarest, sont dau-tant plus vulnrables quelle pourra les atteindre aisment.

    Aprs avoir fait une incursion dans la politique intrieure des Soviets, le rapport se terminait ainsi :

    De ce qui prcde, on peut donc dduire que, fi-dle aux traits de Rapallo et Berlin, conclus sous les auspices de la Sainte-Vehme, la Russie sovi-tique et les immenses ressources quelle possde en matriel humain entrera en ligne et nos cts, ds louverture des hostilits.

    Parbleu ! constata James Nobody, soucieux, les gens de Genve mis part, personne nen a jamais doute !

    Cest donc ceux-l, puisquils ne veulent ni voir ni comprendre, quil me faut ouvrir les yeux et les oreilles.

    Et, avec un sourire qui en disait long, il sortit...O allait-il donc ?

    Je vais vous lapprendre...

    2 Rigoureusement exact.

  • les mystres de la sainte-Vehme 17

    VII

    O James Nobody simpose ladmiration des foules...

    Stant mis daccord avec le gnral sir Stanley Lewis, lequel nen crut pas ses yeux quand James Nobody lui communiqua les documents dcou-verts sur Karl Staubing, le grand dtective partit le soir mme pour Berlin

    Mais, cette fois, il ntait pas camoufl en gendarme.

    Dcid pntrer, cote que cote, au sein mme du Comit directeur de la Sainte-Vehme, il avait pris lapparence extrieure de lun de ces braves bourgeois allemands qui, non contents de manger du Franais midi, soctroient le soir, en guise de souper, la carcasse dun de ces sa-crs cochons dAnglais que la Providence, ou son dfaut, le brave gnral Groener, finiront bien par exterminer.

    Vtu de lun de ces abominables complets moutarde, quaffectionnent les aborignes, coiff dun chapeau du vert le plus tendre, ayant aux pieds dinvraisemblables godasses, il obtint, ds son entre dans le wagon qui devait le conduire Berlin, un franc succs destime.

    Ce succs se transforma en fou rire quand, ayant frl, par mgarde, un officier anglais qui, paisi-blement, fumait sa pipe dans le couloir, il affecta dessuyer, avec son mouchoir, lendroit contami-n par ce contact odieux.

    Son loyalisme tait si vident, et si vivace la haine quil portait tout ce qui ntait pas spcifi-quement allemand, Deutschland ber alles ! que, en moins dun quart dheure, il eut conquis droit de cit.

    Bref, il en fit et en dit tant, quil finit par se prendre de bec avec lofficier anglais, lequel, pour le contraindre au silence, neut dautre ressource que de lui administrer une paire de gifles.

    Il en rsulta un pugilat en rgle, duquel loffi-cier anglais sortit aux trois quarts dmoli, ce qui accrut dautant la popularit de Herr Wilfrid Langenberg.

    Tel tait, en effet, le nom dont, pour la circons-tance, stait affubl James Nobody.

    Comme bien on pense, laffaire nalla pas toute seule, et lofficier anglais ayant port plainte,

    cest entre deux gendarmes allemands que James Nobody fit son entre au SpezialKommissariat de la gare de Berlin.

    Il est peine besoin dindiquer que tous les Boches qui peuplaient le wagon, ayant tmoign en sa faveur, il ne fit que passer dans cet antre, do il sortit blanc comme neige, la tte haute, respectueusement salu par le commissaire et ses inspecteurs.

    Quant lofficier anglais, il en fut pour ses frais...Colport par les tmoins, mais revu et ampli-

    fi par eux, le rcit de cet incident, dont sempa-rrent les gazettes berlinoises du soir, fit la joie des populations.

    Wilfrid Langenberg devint une sorte de hros national. Dcouvrant en lui lun de ses reprsen-tants les plus qualifis, la race lue lui dcerna les honneurs du triomphe, ce qui lui valut dab-sorber maintes sauerkraut bien tasses et din-nombrables demis , mieux tasss encore.

    Au vrai, il faillit mourir dindigestion. Mais..., le rsultat quil cherchait fut atteint. Voici comment...

    Un soir, tandis que, aprs avoir prsid un mee-ting du Jungdo (1) , il rentrait son htel pour y prendre un repos qui simposait, on remit James Nobody une invitation ainsi conue :

    La comtesse von Fredowserait heureuse de voir figurer au nombre de ses invits du lundi M. Wilfrid Langenberg.

    12bis Unter den Linden

    La comtesse von Fredow, sexclama James Nobody, ahuri, celle quon appelle la belle Hilda , et qui nest autre, excusez du peu, que la propre sur de ma vieille amie Irma Staub (2) ! Ah ! a, que peut-elle bien me vouloir ?

    Il ne devait pas tarder lapprendre...

    1 Ordre des Jeunes Allemands.2 Clbre espionne dont les exploits fantastiques sont conts tout au long dans : En Missions spciales ; La Vierge rouge du Kremlin et Livrs lennemi, du mme auteur. Berger-Levrault, diteurs.

  • 18 les merveilleux exploits de james nobody

    En effet, stant fait prcder dune splendide gerbe dorchides, noues dun ruban aux cou-leurs nationales davant-guerre. James Nobody se rendit le lundi suivant chez la smillante comtesse.

    Mais, prsumant que, chez elle, il allait avoir affaire des gens appartenant un tout autre milieu que celui o il voluait depuis son arrive Berlin, en artiste consomm, il se composa un maintien.

    Dlaissant son habit moutarde, il se fendit dun smoking, soffrit des escarpins vernis et se coiffa dun gibus.

    Accoutr de la sorte, il tait en tenue . Ce dont on lui sut un gr infini.

    Son enjouement, sa faconde encore quil se modrt firent le reste.

    Les invits, parmi lesquels se trouvaient de nombreux officiers et diplomates en uniforme, appartenaient pour la plupart la plus haute no-blesse de lEmpire.

    A leur maintien rserv, leur attitude distante, James Nobody comprit quon lavait dpeint eux comme un grotesque sans culture aucune, et bon tout au plus servir damusette pendant une soire.

    La chose lui dplut souverainement, non pas quil attacht la moindre importance lopinion que pouvait avoir de lui tel ou tel de ces fan-toches, mais bien parce quil lui importait quil en ft autrement.

    Aussi seffora-t-il de le persuader quils avaient affaire en lui, non seulement un homme bien lev, mais aussi un homme dune correction absolue et dont la culture gnrale tait infini-ment suprieure celle que possdaient la plu-part dentre eux.

    Cest avec une bonne grce souriante, et mme avec une faconde que net pas dsavoue lun de nos Provenaux, quil rpondit aux questions que lui posrent certaines des personnalits pr-sentes, tant et si bien quil et tt fait de conqurir les bonnes grces de lassistance.

    La comtesse Hilda von Fredow elle-mme, si en-tiche pourtant de son titre et des prrogatives y attaches, lui sut un gr infini davoir su transfor-mer le succs de curiosit quelle escomptait pour lui, en un trs rel succs estime, et elle ne cessa de lui prodiguer les sourires et les amabilits.

    Un homme se trouvait l, cependant, le colonel Bicola, que James Nobody et prfr savoir aux cinq cents diables.

    Non pas quil le craignt le moins du monde, car, au cours de la guerre, alors que cet officier diri-geait les services allemands despionnage, il lui avait jou plus dun tour de sa faon, mais bien par ce que papillonnant sans cesse autour de la comtesse, laquelle, visiblement, il faisait la cour, il empchait James Nobody de lapprocher.

    Or, si James Nobody tait venu cette soire, ce ntait pas tant pour admirer le visage monocl du trop galant colonel, que pour causer utile-ment avec la comtesse.

    Par Frida Stenauer, il avait appris, en effet, que le comte von Fredow, le propre mari de la belle Hilda, encore quataxique et candidat la para-lysie gnrale, nen occupait pas moins un grade trs lev dans la hirarchie de la Sainte-Vehme.

    Sans pouvoir lui certifier le fait, car en pareille matire on nacquiert que trs difficilement une certitude, elle lui avait mme donn entendre quelle ne serait pas autrement surprise si on lui apprenait que le comte von Fredow ntait autre que le chef suprme de cette redoutable autant que mystrieuse association.

    Or, si cela tait, la comtesse von Fredow devait le savoir mieux que quiconque et, elle, le sachant, il ny avait aucune raison pour que James Nobody ne le st pas son tour...

    Il est tant de moyens de pntrer un secret, si bien gard soit-il, pour peu quon veuille bien sen donner la peine.

    Cest pourquoi, ayant jet son dvolu sur un mdecin gnral qui se trouvait l, James Nobody lembarqua dans une controverse sur lincoor-dination pathologique des mouvements du corps humain .

    Jouant son rle en artiste consomm, James Nobody fit preuve dune telle rudition, dune connaissance si approfondie des traitements employs pour lutter contre cette grave maladie quest lataxie locomotrice, que le mdecin gn-ral en demeura bouche be.

    Ah ! a, sexclama-t-il, ahuri, vous tes donc mdecin ?

    Pas le moins du monde ! rpondit James Nobody en souriant, mais, pourquoi cette question ?

    Mais, parce que vous paraissez en savoirs

  • les mystres de la sainte-Vehme 19

    sur ce sujet, beaucoup plus que je nen sais moi-mme, et...

    Sans doute ntes-vous pas all aux Indes ? interrompit, avec le plus grand srieux, James Nobody.

    Aux Indes ! Ma foi non ! fit lautre, dont le d-sarroi apparaissait total. Et, quont donc voir les Indes dans cette affaire ?

    Ce quelles ont y voir ? fit mine de stonner le grand dtective ; ignoreriez-vous donc que, l-bas, se trouvent des fakirs qui gurissent couram-ment, comme en se jouant, cette cruelle maladie ?

    Depuis un moment, la comtesse, qui tait par-venue enfin semer son adorateur, stait ap-proche deux, et suivait avec une trs relle at-tention leur discussion.

    Cest vrai cela ? intervint-elle soudain. Sinclinant galamment, James Nobody rpondit :

    Cest tellement vrai que moi qui vous parle, jai t guri de cette maladie par lun dentre eux.

    Vous ? sexclama la comtesse. Moi-mme. Quand cela ? insista-t-elle. En 1913 exactement ! rpondit le grand

    dtective. Et, depuis, vous navez plus ressenti les at-

    teintes du mal ? fit-elle, vivement mue. Non seulement je nai jamais souffert ,depuis,

    mais, ainsi que vous le pouvez constater, jai re-couvr toute ma souplesse dantan.

    Cest magnifique ! sexclama la comtesse ; et en quoi consiste le traitement ?

    Il est dune simplicit extrme. A la base, lectroponcture (1) ; puis, massages lectriques frquents ; aprs quoi, ingestion dinfusions pro-venant de simples.

    Et, ces simples, vous les connaissez ? Je les connais. Suffisamment pour appliquer le traitement ? Jai dj guri plusieurs personnes. Le mde-

    cin gnral et la comtesse changrent un regard surpris...

    Ce que je ne mexplique pas, fit soudain lof-ficier, cest que les fakirs, dont la science est cer-taine, mais dont les moyens daction sont rudi-mentaires, possdent des appareils lectriques. Cest la premire fois que jentends relater le fait.

    1 Traitement par lequel on fait passer un courant lectrique dans les tissus au moyen daiguilles.

    Aussi, nen possdent-ils pas, rpondit vive-ment le grand dtective.

    Alors ? Alors leur force de volont et leur fluide sup-

    plent tout. Il ma fallu, pour remplacer ces deux qualits essentielles qui me font entirement d-faut, ttonner longuement. Ce nest quaprs de longues recherches et aprs avoir fait maintes expriences, que jai dcouvert le traitement par llectroponcture.

    Et, vous tes certain du rsultat ? Absolument certain, la condition, bien en-

    tendu, que lataxie ne provienne pas dune ma-ladie... spcifique, et que le malade soit en tat de supporter le traitement qui est extrmement douloureux.

    Ce traitement, seriez-vous dispos lap-pliquer mon mari ? demanda soudain la com-tesse, aprs avoir consult du regard le mdecin gnral.

    James Nobody parut douloureusement surpris... Comment ! sexclama-t-il, le comte von

    Fredow... Le comte von Fredow est ce point malade,

    interrompit la comtesse que, le jugeant inguris-sable, les mdecins lont abandonn.

    Oh ! le malheureux ! Oh ! oui ! Il est malheureux ! poursuivit la

    jeune femme. Et, il lest dautant plus que, non seulement, il souffre dans sa chair, mais aussi quil souffre dans son cerveau .

    Dans son cerveau ! scria le grand dtective, qui feignit dtre profondment mu. Comment cela ? Que voulez-vous dire ?

    La comtesse eut une seconde dhsitation... Puis, enfin, elle dclara :

    Vous nous avez donn, en giflant cet Anglais, une telle preuve de patriotisme, votre attitude, depuis, a t empreinte dun tel loyalisme que, dores et dj, je vous tiens pour lun des ntres.

    Pour lun des vtres ? interrompit le grand dtective. Quels sont ceux-l ?

    Vous le saurez plus tard, rpondit la com-tesse, aprs avoir chang un nouveau coup dil avec le mdecin gnral. Mais, ds maintenant, sachez que le comte exerce une haute et redoutable fonction et que, de son salut, dpend le salut mme de lAllemagne.

  • 20 les merveilleux exploits de james nobody

    Oh ! Oh ! sexclama James Nobody, mais en ce cas, il faut absolument le gurir ! O se trouve-t-il actuellement ?

    Ici mme, dans un pavillon situ au fond du jardin.

    Parfait ! Voulez-vous que nous allions le voir immdiatement ? La comtesse parut gne...

    Immdiatement, fit-elle, cela me parat im-possible. Avant que dapprocher le comte, il faudra que... vous vous entreteniez avec ses amis. Peut-tre mme vous demanderont-ils de vous soumettre une... petite formalit, laquelle ne vous engagera pas grand chose, puisque vous tes un bon et loyal allemand, mais qui leur paratra, sans doute, indispensable.

    Feignant une surprise quil nprouvait certes pas, car, dsormais, il tait fix, le grand dtective avait cout la comtesse, bouche be...

    Ne mavez-vous pas dit, lui demanda-t-il, en-fin, que du salut du comte dpendait Le salut de notre chre patrie ?

    Cela, je laffirme sur lhonneur ! intervint [e mdecin gnral.

    Je nen demande pas plus, rpondit simple-ment James Nobody qui, se tournant vers la com-tesse, poursuivit :

    tant donnes les dclarations que vous ve-nez de faire et la parole que vient de me donner le docteur, je me dclare prt subir toutes les for-malits quon voudra bien mindiquer. Lessentiel est de sauver le comte. Le reste mimporte peu.

    Telle est bien votre faon de penser ? lui de-manda la comtesse.

    Je vous en donne lassurance. En ce cas, nous allons pouvoir nous entendre.Puis, sadressant au mdecin gnral, elle ajouta : M. Ludwig Langensberg et moi, nous nous

    rendons de ce pas la Chambre du Conseil , voulez-vous demander nos amis de venir nous y rejoindre.

    Intrieurement, James Nobody exulta... Cette fois, a y est ! pensa-t-il. Je les ai !

    Et, en effet, il les avait...

    Car, deux minutes plus tard, prsent aux Francs-Juges par Mme von Fredow, il compa-raissait devant leur tribunal...

    VIII

    O James Nobody saffilie la Sainte-Vehme.

    Quand il pntra dans la Chambre du Conseil , blouissante de lumire, James Nobody se trouva en prsence de sept individus qui, vtus dune sorte de robe noire et le visage soigneusement masqu, taient assis derrire une table sur la-quelle taient placs une Bible, une branche de saule frachement coupe et un poignard acr.

    James Nobody sarrta, surpris et, se tournant vers Mme von Fredow :

    Pourriez-vous me dire, madame, lui, deman-da-t-il sur un ton svre, quoi rime cette masca-rade ? Sommes-nous donc en temps de carnaval ? Et pourquoi, alors que je mattendais trouver ici un malade, me prsentez-vous une assemble de pitres ? Cest mal cela !

    Leffet produit par ces paroles sur la comtesse fut terrible...

    Devenue blme, livide mme, elle se tourna vers ceux que James Nobody venait ainsi dinsulter et, dune voix tremblante, elle leur dit

    Veuillez lexcuser, Seigneurs, ignorant le rang illustre que vous occupez, il na pu deviner...

    Pardon ! interrompit nettement le grand d-tective, nayant rien demand personne, je nai dexcuses prsenter qui que ce soit.

    Et, martelant les mots, il poursuivit : Cest le visage dcouvert, en homme qui na

    rien cacher, partant, rien craindre, que je suis mon chemin dans la vie. Pourquoi ces gens-l ne font-ils pas de mme ? Quelles sont donc les tares, peut-tre mme ce mot est-il insuffisant, quils dissimulent sous le masque ? Que signi-fie cet accoutrement ridicule ?

    Puis, sadressant eux, directement, il ajouta : Et, dabord, que me voulez-vous ? Vous dois-

    je quelque chose ? Vous nous devez le respect ! rpondit dune voix

    spulcrale, le prsident de ce singulier tribunal.James Nobody haussa les paules et se mit a

    rire... Et, lobissance aussi, sans doute ? ironisa-t-il. Pas encore, mais cela viendra ! rpondit lautre.

    Du coup, James Nobody reprit son srieux :

  • les mystres de la sainte-Vehme 21

    Je regrette infiniment de vous contredire, d-clara-t-il avec nettet, mais jai pour principe de nobir qu moi-mme, dans le cadre de la loi, bien entendu, et de ne respecter que ce que jestime respectable. Or, ne sachant pas qui vous tes...

    Qui nous sommes ? interrompit le prsident, vous allez lapprendre.

    En quoi voulez-vous que cela mintresse ? Je nai jamais demand, que je sache, entrer en re-lation avec vous.

    Non certes ! Mais vous avez offert de soigner, et vous avez promis de gurir le comte von Fredow.

    James Nobody eut un sourire... Vous faites erreur, rpondit-il, je nai pas of-

    fert de soigner le comte. On ma demand de le gurir, ce qui nest pas la mme chose.

    Et, gouailleur, il ajouta : Dailleurs, en quoi cette affaire peut-elle vous

    intresser ? En quoi elle peut nous intresser ? sexclama

    le prsident. Ne vous a-t-on pas dit, tout lheure, que le comte Fredow tait notre ami ? De plus, il est notre chef. Il est donc naturel...

    Dun geste, le grand dtective linterrompit... Je ne vous demande aucune confidence, d-

    clara-t-il , fermement, et ce que vous tes mim-porte peu.. Ce qui mimporte, par contre, cest de ne pas perdre inutilement mon temps. Aussi, moins que vous ny trouviez redire, vais-je vous tirer ma rvrence..

    Une minute, je vous prie ! fit le prsident et, sadressant son voisin de droite, il lui dit mezza voce :

    Sauf erreur, voil un caractre ! Quen pense Votre Altesse Impriale ?

    Si bas quil eut parl, James Nobody avait entendu...

    Il tressaillit imperceptiblement...Et, loreille tendue, il couta la rponse.... Je pense, rpondit l Altesse , quil faut nous

    attacher cet homme cote que cote. Il est discret, loyal, nergique, adroit ; jestime que ce serait une prcieuse recrue pour la Saint Vehme.

    Le prsident hocha approbativement la tte, puis sadressant James Nobody, qui attendait patiemment la fin de ce colloque :

    Les hommes comme bous sont rares, lui dit-il. Lnergie et la discrtion dont vous venez de faire

    preuve nous ont donn votre mesure et nous in-citent vous faire confiance.

    Et, bien que nos statuts nous interdisent formel-lement de procder ainsi, nous nexigerons pas de vous le serment dusage et...

    Quel serment ? interrompit assez cavalire-ment James Nobody..

    Celui que tout nouvel initi doit prter devant nous. Le grand dtective carquilla les yeux...

    Le serment ! sexclama-t-il, en simulant la surprise la plus vive, qui donc tes-vous ?

    Nous sommes les Francs-Juges, rpondit, dune voix caverneuse, le prsident.

    Sil escomptait un effet de terreur, il dut tre pro-fondment du car, outrant son attitude, James Nobody sexclama, gouailleur :

    Les Francs-Juges ! Herr Gott ! Il en existe donc encore ? Je les croyais morts et enterrs depuis... Charlemagne.

    Et, narquois, il poursuivit : Est-ce dire que la Sainte-Vehme ait t, par

    vos soins, ressuscite ? Ce serait du dernier gro-tesque, parce que dun intrt douteux ! Nous ne sommes plus au Moyen Age, que diable !

    Encore que profondment vraie, lapostrophe ne fut pas du got du prsident qui, furibond, rpondit :

    Cest devant son Saint Tribunal que vous vous trouvez en ce moment. Et, si nous ne sommes plus au Moyen Age, il nen demeure pas moins que, de mme qu cette poque lointaine de notre his-toire, il nous reste des morts venger, des tratres punir, et la patrie sauver !

    James Nobody comprit que le moment tait venu de jeter du lest...

    Son but ntait pas, en effet, de saliner des Francs-Juges , mais, au contraire, de se faire bien venir deux, afin de dcouvrir leurs tnbreux projets.

    Aussi, feignant lenthousiasme le plus vif, scria-t-il :

    Der Teuffel ! Voil un programme comme je les aime ! Et, si, vraiment, vous tes de taille lap-pliquer, dsormais je suis des vtres !

    Puis, sapprochant de la table, il ajouta : Quelle est la formule du serment, je vous

    prie ? Vous tes dispens du serment, rpta le

    prsident.

  • 22 les merveilleux exploits de james nobody

    Et, sil me plat de le prter ? insista le grand dtective, je veux, au moins, savoir ce quoi je mengage.

    Vous aimez votre patrie ? rpondit le prsident. Parbleu ! Vous tes prt la dfendre envers et contre

    tous ? Cela va de soi ! Aucun sacrifice, mme celui de votre

    vie, ne vous cotera, pourvu quil assure son triomphe et sa gloire ?

    Cela, je le jure !Les Francs-Juges changrent un coup dil

    satisfait. En ce cas, reprit sur un ton solennel le pr-

    sident, je vous reois ds maintenant, au sein de notre Sainte Association et, agissant au mieux de ses intrts, cela, en vertu des pouvoirs qui me sont confrs, je vous lve au grade de matre, ce qui vous dispense de linitiation aux trois pre-miers degrs.

    Je saurai me montrer digne de cette faveur, fit James Nobody, sans rire.

    Nous y comptons fermement, rpondit le prsident. Jajoute que si vous russissez gurir notre Grand-Matre , si vous le sauvez, la digni-t de Franc-Juge honoraire , vous sera immdia-tement confre.

    Puis, sadressant la comtesse Hilda, le pr-sident poursuivit :

    Herr Wilfrid Langenberg, tant dsormais des ntres, il ny a plus dinconvnient ce quil soit pr-sent Son Excellence le comte con Fredow.

    Et, levant les yeux au ciel, il ajouta : Puisse notre nouveau frre ranimer la lu-

    mire qui steint ! Puisse-t-il rendre notre chre Allemagne le plus actif et le plus nergique de ses enfants.

    James Nobody eut toutes les peines du monde garder son srieux...

    Si tu comptes l-dessus, fit-il in petto , tu risques dattendre longtemps.

    Mais, il ne sen exclama pas moins avec nergie : Daigne le Trs-Haut accueillir ce vu, et me

    donner la force et la science qui me sont indis-pensables pour mener bien la mission que vous venez de me confier !

    Ach ! scria, son tour, le prsident, en sui-vant des yeux le grand dtective que, dj, la com-

    tesse von Fredow entranait vers la couche o gisait le Grand-Matre . Ach ! que voil un bon patriote !

    Il ne croyait pas si bien dire...

    IX

    O James Nobody se dcide employer les grands moyens.

    Quand il pntra dans la chambre somptueu-sement meuble o, sur son lit de douleur, tait tendu le comte von Fredow, prs duquel lavait prcd la comtesse, James Nobody comprit aus-sitt que ce dernier tait dune tout autre essence que les Boches auxquels, jusquici, il avait eu affaire.

    Celui-l tait un super-Boche , si jose dire, un authentique descendant de ces hauts ba-rons qui, groups depuis des sicles autour des Hohenzollern, firent de ceux-ci des rois dabord, des empereurs ensuite...

    Nallez pas croire, surtout, que le comte von Fredow fut un colosse.

    Au vrai, les armures gigantesques qui ornaient les quatre coins de la chambre, et qui, toutes quatre, avaient t portes par lun de ses an-ctres, eussent mal convenu cet homuncule, dont le corps ratatin savrait dune maigreur ef-frayante, quasi squelettique, faisant peine voir...

    Mais, si les membres de cet homme paraissaient ossifis, si sa face, que recouvrait une peau quon eut dit parchemine, rvlaient sa dchance physique, en ses yeux, par contre, ds yeux tranges, inquitants, aux reflets dacier, se li-sait une force de volont peu commune, et pour tout dire, le gnie....

    Et, de sentir ces yeux rivs sur les siens, James Nobody prouva une sensation de gne, une sen-sation qui confinait langoisse.

    Mais, il ne flchit pas...Il ne rompit pas le contact visuel...Au contraire, accumulant, en son regard, tout

    ce quil possdait de volont et dnergie, il se pencha sur von Fredow et, malgr la rsistance farouche, obstine, que lui opposa ce dernier, il le contraignit baisser, puis fermer les yeux...

  • les mystres de la sainte-Vehme 23

    Ctait l, un succs vident...Ce succs, il put lexploiter immdiatement ;

    car, immdiatement, von Fredow se soumit... La comtesse von Fredow, dclara-t-il, en effet,

    dune voix expirante au grand dtective, ma dit tout le bien que nos amis et elle-mme pensent de vous. Elle ma dit galement quils vous ont accord toute leur confiance.

    Je vous accorde galement la mienne ; non pas que je sois influenc le moins du monde par eux, mais bien parce que, ayant la prtention de my connatre, je vous tiens pour un homme vraiment digne de ce nom.

    Ils sont rares, en effet, ceux qui, faisant flchir ma volont, mont oblig baisser les yeux.

    Guillaume II lui-mme, et Dieu sait si je lad-mire et si je laime ! ny est jamais parvenu.

    Mais vous, bien que connaissant mon ascen-dance illustre, le grade souverain que je dtiens dans notre Association et qui fait de moi le matre incontest des forces occultes qui, demain, donne-ront lAllemagne lhgmonie mondiale, ds labord ; vous avez aboli en moi la volont.

    cest donc que vous ne me craignez pas ! Pourquoi ? Parce que, anim de lamour ardent de la patrie,

    ce qui dtermine en vous le dsir de bien faire, vous venez vers moi avec une me pure et les meil-leures intentions.

    Von Fredow absorba une gorge de la potion qui se trouvait sur une table, sa porte, puis, il poursuivit :

    Vous possdez, parat-il, le moyen de gurir latroce maladie qui ma rduit ltat dans lequel vous me voyez. Mes amis, du moins, me laffirment.

    Soit ! De mme queux, je crois en vous, et ds mainte-

    nant, je remets entre vos mains mon pauvre corps tortur.

    Faites-en ,ce que vous voudrez... Mais ne perdez pas de vue que, en me sauvant,

    cest lAllemagne elle-mme que vous sauverez. Ds ce jour, vous faites partie de ma maison ,

    et je vous attache ma personne.puis par leffort quil venait de faire, le comte

    von Fredow retomba sur son lit...Puis, il se mit pleurer...Plus mu quil ne le voulait paratre, .car, ja-

    mais, il navait frapp un ennemi terre, James

    Nobody sempressa de lui prodiguer les apaise-ments ncessaires.

    Aprs quoi, il lexamina et lausculta soigneusement (1).

    Il et tt fait de se rendre compte que si von Fredow tait incurable, on pouvait nanmoins amliorer son tat.

    Il sy employa aussitt.Comment sy prit-il ?Quels moyens employa-t-il pour galvaniser ce

    mort vivant ?Se servit-il vraiment du traitement (2) en faveur

    aux Indes, o ly appliquent les fakirs. Je noserai laffirmer...

    Toujours est-il que, quinze jours plus tard, sil ntait pas redevenu ingambe, le comte von Fre-dow ne sen mouvait pas moins, appuy sur ses cannes, dans lespace restreint qui sparait sa chambre coucher de son cabinet de travail.

    Cest alors, mais alors seulement, que James Nobody put se rendre compte de la formi-dable activit de cet homme.

    Non seulement il tait la cheville ouvrire de la Sainte-Vehme et de toutes les socits secrtes qui gravitent autour delle, mais, reprsentant officieux du Kaiser, cest lui qui transmettait au Gouvernement du Reich les ordres de ce dernier. Car, et de cela put sassurer le grand dtective, rien ne se fait en Allemagne qui nait t aupa-ravant tudi et dcid Doorn (3).

    Ne quittant pas le comte dune semelle, ne se devait-il pas de lui prodiguer ses soins ? James Nobody vit, petit petit, sestomper, puis se pr-ciser ses yeux, cette formidable entreprise de dmolition quest lAllemagne moderne, cette Allemagne qui a lev le camouflage la hauteur dune institution !

    Car, l-bas, depuis la Constitution de Weimar jusquaux dclarations locarniennes de Gustav Stresemann, tout nest que camouflage.

    Lactivit des partis de gauche ? camouflage galement.

    1 Avant que dentrer dans le journalisme o il de-vait faire une carrire retentissante, James Nobody avait fait ses tudes de mdecine.2 Ce traitement existe vraiment. Dailleurs, il serait aussi vain de sous-estimer la science des fakirs, que de nier leur puissance psychique, laquelle est trs relle.3 Rsidence actuelle du Kaiser, situe en Hollande.

  • 24 les merveilleux exploits de james nobody

    La propagande communiste, elle-mme, ntait quun camouflage, destin obtenir des Allis lau-torisation de renforcer les effectifs de la Schupo.

    Si, daventure, certains chefs communistes, pre-nant leur rle au srieux, savisaient dalerter leurs troupes et de les faire descendre dans la rue , cest mains sur la tte, et coups de crosses dans les reins quon les reconduisait dans les bouges do elles sortaient, moins quon ne les ment la prison la plus proche :

    Ce communisme-l navait pas cours en Allemagne.

    Von Fredow y tenait la main, et il naurait ja-mais admis quon transgresst, sur ce point, ses instructions.

    Dailleurs, naccueillait-il pas, avec la mme bienveillance, les chefs les plus en vue de la Reichswehr et les reprsentants les plus qualifis de lambassade des Soviets ?

    Ne les runissait-il pas tout propos, et mme hors de propos, autour de sa table, laquelle passait pour tre la mieux servie et la plus ac-cueillante de la Rpublique dEmpire ?

    Et, ntait-ce point l, entre la poire et le fro-mage, quil transmettait ses htes, quils fussent Russes ou Allemands, les ordres de son Auguste matre ?

    Ah ! Elle tait bien ourdie la conspiration qui tendait ses mille et une ramifications sur lAlle-magne tout entire...

    Cest dun mme cur et avec une gale fermet que tous : racistes, nationalistes, rpublicains, ra-dicaux, social-dmocrates et communistes, pr-paraient dans des sphres diverses, mais avec des directives identiques, la guerre de demain, cette guerre qui dpassera, en horreur, toutes celles qui lont prcde...

    Par le fait mme quil se trouvait au centre du point nvralgique, cest--dire, lendroit mme o slaborait, sous la direction de von Fredow, le formidable plan dagression, James Nobody put ltudier en ses moindres dtails.

    Il tait conforme, en tous points, au fameux thme des manuvres et authentifiait, sans contestation possible, les dclarations de ce matre-espion qutait Karl Staubing.

    Mais ce qui surprit le plus James Nobody, et ce qui langoissa quelque peu, cest le soin minutieux quapportait von Fredow rgler les moindres d-tails de la grande aventure .

    Stant aperu un beau jour que von Fredow tait dans un extraordinaire tat de sur excita-tion, respectueusement, il lui demanda ce qui motivait son moi.

    Lui tendant le journal LAvenir, et lui dsignant un article du lieutenant-colonel Magne, relatif lorganisation dfensive des frontires franaises, il lui rpondit :

    Lisez, et vous comprendrez !Docilement, James Nobody prit le journal et,

    aprs avoir parcouru le prambule de cet article, lut posment la partie entoure dun trait de crayon bleu, dont voici le texte :

    De quoi sagit-il. ?Avant tout, dassurer la tranquillit de notre mobilisation et de notre concentration ; on sait que la nouvelle organisation de lar-me, btie sur la rduction du temps de service, met notre couverture en mdiocre posture. Il faut donc fournir un minimum de troupes le maximum de capacit de r-sistance. Contre quoi ? Contre cette arme de choc, trs manuvrire, trs entrane que constituent Reichswehr et Shupo , suivant laveu mme du gnral von Seeckt ; excellent Menschenmateriel , mais sera-t-il puissamment outill ?Il est permis desprer que non ; il ne semble pas, moins dun tour de force, que les Allemands puissent amener de lartille-rie de gros calibre sur la frontire lorraine dans les premiers fours dun conflit ; au moins tant que les stipulations du Trait de Versailles, concernant les fabrications et la neutralisation de la rive gauche du Rhin resteront en vigueur. En face dune arme de mtier trs manuvrire et appuye par une artillerie lgre, il semble bien quil faut avant tout constituer une ligne de bataille moyennement retranche, avec, rseaux de fils de fer et une forte organisation arrire du champ de bataille. Jentends par l que la capacit de rsistance des troupes doit tre accrue par des tranches bien orga-nises, par des abris btonns la rsis-tance du 105, et par des moyens de trans-port rapides lusage des rserves ; pour cela, multiplier les autos-mitrailleuses et autos-canons, avoir de nombreux empla-

  • les mystres de la sainte-Vehme 25

    cements de batterie non occups en per-manence, des rgiments de 75 ports, des troupes de cavalerie bien pourvues pour le combat pied.Telle est la premire scurit envisager, donner la couverture le moyen de dve-lopper le plus grand rendement. Il est as-surment souhaitable davoir une ligne de retranchements bien organiss sur toute la frontire du Rhin au Luxembourg : notons que ce ne sera, comme en 1914, quune faible partie de la ligne de bataille ; la Belgique, qui nest plus neutre, serait srement de nouveau comprise dans ce champ de ba-taille.Mais souhaitable nest pas toujours pos-sible ; une ligne de retranchements non occups en permanence se dtriore et de-vient inutilisable, si elle nest pas btonne ; faire une ligne btonne tout le long de la frontire serait trs coteux et gnant pour les populations.Force est donc davoir des secteurs btonns prpars d lavance et dautres o le retran-chement sera fait par les troupes de couver-ture au moment du besoin.Tels sont les besoins initiaux ; il ne semble pas quy trouvent place des batteries ou ou-vrages dinfanterie d lpreuve du gros ca-libre. Pour le dveloppement ultrieur des oprations, il est certain que de tels mles de rsistance pourraient tre fort utiles, soit en cas dchec de loffensive ncessaire, soit pour crer un secteur passif pendant une opration offensive.Mais il semble bien que cest l un besoin de deuxime urgence, et que la couverture nen a cure. Or, cest en premire urgence la couverture quil faut renforcer, en lui offrant un champ de bataille organis.

    Quand il eut achev la lecture de cet artic