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CONSEIL DE LA SANTÉ ET DU BIEN-ÊTRE L'ÉVOLUTION ET LR 00 QUÉBEC par Pierre-Yves Crémieux Pierre Fortin Marc Van Audenrode

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CONSEIL DE LA SANTÉ ET DU BIEN-ÊTRE

L'ÉVOLUTION

ET LR

00 QUÉBEC par

Pierre-Yves Crémieux Pierre Fortin

Marc Van Audenrode

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Institut national santé publique du Québec 4835, avenue Christophe-Colomb, bureau 200

Montréal (Québec) H2J3G8 Tél.: (514) 597 -0606

L'ÉVOLUTION MACROÉCONOMIQUE ET

LA QUESTION BUDGÉTAIRE AU QUÉBEC

par Pierre-Yves Crémieux

Pierre Fortin Marc Van Audenrode

Département des sciences économiques Université du Québec à Montréal

Novembre 1994

Étude préparée pour le Conseil de la santé et du bien-être. Nous sommes redevables au personnel et aux membres du Conseil, ainsi qu'au personnel du ministère des Finances du Québec, pour leurs conseils, leurs suggestions et leur aide sur le plan des données économiques et financières.

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ISBN 2-550-09705-X Dépôt légal : Bibliothèque nationale du Québec, 1994

TABLE DES MATIÈRES

Page

Déclaration du président du Conseil de la santé et du bien-être I

* * * * * * *

INTRODUCTION I

PREMIÈRE PARTIE

L'évolution et la répartition du niveau de vie 3

1. Revenu global et revenu par habitant : le Québec parmi les pays industriels 3

2. Le progrès du niveau de vie au Québec depuis 1961. 5 a) Caractéristiques générales de l'évolution 5 b) Décomposition canonique du niveau de vie

en cinq facteurs 8

3 . La base démographique 9

4. Les termes d'échange 12

5. La productivité 12

6. Le taux d'activité is

7. Le taux d'emploi 18

8. Répartition du revenu et base fiscale 28

9. Conclusion sur l'évolution macroéconomique 31

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DEUXIÈME PARTIE

La question budgétaire 3 3

10. L'équation budgétaire du gouvernement 33

11. Le déficit, la croissance et la dynamique de l'endettement 35

12. Le solde des opérations et l'écart intérêt-croissance 37

13. L'évolution de la dette du Québec depuis 1970 39

14. Évolutions contraires : amélioration du solde des opérations et détérioration de l'écart intérêt-croissance 3 9

15. L'évolution passée et future du solde des opérations 46

1. Les dépenses de programmes 4 6

2. Les transferts fédéraux 5 1

3. Le fardeau fiscal 5 1

16. L'écart intérêt-croissance : perspectives d'avenir 55

1. Le rôle clé joué par la banque centrale canadienne 57

2. L'accélération probable de la croissance économique... 58 3. Le scénario d'une reprise rapide et complète 59 4. Le scénario d'une reprise lente et incomplète 60

17. CONCLUSION SUR LA QUESTION BUDGÉTAIRE 6 2

Déclaration

du président du Conseil de la santé et du bien-être

Norbert Rodrigue

au sujet de la publication de cette étude

Novembre 1994

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Il peut apparaître surprenant que le nouveau Conseil de la santé et du bien-être, créé par une loi sanctionnée en mai 1992 et dont les membres ont été nommés en octobre 1993, publie une étude économique, à titre de première manifestation publique. Cette étude n'a pas le statut officiel d'un Avis au ministre de la Santé et des Services sociaux, responsable du Conseil, mais le fait que le Conseil rende publique cette étude de Pierre Fortin et ses collaborateurs sur L'évolution macroéconomique et la question budgétaire au Québec envoie un signal sur la manière dont il interprète son mandat.

Selon le libellé même de la loi qui le crée, "le Conseil a pour fonction de conseiller le ministre sur les meilleurs moyens d'améliorer la santé et le bien-être de la popula-tion"; "le Conseil peut donner des avis au ministre notamment sur l'évolution des problèmes de santé et de bien-être de la population, les causes reliées à ces problè-mes et les groupes les plus vulnérables".

Au moment où le Conseil a commencé ses travaux, à la fin de 1993, un débat ani-mait la société québécoise, et qui pouvait se résumer ainsi : sommes-nous une société encore assez "riche" pour nous payer le système de services de santé et de services sociaux dont nous nous sommes dotés au cours des 25 dernières années? Ce débat sur le système de santé a d'ailleurs occupé une bonne place dans la dernière campa-gne électorale.

C'est donc, à la fois, le souci de se placer sur le terrain du déterminant économique de la santé et du bien-être de la population, et, aussi, la sensibilité à un débat con-joncturel, qui ont guidé le Conseil dans la conduite de ses premiers travaux.

Pour répondre à la question en débat, le Conseil a fait faire l'étude macroéconomi-que, qui fait l'objet de la présente publication; de plus, il a travaillé à l'élaboration d'un Avis formel au ministre de la Santé et des Services sociaux, qui portera sur les mesures d'amélioration de l'efficacité et de l'efficience du système de services ~ cet Avis sera déposé au ministre au début de 1995.

Deux questions

La présente étude macroéconomique répond à deux questions. Le discours officiel sur la crise des finances publiques dégageant une impression générale d'appauvrissement, il importe de savoir si, comme société, on s'enrichit ou on s'appauvrit. De plus, ce discours répète comme une idée-force qu'il faut couper dans les dépenses de l'État, et des décisions sont prises en ce sens, la question se pose alors de savoir quel déficit budgétaire est acceptable et comment ramener le déficit des dépenses à un niveau acceptable.

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I I

- Première question : le Québec s'appauvrit-il?

La réponse à la première question est des plus éclairantes: non seulement la société québécoise ne s'appauvrit pas, mais elle continue à s'enrichir. Face au catastrophisme ambiant, qui dégage une image de soi négative, une étude comme celle que nous publions permet de se rendre compte que le Québec performe bien dans le peloton de tête des pays industrialisés. Il en ressort que le Québec se situe au T rang d'un ensemble de 25 régions de l'OCDE quant à son niveau de vie par habitant (tout de suite après le Japon). On apprend même que son taux de croissance de la productivité a été supérieur à celui de l'Ontario et des États-unis au cours des 20 dernières an-nées. De plus, le taux de croissance des dernières décennies ne serait pas anormale-ment bas par rapport à celui des trente glorieuses (1945-1975) : ce dernier serait l'exception par rapport au taux de croissance des deux dernières décennies. Par ail-leurs, à l'instar de "la plupart des pays industriels, on a observé une importante augmentation des inégalités de revenus depuis une quinzaine d'années"; et, dans la lutte au chômage, "nous avons fait moins bien que la plupart des autres (pays de l'OCDE)".

De plus, on est invité à comprendre que l'effet dévastateur de la dernière récession (1990-1993) a pu justifier, aux yeux de certains, la condamnation sans rémission d'un Etat "trop interventionniste". Mais, une crise conjoncturelle, même si elle est très difficile, ne devrait pas conduire à un démantèlement de nos grands instruments collectifs et à un essoufflement de l'impulsion positive de l'État dans la construction de la société québécoise.

- Deuxième question : quelles stratégies utiliser pour réduire le déficit des finances publiques à un niveau acceptable?

Le traitement de la deuxième question conduit les auteurs à décortiquer les compo-santes de la question budgétaire et, plus précisément, à identifier les moyens possibles pour établir un équilibre acceptable de la dette et de notre richesse. Soit : augmenter la fiscalité, réduire les dépenses, espérer une croissance économique, ou obtenir une réduction des taux d'intérêt réels par la banque centrale.

Reprenons, rapidement, chacun de ces moyens, en insistant sur les clarifications explicites ou les messages implicites que l'on peut lire dans cette analyse.

- Augmenter la fiscalité : c'est techniquement possible, mais politiquement difficile. On apprend en effet que "le fardeau fiscal n'est pas excessif selon les standards

I I I

internationaux" et que, si on est davantage taxé que nos voisins américains, on ob-tient en contrepartie plus de services publics. Par ailleurs, une amélioration de la fiscalité pourra se produire de façon automatique grâce à la reprise économique amorcée ~ ce qui n'autorisera pas à faire l'économie d'une réforme de la fiscalité pour la rendre plus équitable.

Réduire les dépenses de programmes : c'est la voie du contrôle et des compres-sions budgétaires empruntée par le Gouvernement depuis le début des années 1980. Cette bonne gestion de la chose publique "contredit l'image superficielle d'une administration publique qui se serait complue dans un laxisme chronique et incorrigible". La reconnaissance de cette bonne gestion doit être reçue comme un encouragement à continuer les efforts pour réussir la meilleure adaptation possible entre l'État et la société civile d'aujourd'hui.

Souhaiter une reprise économique rapide et complète : à défaut d'une telle reprise, on assistera à une nouvelle crise des finances publiques dans quelques années. Il faut capitaliser sur l'observation signalant que l'économie québécoise fonctionne à 10% en dessous de son potentiel sans inflation : il y a là une marge de manoeu-vre qui devrait être occupée le plus rapidement possible par les communautés locales et les petites et moyennes entreprises, et cela avec le support dynamisant de l'État. Il importe de responsabiliser les communautés locales et les acteurs économiques, tout en leur fournissant les leviers pour ce faire,

Obtenir de la banque centrale des taux d'intérêt réels plus bas : toute la stratégie d'équilibre budgétaire proposée par les auteurs se fonde principalement sur une décision du gouvernement fédéral acceptant de toucher la politique de la banque centrale qui maintient des taux d'intérêt élevés en vue de contrôler l'inflation, au prix d'un taux de chômage très élevé ~ au prix d'un déficit social dont cette institution ne tient pas suffisamment compte. Il faut noter que le pari des auteurs repose sur un précédent: de la même manière que le gouvernement fédéral a été sensible aux revendications souhaitant une réduction de l'inflation, et qu'il a pris des mesures en conséquence, de même peut-il décider d'une stratégie macroécono-mique différente qui corresponde aux besoins de la population.

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Messages du Conseil

Pour résumer les messages qui peuvent être tirés de la publication de cette étude par le Conseil de la santé et du bien-être, j'insisterai, bien sûr, sur ceux qui sont liés au contenu même de l'étude et, aussi, sur la signification qui peut être rattachée au fait que le Conseil publie ce type d'étude, donc sur le style qu'entend privilégier le Conseil dans ses interventions.

En proposant cette étude à l'attention des Québécoises et des Québécois, sur laquelle il n'a pas à porter de jugement scientifique, le Conseil a voulu fournir une contre-lecture au préalable souventes fois affirmé , qui apparaît justifier la remise en cause des principes qui ont déterminé la construction de notre système de services : "on n'est plus assez riches pour se payer un tel système de services". Il s'avère que cet énoncé est faux, et que, si la crise des finances publiques est majeure, elle est accélé-rée par une crise conjoncturelle qui ne devrait pas conduire à une destruction de nos structures de protection sociale, même s'il est clair qu'elles doivent être adaptées.

En plus de nous distancier des "flashes" que nous transmet l'actualité concernant les tendances lourdes de notre économie, cette étude nous convie à agir dans trois direc-tions : premièrement, créer la pression populaire et politique suffisante pour que la stratégie macroéconomique fédérale soit modifiée; deuxièmement, tout en rétablissant la crédibilité de la gestion publique, donner à l'appareil d'État le stimulus et la marge de manoeuvre nécessaire pour s'adapter de façon créatrice à la nécessaire transforma-tion de l'Etat-providence; et, troisième message, peut-être le plus important, occuper de toute urgence cet espace sous-utilisé de notre potentiel d'activité économique.

La manière de s'engager dans ces deux dernières directions est importante. Répéter ici ce qui s'est fait ailleurs ne représenterait aucun gain collectif pour nous. S'il nous faut à la fois renouveler la dynamique de notre réseau collectif de protection et de solidarité sociale et mieux occuper notre espace économique, cela devra se faire en intégrant le mieux possible nos stratégies de développement social et de développe-ment économique.

Par ailleurs, le Conseil est conscient que cette étude reste parcellaire, et qu'elle ne couvre pas toutes les questions qui mériteraient d'être travaillées pour se confronter à des aspects principaux du déterminant économique sur la santé et le bien-être de la population: comment expliquer la montée des inégalités socio-économiques? com-ment les réduire? quelle stratégie de développement économique serait la plus appro-priée pour favoriser cette réduction des inégalités? quel régime fiscal serait le plus approprié?

Enfin, le signal que le Conseil envoie en publiant cette étude, et qui indique son angle de prise dans les travaux qu'il conduira, c'est qu'il entend profiter de son avan-tage de situation d'organisme-conseil, situé à distance de la responsabilité politique et administrative de nos grands systèmes et à distance de la gestion des services au quotidien, pour chercher à "aller au fond des choses". Cette ambition autorise à considérer ces éléments de réalité qui déterminent en profondeur notre organisation sociale (tels : politique macroéconomique, structures institutionnelles, lois, organisa-tion professionnelle, mandats ministériels) et à proposer d'agir à ce niveau.

On verra que le premier Avis que le Conseil entend remettre au début de 1995 au nouveau ministre de la Santé et des Services sociaux, sur les mesures d'amélioration de l'efficience et de l'efficacité du système de services de santé, se loge à cette enseigne. Cet Avis répondra aux questions suivantes: avons-nous besoin d'un finance-ment supplémentaire au système de services de santé? qu'en est-il de la comparaison de nos coûts à ceux d'autres sociétés? quels sont les diagnostics posés ailleurs sur la hausse des coûts des systèmes de services et sur les raisons de cette hausse? que penser du recours à la tarification des usagers? et à quelles conditions pourrait-on concrètement "en avoir plus pour notre argent"? Précisons enfin que nous entendons conduire cette recherche de solutions, en dialogue avec ceux et celles qui ont la res-ponsabilité de décider, et en dialogue avec ceux et celles qui sont sur le terrain.

Le président,

/ V u / ) Norbert Rodrigue

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INTRODUCTION La présente étude poursuit deux fins: d'une part, décrire et

expliquer sommairement la croissance économique1 récente du Québec et ses perspectives d'avenir; d'autre part, en dégager la signification pour l'évolution des finances publiques, et tout particulièrement pour la fiscalité et l'endettement. Le travail est motivé par l'actuelle nécessité de bien apprécier la nature des contraintes économiques et financières qui pèsent sur l'avenir des services publics au Québec.

Du point de vue financier, l'expansion des services publics en quantité et en qualité requiert une expansion de l'espace budgétaire, laquelle ne peut provenir que d'une progression des recettes fiscales autonomes, d'une augmentation des transferts fédéraux, d'un accroissement des emprunts, d'une diminution du service de la dette, ou d'un meilleur contrôle du coût unitaire de production des services.

Les recettes fiscales sont obtenues par taxation du revenu national au taux global fixé par la politique fiscale. Elles ne peuvent donc s'accroître que si le revenu national progresse, ou si le taux global d'imposition est augmenté. Le service de la dette dépend du taux d'intérêt moyen qui s'applique à la dette accumulée par suite des déficits budgétaires passés.2 Le coût unitaire des services publics, quant à lui, ne peut être comprimé que si le prix moyen des ressources mobilisées par l'État (y compris la rémunération moyenne de ses employés) diminue, ou si la productivité de l'appareil, fondée sur les technologies et l'organisation du travail, s'améliore.

En d'autres mots, sept sources d'augmentation de l'offre de services publics sont possibles:

1) la croissance du revenu national

2) l'alourdissement de la fiscalité 3) la hausse des transferts fédéraux 4) l'accroissement du déficit budgétaire

1 Par croissance économique, on entend ici l'évolution du niveau moyen et de la répartition du revenu réel par habitant. Le revenu est dit réel lorsqu'il est mesuré en dollars constants qui éliminent l'effet pur de l'inflation et permettent d'isoler les mouvements du pouvoir d'achat véritable.

2 Un élément de jugement intertemporel est ici inévitable. La décision de réaliser un déficit budgétaire augmente la capacité de dépenser à court terme, mais la réduit à long terme en gonflant la dette sur laquelle il faudra payer des intérêts.

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2 5) la baisse des intérêts à payer sur la dette 6) les compressions salariales 7) l'amélioration de la productivité. Une bonne appréciation de la situation des services publics

requiert un examen attentif des possibilités offertes par les sept sources mentionnées.1 La première source concerne l'évolution macroéconomique: elle fait l'objet de la première partie de la présente étude. Les quatre sources suivantes, toujours de nature macroéconomique, touchent les contraintes de financement imposées par la fiscalité, les relations fédérales-provinciales et la dynamique de l'endettement: elles font l'objet de la seconde partie de l'étude.

Le lien entre les deux parties est assez évident. Par exemple, ralentissement de la croissance économique allié à des taux

d'intérêt plus élevés, que nous analyserons dans la première partie, conduit assez naturellement à l'alourdissement de la fiscalité, du déficit budgétaire et du service de la dette, que nous examinerons dans la seconde partie.

Les deux dernières sources possibles de financement de l'expansion des services publics, soit les compressions salariales et l'amélioration de la productivité, sont plutôt de nature microéconomique. Elles ne sont pas indépendantes l'une de l'autre. Par exemple, poussées trop loin, les compressions salariales peuvent avoir une incidence néfaste sur la qualité de la main-d'oeuvre, sur son rendement au travail et, par conséquent, sur la productivité de l'appareil. Bien qu'elles soient importantes, ces questions dépassent cependant le mandat qui nous a été confié.

La vente de sociétés d'État au secteur privé peut constituer une source de fonds supplémentaire. Mais il s'agit d'une source ponctuelle et non récurrente. La Société des alcools du Québec,

^H^ro-Québec sont, de loin, les plus importantes sociétés possédées par l'État québécois.

3 PREMIÈRE PARTIE:

L'ÉVOLUTION ET LA RÉPARTITION DU NIVEAU DE VIE La première partie du travail vise à situer le niveau de vie moyen du Québec dans le contexte international, à décrire son évolution depuis 1961 et à en identifier les causes principales. Les tendances dans la répartition du revenu national sont également soulignées, dans la mesure où elles influent sur la marge de manoeuvre financière de l'État.

1. REVENU GLOBAL ET REVENU PAR HABITANT: LE QUÉBEC PARMI LES PAYS INDUSTRIELS Le tableau 1 compare l'économie du Québec aux autres économies

du monde industriel. La partie gauche du tableau classe les pays membres de l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) selon leur revenu national global de 1990. Le revenu global est égal au produit du revenu par habitant (le niveau de vie moyen) et du nombre total d'habitants. On trouve dans la première moitié de ce palmarès du revenu global les pays riches et populeux comme les États-unis, le Japon, l'Allemagne et la France, mais également d'autres pays moins riches, mais très populeux, comme l'Espagne et la Turquie. Avec seulement 7 millions d'habitants, le Québec, tout comme l'Autriche, la Norvège, la Suède ou la Suisse, arrive naturellement beaucoup plus loin dans le classement du revenu global, soit au 16e rang sur 25.

Parce qu'il additionne richesse et démographie, le revenu global sert à apprécier la puissance d'une nation dans les réseaux d'influence économiques, politiques et militaires au plan mondial. Mais si l'on désire plutôt mesurer la quantité de biens de consommation et de services publics auxquels le citoyen ordinaire d'un pays a accès, il faut retrancher la composante "démographie" et isoler la composante "richesse". L'Inde, la Russie et la Chine sont des joueurs importants sur l'échiquier mondial parce que leur poids démographique est très important. Mais ce sont des pays pauvres. La consommation de biens et de services du citoyen ordinaire de ces pays n'est qu'une faible fraction de l'habitant moyen de l'Amérique du Nord, de l'Europe occidentale ou du Japon.

C'est donc le revenu national par habitant d'une région, c'est-à-dire son niveau de vie moyen, et non son revenu national global, qui permet d'apprécier sa capacité de fournir à ses habitants les biens et les services auxquels ils aspirent. La partie droite du tableau 1 classe les pays membres de l'OCDE selon leur niveau de vie moyen de 1990.

On y observe que certains grands pays, tels que l'Italie, la Grande-Bretagne ou l'Espagne, tirent de l'arrière sur ce plan, tandis que certaines petites régions, telles que la Suisse, le Québec ou le Danemark, présentent une fiche intéressante. Il faut

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TABLEAU 3

Revenu national et niveau de vie dans 25 régions de l'OCDE en 1990

Rang Région Revenu national Région (Milliards de $EU)

Niveau de vie ($EU)

1 États-unis 2 Japon 3 Allemagne 4 France 5 Italie 6 Grande-Bretagne 7 Espagne 8 Canada (sauf Québec) 9 Australie 10 Hollande 11 Turquie 12 Belgique 13 Suède 14 Suisse 15 Autriche 16 Québec 17 Danemark 18 Finlande 19 Portugal 20 Grèce 21 Norvège 22 Nouvelle-Zélande 23 Irlande 24 Luxembourg 25 Islande

5 392 2 États-unis 21 449 2 179 9 Suisse 20 911 1 151 6 Canada (sauf Québec) 19 788 980 4 Luxembourg 19 282 919 7 Allemagne 18 212 911 8 Japon 17 645 457 3 Québec 17 394 392 7 France 17 376 271 7 Suède 16 896 234 8 Danemark 16 570 189 7 Autriche 16 513 163 0 Finlande 16 487 144 6 Belgique 16 351 142 1 Islande 16 158 127 4 Norvège 16 033 117 8 Italie 15 953 85 2 Australie 15 900 82 2 Grande-Bretagne 15 882 82 0 Hollande 15 708 74 3 Nouvelle-Zélande 13 564 68 0 Espagne 11 738 45 8 Irlande 10 627 37 2 Portugal 8 364 7 3 Grèce 7 323 4 1 Turquie 3 318

NOTE: Au début de 1994, 24 pays étaient membres de l'OCDE. Le tableau comprend 25 régions parce que le Canada y est divisé en deux régions, soit le Québec et le Canada sans le Québec. Le revenu national de chaque région est le produit intérieur brut de la région converti en dollars EU au moyen des parités de pouvoir d'achat (PPA) courantes. Cette conversion, recommandée par l'OCDE, l'ONU et le FMI, permet de comparer les pouvoirs d'achat d'un pays à l'autre (ce que ne peut faire la conversion au moyen des taux de change courants). Le niveau de vie (ou revenu par habitant) de chaque région est égal au revenu national de la région (colonne de gauche) divisé par sa population totale. SOURCE DES DONNÉES: Organisation de coopération et de développement économiques.

5 également remarquer que certains grands pays comme les États-unis, l'Allemagne et le Japon ont un niveau de vie moyen très élevé et que certains petits pays comme l'Irlande et la Nouvelle-Zélande en ont un plutôt faible. La règle est générale: parmi les pays industriels, la corrélation simple entre le niveau de vie moyen et la taille de la population est nulle.

Le tableau rapporte qu'en 1990 le niveau de vie (ou pouvoir d'achat) du Québécois moyen s'établissait au 7e rang du monde industriel, derrière ceux des États-unis, de la Suisse, du reste du Canada, du Luxembourg, de l'Allemagne et du Japon, et devant ceux de là France, de la Suède, de l'Italie et de la Grande-Bretagne. La position comparative du Québec est donc assez claire: sur le plan du niveau de vie, il fait partie du peloton de tête des pays industriels.

2. LE PROGRÈS DU NIVEAU DE VIE AU QUÉBEC DEPUIS 1961 L'analyse du niveau de vie ne peut toutefois se contenter

d'une photographie instantanée. Le niveau de vie évolue dans le temps, plus vite à certaines époques et dans certains pays qu'à d'autres époques et dans d'autres pays. Depuis 1960, par exemple, le revenu par habitant croît plus vite en Europe et au Japon qu'en Amérique du Nord, ce qui fait diminuer peu à peu l'écart de niveau de vie entre les trois continents. Le revenu par habitant croît aussi un peu plus vite au Québec que dans le reste du continent nord-américain. Enfin, si on compare les deux dernières décennies aux deux précédentes, la croissance économique a sensiblement ralenti dans tous les pays industriels. Il faut décrire et comprendre ces évolutions.

Nous allons donc retracer l'évolution du niveau de vie au Québec depuis 1961 et identifier ses principales sources.

a) Caractéristiques générales de l'évolution

Pour bien mesurer les variations du niveau de vie moyen dans le temps, il faut exprimer le revenu par habitant en dollars constants de pouvoir d'achat qui éliminent l'effet pur de l'inflation. Par exemple, si le revenu augmente de 10 %, mais que les prix augmentent eux aussi de 10 %, alors la mesure recherchée doit bien traduire le fait que le niveau de vie demeure inchangé. En pratique, on réalise cet ajustement simplement en divisant chaque année le revenu par habitant par l'indice des prix de la demande intérieure finale, lequel est une moyenne des prix de tous les biens et services achetés par les consommateurs, les entreprises et les gouvernements. Le résultat de la division donne le revenu réel par habitant. C'est la mesure du niveau de vie que notre analyse temporelle va utiliser.

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La figure 1 retrace l'évolution du revenu réel par habitant au Québec de 1961 à 1993. Trois phénomènes fondamentaux en ressortent. Premièrement, le niveau de vie moyen au Québec a fortement augmenté depuis 30 ans. Pour l'ensemble de la période 1961-1993, le revenu réel par habitant a connu une augmentation annuelle moyenne de 2,6 %.* Il a ainsi plus que doublé, passant de 8 460 à 19 010 dollars de 1986. La progression du niveau de vie collectif a naturellement marqué le pas pendant les grandes récessions de 1981-1982 et de 1990-1993. Cette dernière, la plus importante depuis la Grande Dépression de 1929-1933, a pu faire oublier momentanément la tendance à l'amélioration incessante du niveau de vie dans le dernier demi-siècle. Mais aucune recherche contemporaine ne permet jusqu'ici de douter de la poursuite de cette tendance au sortir de la récession que nous venons de traverser.

Deuxièmement, le taux de croissance annuel moyen de 2,6 % du niveau de vie pour l'ensemble de la période 1961-1993 masque un fléchissement important et persistant du rythme d'enrichissement à partir du milieu des années 1970. La figure 1 montre en effet que la hausse fut de 3,8 % par année pendant la période 1961-1973, mais seulement de 2,1 % par année pendant la période 1974-1993. Depuis vingt ans, le niveau de vie collectif progresse donc deux fois moins vite qu'auparavant. Il n'existe heureusement encore aucune preuve qu'un nouveau ralentissement soit venu s'ajouter au premier au cours de la dernière décennie. Au contraire, comme on le voit sur la figure, le niveau de vie au Québec a progressé à très vive allure de 1982 à 1989, soit de 30 % au total, avant de connaître le repli que l'on sait en 1990-1993.

Enfin, troisièmement, au cours des deux dernières décennies le progrès économique a été beaucoup plus irrégulier que dans les décennies précédentes. La figure 1 traduit ce phénomène sur le plan visuel en montrant que, d'une année à l'autre, la trajectoire du revenu réel par habitant (ligne continue) a été beaucoup moins resserrée autour de sa tendance à long terme (ligne pointillée) depuis 1974 qu'avant cette date. Sur le plan statistique, l'écart annuel moyen du niveau de vie par rapport à sa tendance est en fait passé de 1,9 % pendant la période 1961-1973 à 4,2 % pendant la période 1974-1993.

En un mot, depuis le milieu des années 1970 la croissance du niveau de vie collectif s'est poursuivie, mais à un rythme deux fois plus lent et deux fois plus irrégulier qu'auparavant.

4 Ce taux d'augmentation annuel moyen et tous ceux qui sont rapportés dans la suite sont tirés de régressions logarithmiques sur la tendance.

Figure 1: NIVEAU DE VIE Revenu reel par habi tant

Source des données: Stat ist ique Canada .

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b) Décomposition canonique du niveau de vie en cinq facteurs Pour comprendre cette évolution, il faut décomposer les

variations du niveau de vie moyen dans ses sources ultimes. Une société ne verra son niveau de vie moyen augmenter que si l'une ou l'autre des cinq conditions suivantes se trouve satisfaite:

1) la base démographique augmente: c'est le pourcentage de la population totale comprise dans les groupes d'âge habituellement actifs (soit, pour fixer les idées, les 15 à 64 ans)

2) le taux d'activité augmente: c'est le pourcentage de la population de 15 à 64 ans qui veut un emploi (on désigne cette population désireuse de travailler par l'expression "population active")

3) le taux d'emploi augmente: c'est le pourcentage de la population active qui détient en fait un emploi5

4) la productivité s'accroît: c'est le volume de biens et de services qui est en moyenne produit par personne employée

5) les termes d'échange s'améliorent: c'est le rapport entre le prix moyen auquel la production de biens et de services est vendue sur les marchés intérieurs et extérieurs et le prix moyen des achats effectués sur ces mêmes marchés au moyen des revenus ainsi engendrés.

Sur le plan mathématique, ces cinq facteurs sont issus de la décomposition exacte suivante du revenu réel par habitant: (1) RRPH = (PIBN)/(NTOT*PA) = (PIBR*PV)/(NTOT*PA)

= (PV/PA)*(PIBR/NE)*(NE/NA)*(NA/N1564)*(N1564/NTOT) . La première identité définit le revenu réel par habitant

(RRPH) comme le revenu national (le produit intérieur brut en dollars courants ou "nominal", PIBN) divisé par la population totale (NTOT) et par le prix moyen des achats de biens et de services (ou indice des prix de la demande intérieure finale, PA). La deuxième identité décompose le PIB nominal (PIBN) en produit du volume de production intérieure de biens et de services (le PIB en dollars constants ou "réel", PIBR) et de leur prix de vente moyen (PV) . La dernière identité s'obtient par simple réarrangement arithmétique de la précédente, en faisant intervenir en plus les concepts de population employée ou emploi total (NE), de population active (NA) et de population de 15 à 64 ans (N1564). Les cinq

s Le taux d'emploi est le complément exact du taux de chômage. Par exemple, si le taux d'emploi est de 92 %, le taux de chômage sera de 8 %.

9

facteurs identifiés ci-dessus, soit la base démographique (N1564/NTOT), le taux d'activité (NA/N1564), le taux d'emploi (NE/NA), la productivité (PIBR/NE) et les termes d'échange (PV/PA), y apparaissent de droite à gauche.

Par définition même, la variation en pourcentage du niveau de vie d'une année à l'autre est égale à la somme des variations annuelles de ces cinq facteurs. La décomposition permet, d'une part, de mesurer la contribution respective de chacun d'entre eux à l'enrichissement collectif pendant une période donnée et, d'autre part, d'identifier les sources des changements dans le niveau de vie d'une période à la suivante.

Le tableau 2 présente une telle décomposition pour les deux périodes qui nous intéressent, soit 1961-1973 et 1974-1993. Les sections qui suivent passent en revue le rôle de chacun des cinq facteurs identifiés.

3. LA BASE DÉMOGRAPHIQUE Les changements dans la base démographique de l'économie ont

joué dans le passé et joueront dans l'avenir un rôle important dans l'évolution du niveau de vie moyen. La figure 2 montre que, de 1961 à 1980, la population en âge de travailler (15 à 64 ans) a crû beaucoup plus rapidement que la population totale, essentiellement en raison de l'entrée progressive des babyboomers dans la vie adulte et de l'effondrement concomitant de la natalité. Environ 30 % de la hausse annuelle du niveau de vie (1,2 % sur 3,8 %) pendant la période 1961-1973 est attribuable à l'explosion, économiquement favorable, du rapport démographique pur entre le nombre de pourvoyeurs potentiels et le nombre de bouches à nourrir.

La figure 2 montre aussi qu'après avoir plafonné en 1980, la base démographique s'est mise à diminuer doucement depuis 1985: une fois les babyboomers devenus adultes et la natalité stabilisée, le poids croissant des aînés a commencé à dominer la scène. Le tableau 2 indique que la stabilisation, puis la diminution récente, du poids démographique des 15 à 64 ans explique la moitié du ralentissement de la hausse annuelle du niveau de vie collectif qui s'est produit entre la période 1961-1973 et la période 1974-1993 (0,9 % sur 1,7 %). A moins d'un revirement peu vraisemblable de la fécondité, la base démographique continuera à se rétrécir lentement dans la prochaine décennie, puis de façon accélérée par la suite lorsque les babyboomers atteindront l'âge de la retraite. La démographie n'a donc pas fini d'exercer, par ce biais, un impact défavorable sur la tendance du revenu réel par habitant. Il s'agit d'un phénomène quasi-incontournable sur lequel la politique économique et sociale n'a guère de prise.

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TABLEAU 3 2

Décomposition du taux de croissance annuel moyen du niveau de vie en cinq facteurs explicatifs,

Québec, 1961-1973 et 1974-1993

Facteur explicatif Période Variation 1961-1973 1974-1993

Base démographique 1,2% 0,3% -0,9%

Termes d'échange 0,0% 0,2% +0,2%

Productivité 2,2% 1,1% -1,1%

Taux d'activité 0,6% 0,8% +0,2%

Taux d'emploi -0,2% -0,3% -0,1%

Niveau de vie 3,8% 2,1% -1,7%

NOTE: Le niveau de vie est le revenu réel par habitant, qui est égal au produit intérieur brut divisé par la population totale et par l'indice des prix de la demande intérieure finale. Ce concept est, par définition, égal au produit de cinq facteurs: la base démographique (rapport entre la population de 15 à 64 ans et la population totale), le taux d'activité (rapport entre la population active et la population de 15 à 64 ans), le taux d'emploi (rapport entre l'emploi total et la population active), la productivité (rapport entre le volume de production intérieure et l'emploi total) et les termes d'échange (rapport entre l'indice des prix de la production intérieure et l'indice des prix de la demande intérieure finale). Le taux de croissance du niveau de vie qui apparaît à la dernière ligne est donc exactement égal à la somme des taux de croissance des cinq facteurs qui sont rapportés dans les cinq lignes précédentes.

SOURCE DES DONNÉES: Statistique Canada.

Figure 2: BASE DEMOGRAPHIQUE Population de 15 a 64 ans en % de la populat ion totale

Québec, 1961-1993

Source des données: Stat i s t ique Canada.

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12 4. LES TERMES D'ÉCHANGE

La progression plus lente du niveau de vie depuis 1974 ne découle pas d'une détérioration de nos termes d'échange. Comme le révèle la figure 3, ces derniers ont oscillé autour d'un niveau à peu près stable de 1961 à 1973. Depuis lors, ils ont plutôt eu tendance à s'améliorer, soit en moyenne de 0,2 % par année. Au bout de vingt ans, cela ajoute à peu près 4 % à notre niveau de vie actuel.

Comme rapport entre le prix moyen de ce nous vendons et le prix moyen de ce que nous achetons, nos termes d'échange varient essentiellement en fonction des mouvements du rapport entre nos prix à l'exportation et nos prix à l'importation. En effet, dans ce rapport de prix, les transactions entre Québécois apparaissent deux fois: dans les prix de vente au numérateur et dans les prix d'achat au dénominateur. Leurs effets tendent ainsi à se canceller mutuellement, de sorte que les variations du rapport sont dominées par les mouvements des prix des transactions avec l'extérieur du Québec.

La figure 3 fait soupçonner (avec raison) que les changements dans les termes d'échange du Québec sont fortement influencés par les fluctuations dans les prix de nos exportations de ressources naturelles ou de produits dérivés (électricité, bois d'oeuvre, pâtes et papiers, métaux et minéraux, et transformation de ces produits). Les sommets de 1980 et de 1988 et les creux de 1985 et 1992, par exemple, sont facilement reconnaissables. Ces prix sont établis au niveau international, ils sont instables et difficiles à prévoir, et le Québec ou le Canada ne peuvent guère en influencer l'évolution qu'à la marge.

5. LA PRODUCTIVITÉ La contribution de la productivité à l'enrichissement

collectif et à ses fluctuations a été dominante dans le passé et le demeurera dans l'avenir. Le tableau 2 permet de constater que, selon les périodes, de 50 à 60 % de la progression annuelle moyenne du niveau de vie est attribuable aux gains de productivité, soit 2,2 % sur 3,8 % en 1961-1973 et 1,1 % sur 2,1 % en 1974-1993.

Le tableau 2 révèle également que, d'une période à l'autre, le ralentissement de la productivité est bien la principale source de la hausse moins rapide du niveau de vie. Il en explique en fait les deux tiers (1,1 % sur 1,7 %). La figure 4 montre que l'évolution de la productivité possède les mêmes caractéristiques que celle du niveau de vie lui-même: elle a toujours été à la hausse, sauf de façon passagère en période de récession, et elle a été plus lente et plus irrégulière depuis 1974 qu'antérieurement.

Figure 3: TERMES D'ÉCHANGE Rapport entre prix de v e n t e et prix d'achat intérieurs

Québec, 1961-1993 (1986=100)

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Figure 4: PRODUCTIVITE Volume de product ion par personne employée

Québec, 1961-1993 ($ constants de 1986)

Source des données: Stat ist ique Canada.

15 Le tableau 2 montre enfin que, si on fait abstraction du

comportement de la base démographique pour se concentrer sur les facteurs purement économiques, la domination du facteur productivité comme source du ralentissement du niveau de vie apparaît encore plus complète. La somme des taux de croissance du taux d'activité, du taux d'emploi, de la productivité et des termes d'échange, qui mesure la croissance du revenu réel par habitant de 15 à 64 ans, est en effet passée de 2,6 % par an en 1961-1973 à 1,8 % par an en 1974-1993, ce qui représente une baisse annuelle de 0,8 %. Or, cette baisse est plus qu'entièrement expliquée par le ralentissement de la productivité (1,1 % par an), les autres facteurs économiques ayant collectivement atténué la chute.

Le phénomène du ralentissement de la productivité depuis 1973 n'est pas exclusif au Québec. Le tableau 3 révèle qu'il a touché à divers degrés toutes les économies industrielles. L'Europe et, surtout, le Japon ont bénéficié jusqu'en 1973 d'un essor exceptionnel de leur productivité, mais ont subi depuis lors une chute très marquée de sa progression annuelle. La productivité nord-américaine croissait moins vite qu'ailleurs en 1961-1973, mais elle a, en contrepartie, connu un ralentissement moins prononcé en 1974-1993. Des cinq expériences décrites au tableau la chute d'une période à l'autre a été la plus forte au Japon et la plus faible au Québec.

Au total, de 1974 à 1993, la productivité a progressé plus rapidement au Québec qu'en Ontario et aux États-unis, ce qui a permis à notre niveau de vie de s'approcher de la moyenne continentale. Le rattrapage québécois par rapport à l'Ontario a été particulièrement marqué pendant les années 1974 à 1981, alors que le rapport Québec-Ontario des productivités est passé de 85 à 95 %. Cependant, la productivité québécoise a connu un repli relatif après 1983, pour finalement s'établir à 92 % de la productivité ontarienne en 1993.

Les causes du ralentissement universel de la productivité dans les pays industriels depuis 1974 demeurent mystérieuses. Les gains de productivité découlent du progrès des connaissances et des applications technologiques, de la qualité de la main-d'oeuvre et du fonctionnement des organisations. La recherche contemporaine en la matière a jusqu'ici proposé trois sortes d'explications au freinage observé: technologique, sociale et politique.6

Du côté technologique, l'hypothèse la plus répandue veut que ce soit la période 1945-1975 qui ait été exceptionnelle sur le plan de la croissance dans les deux derniers siècles. Ces "trente années glorieuses", comme on les appelle; ont en effet été témoins d'une

6 Paul Krugman passe en revue ces explications dans son petit livre intitulé Peddling Prosperity. Norton, New York, 1994, chapitre 2.

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TABLEAU 3

Taux de croissance annuel moyen de la productivité dans cinq régions industrialisées, 1961-1973 et 1974-1993

Période Japon Europe États-unis Ontario Québec

1961-1973 8,1% 4,3% 2,0% 2,8% 2,2%

1974-1993 2,7% 1,9% 0,6% 0,8% 1,1%

Variation -5,4% -2,4% -1,4% -2,0% -1,1%

NOTES: La productivité est le volume annuel de production intérieure (PIB) en unités monétaires constantes divisé par l'emploi total (la production par personne employée). L'Europe ne comprend ici que l'Allemagne, la France, l'Italie et la Grande-Bretagne .

SOURCES DES DONNÉES: Organisation de coopération et de développement économiques; Statistique Canada.

17 extraordinaire période de rattrapage par suite du double retard qui s'était creusé antérieurement. Un retard temporel dans les applications technologiques s'était en effet accumulé pendant les années de la Dépression de 1929-1939, puis de la Guerre de 1939-1945. Un retard spatial de l'Europe et du Japon par rapport à l'Amérique du Nord devait également être comblé par la reconstruction de l'après-guerre et la convergence vers la technologie nord-américaine.

Les années 1970 auraient été marquées par l'épuisement des potentialités de la vieille vague technologique fondée sur l'électricité, l'automobile, la télévision. Depuis lors, on traverserait une période d'attente avant l'exploitation plus complète de la nouvelle vague technologique basée sur l'information, les communications et les transports. Dans un texte récent, l'historien Paul David rappelle qu'il a fallu ainsi attendre plusieurs décennies avant que l'invention du moteur électrique ne révolutionne l'infrastructure économique au début du XXe siècle.7 Plusieurs prévoient la même sorte de délai de gestation dans le cas de la révolution microélectronique.

Les explications sociale et politique du ralentissement de la productivité sont beaucoup plus incertaines et controversées. Elles vont de l'augmentation de la permissivité (les effets "docteur Spock", "Woodstock" ou "mai 68") et de la baisse de l'éthique du travail à la détérioration de la qualité de l'éducation et de l'environnement familial et social, en passant par l'alourdissement des impôts et des réglementations. Il y a sans doute un grain de vérité dans chacune de ces explications, mais il n'y a pas de consensus quant à leur pertinence et à leur importance individuelle et collective.

Il est, a fortiori, difficile de prévoir l'avenir des gains de productivité. Tablant sur la vague actuelle de restructuration des entreprises et sur les promesses de la révolution électronique, les optimistes prédisent une accélération prochaine et permanente de la productivité. Les sceptiques soulignent, pour leur part, que le redressement de la productivité qui est habituellement observé au sortir d'une récession ne s'est même pas produit cette fois-ci et qu'il est présomptueux de prévoir autre chose qu'un retour progressif à la tendance des vingt dernières années. Dans l'ensemble, les prévisionnistes canadiens et québécois partagent cet avis et prédisent du pareil au même. S'il faut résumer sur une note positive, notons qu'il ne se trouve personne pour envisager une nouvelle décélération permanente de la productivité.

7 Paul David, "Computer and dynamo: The modem productivity paradox on a not-too-distant mirror", Document de recherche, Université Stanford, 1993.

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6. LE TAUX D'ACTIVITÉ En augmentant continuellement depuis 1961, et plus rapidement

encore depuis 1974, le taux d'activité de la population de 15 à 64 ans a favorisé l'essor du niveau de vie des Québécois. La proportion croissante des adultes qui sont prêts à travailler augmente la capacité de notre économie à produire des biens et des services. Cela est précieux au moment meme où la proportion des 65 ans ou plus (pour la plupart inactifs) dans la population totale commence à croître et à agir en sens inverse. La figure 5 illustre le passage du taux d'activité des 15 à 64 ans de 60 % en 1961 à 74 % en 1990. Cette évolution d'ensemble cache deux tendances opposées: une forte augmentation du taux d'activité des jeunes et des femmes, associée à des facteurs économiques et culturels profonds, et une lente diminution du taux d'activité des hommes de plus de 55 ans, reliée en partie à l'amélioration des régimes de retraite et de sécurité du revenu.

Ces tendances de la population active paraissent lourdes. Elles se poursuivront sans doute encore pendant plusieurs années. Un scénario plausible, bien qu'incertain, est que le taux d'activité atteigne son apogée dans une vingtaine d'années à un niveau d'environ 80 %, alors que le taux féminin aurait presque reioint celui des hommes. La convergence étant asymptotique, les augmentations annuelles du taux d'activité et leur contribution à l'enrichissement collectif se feront de plus en plus modestes dans les années à venir. On peut raisonnablement envisager qu'après le retour à la normale au sortir de la récession, elles soient de l'ordre de 0,4 % par année plutôt que de 0,8 % comme pendant les vingt dernières années.

7. LE TAUX D'EMPLOI En baissant continuellement d'une décennie à la suivante,

notre taux d'emploi a freiné la progression du niveau de vie, soit de 0,2 % par année en 1961-1973 et de 0,3 % par année en 1974-1993. Notre économie n'a pu employer qu'une proportion décroissante des Québécois qui désiraient travailler. Une façon complètement équivalente de présenter cette évolution défavorable est d'observer, comme on peut le faire sur la figure 6, que notre taux de chômage moyen a presque doublé entre les années 1960 et les années 1980-1990, passant de 6 % à 11 %. Depuis 1979, le taux de chômage au Québec n'est jamais descendu en-dessous de 9 %. La figure montre également qu'en raison des récessions de 1982 et de 1990, l'instabilité de l'emploi a été très vive dans la période récente.

Sans cette évolution déplorable, le niveau de vie actuel des Québécois serait sensiblement plus élevé. Pour fixer les idées, supposons que le taux de chômage se soit par exemple établi à 7,5 % en 1993, plutôt qu'à 13 % comme ce fut en fait le cas. La

Figure 5: TAUX D'ACTIVITE Population active en % de l a populat ion de 15 a 64 ans

Québec, 1961-1993

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Figure 6: TAUX DE CHÔMAGE Chômeurs e n % de la populat ion active

Québec, 1961-1993

Source des données : Stat ist ique Canada .

21 conséquence directe aurait été un taux d'emploi de 92,5 %, soit 5,5 % de plus que le niveau observé de 87 %. La conséquence indirecte aurait été que le taux d'activité, qui varie en raison inverse du taux de chômage, aurait probablement atteint 76 %, soit 6 % de plus également que le niveau observé de 72 %. Au total, l'emploi et le niveau de vie auraient donc été supérieurs de 12 % aux niveaux de 1993. Le PIB québécois de 1993 aurait atteint 180 milliards $ plutôt que seulement 160 milliards $.

Le tableau 4 montre que la hausse du chômage entre les années 1960 et les années 1979-1993 est un phénomène commun à l'ensemble des pays membres de l'OCDE. Mais dire que le Québec a suivi ici le mouvement mondial n'est qu'une demi-vérité. Nous avons fait moins bien que la plupart des autres.

Le tableau rapporte en effet que le taux de chômage moyen des quinze dernières années au Québec (11,3 %) dépasse celui de la plupart des autres régions industrialisées. Parmi les pays, il n'y a que l'Irlande (13,9 %) et l'Espagne (17,1 %) pour "battre" le Québec sur ce plan. En Amérique du Nord, seules quelques régions en difficulté comme la Louisiane, la Virginie occidentale ou les provinces de l'Atlantique affichent un moins bon rendement que le Québec en matière d'emploi. Le tableau révèle aussi que la montée du taux de chômage au Québec depuis les années 1960 est parmi les plus importantes du monde industriel. Elle est comparable à la forte augmentation observée dans l'Union européenne (UE) et en Australasie. Et elle est beaucoup plus marquée que l'augmentation modérée enregistrée dans les "autres pays d'Europe" (Suisse, Autriche et Scandinavie), aux États-unis et au Japon.

La recherche contemporaine a retenu deux grandes causes de l'augmentation généralisée du chômage depuis vingt ans: d'une part, les nombreuses récessions déclenchées à dessein par les banques centrales pour combattre l'inflation et, d'autre part, les grandes mutations structurelles qui ont secoué l'économie mondiale.8

Dans le premier cas, on souligne les conséquences dévastatrices pour l'emploi de la politique anti-inflationniste poursuivie par les banques centrales depuis 1979. Le fer de lance de ce combat contre l'inflation est l'établissement des taux d'intérêt à un niveau élevé. Cela engendre une récession par contraction de la demande globale de biens et de services, de la production et de l'emploi. La modération des hausses de salaires et de prix suit.

8 Deux synthèses utiles sont celle de Charles R. Bean, "European unemployment: a survey", Journal Qf Economic literature, vol. 32, n° 2, juin 1994, pp. 573-619; et celle de Richard Layard et Stephen Nickell, "Unemployment in the OECD countries", Document de recherche n° 81, Centre for Economic Performance, London School of Economics, juin 1992.

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TABLEAU 3 4

Taux de chômage dans les pays de l'OCDE: une comparaison des années 1964-1973 et 1979-1993

Pays ou région Niveau moven Augmentation 1964-1973 1979-1993

États-unis 4,4% 6,9% 2,5%

Canada (sauf Québec) 4,4% 8,8% 4,4%

Québec 5,9% 11,3% 5,4%

Japon 1,2% 2,4% 1,2%

Union européenne 2,7% 9,3% 6,6%

Autres pays d'Europe 1, 5% 3,1% 1,6%

Australie et Nouvelie-Zélande

1,7% 7,7% 6,0%

Ensemble d e s p a y s 3,0% 7,1% 4,1%

NOTES: Les chiffres présentés couvrent tous les pays membres de l'OCDE sauf la Turquie. L'Union européenne comprend douze pays: l'Allemagne, l'Angleterre, la Belgique, le Danemark, l'Espagne, la France, la Grèce, la Hollande, l'Irlande, l'Italie, le Luxembourg et le Portugal. Les "autres pays d'Europe" regroupent les six pays suivants: l'Autriche, la Finlande, l'Islande, la Norvège, la Suède et la Suisse.

SOURCE DES DONNÉES: Organisation de coopération et de développement économiques.

Ce diagnostic s'applique avec une force particulière dans le cas du Canada. Comme l'indique la figure 7, l'écart entre le taux d'intérêt à court terme (90 jours) et le taux d'inflation, c'est-à-dire le taux d'intérêt réel. est passé d'un niveau moyen de 1,6 % en 1961-1980 à un niveau trois fois plus élevé de 4,9 % en 1981-1993. Par ce moyen, le Canada a réussi à éliminer en deux étapes l'inflation de 12 % dont il avait hérité par suite des secousses alimentaires, énergétiques et autres ayant marqué les années 1970. On peut en effet observer à la figure 8 que la récession de 1982 a tout d'abord fait diminuer le taux d'inflation de 12 % à 5 %, puis que celle de 1990 a complété la tâche, faisant atterrir le taux d'inflation autour de 1 % en 1992-93.

Ces deux récessions furent les pires que le Québec et le Canada aient subies depuis la Grande Dépression des années 1929-1933. La récession canadienne de 1990 fut également la plus profonde parmi celles qui ont touché les pays industriels ces dernières années. Elle a été notamment trois fois plus forte qu'aux États-unis. Ce n'est pas un hasard que le Canada affiche en 1994 l'un des taux d'inflation les plus bas et l'un des taux de chômage les plus élevés du monde industriel. La Banque du Canada a tout simplement visé l'objectif "inflation zéro" avec plus de conviction que les autres banques centrales et, pour atteindre cet objectif, elle n'a pas lésiné sur les moyens.®

Les grandes mutations structurelles constituent la seconde cause de l'augmentation généralisée du chômage. On pense ici à des phénomènes tels que la mondialisation de la concurrence, la révolution technologique dans les transports, les communications et l'information, l'instabilité accrue du secteur des ressources naturelles et l'élévation des exigences de scolarisation. Dans ce dernier cas, le Québec est tout particulièrement désavantagé par le fait qu'il affronte les nouveaux défis de l'économie avec une population qui, malgré les remarquables progrès des trois dernières décennies, est encore, dans l'ensemble, moins scolarisée qu'en Ontario et dans les autres pays industriels.

Divers mécanismes font persister pendant plusieurs années les effets défavorables des politiques anti-inflationnistes et des mutations structurelles sur l'emploi. On pense notamment à la chute des investissements en période de ralentissement économique, à la déqualification et au découragement des chômeurs chroniques et à l'hésitation des employeurs à réembaucher ces derniers.

Enfin, dans sa recherche des facteurs de différenciation des expériences nationales, la littérature contemporaine a montré que

* En moyenne, le taux d'intérêt réel sur le papier commercial américain (90 jours) fut de 1,1 % en 1961-1980 et de 3,7 % en 1981-1993. La hausse fut donc mondiale, mais nettement plus prononcée au Canada qu'aux États-unis.

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10.0

Figure 7: TAUX D'INTÉRÊT Taux réel du papier commercia l a 90 jours (en %)

Canada, 1961-1993

-5.0-1 1 I 1 I 1 I i I ' | i | i-i—r r i I i I i I i I 62 64 66 68 70 72 74 76 78 80 8 2 8 4 86 88 90 92

Source des données: Banque du Canada.

Figure 8: TAUX D'INFLATION Variat ion a n n u e l l e des pr ix a la c o n s o m m a t i o n (en %)

Canada, 1961-1993 15.0

12.5-

10.0

7.5-

5.0

2.5

0.0 62 64 66 68 70 72 74 76 78 80 82 84 86 88 90 92

Source des données: Stat i s t ique Canada.

I—I—n-r I ' I

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26

la hausse du chômage a été moins prononcée depuis vingt ans dans les pays où les salaires sont plus flexibles et s'adaptent plus rapidement à la conjoncture, où les changements dans l'organisation du travail sont acceptés plus volontiers par les entreprises et les travailleurs, où le degré de concertation entre syndicats et patronat sur les cibles nationales d'inflation et de chômage à poursuivre est élevé et où l'aide aux chômeurs est plus active en éducation et en formation et moins centrée sur le soutien passif au revenu.

Un phénomène de renforcement mutuel de ces caractéristiques serait à l'oeuvre, puisqu'un bas niveau de chômage encourage à son tour la flexibilité et l'adaptation, la concertation entre partenaires de l'économie, l'investissement en éducation et en formation et une aide plus active aux chômeurs. Le contexte canadien des vingt dernières années n'a guère paru favorable au développement de ces caractéristiques.

Que nous réserve l'avenir? La profondeur et la durée de la dernière récession semblent accréditer les scénarios pessimistes sur l'évolution future de la croissance économique, de l'emploi et des finances publiques. La figure 9 révèle que, depuis le sommet conjoncturel de 1988-89, le volume de production intérieure que nous avons réalisé n'a pu atteindre qu'un pourcentage sans cesse décroissant de notre potentiel économique véritable. En 1993, le Québec n'a pu en fait réaliser qu'environ 90 % de son potentiel (non inflationniste) véritable.10 Si on définit la reprise comme une situation où le PIB réalisé se remet à augmenter plus vite que le PIB potentiel et à refermer l'écart creusé entre les deux par la récession, alors un tel rattrapage vient à peine de commencer en 1994, sous l'influence conjuguée de la reprise américaine, de la baisse des taux d'intérêt et de la dépréciation du dollar canadien.11

10 La figure est construite sous l'hypothèse que le Québec a réalisé 100% de son potentiel non inflationniste en 1979 et en 1988, alors que son taux de chômage était chaque fois de 9,5% environ. Le PIB potentiel est obtenu approximativement en traçant une ligne droite entre ces deux années et en la prolongeant jusqu'en 1993. Le PIB potentiel est alors supposé croître au rythme auquel le PIB réel a lui-même augmenté en moyenne de 1979 à 1989, soit 2,8% par an. Cette méthode de calcul est assez grossière, mais ses résultats sont confirmés par d'autres, plus raffinées, comme la méthode d'Okun ou la méthode de décomposition.

11 Cette définition de la reprise est relative, car elle compare la croissance du PIB réel à celle du PIB potentiel (2,8%). Une définition absolue de la reprise, souvent utilisée, fait débuter celle-ci au moment où le niveau absolu du PIB réel cesse de baisser pour recommencer à croître. Selon la première définition, la reprise est amorcée au Canada depuis le printemps de 1991; selon

Figure 9: TAUX DE REALISATION DU POTENTIEL PIB réalisé en % du PIB potentiel

Quebec, 1979-1993

la seconde, depuis l'hiver de 1994 seulement. La divergence vient du fait qu'entre ces deux dates, le PIB réel a -bel^etbien progressé, mais à un rythme-annuel inférieur à 2,8%. Pour qufe—le chômage baisse, la croissance "doit dépasser ce seuil critique. L'analyse économique et le simple bon sens s'accordent évidemment pour préférer la définition relative à la définition absolue.

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28 Comme la plupart, nous sommes d'avis que la reprise sera lente

et que le pays ne retournera pas au plein emploi avant la fin de la décennie, car la reprise américaine est modeste (comme la récession qui l'a précédée), la politique budgétaire fédérale est restrictive et la banque centrale réagit aux attaques spéculatives périodiques contre le dollar canadien de manière assez systématique, en faisant , remonter les taux d'intérêt. Cependant, la tendance au 1

raffermissement de l'économie, bien que plus timide qu'on le / voudrait, est au rendez-vous: pendant les années à venir, la croissance du PIB réel dépassera celle du PIB potentiel et le chômage diminuera. En somme, contrairement à la situation de 1990-1993, la conjoncture des prochaines années favorisera une croissance plus rapide du niveau de vie et un assainissement des finances publiques. Nous y reviendrons plus loin dans la seconde partie de l'étude.

8. RÉPARTITION DU REVENU ET BASE FISCALE

Dans la plupart des pays industriels, on a observé une importante augmentation des inégalités de revenu depuis une quinzaine d'années." Le phénomène est particulièrement marqué aux États-unis. Un chercheur du M.I.T. a résumé ainsi l'évolution récente dans ce pays: "Pendant les années 1980, le plus riche 1 % des familles américaines s'est accaparé de 70 % de l'augmentation du revenu familial moyen."" Au Canada, les données disponibles nous permettent d'affirmer qu'au cours de la même période, le plus riche 20 % des familles s'est accaparé de 90 % de l'augmentation du revenu moyen.14

La forte augmentation des taux d'intérêt et des revenus de propriété depuis 1980 est un facteur explicatif important de la hausse des inégalités de revenu. Mais les gains salariaux sont, eux aussi, plus inégalement répartis qu'il y a quinze ou vingt ans. Dans une étude fort étoffée de la question pour l'ensemble du Canada, Morissette, Myles et Picot caractérisent comme suit cette évolution dans l'ensemble du Canada:

1) Globalement, la hausse des inégalités salariales est un phénomène important et durable. De 1973 à 1989, parmi ceux qui travaillent à plein temps toute l'année, les gains salariaux en dollars constants ont baissé de 7 % chez les hommes et de 3 % chez

12 Voir Organisation de coopération et de développement économiques, Perspect ives d'emploi de T o c n ^ Paris, 1993.

13 Paul Krugman, "The right, the rich, and the facts", The American p r o s p e c t , n° n , automne 1992, pp. 1 9 - 3 1 .

14 Voir Statistique Canada, Répartition du revenu au Canada selon la taille du revenu, n° de cat. 13-207.

29 les femmes dans le quintile inférieur des revenus, mais ont augmenté de 9 % chez les hommes et de 26 % chez les femmes dans le quintile supérieur.

2) Contrairement à l'opinion répandue, pas plus de 20 % de la hausse des inégalités salariales peut être attribuée aux changements dans la composition de l'emploi par secteur industriel ou par catégorie professionnelle.

3) Les inégalités salariales se sont accrues entre groupes d'âge (comme aux États-unis), mais non entre niveaux d'instruction (contrairement aux États-unis). De 1981 à 1988, parmi ceux qui travaillent à plein temps toute l'année, les gains salariaux en dollars constants ont baissé de 8 % chez les hommes et de 3 % chez les femmes dans le groupe des 17 à 34 ans, mais ont augmenté de 7 % chez les hommes et les femmes de 45 à 64 ans.

4) L'inégalité croissante des gains salariaux découle surtout d'une répartition plus inégale des heures travaillées, plutôt que d'une répartition plus inégale des taux de salaire horaires (contrairement aux États-unis). Les écarts de taux de salaire entre travailleurs plus jeunes et travailleurs plus âgés se sont néanmoins fortement creusés, à l'avantage de ces derniers.

5) La polarisation accrue des heures travaillées ne dépend pas seulement de la montée du travail à temps partiel, mais aussi, et encore plus, d'une augmentation notable de la proportion des salariés qui travaillent plus de 40 heures par semaine.15

Malgré tout, répétons que la montée des inégalités et de la pauvreté depuis quinze ans a été beaucoup moins prononcée au Canada qu'aux États-unis. Dans une série d'études récemment publiées par le National Bureau of Economic Research, des chercheurs américains, canadiens et québécois ont tenté d'expliquer cette différence d'évolution entre les deux pays." Pour une part importante, ils l'attribuent à deux grandes causes: 1) la stabilité du taux de syndicalisation au Canada, qui contraste avec sa chute très marquée aux États-unis; 2) une protection financière plus étendue et plus généreuse accordée aux personnes et aux familles à faible revenu par les programmes sociaux au Canada qu'aux États-unis.

1B René Morissette, John Myles et Garnett Picot, "Earnings inequality and the distribution of working time m Canada , Canadian Business Economics, vol. 2, n° 3, printemps 1994, pp. 3-16 Lerdonnéerspécifiques au Québec ne sont malheureusement pas disponibles.

16 David Card et Richard B. Freeman (sous la dir. de), Smal l Differences that Matter: hn*nr MarKets z f l ? ^ J l ^ ^ g ^ g , ^ Canada and t ^ united states. University of Chicago Press, Chicago, 1993 .

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30 Comment la hausse des inégalités de revenu au Canada a-t-elle

pu influer sur les recettes fiscales? Pour un ensemble donné de taux d'imposition sur les diverses assiettes fiscales (masse salariale, bénéfices des sociétés, revenu des particuliers, consommation, etc.), l'augmentation des recettes fiscales est beaucoup plus étroitement reliée à la hausse du revenu national global (ou du revenu moyen par habitant) qu'à sa répartition entre les groupes sociaux.

Car, en première approximation, la répartition plus inégale d'un revenu moyen donné entraîne une augmentation des impôts des plus riches et une réduction des impôts des plus pauvres. L'effet net des inégalités accrues sur les perceptions totales devrait donc être beaucoup plus faible que l'effet d'une variation du revenu moyen lui-même. Cela est d'autant plus vrai que l'analyse des sections précédentes a déjà tenu compte des variations de revenu national engendrées par les changements du niveau de l'emploi. Les effets des mouvements de la répartition du revenu qui sont envisagés ici sont donc seulement ceux qui ont pu découler d'une distribution plus inégale des taux de salaire horaires, des heures hebdomadaires de travail des personnes employées et des revenus de propriété (intérêts, dividendes, loyers, etc.).

Notre scepticisme quant à l'importance de l'effet net des inégalités de revenu accrues sur les recettes fiscales ne saurait toutefois remplacer une évaluation quantitative adéquate. Pour l'instant, nous ne disposons tout simplement pas des données nécessaires pour trancher la question.

La hausse des inégalités sociales entraîne cependant des conséquences majeures pour les dépenses dans le domaine de la protection du revenu. Pour des paramètres de programmes donnés, par exemple, la hausse du chômage fait augmenter les dépenses d'assurance-chômage au niveau fédéral et les dépenses d'aide sociale dans les provinces. L'espace budgétaire accru qu'occupent ces programmes réduit celui qui peut être consacré aux autres programmes en matière d'éducation, de santé, de services sociaux, de transports, etc., ou conduit à un accroissement des déficits, ou encore entraîne un alourdissement de la fiscalité.

Ces observations ne sont pas que théoriques. En 1993, au Canada, un taux de chômage de 6 % plutôt que de 11 % aurait produit des dépenses fédérales de 8 milliards S plutôt que de 15 milliards $ en prestations ordinaires d'assurance-chômage. De même, si le taux de présence à l'aide sociale au Québec avait été le même en 1993 qu'en 1975, les dépenses du Gouvernement en matière de sécurité du revenu se seraient chiffrées à environ 2,0 milliards $ plutôt qu'à 3,8 milliards $. Les sommes impliquées ne sont donc pas négligeables.

31 9. CONCLUSION SUR L'ÉVOLUTION MACROÉCONOMIQUE

Le taux de croissance annuel moyen du revenu réel par habitant au Québec a ralenti depuis 1974, passant de 3,8 % en 1961-1973 à 2,1 % en 1974-1993. Non seulement la croissance est-elle maintenant moins rapide, mais elle est également plus irrégulière.

Nous avons présenté une explication du ralentissement et de l'instabilité accrue fondée sur une décomposition de la croissance en cinq sources ultimes: base démographique, termes d'échange, productivité, taux d'activité et taux d'emploi (ou, inversement, de chômage). Le retournement à la baisse de la base démographique, le ralentissement de la productivité et la montée du chômage sont à la source du ralentissement tendanciel marqué du niveau de vie moyen des Québécois. Leur effet défavorable n'a pu être renversé par l'évolution favorable du taux d'activité et des termes d'échange. Quant à la plus grande irrégularité de la progression du niveau de vie, elle est surtout attribuable aux importantes récessions anti-inflationnistes de 1982 et de 1990.

Il n'y a aucune raison de croire que la stagnation des quatre dernières années, associée à la récession de 1990 et à ses séquelles, persistera encore longtemps et qu'on assistera à une nouvelle inflexion permanente de la croissance économique au Québec. La reprise sera peut-être lente, mais les années futures seront témoins d'une diminution progressive du chômage. La base démographique et le taux d'activité évolueront dans une direction moins favorable à la croissance qu'autrefois, mais le taux l'emploi et, possiblement, la productivité encourageront la hausse du niveau de vie. L'avenir des termes d'échange dépend du comportement des prix des produits de base à l'échelle mondiale; elle reste difficile à prévoir.

Nous en concluons que, si l'évolution du revenu global qui sert de base à la fiscalité a été récemment défavorable à la croissance des services publics, c'est surtout en raison de la récession de 1990-1993. Le ralentissement de croissance permanent amorcé en 1974 est toujours avec nous, mais ce n'est rien de nouveau. La reprise qui a commencé à se manifester en 1994 nous ramènera sans doute peu à peu au niveau de cette tendance longue d'ici la fin de la présente décennie. Par la même occasion, la pression financière sur le système de sécurité du revenu se relâchera et aidera au retour de la croissance normale dans les autres services publics.

Dans les circonstances, il importe à notre avis de garder l'oeil sur la longue période sans pour autant négliger les contraintes de court terme. Les temps difficiles ont la vertu de forcer des remises en question, des restructurations de l'appareil, des améliorations dans l'organisation du travail et dans la productivité du système. Il nous apparaît intéressant de tirer le meilleur parti de ces circonstances. Mais il nous apparaît

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également important d'éviter que des difficultés de nature temporaire servent de prétexte à la liquidation irréfléchie de programmes et d'institutions que les générations qui nous précèdent ont mis des décennies à construire et que nos concitoyens désirent ardemment protéger des intempéries économiques.

33 DEUXIÈME PARTIE:

LA QUESTION BUDGÉTAIRE Dans cette partie du travail, nous décrivons et expliquons

l'évolution des finances du Gouvernement du Québec depuis 1970. La croissance du revenu national, dont nous avons analysé la tendance et les fluctuations en première partie, est l'un des éléments les plus importants de l'évolution historique des finances du Québec, mais non le seul. Le niveau et la structure de la fiscalité, qui déterminent quelle fraction de ce revenu national est taxée, les arrangements fiscaux fédéraux-provinciaux, l'élan des dépenses de programmes, le taux d'intérêt moyen qu'il faut payer sur la dette et, enfin, le processus dynamique d'accroissement de la dette par accumulation des déficits budgétaires annuels influent également tous ensemble sur l'évolution des finances publiques.

10. L'ÉQUATION BUDGÉTAIRE DU GOUVERNEMENT Il est impossible de comprendre les contraintes qui pèsent à

l'heure actuelle sur les finances du Gouvernement du Québec sans énoncer clairement l'équation budgétaire qui fait la synthèse de tous les éléments qui viennent d'être mentionnés. Cette équation est la suivante: (2) DÉFICIT = DÉPENSES TOTALES - REVENUS TOTAUX

4 895 $ = 40 980 $ - 36 085 $ Les chiffres qui apparaissent sous l'équation sont ceux de l'année financière 1993-94, tels que présentés dans le Discours sur le budget de mai 1994.17

Les dépenses totales se décomposent en deux postes majeurs: les dépenses de programmes (dépenses courantes et immobilisations) et les intérêts sur la dette (ou "service" de la dette). Ainsi: (3) DÉPENSES TOTALES = DÉPENSES DE PROGRAMMES + SERVICE DE LA DETTE

40 980 $ 35 664 $ + 5 316 $ En 1993-94, les trois quarts des dépenses de programmes

étaient réalisées pour la santé et les services sociaux (35 %), l'éducation (28 %) et la sécurité du revenu (12 %). Le premier et le troisième de ces postes recouvrent le domaine de la santé et du bien-être; ensemble, ils constituent donc presque la moitié des

17 Les chiffres rapportés sous l'équation 2 et sous les équations 3 à 8 plus loin sont exprimés en millions de dollars courants. Par exemple, 4 895 $ signifie 4 895 000 000 $, et ainsi de suite.

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dépenses de programmes. On note aussi que le service de la dette représentait 13 % des dépenses totales.

Il est enfin commode d'exprimer le service de la dette comme le produit de la dette accumulée et du taux d'intérêt moyen que le gouvernement doit verser sur les divers emprunts passés qui la composent. En d'autres mots: (4) SERVICE DE LA DETTE = TAUX D'INTÉRÊT X DETTE ACCUMULÉE

5 316 $ = 9,03 % X 58 899 $ Le montant de 5 316 millions $ versé en intérêts par le Gouvernement en 1993-94 représentait 9,03 % de la dette de 58 899 $ qu'il avait accumulée à la fin de l'exercice financier précédent (au 31 mars 1993).

De leur côté, les revenus totaux comprennent deux postes majeurs: les revenus autonomes et les transferts fédéraux. On a donc: (5) REVENUS TOTAUX = REVENUS AUTONOMES + TRANSFERTS FÉDÉRAUX

36 085 $ = 28 313 $ + 7 772 $ En 1993-94, la plus grande partie des revenus autonomes (87 %)

était tirée des impôts (impôts sur les revenus, taxes à la consommation et droits et permis). Le reste (13 %) provenait des revenus des sociétés d'État (principalement la S.A.Q., Loto-Québec et Hydro-Québec) et de sources diverses (ventes de biens et services, intérêts sur placements, amendes, confiscations et recouvrements). Il nous arrivera fréquemment dans la suite d'étendre le terme "impôts" à l'ensemble des revenus autonomes plutôt que de le limiter aux 87 % qui constituent les impôts véritables. On comprendra qu'il s'agit d'un abus de langage destiné à simplifier l'exposé.

On note enfin qu'en 1993-94 le Québec tirait 21,5 % de ses revenus totaux de transferts en provenance du gouvernement fédéral. Il s'agissait surtout des paiements fédéraux de péréquation et des contributions fédérales aux programmes de santé, de bien-être et d'éducation post-secondaire.

Rassemblons maintenant les relations 2 à 5. En allégeant la notation, on obtient: (6) DEF = DP - IM - TF + R*DET Cette relation énonce que le déficit budgétaire (DEF) est égal aux dépenses de programmes (DP), moins les impôts (IM), moins les transferts fédéraux (TF), plus le service de la dette, qui est lui-même égal au produit du taux d'intérêt (R) et de la dette (DET).

35 L'équation 6 met en relief une notion fort utile, soit celle

de solde des opérations, que l'on définit comme suit:

(7) SO = IM + TF - DP 421 $ = 28 313 $ + 7 772 $ - 35 664 $

Il s'agit de l'excédent des revenus totaux (impôts et transferts fédéraux) sur les dépenses de programmes. En 1993-94, ce solde était positif: le Gouvernement enregistrait un surplus d'opérations de 421 millions $. Ce surplus résume l'impact financier des décisions budgétaires du Gouvernement, par opposition au terme R*DET dont les deux composantes, le taux d'intérêt et la dette déjà accumulée dans le passé, échappent à son contrôle direct et immédiat.

Des équations 6 et 7, on tire immédiatement que: (8) DEF = R*DET - SO

4 895 $ = 5 316 $ - 421 $ Cette relation stipule que le déficit budgétaire est égal au service de la dette, moins le solde des opérations.

11. LE DÉFICIT, LA CROISSANCE ET LA DYNAMIQUE DE L'ENDETTEMENT Dans l'analyse du fardeau fiscal, des services publics et de

l'endettement, il importe de conserver à l'esprit que les valeurs absolues des agrégats financiers en dollars n'ont pas d'importance en elles-mêmes. Ce qui compte, c'est leur poids relatif dans l'économie globale, c'est-à-dire la proportion du revenu national (PIB) qu'ils représentent. On ne se préoccupe pas de la dette publique parce qu'elle est élevée, mais parce qu'elle est élevée par rapport à la capacité de production du pays (le PIB). Une dette de 100 milliards $ est un fardeau minime pour les États-unis, gérable pour le Québec, mais absolument insupportable pour Haïti.

Il en va ainsi pour un pays comme pour une famille: la capacité de s'endetter n'est pas un absolu; elle est proportionnelle au revenu. Le vrai fardeau de la dette n'est pas son montant en dollars, mais le pourcentage du revenu qu'elle représente.

C'est pourquoi il sera souvent utile par la suite de réinterpréter les termes qui apparaissent dans les équations 6 à 8 comme des pourcentages du PIB. Ces équations peuvent continuer à être lues en dollars courants. Mais comme rien ne nous empeche de diviser les deux membres de chaque équation par la valeur du PIB, on peut également les lire comme une relation où les cinq éléments DEF, DP, IM, TF et DET expriment des pourcentages du PIB. Le

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30 symbole IM représentera dans ce cas la fraction du PIB qui est taxée, c'est-à-dire le fardeau fiscal global, et DET désignera le ratio dette/PIB, c'est-à-dire le fardeau de la dette.

Si ce n'est pas le montant absolu de la dette publique qui importe vraiment, mais plutôt son rapport au PIB, il s'ensuit qu'on ne se préoccupe pas de la dette parce qu'elle augmente, mais parce qu'elle augmente systématiquement plus vite que le PIB. En valeur absolue, la dette publique totale a assez continuellement augmenté au Canada depuis 1945, parce que les budgets publics ont été assez régulièrement déficitaires. Mais, de 1945 à 1975, personne ne s'en est inquiété, parce que les déficits annuels faisaient augmenter la dette moins vite que le PIB et que, par conséquent, le poids relatif de la dette dans l'économie, - le fardeau de la dette -diminuait continuellement.

L'inquiétude est apparue depuis 1975, après que les déficits annuels se soient mis à dépasser de façon systématique le seuil au-delà duquel la dette publique totale croît plus rapidement que le PIB. Le fardeau économique et financier de la dette n'a cessé de s'alourdir depuis. En soi, un déficit budgétaire ponctuel n'a rien d'inquiétant s'il sert à financer un haut niveau d'investissement public ou à compenser une déficience temporaire de la demande privée de biens et de services dans une récession. Ce qui doit plutôt préoccuper, c'est une situation où le rapport dette/PIB manifeste une tendance systématique à augmenter sans limite.

Pour comprendre la dynamique de l'endettement, il faut donc bien saisir le lien entre le ratio déficit/PIB (DEF) et la variation du ratio dette/PIB (DET) dans le temps. En valeur absolue ou en dollars courants, la dette augmente chaque année du montant du déficit budgétaire, tout simplement." Mais il n'en va pas de même pour le ratio dette /PIB, c'est-à-dire le fardeau de la dette. En effet, ce ratio est soumis à deux forces qui tirent dans des directions opposées. Le déficit fait croître le numérateur (la dette), mais la hausse du PIB fait croître le dénominateur. Le ratio dette/PIB va donc augmenter ou diminuer selon que le déficit fait croître la dette plus ou moins rapidement que le PIB.

" Ce n'est pas tout à fait exact. La variation de la dette d'une année à l'autre incorpore quelques éléments de plus que le déficit budgétaire: les placements, prêts et avances, la provision pour l'assainissement des eaux, la diminution nette de l'encaisse, les pertes nettes de change sur les emprunts en devises étrangères et les pertes nettes à divers petits postes non budgétaires. Nous en faisons abstraction afin de ne pas alourdir exagérément la présentation.

37 Cette observation élémentaire, mais capitale, s'exprime comme

suit:

(9) ADET = DEF - C*DET où le facteur "C" est le taux de croissance du PIB.19 Le second terme au membre de droite de cette équation (C*DET) calcule le niveau théorique de déficit qui ferait croître la dette exactement au même rythme (C) que le PIB. Si le déficit effectivement réalisé (DEF) dépasse ce seuil critique, le ratio dette/PIB (DET) augmente; sinon, il diminue.

Par exemple, à la fin de l'année financière 1992-93, la dette totale du Gouvernement avait atteint 58 899 millions $. Or, en 1993, le taux de croissance du PIB fut de 2,0 %. Un déficit budgétaire de 0,02*58 899 = 1 178 millions $ aurait donc fait croître la dette exactement du même pourcentage que le PIB pendant cette année et, par conséquent, stabilisé le ratio dette/PIB. Comme le déficit effectivement réalisé fut de 4 895 millions $, c'est-à-dire quatre fois plus important que le seuil de 1 178 millions $, le ratio dette/PIB a vivement progressé d'une année à l'autre, passant de 37,5 % du PIB à la fin de 1992-93 à 41,0 % du PIB à la fin de 1993-94.

12. LE SOLDE DES OPÉRATIONS ET L'ÉCART INTÉRÊT-CROISSANCE De cette analyse, on peut tirer trois enseignements

importants. Premièrement, le déficit budgétaire n'a pas besoin d'être nul pour que le poids de la dette dans l'économie diminue. Mais il ne doit pas être trop élevé, c'est-à-dire que son addition à la dette ne doit pas faire augmenter cette dernière plus rapidement que le PIB.

Deuxièmement, plus la croissance économique (C) est lente, plus il est facile pour le déficit réalisé (DEF) de dépasser le seuil critique (C*DET) au-delà duquel le poids de la dette dans l'économie augmente. Les années de croissance lente sont donc

19 Mathématiquement, soit D, B et Y les niveaux du PIB, du déficit budgétaire et de la dette (en fin de période), tous exprimés en dollars. Employons les indices 0 et 1 pour désigner les valeurs de ces variables dans une année de base et la suivante, respectivement. Par définition, on a Dx = Bt + D0, de même que C = (Yx - Y0)/Y0. Ainsi, le changement dans le ratio dette/PIB peut s'écrire:

D^/Y, - D0/Y0 = B./Y, + Do/Y, - (1 + Cpo/Y, = B./Y, - C*D0/Yl ,

exactement comme l'affirme la relation 9.

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30 38 particulièrement propices à l'endettement, comme on peut s'en douter.

Troisièmement, sur le plan des faits, les données de 1993-94, année de croissance très lente, montrent que le déficit réalisé a nettement dépassé le seuil critique et a exercé une forte pression à la hausse sur le ratio dette/PIB. Il en ira de même pour 1994-95, bien que probablement dans une moindre mesure. On prévoit en effet que le déficit sera un peu moins élevé et la croissance du PIB, plus rapide qu'en 1993-94.

La suite de l'analyse examine les sources de l'évolution du fardeau de la dette (ratio dette/PIB) depuis deux décennies. La combinaison des équations 6, 7 et 8 sera particulièrement utile à cette fin. On en tire en effet que:

(10) ADET = (R - C)*DET - SO = DP - IM - TF + (R - C)*DET

L'équation fait ressortir que la dynamique de l'endettement du Gouvernement repose sur deux facteurs fondamentaux: le solde des opérations (SO) et l'écart entre le taux d'intérêt moyen sur la dette et le taux de croissance du PIB (R - C) .

Ce dernier facteur est rarement mentionné dans les conversations ou les articles de presse portant sur l'endettement public. Mais il est absolument fondamental et il domine toute la littérature scientifique sur la dynamique de l'endettement. Nous allons fortement insister sur son rôle. Il montre que ce n'est pas le taux d'intérêt seul ou le taux de croissance du PIB seul qui (en plus du solde des opérations) influe sur l'évolution du fardeau de l'endettement, mais bien 1'écart entre les deux.

La raison en est très simple: un taux d'intérêt plus élevé ajoute au rythme de l'endettement en gonflant le service de la dette; mais, à l'inverse, un taux de croissance plus rapide du PIB ralentit la progression du fardeau de la dette en élargissant la base économique qui la supporte. On notera enfin que l'écart intérêt-croissance (R - C) intervient de manière interactive avec la dette déjà accumulée, soit sous la forme (R - C)*DET. Son influence est donc proportionnelle à l'importance de la dette accumulée.

Un corollaire important s'ensuit. Si un gouvernement est endetté (DET est positif), si le taux d'intérêt moyen qu'il doit payer sur sa dette est supérieur au taux de croissance de l'économie (R - C est positif), et si son solde d'opérations est nul ou déficitaire (SO nul ou négatif), alors son endettement est sur une trajectoire explosive et insoutenable à long terme. En effet, comme le montre l'équation 10, l'écart intérêt-croissance

positif fait alors augmenter le ratio dette/PIB et cette addition à 1'endettement dans une année donnée entraîne une augmentation du rythme d'augmentation du ratio dette/PIB l'année suivante, et ainsi de suite. Un gouvernement qui rencontre une telle situation doit tôt ou tard réaliser un surplus d'opérations qui annule ou dépasse l'effet défavorable issu de l'écart intérêt-croissance positif. Autrement, il court à la faillite.

13. L'ÉVOLUTION DE LA DETTE DU QUÉBEC DEPUIS 1970 Le problème de l'endettement public est relativement nouveau

dans l'histoire contemporaine. En effet, entre la fin de la Seconde Guerre mondiale et le milieu des années 1970, la dette totale des trois niveaux de gouvernement au Canada a sans cesse diminué, passant d'un niveau équivalent à près de 120 % du PIB en 1945 à moins de 30 % en 1975.

C'est à partir de cette date que la dette a pris son envol, au niveau provincial comme au niveau fédéral. La dette totale du Québec (dette directe et dette envers les régimes de retraite des fonctionnaires) est en effet passée de 5 milliards $ en 1975 à 70 milliards $ en 1994. La figure 10 montre cette évolution dans les seuls termes qui comptent réellement, soit en pourcentage du PIB québécois. On y observe que la dette totale du Gouvernement du Québec, qui était à peu près stable à 12 % du PIB de 1970 à 1975, a crû chaque année depuis, sauf pendant la période de 1987 à 1989, pour atteindre 41 % du PIB en 1994.

La hausse du fardeau de l'endettement n'est donc pas qu'un phénomène passager. Il s'agit d'une tendance systématiquei et durable qui accompagne les budgets annuels du Québec depuis vingt ans. Il faut en identifier les causes, en comprendre les conséquences et y proposer des solutions.

Comme nous venons de le souligner, l'équation 10 rend très facile l'identification des causes de la poussée contemporaine de l'endettement. Cette équation indique en effet que, si le fardeau de la dette (c'est-à-dire le rapport dette/PIB) augmente, c'est qu'ou bien le solde des opérations (SO) se détériore, ou bien l'écart entre le taux d'intérêt et le taux de croissance de l'économie (R - C) devient moins favorable. Examinons donc ces deux possibilités tour à tour.

14. ÉVOLUTIONS CONTRAIRES: AMÉLIORATION DU SOLDE DES OPÉRATIONS ET DÉTÉRIORATION DE L'ÉCART INTÉRÊT-CROISSANCE

La figure 11 retrace l'évolution du solde des opérations du Gouvernement du Québec (revenus totaux moins dépenses de programmes) en pourcentage du PIB depuis 1970. Le phénomène le plus frappant est que le Gouvernement a enregistré essentiellement des

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FIGURE 10: DETTE DU QUÉBEC Dette totale en pourcentage du PIB

Quebec, 1970-1994

70 72 74 76 78 80 82 84 ' 86 88 90 92 SOURCES: Ministère des Finances du Québec et

Stat i s t ique Canada.

FIGURE 11: SOLDE DES OPERATIONS Revenus t o t a u x m o i n s dépenses de programmes

en pourcentage du PIB, Quebec, 1970-1994

Stat is t ique Canada.

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42 déficits d'opérations de 1970 à 1981, puis essentiellement des surplus d'opérations de 1982 à 1994. D'une période à l'autre, le solde moyen est passé d'une valeur négative de 1,0 % dans la première à une valeur positive de 0,5 % dans la seconde. Il a ainsi connu un revirement favorable à un allégement du fardeau de la dette de 1,5 unité de pourcentage du PIB par année.

A moyen terme, le solde des opérations est une bonne mesure synthétique de l'évolution des variables financières sur lesquelles l'État exerce un contrôle direct. La figure 11 démontre que la politique financière du Québec, plutôt insouciante dans les années 1970, a pris le virage de la prudence dans les années 1980 et 1990.20 Cette évolution contredit l'image superficielle d'une administration publique qui se serait complue dans un laxisme chronique et incorrigible. Si le fardeau de l'endettement a continué de s'alourdir pendant les années récentes, c'est que des forces contraires échappant au contrôle du Gouvernement ont réussi malgré tout à prévaloir sur ses efforts manifestes d'assainissement financier.

Ces "forces contraires" sont résumées par le revirement très défavorable de l'écart entre le taux d'intérêt moyen sur la dette et le taux de croissance du PIB à partir du début des années 1980. Cet écart correspond au terme R - C qui apparaît dans l'équation 10 de la section précédente. La figure 12 illustre clairement ce qui s'est produit. Pendant la période 1971-1979, le taux d'intérêt réel moyen sur la dette québécoise fut de 1,1 % et le taux de croissance réel moyen, de 3,9 %.21 on a ainsi observé un excédent de 2,8 % de la croissance sur l'intérêt. Au cours de la période 1980-1994, le taux d'intérêt réel moyen a grimpé à 6,4 % et le taux de croissance réel moyen est descendu à 2,1 %. On a alors enregistré le phénomène inverse: un excédent de 4,3 % de l'intérêt sur la croissance.

20 Les extraordinaires déficits d'opérations de 1979 et de 1980 reflètent la conjugaison de plusieurs facteurs: gratuité des médicaments pour les personnes âgées, capitalisation des régimes de retraite des fonctionnaires, forte augmentation des salaires des employés de l'État, réforme de la fiscalité des particuliers, popularité croissante des REER, réforme municipale, mini-récession de 1980. Mais le retour à la normale est manifeste dès 1981. La hausse du solde des opérations pendant la profonde récession de 1982 témoigne de la vigueur du virage vers la prudence budgétaire.

21 Le taux d'intérêt réel est égal au taux d'intérêt nominal moins le taux d'inflation. De même, le taux de croissance réel du PIB est égal à son taux de croissance nominal moins le taux d'inflation. L'écart entre les deux taux nominaux est donc le même qu'entre les deux taux réels, puisque le taux d'inflation est éliminé par l'une ou l'autre opération.

FIGURE 12: ECART INTÉRÊT-CROISSANCE Taux d'intérêt m o y e n sur la dette m o i n s taux de

cro issance du PIB, Québec, 1971-1994

SOURCES: Ministère des Finances du Québec et Stat i s t ique Canada.

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44

Au total, d'une période à l'autre, on a assisté à un revirement important et inattendu de 2,8 + 4,3 = 7,1 unités de pourcentage de l'écart intérêt-croissance. Appliqué, selon la prescription de l'équation 10, à une dette égale à 41 % du PIB en 1994, ce revirement équivaut à une augmentation de 7,1*0,41 = 2,9 unités de pourcentage dans la pression exercée annuellement sur le ratio dette/PIB."

Les deux facteurs qui déterminent l'évolution de l'endettement (en vertu de l'équation 10) ont donc agi dans des directions opposées. L'évolution du solde des opérations, qui, à l'exception des transferts fédéraux, est sous le contrôle du Gouvernement, a été favorable et a contribué à ralentir le rythme d'endettement. L'évolution de l'écart intérêt-croissance, qui échappe au contrôle direct du Gouvernement, a été défavorable et a contribué à accélérer le rythme d'endettement.

Laquelle de ces deux évolutions contraires a été dominante? Si on compare les moyennes des années 1970 avec les moyennes des années 1980 et 1990, on constate déjà que c'est l'effet défavorable de l'augmentation de l'écart intérêt-croissance qui l'a emporté sur l'effet favorable de l'amélioration du solde des opérations. Le premier revirement ayant accru la pression annuelle moyenne sur le fardeau de la dette de 2,9 unités de pourcentage du PIB et le second l'ayant atténué de 1,5 unité seulement, l'effet net a été globalement défavorable à l'évolution du fardeau de l'endettement, par une marge annuelle moyenne de 2,9 - 1,5 = 1,4 unité de pourcentage du PIB. Le PIB québécois de 1994 étant de 165 milliards $, l'alourdissement annuel moyen net ainsi imposé au fardeau de la dette équivaut aujourd'hui à 0,014*165 = 2,3 milliards $. Ce montant est loin d'être négligeable.

La comparaison qui précède porte bien sur les moyennes décennales. Mais pour apprécier plus finement la force comparative des deux tendances opposées, il faut étudier leurs évolutions année par année sur le même graphique.

La figure 13 remplit cette tâche. La ligne continue reproduit l'évolution du solde des opérations déjà présentée à la figure 11, soit le terme SO de l'équation 10. La ligne pointillée indique la pression exercée sur le rythme d'endettement par l'écart intérêt-croissance en interaction avec le niveau de dette accumulé, soit le terme (R - C)*DET de l'équation 10. L'écart entre les deux lignes mesure chaque année la direction et l'importance de celui des deux facteurs qui domine l'autre.

2? La règle générale est la suivante: au niveau actuel d'endettement (41 % du PIB), chaque augmentation de 1 % dans le taux d'intérêt moyen sur la dette ou chaque diminution de 1 % dans le taux de croissance exercent une pression supplémentaire de 4,8/7,1 = 675 millions $ sur le fardeau de l'endettement.

FIGURE 13: SOMMAIRE DES PRESSIONS SUR LA DETTE Solde des opérations contre écart intérêt -cro issance

en pourcentage du PIB, Québec, 1971-1994

Stat is t ique Canada.

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46 La caractéristique la plus frappante de la figure 13 est la

domination assez systématique, après 1974, de l'effet de l'écart intérêt-croissance, qui encourage la hausse de l'endettement, sur l'effet du solde des opérations, qui favorise la baisse de l'endettement. Cela confirme, tout simplement, notre comparaison des moyennes. Mais l'observation annuelle a toutefois son utilité, puisqu'elle permet de constater que l'effet favorable du solde des opérations l'a emporté en 1987 et en 1988. Pendant ces deux années de fin de reprise et de taux d'intérêt encore modéré, le fardeau de la dette a diminué, comme on l'a déjà observé à la figure 10.

La question la plus importante pour l'avenir est donc la suivante: à mesure que le Québec sortira de la récession de 1990-1993, peut-on s'attendre à une diminution progressive de l'écart intérêt-croissance et à un raffermissement du solde des opérations qui permettent ensemble de stabiliser et de réduire le fardeau de la dette comme en 1987 et en 1988? Pour répondre à cette question, il faut bien identifier les causes de l'évolution récente du solde des opérations et de l'écart intérêt-croissance et chercher à savoir si ces causes sont susceptibles d'un revirement favorable dans les années à venir.

15. L'ÉVOLUTION PASSÉE ET FUTURE DU SOLDE DES OPÉRATIONS Commençons par le solde des opérations, que l'équation 7 de la

section précédente a défini comme la somme des impôts et des transferts fédéraux, moins les dépenses de programmes.

i - Leg flêpenseg de programmes

La figure 14A présente l'évolution des dépenses de programmes en pourcentage du PIB depuis 1970. Ces dernières ont tout d'abord continuellement augmenté jusqu'au début des années 1980, au moment où le Gouvernement a pris conscience que les temps avaient changé. Depuis lors, les dépenses de programmes ont crû moins rapidement que le PIB sauf, comme le montre bien la figure, pendant les trois années 1990 à 1992. Le ratio dépenses de programmes/PIB est ainsi remonté à 22 % en 1994, à partir de 19 % en 1989.

La figure 14B attire l'attention sur les deux plus importants programmes, soit celui de l'éducation et celui de la santé et du

FIGURE 14A: DÉPENSES DE PROGRAMMES Dépenses de programmes en pourcentage d u PIB

Québec, 1970-1994

Stat ist ique Canada .

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FIGURE 14B: DEPENSES D'EDUCATION ET DE SANTE-BIEN-ETRE Dépenses d'éducat ion et de s a n t é et b i e n - ê t r e

en pourcentage d u PIB, Québec, 1970-1994

Source: Consei l d u trésor du Québec.

49 bien-être.23 Ces deux secteurs recouvrent ensemble les trois quarts des dépenses de programmes du Gouvernement. Le virage à la baisse du début des années 1980 est évident dans les deux cas. Les compressions budgétaires ont été particulièrement importantes dans le domaine de l'éducation, l'enveloppe passant de 7,5 % du PIB en 1982 à 5,7 % en 1994. Dans le domaine de la santé et du bien-être, l'inflexion est aussi notable après 1982, bien que moins prononcée. Tout comme les dépenses totales, les dépenses du secteur de la santé et du bien-être ont toutefois augmenté plus rapidement que le PIB en 1990-1992.

Il importe de bien comprendre l'origine de ce retournement postérieur à 1989. Un examen des données montre que les années récentes n'ont pas été témoins d'une envolée soudaine des dépenses de programmes qui traduirait un dérapage irresponsable. Ce qu'on a observé, c'est plutôt un affaissement cumulatif de près de 10 % du PIB réel par rapport à son potentiel réalisable (revoir la figure 9 à ce sujet) et une explosion de 60 % des prestations d'aide sociale24, engendrés tous les deux par la récession de 1990-1993.

Cela explique entièrement le retournement à la hausse de 3 unités de pourcentage du ratio dépenses de programmes/PIB dans l'ensemble des secteurs et, en particulier, dans celui de la santé et du bien-être. La chute du PIB a mécaniquement fait diminuer le dénominateur de ce ratio et la hausse des dépenses d'aide sociale en a gonflé le numérateur.25

Dans le secteur de la santé et du bien-être, la dépense est passée de 13,3 milliards $ en 1989 à 17,6 milliards $ en 1994. Si

23 Les montants de l'éducation comprennent les crédits du ministère de l'Éducation et du ministère de l'Enseignement supérieur et de la Science. Les montants de la santé et du bien-être comprennent les crédits de la Régie de l'assurance-maladie du Québec et ceux des ministères qu'on a, à une époque ou à 1 autre, appelés Affaires sociales, Santé et Services sociaux, Travail, Main-d'oeuvre, Sécurité du revenu, Formation professionnelle et Emploi.

24 Après avoir connu six années de stabilité autour de 2,1 milliards $ de 1984 à 1989, ces prestations ont en effet grimpé à 3,4 milliards $ en 1993.

25 La plus courte récession de 1981-1982 avait fait diminuer le PIB à 91 % de son potentiel en 1982 et fait augmenter les prestations d'aide sociale dans la même proportion de 60 % entre 1981 et 1984. Seules des compressions budgétaires a une exceptionnelle rigueur ont empêché le ratio dépenses de programmes/PIB de s'envoler à l'époque. La figure 14A.contre en effet que l'augmentation du ratio en 1982 et en 1983 fut très modérée.

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30 50 on défalque de ce dernier montant la somme de 1,1 milliard $ qu'a coûtée la hausse conjoncturelle de la clientèle de l'aide sociale et qu'on dégonfle le résultat par le facteur d'inflation cumulatif de 1989 à 1994, on obtient pour 1994 une dépense de 15,4 milliards $ (dollars constants de 1989). Par comparaison aux 13,3 milliards $ dépensés en 1989, cela représente une hausse de 15,8 %, soit en moyenne 3,0 % par année.

Il est évident que le secteur aurait pu faire mieux, en s'inspirant, par exemple, de la tendance du secteur de l'éducation, où les dépenses en dollars constants n'ont crû en moyenne que de 1,5 % par année de 1989 à 1993. Mais on ne peut ici parler d'irresponsabilité budgétaire. Au-delà des exigences particulières de l'aide sociale en pleine récession, la hausse réelle de 3,0 % par année du secteur de la santé et du bien-être n'a en effet dépassé que de 0,2 % le taux de croissance réel de 2,8 % par année que nous avons établi pour le potentiel économique du Québec dans la première partie de ce travail.

Le ̂ Gouvernement a simplement choisi de répondre à la demande de services dans le secteur de la santé et du bien-être, laquelle est très sensible à la conjoncture dans le domaine de la sécurité du revenu et plutôt insensible dans les autres domaines. Le budget de la santé et du bien-être a ainsi joué son rôle naturel de stabilisateur automatique de l'économie.

La conséquence logique de ces observations est que, si l'économie du Québec finit par recouvrer sa vigueur de 1989 d'ici la fin de la présente décennie, le ratio dépenses de programmes/PIB redescendra du niveau actuel de 22 % au niveau de 19 % que la figure 14A indique qu'il a atteint en 1989. Le solde des opérations s'en trouvera amélioré d'autant.

Un autre enseignement à tirer de ce qui précède est qu'il est important de bien apprécier la différence entre les fluctuations de court terme (conjoncturelles) et les mouvements de long terme (structurels) dans les dépenses de programmes afin d'éviter de prendre en cette matière des décisions irrémédiables sur la base d'évolutions qui sont de nature purement passagère, ou au contraire de retarder indûment les décisions rendues nécessaires par des changements de nature permanente.

Dans le cas présent, il appert que l'augmentation récente du ratio dépenses de programmes/PIB découle entièrement de la récession de 1990-1993. Dans les années à venir, cette augmentation se corrigera dans une mesure qui dépendra de l'importance et de la durée de la reprise économique et de la fermeté dans la poursuite des rationalisations souhaitables tant du côté des coûts que du côté de la demande de services publics. Dans ses prochains budgets, le Gouvernement ne peut éviter de porter un jugement implicite ou explicite sur ce qui est temporaire et sur ce qui est permanent dans la dégringolade économique que nous venons de traverser.

2. Les transferts fédéraux Du côté des revenus, on a assisté à une réduction marquée des

transferts fédéraux en proportion du PIB québécois. La figure 15 évalue la baisse cumulative de ces transferts à environ 1,5 % du PIB (ce qui équivaut à 2,5 milliards $ en 1994) et localise son occurrence dans les années 1985 à 1988. L'état actuel et prévisible des finances fédérales donne évidemment à croire que cette perte de revenu pour le Gouvernement du Québec n'est pas temporaire, mais permanente.

3. Le fardeau figeai La figure 16, quant à elle, retrace l'évolution des revenus

autonomes du Gouvernement, dont la majeure partie est tirée des impôts. En proportion du PIB, cette mesure du fardeau fiscal provincial a crû jusqu'en 1982. Elle est ensuite demeurée à peu près stable autour de 16,5 % jusqu'en 1990, pour enfin grimper à environ 17,7 % depuis 1991.

Le fardeau fiscal provincial n'a donc pas augmenté de manière inconsidérée depuis 1982. La hausse de 1,2 unité de pourcentage après 1990 constitue en quelque sorte une réaction à retardement à la diminution de 1,5 unité de pourcentage du PIB enregistrée quelques années auparavant dans le niveau des transferts fédéraux. Au total, les revenus budgétaires du Gouvernement (autonomes et en provenance d'Ottawa) ont représenté un fraction légèrement plus faible du PIB guébécois en 1993-94 qu'il y a dix ans, en 1983-84.

Le contexte économique et politique permet difficilement d'envisager de nouvelles augmentations du fardeau fiscal des Québécois. Sans nous attarder sur la question, nous désirons tout d'abord rappeler une prédiction non démentie de la théorie économique de la fiscalité: les inefficacités économiques découlant du prélèvement des impôts, comme les distorsions de comportement, l'évasion fiscale, la contrebande, etc., croissent comme le carré du taux de taxation. Elles sont sans doute encore m o d e s t e s pour des taux globaux de taxation inférieurs à 30 ou 35 % du PIB, mais paraissent augmenter rapidement au-delà de ce seuil.

La figure 17 démontre que le fardeau fiscal global supporté par les Québécois à tous les niveaux de gouvernement s est grandement alourdi depuis la fin des années 1970 passant de moins de 34 % en 1980 à plus de 41 % en 1992. Le Québec est donc entré dans une zone critique pour son efficacité économique globale.

La position de la fiscalité québécoise vis-à-vis son Principal partenaire commercial, l'Ontario, se trouve également dans ™ situation délicate. Le fardeau fiscal global du Q^becfst en effet plus lourd que celui de l'Ontario, sans que les Québécois en tirent un avantage man i f e s te sur le plan de la quantité et de la qualité

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FIGURE 15: TRANSFERTS FEDERAUX Transfer t s f édéraux en pourcentage du PIB

Québec, 1970-1994

SOURCES: Ministère des Finances du Québec et Stat i s t ique Canada.

FIGURE 16: REVENUS AUTONOMES Revenus a u t o n o m e s en pourcentage d u PIB

Québec, 1970-1994

SOURCES: Ministère des F inances du Québec et Stat i s t ique Canada .

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FIGURE 17: FARDEAU FISCAL GLOBAL Impots versés aux trois n i v e a u x de gouvernement

en pourcentage d u PIB, Québec et Ontario, 1970-1992

SOURCE: Stat i s t ique Canada.

55 des services publics.26 La figure 17 montre que l'écart fiscal Québec-Ontario, qui avait atteint 3 % du PIB en 1981, s'était presque complètement refermé en 1990. Mais il est remonté à 2,5 % du PIB en 1992 en raison d'une conjugaison de changements à la fiscalité des trois niveaux de gouvernements.

Au niveau international, la figure 18 montre qu'à 37,6 % du PIB, le fardeau fiscal global du Canada occupait en 1991 la position médiane parmi les pays du Groupe des Sept. A la vérité, ce fardeau n'était pas excessif selon les standards internationaux, mais il dépassait le fardeau fiscal américain de 37,6 - 29,1 = 8,5 unités de pourcentage du PIB. Il va de soi que la société canadienne exige et obtient en contrepartie plus de services publics que la société américaine, notamment en matière de santé, de lutte au inégalités économiques et d'infrastructures. Ces différences justifient un écart fiscal important avec les États-unis (dont 4 % pour la santé seulement) , mais il est impossible d'en juger avec discernement sans effectuer d'analyse comparative détaillée des divers postes de la dépense publique dans les deux pays. Une telle analyse reste à faire.

Tout compte fait, le fardeau fiscal global du Québec est plus lourd que celui du reste du Canada, lequel dépasse à son tour le fardeau américain par une bonne marge. Il ne serait pas prudent de continuer à augmenter le taux global de taxation au Québec. Compte tenu de l'état actuel et prévisible des finances fédérales, il ne faut pas non plus s'attendre à un retournement des transferts fédéraux à la hausse. En proportion du PIB, une amélioration du solde des opérations du Gouvernement du Québec à partir d'une augmentation des revenus budgétaires n'est donc ni souhaitable ni probable. Cependant, une telle amélioration pourra se produire de façon automatique à partir d'une réduction du ratio dépenses de programmes/PIB dans la mesure où la reprise économique ramènera le PIB à son niveau potentiel et fera diminuer les dépenses d'aide sociale.

16. L'ÉCART INTÉRÊT-CROISSANCE: PERSPECTIVES D'AVENIR L'autre changement qui aiderait à stabiliser le fardeau de la

dette du Québec et même à l'alléger dans les années à venir serait une réduction de l'écart entre le taux d'intérêt moyen sur la dette et le taux de croissance du PIB.

26 Une raison historique importante de cet état de choses est que le Québec est moins riche que l'Ontario. Pendant que 1 Ontario finançait ses grandes infrastructures de santé, d'éducation et de transport à même ses revenus courants dans les années 1950 et I960, le Québec les finançait en s'endettant. En 1992, par exemple, le service des dettes provinciale et municipales représentait 2,7 «au PIB en Ontario, mais 4,8 % du PIB au Québec.

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FIGURE 18: FARDEAU FISCAL GLOBAL

55

50

45

40

35

30

25

SOURCE: Comptes n a t i o n a u x de l'OCDE.

Impots directs et indirects en pourcentage du PIB 17 pays de l'OCDE, année 1991

57 1 • Le rôle clé ioué par la banque centrale canadienne

Cette possibilité échappe en grande partie au contrôle direct et immédiat du Gouvernement. Les taux d'intérêt sont déterminés par l'action des banques centrales américaine et canadienne et par le jeu des marchés financiers internationaux. De son côté, le taux de croissance du PIB québécois dépend primordialement de l'évolution de l'économie américaine et des politiques budgétaire et monétaire canadiennes.

Le Gouvernement du Québec peut évidemment agir sur la croissance à long terme par ses politiques d'infrastructures, de taxation, d'éducation, de formation, de réglementation du travail, de relations commerciales, d'immigration, d'environnement et de développement industriel et régional. Il peut aussi faire bouger l'économie à court terme par divers moyens. Mais la priorité accordée au redressement des finances publiques se traduira, comme au niveau fédéral, par des budgets globalement restrictifs au cours des prochaines années.

En pratique, les chances que les taux d'intérêt diminuent (ou ne s'accroissent pas) et que la croissance économique s'accélère dans les années à venir dépendent entièrement de l'orientation de la politique monétaire canadienne.

En effet, alors que les PIB canadien et québécois sont encore inférieurs dé 8 à 10 % à leur potentiel non inflationniste, le PIB américain n'est plus que 1 % sous son potentiel. Cela entraîne deux conséquences. Premièrement, la croissance économique américaine s'apprête à ralentir à son rythme de croisière (environ 2,5 % seulement) et ne "tirera" plus beaucoup sur la croissance canadienne et québécoise au cours des années qui viennent. Deuxièmement, afin de prévenir la surchauffe et le retour de l'inflation, la banque centrale américaine, la Réserve fédérale, encourage depuis le début de 1994 une augmentation progressive des taux d'intérêt aux États-unis, ce qui "tire" les taux canadiens vers le haut.

Le ralentissement de l'activité économique et le retournement à la hausse des taux d'intérêt aux États-unis vont exactement en sens contraire de ce dont l'économie et les finances publiques ont besoin au Canada. Il ne faut pas rêver non plus que les budgets fédéraux et provinciaux vont encourager la reprise au Canada et au Québec, puisqu'ils sont en campagne de redressement des finances publiques. Par élimination, seule la banque centrale canadienne peut réduire les taux d'intérêt et ainsi accélérer la reprise au Canada, malgré la tendance américaine contraire dans les deux cas.

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30

2. L'accélération probable de la croissance économique Quelles sont les chances que la croissance économique

s'accélère et que le taux d'intérêt moyen sur la dette du Québec diminue au cours des prochaines années? Il est tout d'abord fort probable que le Québec connaisse d'ici l'an 2000 une croissance du PIB réel nettement plus rapide que la moyenne annuelle de 2,1 % observée de 1980 à 1994, pour deux raisons.

Premièrement, il faut observer que la croissance moyenne des quinze dernières années a été inférieure à la croissance du potentiel véritable de l'économie, que la première partie de notre travail a fixée autour de 2,8 % par année. La cause la plus évidente de cette sous-performance est la lutte intermittente menée par la politique monétaire contre l'inflation, laquelle s'est traduite par deux récessions majeures. Mais l'élimination de l'inflation enlève maintenant à la banque centrale sa principale raison de maintenir un écart important entre les taux d'intérêt canadiens et américains et d'empêcher l'appareil productif de fonctionner à plein régime.

Deuxièmement, comme la première partie de notre travail l'a indiqué, les ressources matérielles et humaines de l'économie ne sont présentement utilisées au Québec qu'à environ 90 % de leur potentiel non inflationniste. C'est dire que, dans les années à venir, l'économie québécoise pourra croître plus rapidement qu'à son rythme de croisière de 2,8 % par année, de manière à refermer progressivement cet écart au potentiel de 10 %.

Dans une conférence sur l'écart au potentiel qui a eu lieu à 1'Institute for Policy Analysis de l'Université de Toronto au mois d'août 1994, une douzaine d'économistes du milieu universitaire et du secteur privé ont estimé que l'écart au potentiel au Canada s'établissait entre 7,5 et 9,5 % en 1994, la moyenne étant de 8,3 %. Le représentant de la banque centrale a mentionné plutôt le chiffre beaucoup plus faible de 4 %.27 Mais même cette dernière estimation est assez importante pour que la banque centrale évite de s'opposer au rattrapage économique pendant quelques années.

Compte tenu de la divergence d'opinion entre les économistes de la banque centrale et ceux des milieux universitaire et privé canadiens, il est prudent d'envisager deux scénarios différents de taux d'intérêt et de croissance économique pour les cinq prochaines années. Même si les analystes extérieurs à la banque centrale ont

27 Une synthèse de la discussion et une analyse de la divergence se trouve dans Pierre Fortin, "A diversified strategy for DÉFICIT control: combining faster growth with fiscal discipline", Étude préparée pour la Conférence sur l'écart au potentiel, Institute for Policy Analysis, University of Toronto, août 1994.

59 raison, il reste que le pouvoir de décision appartient à la banque centrale et à elle seule.

Le premier scénario suppose que l'écart au potentiel est bien de 10 % en 1994 et que les taux d'intérêt sont abaissés de manière à ajouter 2 % de plus que la normale au taux de croissance annuel et à permettre ainsi à l'économie de refermer cet écart en cinq ans. Ce scénario est celui d'une reprise rapide et complète. Le second scénario suppose que la politique monétaire ne permet qu'un ajout de 1,2 % par année à la croissance pendant cinq ans, ce qui laisse encore 40 % de l'écart au potentiel ouvert à la fin des cinq années. Il s'agit, dans ce cas, d'un scénario de reprise lente et incomplète.

3. Le scénario d'une reprise rapide et complète Supposons, selon le premier scénario, que 2,0 % par année soit

ajouté pendant cinq années de suite au rythme de croissance normal de 2,8 % de l'économie réelle au Québec, ce qui porterait le taux de croissance annuel à 4,8 %. Avec un taux d'inflation moyen de 1,5 %, soit un taux situé dans la partie inférieure de la fourchette-cible annoncée par la banque centrale, le taux de croissance du PIB en dollars courants serait de 4,8 + 1,5 = 6,3 % par année. Une telle reprise ferait redescendre le taux de chômage québécois autour de 9 % vers la fin de la décennie. Des progrès supplémentaires contre le chômage seraient alors tout à fait envisageables moyennant les politiques structurelles appropriées et un contrôle économique et social adéquat des pressions inflationnistes.

Pour que l'économie emprunte cette trajectoire de récupération rapide et complète, il faudrait que la banque centrale maintienne les taux d'intérêt à court terme autour de 4,5 % (comme à l'automne de 1993) pendant quelque temps et qu'elle laisse le taux de change du dollar canadien libre de trouver son équilibre naturel sur les marchés. Dans cette hypothèse, le taux d'intérêt sur la dette du Québec, qui atteignait 9 % en 1993, s'établirait en moyenne à environ 8,3 % dans la seconde moitié de la présente décennie.

Un taux de c r o i s s a n c e nominal de 6,3 % et un taux d'intérêt de 8,3 % engendreraient ensemble un écart intérêt-croissance de 2 Appliqué à un ratio dette/PIB de 41 %, un tel écart exercerait sur ce ratio une pression à la hausse de 0,8 unité de pourcentage de PIB par année. Par contre, la diminution automatique de 3 unités de pourcentage que la reprise appliquerait au ratio dépenses de programmes/PIB ferait remonter le solde des opérations à 3 % du PIB lorsque l'économie aurait enfin rattrapé son potentiel utile après cinq ans.

Cette amélioration du solde des opérations renveIîs®r/^t,(aif1 pression défavorable de l'écart intérêt-croissance sur le fardeau

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de la dette. Le ratio dette/PIB serait stabilisé dès la première année du plan d'accélération de la reprise, en 1995-96, et diminuerait rapidement par la suite. Le déficit budgétaire baisserait à 3,5 milliards $ en 1995 et serait complètement éliminé en cinq ans.

A la fin de la reprise, la croissance réelle retournerait à son rythme de croisière de 2,8 % par année. Si le taux d'inflation demeurait à 1,5 %, la croissance nominale se poursuivrait alors au rythme de 2,8 + 1,5 = 4,3 %. De son côté, le taux d'intérêt moyen sur la dette remonterait sans doute vers les 9 %. L'écart intérêt-croissance augmenterait alors à 9 - 4,3 = 4 , 7 % et exercerait une pression annuelle à la hausse d'environ 1,8 unité de pourcentage du PIB sur le fardeau de la dette.

Toutefois, les gains réalisés du côté du solde des opérations (3 % du PIB) continueraient à dominer la situation. Le processus de "désendettement" se poursuivrait dans des conditions normales, puisque l'effet annuel net du solde des opérations et de l'écart intérêt-croissance serait de faire diminuer le ratio dette/PIB de 3 - 1,8 = 1,2 unité de pourcentage. Le Québec disposerait ainsi d'une marge de manoeuvre pour réduire son fardeau fiscal et pour faire face à un nouveau ralentissement économique sans risquer un dérapage financier aussi dangereux qu'entre 1990 et 1994.

Un tel plan stratégique, fondé sur un soutien actif de la banque centrale à la reprise, est à notre avis parfaitement réalisable dans les termes indiqués." Mais la prudence extrême de la banque centrale pourrait empêcher qu'il soit appliqué comme tel. Plutôt qu'une reprise rapide et complète, il faudrait alors envisager une reprise lente et incomplète.

4. Le scénario d'une reprise lente et incomplète Pour fixer les idées, supposons que l'économie québécoise ne

récupère que partiellement et atteigne une croissance réelle moyenne de 4 % par année seulement au cours des cinq prochaines années, c'est-à-dire 1,2 % de plus que le taux de croissance normal de 2,8 %. En cinq ans, la reprise ne réussirait à combler que 1,2*5 = 6 % des 10 % d'écart au potentiel que nous avons estimés pour 1994.

En y ajoutant un taux d'inflation de 1,5 %, la croissance en dollars courants serait alors de 4,0 + 1,5 = 5,5 % par année au lieu des 6,3 % du scénario précédent. Le taux d'intérêt moyen sur la dette du Québec ne diminuerait pas, mais demeurerait au niveau

" Une formulation plus précise et une justification plus détaillée du plan à l'occasion d'une analyse des finances fédérales est présentée par Pierre Fortin, Ibidem.

61 de 9 % enregistré en 1993. En conséquence, l'écart intérêt-croissance ne baisserait pas à 2 %, mais resterait à 9 - 5,5 = 3,5 % et exercerait ainsi une pression défavorable de 3,5*0,41 = 1,4 unité de pourcentage par année sur le ratio dette/PIB. De son côté, le solde des opérations ne remonterait pas à 3 % du PIB, mais à 1,5 % seulement.

Dans ces conditions, le ratio dette/PIB continuerait à augmenter, mais à un rythme décroissant. Il finirait par se stabiliser, mais seulement dans la dernière année du plan, en 1999-2000. Le déficit baisserait à 4 milliards $ en 1995, mais il dépasserait encore les 3 milliards $ à la fin de la décennie.

Une telle reprise serait incomplète parce que l'économie ne parviendrait pas à réaliser son plein potentiel non inflationniste. Le taux de chômage québécois ne redescendrait pas sous les 10 %. Une partie de ce qui était initialement une hausse purement conjoncturelle du chômage serait transformée à la longue en hausse structurelle permanente. A force d'être sous-employé, un chômeur intermittent devient un chômeur chronique. Le Québec et le Canada ont vécu cette expérience à quelques reprises depuis vingt-cinq ans, leurs taux de chômage ayant connu une dérive tendancielle en apparence inexorable. L'Union européenne est passée à travers la même expérience au cours des quinze dernières années. Les précédents historiques ne manquent malheureusement pas.

Au bout de cinq ans, la croissance réelle retournerait à son rythme de croisière de 2,8 % et - toujours si le taux annuel d'inflation demeurait à 1,5 % - la croissance nominale baisserait à 4,3 %. Avec un taux d'intérêt moyen sur la dette encore égal à 9 %, l'écart intérêt-croissance augmenterait alors à 9 - 4,3 = 4,7 % et exercerait une pression de 2,2 unités de pourcentage du PIB par année sur le ratio dette/PIB, l'écart de 4,7 % s'appliquant au départ à un ratio d'endettement de plus de 45 % du PIB. Cet effet défavorable l'emporterait sur l'effet favorable du solde des opérations, qui se maintiendrait à 1,5 % du PIB.

Cela laisserait une pression annuelle nette de 2,2 - 1,5 = 0,7 unités de pourcentage sur le fardeau de la dette. La dérive des finances du Québec se poursuivrait à moins qu'une n o u v e l l e ronde de compressions budgétaires de l'ordre de 0,007*165 =1,2 milliard s (dans les termes du PIB de 1994) ne soit imposée. Il faudrait, au surplus, augmenter ces compressions du montant des réductions ae transferts fédéraux qui ne manqueraient pas de s'ensuivre dune impasse financière encore plus grave à Ottawa qu'à Québec. Enfin le moindre ralentissement économique déclencherait par la suite une nouvelle crise financière aux deux niveaux de gouvernement. On aurait toutes les chances de voir l'histoire de 1990-1994 se répéter.

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17. CONCLUSION SUR LA QUESTION BUDGÉTAIRE Avant 1975, le fardeau de la dette du Québec, c'est-à-dire son

ratio dette/PIB, était à peu près stable. Mais depuis lors, à l'exception d'une brève pause de 1987 à 1989, ce fardeau a sans cesse augmenté, passant de 12 % à l'époque à 41 % en 1994. Aucun gouvernement responsable ne peut laisser son endettement croître sans limite en proportion du revenu national. Les conséquences économiques et financières en seraient désastreuses.

Afin de juger du type de stratégie qui permettrait d'infléchir cette tendance inquiétante dans les meilleures conditions possibles, il faut comprendre les causes de la dérive passée de l'endettement du Québec, identifier les contraintes qui pèsent sur l'équation budgétaire du Gouvernement et évaluer sans complaisance les possibilités d'action. C'est à cette tâche que notre étude s'est appliquée.

Nous avons tout d'abord fait ressortir de la mathématique élémentaire du budget que deux facteurs fondamentaux peuvent modifier chaque année le fardeau de la dette, soit:

1) le solde des opérations budgétaires, égal à la somme des recettes fiscales et des transferts fédéraux, moins les dépenses de programmes

2) l'écart entre le taux d'intérêt moyen sur la dette et le taux de croissance de l'économie, qui s'appliquent à la dette déjà accumulée. J

-i/ P r e i n i e r d e c es deux facteurs est bien connu; le second 1 est beaucoup moins, mais s'avère tout aussi important. Un solde d opérations déficitaire ou un taux d'intérêt sur la dette supérieur à la croissance du PIB sont des sources d'alourdissement de la dette. A l'inverse, un solde d'opérations excédentaire ou un taux d intérêt sur la dette inférieur au taux de croissance du PIB sont des sources d'allégement de la dette.

Comment ces principes aident-ils à comprendre l'histoire ieoo^ J*® d U 9 u é b e c ? D e l a décennie 1970 aux décennies

«nJ li * r®viî"ements majeurs, et contraires dans leur P n r l L r d e \ a d e t t e< s e sont produits simultanément. En premier lieu, le solde budgétaire est passé d'un déficit d e T f * " ^ ™ ^ d e V 0 % d U P I B à u n surplus d'opératTons moyen e S n t ™ ^ ' i 1 ' T ^ 1 c ° n s t l t u e u n retournement total de 1,5 %.

^ é n T e n t / ' if. Gouvernement du Québec a ainsi mis tin à une certaine période d'insouciance et a effectué un net UlrTé u n e S i i ï l ^ e n X C e changement d'orientation a exercé une influence bénéfique sur le poids de la dette.

En second lieu, on est passé d'une situation où le taux de croissance économique était supérieur de 2,8 % au taux d'intérê?

63 sur la dette à la situation inverse où le taux d'intérêt sur la dette a dominé le taux de croissance économique par 4,3 %. ce revirement de 7,1 % de l'écart intérêt-croissance est la conséquence de taux d'intérêt mondiaux plus élevés, d'un écart accru entre les taux d'intérêt canadiens et les taux mondiaux, et de taux de croissance économique beaucoup plus faibles. Ces évolutions ont reflété une inflexion de la croissance à long terme et deux très dures campagnes de la banque centrale visant à éliminer l'inflation. L'inversion de l'écart intérêt-croissance a naturellement exercé une pression très défavorable sur le poids de la dette.

Des deux grands revirements de situation qui ont touché le solde des opérations et l'écart intérêt-croissance, c'est le second qui l'a malheureusement emporté. Ainsi faut-il comprendre la dérive incessante du ratio dette/PIB vers des niveaux de plus en plus élevés. Ce n'est donc pas l'irresponsabilité budgétaire qui se trouve à l'origine de l'endettement croissant du Québec, mais bien plutôt une détérioration extraordinaire de l'environnement économique canadien dans les années 1980 et 1990 par comparaison aux années 1960 et 1970.

Pour que les prochaines années soient témoins d'une stabilisation, puis d'un allégement du fardeau de la dette du Québec, il faudra en toute logique que le solde des opérations budgétaires continue de s'améliorer encore et que l'écart intérêt-croissance diminue. Nous avons donc examiné les chances que ces évolutions se produisent.

Le surplus d'opérations ne pourra augmenter que si le fardeau fiscal s'alourdit encore, si les transferts fédéraux progressent, ou si les dépenses de programmes diminuent en proportion du PIB. Or, le taux global de taxation du revenu national a fortement augmenté au Québec depuis vingt ans. Sur la base de considérations d'efficacité économique et de contraintes politiques, nous faisons valoir qu'il ne serait pas prudent d ' a l o u r d i r davantage la fiscalité du Québec dans l'avenir. Les transferts fédéraux, quant à eux, ont beaucoup diminué dans les années 1980. L'état actuel et prévisible des finances fédérales donne à croire qu'ils pourraient encore baisser dans l'avenir. Il est, de toute façon, tout à fait improbable qu'ils augmentent.

Par élimination, il s'ensuit que le r a f : J ^ ® des opérations reposera sur une réduction du p o i d s d e s dépenses de programmes dans l'économie. Nous faisons cependant observer que cela peut se produire de deux manières: ou bien par une réduction des dépenses de programmes (une baisse du numérateur), ou bien par un élargissement de la base économique (une hausse du dénominateur).

Les dépenses de programmes du i Québec ont systématiquemen^ diminué en pourcentage du PIB depuis le début des années 1980, sauf

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pendant les années de la dernière récession. Réduites à 19 % du PIB en 1989, les dépenses de programmes sont remontées à 22 % en 1993-1994. Nous montrons que cette évolution ne découle pas d'une accélération irresponsable du numérateur (les dépenses elles-mêmes), mais de l'effondrement du dénominateur (le PIB), de même que d'une explosion des dépenses d'aide sociale, les deux étant uniquement attribuables à la récession.

Tout en convenant que la croissance des dépenses de programmes doit continuer d'être surveillée de près, nous émettons l'avis que ce dont le solde des opérations a d'abord et avant tout besoin pour s'améliorer est une bonne reprise économique, qui entraînerait une accélération de la croissance du PIB et une baisse des dépenses d'aide sociale.

Une accélération de la croissance économique est en même temps l'une des deux sources possibles de l'atténuation désirée du second facteur qui influe sur l'évolution du fardeau de la dette, soit l'écart intérêt-croissance. La reprise économique qui vient de s'amorcer va automatiquement s'accompagner d'une croissance plus rapide. La question importante n'est cependant pas de savoir s'il y aura une reprise, mais de savoir si la reprise sera rapide et complète, ou plutôt lente et incomplète.

Dans la première éventualité, il y aurait lieu d'être fort optimiste sur l'évolution du déficit budgétaire et du fardeau de la dette du Québec, à long terme comme à court terme. Dans la seconde, le Gouvernement ne réussirait sans doute qu'à stabiliser son ratio dette/PIB temporairement, vers la fin de la reprise, comme ce fut le cas en 1987-1988. Les finances fédérales resteraient dans un état précaire elles aussi, et de nouvelles réductions des transferts fédéraux aux provinces surviendraient. La prochaine récession replongerait les deux niveaux de gouvernement dans l'impasse financière.

Notre analyse souligne donc l'importance capitale pour les finances du Québec d'une reprise économique qui permette de combler l'écart, que nous estimons à environ 10 %, entre son niveau d'activité économique actuel et son potentiel non inflationniste.

Quelle est la probabilité d'occurrence d'une telle évolution? Nous faisons remarquer à cet égard que les États-unis s'acheminent maintenant vers des taux d'intérêt plus élevés et une croissance économique plus lente, c'est-à-dire tout le contraire de ce dont 1 ̂ économie et les finances publiques ont besoin au Canada. Par ailleurs, les budgets fédéraux et provinciaux sont en phase de redressement et ne pourront guère appuyer la croissance économique canadienne à court terme.

Par é l i m i n a t i o n , l a réduct ion de l ' é c a r t i n t é r ê t - c r o i s s a n c e qui a m é l i o r e r a i t l e s perspectives f i n a n c i è r e s des gouvernements au Canada dépend entièrement des taux d ' i n t é r ê t que voudra prat iquer

la banque centrale dans les prochaines années. Des taux d'intérêt modérés allant de pair avec une croissance rapide résoudraient sans délai l'impasse financière gouvernementale actuelle. Mais des taux d'intérêt croissants retenant la croissance économique ramèneraient l'impasse à plus ou moins brève échéance.

Pour bien apprécier les perspectives d'avenir, il importe de distinguer les éléments de la situation que le Gouvernement du Québec contrôle directement de ceux qui échappent à son contrôle immédiat. Le Gouvernement peut déterminer lui-même l'évolution de sa fiscalité et celle de ses dépenses de programmes. Mais il n'est pas beaucoup plus qu'un spectateur devant l'évolution des transferts fédéraux, des taux d'intérêt et de la croissance économique américaine et canadienne.

Dans les faits, comme on a exigé beaucoup de la fiscalité québécoise au cours des deux dernières décennies et que les transferts fédéraux dépendent de l'impact des variables économiques sur les finances fédérales, les perspectives de redressement des finances du Québec peuvent se résumer ultimement par l'alternative suivante: ou bien la banque centrale encouragera une reprise économique rapide et complète, ou bien des compressions supplémentaires devront être appliquées aux dépenses de programmes dans les prochaines années.

De quelle ampleur seraient ces compressions? Dans l'hypothèse d'une reprise qui ne serait complète qu'à 60 %, nous avons estimé à 1,2 milliard $ (en dollars de 1994) l'insuffisance de base du solde des opérations (à transferts fédéraux inchangés) pour stabiliser le poids de la dette dans l'économie à la fin de la reprise. Il n'y a aucun doute que la détérioration des finances fédérales qui accompagnerait ce scénario de reprise anémique entraînerait une réduction des transferts fédéraux au Québec. Nous l'estimons minimalement à 0,5 milliard $. Les dépenses de programmes devraient donc, au minimum, baisser de 1,2 + 0,5 - 1,7 milliard $.

Un tel ajustement permettrait tout juste au Gouvernement de stabiliser le fardeau de sa dette à la fin de la présente reprise économique. Il ne lui laisserait aucune marge de manoeuvre pour affronter les aléas financiers. Toute récession le ramènerait en crise financière. C'est pourquoi il serait forcé en pratique d'envisager des réductions de dépenses de programmes, non pas de 1,7 milliard $, mais plutôt de 3,0 milliards $ Ce montant représente plus de 8 % du montant de 36,3 milliards $ prévu pour les dépenses de programmes au budget de 1994-95.

Une telle chirurgie serait majeure et devrait s'appliquer au niveau fédéral comme au niveau québécois. Elle donnerait certainement lieu à une restructuration radicale des fins et des moyens de l'ensemble de notre secteur public. Nous n ' o s o n s pas nous prononcer sur la faisabilité politique d'une telle opération. Nous

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sommes cependant prêts à affirmer que le scénario d'une reprise économique rapide et complète aurait bien meilleur goût. L'urgence actuelle consiste à s'assurer que la gestion de la reprise économique par les autorités fédérales permette le retour du plein emploi sans inflation et de la santé des finances publiques dans le plus court délai possible.

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0 10,252 E-565 ex.2 Crémieux, P-Y e t a l .

L'évolution macroéconomique e t l a ' g e s t i o n budgétaire au Québec.

T I T R E

D A T E D ' E M P R U N T

N O M D U L E C T E U R D A T E D E R E T O U R

2 5 B i b l i o f i c h e s

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