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Lycée Arcisse de Caumont 3 rue Baron Gérard 14400 BAYEUX NOM : Prénom : 1 STMG2 Descriptif des lectures et des activités

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Lycée Arcisse de Caumont3 rue Baron Gérard14400 BAYEUXNOM : Prénom : 1STMG2

Descriptif des lectures et des activités

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SEQUENCE 1 La Classe de neige (1995) d'Emmanuel Carrère,

un récit d'enfance et un regard sur le monde

Objet d'etude : le personnage de roman, du XVIIe siècle à nos jours

Problematique : quelles visions de l'enfance et de la société Emmanuel Carrère offre-t-il àtravers La Classe de neige ?

Perspective d'etude : étude de l'histoire littéraire et culturelle ; étude des genres et des registres

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TEXTES ETUDIES EN LECTURE ANALYTIQUE

1. l'incipit (chapitre 1)

2. un père menaçant : de « Alors, le père du garçon qui venait de faire un tour... » jusqu'à lafin du chapitre (chapitre 6)

3. Nicolas conteur et lecteur : de « Ils s'imaginaient tous les deux... » jusqu'à « ... ce seraitune catastrophe epouvantable. » (chapitre 20)

4. la fée de l'autoroute : de « Son manteau de fourrure...» jusqu'à la fin du chapitre(chapitre 30)

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ACTIVITES

– autres œuvres et/ou textes étudiés :

• Groupement de textes : figures d'enfants exclus : Guy de Maupassant, "Le Papa deSimon" (1881) ; William Golding, Sa Majesté des Mouches (1954).

• Groupement de textes : la magie de la lecture : Jules Vallès, L'Enfant (1878) ; Jean-PaulSartre, Les Mots (1954) ; Dai Sijie, Balzac et la Petite Tailleuse chinoise (2000).

• Education aux médias : La Classe de neige, la presse en a parlé : "Quand le fait d'hiverglace les sangs, d'Emmanuel Carrère" de Bernard Gicquel, Paris-Match (1995) ; "Voyagedans l'imaginaire enfantin" de Dominique Bona, Le Figaro (1995) ; "Piste de signes" deBruno Gendre, Les Inrockuptibles (1995).

• Interview d'Emmanuel Carrère par Fanny Taillandier, La Classe de neige, Etonnantsclassiques.

• Lecture cursive au choix : Emmanuel Carrère, L'Adversaire (2000) ou Dai Sijie, Balzac etla Petite Tailleuse chinoise (2000).– lectures d'images :

• L'affiche du film de Claude Miller• Représenter l'enfance au XXème siècle : Pablo Picasso, Paul en Arlequin, 1924 (Paris,

musee Picasso), Paul Klee, Ein Kinderspiel [Un jeu d’enfant], 1939 (Berlin,Nationalgalerie), Robert Doisneau, L’Enfant papillon, Saint- Denis, 1945 – autres activités :

• Emmanuel Carrère : un ecrivain qui s'interroge sur les limites entre le reel et la fiction• La structure de l'oeuvre : une tragedie en trois actes• Le sens du titre• Les personnages dans le roman : Nicolas, les figures paternelles (son père et Patrick), les

figures maternelles (la mère et la maîtresse), Hodkann• L'imaginaire de Nicolas : Nicolas conteur, Nicolas rêveur

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SEQUENCE 2 La Guerre de Troie n'aura pas lieu (1935) de Jean Giraudoux, un message universel sur la guerre

Objet d'etude : théâtre, texte et représentation

Problematique : Comment la guerre est-elle représentée au théâtre ? Comment, dans cettepièce, le dramaturge du XX°s reprend-il les caractéristiques du théâtre classique pourexprimer des inquiétudes contemporaines ?

Perspective d'etude : étude de l'histoire littéraire et culturelle ; étude des genres et registres

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TEXTES ETUDIES EN LECTURE ANALYTIQUE

5. La scène d’exposition, jusqu'à "... Le bonheur tombe sur le monde !" (I,1) 6. Hector et Andromaque, de "Aimes-tu la guerre ?" jusqu'à " faire le siège paisible de sa

patrie ouverte" (I, 3)

7. Le discours sur la guerre, de "O vous qui…le ciel" jusqu'à "Moi je me sens bien mieux" (II,5)

8. Le dénouement : II, 14 ________________________________________________________________________________

ACTIVITES

– autres œuvres et/ou textes étudiés :

• Groupement de textes : le personnage d'Andromaque : Jean Racine, Andromaque, 1667. Acte III, scène 8, vers 993-1026 ; Jean Giraudoux, La Guerre de Troie n'aura pas lieu, 1935. Acte I scène 3 ; Marcel Ayme, Uranus, 1948 ; Homère, IIiade, livre VI (extraits, traduction de Paul Mazon).

• Lecture cursive au choix : Antigone (1944) de Jean Anouilh, Electre (1937) de JeanGiraudoux ou Les Mouches (1943) de Jean-Paul Sartre

– lectures d'images :

• Extraits de captations de la pièce : Jean Vilar (1962), Raymond Gerome (1988), Nicolas Briançon (2006), Francis Huster (2013)

• Interview de Jean Vilar (1963).– autres activités :

• Jean Giraudoux : le parcours d'un romancier, d'un dramaturge, d'un diplomate, d'ungermanophile

• Du texte à la representation• Les personnages : les Grecs vs. les Troyens ; le clan de la paix vs. le clan de la guerre ;

Andromaque vs. Helène• La structure de la pièce• Rappels sur la guerre de Troie et sur L'Iliade, sur la France de l'entre-deux-guerres

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Activité conduite en autonomie par l'élève : écrit d'invention : Vous mettez en scène La Guerre de Troie n'aura pas lieu de Jean Giraudoux et vous ecrivez au directeur d'un theâtre pour lui presenter votreprojet. Dans la lettre, vous defendez le choix de cette pièce et vous exposez vos partis pris (decors, sons et lumières, costumes, jeu des comediens ... ) en vous appuyant sur la scène proposee dans le corpus (texte A). Vous ne signerez pas votre lettre.

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SEQUENCE 3 Les villes modernes : le poète peintre de la vie moderne

Objet d'etude : écriture poétique et quête du sens, du Moyen Âge à nos jours (groupement detextes)

Problematiques : En quoi Baudelaire, Apollinaire et Senghor sont-il à la fois les héritiers d’unetradition et les expérimentateurs de nouveautés ? En quoi leur poésie est-elle moderne ?Comment les poètes transforment-ils les paysages urbains modernes en objets poétiques ?

Perspectives d'etude : étude de l'histoire littéraire et culturelle ; étude de l'intertextualité et dela singularité des textes

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TEXTES ETUDIES EN LECTURE ANALYTIQUE

9. Charles Baudelaire, « Le Cygne », Les Fleurs du mal (1857)

10. Charles Baudelaire, « Les yeux des pauvres», Le Spleen de Paris (1869)

11. Guillaume Apollinaire, « Zone» , du debut à « l’avenue des Ternes » (vers 1 à 24),Alcools (1913)

12. Leopold Sedar Senghor, « New-York », Ethiopiques (1956)

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ACTIVITES

– autres œuvres et/ou textes étudiés :

• Groupement de textes : deux conceptions de la poésie : Nicolas Boileau, Art poétique,chant I (1674) ; Victor Hugo, Les Contemplations, Livre premier, VII (1856) « Reponse àun acte d'accusation »

• Lecture cursive : Le Spleen de Paris (1869) de Charles Baudelaire

– lecture d'images :

• Histoire des arts : Le pont de l'Europe (1875) de Gustave Caillebotte.• Document vidéo : Fritz Lang, Métropolis, 1927.

– autres activités :

• Charles Baudelaire, Guillaume Apollinaire et Leopold Sedar Senghor : biographie etbibliographie

• La notion de recueil poetique : le sens du titre (exemples des Fleurs du Mal, du Spleen deParis, d'Alcools et d'Ethiopiques) ; l’organisation d'un recueil

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SEQUENCE 4 Traité sur la tolérance (1763) de Voltaire : une affaire exemplaire ?

Objet d'etude : la question de l'homme dans les genres de l'argumentation du moyen-âge à nosjours

Problematique : En quoi le Traité sur la tolérance permet-il l’élaboration d’un jugementargumenté ?

Perspective(s) d'etude : étude de l'argumentation et de ses effets sur les destinataires

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TEXTES ETUDIES EN LECTURE ANALYTIQUE

13.Le supplice de Jean Calas, de « Il semble que » jusqu'à « pardonner à ces juges » (chapitreI)

14. "Lettre écrite au jésuite Le Tellier par un bénéficier, le 6 mai 1714" (chapitre XVII) 15."De la tolérance universelle", du debut jusqu'à "souffrir de contradiction" (Chapitre XXII)16. "Prière à Dieu" (chapitre XXIII).

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ACTIVITES

– autres œuvres et/ou textes étudiés :

• Groupement de textes : la peine de mort : Victor Hugo, Discours à l'Assembléeconstituante (15 septembre 1848) ; Albert Camus, L'Etranger, 1942 ; Albert CAMUS,Réflexions sur la guillotine, 1957 ; Robert Badinter, ministre de la Justice (garde desSceaux), discours à l'Assemblee nationale, le 17 septembre 1981

• Lecture cursive : Candide (1759) de Voltaire

– lectures d'images :

• Le Frontispice de l’Encyclopédie, dessine par Charles-Nicolas Cochin (1715-1790)• Deux planches de l'adaptation en bande-dessinee de Candide, par Delpâture, Dufranne,

Radovanovic (2013).• L'Affaire Calas (2007) de Francis Reusser et Alain Moreau

– autres activités :

▪ Voltaire : biographie et bibliographie ; la notion d'engagement▪ L'affaire Calas▪ La construction du livre

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Activité conduite en autonomie par l'élève : les procédés de persuasion : comparaison dusermon du prêtre et du discours de Voltaire racontant le supplice de Calas, dans le film L'AffaireCalas (2007) de Francis Reusser et Alain Moreau

Le professeur : Le chef d’établissement :

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Le personnage de roman,

du XVIIe siècle à nos jours

Lectures analytiques

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Lecture analytique n° 1 : l'incipit

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Plus tard, longtemps, jusqu'a maintenant, Nicolas essaya de se rappeler les dernieres parolesque lui avait adressées son pere. Il lui avait dit au revoir a la porte du chalet, répété des conseils deprudence, mais Nicolas était tellement gené de sa présence, il avait tellement hate de le voirrepartir qu'il n'avait pas écouté. Il lui en voulait d'etre la, d'attirer des regards qu'il devinaitmoqueurs et s'était dérobé, en baissant la tete, au baiser d'adieu. Dans l'intimité familiale, ce gestelui aurait valu des reproches mais il savait qu'ici, en public, son pere n'oserait pas.

Avant, dans la voiture, ils avaient du parler. Nicolas, assis a l'arriere, trouvait diffcile de sefaire entendre a cause du bruit de la soufferie, poussée au maximum pour désembuer les vitres.Son souci était de savoir s'ils trouveraient sur la route une station Shell. Pour rien au monde, cethiver, il n'aurait consenti a ce qu'on achete de l'essence ailleurs, car Shell donnait des bonspermettant de gagner un bonhomme en plastique dont le dessus se soulevait comme le couvercled'une boite, découvrant le squelette et les organes : on pouvait les retirer, les remettre et ainsi sefamiliariser avec l'anatomie du corps humain. L'été précédent, dans les stations Fina, on gagnaitdes matelas pneumatiques et des bateaux gonfables. Ailleurs, c'étaient des illustrés, dont Nicolasavait la collection complete. Il se jugeait privilégié, au moins de ce point de vue, a cause du métierde son pere qui passait son temps sur les routes et devait faire le plein tous les deux ou trois jours.Avant chacune de ses tournées, Nicolas se faisait indiquer l'itinéraire sur la carte, calculait lenombre de kilometres et le convertissait en bons qu'il rangeait dans le coffre-fort, de la taille d'uneboite a cigares, dont il était le seul a connaitre la formule. Ses parents le lui avaient offert a Noel «pour tes petits secrets », avait dit son pere et il avait tenu a l'emporter dans son sac. Il aurait bienvoulu, pendant le voyage, recompter les bons et calculer combien il lui en fallait encore, mais lesac était dans le coffre de la voiture et son pere avait refusé de s'arreter pour l'ouvrir : onprofterait d'une étape. Finalement, il n'y eut pas de station Shell ni d'étape avant le chalet.Voyant Nicolas décu, son pere promit de rouler suffsamment d'ici la fn de la classe de neige pourgagner l'écorché anatomique. S'il lui confait les bons, il le trouverait pour son retour a la maison.

La derniere partie du trajet s'effectua sur des petites routes, pas assez enneigées pour devoirmettre les chaines, et cela aussi décut Nicolas. Auparavant, ils avaient roulé sur l'autoroute. A unmoment, la circulation ralentit, puis s'immobilisa pendant quelques minutes. Le pere de Nicolas,énervé, tapota le volant en grognant que ce n'était pas normal, un jour de semaine au mois defévrier. De la banquette arriere, Nicolas ne pouvait voir que son profl perdu, sa nuque épaisseengoncée dans le col du pardessus. Ce profl et cette nuque exprimaient le souci, une fureuramere et butée. Enfn, les voitures se remirent a rouler. Le pere de Nicolas soupira, se détendit unpeu : ce devait etre juste un accident, dit-il. Nicolas fut choqué par ce ton de soulagement commesi un accident, parce qu'il provoquait seulement un bouchon de courte durée, résorbé avecl'arrivée des secours, pouvait etre considéré comme une chose désirable. Il était choqué, maisaussi plein de curiosité. Le nez collé a la vitre, il espérait voir les voitures en accordéon, les corpssanglants qu'on emportait sur les civieres dans le tournoiement des gyrophares, mais il ne vit riendu tout et son pere, surpris, dit que non, fnalement, ca ne devait pas etre ca. Le bouchon disparu,son mystere subsista.

La Classe de neige (1995) d'Emmanuel Carrère (chapitre 1).

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Lecture analytique n° 2 : un père menaçant

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Alors, le pere du garcon qui venait de faire un tour proposa gentiment de garder le petit frerependant les trois minutes que durait l'attraction. En plus agé, il ressemblait un peu a Patrick, lemoniteur : il portait un blouson de jean et non un lourd pardessus de loden comme le pere deNicolas ; son visage était rieur. Nicolas le regarda avec reconnaissance, puis regarda son pere avecespoir. Mais son pere dit sechement au pere du garcon que ce n‘était pas la peine. Quand Nicolasouvrit la bouche pour essayer de le féchir, il lui jeta un coup d’œil menacant et lui mit la main enétau sur la nuque pour le faire avancer. Ils s’éloignerent de la chenille en silence, Nicolas n’osantprotester tant qu’ils étaient encore en vue du garcon et de son pere. Il imaginait, dans son dos,leurs regards étonnés : pourquoi ce départ si brusque en réponse a une offre aimable ? Lorsqu'ils’estima assez loin, le pere de Nicolas s’arreta et dit séverement que quand il avait dit non, c’étaitnon, et qu’il ne servait a rien de faire du scandale en public.- Tu veux que je te dise pourquoi ? demanda son pere, les sourcils froncés. Tu veux que je te ledise ? Tres bien, tu es assez grand pour qu'on t'explique. Seulement, il ne faut pas que tu en parles,ni a tes copains ni a personne. C'est une chose que j'ai apprise d'un directeur de clinique, lesmédecins sont tous au courant mais on ne veut pas que ca se sache, pour ne pas affoler les gens. Iln'y a pas longtemps, dans un parc d'attractions comme celui-ci, un petit garcon a disparu. Pendantquelques instants ses parents n'ont pas fait attention, et voila. Tout s'est passé tres vite : c'est tresfacile, tu sais, de disparaitre. On l'a cherché toute la journée et le soir on a fni par le retrouver,sans connaissance derriere une palissade. On l'a emmené a l'hôpital, on a vu qu'il avait un grospansement dans le dos, avec du sang qui coulait, et alors les médecins ont compris, ils savaientd'avance ce qu'ils allaient voir a la radio : on avait opéré le petit garcon, on lui avait enlevé unrein. Il y a des gens qui font ca, fgure-toi. Des gens méchants. Ça s'appelle du trafc d'organes. Ilsont des camionnettes avec tout le matériel pour opérer, ils rôdent autour des parcs ou pres de lasortie des écoles, et ils enlevent des enfants. Le chef de clinique m'a dit qu'on préférait ne pasl'ébruiter, mais ca arrive de plus en plus souvent. Rien que dans sa clinique, ils ont eu un gamin aqui on a coupé une main et un autre a qui on a arraché les deux yeux. Tu comprends, maintenant,pourquoi je ne voulais pas confer ton petit frere a un inconnu ?"

Apres ce récit, Nicolas ft a plusieurs reprises un cauchemar qui se déroulait dans le parcd'attractions. Il ne s'en rappelait pas les péripéties au matin, mais devinait que sa pente l'entrainaitvers une horreur sans nom, dont il risquait de ne pas se réveiller. La carcasse métallique de lachenille s'élevait au-dessus des baraquements du parc, et le reve l'attirait vers elle. L'horreur étaittapie par la. Elle l'attendait pour le dévorer. La seconde fois, il comprit qu'il s'en était rapprochéet que la troisieme lui serait sans doute fatale. On le retrouverait mort dans son lit, personne necomprendrait ce qui lui était arrivé. Alors il décida de rester éveillé. Il n'y parvint pas vraiment,son sommeil agité fut visité d'autres cauchemars, derriere lesquels il redoutait que se cache celuidu parc et de la chenille. Il découvrit, cette saison-la, qu'il avait peur de dormir.

La Classe de neige (1995) d'Emmanuel Carrère (chapitre 6).

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Lecture analytique n° 3 : Nicolas conteur

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Ils imaginaient tous les deux les trafquants d'organes en train de guetter le chalet, cetteénorme réserve de foies, de reins, d'yeux, de corps frais, attendant l'occasion qui ne venait pas etse rattrapant sur un enfant du village voisin, le petit René qui avait eu le malheur de passer seuldans les parages. Cela se tenait. Cela se tenait terriblement.«Mais, s'inquiéta soudain Hodkann, pourquoi est-ce qu'il ne faut rien en dire a personne ? Si c'estvrai, c'est tres grave. Il faudrait prévenir la police. »

Nicolas le toisa1. Cette nuit, c'était Hodkann qui posait les questions de timide bon sens, etlui, Nicolas, qui le clouait avec des réponses sibyllines2.«Ils ne nous croiront pas, commenca-t-il ; puis, baissant encore la voix : et s'ils nous croient, ce serapire. Parce que les trafquants d'organes ont des complices dans la police.— Comment tu sais ca ? demanda Hodkann.— C'est mon pere, répondit avec autorité Nicolas. A cause de son métier, il connait beaucoup dedocteurs. » Et tandis qu'il parlait, oubliant que tout reposait sur un mensonge de sa part, unenouvelle idée lui venait : peut-etre que l'absence de son pere avait quelque chose a voir avecl'histoire. S'il avait surpris les trafquants, s'il avait, pour de bon, lui, essayé de les suivre ? S'il étaitleur prisonnier ou s'ils l'avaient tué ? Si fragile que fut l'hypothese, il la confa quand meme aHodkann, et pour la consolider inventa de nouveau : cela non plus, il ne fallait surtout pas enparler, mais son pere enquetait sur cette affaire, tout seul, ignoré de la police. Se servant de sonmétier comme d'une couverture, et de ses relations dans le monde hospitalier, il suivait la piste destrafquants. Voila pourquoi il était venu dans la région, sous prétexte de conduire Nicolas au chalet: ses informateurs lui avaient signalé la présence de la camionnette où se déroulaient les opérationsclandestines. C'était une traque terriblement dangereuse. Il s'agissait d'une organisation puissante,sans scrupules, a laquelle il s'attaquait seul.«Attends, demanda Hodkann. Il est détective, ton pere ?— Non, dit Nicolas. Non, mais... »

Il s'interrompit, et c'est lui qui, cette fois, regarda Hodkann avec une dure détermination,comme s'il jaugeait3 sa capacité a encaisser ce qui lui restait a apprendre. Hodkann attendait.Nicolas comprit qu'il ne mettait en doute rien de ce qu'il lui avait dit et, un peu effrayé par sespropres paroles, poursuivit : «Il a un compte a régler avec eux. L'année derniere, ils ont enlevémon petit frere. Il a disparu dans un parc d'attractions et on l'a retrouvé plus tard derriere unepalissade. Ils lui avaient pris un rein. Tu comprends, maintenant ? »

Hodkann comprenait. Son visage était grave.« Personne ne le sait, dit encore Nicolas. Tu me jures que tu n'en parleras pas ?»

Hodkann jura. Nicolas jouissait de l'empire que son récit prenait sur lui. Il lui avait enviéson pere mort, et mort de mort violente, comme la source de son prestige, et lui aussi maintenantavait un pere aventurier, un justicier courant mille dangers, engagé dans une histoire dont il avaitpeu de chances de sortir vivant. D'un autre côté, il se demandait avec inquiétude où l'entrainait lafolle surenchere de cette nuit, cette cascade d'inventions sur lesquelles il ne pouvait plus revenir. SiHodkann parlait, ce serait une catastrophe épouvantable.

La Classe de neige (1995) d'Emmanuel Carrère (chapitre 20).

1 Regarda de haut.2 Enigmatiques.3 Evaluait.

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Lecture analytique n° 4 : la fée de l'autoroute

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Son manteau de fourrure, brillant comme s'il avait été recouvert de rosée, était ouvert surune robe bleue d'une matiere mouvante, précieuse. De son chignon lache s'échappaient sur lanuque des cheveux blonds qu'on avait envie de caresser. Elle donnait une impression de richesseet de luxe, contrastant avec la grisaille malpropre de l'endroit, mais surtout de douceur, unedouceur enveloppante, magique, presque insoutenable. Elle était belle : précieuse, douce et belle.Calmement, sans impatience, elle regardait le parking au-dehors, le local sinistre autour d'elle etquand son regard revint sur Nicolas, elle lui sourit de nouveau, d'un sourire qui n'était pas distrait,pas insistant non plus, mais s'adressait a lui, personnellement, l'enveloppait tout entier de cettetendresse céleste4 qui émanait d'elle. La robe de soie bleue, échancrée assez bas, laissait voir lanaissance de ses seins, et une pensée bizarre vint a Nicolas : l'intérieur de son corps, ses visceres,ses boyaux, le sang circulant dans ses veines devaient etre aussi propres et lumineux que sonsourire. Il se rappela la fée bleue de Pinocchio. Aupres d'elle on n'avait plus rien a redouter. Ellepouvait, si elle voulait, faire disparaitre l'horreur, faire que n'ait pas été ce qui avait été, et si ellesavait, elle voudrait, c'était certain.

Patrick se leva et dit qu'il allait une minute aux toilettes. Nicolas comprit que dans cetteminute allait se jouer sa vie. Il fallait qu'il parle a la fée. Qu'il lui dise de le sauver, de l'emmeneravec elle la où elle allait. Il n'aurait pas a s'expliquer, il était sur qu'elle comprendrait, qu'unephrase suffrait. «Sauvez-moi madame, emmenez-moi.» Elle serait étonnée un instant, mais leregarderait attentivement, avec cette attention, cette douceur qui traversaient le coeur etdonnaient envie de pleurer, et elle saurait alors qu'il disait la vérité, qu'elle seule pouvaitaccomplir le miracle. Elle dirait : «Viens», le prendrait par la main. Ils courraient jusqu'a savoiture, quitteraient l'autoroute a la premiere sortie. Ils rouleraient longtemps, lui a côté d'elle. Enconduisant, elle lui sourirait, elle murmurerait que c'était fni maintenant. Ils iraient loin, tres loin,la où se déroulait sa vie qui lui ressemblait, douce, précieuse et belle, et elle lui permettrait derester toujours pres d'elle, hors de danger, en paix.

Nicolas ouvrit la bouche, mais aucun son ne sortit. Il fallait qu'il attire son attention,qu'avec ses yeux au moins il fasse passer le message. Il fallait qu'elle le regarde, croise sasupplication silencieuse, cela suffrait pour qu'elle comprenne. Oui, oui, elle comprendrait. Ellesaurait deviner l'agonie qui se déroulait a l'intérieur de ce petit garcon croisé dans un relaisd'autoroute et qu'elle seule pouvait l'y arracher. Mais elle ne le regardait plus, elle regardaitdehors, suivant des yeux un homme vetu de noir qui marchait a grandes enjambées sur leparking, vers eux. La gorge serrée, broyée par le silence qui montait de son ventre, Nicolas vitl'homme approcher, pousser la porte vitrée. Il pencha vers la femme un visage amoureux et posaun baiser dans son cou, pres des cheveux follets échappés du chignon. Elle lui souriait, de sonsourire céleste. Elle ne voyait plus que lui. Jamais de sa vie Nicolas n'avait haï quelqu'un ainsi, pasmeme Hodkann.

«C'est réparé, dit l'homme, on peut y aller.» La fée se leva et sortit avec lui. En refermant la porte, elle ft a Nicolas un petit signe de la

main, puis lui tourna le dos. L'homme passa le bras autour de ses épaules pour la réchauffer etNicolas les vit s'éloigner vers leur voiture, y monter, disparaitre. Ses doigts sous la table étaientemmelés, noués les uns aux autres et il vit que par terre, entre ses pieds, une sorte de flamentrouge et bleu trainait parmi les emballages de sucre et les mégots. Le bracelet brésilien étaittombé. Il essaya de se rappeler le voeu formé au moment où Patrick le lui avait noué, unesemaine plus tôt, mais n'y arriva pas : peut-etre qu'a force d'hésiter, a la recherche de celui qui leprotégerait le mieux de tous les dangers de la vie, il n'en avait pas fait du tout.

La Classe de neige (1995) d'Emmanuel Carrère (chapitre 30).

4 Venue du ciel (sens figure).

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Le personnage de roman,

du XVIIe siècle à nos jours

Documents complémentaires

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Groupement de textes n° 1 : enfants exclus

Texte 1 : Guy de Maupassant, "Le Papa de Simon" (1881)

Voici le début de la nouvelle...Midi fnissait de sonner. La porte de l'école s'ouvrit, et les gamins se précipiterent en se

bousculant pour sortir plus vite. Mais au lieu de se disperser rapidement et de rentrer diner, commeils le faisaient chaque jour, ils s'arreterent a quelques pas, se réunirent par groupes et se mirent achuchoter.

- C'est que, ce matin-la, Simon, le fls de la Blanchotte, était venu a la classe pour la premiere fois.Tous avaient entendu parler de la Blanchotte dans leurs familles ; et quoiqu'on lui fit bon

accueil en public, les meres la traitaient entre elles avec une sorte de compassion un peu méprisantequi avait gagné les enfants sans qu'ils sussent du tout pourquoi.

Quant a Simon, ils ne le connaissaient pas, car il ne sortait jamais, et il ne galopinait pointavec eux dans les rues du village ou sur les bords de la riviere. Aussi ne l'aimaient-ils guere ; et c'étaitavec une certaine joie, melée d'un étonnement considérable, qu'ils avaient accueilli et qu'ils s'étaientrépété l'un a l'autre cette parole dite par un gars de quatorze ou quinze ans qui paraissait en savoirlong tant il clignait fnement des yeux :

« Vous savez... Simon... eh bien, il n'a pas de papa. »

Le fls de la Blanchotte parut a son tour sur le seuil de l'école.

Il avait sept ou huit ans. Il était un peu palot, tres propre, avec l'air timide, presque gauche.Il s'en retournait chez sa mere quand les groupes de ses camarades, chuchotant toujours et le

regardant avec les yeux malins et cruels des enfants qui méditent un mauvais coup, l'entourerentpeu a peu et fnirent par l'enfermer tout a fait. Il restait la, planté au milieu d'eux, surpris etembarrassé, sans comprendre ce qu'on allait lui faire. Mais le gars qui avait apporté la nouvelle,enorgueilli du succes obtenu déja, lui demanda :

« Comment t'appelles-tu, toi ? »

Il répondit : « Simon.

- Simon quoi ? » reprit l'autre.

L'enfant répéta tout confus : « Simon. »

Le gars lui cria : « On s'appelle Simon quelque chose... c'est pas un nom, ca... Simon. »

Et lui, pret a pleurer, répondit pour la troisieme fois :

« Je m'appelle Simon. »

Les galopins se mirent a rire. Le gars triomphant éleva la voix : « Vous voyez bien qu'il n'apas de papa. »

Un grand silence se ft. Les enfants étaient stupéfaits par cette chose extraordinaire,impossible, monstrueuse, - un garcon qui n'a pas de papa ; - ils le regardaient comme unphénomene, un etre hors de la nature, et ils sentaient grandir en eux ce mépris, inexpliqué jusque-la, de leurs meres pour la Blanchotte.

Quant a Simon, il s'était appuyé contre un arbre pour ne pas tomber ; et il restait commeatterré par un désastre irréparable. Il cherchait a s'expliquer. Mais il ne pouvait rien trouver pourleur répondre, et démentir cette chose affreuse qu'il n'avait pas de papa. Enfn, livide, il leur cria atout hasard : « Si, j'en ai un.

- Où est-il ? » demanda le gars.

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Simon se tut ; il ne savait pas. Les enfants riaient, tres excités ; et ces fls des champs, plusproches des betes, éprouvaient ce besoin cruel qui pousse les poules d'une basse-cour a achever l'uned'entre elles aussitôt qu'elle est blessée. Simon avisa tout a coup un petit voisin, le fls d'une veuve,qu'il avait toujours vu, comme lui-meme, tout seul avec sa mere.

« Et toi non plus, dit-il, tu n'as pas de papa.

- Si, répondit l'autre, j'en ai un.

- Où est-il ? riposta Simon.

- Il est mort, déclara l'enfant avec une ferté superbe, il est au cimetiere, mon papa. »

Un murmure d'approbation courut parmi les garnements, comme si ce fait d'avoir son peremort au cimetiere eut grandi leur camarade pour écraser cet autre qui n'en avait point du tout. Etces polissons, dont les peresétaient, pour la plupart, méchants, ivrognes, voleurs et durs a leursfemmes, se bousculaient en se serrant de plus en plus, comme si eux, les légitimes, eussent vouluétouffer dans une pression celui qui était hors la loi.

L'un, tout a coup, qui se trouvait contre Simon, lui tira la langue d'un air narquois et lui cria :« Pas de papa ! pas de papa ! »

Simon le saisit a deux mains aux cheveux et se mit a lui cribler les jambes de coups de pied,pendant qu'il lui mordait la joue cruellement. Il se ft une bousculade énorme. Les deux combattantsfurent séparés, et Simon se trouva frappé, déchiré, meurtri, roulé par terre, au milieu du cercle desgalopins qui applaudissaient. Comme il se relevait, en nettoyant machinalement avec sa main sapetite blouse toute sale de poussiere, quelqu'un lui cria :

« Va le dire a ton papa. »

Alors il sentit dans son cœur un grand écroulement. Ils étaient plus forts que lui, ils l'avaientbattu, et il ne pouvait point leur répondre, car il sentait bien que c'était vrai qu'il n'avait pas depapa. Plein d'orgueil, il essaya pendant quelques secondes de lutter contre les larmes quil'étranglaient. Il eut une suffocation, puis, sans cris, il se mit a pleurer par grands sanglots qui lesecouaient précipitamment.

Alors une joie féroce éclata chez ses ennemis, et naturellement, ainsi que les sauvages dansleurs gaietés terribles, ils se prirent par la main et se mirent a danser en rond autour de lui, enrépétant comme un refrain : « Pas de papa ! pas de papa ! »

Mais Simon tout a coup cessa de sangloter. Une rage l'affola. Il y avait des pierres sous sespieds ; il les ramassa et, de toutes ses forces, les lanca contre ses bourreaux. Deux ou trois furentatteints et se sauverent en criant ; et il avait l'air tellement formidable qu'une panique eut lieu parmiles autres. Laches, comme l'est toujours la foule devant un homme exaspéré, ils se débanderent ets'enfuirent.

Resté seul, le petit enfant sans pere se mit a courir vers les champs, car un souvenir lui étaitvenu qui avait amené dans son esprit une grande résolution. Il voulait se noyer dans la riviere.

Texte 2 : William Golding, Sa Majesté des Mouches (1954).A la suite du crash de leur avion, des enfants se retrouvent éparpillés sur une île. Asthmatique et obèse, Piggy a

lié connaissance avec Ralph, grand et sportif. Ils rencontrent les autres enfants. Ralph, qui a trouvé une conque, coquillage permettant de produire un son puissant quand on souffe dedans, est désigné comme chef et s'apprête à partir explorer l'île.

— Il faudrait connaitre tous les noms. Je m’appelle Ralph.

— On les connait presque tous. On vient de les dire, affrma Piggy.

—Des gosses ! laissa tomber Merridew. Pourquoi on m’appellerait Jack ? Moi c’est Merridew. Ralph se tourna brusquement vers lui. Ce garcon-la savait ce qu’il voulait.

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— Alors, continua Piggy, ce garcon... j’ai oublié...

— Tu parles trop, l’interrompit Jack Mer- ridew. La ferme, le gros ! Des rires fuserent.

— Il ne s’appelle pas le Gros, cria Ralph. Son vrai nom, c’est Piggy !

— Piggy !

— Piggy !

— Oh ! Piggy !

Ce fut un éclat de rire général auquel se joignirent meme les plus petits. Pendant un brefinstant il se forma un circuit fermé de sympathie dont Piggy était exclu. Celui-ci rougit, baissa la teteet s’absorba dans le nettoyage de ses lunettes.

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Groupement de textes n° 2 : la magie de la lecture

Texte 1 : Jules VALLÈS, L'Enfant, 1878.

Le narrateur - un jeune collégien du XIXème siècle – est puni. Il est enfermé dans une salle d'étude vide. Pours'occuper, il explore les lieux.

Je vais d'un pupitre a l'autre : ils sont vides — on doit nettoyer la place, et les éleves ontdéménagé.Rien, une regle, des plumes rouillées, un bout de fcelle, un petit jeu de dames, le cadavre d'unlézard, une agate perdue.

Dans une fente, un livre : j'en vois le dos, je m'écorche les ongles a essayer de le retirer.Enfn, avec l'aide de la regle, en cassant un pupitre, j'y arrive ; je tiens le volume et je regarde le titre:

ROBINSON CRUSOÉ5

II est nuit.

Je m'en apercois tout d'un coup. Combien y a-t-il de temps que je suis dans ce livre ? —quelle heure est-il ?

Je ne sais pas, mais voyons si je puis lire encore ! Je frotte mes yeux, je tends mon regard, leslettres s'effacent, les lignes se melent, je saisis encore le coin d'un mot, puis plus rien.

J'ai le cou brisé, la nuque qui me fait mal, la poitrine creuse ; je suis resté penché sur leschapitres sans lever la tete, sans entendre rien, dévoré par la curiosité, collé aux fancs de Robinson,pris d'une émotion immense, remué jusqu'au fond de la cervelle et jusqu'au fond du cœur ; et en cemoment où la lune montre la-bas un bout de corne, je fais passer dans le ciel tous les oiseaux de l'ile,et je vois se profler la tete longue d'un peuplier comme le mat du navire de Crusoé ! Je peuplel'espace vide de mes pensées, tout comme il peuplait l'horizon de ses craintes ; debout contre cettefenetre, je reve a l'éternelle solitude et je me demande où je ferai pousser du pain...

La faim me vient : j'ai tres faim.

Vais-je etre réduit a manger ces rats que j'entends dans la cale de l'étude ? Comment faire dufeu ? J'ai soif aussi. Pas de bananes ! Ah ! lui, il avait des limons frais ! Justement j'adore lalimonade !

Clic, clac ! on farfouille dans la serrure.

Est-ce Vendredi ? Sont-ce des sauvages ?

C'est le petit pion qui s'est souvenu, en se levant, qu'il m'avait oublié, et qui vient voir si j'ai étédévoré par les rats, ou si c'est moi qui les ai mangés.

Texte 2 : Jean-Paul SARTRE, Les Mots, 1954.

A la fn de la première partie de cette autobiographie, Sartre évoque sa vie d'enfant imprégnée de ses lectures. Les livres sont devenus une véritable religion pour lui, mais "il y avait une autre vérité" : il est incapable de s'intégrer aux autres enfants, il se sent exclu de leur univers et inférieur à eux. Le texte étudié se passe avec sa mère, et est une expérience réitérée mais toujours vaine, nous permettant d'analyser le malaise de l'enfant.

Sur les terrasses du Luxembourg, des enfants jouaient, je m'approchais d'eux, ils me frôlaientsans me voir, je les regardais avec des yeux de pauvre: comme ils étaient forts et rapides ! comme ils

5 Roman de Daniel Defoe (1719), inspiré par une histoire réelle. Robinson, naufragé, survit seul vingt-huit ans sur uneîle tropicale déserte de l'océan Atlantique avant de rencontre Vendredi qui deviendra son serviteur, peu de temps avantleur découverte par un navire.

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étaient beaux ! Devant ces héros de chair et d'os, je perdais mon intelligence prodigieuse, monsavoir universel, ma musculature athlétique, mon adresse spadassine ; je m'accotais a un arbre,j'attendais. Sur un mot du chef de la bande, brutalement jeté : « Avance, Pardaillan, c'est toi quiferas le prisonnier », j'aurais abandonné mes privileges. Meme un rôle muet m'eut comblé; j'auraisaccepté dans l'enthousiasme de faire un blessé sur une civiere, un mort. L'occasion ne m'en fut pasdonnée : j'avais rencontré mes vrais juges, mes contemporains, mes pairs, et leur indifférence mecondamnait. Je n'en revenais pas de me découvrir par eux : ni merveille ni méduse, un gringalet quin'intéressait personne. Ma mere cachait mal son indignation : cette grande et belle femmes'arrangeait fort bien de ma courte taille, elle n'y voyait rien que de naturel : les Schweitzer sontgrands et les Sartre petits, je tenais de mon pere, voila tout. Elle aimait que je fusse, a huit ans, restéportatif et d'un maniement aisé: mon format réduit passait a ses yeux pour un premier age prolongé.Mais, voyant que nul ne m'invitait a jouer, elle poussait l'amour jusqu'a deviner que je risquais deme prendre pour un nain — ce que je ne suis pas tout a fait — et d'en souffrir. Pour me sauver dudésespoir elle feignait l'impatience : « Qu'est-ce que tu attends, gros benet ? Demande-leur s'ilsveulent jouer avec toi. » Je secouais la tete : j'aurais accepté les besognes les plus basses» je mettaismon orgueil a ne pas les solliciter. Elle désignait des dames qui tricotaient sur des fauteuils de fer : «Veux-tu que je parle a leurs mamans ? » Je la suppliais de n'en rien faire; elle prenait ma main, nousrepartions, nous allions d'arbre en arbre et de groupe en groupe, toujours implorants, toujoursexclus. Au crépuscule, je retrouvais mon perchoir, les hauts lieux où souffait l'esprit, mes songes : jeme vengeais de mes déconvenues par six mots d'enfant et le massacre de cent reitres.

Texte 3 : Dai SIJIE, Balzac et la Petite Tailleuse chinoise, Paris, 2000

Le narrateur, un intellectuel, se trouve dans un camp de rééducation à la campagne, dans la Chine des années 1970 ; àcette époque, lire des romans étrangers était interdit.

À notre retour, le Binoclard nous passa un livre, mince, usé, un livre de Balzac. […] LeBinoclard hésita-t-il longtemps avant de choisir de nous preter ce livre ? Le pur hasard conduisit-ilsa main ? Ou bien le prit-il tout simplement parce que, dans sa valise aux précieux trésors, c'était lelivre le plus mince, dans le pire état ? La mesquinerie guida-t-elle son choix ? Un choix dont laraison nous resta obscure, et qui bouleversa notre vie, ou du moins la période de notre rééducation,dans la montagne du Phénix du Ciel. Ce petit livre s'appelait Ursule Mirouët. Luo le lut dans la nuitmeme où le Binoclard nous le passa, et le termina au petit matin. Il éteignit alors la lampe a pétrole,et me réveilla pour me tendre l'ouvrage. Je restai au lit jusqu'a la tombée de la nuit, sans manger, nifaire rien d'autre que de rester plongé dans cette histoire francaise d'amour et de miracles. Imaginezun jeune puceau de dix-neuf ans, qui somnolait encore dans les limbes de l'adolescence, et n'avaitjamais connu que les bla-bla révolutionnaires sur le patriotisme, le communisme, l'idéologie et lapropagande. Brusquement, comme un intrus, ce petit livre me parlait de l'éveil du désir, des élans,des pulsions, de l'amour, de toutes ces choses sur lesquelles le monde était, pour moi, jusqu'alorsdemeuré muet. Malgré mon ignorance totale de ce pays nommé la France (j'avais quelquefoisentendu le nom de Napoléon dans la bouche de mon pere, et c'était tout), l'histoire d'Ursule meparut aussi vraie que celle de mes voisins. Sans doute, la sale affaire de succession et d'argent quitombait sur la tete de cette jeune flle contribuait-elle a renforcer son authenticité, a augmenter lepouvoir des mots. Au bout d'une journée, je me sentais chez moi a Nemours, dans sa maison, presde la cheminée fumante, en compagnie de ces docteurs, de ces curés… Meme la partie sur lemagnétisme et le somnambulisme me semblait crédible et délicieuse. Je ne me levai qu'apres enavoir lu la derniere page.

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Interview d'Emmanuel Carrère6

FANNY TAILLANDIER : Comment avez-vous eu l'idée d'écrire La Classe de neige ? En quoi vousparaissait-il intéressant de prendre un enfant pour héros ?

EMMANUEL CARRERE : La vérité, qui n'est pas tres gaie, est que j'avais lu un article dans lesannées 1990 sur un criminel qui était un épouvantable assassin d'enfant, et le journaliste dans sonportrait mentionnait le fait qu'il était pere. On est toujours effrayé de lire un article de la sorte ; il n'ya pas de gradation dans l'horreur, mais qu'il soit pere semblait encore plus effroyable. Que ressentaitl'enfant ? Le journaliste n'en disait rien. J'ai essayé d'imaginer a hauteur d'enfant ; en étant dans satete et ses sensations - il est tres perturbé. On dit toujours que les enfants savent tout, memeinconsciemment. Et Nicolas passe son temps a ne pas vouloir savoir.

FANNY TAILLANDIER : Vous avez appelé votre personnage Nicolas en référence au Petit Nicolas7

de Sempé. C'est paradoxal... Et vous, quel genre de Nicolas étiez-vous ?

EMMANUEL CARRERE : Oui, c'est peut-etre une version noire du Petit Nicolas. Enfant, j'étais ami-chemin entre les deux. Je n'avais pas de raison d'avoir peur, mais j'étais quand meme du genreinquiet. Je lisais beaucoup, avec une prédilection pour les histoires qui me faisaient peur. J'avais uncôté Agnan8, chouchou de la maitresse.

FANNY TAILLANDIER : Aviez-vous une idée claire de l'intrigue des le début ? Avez- voustravaillé avec des plans, chapitre par chapitre, ou au fl des pages ? Avez-vous rencontré desdiffcultés ?

EMMANUEL CARRERE : La seule idée que j'avais a l'origine correspondait aux quinze ou vingtdernieres pages, le voyage de retour. C'était ce que de me proposais de raconter, ce voyage avecquelqu'un de bon qui ne peut parler. La proportion s'est totalement inversée des l'instant où j'aicommencé a écrire : le reste de récit qui devait etre l'introduction au voyage de retour est devenu leroman. C'est allé tres vite, et de facon improvisée, sans plan. J'ai eu l'impression de me contenter detirer un fl. Il y a deux types de livres dans mon oeuvre, les puzzles a assembler, ou les pelotes oùl'on tire un fl et tout se dévide - meme si parfois cela casse, car il y a aussi beaucoup de faussespistes. Ensuite j'ai eu a faire de petites retouches, mais rien de plus que du style. C'était tressurprenant pour moi-meme ! (...)

FANNY TAILLANDIER : L'adaptation a l'écran du roman avec le réalisateur Claude Miller en19981 a été votre initiation au cinéma. Par la suite, vous avez vous-meme réalisé l'adaptation de LaMoustache, un autre de vos récits. Que trouvez-vous de plus dans le cinéma, que vous ne trouvez pasdans l'écriture ?

EMMANUEL CARRERE : J'avais déja travaillé comme scénariste. A priori je n'étais pas tres chaud,mais je connaissais Miller et nos relations étaient bonnes. Il m'a dit : «Tu connais bien ce livre, tu esla bonne personne pour travailler sur ce texte.» Alors on est partis quelques jours a la campagne, ona lu en décidant ce qu'on gardait, ensuite j'ai rédigé le scénario et je l'ai envoyé a Claude. Dans lecas de La Classe de neige, qui repose sur une alternance réalisme/fantasme, j'étais perplexe surl'idée d'une adaptation, mais Claude y tenait. C'était un tres bon directeur d'enfants.

6 La Classe de neige, Etonnants classiques, pages 183 à 185.7 Petit Nicolas : oeuvre de litterature ecrite pour la jeunesse par Rene Goscinny de 1955 à 1965 et illustree par Jean-

Jacques Sempe. Elle prend la forme de courts recits où se mêlent humour et regard tendre sur les faceties de l'enfance.

8 Personnage du Petit Nicolas de Goscinny et Sempe, camarade du heros très serieux et toujours prêt à s'instruire.

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Education aux médias : La Classe de neige, la presse en a parlé

Texte 1 : article de Paris-Match, 6 juillet 1995

Quand le fait d'hiver vous glace les sangs, d'Emmanuel Carrère Sauvé in extremis du grand sommeil, le déclaré petit somnambule se love dans la fevre

comme dans un refuge avant d'affronter un drame qu'il a depuis son arrivée douloureusementpressenti et qui, aujourd'hui, frappe a la porte du chalet. Un gosse du pays a été retrouvé assassinépar un sadique. A ce point-la du récit, que dire de plus sinon que l'épilogue cauchemardesque vousserre la gorge et vous brouille la vue. L'auteur lui-meme avoue avoir «chialé» en l'écrivant. «J'étaisseul pendant un mois dans une petite maison en Bretagne, devant mon ordinateur. Au fur et amesure que j'avancais dans l'histoire, j'étais de plus en plus terrifé», dit-il. Tout l'art d'EmmanuelCarrere consiste a entretenir le tic-tac de sa machine infernale avec la précision d'un artifcier. Etcela est d'autant plus effcace que sa langue est limpide, bien élevée. Mais où diable a-t-il étéchercher tout ca ? Dans son imaginaire, bien sur, dans la vie, dans ses lectures, dans «La Steppe9»de Tchekhov, par exemple qu'il lit dans le texte (maman, grande spécialiste de la Russie oblige !) :cette nouvelle nous raconte l'histoire d'un jeune garcon qui quitte sa campagne natale pour lecollege... Que sera maintenant sa vie ? le Russe. On se pose la question avec angoisse a propos dupetit Nicolas, apres «la classe de neige».

Bernard Giquel, Paris-Match, 6 juillet 1995.

Texte 2 : article du Figaro, 25 mai 1995

Voyage dans l'imaginaire enfantin C'est l'histoire, violente et breve, d'un petit garcon comme il y en a tant : craintif et sage,

écrasé par l'autorité des grandes personnes et qui cache sous ses boucles blondes et son sourire millepeurs, mille désirs refoulés, dont il ne connait pas le nom, dont il ignore a la fois les effets sournois etles causes profondes. Ce petit garcon, qui s'appelle Nicolas, est silencieux, timide et tendre, vic-timeidéale pour qui voudrait abuser de sa faiblesse, de sa crédulité.

Emmanuel Carrere a choisi pour héros d'un roman aussi bref qu'un orage cet enfant sanshistoires, banal en apparence, innocent bambin en proie a toutes les terreurs de sa jeune existence.Il nous le présente dans cette parenthese qui est, paradoxalement, un moment clé de la vie scolaire -la classe de neige -, aventure obligatoire a école primaire, plus ou moins jouissive ou plus ou moinstraumatisante selon les individus. Pour les uns, les plus audacieux, occasion d'émancipation,premiere ébauche d'une liberté future, elle est pour les plus fragiles une épreuve terrible. Commentaffronter en effet sans frayeur, et sans choc psychique, ces semaines hors du cercle rassurant de lafamille où, arrachés au cocon, a la bienveillance maternelle, livrés au contrôle de moniteurs qu'ils neconnaissent pas encore et a la promiscuité de camarades que le contexte transforme pour quelques-uns, en diables sinon en vrais bourreaux, ils doivent tenter de se débrouiller seuls, et se conduire engrands - ce qui n'est pas a la portée de chacun. Nicolas apparait dans toute fragilité de son age.Sensible, doux et paisible, il a des manieres de flle, et beaucoup de diffcultés a communiquer. Lemoindre geste, la moindre parole l'intimident ou le blessent.

Par levées de voiles sur le secret de l'enfant, esquisses d'un douloureux passé, on devine queNicolas est malheureux chez lui, entre une mere renfermée et triste et un pere du genre tyrandomestique qui a l'art de s'imposer par la terreur. Pour le faire tenir tranquille, il raconte a son flsainé des histoires atroces d'enfant kidnappés, mutilés, accidentés, où les grands méchants loups ontdes couteaux de bouchers. Nicolas en développe des reves sombres, prémonitoires d'un destinfutur...

Délivré pour un temps de l'atmosphere lourde du foyer, où le pere - représentant decommerce - vient échouer les fns de semaine qu'il passe bizarrement, sans que l'enfant en

9 "La Steppe" : nouvelle d'Anton Tchekhov (1860-1904) parue la premiere fois en 1888.

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comprenne la raison, a s'abrutir de somniferes, le petit bonhomme ne parvient a s'acclimater a lagaieté, a l'insouciance de la classe de neige que pour affronter un drame qui le ramene au sien : lamort d'un gosse du village, dénommé René, victime suppliciée d'un sadique. Tandis que la policerecherche le criminel, Nicolas devine obscurément qu'il va se trouver impliqué un jour dans le plusvilain, le plus méchant des contes de fées, celui qui met en scene l'ogre au long couteau et auxbabines sanglantes.

Le talent d'Emmanuel Carrere, qui avait obtenu le prix Passion en 1984 pour un premierroman nommé Bravoure, est ici dans le raccourci et dans la fevre. Dans La Classe de neige, il ne cultiveguere le style. Il raconte avec une économie de moyens qui confne a l'austérité, sinon a laparcimonie, un drame dont on sent bien, a l'émotion qui sous-tend cette prose nue, simplissime,qu'il l'a passionnément vécu. Sinon pour de bon, mais dans son imagination, en se mettant dans lapeau de l'enfant, et en refusant de porter sur lui un regard d'adulte : La Classe de neige est un voyagedans l'imaginaire enfantin, dans ses ombres, dans ses souffrances intolérables. Le drame de Nicolastrouve par sa concision, par sa violence contenue, qui jamais n'éclate mais poursuit ses ravages enprofondeur, l'écho des vérités en sourdine. Le roman d'Emmanuel Carrere évoque ces orages quigrondent au loin, l'été, sur des paysages inconnus et passent au-dessus des tetes sans jamais éclateren pluie, n'apportant ni fraicheur, ni douceur, ni apaisement au climat étouffant et torride, maispesent de tout leur poids, invisible, secret, comme un chape, sur le coeur des gens.

Dominique Bona, Le Figaro, 25 mai 1995

Texte 3 : article des Inrockuptibles, 24 mai 1995

Piste de signes

Récit. Avouons-le, le nouvel opus10 Emmanuel Carrere (auteur de La Moustache chez POL.,ainsi que d'une belle biographie de Philip K. Dick au Seuil) laisse un rien perplexe. A ménager lachevre et le chou, acrobatiquement assis entre deux chaises, Carrere a peut- etre visé un peu«court». Sachons-lui gré, en tout cas, de l'honneteté de son titre : il s'agit bien du séjour de pré-adolescents sur des pentes enneigées, a fn de détente para-éducative. Le héros qui, comme celui deSempé, se prénomme Nicolas, est un gamin angoissé, incontinent11, un peu mythomane12 et tressérieusement travaillé par son oedipe13. Il arrive en classe de neige accompagné en voiture par sonpere. Mauvais point : Nicolas se fait tout de suite remarquer, d'autant que, papa reparti, l'ons'apercoit que les bagages sont restés dans le coffre du véhicule : on frise la catastrophe... Le récit semet alors doucement en place avec la relation de Nicolas et du grand costaud de la bande,Hodkann, la terreur des dortoirs, puis décolle soudain avec la disparition de René, enfant de larégion, introuvable depuis plusieurs jours. Le mystere s'épaissit... On progresse par petites touchesde frayeurs successives, dans une atmosphere revendiquée de Club des Cinq ou de Signes de piste.Si prompts a imaginer le pire, les protagonistes se démenent tant bien que mal, les moon-boots dansla neige, sur les pentes immaculées et sur la page blanche de leur propre futur, page légerementmaculée par les soupcons qui ne tardent pas a peser sur le pere du héros. Le suspens tient et décoit ala fois, a l'image du livre tout entier, qui, s'il parvient a capter l'attention, et meme a émouvoir, restetout de meme victime de sa fn "ouverte". Reste, en point fort, une réelle acuité14 dans la descriptionimpressionniste des terreurs et mythomanies enfantines : on avait presque fni par oublier (refouler ?)le choc qu'a du représenter la découverte, pour nos carcasses futures, de l'imparable contingence 15

du mal. Bruno Gendre, Les Inrockuptibles, 24 mai 1995

10 oeuvre (s'emploie au sens propre pour une oeuvre musicale ; suivi d'un numéro, il permet de situer cette oeuvre dansla production d'un compositeur).11 qui ne contrôle pas l'émission de son urine (Nicolas urine encore parfois quand il dort).12 présentant comme réelles, sans des choses qui ne le sont pas. 13 complexe d'Oedipe : un garçon tombe amoureux de sa mère et desire tuer son père.14 perspicacite, finesse.15 possibilité

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Du roman à l'adaptation cinématographique : extrait duscénario

48. Bureau - Intérieur jour

Nicolas couché sur le divan arrangé en lit, Melle Grimm est au téléphone avec la mere de Nicolas.

Melle Grimm (au téléphone)

Ecoutez, là il dort... oui...(Sourire de reconnaissance de Nicolas) Oui. Je vous donnerai des nouvelles. Bien sur.Bonsoir Madame... bon- soir...(Elle raccroche mi-excédée mi-amusée puis, a Nicolas) C’est pas grave d’êtresomnanbule, pas la peine d’en faire un plat. Tiens, bois ton verre d’eau. Il faut boire quand on fait de la température.

Nicolas s’exécute puis, tout a trac :

Nicolas

Je peux vous poser une question...? Un somnambule... s’il a fait quelque chose de mal pendant sa crise, c’est de safaute ou pas ?

Melle Grimm

Quoi, par exemple ?

Nicolas

Quelque chose de mal... S’il le fait en dormant, le somnambule, il le sait pas... donc c’est pas de sa faute ?

Melle Grimm

Tu me poses une colle, là... (Silence puis) Qu’est-ce qui t’est arrivé cette nuit...?

Nicolas secoue la tete. Rien. Il regrette sa question.

Melle Grimm (avec douceur)

Mais pourquoi tu t’en fais comme ca tout le temps ? Il va revenir, ton père... S’il avait eu un accident, on le sauraitdéjà...(un temps puis, complice) Remarque, t’as peut-être plus du tout envie qu’il revienne ?

Leur parvient alors le joyeux vacarme des enfants qui descendent de car, de retour du ski...

Patrick

Eh ! Mets-là en veilleuse Hodkann ! Nicolas est malade !

Hodkann (gueulant joyeusement) J’en ai rien à battre ! Y nous prend la tête Chochotte, avec ses malaises !

Dans son lit, le “malade” s’assombrit...

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L'affche du flm de Claude Miller

Représenter l'enfance au XXème siècle

Pablo Picasso, Paul en Arlequin, 1924 (Paris, musée Picasso)

Paul Klee, Ein Kinderspiel [Un jeu d’enfant], 1939 (Berlin, Nationalgalerie)

Robert Doisneau, L’Enfant papillon, Saint- Denis, 1945

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Théâtre, texte et représentation

Lectures analytiques

Lecture analytique n° 5 : la scène d'exposition

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Acte ITerrasse d’un rempart dominé par une terrasse et dominant d’autres remparts.

Scène I

ANDROMAQUE, CASSANDRE, UNE JEUNE SERVANTE

ANDROMAQUE : La guerre de Troie n’aura pas lieu, Cassandre !

CASSANDRE : Je te tiens un pari, Andromaque.

ANDROMAQUE : Cet envoyé des Grecs a raison. On va bien le recevoir. On va bien luienvelopper sa petite Hélene, et on la lui rendra.

CASSANDRE : On va le recevoir grossierement. On ne lui rendra pas Hélene. Et la guerre deTroie aura lieu.

ANDROMAQUE : Oui, si Hector n’était pas la !... Mais il arrive, Cassandre, il arrive ! Tuentends assez ses trompettes... En cette minute, il entre dans la ville, victorieux. Je pense qu’il aurason mot a dire. Quand il est parti, voila trois mois, il m’a juré que cette guerre était la derniere.

CASSANDRE : C’était la derniere. La suivante l’attend.

ANDROMAQUE : Cela ne te fatigue pas de ne voir et de ne prévoir que l’effroyable ?

CASSANDRE : Je ne vois rien, Andromaque. Je ne prévois rien. Je tiens seulement compte dedeux betises, celle des hommes et celle des éléments.

ANDROMAQUE : Pourquoi la guerre aurait-elle lieu ? Paris ne tient plus a Hélene. Hélene netient plus a Paris.

CASSANDRE : Il s’agit bien d’eux !

ANDROMAQUE : Il s’agit de quoi ?

CASSANDRE : Paris ne tient plus a Hélene ! Hélene ne tient plus a Paris ! Tu as vu le destins’intéresser a des phrases négatives ?

ANDROMAQUE : Je ne sais pas ce qu’est le destin.

CASSANDRE : Je vais te le dire. C’est simplement la forme accélérée du temps. C’estépouvantable.

ANDROMAQUE : Je ne comprends pas les abstractions.

CASSANDRE : À ton aise. Ayons recours aux métaphores. Figure-toi un tigre. Tu la comprends,celle-la ? C’est la métaphore pour jeunes flles. Un tigre qui dort.

ANDROMAQUE : Laisse-le dormir.

CASSANDRE : Je ne demande pas mieux. Mais ce sont les affrmations qui l’arrachent a sonsommeil. Depuis quelque temps, Troie en est pleine.

ANDROMAQUE : Pleine de quoi ?

CASSANDRE : De ces phrases qui affrment que le monde et la direction du mondeappartiennent aux hommes en général, et aux Troyens ou Troyennes en particulier...

ANDROMAQUE : Je ne te comprends pas.

CASSANDRE : Hector en cette heure rentre dans Troie ?

ANDROMAQUE : Oui. Hector en cette heure revient a sa femme.

CASSANDRE : Cette femme d’Hector va avoir un enfant ?

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ANDROMAQUE : Oui, je vais avoir un enfant.

CASSANDRE : Ce ne sont pas des affrmations, tout cela ?

ANDROMAQUE : Ne me fais pas peur, Cassandre.

UNE JEUNE SERVANTE, qui passe avec du linge : Quel beau jour, maitresse !

CASSANDRE : Ah ! oui ? Tu trouves ?

LA JEUNE SERVANTE, qui sort : Troie touche aujourd’hui son plus beau jour de printemps.

CASSANDRE : Jusqu’au lavoir qui affrme !

ANDROMAQUE : Oh ! justement, Cassandre ! Comment peux-tu parler de guerre en un jourpareil ? Le bonheur tombe sur le monde !

CASSANDRE. – Une vraie neige.

ANDROMAQUE. – La beauté aussi. Vois ce soleil. Il s’amasse plus de nacre sur les faubourgs de Troie qu’au fond des mers. De toute maison de pecheur, de tout arbre sort le murmure des coquillages. Si jamais il y a eu une chance de voir les hommes trouver un moyen pour vivre en paix, c’est aujourd’hui… Et pour qu’ils soient modestes… Et pour qu’ils soient immortels…

CASSANDRE. – Oui les paralytiques qu’on a trainés devant les portes se sentent immortels.

ANDROMAQUE. – Et pour qu’ils soient bons !… Vois ce cavalier de l’avant-garde se baisser sur l’étrier pour caresser un chat dans ce créneau… Nous sommes peut-etre aussi au premier jour de l’entente entre l’homme et les betes.

CASSANDRE. – Tu parles trop. Le destin s’agite, Andromaque !

ANDROMAQUE. – Il s’agite dans les flles qui n’ont pas de mari. Je ne te crois pas.

CASSANDRE. – Tu as tort. Ah ! Hector rentre dans la gloire chez sa femme adorée !… Il ouvre un œil… Ah ! Les hémiplégiques se croient immortels sur leurs petits bancs !… Il s’étire… Ah ! Il est aujourd’hui une chance pour que la paix s’installe sur le monde !… Il se pourleche… Et Andromaque va avoir un fls ! Et les cuirassiers se baissent maintenant sur l’étrier pour caresser les matous dans les créneaux !… Il se met en marche !

ANDROMAQUE. – Tais-toi !

CASSANDRE. – Et il monte sans bruit les escaliers du palais. Il pousse du mufe les portes… Le voila… Le voila…

La voix d’HECTOR. – Andromaque !

ANDROMAQUE. – Tu mens !… C’est Hector !

CASSANDRE. – Qui t’a dit autre chose ?

La Guerre de Troie n'aura pas lieu (1935) de Jean Giraudoux, Acte I, scène 1.

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Lecture analytique n° 6 : Hector et Andromaque

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ANDROMAQUE : Aimes-tu la guerre ?

HECTOR : Pourquoi cette question ?

ANDROMAQUE : Avoue que certains jours tu l’aimes.

HECTOR : Si l’on aime ce qui vous délivre de l’espoir, du bonheur, des etres les plus chers...

ANDROMAQUE : Tu ne crois pas si bien dire... On l’aime.

HECTOR : Si l’on se laisse séduire par cette délégation que les dieux vous donnent a l’instant ducombat...

ANDROMAQUE : Ah ? Tu te sens un dieu, a l’instant du combat ?

HECTOR : Tres souvent moins qu’un homme... Mais parfois, a certains matins, on se releve dusol allégé, étonné, mué. Le corps, les armes ont un autre poids, sont d’un autre alliage. On estinvulnérable. Une tendresse vous envahit, vous submerge, la variété de tendresse des batailles : onest tendre parce qu’on est impitoyable ; ce doit etre en effet la tendresse des dieux. On avance versl’ennemi lentement, presque distraitement, mais tendrement. Et l’on évite aussi d’écraser lescarabée. Et l’on chasse le moustique sans l’abattre. Jamais l’homme n’a plus respecté la vie sur sonpassage...

ANDROMAQUE : Puis l’adversaire arrive ?...

HECTOR : Puis l’adversaire arrive, écumant, terrible. On a pitié de lui, on voit en lui, derriere sabave et ses yeux blancs, toute l’impuissance et tout le dévouement du pauvre fonctionnaire humainqu’il est, du pauvre mari et gendre, du pauvre cousin germain, du pauvre amateur de raki etd’olives qu’il est. On a de l’amour pour lui. On aime sa verrue sur sa joue, sa taie dans son œil. Onl’aime... Mais il insiste... Alors on le tue.

ANDROMAQUE : Et l’on se penche en dieu sur ce pauvre corps ; mais on n’est pas dieu, on nerend pas la vie.

HECTOR : On ne se penche pas. D’autres vous attendent. D’autres avec leur écume et leursregards de haine. D’autres pleins de famille, d’olives, de paix.

ANDROMAQUE : Alors on les tue ?

HECTOR : On les tue. C’est la guerre.

ANDROMAQUE : Tous, on les tue ?

HECTOR : Cette fois nous les avons tués tous. À dessein. Parce que leur peuple était vraiment larace de la guerre, parce que c’est par lui que la guerre subsistait et se propageait en Asie. Un seul aéchappé.

ANDROMAQUE : Dans mille ans, tous les hommes seront les fls de celui-la. Sauvetage inutiled’ailleurs... Mon fls aimera la guerre, car tu l’aimes.

HECTOR : Je crois plutôt que je la hais... Puisque je ne l’aime plus.

ANDROMAQUE : Comment arrive-t-on a ne plus aimer ce que l’on adorait ? Raconte. Celam’intéresse.

HECTOR : Tu sais, quand on a découvert qu’un ami est menteur ? De lui tout sonne faux, alors,meme ses vérités... Cela semble étrange a dire, mais la guerre m’avait promis la bonté, lagénérosité, le mépris des bassesses. Je croyais lui devoir mon ardeur et mon gout a vivre, et toi-meme... Et jusqu’a cette derniere campagne, pas un ennemi que je n’aie aimé...

ANDROMAQUE : Tu viens de le dire : on ne tue bien que ce qu’on aime.

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HECTOR : Et tu ne peux savoir comme la gamme de la guerre était accordée pour me faire croirea sa noblesse. Le galop nocturne des chevaux, le bruit de vaisselle a la fois et de soie que fait lerégiment d’hoplites se frottant contre votre tente, le cri du faucon au-dessus de la compagnieétendue et aux aguets, tout avait sonné jusque-la si juste, si merveilleusement juste...

ANDROMAQUE : Et la guerre a sonné faux, cette fois ?

HECTOR : Pour quelle raison ? Est-ce l’age ? Est-ce simplement cette fatigue du métier dontparfois l’ébéniste sur son pied de table se trouve tout a coup saisi, qui un matin m’a accablé, aumoment où penché sur un adversaire de mon age, j’allais l’achever ? Auparavant ceux que j’allaistuer me semblaient le contraire de moi-meme. Cette fois j’étais agenouillé sur un miroir. Cettemort que j’allais donner, c’était un petit suicide. Je ne sais ce que fait l’ébéniste dans ce cas, s’il jettesa varlope, son vernis, ou s’il continue... J’ai continué. Mais de cette minute, rien n’est demeuré dela résonance parfaite. La lance qui a glissé contre mon bouclier a soudain sonné faux, et le choc dutué contre la terre, et, quelques heures plus tard, l’écroulement des palais. Et la guerre d’ailleurs avu que j’avais compris. Et elle ne se genait plus... Les cris des mourants sonnaient faux... J’en suisla.

ANDROMAQUE : Tout sonnait juste pour les autres.

HECTOR : Les autres sont comme moi. L’armée que j’ai ramenée hait la guerre.

ANDROMAQUE : C’est une armée a mauvaises oreilles.

HECTOR : Non. Tu ne saurais t’imaginer combien soudain tout a sonné juste pour elle, voila uneheure, a la vue de Troie. Pas un régiment qui ne soit arreté d’angoisse a ce concert. Au point quenous n’avons osé entrer durement par les portes, nous nous sommes répandus en groupe autourdes murs... C’est la seule tache digne d’une vraie armée : faire le siege paisible de sa patrie ouverte.

La Guerre de Troie n'aura pas lieu (1935) de Jean Giraudoux, Acte I, scène 3.

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Lecture analytique n° 7 : le discours contre la guerre

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HECTOR : Ô vous qui ne nous entendez pas, qui ne nous voyez pas, écoutez ces paroles, voyez cecortege. Nous sommes les vainqueurs. Cela vous est bien égal, n’est-ce pas ? Vous aussi vous l’etes.Mais, nous, nous sommes les vainqueurs vivants. C’est ici que commence la différence. C’est ici quej’ai honte. Je ne sais si dans la foule des morts on distingue les morts vainqueurs par une cocarde.Les vivants, vainqueurs ou non, ont la vraie cocarde, la double cocarde. Ce sont leurs yeux. Nous,nous avons deux yeux, mes pauvres amis. Nous voyons le soleil. Nous faisons tout ce qui se fait dansle soleil. Nous mangeons. Nous buvons... Et dans le clair de lune !... Nous couchons avec nosfemmes... Avec les vôtres aussi...DEMOKOS : Tu insultes les morts, maintenant ?

HECTOR : Vraiment, tu crois ?

DEMOKOS : Ou les morts, ou les vivants.

HECTOR : Il y a une distinction...

PRIAM : Acheve, Hector... Les Grecs débarquent...

HECTOR : J’acheve... Ô vous qui ne sentez pas, qui ne touchez pas, respirez cet encens, touchezces offrandes. Puisqu’enfn c’est un général sincere qui vous parle, apprenez que je n’ai pas unetendresse égale, un respect égal pour vous tous. Tout morts que vous etes, il y a chez vous la memeproportion de braves et de peureux que chez nous qui avons survécu et vous ne me ferez pasconfondre, a la faveur d’une cérémonie, les morts que j’admire avec les morts que je n’admire pas.Mais ce que j’ai a vous dire aujourd’hui, c’est que le guerre me semble la recette la plus sordide etla plus hypocrite pour égaliser les humains et je n’admets pas plus la mort comme chatiment oucomme expiation au lache que comme récompense aux vivants. Aussi qui que vous soyez, vousabsents, vous inexistants, vous oubliés, vous sans occupation, sans repos, sans etre, je comprends eneffet qu’il faille en fermant ces portes excuser pres de vous ces déserteurs que sont les survivants, etressentir comme un privilege et un vol ces deux biens qui s’appellent, de deux noms dont j’espereque la résonance ne vous atteint jamais, la chaleur et le ciel.

LA PETITE POLYXÈNE : Les portes se ferment, maman !

HÉCUBE : Oui, chérie.

LA PETITE POLYXÈNE : Ce sont les morts qui les poussent.

HÉCUBE : Ils aident, un petit peu.

LA PETITE POLYXÈNE : Ils aident bien, surtout a droite.

HECTOR : C’est fait ? Elles sont fermées ?

LE GARDE : Un coffre-fort...

HECTOR : Nous sommes en paix, pere, nous sommes en paix.

HÉCUBE : Nous sommes en paix !

LA PETITE POLYXÈNE : On se sent bien mieux, n’est-ce pas, maman ?

HECTOR : Vraiment, chérie !

LA PETITE POLYXÈNE : Moi je me sens bien mieux.

La Guerre de Troie n'aura pas lieu (1935) de Jean Giraudoux, Acte II, scène 5.

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Lecture analytique n° 8 : le dénouement

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Scène XIV

ANDROMAQUE, CASSANDRE, HECTOR, ABNÉOS, puis OIAX, puis DEMOKOS

HECTOR : Tu étais la, Andromaque ?

ANDROMAQUE : Soutiens-moi. Je n’en puis plus !

HECTOR : Tu nous écoutais ?

ANDROMAQUE : Oui. Je suis brisée.

HECTOR : Tu vois qu’il ne faut pas désespérer…

ANDROMAQUE : De nous peut-etre. Du monde, oui… Cet homme est effroyable. La misere dumonde est sur moi.

HECTOR : Une minute encore, et Ulysse est a son bord… Il marche vite. D’ici l’on suit soncortege. Le voila déja en face des fontaines. Que fais-tu ?

ANDROMAQUE : Je n’ai plus la force d’entendre. Je me bouche les oreilles. Je n’enleverai pas lesmains avant notre sort soit fxé…

HECTOR : Cherche Hélene, Cassandre !

Oiax entre sur la scène, de plus en plus ivre. Il voit Andromaque de dos.

CASSANDRE : Ulysse vous attend au port, Oiax. On vous y conduit Hélene.

OIAX : Hélene ! Je me moque d’Hélene ! C’est celle-la que je veux tenir dans mes bras.

CASSANDRE : Partez, Oiax. C’est la femme d’Hector.

OIAX : La femme d’Hector ! Bravo ! J’ai toujours préféré les femmes de mes amis, de mes vraisamis !

CASSANDRE : Ulysse est déja a mi-chemin… Partez.

OIAX : Ne te fache pas. Elle se bouche les oreilles. Je peux donc tout lui dire, puisqu’ellen’entendra pas. Si je la touchais, si je l’embrassais, évidemment ! Mais des paroles qu’on n’entendpas, rien de moins grave.

CASSANDRE : Rien de plus grave. Allez, Oiax !

OIAX, pendant que Cassandre essaie par la force de l’éloigner d’Andromaque et qu’Hector lève peu à peu son javelot: Tu crois ? Alors autant la toucher. Autant l’embrasser. Mais chastement ! … Toujourschastement, les femmes des vrais amis ! Qu’est-ce qu’elle a de plus chaste ta femme, Hector, le cou ?Voila pour le cou … L’oreille aussi m’a un gentil petit air tout a fait chaste ! Voila pour l’oreille…Je vais te dire, moi, ce que j’ai toujours trouvé de plus chaste chez la femme… Laisse-moi !... Ellen’entend pas les baisers non plus… Ce que tu es forte !... Je viens… Je viens… Adieux. Il sort.

Hector baisse imperceptiblement son javelot. À ce moment Demokos fait irruption.

DEMOKOS : Quelle est cette lacheté ? Tu rends Hélene ? Troyens, aux armes ! On nous trahit…Rassemblez-vous… Et votre chant de guerre est pret ! Ecoutez votre chant de guerre !

HECTOR : Voila pour ton chant de guerre !

DEMOKOS tombant : Il m’a tué !

HECTOR : La guerre n’aura pas lieu, Andromaque !

Il essaie de détacher les mains d’Andromaque qui résiste, les yeux fxés sur Demokos. Le rideau qui avait commencé à

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tomber se lève peu à peu.

ABNÉOS : On a tué Demokos ! Qui a tué Demokos ?

DEMOKOS : Qui m’a tué ?... Oiax !... Oiax !... Tuez-le !

ABNÉOS : Tuez Oiax !

HECTOR : Il ment. C’est moi qui l’ai frappé.

DEMOKOS : Non. C’est Oiax…

ABNÉOS : Oiax a tué Demokos… Rattrapez-le !... Chatiez-le !

HECTOR : C’est moi, Demokos, avoue-le ! Avoue-le, ou je t’acheve !

DEMOKOS : Non, mon cher Hector, mon bien cher Hector. C’est Oiax ! Tuez Oiax !

CASSANDRE : Il meurt, comme il a vécu, en coassant.

ABNÉOS : Voila… Ils tiennent Oiax… Voila. Ils l’ont tué !

HECTOR, détachant les mains d’Andromaque : Elle aura lieu.

Les portes de la guerre s’ouvrent lentement. Elles découvrent Hélène qui embrasse Troïlus.

CASSANDRE : Le poete troyen est mort… la parole est au poete grec.

Le rideau tombe défnitivement.

La Guerre de Troie n'aura pas lieu (1935) de Jean Giraudoux, Acte II, scène 14.

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Théâtre, texte et représentation

Documents complémentaires

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Groupement de textes 1 : le personnage d'Andromaque

Texte A : Jean Racine, Andromaque, 1667. Acte III, scène 8, vers 993-1026.

[Pendant la guerre de Troie, qui opposait les Grecs et les Troyens, la princesse troyenne Andromaque aperdu son mari, Hector. Aujourd'hui captive, tout comme son fls Astyanax, du Grec Pyrrhus et aimée decelui-ci, elle doit répondre à sa demande en mariage. Pyrrhus exerce un chantage : il ne sauvera la vied'Astyanax que si elle devient son épouse.]

ANDROMAQUE, CEPHISE

ANDROMAQUEDois-je oublier Hector privé de funérailles, Et trainé sans honneur autour de nos murailles ? Dois-je oublier son pere a mes pieds renversé, Ensanglantant l'autel qu'il tenait embrassé ? Songe, songe, Céphise1, a cette nuit cruelle Qui fut pour tout un peuple une nuit éternelle ; Figure-toi Pyrrhus, les yeux étincelants, Entrant a la lueur de nos palais brulants, Sur tous mes freres morts se faisant un passage, Et de sang tout couvert échauffant le carnage ; Songe aux cris des vainqueurs, songe aux cris des mourants, Dans la famme étouffés, sous le fer expirants ; Peins-toi dans ces horreurs Andromaque éperdue : Voila comme Pyrrhus vint s'offrir a ma vue ; Voila par quels exploits il sut se couronner ; Enfn voila l'époux que tu me veux donner. Non, je ne serai point complice de ses crimes ; Qu'il nous prenne, s'il veut, pour dernieres victimes. Tous mes ressentiments lui seraient asservis.

CEPHISE Eh bien, allons donc voir expirer votre fls : On n'attend plus que vous... Vous frémissez, Madame ?

ANDROMAQUEAh ! de quel souvenir viens-tu frapper mon ame ! Quoi ? Céphise, j'irai voir expirer encor Ce fls, ma seule joie, et l'image d'Hector ? Ce fls, que de sa famme il me laissa pour gage ? Hélas ! je m'en souviens, le jour que son courage Lui ft chercher Achille, ou plutôt le trépas2, Il demanda son fls, et le prit dans ses bras : « Chere épouse, dit-il en essuyant mes larmes, J'ignore quel succes3 le sort garde a mes armes ; Je te laisse mon fls pour gage de ma foi : S'il me perd, je prétends qu'il me retrouve en toi. Si d'un heureux hymen4 la mémoire t'est chere, Montre au fls a quel point tu chérissais le pere ».

1. Céphise est la confdente d 'Andromaque.

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2. trépas : mort. 3. succes : issue.4. hymen : union, mariage

Texte B : Jean Giraudoux, La Guerre de Troie n'aura pas lieu, 1935. Acte I scène 3.

[La scène a lieu avant la guerre de Troie. Hector, las de combattre malgré sa dernière victoire, retrouve sa femme et lui promet une vie paisible pour elle et pour l'enfant qu'elle porte.]

ANDROMAQUE, HECTOR Il l’a prise dans ses bras, l’a amenée au banc de pierre, s’est assis près d’elle. Court silence.

HECTOR – Ce sera un fls, une flle ? ANDROMAQUE – Qu’as-tu voulu créer en l’appelant ? HECTOR – Mille garcons... Mille flles... ANDROMAQUE – Pourquoi ? Tu croyais étreindre mille femmes ?... Tu vas etre décu. Ce sera unfls, un seul fls. HECTOR – Il y a toutes les chances pour qu’il en soit un... Apres les guerres, il nait plus de garconsque de flles. ANDROMAQUE – Et avant les guerres ? HECTOR – Laissons les guerres, et laissons la guerre... Elle vient de fnir. Elle t’a pris un pere, un frere, mais ramené un mari. ANDROMAQUE – Elle est trop bonne. Elle se rattrapera. HECTOR – Calme-toi. Nous ne lui laisserons plus l’occasion. Tout a l’heure, en te quittant, je vais solennellement, sur la place, fermer les portes de la guerre. Elles ne s’ouvriront plus. ANDROMAQUE – Ferme-les. Mais elles s’ouvriront. HECTOR – Tu peux meme nous dire le jour ! ANDROMAQUE – Le jour où les blés seront dorés et pesants, la vigne surchargée, les demeures pleines de couples. HECTOR – Et la paix a son comble, sans doute ? ANDROMAQUE – Oui. Et mon fls robuste et éclatant.Hector l’embrasse. HECTOR – Ton fls peut etre lache. C’est une sauvegarde. ANDROMAQUE – Il ne sera pas lache. Mais je lui aurai coupé l’index de la main droite. HECTOR – Si toutes les meres coupent l’index droit de leur fls, les armées de l’univers se feront la guerre sans index... Et si elles lui coupent la jambe droite, les armées seront unijambistes... Et si elleslui crevent les yeux, les armées seront aveugles, mais il y aura des armées, et dans la melée elles se chercheront le défaut de l’aine, ou la gorge, a tatons... ANDROMAQUE – Je le tuerai plutôt. HECTOR – Voila la vraie solution maternelle des guerres. ANDROMAQUE – Ne ris pas. Je peux encore le tuer avant sa naissance. HECTOR – Tu ne veux pas le voir une minute, juste une minute ? Apres, tu réféchiras... Voir ton fls ? ANDROMAQUE – Le tien seul m’intéresse. C’est parce qu’il est de toi, c’est parce qu’il est toi que j’ai peur. Tu ne peux t’imaginer combien il te ressemble. Dans ce néant où il est encore, il a déja apporté tout ce que tu as mis dans notre vie courante. Il y a tes tendresses; tes silences. Si tu aimes laguerre, il l’aimera... Aimes-tu la guerre ? HECTOR – Pourquoi cette question ? ANDROMAQUE – Avoue que certains jours tu l’aimes. HECTOR – Si l’on aime ce qui vous délivre de l’espoir, du bonheur, des etres les plus chers... ANDROMAQUE – Tu ne crois pas si bien dire... On l’aime. HECTOR – Si l’on se laisse séduire par cette délégation que les dieux vous donnent a l’instant du combat... ANDROMAQUE – Ah ? Tu te sens un dieu, a l’instant du combat ? HECTOR – Tres souvent moins qu’un homme... Mais parfois, a certains matins, on se releve du sol

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allégé, étonné, mué. Le corps, les armes ont un autre poids, sont d’un autre alliage. On est invulnérable.

Texte C : Marcel Aymé, Uranus, 1948.

[Léopold Lajeunesse accueille dans son bistrot une classe de troisième d'un collège détruit par des bombardementspendant la Seconde Guerre mondiale. À force d'entendre les élèves ânonner les vers de Racine, il s'est pris de passionpour l'héroïne, Andromaque.]

Tout en marchant, Léopold se laissa distraire de sa colere par le souvenir d'Andromaque.Ces gens qui tournaient autour de la veuve d'Hector, ce n'était pas du monde bien intéressant nonplus. Des rancuniers qui ne pensaient qu'a leurs histoires de coucheries. Comme disait la veuve : «Faut-il qu'un si grand cœur montre tant de faiblesse ? » Quand on a affaire a une femme si bien,songeait-il on ne va pas penser a la bagatelle. Lui, Léopold, il aurait eu honte, surtout que lesfemmes, quand on a un peu d'argent de côté, ce n'est pas ce qui manque. Il se plut a imaginer uneévasion dont il était le héros désintéressé.

Arrivant un soir au palais de Pyrrhus, ll achetait la complicité du portier et, la nuit venue,s'introduisait dans la chambre d'Andromaque. La veuve était justement dans les larmes, a cause dePyrrhus qui lui avait encore cassé les pieds pour le mariage. Léopold l'assurait de son dévouementrespectueux, promettant qu'elle serait bientôt libre sans qu'il lui en coute seulement un sou etfnissant par lui dire : « Passez-moi Astyanax, on va fler en douce. » Ces paroles, il les répétaplusieurs fois et y prit un plaisir étrange, un peu troublant, « Passez-moi Astyanax, on va fler endouce. » II lui semblait voir poindre comme une lueur a l'horizon de sa pensée. Soudain, il s'arretaau milieu de la rue, son cœur se mit a battre avec violence, et il récita lentement :

Passez-moi Astyanax, on va fler en douce.

Incontestablement, c'était un vers, un vrai vers de douze pieds. Et quelle cadence. Quelmajestueux balancement «Passez-moi Astyanax...» Léopold ébloui, ne se lassait pas de répéter sonalexandrin et s'enivrait de sa musique. Cependant, la rue n'avait pas changé d'aspect. Le soleilcontinuait a briller, les ménageres vaquaient a leur marché et la vie suivait son cours habituelcomme s'il ne s'était rien passé. Léopold prenait conscience de la solitude de l'esprit en face del'agitation mondaine, mais au lieu de s'en attrister, il se sentait fer et joyeux.

Texte D : Homère, IIiade, livre VI (extraits).

Hector sourit, regardant son fls en silence. Mais Andromaque pres de lui s'arrete, pleurante ; elle lui prend la main, elle lui parle, en rappelant de tous ses noms : « Pauvre fou ! ta fougue te perdra. Et n'as-tu pas pitié non plus de ton fls si petit, ni de moi, misérable, qui de toi bientôt serai veuve ? Car les Achéens bientôt te tueront, en se jetant tous ensemble sur toi ; et pour moi, alors, si je ne t'ai plus, mieux vaut descendre sous la terre. Non plus pour moi de réconfort, si tu accomplis ton destin1, plus rien que souffrances ! Je n'ai déja plus de pere ni de digne mere. [... ] Hector, tu es pour moi tout ensemble, un pere, une digne mere ; pour moi tu es un frere autant qu'un jeune époux. Allons ! cette fois, aie pitié ; demeure ici sur le rempart ; non, ne fais ni de ton fls un orphelin ni de ta femme une veuve. [... ]

Le grand Hector au casque étincelant, a son tour, lui répond : « Tout cela autant que toi, j'y songe. Mais aussi j'ai terriblement honte, en face des Troyens comme des Troyennes aux robes trainantes, a l'idée de demeurer, comme un lache, loin de la bataille. Et mon cœur non plus ne m'y pousse pas : j'ai appris a etre brave en tout temps et a combattre aux premiers rangs des Troyens, pour gagner une immense gloire a mon pere et a moi-meme. Sans doute, je le sais en mon ame et mon cœur : un jour viendra où elle périra, la sainte Ilion2, et Priam3,et le peuple de Priam a la bonne pique. Mais j'ai moins de souci de la douleur qui attend les Troyens, ou Hécube4 meme, ou sire Priam, ou ceux de mes freres qui, nombreux et braves,

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pourront tomber dans la poussiere sous les coups de nos ennemis, que de la tienne, alors qu'un Achéen a la cotte de bronze t'emmenera pleurante, t'enlevant le jour de la liberté5. Peut-etre alors, en Argos, tisseras-tu la toile pour une autre ; peut-etre porteras-tu l'eau de la source Messéis ou de l'Hypérée6, subissant mille contraintes, parce qu'un destin brutal pesera sur toi. Et un jour on dira, en te voyant pleurer : « C'est la femme d'Hector, Hector, le premier au combat parmi les Troyens dompteurs de cavales7, quand on se battait autour d'Ilion. » Voila ce qu'on dira, et, pour toi, ce seraune douleur nouvelle, d'avoir perdu l'homme entre tous capable d'éloigner de toi le jour de l'esclavage. Ah ! que je meure donc, que la terre sur moi répandue me recouvre tout entier, avant d'entendre tes cris, de te voir trainée en servage ! »

Ainsi dit l'illustre Hector, et il tend les bras a son fls. [... ] II prend son fls, et le baise, et le berce en ses bras, et dit, en priant Zeus et les autres dieux : « Zeus ! et vous tous, dieux ! permettez que mon fls, comme moi, se distingue entre les Troyens, qu'il montre une force égale a la mienne, et qu'il regne, souverain, a llion ! Et qu'un jour l'on dise de lui : « Il est encore plus vaillant que son pere », quand il rentrera du combat ! Qu'il en rapporte les dépouilles sanglantes d'un ennemi tué, et que sa mere en ait le cœur en joie ! »

1. « si tu accomplis ton destin » : si tu meurs.2. Ilion : Troie.3. Priam : pere d'Hector et roi de Troie.4. Hécube : mere d'Hector.5. « t'enlevant le jour de la liberté » : t'enlevant la liberté (en cas de défaite de Troie, les vainqueurs emmeneraient Andromaque chez eux et feraient d'elle une esclave.)6. Argos, Messéis, Hypérée : lieux situés en Grece.7. Cavales : chevaux.

I- Après avoir lu tous les textes du corpus, vous répondrez à la question suivante (4points) : Quelles variations autour de la fgure d'Andromaque les textes A, B et C de ce corpusproposent-ils ?

II. Vous traiterez ensuite, au choix, l'un des sujets suivants (16 points) :

• Commentaire : Vous commenterez le texte de Marcel Aymé (texte C). • Dissertation : Hélene Maurel-lndart1 écrit que, dans une réécriture, il s'agit toujours « de

rendre hommage ou de dénigrer.» Pensez-vous que cette affrmation suffse a rendre comptede toutes les formes de réécriture ? Vous vous appuierez sur les textes du corpus, sur ceuxque vous avez étudiés en classe, sur votre culture personnelle.1. Critique, auteur de « Le plagiat littéraire » in L'information littéraire, vol. 60, 2008.

• Invention : Vous adaptez pour le théatre le texte de Marcel Aymé (texte C) depuis «Arrivant un soir » jusqu'a « Passez-moi Astyanax, on va fler en douce. » (Transposez sous la forme detexte théatral le scénario imaginé par Léopold. Vous respecterez les caractéristiques dupersonnage de Léopold. Vous choisirez indifféremment l'écriture en vers ou en prose.

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Groupement de textes 2 : la dénonciation de la guerre

Texte A - Jean de La Bruyère, «Du Souverain ou de la République», Les Caractères, 1688.

La guerre a pour elle l'antiquité ; elle a été dans tous les siecles : on l'a toujours vue remplir lemonde de veuves et d'orphelins, épuiser les familles d'héritiers, et faire périr les freres a une memebataille. Jeune Soyecour1 ! je regrette ta vertu, ta pudeur, ton esprit déja mur, pénétrant, élevé,sociable, je plains cette mort prématurée qui te joint a ton intrépide frere, et t'enleve a une cour oùtu n'as fait que te montrer : malheur déplorable, mais ordinaire! De tout temps les hommes, pourquelque morceau de terre de plus ou de moins, sont convenus entre eux de se dépouiller, se bruler,se tuer, s'égorger les uns les autres ; et pour le faire plus ingénieusement et avec plus de sureté, ils ontinventé de belles regles qu'on appelle l'art militaire ; ils ont attaché a la pratique de ces regles lagloire ou la plus solide réputation ; et ils ont depuis renchéri de siecle en siecle sur la maniere de sedétruire réciproquement. De l'injustice des premiers hommes, comme de son unique source, estvenue la guerre, ainsi que la nécessité où ils se sont trouvés de se donner des maitres qui fxassentleurs droits et leurs prétentions. Si, content du sien, on eut pu s'abstenir du bien de ses voisins, onavait pour toujours la paix et la liberté.

1. Jeune homme tué a la guerre et dont La Bruyere avait peut-etre été le précepteur.

Texte B - Article «Paix», Encyclopédie, (1750 - 1772).

PAIX. La guerre est un fruit de la dépravation des hommes : c'est une maladie convulsive et violentedu corps politique, il n'est en santé, c'est-a-dire dans son état naturel que lorsqu'il jouit de la paix ;c'est elle qui donne de la vigueur aux empires ; elle maintient l'ordre parmi les citoyens ; elle laisseaux lois la force qui leur est nécessaire ; elle favorise la population, l'agriculture et le commerce : enun mot elle procure aux peuples le bonheur qui est le but de toute société. La guerre au contrairedépeuple les états ; elle y fait le désordre ; les lois sont forcées de se taire a la vue de la licence qu'elleintroduit ; elle rend incertaines la liberté et la propriété des citoyens ; elle trouble et fait négliger lecommerce ; les terres deviennent incultes et abandonnées. Jamais les triomphes les plus éclatants nepeuvent dédommager une nation de la perte d'une multitude de ses membres que la guerre sacrife ;ses victoires meme lui font des plaies profondes que la paix seule peut guérir.

Texte C - Voltaire, «Guerre», Dictionnaire philosophique, 1764.

Un généalogiste prouve a un prince qu'il descend en droite ligne d'un comte dont les parentsavaient fait un pacte de famille, il y a trois ou quatre cents ans avec une maison dont la mémoirememe ne subsiste plus. Cette maison avait des prétentions éloignées sur une province dont le dernierpossesseur est mort d'apoplexie : le prince et son conseil concluent sans diffculté que cette provincelui appartient de droit divin. Cette province, qui est a quelques centaines de lieues de lui, a beauprotester qu'elle ne le connait pas, qu'elle n'a nulle envie d'etre gouvernée par lui ; que, pour donnerdes lois aux gens, il faut au moins avoir leur consentement : ces discours ne parviennent passeulement aux oreilles du prince, dont le droit est incontestable. Il trouve incontinent un grandnombre d'hommes qui n'ont rien a perdre ; il les habille d'un gros drap bleu a cent dix sous l'aune,borde leurs chapeaux avec du gros fl blanc, les fait tourner a droite et a gauche et marche a lagloire.Les autres princes qui entendent parler de cette équipée y prennent part, chacun selon son pouvoir,et couvrent une petite étendue de pays de plus de meurtriers mercenaires que Gengis Khan,Tamerlan, Bajazet n'en trainerent a leur suite.

Des peuples assez éloignés entendent dire qu'on va se battre, et qu'il y a cinq a six sous parjour a gagner pour eux s'ils veulent etre de la partie : ils se divisent aussitôt en deux bandes comme

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des moissonneurs, et vont vendre leurs services a quiconque veut les employer.Ces multitudes s'acharnent les unes contre les autres, non seulement sans avoir aucun intéret

au proces, mais sans savoir meme de quoi il s'agit.

Il se trouve a la fois cinq ou six puissances belligérantes, tantôt trois contre trois, tantôt deuxcontre quatre, tantôt une contre cinq, se détestant toutes également les unes les autres, s'unissant ets'attaquant tour a tour ; toutes d'accord en seul point, celui de faire tout le mal possible.

Le merveilleux de cette entreprise infernale, c'est que chaque chef des meurtriers fait bénirses drapeaux et invoque Dieu solennellement avant d'aller exterminer son prochain.

Texte D - Jean Giraudoux, La guerre de Troie n'aura pas lieu, 1935.

[La scène se passe dans l'Antiquité. Les Grecs assiègent la ville de Troie. Des négociations sont encore possibles pouréviter l'assaut et la guerre. Andromaque, belle-flle du roi de Troie, Priam, et épouse d'Hector, lutte de toutes ses forcescontre l'idée même de la guerre.]

ANDROMAQUE- Mon pere, je vous en supplie. Si vous avez cette amitié pour les femmes, écoutez ce que toutes lesfemmes du monde vous disent par ma voix. Laissez-nous nos maris comme ils sont. Pour qu'ilsgardent leur agilité et leur courage, les dieux ont créé autour d'eux tant d'entraineurs vivants ou nonvivants ! Quand ce ne serait que l'orage ! Quand ce ne serait que les betes ! Aussi longtemps qu'il yaura des loups, des éléphants, des onces, l'homme aura mieux que l'homme comme émule etcomme adversaire. Tous ces grands oiseaux qui volent autour de nous, ces lievres dont nous lesfemmes confondons le poil avec les bruyeres, sont de plus surs garants de la vue percante de nosmaris que l'autre cible, que le cœur de l'ennemi emprisonné dans sa cuirasse. Chaque fois que j'ai vutuer un cerf ou un aigle, je l'ai remercié. Je savais qu'il mourait pour Hector. Pourquoi voulez-vousque je doive Hector a la mort d'autres hommes ?

PRIAM- Je ne veux pas, ma petite chérie. Mais savez-vous pourquoi vous etes la, toutes si belles et sivaillantes ? C'est parce que vos maris et vos peres et vos aïeux furent des guerriers. S'ils avaient étéparesseux aux armes, s'ils n'avaient pas su que cette occupation terne et stupide qu'est la vie sejustife soudain et s'illumine par le mépris que les hommes ont d'elle, c'est vous qui seriez laches etréclameriez la guerre. Il n'y a pas deux facons de se rendre immortel ici-bas, c'est d'oublier qu'on estmortel.ANDROMAQUE- Oh ! justement, Pere, vous le savez bien ! Ce sont les braves qui meurent a la guerre. Pour ne pas yetre tué, il faut un grand hasard ou une grande habileté. Il faut avoir courbé la tete, ou s'etreagenouillé au moins une fois devant le danger. Les soldats qui déflent sous les arcs de triomphe sontceux qui ont déserté la mort. Comment un pays pourrait-il gagner dans son honneur et dans saforce en les perdant tous les deux ?

PRIAM- Ma flle, la premiere lacheté est la premiere ride d'un peuple.

I - APRÈS AVOIR PRIS CONNAISSANCE DE L'ENSEMBLE DES TEXTES, VOUS RÉPONDREZ À LA QUESTION SUIVANTE. (4 points)

Ces quatre textes dénoncent la guerre. Vous analyserez les différents procédés littéraires utilisés a cette fn.

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Ecriture poétique et quête du sens,du Moyen Âge à nos jours

Lectures analytiques

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Lecture analytique n° 9 : "Le Cygne"

LXXXIX - Le CygneA Victor Hugo

I

Andromaque, je pense a vous ! Ce petit feuve,Pauvre et triste miroir où jadis resplenditL'immense majesté de vos douleurs de veuve,Ce Simoïs menteur qui par vos pleurs grandit,

A fécondé soudain ma mémoire fertile,Comme je traversais le nouveau Carrousel.Le vieux Paris n'est plus (la forme d'une villeChange plus vite, hélas ! que le coeur d'un mortel) ;

Je ne vois qu'en esprit tout ce camp de baraques,Ces tas de chapiteaux ébauchés et de futs,Les herbes, les gros blocs verdis par l'eau des faques,Et, brillant aux carreaux, le bric-a-brac confus.

La s'étalait jadis une ménagerie ;La je vis, un matin, a l'heure où sous les cieuxFroids et clairs le Travail s'éveille, où la voiriePousse un sombre ouragan dans l'air silencieux,

Un cygne qui s'était évadé de sa cage,Et, de ses pieds palmés frottant le pavé sec,Sur le sol raboteux trainait son blanc plumage.Pres d'un ruisseau sans eau la bete ouvrant le bec

Baignait nerveusement ses ailes dans la poudre,Et disait, le coeur plein de son beau lac natal :"Eau, quand donc pleuvras-tu ? quand tonneras-tu, foudre ?"Je vois ce malheureux, mythe étrange et fatal,

Vers le ciel quelquefois, comme l'homme d'Ovide,Vers le ciel ironique et cruellement bleu,Sur son cou convulsif tendant sa tete avideComme s'il adressait des reproches a Dieu !

II

Paris change ! mais rien dans ma mélancolieN'a bougé ! palais neufs, échafaudages, blocs,Vieux faubourgs, tout pour moi devient allégorieEt mes chers souvenirs sont plus lourds que des rocs.

Aussi devant ce Louvre une image m'opprime :Je pense a mon grand cygne, avec ses gestes fous,Comme les exilés, ridicule et sublimeEt rongé d'un désir sans treve ! et puis a vous,

Andromaque, des bras d'un grand époux tombée,Vil bétail, sous la main du superbe Pyrrhus,Aupres d'un tombeau vide en extase courbéeVeuve d'Hector, hélas ! et femme d'Hélénus !

Je pense a la négresse, amaigrie et phtisiquePiétinant dans la boue, et cherchant, l'oeil hagard,Les cocotiers absents de la superbe AfriqueDerriere la muraille immense du brouillard ;

A quiconque a perdu ce qui ne se retrouveJamais, jamais ! a ceux qui s'abreuvent de pleursEt tetent la Douleur comme une bonne louve !Aux maigres orphelins séchant comme des feurs !

Ainsi dans la foret où mon esprit s'exileUn vieux Souvenir sonne a plein souffe du cor ! Je pense aux matelots oubliés dans une ile,Aux captifs, aux vaincus !... a bien d'autres encor !

Charles Baudelaire, « Le Cygne », Les Fleurs du Mal (1857).

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Lecture analytique n° 10 : "Les yeux des pauvres"

« Les yeux des pauvres » de Charles Baudelaire

Ah ! vous voulez savoir pourquoi je vous hais aujourd'hui. Il vous sera sans doute moinsfacile de le comprendre qu'a moi de vous l'expliquer; car vous etes, je crois, le plus bel exempled'imperméabilité féminine qui se puisse rencontrer.

Nous avions passé ensemble une longue journée qui m'avait paru courte. Nous nous étionsbien promis que toutes nos pensées nous seraient communes a l'un et a l'autre, et que nos deux amesdésormais n'en feraient plus qu'une ; - un reve qui n'a rien d'original, apres tout, si ce n'est que, revépar tous les hommes, il n'a été réalisé par aucun.

Le soir, un peu fatiguée, vous voulutes vous asseoir devant un café neuf qui formait le coind'un boulevard neuf, encore tout plein de gravois et montrant déja glorieusement ses splendeursinachevées. Le café étincelait. Le gaz lui-meme y déployait toute l'ardeur d'un début, et éclairait detoutes ses forces les murs aveuglants de blancheur, les nappes éblouissantes des miroirs, les ors desbaguettes et des corniches, les pages aux joues rebondies trainés par les chiens en laisse, les damesriant au faucon perché sur leur poing, les nymphes et les déesses portant sur leur tete des fruits, despatés et du gibier, les Hébés et les Ganymedes présentant a bras tendu la petite amphore abavaroises ou l'obélisque bicolore des glaces panachées; toute l'histoire et toute la mythologie misesau service de la goinfrerie.

Droit devant nous, sur la chaussée, était planté un brave homme d'une quarantaine d'années,au visage fatigué, a la barbe grisonnante, tenant d'une main un petit garcon et portant sur l'autrebras un petit etre trop faible pour marcher. Il remplissait l'offce de bonne et faisait prendre a sesenfants l'air du soir. Tous en guenilles. Ces trois visages étaient extraordinairement sérieux, et ces sixyeux contemplaient fxement le café nouveau avec une admiration égale, mais nuancée diversementpar l'age.

Les yeux du pere disaient : "Que c'est beau ! que c'est beau ! on dirait que tout l'or du pauvremonde est venu se porter sur ces murs." - Les yeux du petit garcon: "Que c'est beau ! que c'estbeau ! mais c'est une maison où peuvent seuls entrer les gens qui ne sont pas comme nous." - Quantaux yeux du plus petit, ils étaient trop fascinés pour exprimer autre chose qu'une joie stupide etprofonde.

Les chansonniers disent que le plaisir rend l'ame bonne et amollit le coeur. La chanson avaitraison ce soir-la, relativement a moi. Non seulement j'étais attendri par cette famille d'yeux, mais jeme sentais un peu honteux de nos verres et de nos carafes, plus grands que notre soif. Je tournaismes regards vers les vôtres, cher amour, pour y lire ma pensée ; je plongeais dans vos yeux si beauxet si bizarrement doux, dans vos yeux verts, habités par le Caprice et inspirés par la Lune, quandvous me dites: "Ces gens-la me sont insupportables avec leurs yeux ouverts comme des portescocheres! Ne pourriez-vous pas prier le maitre du café de les éloigner d'ici ?" Tant il est diffcile de s'entendre, mon cher ange, et tant la pensée est incommunicable,meme entre gens qui s'aiment !

Charles Baudelaire, « Les yeux des pauvres », Le Spleen de Parisou les petits poèmes en prose (1869).

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Lecture analytique n° 11 : "Zone"

Zone

À la fn tu es las de ce monde ancien Bergere ô tour Eiffel le troupeau des ponts bele ce matin Tu en as assez de vivre dans l'antiquité grecque et romaine Ici meme les automobiles ont l'air d'etre anciennesLa religion seule est restée toute neuve la religionEst restée simple comme les hangars de Port-Aviation Seul en Europe tu n'es pas antique ô ChristianismeL'Européen le plus moderne c'est vous Pape Pie XEt toi que les fenetres observent la honte te retientD'entrer dans une église et de t'y confesser ce matinTu lis les prospectus les catalogues les affches qui chantent tout hautVoila la poésie ce matin et pour la prose il y a les journauxIl y a les livraisons a 25 centimes pleines d'aventures policieresPortraits des grands hommes et mille titres divers J'ai vu ce matin une jolie rue dont j'ai oublié le nomNeuve et propre du soleil elle était le claironLes directeurs les ouvriers et les belles sténodactylographesDu lundi matin au samedi soir quatre fois par jour y passentLe matin par trois fois la sirene y gémitUne cloche rageuse y aboie vers midiLes inscriptions des enseignes et des muraillesLes plaques les avis a la facon des perroquets criaillentJ'aime la grace de cette rue industrielleSituée a Paris entre la rue Aumont-Thiéville et l'avenue des Ternes

Guillaume Apollinaire, « Zone », Alcools (1913).

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Lecture analytique n° 12 : "A New-York"

A New York (extrait)

New York ! D'abord j'ai été confondu par ta beauté, ces grandes flles d'or aux jambes longues.Si timide d'abord devant tes yeux de métal bleu, ton sourire de givreSi timide. Et l'angoisse au fond des rues a gratte-cielLevant des yeux de chouette parmi l'éclipse du soleil.Sulfureuse ta lumiere et les futs livides, dont les tetes foudroient le cielLes gratte-ciel qui défent les cyclones sur leurs muscles d'acier et leur peau patinée de pierres.Mais quinze jours sur les trottoirs chauves de Manhattan– C'est au bout de la troisieme semaine que vous saisit la fevre en un bond de jaguarQuinze jours sans un puits ni paturage, tous les oiseaux de l'airTombant soudain et morts sous les hautes cendres des terrasses.Pas un rire d'enfant en feur, sa main dans ma main fraichePas un sein maternel, des jambes de nylon. Des jambes et des seins sans sueur ni odeur.Pas un mot tendre en l'absence de levres, rien que des cœurs artifciels payés en monnaieforteEt pas un livre où lire la sagesse. La palette du peintre feurit des cristaux de corail.Nuits d'insomnie ô nuits de Manhattan ! si agitées de feux follets, tandis que les klaxons hurlent des heures videsEt que les eaux obscures charrient des amours hygiéniques, tels des feuves en crue des cadavres d'enfants.

Léopold Sédar Senghor Ethiopiques (1956).

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Ecriture poétique et quête du sens,du Moyen Âge à nos jours

Documents complémentaires

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Groupement de textes 1 : deux conceptions de la poésie

Texte A - Nicolas Boileau, Art poétique, chant I (1674)

Surtout qu'en vos écrits la langue révérée Dans vos plus grands exces vous soit toujours sacrée. En vain vous me frappez d'un son mélodieux, Si le terme est impropre, ou le tour vicieux; Mon esprit n'admet point un pompeux barbarisme, Ni d'un vers ampoulé l'orgueilleux solécisme16. Sans la langue, en un mot, l'auteur le plus divin Est toujours, quoi qu'il fasse, un méchant écrivain.Travaillez a loisir, quelque ordre qui vous presse, Et ne vous piquez point d'une folle vitesse ; Un style si rapide, et qui court en rimant, Marque moins trop d'esprit, que peu de jugement. J'aime mieux un ruisseau qui sur la molle arene Dans un pré plein de feurs lentement se promene, Qu'un torrent débordé qui, d'un cours orageux, Roule, plein de gravier, sur un terrain fangeux. Hatez-vous lentement ; et, sans perdre courage, Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage : Polissez-le sans cesse et le repolissez ; Ajoutez quelquefois, et souvent effacez. C'est peu qu'en un ouvrage où les fautes fourmillent, Des traits d'esprit semés de temps en temps pétillent. Il faut que chaque chose y soit mise en son lieu ; Que le début, la fn répondent au milieu ; Que d'un art délicat les pieces assorties N'y forment qu'un seul tout de diverses parties : Que jamais du sujet le discours s'écartant N'aille chercher trop loin quelque mot éclatant. Craignez-vous pour vos vers la censure publique ? Soyez-vous a vous-meme un sévere critique.

Texte B - Victor Hugo, Les Contemplations, Livre premier, VII (1856) « Réponse à un acte d'accusation »

Les mots, bien ou mal nés, vivaient parqués en castes ; Les uns, nobles, hantant les Phedres, les Jocastes, Les Méropes17, ayant le décorum pour loi, Et montant a Versaille18 aux carrosses du roi ; Les autres, tas de gueux, drôles patibulaires19, Habitant les patois ; quelques-uns aux galeres Dans l'argot ; dévoués a tous les genres bas, Déchirés en haillons dans les halles ; sans bas, Sans perruque ; créés pour la prose et la farce ; Populace du style au fond de l'ombre éparse ;

16 Barbarisme, solécisme : incorrections.17 Personnages de tragedies.18 L'absence de la lettre "s" est volontaire.19 Inquietants.

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Vilains, rustres, croquants, que Vaugelas20 leur chef Dans le bagne Lexique avait marqués d'une F ; N'exprimant que la vie abjecte et familiere, Vils, dégradés, fétris, bourgeois, bons pour Moliere. Racine regardait ces marauds de travers ; Si Corneille en trouvait un blotti dans son vers, Il le gardait, trop grand pour dire : Qu'il s'en aille ; Et Voltaire criait : Corneille s'encanaille ! Le bonhomme Corneille, humble, se tenait coi. Alors, brigand, je vins ; je m'écriai : Pourquoi Ceux-ci toujours devant, ceux-la toujours derriere ? Et sur l'Académie, aïeule et douairiere21, Cachant sous ses jupons les tropes19 effarés, Et sur les bataillons d'alexandrins carrés, Je fs souffer un vent révolutionnaire. Je mis un bonnet rouge au vieux dictionnaire. Plus de mot sénateur ! plus de mot roturier ! Je fs une tempete au fond de l'encrier, Et je melai, parmi les ombres débordées, Au peuple noir des mots l'essaim blanc des idées ; Et je dis : Pas de mot où l'idée au vol pur Ne puisse se poser, tout humide d'azur ! Discours affreux ! – Syllepse, hypallage, litote22, Frémirent ; je montai sur la borne Aristote23, Et déclarai les mots égaux, libres, majeurs. Tous les envahisseurs et tous les ravageurs, Tous ces tigres, les Huns, les Scythes et les Daces24, N'étaient que des toutous aupres de mes audaces; Je bondis hors du cercle et brisai le compas. Je nommai le cochon par son nom ; pourquoi pas ?

20 Vaugelas : auteur des Remarques sur la langue française (1647). Il y codifie la langue selon l'usage de l'élite.21 L'Académie Française, garante des règles ; "Douairière" : vieille femme.22 Figures de style.23 Aristote, philosophe grec, avait codi fié les genres et les styles.24 Peuples considérés ici comme barbares.

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Histoire des arts : Gustave Caillebotte, Le Pont de l'Europe (1875)

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Documents sonores : deux chansons de Grand corps malade

Je Connaissais Pas Paris Le Matin

J'ai pris mon réveil de vitesse et ca c'est assez rareJe me suis levé sans lui sans stress, pourtant je m'étais couché tardJ'ai mis Morphée a l'amende en plus dehors y'a un pur tempsPas question que la vie m'attende, j'ai un rendez-vous importantCe matin mon tout petit dej' n'a pas vraiment la meme odeurCe matin mon parking tout gris n'a pas vraiment la meme couleurJe sors pour une occasion spéciale que je ne dois pas raterCe matin j'ai un rencard avec un moment de libertéC'est qu'apres pas mal d'études et 4 ans de taf a plein tempsJe me suis permis le luxe de m'offrir un peu de bon tempsPlus d'horaires a respecter, fnies les semaines de 40 heuresFinies les journées enfermé, adieu la gueule des directeursJ'ai rendez-vous avec personne, a aucun endroit précisEt c'est bien ca qui cartonne écoute la suite de mon récitAujourd'hui, j'ai rien a faire et pourtant je me suis levé tôtA mon ancienne vie d'affaires, j'ai posé un droit de vétoC'est un parcours fait de virages, de mirages, j'ai pris de l'ageJe nage vers d'autres rivages, d'une vie tracée je serai pas un otageUn auteur de textes, apres un point je tourne la pagePour apprécier demain et mettre les habitudes en cageJe sais pas où je vais aller je me laisse guider par mon instinctFasciné par cette idée je kiffe tout seul c'est mon instantLe soleil me montre la direction, ne crois pas que j'enjoliveC'est un moment plein d'émotion... attends j'avale ma saliveJe veux checker les éboueurs et aux pervenches rouler des pellesY'a du bon son dans la voiture quand j'arrive Porte de La ChapelleAlors je m'enfonce dans Paris comme si c'était la premiere foisJe découvre des paysages que j'ai pourtant vus 500 foisJe crois que mon lieu de rendez-vous sera cette table en terrasseCafé-croissant-stylo-papier, ca y est tout est en placeJe vois plein de gens autour de moi qui accélerent le pasIls sont pressés et je souris car moi je ne le suis pasJe connaissais pas Paris le matin et son printemps sur les pavésMa vie redémarre pourtant on peut pas dire que j'en ai bavéLa route est sinueuse, je veux etre l'acteur de ses tournantsC'est mon moment de liberté, je laisserais pas passer mon tour, nonC'est un parcours fait de virages, de mirages, j'ai pris de l'ageJe nage vers d'autres rivages, d'une vie tracée je serai pas un otageUn auteur de textes, apres un point je tourne la pagePour apprécier demain et mettre les habitudes en cagePuis je vois passer une charmante dans un beau petit tailleurElle me regarde comme on regarde un beau petit chômeurQuand je la vois elle m'esquive et fait celle qui ne m'a pas calculéJe réalise avec plaisir que socialement j'ai basculéIl est lundi 10h et j'ai le droit de prendre mon tempsMon teint, mon ton sont du matin et y'a personne qui m'attendY'a tellement de soleil qu'y a que le ciment qui feurit pasIl est lundi 11h et moi je traine dans Ris-PaLoin de moi l'envie de faire l'apologie de l'oisivetéMais elle peut aider a se construire, laisse moi cette naïvetéPuis de toute facon j'ai mieux a faire que me balader dans PanameDes demain je vois des enfants pour leur apprendre a faire du slamJe connaissais pas Paris le matin, voila une chose de réparéeJe sais pas trop ce qui m'attend mais ce sera loin d'une vie carréeMoi j'ai choisi une voie chelou, on dirait presque une vie de bohemeMais je suis sur que ca vaut le coup, moi j'ai choisi une vie de poemes.

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Saint-Denis

j'voudrais faire un Slampour une grande dame que j'connais depuis tout petitj'voudrais faire un Slampour celle qui voit ma vieille canne du lundi au samedij'voudrais faire un Slampour une vieille femme dans laquelle j'ai grandij'voudrais faire un Slampour cette banlieue nord de paname qu'on appelle saint denis

prends la ligne D du RERet erre dans les rues séveresd'une ville pleine de caractereprends la ligne 13 du métroet va bouffer au MacDo, dans les bistrosd'une ville pleine de bonnes gos et de gros clandos

si t'aimes voyager, prends le tramway et va au marchéen 1h tu traverseras Alger et Tanger,tu verras des yougos et des romset puis j'temmenerai a Lisbonneet a 2 pas de New Delhi et de Karachit'as vu, j'ai révisé ma géographiej't'emmenerai bouffer du maffé a Bamako et a Yamoussoukro

ou si tu préferes, on ira juste derrieremanger une crepe la où ca sent Kimperavec un petit air du Finistereet en repassant par Tiziouzou, on ira aux Antillesla où y a des grosses renoies qui font"toi aussi, la ka ou ka fé la, ma flle?"

au marché de Saint Denis, il faudra rester zik-phymais si t'aimes pas etre bousculer, il faudra rester zenalors tu prendras des accents plein les tympans et des odeurs plein le zenapres le marché on ira chez moi, rue de la Républiquele sanctuaire des affaires et des magasins pas chersla rue préférée des petites rebeues bien sapéesaux petits talons et aux cheveux blonds péroxydés

devant les magasins de zouk, je t'apprendrai la danseles apres-midis de galere, tu connaitras l'errancesi on va a la poste, je t'enseignerai la patience

la rue de la République mene a la basiliqueoù sont enterrés tous les rois de France, tu dois le savoir,

apres géographie, petite lecon d'histoirederriere ce batiment monumental, j't'emmene au bout de la ruelledans un p'tit lieu plus convivial, bienvenue au café culturel!!!

on y va pour discuter, pour boire ou jouer aux damescertains vendredis soirs, y a meme des soirées Slamsi tu veux manger pour 3 fois rienje connais bien tous les petits coins un peu poisseuxon y retrouvera tous les vauriens, toute la jet-set des aristos crasseux

le soir, y a pas grand chose a fairey a pas grand chose d'ouverta part le cinéma du stade où les mecs viennent en bande,bienvenue a caille-ra land!ceux qui sont la revent de dire un jour "je pese!"et connaissent mieux Kool Shen sous le nom de Bruno Lopez

c'est pas une ville toute rose mais c'est une ville vivanteil s'y passe toujours quelque chose, pour moi, elle est kiffantej'connais bien ses rouages, j'connais bien ses viragesy a tout le temps du passage, y a plein d'enfants pas sagesj'veux écrire une belle page, ville aux mille visagesSaint Denis centre, mon village

j'ai 93200 raisons de te faire connaitre cette agglomérationt'as 93200 facons de découvrir ses attractionsa cette putain de cité, je suis plus qu'attachémeme si j'ai envie de mettre des taquetsaux arracheurs de portable d'la place du Caquet

Saint Denis, ville sans égale,Saint Denis, ma capitale,Saint Denis ville peu banaleoù a Carrefour, tu peux meme acheter de la choucroute Hallalla-bas, on est fer d'etre Dieunisiens, j'espere qu't'es convaincuet si tu me traites de Parisien, j't'enfonce ma béquille dans l'c... non!

moi, j'voudrais faire un Slampour une grande dame que j'connais depuis tout petitj'voudrais faire un Slampour celle qui voit ma vieille canne du lundi au samedij'voudrais faire un Slam pourune vieille femme dans laquelle j'ai grandij'voudrais faire un Slampour cette banlieue nord de paname qu'on appelle Saint Denis

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La question de l'hommedans les genres de l'argumentation

du moyen-âge à nos joursLectures analytiques

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Lecture analytique n° 13 : le supplice de Jean Calas

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Il semble que, que quand il s’agit d’un parricide et de livrer un pere de famille au plus affreuxsupplice, le jugement devrait etre unanime, parce que les preuves d’un crime si inouï devraient etred’une évidence sensible a tout le monde : le moindre doute dans un cas pareil doit suffre pour fairetrembler un juge qui va signer un arret de mort. La faiblesse de notre raison et l’insuffsance de noslois se font sentir tous les jours ; mais dans quelle occasion en découvre-t-on mieux la misere quequand la prépondérance d’une seule voix fait rouer un citoyen ? Il fallait, dans Athenes, cinquantevoix au dela de la moitié pour oser prononcer un jugement de mort. Qu’en résulte-t-il ? Ce quenous savons tres inutilement, que les Grecs étaient plus sages et plus humains que nous.

Il paraissait impossible que Jean Calas, vieillard de soixante-huit ans, qui avait depuislongtemps les jambes enfées et faibles, eut seul étranglé et pendu un fls agé de vingt-huit ans, quiétait d’une force au-dessus de l’ordinaire ; il fallait absolument qu’il eut été assisté dans cetteexécution par sa femme, par son fls Pierre Calas, par Lavaisse, et par la servante. Ils ne s’étaientpas quittés un seul moment le soir de cette fatale aventure. Mais cette supposition était encoreaussi absurde que l’autre: car comment une servante zélée catholique aurait-elle pu souffrir quedes huguenots assassinassent un jeune homme élevé par elle pour le punir d’aimer la religion decette servante ? Comment Lavaisse serait-il venu expres de Bordeaux pour étrangler son ami dontil ignorait la conversion prétendue ? Comment une mere tendre aurait-elle mis les mains sur sonfls ? Comment tous ensemble auraient-ils pu étrangler un jeune homme aussi robuste qu’euxtous, sans un combat long et violent, sans des cris affreux qui auraient appelé tout le voisinage,sans des coups réitérés, sans des meurtrissures, sans des habits déchirés.

Il était évident que, si le parricide avait pu etre commis, tous les accusés étaient égalementcoupables, parce qu’ils ne s’étaient pas quittés d’un moment ; il était évident qu’ils ne l’étaientpas; il était évident que le pere seul ne pouvait l’etre; et cependant l’arret condamna ce pere seul aexpirer sur la roue.

Le motif de l’arret était aussi inconcevable que tout le reste. Les juges qui étaient décidéspour le supplice de Jean Calas persuaderent aux autres que ce vieillard faible ne pourrait résisteraux tourments, et qu’il avouerait sous les coups des bourreaux son crime et celui de ses complices.Ils furent confondus, quand ce vieillard, en mourant sur la roue, prit Dieu a témoin de soninnocence, et le conjura de pardonner a ses juges.

Voltaire, Traité sur la tolérance (1763), chapitre I.

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Lecture analytique n° 14 : lettre écrite au Jésuite Le Tellierpar un bénéfcier, le 6 mai 1714

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CHAPITRE XVII Lettre écrite au Jésuite Le Tellier25 par un bénéfcier26, le 6 mai 1714 (1)

Mon révérend pere,

J’obéis aux ordres que Votre Révérence m’a donnés de lui présenter les moyens les pluspropres de délivrer Jésus et sa Compagnie27 de leurs ennemis. Je crois qu’il ne reste plus que cinqcent mille huguenots28 dans le royaume, quelques-uns disent un million, d’autres quinze centmille ; mais en quelque nombre qu’ils soient, voici mon avis, que je soumets tres-humblement auvôtre, comme je le dois.

1° Il est aisé d’attraper en un jour tous les prédicants29 et de les pendre tous a la fois dansune meme place, non-seulement pour l’édifcation publique, mais pour la beauté du spectacle.

2° Je ferais assassiner dans leurs lits tous les peres et meres, parce que si on les tuait dansles rues, cela pourrait causer quelque tumulte ; plusieurs meme pourraient se sauver, ce qu’il fautéviter sur toute chose30. Cette exécution est un corollaire31 nécessaire de nos principes : car, s’ilfaut tuer un hérétique, comme tant de grands théologiens le prouvent, il est évident qu’il faut lestuer tous.

3° Je marierais le lendemain toutes les flles a de bons catholiques, attendu qu’il ne fautpas dépeupler trop l’État apres la derniere guerre ; mais a l’égard des garcons de quatorze etquinze ans, déja imbus de mauvais principes, qu’on ne peut se fatter de détruire, mon opinion estqu’il faut les chatrer tous, afn que cette engeance ne soit jamais reproduite. Pour les autres petitsgarcons, ils seront élevés dans vos colleges, et on les fouettera jusqu’a ce qu’ils sachent par cœurles ouvrages de Sanchez et de Molina32.

4° Je pense, sauf correction, qu’il en faut faire autant a tous les luthériens33 d’Alsace,attendu que, dans l’année 1704, j’apercus deux vieilles de ce pays-la qui riaient le jour de labataille d’Hochstedt34.

Voltaire, Traité sur la tolérance (1763), chapitre XVII.

25 Confesseur de Louis XIV et adversaire passionne des protestants, il poussa le roi a revoquer l’Edit de Nantes en 1685.

26 Possesseur d’un benefce ecclesiastique, c’est-a-dire de biens et de revenus attaches a l’exercice d’une fonction dansl’Eglise : la perception des revenus d’une abbaye ou d’un eveche constitue un benefce majeur, la perception des revenusd’une simple paroisse constitue un benefce mineur.

27 Transposition burlesque du nom de l’ordre des Jesuites : la Compagnie de Jesus.

28 Ce terme designe les protestants.

29 Ministres du culte protestant.

30 Avant tout.

31 Consequence.32 Jesuites espagnols.33 Protestants qui suivent la doctrine de l’Allemand Luther.

34 Defaite francaise qui rejeta les Francais hors d’Allemagne, en 1704, lors de la guerre de succession d’Espagne.

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Lecture analytique n° 15 : "De la tolérance universelle"

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Chapitre XXII - De la tolérance universelle (extrait)

Il ne faut pas un grand art, une éloquence bien recherchée, pour prouver que des chrétiensdoivent se tolérer les uns les autres. Je vais plus loin : je vous dis qu'il faut regarder tous les hommescomme nos freres. Quoi ! mon frere le Turc ? mon frere le Chinois ? le Juif ? le Siamois ? Oui, sansdoute ; ne sommes-nous pas tous enfants du meme pere, et créatures du meme Dieu ?

Mais ces peuples nous méprisent ; mais ils nous traitent d'idolatres ! Hé bien ! je leur diraiqu'ils ont grand tort. Il me semble que je pourrais étonner au moins l'orgueilleuse opiniatreté d'uniman ou d'un talapoin, si je leur parlais a peu pres ainsi :

"Ce petit globe, qui n'est qu'un point, roule dans l'espace, ainsi que tant d'autres globes; noussommes perdus dans cette immensité. L'homme, haut d'environ cinq pieds, est assurément peu dechose dans la création. Un de ces etres imperceptibles dit a quelques-uns de ses voisins, dansl'Arabie ou dans la Cafrerie : "Ecoutez-moi, car le Dieu de tous ces mondes m'a éclairé : il y a neufcents millions de petites fourmis comme nous sur la terre, mais il n'y a que ma fourmiliere qui soitchere a Dieu ; toutes les autres lui sont en horreur de toute éternit é; elle sera seule heureuse, ettoutes les autres seront éternellement infortunées."

Ils m'arreteraient alors, et me demanderaient quel est le fou qui a dit cette sottise. Je seraisobligé de leur répondre : "C'est vous-memes." Je tacherais ensuite de les adoucir ; mais cela seraitbien diffcile.

Je parlerais maintenant aux chrétiens, et j'oserais dire, par exemple, a un dominicaininquisiteur pour la foi : "Mon frere, vous savez que chaque province d'Italie a son jargon, et qu'onne parle point a Venise et a Bergame comme a Florence. L'Académie de la Crusca a fxé la langue;son dictionnaire est une regle dont on ne doit pas s'écarter, et la Grammaire de Buonmattei est unguide infaillible qu'il faut suivre; mais croyez-vous que le consul de l'Académie, et en son absenceBuonmattei, auraient pu en conscience faire couper la langue a tous les Vénitiens et a tous lesBergamasques qui auraient persisté dans leur patois ?"

L'inquisiteur me répond : "Il y a bien de la différence ; il s'agit ici du salut de votre ame : c'estpour votre bien que le directoire de l'Inquisition ordonne qu'on vous saisisse sur la déposition d'uneseule personne, fut-elle infame et reprise de justice; que vous n'ayez point d'avocat pour vousdéfendre ; que le nom de votre accusateur ne vous soit pas seulement connu; que l'inquisiteur vouspromette grace, et ensuite vous condamne; qu'il vous applique a cinq tortures différentes, etqu'ensuite vous soyez ou fouetté, ou mis aux galeres, ou brulé en cérémonie. Le Pere Ivonet, ledocteur Cuchalon, Zanchinus, Campegius, Roias, Felynus, Gomarus, Diabarus, Gemelinus, y sontformels et cette pieuse pratique ne peut souffrir de contradiction."

Je prendrais la liberté de lui répondre : "Mon frere, peut-etre avez-vous raison; je suisconvaincu du bien que vous voulez me faire ; mais ne pourrais-je pas etre sauvé sans tout cela ?".

Voltaire, Traité sur la tolérance (1763), chapitre XXII.

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Lecture analytique n° 16 : "Prière à Dieu"

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Ce n'est donc plus aux hommes que je m'adresse ; c'est a toi, Dieu de tous les etres, de tous lesmondes et de tous les temps : s'il est permis a de faibles créatures perdues dans l'immensité, etimperceptibles au reste de l'univers, d'oser te demander quelque chose, a toi qui a tout donné, a toidont les décrets sont immuables comme éternels, daigne regarder en pitié les erreurs attachées anotre nature ; que ces erreurs ne fassent point nos calamités. Tu ne nous as point donné un courpour nous haïr, et des mains pour nous égorger ; fais que nous nous aidions mutuellement asupporter le fardeau d'une vie pénible et passagere ; que les petites différences entre les vetementsqui couvrent nos débiles corps, entre tous nos langages insuffsants, entre tous nos usages ridicules,entre toutes nos lois imparfaites, entre toutes nos opinions insensées, entre toutes nos conditions sidisproportionnées a tes yeux, et si égales devant toi ; que toutes ces petites nuances qui distinguentles atomes appelés hommes ne soient pas des signaux de haine et de persécution ; que ceux quiallument des cierges en plein midi pour te célébrer supporte ceux qui se contentent de la lumierede ton soleil ; que ceux qui couvrent leur robe d'une toile blanche pour dire qu'il faut t'aimer nedétestent pas ceux qui disent la meme chose sous un manteau de laine noire ; qu'il soit égal det'adorer dans un jargon formé d'une ancienne langue, ou dans un jargon plus nouveau ; que ceuxdont l'habit est teint en rouge ou en violet , qui dominent sur une petite parcelle d'un petit tas deboue de ce monde, et qui possedent quelques fragments arrondis d'un certain métal, jouissent sansorgueil de ce qu'ils appellent grandeur et richesse, et que les autres les voient sans envie : car tu saisqu'il n'y a dans ces vanités ni envier, ni de quoi s'enorgueillir.

Puissent tous les hommes se souvenir qu'ils sont freres ! Qu'ils aient en horreur la tyrannieexercée sur les ames, comme ils ont en exécration le brigandage qui ravit par la force le fruit dutravail et de l'industrie paisible ! Si les féaux de la guerre sont inévitables, ne nous haïssons pas, nenous déchirons pas les uns les autres dans le sein de la paix, et employons l'instant de notreexistence a bénir également en mille langages divers, depuis Siam jusqu'a la Californie, ta bontéqui nous a donné cet instant.

Voltaire, Traité sur la tolérance (1763), chapitre XXIII.

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La question de l'hommedans les genres de l'argumentation

du moyen-âge à nos joursDocuments complémentaires

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Groupement de textes 1 : la peine de mort

Textes :- texte 1 : Victor Hugo, Discours à l’Assemblée constituante (15 septembre 1848)- texte 2 : Albert Camus, L’Etranger, 1942- texte 3 : Albert CAMUS, Réfexions sur la guillotine, 1957

Texte A : Victor Hugo, Discours à l’Assemblée constituante (15 septembre 1848).

Je regrette que cette question, la premiere de toutes peut-etre, arrive au milieu de vosdélibérations presque a l’improviste, et surprenne les orateurs non préparés.

Quant a moi, je dirai peu de mots, mais ils partiront du sentiment d’une conviction profondeet ancienne.

Vous venez de consacrer l’inviolabilité du domicile, nous vous demandons de consacrer uneinviolabil ité plus haute et plus sainte encore, l’inviolabilité de la vie humaine.Messieurs, une constitution, et surtout une constitution faite par la France et pour la France, estnécessairement un pas dans la civilisation. Si elle n’est point un pas dans la civilisation, elle n’estrien. (Très bien ! très bien !)

Eh bien, songez-y, qu’est-ce que la peine de mort ? La peine de mort est le signe spécial etéternel de la barbarie. (Mouvement.) Partout où la peine de mort est prodiguée, la barbarie domine ;partout où la peine de mort est rare, la civilisation regne. (Sensation.)

Messieurs, ce sont la des faits incontestables. L’adoucissement de la pénalité est un grand etsérieux progres. Le dix-huitieme siecle, c’est la une partie de sa gloire, a aboli la torture ; le dix-neuvieme siecle abolira la peine de mort. (Vive adhésion. Oui ! Oui !)

Vous ne l’abolirez pas peut-etre aujourd’hui ; mais, n’en doutez pas, demain vous l’abolirez,ou vos successeurs l’aboliront. (Nous l’abolirons ! Agitation.)

Vous écrivez en tete du préambule de votre constitution « En présence de Dieu », et vouscommenceriez par lui dérober, a ce Dieu, ce droit qui n’appartient qu’a lui, le droit de vie et demort. (Très-bien ! Très-bien !)

Messieurs, il y a trois choses qui sont a Dieu et qui n’appartiennent pas a l’hommel’irrévocable, l’irréparable, l’indissoluble. Malheur a l’homme s’il les introduit dans ses lois !(Mouvement.) Tôt ou tard elles font plier la société sous leur poids, elles dérangent l’équilibrenécessaire des lois et des moeurs, elles ôtent a la justice humaine ses proportions ; et alors il arrivececi, réféchissez-y, messieurs, que la loi épouvante la conscience. (Sensation.)

Je suis monté a cette tribune pour vous dire un seul mot, un mot décisif, selon moi ; ce mot, levoici. (Écoutez ! Écoutez !)

Apres février, le peuple eut une grande pensée, le lendemain du jour où il avait brulé le trône,il voulut bruler l’échafaud. (Très bien ! — D’autres voix : Très mal !)

Ceux qui agissaient sur son esprit alors ne furent pas, je le regrette profondément, a la hauteurde son grand coeur. (À gauche : Très bien ! ) O n l’empecha d’exécuter cette idée sublime.Eh bien, dans le premier article de la constitution que vous votez, vous venez de consacrer lapremiere pensée du peuple, vous avez renversé le trône. Maintenant consacrez l’autre, renversezl’échafaud. (Applaudissements à gauche. Protestations à droite. )

Texte B : Albert CAMUS, L’Étranger, 1942.

[Sur une plage écrasée de soleil, Meursault a tué un homme ; acte nullement prémédité, conséquence d'unesuccession de hasards. Le personnage de ce roman va se trouver pris dans l'engrenage judiciaire.]

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Et j’ai essayé d’écouter encore parce que le procureur1 s’est mis a parler de mon ame.

Il disait qu’il s’était penché sur elle et qu’il n’avait rien trouvé, messieurs les jurés2. Il disaitqu’a la vérité, je n’en avais point, d’ame, et que rien d’humain, et pas un des principes moraux quigardent le cœur des hommes ne m’était accessible. « Sans doute, ajoutait-il, nous ne saurions le luireprocher. Ce qu’il ne saurait acquérir, nous ne pouvons nous plaindre qu’il en manque. Maisquand il s’agit de cette cour, la vertu toute négative de la tolérance doit se muer en celle, moinsfacile, mais plus élevée, de la justice. Surtout lorsque le vide du cœur tel qu’on le découvre chez cethomme devient un gouffre où la société peut succomber. » C’est alors qu’il a parlé de mon attitudeenvers Maman3. Il a répété ce qu’il avait dit pendant les débats. Mais il a été beaucoup plus longque lorsqu’il parlait de mon crime, si long meme que, fnalement, je n’ai plu senti que la chaleur decette matinée. Jusqu’au moment, du moins, où l’avocat général4 s’est arreté et, apres un moment desilence, a repris d’une voix tres basse et tres pénétrée : « Cette meme cour, messieurs, va jugerdemain le plus abominable des forfaits : le meurtre d’un pere. » Selon lui, l’imagination reculaitdevant cet atroce attentat. Il osait espérer que la justice des hommes punirait sans faiblesse. Mais ilne craignait pas de le dire, l’horreur que lui inspirait ce crime le cédait presque a celle qu’il ressentaitdevant mon insensibilité. Toujours selon lui, un homme qui tuait moralement sa mere se retranchaitde la société des hommes au meme titre que celui qui portait une main meurtriere sur l’auteur de sesjours. Dans tous les cas, le premier préparait les actes du second, il les annoncait en quelque sorte etil les légitimait. « J’en suis persuadé, messieurs, a-t-il ajouté en élevant la voix, vous ne trouverez pasma pensée trop audacieuse, si je dis que l’homme qui est assis sur ce banc est coupable aussi dumeurtre que cette cour devra juger demain. Il doit etre puni en conséquence. »

1. procureur : représentant du Ministere public, chargé de l’accusation.2. jurés : citoyens faisant partie du jury.3. Meursault a beaucoup choqué parce qu’il a fumé et bu du café au lait pendant la veillée funebre de sa mere, et parce qu’il a commencé une liaison amoureuse le lendemain.4. avocat général : synonyme de procureur.

Texte C : Albert CAMUS, Réfexions sur la guillotine, 1957. Nous défnissons encore la justice selon les regles d’une arithmétique grossiere. Peut-on dire

du moins que cette arithmétique est exacte et que la justice, meme élémentaire, meme limitée a lavengeance légale, est sauvegardée par la peine de mort ? Il faut répondre que non.

Laissons de côté le fait que la loi du talion est inapplicable et qu’il paraitrait aussi excessif depunir l’incendiaire en mettant le feu a sa maison qu’insuffsant de chatier le voleur en prélevant surson compte en banque une somme équivalente a son vol. Admettons qu’il soit juste et nécessaire decompenser le meurtre de la victime par la mort du meurtrier. Mais l’exécution capitale n’est passimplement la mort. Elle est aussi différente, en son essence, de la privation de vie, que le camp deconcentration l’est de la prison. Elle est un meurtre, sans doute, et qui paye arithmétiquement lemeurtre commis. Mais elle ajoute a la mort un reglement, une préméditation publique et connue dela future victime, une organisation, enfn, qui est par elle-meme une source de souffrances moralesplus terribles que la mort. Il n’y a donc pas équivalence. Beaucoup de législations considerentcomme plus grave le crime prémédité que le crime de pure violence. Mais qu’est-ce donc quel’exécution capitale, sinon le plus prémédité des meurtres auquel aucun forfait de criminel, si calculésoit-il, ne peut etre comparé ? Pour qu’il y ait équivalence, il faudrait que la peine de mort chatiatun criminel qui aurait averti sa victime de l’époque où il lui donnerait une mort horrible et qui, apartir de cet instant, l’aurait séquestrée a merci pendant des mois. Un tel monstre ne se rencontrepas dans le privé.

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Groupement de textes : les combats des Lumières

Texte 1 : César Chesneau Dumarsais - Article « philosophe » (extrait) deL'Encyclopédie (1751-1772)

Les autres hommes sont déterminés a agir sans sentir ni connaitre les causes qui les fontmouvoir, sans meme songer qu'il y en ait. Le philosophe au contraire démele les causes autant qu'ilest en lui, et souvent meme les prévient, et se livre a elles avec connaissance: c'est une horloge qui semonte, pour ainsi dire, quelquefois elle-meme. Ainsi il évite les objets qui peuvent lui causer dessentiments qui ne conviennent ni au bien-etre, ni a l'etre raisonnable, et cherche ceux qui peuventexciter en lui des affections convenables a l'état où il se trouve. La raison est a l'égard du philosophece que la grace est a l'égard du chrétien. La grace détermine le chrétien a agir; la raison déterminele philosophe.

Les autres hommes sont emportés par leurs passions, sans que les actions qu'ils font soientprécédées de la réfexion : ce sont des hommes qui marchent dans les ténebres; au lieu que lephilosophe, dans ses passions memes, n'agit qu'apres la réfexion; il marche la nuit, mais il estprécédé d'un fambeau.

La vérité n'est pas pour le philosophe une maitresse qui corrompe son imagination, et qu'ilcroie trouver partout; il se contente de la pouvoir démeler où il peut l'apercevoir. Il ne la confondpoint avec la vraisemblance; il prend pour vrai ce qui est vrai, pour faux ce qui est faux, pourdouteux ce qui est douteux, et pour vraisemblance ce qui n'est que vraisemblance. Il fait plus, etc'est ici une grande perfection du philosophe, c'est que lorsqu'il n'a point de motif pour juger, il saitdemeurer indéterminé […]

L'esprit philosophique est donc un esprit d'observation et de justesse, qui rapporte tout a sesvéritables principes ; mais ce n'est pas l'esprit seul que le philosophe cultive, il porte plus loin sonattention et ses soins.

L'homme n'est point un monstre qui ne doive vivre que dans les abimes de la mer ou dans lefond d'une foret : les seules nécessités de la vie lui rendent le commerce des autres nécessaire et dansquelqu'état où il puisse se trouver, ses besoins et le bien-etre l'engagent a vivre en société. Ainsi laraison exige de lui qu'il connaisse, qu'il étudie, et qu'il travaille a acquérir les qualités sociables.

Notre philosophe ne se croit pas en exil dans ce monde ; il ne croit point etre en paysennemi; il veut jouir en sage économe des biens que la nature lui offre; il veut trouver du plaisir avecles autres; et pour en trouver, il faut en faire ainsi il cherche a convenir a ceux avec qui le hasard ouson choix le font vivre et il trouve en meme temps ce qui lui convient: c'est un honnete homme quiveut plaire et se rendre utile […]

Le vrai philosophe est donc un honnete homme qui agit en tout par raison, et qui joint a unesprit de réfexion et de justesse les mœurs et les qualités sociales. Entez un souverain sur unphilosophe d’une telle trempe, et vous aurez un souverain parfait.

Texte 2 : Emmanuel Kant, Qu’est ce que les lumières ? , 1784.

Les lumieres, c’est pour l’homme sortir d’une minorité qui n’est imputable qu’a lui. Laminorité, c’est l’incapacité de se servir de son entendement sans la tutelle d’un autre. C’est a lui seulqu’est imputable cette minorité des lors qu’elle ne procede pas du manque d’entendement, mais dumanque de résolution et de courage nécessaires pour se servir de son entendement sans la tutelled’autrui. Sapere aude ! Aie le courage de te servir de ton propre entendement : telle est donc ladevise des Lumieres.

La paresse et la lacheté sont causes qu’une si grande partie des hommes affranchis depuislongtemps par la nature de toute tutelle étrangere, se plaisent cependant a rester leur vie durant desmineurs ; et c’est pour cette raison qu’il est si aisé a d’autre de s’instituer leurs tuteurs. Il est si

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commode d’etre mineur. Si j’ai un livre qui a de l’entendement pour moi , un directeur spirituel quia de la conscience pour moi, un médecin qui pour moi décide de mon régime etc., je n’ai pas besoinde faire des efforts moi-meme. Je ne suis point obligé de réféchir, si payer sufft ; et d’autres sechargeront pour moi l’ennuyeuse besogne. […]

Il est donc diffcile pour tout homme pris individuellement de se dégager de cette minoritédevenue comme une seconde nature. Il s’y est meme attaché et il est alors réellement incapable dese servir de son entendement parce qu’on ne le laissa jamais en fait l’essai. Préceptes et formules, cesinstruments mécaniques destinés a l’usage raisonnable ou plutôt au mauvais usage de ses donsnaturels, sont les entraves de cet état de minorité qui se perpétue.

Mais qui les rejetterait ne ferait cependant qu’un saut mal assuré au-dessus du fossé memeplus étroit, car il n’a pas l’habitude d’une telle liberté de mouvement. Aussi sont-ils peu nombreuxceux qui ont réussi, en exercant eux-memes leur esprit, a se dégager de cette minorité tout en ayantcependant une démarche assurée.

Qu’un public en revanche s’éclaire lui-meme est davantage possible ; c’est meme, siseulement on lui en laisse la liberté, pratiquement inévitable. Car, alors, il se trouvera toujoursquelques hommes pensant par eux-memes, y compris parmi les tuteurs offciels du plus grandnombre, qui, apres voir rejeté eux-memes le joug de la minorité, rependront l’esprit d’uneestimation raisonnable de sa propre valeur et de la vocation de chaque homme a penser par lui-meme. […]

Mais ces Lumieres n’exigent rien d’autre que la liberté ; et meme la plus inoffensive detoutes les libertés, c’est-a-dire celle de faire un usage public de sa raison dans tous les domaines.

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Le Frontispice de l’Encyclopédie, dessiné par Charles-NicolasCochin (1715-1790)

Les grandes fgures du monde moderne, Frontispice de l’Encyclopédie, dessiné par Charles-Nicolas Cochin (1715-1790),gravé par Bonaventure-Louis Prévost, a l’eau-forte et au burin, 1772, Paris, coll. Part. Le dessin original de Cochin a été exposé au Salon de 1765 et commenté par Diderot lui-meme.

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Deux planches de l'adaptation en bande-dessinée deCandide par Delpâture, Dufranne, Radovanovic (2013)

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