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16, 17, 18 juin 2004 Lycée Français de Vienne

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16, 17, 18 juin 2004

Lycée Français de Vienne

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Les 16, 17 et 18 juin 2004, Susie Morgens-tern a été l'hôte du Lycée. Elle a été accueil-lie en musique dans la cour de l'école par les 263 enfants du cycle 2 qui, ayant formé une haie d'honneur, ont lancé des petits cœurs en papier crépon. Ensuite, tous se sont ren-dus au Studio Molière, où ont été présentées des saynètes par des classes de 11ème et une pièce de théâtre jouée par la CLIN à par-tir d'un des ouvrages de S. Morgenstern : "Un jour mon prince grattera". Au cours de son séjour, cette auteure a été accueillie par une classe de seconde, trois classes de 5ème, quatre classes de 9ème, une classe de 8ème et une classe de 7ème, soit environ 250 élèves. Les élèves et leurs enseignants avaient remarquablement préparé sa venue, en lisant bon nombre des cinquante livres qu'elle a publiés. Susie Morgenstern a mar-qué tous ceux qu'elle a rencontrés par sa bonne humeur, sa joie de vivre, sa façon di-recte d'entrer en contact avec ses interlocu-teurs et de communiquer avec eux.

Susie Morgenstern au Lycée Français de Vienne

Susie Morgenstern s'est déracinée volon-tairement de son Amérique natale il y a 37 ans pour aller vivre à Nice avec son "premier amour….". Cette auteure qui est un des piliers de la littérature jeunesse parle le français avec un accent américain, et l'hébreu avec un accent français. Ses deux sœurs et elle-même vivent sur trois continents différents. Placée au cœur de l'interculturel, elle était bien placée pour aborder ce thème

avec les élèves du Lycée Français qui pratiquent deux, trois, quatre langues, et parfois plus. Au cours de ces trois journées de rencontre, elle nous a fait découvrir de nombreux aspects de sa vie, de sa riche personnalité et de sa façon de travailler, dont voici quelques retours.

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Les langues : Elle a commencé à écrire en français bien avant de le parler couramment, malgré toutes les fautes qu'elle pouvait faire; son mari l'a aidée en corrigeant ses manuscrits. Elle a écrit un livre en anglais, Barbamour, mais aujourd'hui, elle aurait des difficultés à s'adresser aux jeunes Américains car elle ne sait plus comment ils vivent. Pour elle, c'est ça le vrai déracinement; et quand on a un accent comme elle en a un, l'intégration est impossible : après 37 ans en France, les gens qui la croisent dans la rue continuent à lui souhaiter de bonnes vacances!!! C'est bizarre de vivre en étrangère toute sa vie, mais cela a des côtés agréables : à chaque question, il est possible de répondre par oui ou par non. Le personnage d'Elsie dans "l'Amerloque", c'est elle lorsqu'elle est arrivée en France, avec les 8 malles préparées par sa mère, les boîtes de thon et le beurre de cacahuète. Ce fut un véritable choc culturel pour elle, qui au début a trouvé que tous les Français étaient "fous". Son mari était impitoyable dans les corrections. Et aujourd'hui, c'est parfois humiliant de se faire corriger par ses enfants en français. Elle vient d'écrire un livre pour adultes en anglais, et là, elle s'est enfin sentie complètement libre. On peut parler une langue sans la maîtriser parfaitement. La communication n'a pas besoin de grammaire parfaite. Malheureusement, on a souvent peur de se lancer par peur de faire des fautes. Il sera toujours temps d'apprendre la grammaire…

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L'écriture : Ce qui l'intéresse, c'est la magie de la vie quotidienne. L'écriture, ce sont des étincelles de vé-rité qui nous tombent dessus. Un livre qu'on écrit, ça permet de répondre à une question que l'on se pose soi-même. Ses histoires sont inventées, mais elle part toujours d'un "vécu". Un écrivain est dieu, il a tous les pouvoirs. Il fait le monde comme il veut qu'il soit. Quand Susie est déçue par des amis, ce qui lui est déjà arrivé trois fois, elle peut se venger dans les livres et les faire disparaître. Un/e auteur/e est une espionne… Elle écoute aux portes et restitue ce qu'elle entend dans les livres. Susie Morgenstern écrit depuis toujours (elle se demande même si elle n'écrivait pas déjà dans le ventre de sa mère), car étant la dernière d'une famille très exubérante et bruyante, la seule façon de placer un mot était de l'écrire. Elle est tombée amoureuse de son crayon et ne l'a jamais lâché. C'est un amour de longue date, et elle a l'intention d'écrire jusqu'à son dernier soupir, car il n'y a pas de retraite pour les écrivains. Le meilleur livre pour elle est celui qu'elle est en train d'écrire; en effet elle commence sans savoir où elle va aller, à partir d'une idée ou d'un personnage; elle a hâte d'arriver au bout pour savoir comment le roman va se terminer. Une fois publiés, ses livres ne l'intéressent plus. Quand on vit un événement, on peut écrire tout de suite un article pour un journal. Mais avant de l'intégrer à un livre, il faut laisser passer beaucoup de temps. Elle a mis quatre ans pour écrire "Lettres d'amour de 0 à 10", et quatorze pour "Joker". Comment procède-t-elle pour écrire ? : le premier jour, elle écrit deux pages. Le lendemain, elle les relit et les corrige, puis elle ajoute deux pages à son texte. Ainsi de suite… A la fin d'un livre, elle en aura lu les pages des centaines de fois et le texte aura été tellement corrigé qu'il ne restera pratiquement rien de ce qui a été écrit au début. Elle écrit chaque jour. Elle est une véritable usine à écrire, sauf quand elle est déprimée; elle pense en effet que pour s'adresser aux jeunes, il faut être chargé d'espoir. Elle sait faire abs-traction de ce qui l'entoure : quand ses filles étaient petites, elle parvenait à s'adonner à l'écri-ture malgré le bruit et le mouvement autour d'elle. Habitant dans le Sud face à la mer, elle doit fermer ses volets pour travailler. Elle utilise, en va-et-vient constant, les différents dictionnaires qu'elle possède, français-anglais, anglais-français, anglais-anglais, français-français…. Elle n'a pas choisi d'être écrivain; c'est arrivé tout seul. Elle aurait peut-être préféré être top model ?! Ecrire pour les jeunes ou pour les adultes, c'est la même chose : on est devant la même feuille blanche. Mais écrire pour les jeunes, c'est plus difficile, parce qu'on ne peut pas tout dire. Su-sie Morgenstern a réussi à écrire pour les jeunes parce qu'elle a été maman. Des conseils pour écrire ? oui : écrire. Elle l'a fait tous les jours de sa vie (avec son journal, elle est devenue la mémoire de toute sa famille). Ca demande de la discipline, et c'est d'autant plus difficile pour elle qu'elle est seule responsable : personne ne lui dira qu'elle doit travailler. Mais c'est difficile d'être seul, d'avoir des doutes et de ne pas savoir si ce qu'on produit est bien, si c'est utile… Elle a été "auteure en résidence" à Nanterre : elle a eu un contrat d'un an avec la municipalité, et elle était à l'entière disposition de la ville pour faire des animations en tous genres dans les écoles, les bibliothèques et autres lieux publics… En contrepartie, 10000 exemplaires du livre qu'elle a écrit au cours de cette année ont été achetés par la ville. Elle devait être logée dans un château qui était tellement étrange… qu'elle n'y a pas passé une seule nuit.

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Les idées : Elle les tire de la vie quotidienne. Mais elle est sûre que tout ce qu'elle invente pourrait exis-ter : Pour "Les treize tares de Théodore" : Sa fille s'est fiancée à un homme, et elle lui a présenté en disant : maman, je l'aime, mais il a treize tares! "Le vampire du CDI" : elle a rencontré le documentaliste, Jean-Marc, en Alsace. Il voulait mettre des livres partout, dans les couloirs, sur la moindre étagère. Dans ce roman, c'est elle l'auteure qui est invitée par Jean-Marc. "Lettres d'amour de 0 à 10". Elle a écrit ce livre à partir d'une idée de son mari – la dernière avant sa mort : existence d'une lettre codée qui, lorsqu'on réussit enfin à la déchiffrer, ne ré-vèle rien d'autre que des choses banales. Et seul le timbre collé sur l'enveloppe a une très grande valeur… C'est plus tard qu'elle s'est rendu compte qu'à travers Ernest, elle parlait de son mari, juif né en 1939, qui a vécu sa petite enfance caché par des religieuses. Et Victoire, c'est elle, Susie, qui le sauve de sa solitude et de sa tristesse… Et elle a des amis à Nice qui ont effectivement 14 enfants. "La sixième" : Ce fut la sixième vécue par sa fille Mayah. Quand Susie Morgenstern est arri-vée en France, elle a bien aimé ce pays d'adoption où on mangeait et buvait bien. Mais elle n'a jamais supporté l'école. "La sixième", c'est son cri de rage contre l'école française. Ses deux filles n'ont eu que de vieux profs tout au long de leur scolarité. N'y a-t-il donc que des en-seignants en fin de carrière à Nice ? "La liste des fournitures" : aux Etats-Unis, toutes les fournitures sont offertes par l'école alors qu'en France, les élèves et leurs parents doivent tous acheter la même

chose le même jour. Là encore, il

y a eu pour elle un choc culturel qui est à la source de ce livre. "La grosse patate" : c'est son his-toire; celle d'une fille qui aime manger mais qui voudrait mai-grir… "C'est pas juste" : En Amérique, il n'y a pas de cantine et les enfants ont dix minutes pour manger un sandwich à midi. Son neveu, qui voulait devenir riche, vendait tous les jours son sandwich pour ga-gner de l'argent. Et il est devenu riche! "La première fois que j'ai eu seize ans" : livre autobiographique. La deuxième et la troisième fois qu'elle a eu seize ans, c'était avec ses filles…

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Edition : Cinquante des livres écrits par Susie Morgenstern ont été publiés, mais autant ne l'ont pas été. Elle ne se bat pas pour être éditée; elle fait confiance à son éditeur et accepte ses critiques. Elle a d'ailleurs tellement confiance en lui qu'elle ne sait pas ce qu'elle ferait s'il devait arrêter de travailler… Exception cependant pour "Pas de bol", que l'Ecole des loisirs a refusé, et qu'elle a publié chez Thierry Magnier. Il lui arrive aussi d'abandonner des livres qu'elle ne ré-ussit pas à terminer. Elle est tout de même publiée chez d’autres éditeurs, qui lui demandent d’écrire pour telle ou telle collection (« Confessions d’une grosse patate », chez De la Marti-nière). Son premier livre "La grosse patate" a été édité sans qu'elle ait à bouger de chez elle, par l'ami d'un ami qu'elle avait invité à dîner. C'était il y a trente ans, et à l'époque, la littérature

pour la jeunesse en était à ses tout débuts. Aujourd'hui, c'est devenu plus difficile pour un/e auteur/e d'être publié. Elle était telle-ment fière de ce premier livre qu'elle aurait aimé le porter autour de son cou. Elle l'avait dans sa poche et en parlait à chaque per-sonne qu'elle rencontrait. Mais par la suite, c'est son mari qui l'a pous-sée à publier : il l'a mise dans le train pour Paris afin qu'elle trouve un éditeur à ses livres. Maintenant, en ce qui concerne la pu-blication, elle vit dans le brouillard le plus complet; elle ne sait pas nous donner les chiffres de vente de ses livres… un million d'exemplaires pour "La sixième"… C'est la raison pour laquelle elle a un agent littéraire qui est chargé de négocier avec les éditeurs; elle ne sait pas parler argent. Elle trouve que les auteurs sont des "poires parfaites"; ils sont le plus souvent si heureux d'être publiés qu'ils sont reconnaissants envers leurs édi-teurs… Elle, par exemple, qui est l'auteure vendant le mieux à l'Ecole des loisirs, n'a ja-mais osé demander à être mieux payée… Les auteur/es ont été longtemps sans statut. Il existe maintenant la "Charte des auteurs et

des illustrateurs jeunesse", qui essaie de défendre une littérature jeunesse de qualité et les droits de ses créateurs.

Lecture : Elle s'est beaucoup « musclé la tête » avec les livres qu'elle a lus. Au moment d'écrire, il s'agit d'être original. Elle est une lectrice vorace et boulimique. Elle lit pour se retrouver dans les livres, s'identifier aux personnages. Elle est très bon public : elle lit tout. Elle est amou-reuse de l'objet-livre. Son écrivain préféré est Shakespeare. Elle lui en veut, car il a tout dit, tout écrit de manière parfaite, et il n'a pas laissé de place pour les autres! Aux élèves qui lui demandent ce qu'elle lit ce jour-là, elle parle de "A room of own's home" de Virgina Wolf, qu'elle a déjà lu de nombreuses fois mais qu'elle ne se lasse pas de reprendre.

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A propos du judaïsme : Lors d'une intervention dans une ZEP, un élève lui a deman-dé pourquoi elle parlait toujours de Juifs dans ses livres. Elle lui a expliqué qu'elle-même était Juive. Il a été très surpris par cette réponse, et il a avoué plus tard que c'était la première fois de sa vie qu'il rencontrait une Juive. S'est ensuivie une discus-sion sur les causes du racisme, dû le plus souvent à la mécon-naissance de l'autre. Favoriser les rencontres peut donc per-mettre de ne pas avoir peur de l'étranger. Susie Morgenstern a visité au cours de son séjour à Vienne le Musée Freud, où elle a été bouleversée. Elle s'est représentée Sigmund Freud, sa famille et tous les Juifs qui, à la fin des années 30, ont dû prendre la décision courageuse de partir, de tout abandonner pour sauver leur peau. Lors de sa conférence à l'Institut français, elle a parlé de sa peur devant l'antisémitisme renaissant en France : croix gammées découvertes récem-ment sur sa voiture, sur la porte du bureau de sa fille Aliyah à l'Ecole normale supérieure. Elle et ses filles se posent la question de savoir si elles devront quitter la France…

Prof de fac : Elle a dû pratiquer ce deuxième métier de professeur d'anglais à la faculté des sciences, n'étant jamais sûre de pouvoir vivre uniquement de sa plume. Mais elle a toujours voulu sépa-

rer ses deux vies d'écrivain et de prof de fac. En effet, écrire pour la jeunesse ne fait pas sérieux dans ce milieu; pour ob-tenir un poste de maître de conférence, elle a même dû retirer de son curriculum vitae les titres de ses ouvrages publiés. Ses étudiants ne savent pas qu'elle écrit. Cette année pourtant, l'un d'eux est arrivé en cours un de ses livres à la main, et lui a demandé si c'était elle, l'auteure de ce livre. Elle avoue ne pas aimer tous les jours ses élèves…

Cinéma : "La première fois que j'ai eu 16 ans" va sortir au cinéma le 6 octobre 2004 sous le titre :"La première fois que j'ai eu 20 ans". "Lettres d'amour de 0 à 10" : le manuscrit a été acheté par Hollywood, ce qui ne veut pas dire pour autant qu'il sortira un jour sous forme de film.

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Relations humaines : Le thème de la solidarité est omniprésent dans ses livres, car c'est ainsi qu'elle voit la vie. Il faut provoquer les rencontres, dire ses secrets; c'est pour ça qu'on est sur terre. Susie Mor-genstern a l'art d'entrer en contact avec les gens qui se trouvent sur son chemin. Dans les classes, elle interroge les enfants sur leurs origines, leurs vécus; dans une 9ème, elle fait par-ler les enfants de CLIN sur leurs impressions et sentiments quand ils sont arrivés dans une école française sans comprendre un mot de cette langue… Susie veut tout savoir, comment vivent les gens, s'ils se sentent bien dans leur peau, s'ils sont heureux. Et elle le leur demande directement, sans détour.

Et encore… : Georges Busch, il lui donne de l'urticaire, elle

l'a détesté dès le premier jour. Elle s'est déjà pré-parée à voter contre lui aux prochaines élections.

Dans sa maison, il y a un rat qui mange les pop-corn, les robes … et les livres!

Elle dit qu'elle n'est pas assez intelligente pour écrire des polars.

Elle n'aurait jamais pu écrire Harry Potter : elle n'a pas cette imagination débordante de Rowling.

La télévision : elle l'effraie; elle n'en a jamais eu. D'après les statistiques, un homme américain moyen aura passé la moitié de sa vie devant la té-lévision… On n'a qu'une vie, il faut en profiter; pas moyen d'en faire un brouillon!!! Avec un livre, on peut se faire sa propre télé dans sa tête! Il faudrait consciemment se demander à chaque fois qu'on regarde la télé : est-ce que ça m'intéresse vrai-ment? Est-ce que je n'aurais pas quelque chose de mieux à faire?

Susie Morgenstern aime avoir des fans, mais il y a des limites : quand elle est arrivée dans une école de Colmar où tous les élèves portaient des T-shirts avec sa photo, ça a été trop pour elle.

Elle était une bonne élève, et sage. Elle n'a même jamais eu idée de ne pas l'être – ce qu'elle regrette maintenant. Il lui arrivait souvent de lire pendant les cours, tout en écoutant ce que le prof disait… jusqu'au jour où elle a été démasquée, ayant éclaté en sanglots, toute émue par sa lec-ture. Car Susie pleure beaucoup et souvent, quand elle a de la peine ou quand elle est heureuse. Elle peut pleurer du début à la fin d'un film; c'est ce qui lui est arrivé en regardant "Les invasions bar-bares".

Susie déteste voyager, elle n'aime pas le mou-vement. Ce qu'elle préfère, c'est lire dans son lit. Mais ce qui la pousse à voyager, c'est le désir d'al-ler à la rencontre de gens toujours nouveaux.

Elle adore enfin ses petits-enfants Emma, Noam et Yoni, qui sont déjà de bons musiciens.

Texte : G. Hess - Photos : V..Avédikian , M. Winter-Morel, G. Hess - Mise en page : M. Desfontaine