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Mémoire présenté par le Syndicat des agents de la paix en services correctionnels du Québec (SAPSCQ-CSN) à la Commission d’enquête sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec : Écoute, Réconciliation et Progrès Réalités autochtones en milieu carcéral québécois : Un système juste et équitable pour toutes et tous? 10 octobre 2018 M-017 P-1159

M-017, P-1159 : Mémoire présenté par le SAPSCQ-CSN

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Page 1: M-017, P-1159 : Mémoire présenté par le SAPSCQ-CSN

Mémoire présenté par le

Syndicat des agents de la paix en services correctionnels du Québec

(SAPSCQ-CSN)

à la Commission d’enquête sur les relations entre les Autochtones

et certains services publics au Québec : Écoute, Réconciliation et Progrès

Réalités autochtones

en milieu carcéral québécois :

Un système juste et équitable pour toutes et tous?

10 octobre 2018

M-017P-1159

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Syndicat des agents de la paix en services correctionnels du Québec (SAPSCQ-CSN)

4906 boul. Gouin Est

Montréal (Québec) H1G 1A4

Fédération des employées et employés de services publics (FEESP)

Confédération des syndicats nationaux (CSN)

1601, avenue De Lorimier

Montréal (Québec) H2K 4M5

Téléphone : 514 598-2121 www.sapscq.com www.feesp.csn.qc.ca www.csn.qc.ca

Page 3: M-017, P-1159 : Mémoire présenté par le SAPSCQ-CSN

Table des matières

Résumé ........................................................................................................................................... 5

Introduction ................................................................................................................................... 7

Parcours et profil des clientèles autochtones ............................................................................ 9

Enjeu 1 : Les infrastructures ...................................................................................................... 13

Des infrastructures gravement inadéquates ............................................................................ 13

Pas mieux pour les femmes ...................................................................................................... 14

Des facteurs systémiques et politiques ..................................................................................... 15

Recommandations .................................................................................................................... 17

Enjeu 2 : Droits fondamentaux et dits résiduels ....................................................................... 19

Discrimination dans l’application des droits ........................................................................... 21

Recommandations .................................................................................................................... 22

Enjeu 3 : L’éloignement et ses impacts sur la santé mentale ................................................... 23

Identité culturelle ...................................................................................................................... 23

Distance et isolement ................................................................................................................ 24

Prévention du suicide ............................................................................................................... 24

Les femmes sont plus vulnérables ............................................................................................ 25

Recommandations .................................................................................................................... 25

Enjeu 4 : Des relations compliquées avec le personnel ............................................................ 27

Barrière linguistique ................................................................................................................ 27

Situation spécifique des femmes .............................................................................................. 28

Diversité socioculturelle ........................................................................................................... 28

Sous-représentation des Autochtones dans le personnel ........................................................ 29

Recommandations .................................................................................................................... 31

Enjeu 5 : Peu de moyens pour la prévention et la réinsertion ................................................. 33

Accompagnement vers la réintégration ................................................................................... 33

Recommandations .................................................................................................................... 34

Conclusion .................................................................................................................................... 35

Entre l’arbre et l’écorce ........................................................................................................... 35

Annexe 1 : Recommandations .................................................................................................... 37

Annexe 2 : Processus judiciaire applicable aux adultes en matière criminelle ...................... 43

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Page 5: M-017, P-1159 : Mémoire présenté par le SAPSCQ-CSN

Mémoire pour la Commission d’enquête

sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec – 5

Résumé

La Confédération des syndicats nationaux (CSN) regroupe divers syndicats de services publics

visés par la Commission. La CSN a répondu à la Commission en appuyant la contribution du

Syndicat des agents de la paix en services correctionnels du Québec (SAPSCQ-CSN).

Pour recueillir l’information nécessaire à la rédaction du présent mémoire et par souci de

préserver l’anonymat du personnel, le Syndicat a consulté plusieurs de ses membres qui

travaillent dans des établissements où sont incarcérés un nombre significatif d’Autochtones :

Amos, Hull, Leclerc de Laval, New Carlisle, Roberval, Saint-Jérôme, Sept-Îles.

Les diverses nations autochtones (Premières Nations et Inuit) ne se retrouvent pas toutes dans

les mêmes centres de détention. Contrairement à la situation ailleurs au Canada, les Premières

Nations ne sont que légèrement surreprésentées au sein de la population carcérale du Québec,

certaines plus que d’autres. La population inuite, par contre, est particulièrement surreprésentée

selon les données disponibles.

Étant donné ces caractéristiques de la population autochtone en incarcération, une plus grande

part des défis décrits dans ces pages concerne donc les prévenus et détenus inuits et les

installations qui les desservent, bien qu’une aussi grande attention ait été accordée à chacun

des témoignages recueillis par le Syndicat.

Les diverses questions soulevées ont été regroupées par enjeu, lesquels ne sont toutefois pas

présentés par un ordre d’importance, mais d’urgence : Les infrastructures, les droits

fondamentaux et dits résiduels, l’éloignement et la santé mentale, les relations avec le

personnel, et enfin, les stratégies et moyens de prévention et de réintégration.

En matière d’infrastructures, celles-ci sont inadéquates, et ce, particulièrement dans le Nunavik

et dans l’établissement pour femmes Leclerc à Laval. Des facteurs systémiques et politiques

semblent expliquer cet enjeu et nos membres proposent neuf recommandations à ce sujet.

Sur le plan des droits, nos membres observent plusieurs dénis de droit et de cas de

discrimination dans l’application des droits des prévenus et détenus autochtones. Nos membres

formulent dix recommandations pour y remédier.

L’éloignement et l’inadéquation de la justice pénale, incluant les services correctionnels, pour

les populations autochtones induisent une grande détresse psychologique et un risque élevé de

suicide devant lesquels les agents de la paix sont démunis. Dix recommandations sont faites.

L’examen des relations entre Autochtones et agents de la paix a mis au jour plusieurs obstacles,

incluant la barrière linguistique, la méconnaissance des réalités autochtones, le manque de

compétences interculturelles, le peu d’expertise avec la clientèle féminine, ainsi que la sous-

représentation des Autochtones au sein du personnel. Nos membres soumettent ici dix-neuf

recommandations.

Enfin, il est clair que le peu de moyens en place pour la prévention et la réintégration des

détenu-es résulte d’une vision inadéquate, déconnectée des initiatives en milieu autochtone et

sans articulation à une stratégie québécoise d’ensemble. Huit recommandations sont faites.

Toutes les recommandations se retrouvent à l’annexe 1 du document.

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Introduction

Le Syndicat des agents de la paix en services correctionnels du Québec (SAPSCQ-CSN) et la

Fédération des employées et employés de services publics (FEESP-CSN), affiliés à la

Confédération des syndicats nationaux (CSN), remercient l’invitation de la Commission

d’enquête sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec à

contribuer à ses travaux.

Le Syndicat des agents de la paix en services correctionnels du Québec (SAPSCQ-CSN) est

un organisme syndical libre et démocratique, fondé en 1982, dont le contrôle est entièrement

assumé par son assemblée générale nationale. Ses membres appartiennent au mouvement

syndical depuis fort longtemps. Ils ont d’abord créé le Syndicat des agents de la paix de la

fonction publique (SAPFP), en 1966, avant de fonder l’Union des agents de la paix en

institutions pénales (UAPIP) au début des années 1980, qui a ensuite fait place au SAPSCQ-

CSN.

À travers toutes ces années, les agentes et agents de la paix ont mené de nombreux débats et

pris plusieurs positions difficiles, toujours avec conviction. Dans sa Déclaration de principes,

ses objectifs et ses méthodes d’action, le Syndicat est guidé par un sens commun d’édification

d’une société humaine solidaire dans la liberté, la dignité, la justice et la fraternité.

Dans cet esprit, le Syndicat se préoccupe des conditions d’incarcération des prévenus et

détenus1, non seulement parce qu’elles peuvent affecter les conditions de travail de ses propres

membres, mais aussi parce qu’il conçoit son rôle comme l’un des rouages d’un système qui se

doit d’être juste et équitable pour toutes et tous. Or, ces dernières années, les membres du

SAPSCQ-CSN ont été témoins d’un certain nombre de dénis de droits fondamentaux ou dits

résiduels, qui affectent particulièrement les Autochtones au sein la population incarcérée.

À cet égard, le Syndicat a bien accueilli le rapport spécial du Protecteur du citoyen2 sur les

conditions de détention, l’administration de la justice et la prévention de la criminalité au

Nunavik, déposé le 18 février 2016. Il a trouvé fort encourageante l’adoption du Plan d’action

du ministère de la Sécurité publique (MSP) qui s’en est suivi3. Par ailleurs, des enjeux pour la

santé et la sécurité au travail des agents ont mené le Syndicat à décider d’entreprendre une

visite au Nunavik en 2017. Devant cette initiative syndicale, le MSP a proposé une mission

conjointe qui s’y est rendue au cours du dernier trimestre de 2017 et qui a permis, par la même

occasion, de constater que très peu d’actions prévues au Plan d’action du MSP avaient été

entreprises.

1 Les prévenus sont des individus en attente de leur procès ou du prononcé de leur sentence; les détenus dont il est

question dans ce mémoire ont été jugés et condamnés à des peines de moins de deux ans de détention dans un

établissement du Québec, et leur surveillance et réinsertion sociale sont assurées par des ASC. Source : Ministère de la

Sécurité publique, [En ligne] [https://www.securitepublique.gouv.qc.ca/services-correctionnels/fonctionnement.html] 2 Raymonde ST-GERMAIN, Claude DUSSAULT et Marie DESPATIS, Rapport spécial du Protecteur du citoyen, Les

conditions de détention, l’administration de la justice et la prévention de la criminalité au Nunavik, Québec, le 18

février 2016. [En ligne] [https://protecteurducitoyen.qc.ca/sites/default/files/pdf/rapports_speciaux/2016-02-

18_conditions-de-detention-Nunavik.pdf] 3 MINISTÈRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE, Plan d’action concernant les conditions de détention,

l’administration de la justice et la prévention de la criminalité au Nunavik, 31 mai 2016. [En ligne]

[www.securitepublique.gouv.qc.ca/services-correctionnels/publications-et-statistiques/plan-daction-nunavik.html]

Page 8: M-017, P-1159 : Mémoire présenté par le SAPSCQ-CSN

8 – Mémoire pour la Commission d’enquête

sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec

Peu après, la Commission d’enquête sur les relations entre les Autochtones et certains services

publics au Québec prenait contact avec la CSN qui regroupe des syndicats dans les services

publics visés par l’enquête de la Commission. De plus, elle appuie la Déclaration sur les droits

des peuples autochtones4 et a créé un groupe de travail sur les réalités autochtones « afin de

mieux soutenir et coordonner le travail syndical, en collaboration avec ces communautés, en

vue de combattre l’exclusion, le racisme, le sexisme, la pauvreté, la détérioration de la santé,

le décrochage scolaire, la discrimination en emploi, dans l’accès à l’éducation et dans la société

en général, et ce, dans un contexte où le développement économique ne tient pas toujours

compte des besoins sociaux et des traditions ancestrales des peuples autochtones ».

Dans ce cadre, la CSN a facilité une prise de contact de la Commission avec le SAPSCQ-CSN,

qui a ensuite décidé de préparer le présent mémoire, lequel vise plusieurs objectifs :

• Faire part de notre expérience et rapporter des faits relatifs aux lacunes dans les services

offerts aux populations autochtones, selon les régions ou territoires, dans les services

correctionnels;

• Aider à identifier les causes possibles de la discrimination systémique qui peut exister

à l’égard des Premières Nations dans les services correctionnels;

• Faire des recommandations quant aux actions correctives concrètes, efficaces et

durables à mettre en place par les instances gouvernementales et autochtones dans la

prestation de ces services;

• Identifier des pistes d’amélioration des relations entre les Autochtones et les services

correctionnels au Québec;

• Orienter les réflexions des membres de la Commission dans l’élaboration et la

rédaction des recommandations;

• Cerner les limites et les contraintes auxquelles pourrait faire face le gouvernement du

Québec dans le cadre de la mise en œuvre d’une ou de plusieurs recommandations.

Pour recueillir l’information nécessaire à la rédaction du mémoire et par souci de préserver

l’anonymat du personnel, le Syndicat a consulté plusieurs de ses membres qui travaillent dans

des établissements où sont incarcérés un nombre significatif d’Autochtones : Amos, Hull,

Leclerc de Laval, New Carlisle, Roberval, Saint-Jérôme et Sept-Îles.

Cet échantillon représente donc les agents en services correctionnels (ASC) qui travaillent dans

7 des 23 établissements (quartiers cellulaires, établissements de détention) où sont gardés les

prévenu-es et les détenu-es. Il inclut également des agents qui accompagnent les personnes

incarcérées dans leur transport terrestre et aérien, qui fréquentent certains quartiers cellulaires

situés dans les palais de justice du Québec, ou qui encadrent et accompagnent les personnes en

permission de sortir, en libération conditionnelle, en probation ou en sursis.

Pendant deux jours, à huis clos, ces agents et agentes de la paix ont partagé leurs expériences,

leurs préoccupations, leurs espoirs et quelques pistes d’action. Ce sont leurs témoignages, leurs

réflexions et, à l’annexe 1, leurs recommandations qui sont présentées dans ce mémoire.

4 NATIONS UNIES, Déclaration sur les droits des peuples autochtones, [En ligne] 2007

[www.un.org/esa/socdev/unpfii/documents/DRIPS_fr.pdf]

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Mémoire pour la Commission d’enquête

sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec – 9

Parcours et profil des clientèles autochtones

Les agentes et agents de la paix entrent en relation avec la population dans le cadre du processus

judiciaire applicable aux adultes en matière criminelle. Cela n’est pas différent en ce qui

concerne la population autochtone, qu’elle soit inuite ou qu’elle appartienne à l’une des dix

Premières Nations qui vivent sur le territoire québécois.

Ce processus judiciaire est bien établi et encadré par la loi et la réglementation en vigueur, et

s’applique à l’ensemble des citoyennes et citoyens. Il comporte plusieurs étapes5 menant de

l’infraction criminelle présumée à l’intervention policière, puis à la fermeture du dossier ou à

la détention préventive avant le dépôt des accusations – lequel inclut une première comparution

dans les trois jours suivant l’arrestation – suivi du procès avec ou sans enquête préliminaire.

Entre-temps, l’accusé peut être détenu ou libéré avec ou sans condition. Si la preuve est jugée

suffisante, le procès aura lieu devant un juge ou devant un juge et un jury pour déterminer un

verdict d’acquittement ou de culpabilité. Si l’accusé est déclaré coupable, la sentence est

déterminée en tenant compte, le cas échéant, d’un rapport présentenciel, d’une enquête sur la

peine, des observations des parties sur la peine et d’une déclaration de la victime.

La peine peut prendre l’une ou plusieurs des formes suivantes, selon le cas : absolution

conditionnelle ou inconditionnelle, suspension de la peine, imposition d’une amende ou de

travaux compensatoires, ordonnance de dédommagement, ordonnance de probation,

prélèvement d’ADN, inscription au registre des délinquants sexuels, confiscation et

interdiction de possession d’armes, peine d’emprisonnement à purger dans la collectivité, et

enfin, peine d’emprisonnement. Pour certains crimes graves, la loi exige une peine

d’emprisonnement minimale. Le juge peut toutefois réduire cette peine pour tenir compte du

temps déjà passé en détention.

Les peines d’emprisonnement de deux ans moins un jour ainsi que celles des prévenus en

attente de procès doivent être purgées dans une prison provinciale, c’est-à-dire dans l’un des

17 établissements québécois de détention. Les peines de deux ans et plus sont purgées dans les

pénitenciers fédéraux, qui relèvent du gouvernement canadien et qui ne font pas l’objet de ce

mémoire, la Commission ayant le mandat de porter son attention sur les services publics du

Québec. Cette distinction est importante, d’autant plus que la réalité autochtone varie

considérablement à travers le Canada, et comme une étude6 récente le démontre, d’une nation

à l’autre à travers le Québec. C’est aussi ce qui se dégage des témoignages recueillis auprès

des ASC rencontrés.

Par ailleurs, s’il est vrai que les Autochtones sont surreprésentés dans les établissements de

détention au Canada, la situation est différente au Québec, où les Premières Nations ne sont

que légèrement surreprésentées au sein de la population carcérale. Chez certaines des

Premières Nations, il y a même sous-représentation au sein de la population incarcérée.

Toutefois, les Inuits sont clairement surreprésentés comme le montrent les tableaux qui suivent.

5 Voir l’annexe 2 pour une explication plus détaillée des diverses étapes de ce processus. 6 Bernard CHÉNÉ, Profil des Autochtones confiés aux services correctionnels en 2015-2016, Direction générale des

services correctionnels, ministère de la Sécurité publique, Gouvernement du Québec. [En ligne] 2018

[www.securitepublique.gouv.qc.ca/fileadmin/Documents/services_correctionnels/publications/profil_autochtones_2015

-2016/profil_correctionnel_2015-2016_autochtones.pdf]

Page 10: M-017, P-1159 : Mémoire présenté par le SAPSCQ-CSN

10 – Mémoire pour la Commission d’enquête

sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec

Tableau 1 Ratio de personnes incarcérées pour 1000 habitants selon la nation (2015-2016)

Inuits Attikameks Algonquins Cris Innus Autres

nations* Non-

autochtones

61 19 16 13 12 3 4

*Autres nations : Micmacs, Naskapis, Mohawks, Hurons-Wendat, Abénaquis, Malécites, hors Québec.

Source : Ministère de la Sécurité publique (2018)

Il n’est pas inexact de dire que dans l’ensemble, toutes nations confondues, les Autochtones

sont surreprésentés dans la population incarcérée. En effet, bien que le poids de la population

autochtone dans la population totale du Québec soit de 2,3 % selon Statistiques Canada (2016),

son poids atteint près du triple dans la population carcérale avec 6,5 % du total de la population

incarcérée au moins une journée au cours de l’année débutant le 1er avril 2015 et se terminant

le 31 mars 2016, selon le ministère de la Sécurité publique (2018).

Tableau 2 Nombre et proportion d’Autochtones et de non-Autochtones incarcérés au moins

un jour au cours de l’année (1er avril 2015 – 31 mars 2016)

Autochtones non-Autochtones Nombre Proportion Nombre Proportion

1 632 5,42 % 28 506 94,58 %

Source : Ministère de la Sécurité publique (2018)

Or, fait troublant, alors que les Inuits ne représentent que 7,6 % de toute la population

autochtone du Québec, toujours selon Statistiques Canada (2016), la population inuite

incarcérée représente 59,4 % de l’ensemble des Autochtones en détention, selon les données

du ministère de la Sécurité publique sur la population moyenne quotidienne en institution

(PMQI).

Population totale du Québec (2016)

Inuits (0.2%)

Autres Autochtones (2.1%)

Non-Autochtones (97.7%)

Source : Statistique Canada (2016), Recensement

Population moyenne quotidienne en institution (2015-2016)

Inuits (3.85%)

Autres Autochtones (2.62%)

Non-Autochtones (93.5%)

Source : Ministère de la Sécurité publique (2018), PMQI

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Mémoire pour la Commission d’enquête

sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec – 11

Selon les informations communiquées par les membres du Syndicat, les nations autochtones

ne sont pas réparties également dans les centres de détention (voir tableau 3).

Les Inuits sont très fortement concentrés dans les quartiers cellulaires de Kuujjuaq et de

Puvirnituq et dans les établissements de St-Jérôme, d’Amos, de Leclerc (femmes) et, dans une

moindre mesure, Hull et Rivière-des-Prairies.

Les Cris sont fortement concentrés à Amos, mais aussi à Montréal, Hull, Roberval et St-

Jérôme. Les Algonquins se trouvent principalement à Amos, et quelques-uns sont à Montréal,

Hull et Leclerc (femmes). Les Innus sont concentrés à Sept-Îles, Baie-Comeau, Québec

(hommes et femmes) et Roberval. La majorité des Attikameks sont à Roberval et Trois-

Rivières. Les Micmacs sont, en règle générale, à New Carlisle. Les autres nations autochtones,

en moindre nombre, sont réparties çà et là.

Tableau 3 Population moyenne quotidienne en institution selon la nation autochtone

et selon l’établissement de détention à l’admission (2015-2016)

Établissement Autres

nations Algonquins Attikameks Cris Inuits Innus

Total des

Autochtones

Amos 0 13 1 17 47 0 78

Baie-Comeau 1 0 0 0 0 7 8

Montréal 2 6 2 6 2 0 18

Québec (femmes) 0 0 1 0 0 1 2

Québec (hommes) 2 1 2 1 2 4 12

Leclerc (femmes) 0 2 2 1 27 0 32

Leclerc (hommes) 1 1 0 1 1 0 4

Percé 0 0 0 0 0 0 0

Hull 0 4 1 4 15 0 24

New Carlisle 6 * 0 0 0 0 0 6

Riv. des Prairies 1 0 1 1 6 0 9

Rimouski 0 0 0 0 0 0 0

Roberval 0 1 6 4 1 4 16

Sept-Îles 1 0 0 0 0 9 10

Sherbrooke 0 0 0 0 0 0 0

Sorel 0 0 0 0 0 0 0

St-Jérôme 0 2 1 3 95 0 101

Trois-Rivières 0 0 5 0 0 0 5

Autre (transit) 1 0 0 2 1 2 6

Total par nation 14 30 22 40 196 27 336

* Micmacs. Source : Ministère de la Sécurité publique (2018)

Étant donné ces caractéristiques de la population autochtone en incarcération, on comprendra

qu’une plus grande part des défis décrits dans ces pages concerne donc les prévenu-es et

détenu-es inuits et les installations qui les desservent, bien qu’une aussi grande attention ait été

accordée à chacun des témoignages recueillis par le Syndicat. Les diverses questions soulevées

ont été regroupées par enjeu, lesquels ne sont toutefois pas présentés par un ordre d’importance,

mais d’urgence.

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Mémoire pour la Commission d’enquête

sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec – 13

Enjeu 1 : Les infrastructures

Des infrastructures gravement inadéquates

La population inuite est fortement surreprésentée dans la population détenue pour des délits

mineurs et les conditions de sa détention sont inadéquates dans certains lieux, particulièrement

au Nunavik, mais également dans certains autres centres de détention.

Surpopulation, mixité des clientèles, insalubrité, risques pour la santé et la sécurité, distance

excessive, ces déficiences constituent une atteinte à la dignité des personnes incarcérées et de

tous ceux et celles qui y travaillent – en plus d’être en violation flagrante avec plusieurs normes

établies par le gouvernement du Québec, celui du Canada et par la communauté internationale.

À Puvirnituq, faute de pavillon cellulaire adéquat, ce sont les cellules du poste de police qui

servent de lieu de détention pour les prévenus. Et même au poste de police, les cellules sont

tellement remplies par des gens arrêtés et sous garde pour une très courte période (cas d’ivresse

sur la voie publique, délits mineurs), qu’on y a même vu une femme attachée à un barreau de

cellule par une chaîne, avec un matelas par terre.

La mixité des clientèles incarcérées à Puvirnituq – et ailleurs parfois – affecte des individus

qui devraient être maintenus séparés et qui ne le sont pas, malgré les normes les plus

élémentaires : jeunes vs adultes, prévenus vs détenus, femmes vs hommes, personnes

intoxiquées, en état de crise ou à risque suicidaire.

De plus, il n’y a pas de puits de désarmement à Puvirnituq. Le travail des agentes et agents de

la paix n’est donc pas toujours effectué dans des conditions sécuritaires. La fouille à nu des

prévenus avant de les incarcérer se passe dans le même espace d’incarcération que celui où

sont les gens arrêtés par les policiers qui, eux, n’ont pas le droit de fouiller à nu. Cela ouvre la

porte à des possibilités d’échanges d’objets ou autres qui peuvent mettre en péril la sécurité.

Les lieux sont tellement surpeuplés qu’il n’y a jamais personne qui parvient à les nettoyer. Et

les gens mangent assis par terre, faute de sièges pour les personnes incarcérées.

Selon les Règles Nelson Mandela adoptées par l’Assemblée générale des Nations Unies en

décembre 2015, qui constituent un ensemble de 122 normes minimales pour le traitement des

personnes incarcérées7, les cellules ne doivent être occupées que par un seul détenu la nuit.

Presque partout au Québec, la norme actuelle est de respecter un taux d’occupation maximal

de 2 personnes par cellule. Or, à Kuujjuaq et surtout à Puvirnituq, il est courant d’y mettre 6

ou 7 personnes, et ce, même un an après le dépôt du rapport du Protecteur du citoyen qui

rapportait une moyenne de 15 personnes par cellule.

7 NATIONS UNIES (2015), Ensemble de règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus (Règles

Nelson Mandela). [En ligne] [www.unodc.org/documents/justice-and-prison-reform/GA-RESOLUTION/F-book.pdf.]

Voir aussi le Projet de résolution II Ensemble de règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus

(Règles Nelson Mandela), in Prévention du crime et justice pénale, Rapport de la Troisième Commission de

l’Assemblée générale des Nations Unies, 70e session, point 106 de l’ordre du jour, 4 décembre 2015, p.24-59/100 [En

ligne] [www.un.org/ga/search/view_doc.asp?symbol=A/70/490&Lang=F]

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14 – Mémoire pour la Commission d’enquête

sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec

Cependant, la surpopulation ne se présente pas qu’au Nunavik. Elle est un enjeu partout, et

représente un risque pour la santé et la sécurité tant pour les agentes et agents que pour les

personnes incarcérées.

Ses effets sont visibles dans de nombreux endroits. À titre d’exemple, à Schefferville, il n’y a

pas de lieu où installer le détenu en attente de voir un juge, ce qui oblige à passer cette attente

de plusieurs heures dans le véhicule de transport.

À Hull, les règles de classement des détenus dans les cellules ne sont pas respectées, faute

d’espace. Les hommes sont séparés des femmes, sans plus. Il n’y a pas de classement entre

prévenu-es et détenu-es. Le prévenu doit signer une autorisation permettant de l’incarcérer avec

un ou des détenus. S’il ne la signe pas, il est mis au trou (un tel cas est survenu dernièrement).

Et quand le « bull pen » est plein, il y a toujours le « truck » pour placer le détenu, comme en

témoigne un de nos membres.

À Amos, les protocoles de classement ne sont pas respectés non plus. Quand la police amène

quelqu’un et qu’il n’y a plus de place, il arrive que la personne soit placée dans le bureau des

avocats. Sept cellules sont régulièrement occupées par trois personnes. Il n’y a qu’une douche

dans le secteur pour 21 personnes. Sur le plan de l’hygiène, il y a eu des cas où des Autochtones

avaient attrapé la gale dans les mines. Ils n’ont pas reçu d’examen médical à l’accueil et cette

situation aurait pu conduire à la contamination d’autres détenus.

À Sept-Îles, un membre du Syndicat a déclaré : « on a de nouveaux problèmes qu’on ne voyait

pas avant : par exemple, le centre reçoit des détenus qui appartiennent à des gangs de rue de

Montréal ». Cela illustre l’ampleur de la question de surpopulation dans les établissements au

Québec.

Pas mieux pour les femmes

Il n’existe aucun endroit distinct pour la détention des femmes en dehors de Montréal et de

Québec. Partout ailleurs au Québec, les Autochtones prévenues sont donc gardées dans les

mêmes postes de police et quartiers cellulaires que les hommes, mais dans des cellules

différentes – en principe.

Jusqu’en 1994-95, la prison connue sous le nom de Maison Tanguay accueillait à Montréal

80 % des femmes incarcérées du Québec, tant pour les sentences fédérales que provinciales.

En 2016, le ministère de la Sécurité publique du Québec est forcé de fermer l’établissement,

pour cause d’insalubrité, et quelque 260 femmes sont alors transférées dans un ancien

pénitencier fédéral à Laval, fermé en 2012 pour des raisons semblables.

L’établissement, récupéré par Québec pour détenir des hommes et femmes prévenus et des

détenus condamnés à des peines inférieures à 2 ans, opère désormais sous le nom de Leclerc.

L’endroit est immédiatement décrié par les détenues elles-mêmes, par des membres de

communautés religieuses, des membres du Barreau, des organismes de défense des droits

humains et des groupes de femmes. Le principal enjeu était alors la trop grande proximité avec

des détenus masculins, également transférés sur les lieux à cause de la surpopulation ailleurs.

Étaient également dénoncés la vétusté des lieux et son caractère extrêmement sécuritaire et

Page 15: M-017, P-1159 : Mémoire présenté par le SAPSCQ-CSN

Mémoire pour la Commission d’enquête

sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec – 15

inapproprié pour la clientèle de la Maison Tanguay. Un comité de travail s’est penché sur ces

questions et les hommes ont finalement été transférés hors de l’établissement en juin 2017.

Encore aujourd’hui, l’établissement Leclerc semble poser de sérieux problèmes pour la santé

des prévenues et des détenues qui y sont incarcérées, malgré la disparition des principaux

irritants grâce aux mesures mises en place à la suite des travaux du comité. Nos membres nous

rapportent des problèmes d’insalubrité des lieux, d’installations déficientes comme les

douches, la présence de moisissures, des conduits d’air contaminés, l’absence d’eau potable

jusqu’à tout récemment (février 2018), et le système de traitement des eaux grises qui est non-

fonctionnel depuis le départ du fédéral. Il aura fallu deux ans de multiples pressions de la

société civile, simplement pour avoir accès à de l’eau potable!

Plusieurs détenues présentent des plaques suspectes sur la peau. Et l’hygiène féminine n’est

pas jugée importante, puisqu’on ne leur offre pas d’autre choix que des serviettes hygiéniques

pour leurs règles et leur nombre est rationné. Il y a beaucoup de problèmes de surpoids et les

lieux n’offrent pas d’installations qui correspondent aux besoins spécifiques des femmes.

Non seulement vétuste, cet ancien pénitencier fédéral ultrasécuritaire est également très

austère, ayant été conçu pour l’incarcération d’hommes condamnés à de lourdes peines pour

des crimes graves. Ceci affecte le climat de l’établissement et le moral des prévenues et

détenues qui y sont incarcérées.

Plutôt que de s’installer de façon permanente dans l’établissement, le ministère, les experts, la

clientèle et le personnel s’entendent que la meilleure des hypothèses serait la rénovation de la

vieille Maison Tanguay, située à Montréal, et d’y retourner la clientèle féminine. Cependant,

en ce qui concerne la clientèle inuite, nos membres constatent que beaucoup d’entre elles

aimeraient mieux être gardées au Nunavik, pour maintenir le contact avec leurs enfants. À tout

le moins, elles préféreraient se trouver à Amos ou à Saint-Jérôme, afin de limiter leurs

transferts, notamment pour les comparutions qui doivent être effectuées dans le district

judiciaire où le délit a été commis.

Dans le cadre du Plan québécois des infrastructures 2018-2028, l’agrandissement et le

réaménagement de l’établissement de détention Maison Tanguay sont prévus dans la vague

catégorie « en planification », mais rien ne semble avancer concrètement. Entre-temps, les

femmes demeurent dans des conditions déplorables à Leclerc.

Des facteurs systémiques et politiques

La croissance démographique des populations autochtones au Québec et au Canada ne peut, à

elle seule, expliquer la surpopulation et le pitoyable état des infrastructures du ministère de la

Sécurité publique et de l’Administration régionale Kativik.

Selon la chercheure Lucie Lemonde de l’Université du Québec à Montréal, la population

carcérale québécoise a bondi de 11 % entre 2012 et 2014, sans que soit augmentée d’autant la

capacité d’hébergement des prévenus et détenus dans les établissements. « La hausse du taux

d’incarcération au Canada est l’une des conséquences de l’adoption en 2012 de la Loi fédérale

sur la sécurité des rues et des communautés : augmentation des peines minimales, élimination

des peines avec sursis pour un nombre important de délits, augmentation du temps d’épreuve

Page 16: M-017, P-1159 : Mémoire présenté par le SAPSCQ-CSN

16 – Mémoire pour la Commission d’enquête

sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec

avant l’admissibilité aux libérations conditionnelles, durcissement des peines à l’égard des

jeunes contrevenants et augmentation du recours à la détention préventive pour les personnes

en attente de procès8 ». La politique fédérale conservatrice est donc aussi en cause.

Les agentes et agents de la paix s’expliquent la forte présence autochtone parmi la population

carcérale par trois principaux déclencheurs menant au délit et à la détention des Autochtones :

la toxicomanie, la violence domestique et la pauvreté. Selon eux, et cela est confirmé par la

recherche9, des facteurs systémiques tels que l’histoire coloniale et le manque chronique de

ressources dans les domaines de la santé mentale, la santé reproductive, l’emploi, la

toxicomanie, la violence sexuelle et conjugale et le logement, expliquent en grande partie

l’incidence élevée de la criminalité et les chances d’être victime d’un acte criminel chez les

Autochtones – qui sont d’ailleurs considérés par nos membres beaucoup plus paisibles que la

moyenne de la population carcérale.

Toujours selon nos membres, ces facteurs systémiques peuvent expliquer la surreprésentation

autochtone dans la population incarcérée, mais peut-être aussi les conditions déficientes de leur

détention.

Le manque d’investissement dans les infrastructures, dans la formation et l’emploi de

personnel, dédiés principalement à ces clientèles, est flagrant même plus de deux ans après les

recommandations faites par le Protecteur du Citoyen. Selon nos membres, « l’opinion publique

pense que les conditions de détention sont bonnes, les médias colportent ce type de message et

les politiciens ne les détrompent pas ».

Le manque de vols nolisés entre le Nunavik et Montréal, et entre le Nunavik et l’Abitibi,

explique en partie, lui aussi, la surpopulation des infrastructures dans les villages du nord. Mais

même s’il y a maintenant plus de vols en provenance d’Amos pour ramener au Nunavik des

personnes libérées ou aller chercher des personnes venant d’être arrêtées, cela ne suffira pas à

régler les problèmes.

D’une part, parce que l’ouverture du nouvel établissement d’Amos où devaient être regroupés

tous les Inuits incarcérés, hommes et femmes, comme le préconisait le Protecteur du citoyen,

est sans cesse reportée pour d’obscures raisons. D’autre part, parce qu’il semble qu’à la toute

dernière minute, le ministère et les responsables de Kativik ont écarté l’hypothèse de ce

regroupement – apparemment faute d’espace suffisant, encore une fois! – et ont plutôt choisi

de séparer la clientèle inuite pour la garder sur trois sites différents.

Le nouveau scénario serait de regrouper les hommes prévenus ou ayant reçu une courte

sentence dans le futur établissement d’Amos, de garder les hommes ayant reçu une sentence

plus longue à St-Jérôme et de garder les femmes, prévenues et détenues, dans la région

métropolitaine. Ceci impliquerait donc la poursuite d’un va-et-vient important du Nunavut vers

8 Claude GAUVREAU, « Derrière les barreaux », (Entrevue avec la professeure Lucie Lemonde), Actualités UQAM, 4

avril 2017. [En ligne] [//www.actualites.uqam.ca/2017/droits-detenus-reculs-majeurs-selon-lucie-lemonde] 9 Jillian BOYCE, « La victimisation chez les Autochtones au Canada, 2014 », Juristat, Statistiques Canada, no. 85-002-

X au catalogue, [En ligne] 2016 [www150.statcan.gc.ca/n1/pub/85-002-x/2016001/article/14631-fra.htm]

Julia POSCA, « Portrait des inégalités socioéconomiques touchant les Autochtones au Québec », Série Paul-Bernard,

IRIS,. [En ligne] 2017 [https://iris-

recherche.s3.amazonaws.com/uploads/publication/file/Note_Ine_galite_s_4_WEB_02.pdf]

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Mémoire pour la Commission d’enquête

sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec – 17

Amos et Dorval (et vice versa), par voie aérienne, et de Dorval à St-Jérôme, ainsi que de St-

Jérôme à Amos (et vice versa), par voie terrestre!

Dans l’hypothèse où ce nouveau scénario est maintenu, le ministère de la Sécurité publique

« voit moins l’intérêt de la mise en place de cette liaison aérienne10 ». De son côté, le Protecteur

du citoyen suspendrait sa recommandation de regrouper tous les Inuits au futur établissement

d’Amos et demanderait plutôt aux partenaires concernés « d’identifier et de mettre en place

des moyens pour réduire au minimum les transports difficiles 11 ».

En attendant, la surpopulation dans les quartiers cellulaires et postes de police du Nunavik se

maintient, à défaut d’un nombre suffisant de liaisons aériennes, et ce, surtout si les

comparutions de la cour itinérante ne sont pas terminées avant que l’avion ne retourne – malgré

toute la bonne volonté possible de la part des pilotes.

De l’avis de nombre d’observateurs, l’organisation des comparutions en cour est déficiente, ce

qui retarde le transfert aérien de certains prévenus vers le sud et contribue à engorger les

infrastructures. Par contre, s’ils pouvaient comparaître plus tôt dans la journée, avant

l’audience de personnes en libération conditionnelle ramenées au Nunavik, les prévenus

pourraient être transférés au sud le jour même plutôt que de demeurer sur place jusqu’au

prochain vol.

Sur la Côte Nord aussi, les policiers ne veulent pas faire d’aller-retour pour les personnes en

liberté conditionnelle. Ils devancent donc la comparution des personnes qu’ils accompagnent

à la cour et les détenu-es de l’établissement carcéral comparaissent en dernier, en fin de journée.

Par ailleurs, il semble aussi manquer d’agents de liaison dans certaines régions : par exemple,

l’horaire de travail d’une agente de liaison peut parfois atteindre 80 ou 100 heures par semaine,

car en fin de journée elle doit remplir tous les papiers et faire les contacts nécessaires selon les

sentences.

Recommandations

1.1 Procéder sans délai à l’agrandissement du quartier cellulaire de Puvirnituq, en

discussion depuis 2014, comme recommandé par le Protecteur du citoyen,

annoncé dans le Plan d’action du ministère de la Sécurité publique et prévu au

Plan québécois des infrastructures;

1.2 Mettre en œuvre des solutions durables aux problèmes d’approvisionnement en

eau, de salubrité, de conciergerie, d’équipements sanitaires et d’entretien de la

cour, particulièrement à Puvirnituq où le va-et-vient continuel exige du personnel

d’entretien à temps plein et des désinfections régulières des lieux de garde et des

cellules;

10 LE PROTECTEUR DU CITOYEN, Appréciation du suivi des recommandations du Rapport spécial du

Protecteur du citoyen, Les conditions de détention, l’administration de la justice et la prévention de la criminalité au

Nunavik (2016), Québec, le 15 juin 2018. [En ligne]

[https://protecteurducitoyen.qc.ca/sites/default/files/pdf/rapports_speciaux/tableau-appreciation-suivis-rapport-

conditions-detention-nunavik.pdf] 11 Idem.

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18 – Mémoire pour la Commission d’enquête

sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec

1.3 Procéder à l’ouverture immédiate du nouvel établissement d’Amos de manière à

héberger correctement et dignement les détenus masculins, inuits et autochtones,

et rendre compte publiquement des causes de ce retard;

1.4 Créer rapidement le nombre de places additionnelles requises pour héberger

correctement et dignement les hommes inuits, prévenus ou effectuant de courtes

sentences, préférablement en centre résidentiel communautaire ou en centre de

transition, au Nunavik ou ailleurs, s’il est désormais exclu de les héberger au

nouvel établissement d’Amos;

1.5 Procéder à la rénovation de la Maison Tanguay d’ici le printemps 2020, et

effectuer les travaux et aménagements essentiels à l’établissement Leclerc d’ici

la mise en chantier, incluant le traitement des eaux grises de l’établissement;

1.6 Créer rapidement les places d’hébergement requises pour héberger correctement

et dignement les femmes inuites, prévenues ou détenues, en centre résidentiel

communautaire au Nunavik, en secteur réservé pour elles dans un établissement

de détention pour femmes ou en centre de transition autochtone, selon les cas,

s’il est désormais exclu de les héberger au nouvel établissement d’Amos;

1.7 Mettre en œuvre le Plan d’action concernant les options possibles afin de mieux

distinguer les situations et les types de clientèles prévenues et détenues à

Puvirnituq, mais aussi à Amos, New Carlisle, sur la Côte-Nord, à Hull, à St-

Jérôme;

1.8 Transférer certains détenu-es plus rapidement, en s’assurant que le ministère de

la Justice traite des dossiers différemment, modifie l’ordre des comparutions et

recrute davantage d’agentes et agents de liaison;

1.9 Mettre en œuvre les recommandations du Plan d’action concernant le recours à

la visioconférence à Kuujjuaq et Puvirnituq, au moins pour l’appel du rôle, pour

éviter les transports vers des infrastructures surpeuplées et le manque de place

sur les vols. L’échéance fixée par le ministère de la Sécurité publique était l’hiver

2016.

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Mémoire pour la Commission d’enquête

sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec – 19

Enjeu 2 : Droits fondamentaux et dits résiduels

L’incarcération implique, par définition, la suspension du droit fondamental à disposer de soi-

même. Cependant, les autres droits de la personne subsistent sous une forme différente lors

d’une incarcération et ces droits dits résiduels des personnes incarcérées sont tout aussi

fondamentaux que les droits des personnes en liberté.

« En 1980, la Cour suprême du Canada a pris deux décisions importantes en déclarant que les

personnes emprisonnées devaient conserver tous leurs droits civils, à l’exception des

restrictions inhérentes à l’emprisonnement, et que la règle de droit devait régner à l’intérieur

des prisons », rappelle la professeure Lucie Lemonde.12

Dit autrement, les prévenu-es et les détenu-es demeurent protégés par tous les droits humains

internationalement reconnus et figurant dans nos chartes québécoise et canadienne des droits

et libertés, sauf le droit de circuler librement. « La Cour l’a bien dit en 2002, ajoute Lucie

Lemonde, les droits constitutionnels ne sont pas un privilège et ne peuvent être accordés

uniquement aux citoyens vertueux, mais à tous ceux qui appartiennent à la société

canadienne ».

À l’heure actuelle, plusieurs de ces droits dits résiduels ne sont pas respectés dans le cas des

personnes autochtones incarcérées, particulièrement en ce qui concerne la population inuite.

Selon l’information dont disposent nos membres, les droits qui sont en cause concernent les

questions suivantes :

Représentation juridique : Étant donné la distance et les multiples transferts auxquels sont

soumis les Autochtones, ceux-ci n’ont souvent pas accès à la représentation juridique dans les

3 jours suivant leur arrestation, telle que le prescrit la loi. Par la suite, les services de l’aide

juridique semblent inadéquats et difficiles d’accès.

Confidentialité : Faute d’interprètes en inuktitut ou simplement en anglais, le personnel (agents

de la paix, personnel médical, agents de libération, etc.) fait le plus souvent appel à des

codétenus ou des collègues pour agir en tant qu’interprètes, ce qui constitue non seulement un

bris de confidentialité, mais aussi des risques d’erreur, de malentendus ou de malveillance.

Droit à l’information : Faute d’interprètes indépendants et compétents, et faute de documents

traduits vers l’anglais et l’inuktitut, des prévenu-es et des détenu-es sont parfois privés

d’information importante à laquelle ils ont droit.

Plaintes : Faute de formulaires en anglais ou en inuktitut et d’accès à un téléphone

gratuitement, les personnes autochtones ne sont souvent pas en mesure de porter plainte en cas

de violation de leurs droits si tant est qu’elles aient pu se rendre compte de violations, le cas

échéant.

Protecteur du citoyen : De même, ils n’ont pas toujours accès aux services du Protecteur du

citoyen, faute d’accès à un téléphone gratuitement ou même au numéro de téléphone à

12 Claude GAUVREAU, « Derrière les barreaux », (Entrevue avec la professeure Lucie Lemonde), Actualités UQAM,

4 avril 2017. [En ligne] [www.actualites.uqam.ca/2017/droits-detenus-reculs-majeurs-selon-lucie-lemonde]

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20 – Mémoire pour la Commission d’enquête

sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec

composer (à Puvirnituq, la feuille l’indiquant est constamment arrachée du mur; à St-Jérôme

les panneaux vissés aux murs n’indiquent pas le bon numéro).

Soins médicaux : Faute de services médicaux disponibles en tout temps et à toute heure, ou

faute de places suffisantes dans les infirmeries sur plusieurs sites d’incarcération, les prévenu-

es et détenu-es sont privés de soins médicaux essentiels auxquels ils ont droit.

Espaces de protection : Dans plusieurs sites, il n’y a pas ou pas assez d’espace de protection,

ce qui met les prévenu-es et détenu-es en danger (personnes qui souffrent de graves troubles

mentaux, pédophiles ou autres personnes susceptibles d’être battues).

Visites des proches : Celles-ci sont autorisées pour les membres de la famille immédiate

(conjoint-e, père, mère, frère, sœur, enfants); dans les faits, elles sont limitées par la distance

et par la définition de la famille, qui exclut les grands-parents (ceux-ci sont pourtant

extrêmement importants dans la culture autochtone).

Sorties extérieures : Celles-ci doivent avoir lieu dans une cour sécurisée au moins une heure

par jour (il n’y a pas de cour à Puvirnituq et celle de Kuujuuaq est non utilisable parce que non

sécurisée).

Biens personnels : Ceux-ci sont parfois mal conservés ou perdus lors de transferts (Puvirnituq

a connu ce genre de problème jusqu’à récemment et près de 6000 détenu-es transitent chaque

année par la prison de Saint-Jérôme).

Réinsertion : De manière générale, pour promouvoir la réinsertion sociale des Autochtones, il

n’y a pas ou très peu de programmes pendant leur incarcération, bien que ce soit officiellement

le but.

Sentences : Selon plusieurs de nos membres, certaines incarcérations constituent des peines

trop lourdes et pourraient être évitées en faisant davantage appel aux rapports présentenciels

requis en vertu de l’arrêt Gladue, lequel a été confirmé par l’arrêt Ipeelee,13 et par conséquent

à des sentences réduites, suspendues, discontinuées, servies dans la communauté ou dans des

centres résidentiels communautaires.

Libération conditionnelle : De plus, la Commission québécoise des libérations conditionnelles

(CQLC) impose souvent des conditions de libération inadaptées au contexte autochtone et nos

membres voient régulièrement les détenu-es autochtones revenir en établissement pour non-

respect des conditions.

13 Dans le cadre des modifications au Code criminel présentées en 1996, le Parlement a adopté une disposition

réparatrice visant à réduire la surreprésentation des peuples autochtones dans la population carcérale au moyen de la

détermination de la peine. En avril 1999, la Cour suprême du Canada a rendu une première décision en ce sens dans

l’arrêt Gladue, l’affaire d’une femme autochtone condamnée à l’emprisonnement pour l’homicide involontaire de son

conjoint de fait. En 2012, la Cour suprême a, dans l’arrêt Ipeelee, réaffirmé son engagement envers les principes

énoncés dans Gladue, affirmant qu’il « faut absolument tenir compte des facteurs systémiques et historiques propres à

un délinquant autochtone pour s’assurer que sa peine est proportionnelle à son degré de responsabilité » et que « L’arrêt

Gladue tient compte du fait que l’emprisonnement n’est pas une bonne façon de favoriser la réinsertion sociale des

Autochtones, puisque les établissements carcéraux sont des milieux inappropriés sur le plan culturel et que les

Autochtones y sont souvent victimes de discrimination raciale ». Source : MINISTÈRE DE LA JUSTICE DU

CANADA, La lumière sur l’arrêt Gladue : défis, expériences et possibilités dans le système de justice pénale canadien,

Division de la recherche et de la statistique, septembre 2017 [En ligne]

[http://publications.gc.ca/collections/collection_2018/jus/J4-46-2017-fra.pdf]

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Mémoire pour la Commission d’enquête

sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec – 21

Discrimination dans l’application des droits

Parmi les causes pouvant expliquer ces manquements, nos membres en ont identifié plusieurs,

avant de conclure qu’il y a clairement apparence de discrimination à l’endroit des Autochtones.

Bien sûr, les longues distances, l’absence de routes ou le mauvais temps font que souvent, les

délais ne sont pas respectés pour comparaître à la cour ou pour se rendre dans la prison dans

les délais prescrits. Ces difficultés logistiques ne sont toutefois pas insurmontables et tout

devrait être mis en œuvre en ce sens pour s’assurer du respect des droits de toutes et tous.

De même, les délais interminables dans l’achèvement des travaux d’infrastructure requis

depuis plusieurs années ont certainement eu des impacts négatifs sur les droits des personnes

incarcérées, mais ne peuvent nullement les excuser. Au contraire, leur tolérance constitue une

grave négligence.

Quant au manque chronique d’interprètes et de traducteurs, il est incompréhensible, d’autant

plus que le système a intérêt à éviter le non-respect des conditions et les délais de libération

conditionnelle, compte tenu des problèmes de surpopulation. Or, que fait-on, par exemple, pour

s’assurer que toutes les conditions à respecter pour être libéré sont vraiment comprises lorsque

les documents de la cour ne sont rédigés qu’en français, et qu’il n’y a pas d’interprète?

Lorsqu’un rapport disciplinaire est généré en milieu carcéral, la langue dans laquelle il est

rédigé n’est pas toujours comprise par le détenu autochtone, ce qui peut l’amener à ne pas

respecter une règle, involontairement, et ce faisant, il risque de retarder sa libération

conditionnelle. À la Commission québécoise des libérations conditionnelles (CQLC), le détenu

doit se démêler seul, avec l’agent correctionnel qui rédige le rapport et avec son agent de

probation, pour comprendre quelles sont les possibilités pour réduire sa peine. En Gaspésie, les

Micmacs n’ont pas d’interprète vers l’anglais, souvent le détenu qui comparaît à la CQLC ne

comprend rien, et il renonce à la libération conditionnelle.

D’autre part, s’il est vrai que peu d’avocats acceptent de défendre les Autochtones étant donné

les obstacles (les distances, le suivi, la difficile communication) et la lourdeur de leur tâche, les

services de l’aide juridique devraient, en principe, répondre aux besoins. Le gouvernement

pourrait embaucher davantage d’avocats pour les services d’aide juridique aux communautés

autochtones et améliorer les salaires et les conditions de travail pour assurer leur rétention.

De plus, plusieurs changements au régime de l’aide juridique doivent être apportés. Selon la

Coalition pour l’accès à l’aide juridique, dont la CSN est membre, « Aucune modernisation du

régime [de l’aide juridique] n’a été faite depuis 1996 et il serait temps d’y travailler, cette fois

de concert avec les principaux acteurs et organismes concernés. L’accès à la justice est un

objectif qui semble, sur papier et dans le discours, faire l’unanimité. Tous souhaitent une

amélioration. Il faut maintenant passer à l’action14 ».

Enfin, bien que les juges et les haut-fonctionnaires du ministère de la Sécurité publique

souffrent peut-être d’une simple méconnaissance de la jurisprudence en matière de

14 COALITION POUR L’ACCÈS À L’AIDE JURIDIQUE, Mémoire présenté à la Commission des institutions dans le

cadre de l’étude du projet de loi 168 Loi visant à favoriser l’accès à la justice et à en accroître l’efficacité, 16 avril

2018. [En ligne] 2018 [www.servicesjuridiques.org/wp-content/uploads/m%C3%A9moire-PL168-Coalition-pour-

lacc%C3%A8s-%C3%A0-laide-juridique.pdf]

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22 – Mémoire pour la Commission d’enquête

sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec

surreprésentation des Autochtones dans le système judiciaire et carcéral, un jugement rendu

par le juge Richard Grenier de la Cour supérieure du Québec a récemment conclu que les

citoyens du Nunavik sont victimes de discrimination dans l’administration de la justice et que

le ministère de la Sécurité publique fait preuve de négligence (Radio-Canada, 31 août 2018).

Plusieurs des problèmes décrits ci-haut seront examinés plus en détail dans les pages qui

suivent, mais certaines recommandations doivent dès maintenant être formulées.

Recommandations

2.1 Offrir de la formation aux juges, avocats et autres salarié-es des systèmes judiciaire

et carcéral sur la surreprésentation des Autochtones dans le système judiciaire et

carcéral, sur les arrêts Gladue et Ipelee, et sur les enjeux de justice punitive et

réparatrice;

2.2 Faciliter les communications avec les avocats, en employant davantage

d’interprètes auxquels les personnes incarcérées pourraient recourir, en offrant un

accès gratuit aux appels téléphoniques avec tout conseiller juridique, en permettant

des visioconférences avec leurs clients et en réduisant le nombre de transferts que

subissent les prévenu-es et les détenu-es;

2.3 Maintenir l’équité salariale des avocats de l’aide juridique avec ceux des procureurs

de la Couronne et promouvoir ce choix de carrière auprès des étudiants du

secondaire, du collégial et des universités offrant des études de droit;

2.4 Traduire en inuktitut et en anglais tous les formulaires et documents s’adressant

aux personnes incarcérées et assurer leur disponibilité dans tous les lieux de

détention;

2.5 Produire un ou des vidéos d’information en inuktitut pour informer les Inuits

incarcérés et analphabètes de leurs droits, de leurs obligations, des règles de

l’établissement et des ressources externes à leur disposition et en assurer

l’accessibilité et la diffusion dans tous les établissements;

2.6 Fabriquer et visser une plaque au mur de tous les lieux de détention portant le (bon)

numéro de téléphone pour communiquer avec le bureau du Protecteur du citoyen;

2.7 Faire en sorte, de façon urgente, que les quartiers cellulaires de Kuujjuaq et de

Puvirnituq soient tous deux dotés d’une cour extérieure en état d’être utilisée;

2.8 Faciliter l’usage de visioconférences pour les familles résidant trop loin pour rendre

visite aux personnes incarcérées;

2.9 Mettre en œuvre immédiatement les lois, règlements, documents, plans des services

correctionnels du Québec et du ministère de la Justice du Québec visant les droits

dits résiduels des personnes incarcérées et procéder à une réforme de l’aide

juridique pour en améliorer l’accès;

2.10 Appuyer, poursuivre et intensifier la recherche, la réflexion et l’expérimentation

de système de justice alternative autochtone.

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Mémoire pour la Commission d’enquête

sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec – 23

Enjeu 3 : L’éloignement et ses impacts sur la santé mentale

Identité culturelle

La détention des Autochtones dans les services correctionnels affecte la perception que les

jeunes autochtones ont d’eux-mêmes et peut contribuer à la perte de leur identité culturelle et

de leur fierté. Elle peut aussi susciter une grande colère, de l’incompréhension et le sentiment

d’avoir été injustement condamné par « la justice des Blancs ». Selon nos membres, les jeunes

Autochtones en incarcération sont coupés des liens avec leurs valeurs ancestrales, mais ils ne

se retrouvent pas davantage dans les valeurs des Blancs.

« L’arrêt Ipeelee reconnaît que les Autochtones et les non-Autochtones affichent

des conceptions extrêmement différentes "à l’égard de questions fondamentales

comme la nature de la justice et la façon de l’administrer", que ces conceptions

diffèrent également d’une collectivité à une autre et qu’un système de justice pénale

efficace tient compte de ces différences15 ».

Dans les prisons fédérales, des mesures ont été introduites pour favoriser la préservation de

l’identité culturelle des détenu-es autochtones, mais cela n’est pas fréquemment le cas dans les

établissements québécois qui accusent un certain retard en ce sens. Par exemple, en transférant

les femmes détenues à la Maison Tanguay au centre Leclerc, les femmes autochtones ont perdu

l’accès à certaines pratiques traditionnelles qui avaient été introduites à l’époque des

programmes fédéraux.

Les Inuits ont de la difficulté à vivre avec la violence ambiante dans les établissements, on les

sent dépassés, impuissants. Dans leur communauté, les Autochtones vivent parfois de la

violence, mais celle-ci est généralement causée par la consommation d’alcool et de drogues,

ou par l’état de manque. Autrement, les Inuits et les Innus, entre autres, sont généralement très

calmes, très respectueux, réservés et silencieux. En détention, certains agents croient que ce

n’est que par le langage de la violence que les détenu-es comprennent, mais ce n’est pas le cas

pour les Autochtones.

La violence entre détenus, et entre détenus et agents, renforce les sentiments d’aliénation, de

frustration et d’oppression. Au fil du temps, à force de côtoyer les criminels en cellule, les

comportements de certains Autochtones se sont transformés. Selon nos membres, éviter la

cohabitation des Inuits avec les Blancs ou avec les membres des « gangs de rue » permet

d’éviter des conflits. Il faut également tenir en considération qu’il y a aussi des conflits entre

nations autochtones.

Mais la détresse précède la détention, selon nos membres, qui croient que la culture des

Autochtones a été détruite au fil de l’histoire. « Leur exclusion dans des réserves, leur

expérience dans les pensionnats pour sortir l’Indien de l’Indien, c’est tout ça qui est en cause »,

explique un autre. En isolant les enfants des parents dans les pensionnats, les enfants devenus

15 MINISTÈRE DE LA JUSTICE DU CANADA, La lumière sur l’arrêt Gladue : défis, expériences et possibilités

dans le système de justice pénale canadien, Division de la recherche et de la statistique, septembre 2017. [En ligne]

[http://publications.gc.ca/collections/collection_2018/jus/J4-46-2017-fra.pdf]

Page 24: M-017, P-1159 : Mémoire présenté par le SAPSCQ-CSN

24 – Mémoire pour la Commission d’enquête

sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec

adultes n’ont pas eu de modèle pour être eux-mêmes parents. Ces traumatismes se

transmettent…

Distance et isolement

La distance et l’isolement de leur famille pour les femmes en détention, particulièrement avec

leurs bébés ou jeunes enfants, ne contribuent pas à la réinsertion des détenus et affectent

particulièrement les femmes incarcérées.

Dans certains cas, il peut n’y avoir qu’un détenu autochtone dans un secteur donné. « Pour le

détenu, le fait de ne pas pouvoir communiquer avec d’autres, d’être loin de leur famille, cela

génère de la détresse psychologique », expliquent nos membres, qui constatent la différence

avec les non-Autochtones qui reçoivent des visiteurs.

Or, contrairement aux prisons fédérales, il n’y a ni psychologues ni travailleurs sociaux dans

les services correctionnels québécois. Possiblement parce que les peines sont plus courtes,

croient nos membres, « mais dans les faits, certains Autochtones passent beaucoup de temps

chez nous parce qu’ils reviennent souvent ».

Des ressources autochtones externes existent, mais nos membres ne les connaissent pas, ou

mal, et ne peuvent donc pas adéquatement diriger les détenu-es vers celles-ci. Par exemple, le

programme Justice Crie fournit de l’appui aux détenus autochtones selon leur culture :

travailleurs sociaux, psychologues… mais les agents du centre correctionnel ne sont pas au

courant des approches adoptées et éprouvent de la difficulté à travailler avec eux.

Prévention du suicide

Les tentatives de suicide ne sont pas courantes chez les Autochtones, selon nos membres. La

prison n’est généralement pas un élément précipitant; par contre pour les Inuits, plus ils sont

isolés de leurs pairs, plus ils sont à risque. « Les détenus inuits vivent beaucoup de détresse, il

ne faut pas les laisser seuls sans leurs pairs, car personne ne parle leur langue et ils se retrouvent

alors sans repères ».

Les moyens de prévenir le suicide ne sont pas à la hauteur des besoins et des standards, et ce,

non seulement au Nunavik, comme l’a constaté le Protecteur du citoyen.

Par exemple, alors qu’il existe beaucoup de « kits » préventifs (jaquettes, matelas) au

Saguenay-Lac-Jean, il en manque toujours à St-Jérôme, qui ne dispose d’ailleurs d’aucune

cellule capitonnée. À Hull, ils ont trop de jaquettes de petite taille et ils manquent des larges;

s’il n’y a pas de jaquette qui convient, ils laissent les détenus nus. À Hull, il manque aussi de

cellule dédiée à la surveillance des suicidaires.

Au Nunavik, ils ont enfin reçu des nouveaux « kits » en quantité suffisante. Les mesures

antisuicides ne peuvent toutefois pas être appliquées; dû à la surpopulation des cellules, les

personnes à risque ne peuvent être isolées.

Malheureusement, au Nunavik et ailleurs au Québec, ce ne sont pas tous les nouveaux agents

qui ont suivi la formation pour l’intervention en cas de suicide ou de tentative de suicide.

Page 25: M-017, P-1159 : Mémoire présenté par le SAPSCQ-CSN

Mémoire pour la Commission d’enquête

sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec – 25

Les femmes sont plus vulnérables

Le maintien des liens familiaux est un facteur important pour maintenir une bonne santé

mentale en détention. Mais à Montréal (ou à Laval), les femmes autochtones incarcérées sont

très isolées de leurs communautés et ne voient presque jamais leurs familles.

Elles souffrent de l’iniquité du système de carte téléphonique, dont le crédit est insuffisant pour

celles qui doivent faire des appels interurbains, car la famille et les amis sont loin.

Elles ont des difficultés de suivi avec les enfants qui sont sous la protection de la Direction de

la protection de la jeunesse (DPJ). La distance complique aussi les démarches trop longues

pour obtenir des colis (ex. vêtements).

À l’époque de la Maison Tanguay, selon nos membres, les services de psychologues,

travailleurs sociaux, psychiatres, médecins étaient disponibles et en majeure partie payés par

le gouvernement fédéral. Lorsque celui-ci a ouvert le pénitencier de Joliette, ces services ont

été coupés à Tanguay où ne se retrouvaient plus que les prévenues et détenues du provincial.

Maintenant, il n’y a que des visites occasionnelles d’un médecin et d’une travailleuse sociale

du CLSC, mais ce ne sont pas des salarié-es du ministère de la Sécurité publique, et ils n’ont

pas de bureau sur place.

Pourtant, plus vulnérables à la dépression, les femmes ont plus d’idées suicidaires et sont plus

susceptibles de passer à l’acte, particulièrement si elles sont isolées au sein même de

l’établissement. Selon nos membres, il y a eu plus d’incidents suicidaires en trois ans au centre

Leclerc que dans les 25 années précédentes à Tanguay (10 incidents en 3 ans, dont 4 ou 5

Inuits).

L’isolement de certaines femmes autochtones incarcérées est aggravé par le fait que très peu

de codétenues parlent anglais d’une part, alors que nombre d’Autochtones ne parlent pas

français. De plus, chez les femmes inuites, la plupart ne parlent ni l’anglais ni le français.

Incapables de communiquer autrement qu’en inuktitut, elles vivent une solitude immense qui

pèse lourdement sur leur santé mentale.

Recommandations

3.1 Créer un secteur, « comme un petit village », réservé aux Inuits dans les

établissements où ils se trouvent, où ils participeraient aux programmes et où le

centre leur permettrait de structurer leur mode de vie;

3.2 Favoriser l’intégration (et le maintien) de pratiques culturelles traditionnelles dans

les services correctionnels québécois. Par exemple :

- tenir une cérémonie rituelle dans la salle autochtone du centre;

- avoir des visites régulières d’une intervenante de la communauté au centre;

- offrir de la viande de phoque de temps à autre aux détenu-es inuits;

- installer un tipi ou une tente de sudation pour certaines pratiques ancestrales sur

le site du centre;

Page 26: M-017, P-1159 : Mémoire présenté par le SAPSCQ-CSN

26 – Mémoire pour la Commission d’enquête

sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec

- donner des permissions de sortie pour permettre d’exercer des coutumes

spirituelles ancestrales à proximité; etc.;

3.3 Utiliser les visioconférences et les courriels pour les contacts familiaux et les

contacts avec les travailleurs sociaux et intervenants communautaires;

3.4 Élargir aux grands-parents le droit de visite de tous les détenu-es;

3.5 Offrir gratuitement des conversations téléphoniques (fixes et cellulaires) aux

détenu-es qui n’ont pas les moyens de communiquer avec leur famille vu le coût

des appels interurbains;

3.6 Favoriser des ententes entre les services correctionnels et les services sociaux et

organismes communautaires qui œuvrent auprès des autochtones, afin qu’ils

offrent des services de soutien aux détenu-es autochtones qui souffrent de

l’isolement;

3.7 Ne pas oublier la réinsertion, valoriser les interactions et appuyer le travail du

personnel en ce sens;

3.8 Utiliser l’expérience du personnel de Tanguay avec la clientèle des femmes pour

concevoir un programme de formation continue pour le personnel masculin et tout

nouveau membre du personnel;

3.9 Créer davantage de places en psychiatrie adaptée pour les clientèles concernées

afin qu’elles ne se retrouvent pas incarcérées n’importe où;

3.10 Renforcer la capacité d’accueil des centres de transition (centres résidentiels

communautaires, détention adaptée aux femmes, etc.).

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Mémoire pour la Commission d’enquête

sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec – 27

Enjeu 4 : Des relations compliquées avec le personnel

Barrière linguistique

Les relations avec le personnel des établissements de détention sont compliquées par le fait que

presque personne ne parle anglais, alors que nombre d’Autochtones ne maîtrisent pas bien le

français ni l’anglais. C’est surtout le cas parmi les Anciens qui sont souvent peu alphabétisés

et parmi les Inuits qui n’ont pas eu accès à l’éducation en français jusqu’à récemment.

En fait, la majorité des Inuits ne parlent ni anglais ni français16 et ne peuvent donc

communiquer autrement qu’en inuktitut. Or, la majorité des agents ne parlent que le français

et ceux qui sont bilingues ne sont ni valorisés, ni bien utilisés. Il n’y a pas d’incitatifs pour la

formation linguistique ni de prime au bilinguisme. Et les services correctionnels provinciaux,

contrairement aux fédéraux, ne disposent pas d’interprètes.

Cette complète absence d’interprètes traduit l’indifférence totale du système carcéral à l’égard

des Inuits et des Premières Nations, mais aussi à l’endroit du personnel qui doit travailler avec

une incessante et insurmontable barrière dans la communication avec les Autochtones

incarcérés.

La mauvaise compréhension de ce qui se passe, d’un côté comme de l’autre, génère de la

méfiance, car cela soulève aussi des enjeux sécuritaires. Parfois, l’incompréhension mène à

l’hostilité. Comme il est difficile d’expliquer les règles de fonctionnement du centre à leur

arrivée, les détenu-es autochtones apprennent les règles par imitation ou avec un pair

autochtone. Les agents communiquent par geste, le ton peut monter, surtout après un troisième

avertissement. Les Autochtones semblent ne pas comprendre et des agents se demandent s’ils

veulent vraiment comprendre, souvent sans savoir qu’ils sont véritablement incapables de

comprendre le français.

Une telle situation est inadmissible. Bien sûr, les agents ne peuvent pas être tenus de parler

deux ou trois langues. Mais les Autochtones ont le droit de recevoir des services dans leur

langue, sans quoi leurs droits ne sont pas respectés.

La situation est préoccupante partout sur le territoire du Québec :

- À Saint-Jérôme, il existe des besoins d’interprétation pour recevoir les très nombreux détenus

inuits venant d’Amos, et parfois rien n’est planifié à cet égard pour y répondre sur les lieux;

- À Amos, un détenu inuit en rencontre avec le psychiatre doit faire appel à un autre détenu

pour faire l’interprétation, et pourtant le contenu doit être confidentiel;

16 Selon le recensement de 2016, la grande majorité des Inuits vivant au Nunavik (99,2 %) peuvent soutenir une

conversation en inuktitut : STATISTIQUES CANADA, Les langues autochtones des Premières Nations, des Métis et

des Inuits, no. 98-200-X2016022 au catalogue [En ligne] 2017 [www12.statcan.gc.ca/census-recensement/2016/as-

sa/98-200-x/2016022/98-200-x2016022-fra.pdf]. Selon des statistiques de 2011, la langue le plus souvent parlée à la

maison au Nunavik est l’inuktitut (85,6 %), l’anglais (7,8 %) et le français (5,7 %) : Gérard DUHAIME, Andrée CARON

et Sébastien LÉVESQUE, Le Nunavik en chiffres 2015, version de poche. Programme statistique du Nunavik, Chaire de

recherche du Canada sur la condition autochtone comparée, Université Laval, Québec. [En ligne] 2015

[www.chaireconditionautochtone.fss.ulaval.ca/documents/pdf/Nunavik-en-chiffres-vf-fr.pdf]

Page 28: M-017, P-1159 : Mémoire présenté par le SAPSCQ-CSN

28 – Mémoire pour la Commission d’enquête

sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec

- À Sept-Îles, les agents font parfois appel à un interprète au palais de justice faute de ressource

dans les services correctionnels;

- À New Carlisle, des détenus refusent parfois d’être libérés parce qu’ils ont mal compris ce

qui se dit en comparution à la CQLC;

- À Leclerc, les femmes autochtones ont aussi des problèmes de communication avec les

codétenues et le personnel, à cause de la langue qui s’ajoute à d’autres difficultés;

Dans de telles conditions, comment se surprendre de la méfiance, voire de l’hostilité, que les

détenu-es autochtones éprouvent à l’égard du personnel des services correctionnels?

Situation spécifique des femmes

Les relations entre les femmes incarcérées et le personnel de l’établissement Leclerc sont

encore plus difficiles, car plusieurs sont des agents qui ont toujours travaillé avec la clientèle

masculine et qui n’ont pas été formés pour travailler avec des femmes. Et malheureusement,

beaucoup d’agentes de Tanguay n’ont pas suivi quand les détenues ont été déplacées à Leclerc.

L’expertise du personnel de la Maison Tanguay avec la clientèle féminine et avec les femmes

autochtones n’a donc pas été transférée vers le nouveau centre de détention ni vers leurs

nouveaux collègues.

Les interactions des agentes avec les détenues ne sont pas suffisamment valorisées. Pourtant,

lorsqu’elles sont possibles, celles-ci contribuent à mieux connaître les femmes et à faire de la

prévention. La longue expérience de certaines de nos membres qui travaillaient à la Maison

Tanguay peut en témoigner.

À Leclerc, les cultures organisationnelles s’entrechoquent, car les agents de la paix proviennent

de différents lieux de détention et il n’y a pas eu d’accueil, d’accompagnement et d’efforts pour

créer une nouvelle culture organisationnelle. « On ne consulte pas le personnel, on ignore leur

expérience antérieure et on ne valorise pas l’expertise auprès de la clientèle autochtone. Cela

risque fort de se reproduire dans le nouvel établissement d’Amos, quand il ouvrira, si on ne

décide pas de faire autrement ».

Diversité socioculturelle

Les interactions entre agents correctionnels et prévenus ou détenus sont souvent difficiles, mais

elles sont compliquées dans le cas des agents envers les Autochtones par le manque de

connaissances, la présence de préjugés et une perception tronquée de la réalité autochtone.

Le manque de connaissances affecte la qualité de l’interaction de la part d’un agent, ce qui peut

mener à une forte réaction d’un détenu, qui sera ensuite immobilisé, le tout dégénérant en un

conflit à son détriment, pour une durée plus ou moins longue selon le cas.

Voici quelques exemples de méconnaissance des réalités autochtones :

- La méconnaissance des conflits existant entre nations autochtones contribue aux tensions

en détention, quand, au moment de classer les prévenus dans une même cellule ou

séparément, cet aspect n’a pas été pris en compte;

Page 29: M-017, P-1159 : Mémoire présenté par le SAPSCQ-CSN

Mémoire pour la Commission d’enquête

sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec – 29

- La méconnaissance des traditions des nations autochtones peut créer des conflits si un aîné

qui est venu avec ses objets sacrés a été fouillé sans égards, ou si un agent veut enlever le

capteur de rêves au-dessus du lit du détenu;

- La méconnaissance des codes culturels les plus simples, comme le fait que les Autochtones

ne regarderont pas un agent dans les yeux, peut mener l’agent à y voir un signe suspect sans

raison;

- La méconnaissance des approches autochtones en matière de justice, dont leur façon

informelle d’intervenir et de témoigner, peut empêcher de comprendre les raisons pour

lesquelles un détenu autochtone agit de manière inadaptée dans le contexte du système

pénal québécois et canadien;

- La méconnaissance du personnel carcéral concernant les causes historiques et systémiques

des réalités autochtones contemporaines, peut limiter leur compréhension des défis aux

seuls facteurs culturels.

Selon nos membres, les agents ne savent pas ce qui est sacré ou sensible, ils l’apprennent quand

leurs collègues les renseignent, souvent après un incident qui aurait pu être évité. La culture

autochtone, les agents l’apprennent « sur le tas ».

Bref, la présence de préjugés et la méconnaissance des réalités et des cultures autochtones au

sein de la population québécoise affectent donc aussi les agents – et pour le moment, rien de

visible n’est fait pour remédier à cette situation.

Très peu d’agents des établissements concernés ont reçu de la formation sur l’histoire et la

culture des communautés autochtones, ou encore sur le traumatisme transgénérationnel des

effets du colonialisme, comme les pensionnats. Ceux qui ont reçu un peu de formation

pertinente l’ont obtenue dans d’autres fonctions. Il existe maintenant de la sensibilisation sur

les différences culturelles dans le programme d’études, mais celui-ci n’aborde pas comment

cela affecte l’intervention.

Il ne semble pas exister de formation sur les ressources et organismes autochtones vers lesquels

les agents pourraient diriger les détenu-es pour obtenir de l’aide ou préparer leur réinsertion

dans la communauté. Rien non plus ne semble offert en matière de communication

interculturelle, encore moins en médiation interculturelle. Pourtant, ce sont nos membres, en

étant constamment en interaction avec les personnes incarcérées, qui devraient être les mieux

outillés en ce sens. La majorité ne sait pas si quoi que ce soit est présentement offert au sein

des services correctionnels dans le but de parfaire leurs compétences.

Enfin, les conditions de travail et salariales peu compétitives en regard du fédéral, et le manque

de valorisation de la profession par le gouvernement, contribuent aux difficultés à rehausser la

qualité des interactions et interventions professionnelles de certains agents.

Sous-représentation des Autochtones dans le personnel

Compte tenu de la surreprésentation des Autochtones dans la population incarcérée, la faible

représentation du personnel autochtone dans les services correctionnels est déplorée, malgré

les bénéfices apparents lorsqu’ils sont présents, selon nos membres. En effet, alors que la

Page 30: M-017, P-1159 : Mémoire présenté par le SAPSCQ-CSN

30 – Mémoire pour la Commission d’enquête

sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec

population autochtone du Québec a connu une croissance phénoménale de 66,1 % entre 2006

et 201617 et qu’elle représente 6,5 % de la population carcérale, sa très faible présence au sein

des effectifs des services correctionnels n’a pas augmenté, bien au contraire, passant de 0,9 %

en 2010 à 0,7 % en 201818.

Personnes autochtones dans l’effectif régulier Agents de la paix 2010 2012 2014 2018

nombre % nombre % nombre % nombre %

Autochtones 30 0,9 30 0,9 25 0,7 25 0,7

Non-autochtones 2 732 82,8 2 762 82,5 3 005 83,8 3 190 85,0

Indéterminé 537 16,3 554 16,6 554 15,5 536 14,3

Total 3 299 100 3 346 100 3 440 100 3 751 100

Source : Secrétariat du Conseil du trésor, L’effectif de la fonction publique du Québec, éditions 2013-2014 et 2017-2018

Cela est surprenant quand nous considérons que globalement, la fonction publique a obtenu de

très bons résultats19 en ce qui concerne l’augmentation de la représentation des minorités

culturelles au sein de ses effectifs20 qui a doublé pendant la même période, passant de 5,3 % en

2010 à 10,3 % en 2018 selon les données du Conseil du trésor sur les effectifs de la fonction

publique21.

Cette stagnation dans les effectifs autochtones pourrait se justifier par toutes sortes de raisons,

incluant le taux élevé de décrochage scolaire avant l’obtention du diplôme de secondaire V,

rendant difficile l’accès à une formation collégiale, ou d’autres facteurs.

Il nous semble cependant qu’il existe divers moyens pour susciter un plus grand intérêt pour la

profession auprès des Autochtones, incluant les programmes d’accès à l’égalité en emploi

(PAE), le désir de servir les membres des communautés autochtones, et l’offre de formation.

Combinés aux autres stratégies visant l’amélioration des services linguistiques, des aptitudes

de communication et des connaissances, ces moyens permettraient d’améliorer les relations

entre la clientèle autochtone et le personnel des services correctionnels.

17 STATISTIQUE CANADA, « Population ayant une identité autochtone selon les deux sexes, total – âge, répartition

en % (2016), Canada, provinces et territoires », Recensement, produit no 98-402-X2016009 au catalogue de Statistique

Canada, 25 octobre 2017. [En ligne] [www12.statcan.gc.ca/census-recensement/2016/dp-pd/hlt-fst/abo-

aut/Tableau.cfm?Lang=Fra&T=101&S=99&O=A] 18 SECRÉTARIAT DU CONSEIL DU TRÉSOR, L’effectif de la fonction publique du Québec, éditions 2013-2014 et

2017-2018. [En ligne] [www.tresor.gouv.qc.ca/fileadmin/PDF/effectif_fonction_publique/1718/effectif_1418.pdf] et

[www.tresor.gouv.qc.ca/fileadmin/PDF/effectif_fonction_publique/effectif13_14.pdf] 19 SECRÉTARIAT DU CONSEIL DU TRÉSOR, Accès à l’égalité en emploi au sein de la fonction publique

québécoise, Bilan des programmes et des mesures 2003-2003 à 2011-2012, Gouvernement du Québec, juin 2013. [En

ligne] [www.tresor.gouv.qc.ca/fileadmin/PDF/programmes_mesures/bilan_programmes_mesures_2002-2012.pdf] 20 « Depuis la mise en place du Programme d’accès à l’égalité de la fonction publique en 2004-2005, le taux de personnes

se définissant comme provenant d’une communauté culturelle à l’emploi de la fonction publique est passé de 2,4 % des

effectifs à 9,4 %, démontrant la réussite de ce type d’approche. » Bertrand SHEPPER, Politiques d’inclusion dans la

fonction publique : État de la situation, Fiche socioéconomique de l’IRIS, no.12, mai 2018. [En ligne] [https://cdn.iris-

recherche.qc.ca/uploads/publication/file/2018-fonction-publique-WEB.pdf] 21 Op. cit.

Page 31: M-017, P-1159 : Mémoire présenté par le SAPSCQ-CSN

Mémoire pour la Commission d’enquête

sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec – 31

Recommandations

4.1 Reconnaître et valoriser l’importance des langues maternelles dans la construction

d’une identité positive, qu’elle soit autochtone ou québécoise;

4.2 Fournir aux Inuits l’accès à un service d’information basé sur l’expérience crie;

4.3 Traduire un maximum possible de documents destinés aux personnes incarcérées

(ex. : le formulaire de plainte qui a récemment été traduit en inuktitut);

4.4 Produire des vidéos explicatifs pour l’accueil, les règles, le processus judiciaire,

etc. dans chacune des langues autochtones;

4.5 Porter une attention particulière aux services d’interprétation dans les services

d’infirmerie, consultation médicale ou psychiatrique, aide juridique, etc.

4.6 Fournir aux agents de la paix un accès à des interprètes par téléphone, par ex. : les

interprètes en inuktitut qui œuvrent dans les palais de justice et dans certains

établissements (St-Jérôme, Amos) pourraient rendre service ailleurs, à distance;

4.7 Offrir aux agents des primes au bilinguisme et autres incitatifs pour apprendre une

seconde langue;

4.8 Remplacer les agents appelés à quitter leur poste pour agir comme interprètes afin

d’aider des collègues;

4.9 Recruter davantage de personnel autochtone et métis dans les régions où il existe

une forte présence autochtone;

4.10 Encourager le syndicat et ses membres à jouer un rôle actif auprès de l’employeur

en ce qui concerne l’application du Programme d’accès à l’égalité (PAE) et de son

volet autochtone;

4.11 Assurer une meilleure coordination entre les ministères afin d’améliorer l’accès à

l’éducation des jeunes autochtones, dans la communauté et en incarcération, et les

soutenir plus particulièrement pour qu’ils terminent leurs études secondaires;

4.12 Élargir l’offre des attestations d’études collégiales (AEC) et des diplômes d’études

collégiales en Techniques d’intervention en milieu correctionnel (ou carcéral) et

en Techniques d’intervention en délinquance à des cégeps situés dans des régions

habitées par de fortes communautés autochtones, y compris à Montréal et incluant

au moins un collège anglophone;

4.13 Cibler les établissements où il y a une forte population autochtone et, selon la

nation présente, intégrer des contenus sur l’histoire et la culture de cette nation en

particulier dans la formation AEC offerte dans la région, en examinant comment

cela affecte l’intervention;

4.14 Valoriser la profession et rehausser les conditions de travail, les salaires et les

standards attendus en regard des relations avec les Autochtones, les femmes et les

membres d’autres groupes de la diversité;

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32 – Mémoire pour la Commission d’enquête

sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec

4.15 Sensibiliser le personnel sur les réalités autochtones de façon générale par divers

moyens (accès à de l’information via internet, jumelages, publicisation des

formations et outils disponibles);

4.16 Introduire et maintenir de la formation continue pour les agentes et agents

(obligatoire dans certains établissements et volontaire ailleurs, avec des incitatifs),

afin de :

- favoriser une meilleure connaissance de l’histoire et des réalités autochtones

et de leurs impacts systémiques;

- développer des compétences de communication interculturelle;

- cultiver une meilleure interaction avec les Autochtones en détention;

- assurer le respect des personnes et des traditions, tout en assurant aussi la

sécurité dans les établissements;

4.17 Favoriser l’apprentissage de l’anglais et de l’inuktitut auprès des agents en poste

dans les établissements les plus concernés;

4.18 Assurer le remplacement obligatoire des agents absents de leur poste pour suivre

une formation, afin de ne pas décourager la participation (comme c’est le cas

pendant le 2e niveau de la prévention du suicide);

4.19 Miser davantage sur l’expérience des agentes et agents métis qu’on ne le fait

actuellement pour faire de la médiation culturelle. Plusieurs travaillent dans le

milieu (y compris certaines des personnes consultées).

Page 33: M-017, P-1159 : Mémoire présenté par le SAPSCQ-CSN

Mémoire pour la Commission d’enquête

sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec – 33

Enjeu 5 : Peu de moyens pour la prévention et la réinsertion

Accompagnement vers la réintégration

Les détenu-es autochtones font face à plusieurs difficultés après leur peine, auxquelles les

agents pourraient mieux les aider à se préparer durant leur détention : la compréhension du

système de la justice, les règles à respecter après une libération conditionnelle, les longues

distances à parcourir pour se présenter en cour continuellement, le retour auprès des amis et de

la famille qui représente peut-être un potentiel de récidive, les difficultés à trouver un logement

et du travail s’ils souhaitent demeurer en ville…

Contrairement aux pénitenciers fédéraux, il n’existe pas de suivi psychosocial auprès des

détenu-es autochtones dans les établissements québécois. Les personnes incarcérées se

tournent donc vers les agentes et agents de la paix pour obtenir de l’information. Or, le

personnel est insuffisamment préparé pour les orienter vers les recours qui existent hors des

services correctionnels.

Outre l’absence de formation continue sur l’histoire et la culture autochtone, nos membres nous

ont fait part de leur méconnaissance des ressources au service du milieu autochtone, dans les

communautés ou à proximité, ainsi que des organismes communautaires en milieu urbain.

Il existe pourtant des moyens, selon nos membres, pour tenter d’échapper aux principaux

éléments déclencheurs du retour sur la voie de l’incarcération : la toxicomanie, la violence et

la pauvreté. Selon eux, il existerait une foule de ressources externes, de programmes et de

maisons de transition autochtones : des informations non relayées aux agents. Par le bouche-à-

oreille, on croit savoir qu’un centre accepte les personnes de telle nation, mais pas de telle

autre.

Par exemple, le centre Waseskun22 est une maison de transition adaptée, un centre de guérison,

mais il est méconnu dans le milieu des agents. Un autre centre du même genre dans le Grand

Nord est demeuré fermé pendant de longues années, et croit-on, il peine encore à redémarrer

pleinement. On ne sait pas trop s’il en existe ailleurs, ni où, le cas échéant23.

Il y aurait plusieurs autres services psychosociaux offerts par les organismes autochtones : le

Programme Ungaluk24 qui aide les détenus inuits; le système de justice crie25 qui s’adresse à la

nation crie; et Makituatik26, le seul CRC du Grand Nord. Cependant, il n’y a pas d’échange

d’information avec les agents de la paix qui interagissent quotidiennement avec les détenu-es.

22 Centre de Guérison Waseskun. [En ligne] [www.waseskun.net] 23 Selon le site du Ministère de la Sécurité publique, il existerait 24 centres résidentiels communautaires au Québec.

[En ligne] [www.securitepublique.gouv.qc.ca/services-correctionnels/bottins/centres-residentiels-

communautaires.html] 24 « Le Programme Ungaluk pour des collectivités plus sûres a été créé en février 2007 dans le cadre de l’Entente de

partenariat sur le développement économique et communautaire au Nunavik (Entente Sanarrutik) conclue par le

gouvernement du Québec, la Société Makivik et l’Administration régionale Kativik (ARK). » [En ligne]

[www.makivik.org/fr/actuellement/programme-ungaluk/] 25 Une foule de services, fonds et programmes sont administrés par le Département de la Justice et des Services

correctionnels du Gouvernement de la nation crie. [En ligne] [www.creejustice.ca/index_fr.html] 26 Bien qu’il a été rouvert en 2017, Makitautik ne fonctionne qu’à 50 % de ses capacités : [http://makitautikcrc.ca/]

Page 34: M-017, P-1159 : Mémoire présenté par le SAPSCQ-CSN

34 – Mémoire pour la Commission d’enquête

sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec

Ce manque d’information rend presque impossible toute forme de collaboration entre nos

membres et les responsables de ces programmes et services aux Autochtones. La coopération

entre le système carcéral et les réseaux autochtones est très faible, voire inexistante, et les

établissements de détention déprécient souvent leurs pratiques sans même les connaître.

Selon nos membres, ceci contribue au fait que des personnes détenues pour une courte peine

ou libérées sous conditions reviennent souvent rapidement en établissement carcéral, soit parce

qu’elles n’ont pas respecté les conditions, soit parce qu’elles n’ont pas eu accès aux services

leur permettant d’éviter une récidive.

Dans les faits, malgré l’arrêt Gladue de 1999 visant à contrer les conséquences des détentions

dans des milieux carcéraux qui ne parviennent pas à offrir des services adéquats ni à assurer

leur réintégration, les Autochtones continuent d’y être surreprésentés et détenus pendant de

trop nombreuses années.

Recommandations

5.1 Continuer de favoriser la recherche et l’expérimentation de solutions de rechange

spécifiques aux Autochtones, en matière de prévention, suivi et réintégration;

5.2 Accélérer la mise en œuvre de la recommandation du Protecteur du citoyen

concernant la réouverture et la pleine utilisation du seul Centre résidentiel

communautaire (CRC) du Grand Nord, Makitautik.

5.3 Mettre en œuvre rapidement la recommandation du Protecteur du citoyen visant à

produire des capsules vidéo visant à informer les détenu-es de leurs droits et de

toutes les étapes du processus judiciaire – et ce, en français, anglais et inuktitut;

5.4 Tenir dans les établissements des foires de l’emploi et des ressources

communautaires destinées aux détenu-es;

5.5 Organiser des échanges annuels d’information avec le personnel des

établissements sur les programmes autochtones vers lesquels orienter la clientèle

au cours de leur détention et après;

5.6 Inclure des intervenants autochtones dans les programmes de conférences; faire

des projections de films (ex : « Waseksun » de Steve Patry, « Ce silence qui tue »

de Kim O’Bonsawin); organiser des échanges ou autres activités destinés au

personnel du milieu carcéral, offerts par les services professionnels, le syndicat,

etc.;

5.7 Mettre en œuvre le Plan d’action concernant « la possibilité de concevoir une

approche concertée fondée sur les principes de l’arrêt Gladue et tenant compte des

particularités de la réalité autochtone »;

5.8 Accroître la concertation entre les autorités du Nunavik et le gouvernement du

Québec en matière de prévention de la criminalité et de la judiciarisation,

notamment à travers la mise en œuvre immédiate de la recommandation du

Protecteur du citoyen concernant les initiatives Ungaluk et Saqijuq.

Page 35: M-017, P-1159 : Mémoire présenté par le SAPSCQ-CSN

Mémoire pour la Commission d’enquête

sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec – 35

Conclusion

Entre l’arbre et l’écorce

Alors que les nations autochtones se font de plus en plus actives dans la défense de leur droit

de se gouverner elles-mêmes et de se doter de leurs propres services, le gouvernement du

Québec est très lent à réagir en ce sens, non seulement en matière de justice, mais aussi de

protection de l’enfance, de lutte contre la violence faite aux femmes, etc.

Les détenu-es et les agents correctionnels sont donc pris entre l’arbre et l’écorce de ces volontés

politiques contradictoires. À preuve :

- Malgré l’Entente Sanarrutik et l’Entente sur le financement global de l’Administration

régionale de Kativik, les Inuits ne sont toujours pas en mesure d’assurer la prestation de

services correctionnels adaptés à leurs besoins et ils continuent d’être ballottés du nord au

sud de la province;

- Malgré les promesses faites concernant la détention des femmes autochtones, il aura fallu

l’intervention de plusieurs organismes extérieurs au milieu pour que des améliorations

concrètes aient lieu, et beaucoup reste encore à faire;

- L’établissement de détention d’Amos qui doit compter des services et programmes adaptés

aux Autochtones et dont le gouvernement a fait l’annonce en 2007, n’est toujours pas ouvert

en septembre 2018, malgré l’annonce du ministre Coiteux en février dernier à l’effet d’une

ouverture en août 2018;

- Plusieurs des recommandations du rapport du Protecteur du Citoyen concernant les

conditions de détention au Nunavik n’ont toujours pas été mises en œuvre plus de deux ans

après la parution de son rapport et un suivi du Plan d’action n’a été amorcé que suite à la

mission conjointe du ministère et du Syndicat des agents en services correctionnels à la fin

de 2017.

On ne peut que supposer les raisons qui pourraient expliquer le manque de vigueur dans l’action

gouvernementale à l’endroit des services de justice et de détention dédiés aux besoins

spécifiques des Autochtones. Certains parlent de racisme systémique, nous préférons parler des

effets combinés des multiples facettes du colonialisme.

S’appuyant sur les travaux d’experts qui ont souligné les solutions disparates bricolées par le

gouvernement du Québec – et du Canada aussi d’ailleurs –, nos membres déplorent l’absence

d’une stratégie au sein des services carcéraux qui soit intégrée à une stratégie socioéconomique

et politique d’ensemble à l’endroit des Autochtones. Selon le Dr Jaccoud, professeure titulaire

à l’École de criminologie de l’Université de Montréal « il est plus facile d’offrir un programme

de spiritualité dans un pénitencier que de décoloniser une société ».

Ainsi, les causes profondes d’un grand nombre de problèmes auxquels sont confrontés les

détenu-es et les agents correctionnels s’expliquent par des raisons historiques et systémiques

qui se trouvent en amont du système de justice, auxquels doivent s’attaquer résolument le

gouvernement du Québec et les autorités autochtones, en tenant compte des traditions

Page 36: M-017, P-1159 : Mémoire présenté par le SAPSCQ-CSN

36 – Mémoire pour la Commission d’enquête

sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec

juridiques autochtones27. Quant au débat sur l’instauration d’un système judiciaire inuit, ou

plus largement et plus simplement de tribunaux autochtones (comme en Colombie britannique

ou en Nouvelle Écosse), la recherche et la discussion doivent se poursuivre.

Il n’existe donc pas de recette simple à des enjeux complexes.

Dans le contexte des politiques d’austérité adoptées par les gouvernements au cours des

dernières années, il faut demeurer vigilant à l’endroit des diverses formes de justice

alternatives. S’il importe certes de promouvoir la participation des personnes et des

communautés dans l’administration de la justice, l’État ne doit pas se décharger de ses

responsabilités. Les communautés les plus défavorisées et affectées par les conflits disposent

souvent de peu de ressources humaines, institutionnelles et matérielles aptes à faire face aux

défis que représentent la décentralisation et la sous-traitance de la justice à des organismes

locaux. Dans ce contexte, la protection des personnes et de leurs droits ne peut être garantie

par l’État, dont c’est pourtant l’obligation.

Par ailleurs, si la criminalité autochtone est le fruit d’une marginalisation socioéconomique,

politique et culturelle à laquelle il faut bien sûr mettre fin, cela ne se fera cependant pas du jour

au lendemain. Il vaut donc travailler à transformer le système en attendant, car pour les

détenu-es, la prison ne résout rien. Au contraire, elle nourrit les problèmes sociaux qui les y

mènent.

Les questions des infrastructures et des droits dits résiduels des détenu-es doivent être résolues

de façon urgente pour des raisons évidentes de dignité humaine, de droits de la personne et de

santé publique. Quel que soit le prochain gouvernement à être porté au pouvoir cet automne, il

doit s’y attaquer décisivement et rapidement. Il en va de nos rapports de nation à nation avec

les Autochtones et de notre réputation sur la scène internationale.

De plus, les agents sont d’avis qu’ils pourraient améliorer leurs relations avec les personnes

incarcérées et contribuer à promouvoir les ressources autochtones qui œuvrent à la prévention,

la protection, la guérison et la résolution des problèmes, et à orienter les détenu-es vers celles-

ci.

Pour ce faire de façon efficace, les moyens financiers nécessaires et la formation

professionnelle et continue pertinente doivent y être consacrés, afin d’améliorer la prestation

des agents en milieu carcéral, d’une part, et celle des intervenants autochtones à l’extérieur des

prisons, d’autre part.

Enfin, nous comptons sur la Commission pour aider à promouvoir la reddition de comptes

gouvernementale à l’Assemblée nationale et l’information du public via les grands médias,

dans l’esprit de justice, d’équité et de réconciliation promues par la Déclaration des Nations

Unies sur les droits des peuples autochtones, la Charte des droits et libertés de la personne du

Québec, les Appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation du Canada et les

Règles Nelson Mandela des Nations Unies pour le traitement des détenus.

27 COMMISSION DU DROIT DU CANADA, La justice en soi : les traditions juridiques autochtones, document de

discussion, no. de catalogue JL2-29/2006. [En ligne] 2006

[https://dalspace.library.dal.ca/bitstream/handle/10222/10229/ILT%20Discussion%20Paper%20FR.pdf]

Page 37: M-017, P-1159 : Mémoire présenté par le SAPSCQ-CSN

Annexe 1 : Recommandations

1. Infrastructures

1.1 Procéder sans délai à l’agrandissement du quartier cellulaire de Puvirnituq, en

discussion depuis 2014, comme recommandé par le Protecteur du citoyen, annoncé

dans le Plan d’action du ministère de la Sécurité publique et prévu au Plan

québécois des infrastructures;

1.2 Mettre en œuvre des solutions durables aux problèmes d’approvisionnement en

eau, de salubrité, de conciergerie, d’équipements sanitaires et d’entretien de la cour,

particulièrement à Puvirnituq où le va-et-vient continuel exige du personnel

d’entretien à temps plein et des désinfections régulières des lieux de garde et des

cellules;

1.3 Procéder à l’ouverture immédiate du nouvel établissement d’Amos de manière à

héberger correctement et dignement les détenus masculins, inuits et autochtones, et

rendre compte publiquement des causes de ce retard;

1.4 Créer rapidement le nombre de places additionnelles requises pour héberger

correctement et dignement les hommes inuits, prévenus ou effectuant de courtes

sentences, préférablement en centre résidentiel communautaire ou en centre de

transition, au Nunavik ou ailleurs, s’il est désormais exclu de les héberger au nouvel

établissement d’Amos;

1.5 Procéder à la rénovation de la Maison Tanguay d’ici le printemps 2020, et effectuer

les travaux et aménagements essentiels à l’établissement Leclerc d’ici la mise en

chantier, incluant le traitement des eaux grises de l’établissement;

1.6 Créer rapidement les places d’hébergement requises pour héberger correctement et

dignement les femmes inuites, prévenues ou détenues, en centre résidentiel

communautaire au Nunavik, en secteur réservé pour elles dans un établissement de

détention pour femmes ou en centre de transition autochtone, selon les cas, s’il est

désormais exclu de les héberger au nouvel établissement d’Amos;

1.7 Mettre en œuvre le Plan d’action concernant les options possibles afin de mieux

distinguer les situations et les types de clientèles prévenues et détenues à

Puvirnituq, mais aussi à Amos, New Carlisle, sur la Côte-Nord, à Hull, à St-Jérôme;

1.8 Transférer certains détenu-es plus rapidement, en s’assurant que le ministère de la

Justice traite des dossiers différemment, modifie l’ordre des comparutions et

recrute davantage d’agentes et agents de liaison;

1.9 Mettre en œuvre les recommandations du Plan d’action concernant le recours à la

visioconférence à Kuujjuaq et Puvirnituq, au moins pour l’appel du rôle, pour éviter

les transports vers des infrastructures surpeuplées et le manque de place sur les

vols. L’échéance fixée par le ministère de la Sécurité publique était l’hiver 2016.

Page 38: M-017, P-1159 : Mémoire présenté par le SAPSCQ-CSN

38 – Mémoire pour la Commission d’enquête

sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec

2. Droits fondamentaux et dits résiduels

2.1. Offrir de la formation aux juges, avocats et autres salarié-es des systèmes judiciaire

et carcéral sur la surreprésentation des Autochtones dans le système judiciaire et

carcéral, sur les arrêts Gladue et Ipelee, et sur les enjeux de justice punitive et

réparatrice;

2.2. Faciliter les communications avec les avocats, en employant davantage d’interprètes

auxquels les personnes incarcérées pourraient recourir, en offrant un accès gratuit

aux appels téléphoniques avec tout conseiller juridique, en permettant des

visioconférences avec leurs clients et en réduisant le nombre de transferts que

subissent les prévenu-es et les détenu-es;

2.3. Maintenir l’équité salariale des avocats de l’aide juridique avec ceux des procureurs

de la Couronne et promouvoir ce choix de carrière auprès des étudiants du

secondaire, du collégial et des universités offrant des études de droit;

2.4. Traduire en inuktitut et en anglais tous les formulaires et documents s’adressant aux

personnes incarcérées et assurer leur disponibilité dans tous les lieux de détention;

2.5. Produire un ou des vidéos d’information en inuktitut pour informer les Inuits

incarcérés et analphabètes de leurs droits, de leurs obligations, des règles de

l’établissement et des ressources externes à leur disposition et en assurer

l’accessibilité et la diffusion dans tous les établissements;

2.6. Fabriquer et visser une plaque au mur de tous les lieux de détention portant le (bon)

numéro de téléphone pour communiquer avec le bureau du Protecteur du citoyen;

2.7. Faire en sorte, de façon urgente, que les quartiers cellulaires de Kuujjuaq et de

Puvirnituq soient tous deux dotés d’une cour extérieure en état d’être utilisée;

2.8. Faciliter l’usage de visioconférences pour les familles résidant trop loin pour rendre

visite aux personnes incarcérées;

2.9. Mettre en œuvre immédiatement les lois, règlements, documents, plans des services

correctionnels du Québec et du ministère de la Justice du Québec visant les droits

dits résiduels des personnes incarcérées et procéder à une réforme de l’aide juridique

pour en améliorer l’accès;

2.10. Appuyer, poursuivre et intensifier la recherche, la réflexion et l’expérimentation

de système de justice alternative autochtone.

3. L’éloignement et la santé mentale

3.1 Créer un secteur, « comme un petit village », réservé aux Inuits dans les

établissements où ils se trouvent, où ils participeraient aux programmes et où le

centre leur permettrait de structurer leur mode de vie;

3.2 Favoriser l’intégration (et le maintien) de pratiques culturelles traditionnelles dans

les services correctionnels québécois. Par exemple :

- tenir une cérémonie rituelle dans la salle autochtone du centre;

- avoir des visites régulières d’une intervenante de la communauté au centre;

Page 39: M-017, P-1159 : Mémoire présenté par le SAPSCQ-CSN

Mémoire pour la Commission d’enquête

sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec – 39

- offrir de la viande de phoque de temps à autre aux détenu-es inuits;

- installer un tipi ou une tente de sudation pour certaines pratiques ancestrales sur

le site du centre;

- donner des permissions de sortie pour permettre d’exercer des coutumes

spirituelles ancestrales à proximité; etc.;

3.3 Utiliser les visioconférences et les courriels pour les contacts familiaux et les

contacts avec les travailleurs sociaux et intervenants communautaires;

3.4 Élargir aux grands-parents le droit de visite de tous les détenu-es;

3.5 Offrir gratuitement des conversations téléphoniques (fixes et cellulaires) aux

détenu-es qui n’ont pas les moyens de communiquer avec leur famille vu le coût

des appels interurbains;

3.6 Favoriser des ententes entre les services correctionnels et les services sociaux et

organismes communautaires qui œuvrent auprès des autochtones, afin qu’ils

offrent des services de soutien aux détenu-es autochtones qui souffrent de

l’isolement;

3.7 Ne pas oublier la réinsertion, valoriser les interactions et appuyer le travail du

personnel en ce sens;

3.8 Utiliser l’expérience du personnel de Tanguay avec la clientèle des femmes pour

concevoir un programme de formation continue pour le personnel masculin et tout

nouveau membre du personnel;

3.9 Créer davantage de places en psychiatrie adaptée pour les clientèles concernées

afin qu’elles ne se retrouvent pas incarcérées n’importe où;

3.10 Renforcer la capacité d’accueil des centres de transition (centres résidentiels

communautaires, détention adaptée aux femmes, etc.).

4. Relations avec le personnel

4.1. Reconnaître et valoriser l’importance des langues maternelles dans la construction

d’une identité positive, qu’elle soit autochtone ou québécoise;

4.2. Fournir aux Inuits l’accès à un service d’information basé sur l’expérience crie;

4.3. Traduire un maximum possible de documents destinés aux personnes incarcérées

(ex. : le formulaire de plainte qui a récemment été traduit en inuktitut);

4.4. Produire des vidéos explicatifs pour l’accueil, les règles, le processus judiciaire,

etc. dans chacune des langues autochtones;

4.5. Porter une attention particulière aux services d’interprétation dans les services

d’infirmerie, consultation médicale ou psychiatrique, aide juridique, etc.

4.6. Fournir aux agents de la paix un accès à des interprètes par téléphone, par ex. : les

interprètes en inuktitut qui œuvrent dans les palais de justice et dans certains

établissements (St-Jérôme, Amos) pourraient rendre service ailleurs, à distance;

Page 40: M-017, P-1159 : Mémoire présenté par le SAPSCQ-CSN

40 – Mémoire pour la Commission d’enquête

sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec

4.7. Offrir aux agents des primes au bilinguisme et autres incitatifs pour apprendre une

seconde langue;

4.8. Remplacer les agents appelés à quitter leur poste pour agir comme interprètes afin

d’aider des collègues;

4.9. Recruter davantage de personnel autochtone et métis dans les régions où il existe

une forte présence autochtone;

4.10. Encourager le syndicat et ses membres à jouer un rôle actif auprès de l’employeur

en ce qui concerne l’application du Programme d’accès à l’égalité (PAE) et de son

volet autochtone;

4.11. Assurer une meilleure coordination entre les ministères afin d’améliorer l’accès à

l’éducation des jeunes autochtones, dans la communauté et en incarcération, et les

soutenir plus particulièrement pour qu’ils terminent leurs études secondaires;

4.12. Élargir l’offre des attestations d’études collégiales (AEC) et des diplômes d’études

collégiales en Techniques d’intervention en milieu correctionnel (ou carcéral) et

en Techniques d’intervention en délinquance à des cégeps situés dans des régions

habitées par de fortes communautés autochtones, y compris à Montréal et incluant

au moins un collège anglophone;

4.13. Cibler les établissements où il y a une forte population autochtone et, selon la

nation présente, intégrer des contenus sur l’histoire et la culture de cette nation en

particulier dans la formation AEC offerte dans la région, en examinant comment

cela affecte l’intervention;

4.14. Valoriser la profession et rehausser les conditions de travail, les salaires et les

standards attendus en regard des relations avec les Autochtones, les femmes et les

membres d’autres groupes de la diversité;

4.15. Sensibiliser le personnel sur les réalités autochtones de façon générale par divers

moyens (accès à de l’information via internet, jumelages, publicisation des

formations et outils disponibles);

4.16. Introduire et maintenir de la formation continue pour les agentes et agents

(obligatoire dans certains établissements et volontaire ailleurs, avec des incitatifs),

afin de :

- favoriser une meilleure connaissance de l’histoire et des réalités autochtones

et de leurs impacts systémiques;

- développer des compétences de communication interculturelle;

- cultiver une meilleure interaction avec les Autochtones en détention;

- assurer le respect des personnes et des traditions, tout en assurant aussi la

sécurité dans les établissements;

4.17. Favoriser l’apprentissage de l’anglais et de l’inuktitut auprès des agents en poste

dans les établissements les plus concernés;

Page 41: M-017, P-1159 : Mémoire présenté par le SAPSCQ-CSN

Mémoire pour la Commission d’enquête

sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec – 41

4.18. Assurer le remplacement obligatoire des agents absents de leur poste pour suivre

une formation, afin de ne pas décourager la participation (comme c’est le cas

pendant le 2e niveau de la prévention du suicide);

4.19. Miser davantage sur l’expérience des agentes et agents métis qu’on ne le fait

actuellement pour faire de la médiation culturelle. Plusieurs travaillent dans le

milieu (y compris certaines des personnes consultées).

5. Stratégies et moyens pour la réinsertion

5.1. Continuer de favoriser la recherche et l’expérimentation de solutions de rechange

spécifiques aux Autochtones, en matière de prévention, suivi et réintégration;

5.2. Accélérer la mise en œuvre de la recommandation du Protecteur du citoyen

concernant la réouverture et la pleine utilisation du seul Centre résidentiel

communautaire (CRC) du Grand Nord, Makitautik.

5.3. Mettre en œuvre rapidement la recommandation du Protecteur du citoyen visant à

produire des capsules vidéo visant à informer les détenu-es de leurs droits et de

toutes les étapes du processus judiciaire – et ce, en français, anglais et inuktitut;

5.4. Tenir dans les établissements des foires de l’emploi et des ressources

communautaires destinées aux détenu-es;

5.5. Organiser des échanges annuels d’information avec le personnel des

établissements sur les programmes autochtones vers lesquels orienter la clientèle

au cours de leur détention et après;

5.6. Inclure des intervenants autochtones dans les programmes de conférences; faire

des projections de films (ex : « Waseksun » de Steve Patry, « Ce silence qui tue »

de Kim O’Bonsawin); organiser des échanges ou autres activités destinés au

personnel du milieu carcéral, offerts par les services professionnels, le syndicat,

etc.;

5.7. Mettre en œuvre le Plan d’action concernant « la possibilité de concevoir une

approche concertée fondée sur les principes de l’arrêt Gladue et tenant compte des

particularités de la réalité autochtone »;

5.8. Accroître la concertation entre les autorités du Nunavik et le gouvernement du

Québec en matière de prévention de la criminalité et de la judiciarisation,

notamment à travers la mise en œuvre immédiate de la recommandation du

Protecteur du citoyen concernant les initiatives Ungaluk et Saqijuq.

Page 42: M-017, P-1159 : Mémoire présenté par le SAPSCQ-CSN
Page 43: M-017, P-1159 : Mémoire présenté par le SAPSCQ-CSN

Annexe 2 : Processus judiciaire applicable aux adultes en matière

criminelle28

Le début des procédures

À la suite d’une plainte, le service de police décide de mener ou non une enquête. Selon les

conclusions de l’enquête, le service de police soumet un rapport au procureur aux poursuites

criminelles et pénales (ci-après appelé « procureur »), qui évalue si la preuve est suffisante. Si

elle l’est, le procureur détermine les accusations à déposer devant la cour. Si le procureur estime

que la preuve est insuffisante, il peut fermer le dossier ou demander un complément d’enquête.

Lorsque le policier a libéré le suspect sur remise d’une citation à comparaître, d’une promesse

de comparaître ou d’un engagement, il en demande ensuite la confirmation à un juge de paix

lors du dépôt des accusations. Si le policier avait libéré le suspect sans formalités, ou que le

suspect n’avait pas fait l’objet d’une arrestation, le procureur peut demander qu’un juge de paix

délivre un mandat d’arrestation ou une sommation à comparaître. La citation à comparaître, la

promesse de comparaître, l’engagement ou la sommation indiquent où et quand l’accusé devra

se présenter pour comparaître pour la première fois au tribunal.

Si le suspect n’a pas été libéré par le policier, il sera détenu préventivement pour comparaître

devant le tribunal.

La première comparution

Lorsqu’il comparaît, l’accusé est informé de l’accusation portée contre lui. La poursuite a

l’obligation de lui communiquer toute la preuve se rapportant à la cause avant qu’il plaide

coupable ou non coupable.

Lorsqu’il comparaît pour un acte criminel grave, comme des voies de fait graves, l’accusé ne

choisit habituellement pas de plaider coupable ou non coupable lors de sa première

comparution. Il fera ce choix lors d’une prochaine comparution, après que lui-même ou son

avocat auront pris connaissance de toute la preuve communiquée par la poursuite. Pour la

plupart de ces actes criminels, l’accusé peut choisir d’être jugé par un juge ou par un jury.

Généralement, le procès se déroulera sans jury. Pour les crimes les plus sérieux, comme le

meurtre ou le complot pour meurtre, l’accusé doit être jugé par un jury.

S’il s’agit d’une infraction moins grave, d’un vol de moins de 5000 $, par exemple, l’accusé

indique s’il plaide coupable ou non coupable lors de sa première comparution. Le juge lui offre

la possibilité de consulter la preuve avant de répondre à l’accusation. Si l’accusé plaide

coupable, le juge peut prononcer la peine, mais généralement, il reportera l’audition sur la peine

à une autre date. Si l’accusé plaide non coupable, le juge fixe la date du procès.

L’enquête sur la mise en liberté

Si l’accusé est détenu au moment de sa première comparution au tribunal, le juge tient

immédiatement une audition pour déterminer s’il doit être mis en liberté. L’audition peut

cependant être reportée de trois jours, ou plus si l’accusé y consent. L’accusé doit être mis en

liberté à moins que le procureur prouve que sa détention est nécessaire pour assurer sa présence

à la cour ou la sécurité du public, ou pour ne pas miner la confiance du public dans

l’administration de la justice. Si l’accusé faisait déjà l’objet d’accusations au moment où il a

28 MINISTÈRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE, [En ligne] [www.securitepublique.gouv.qc.ca/?id=19022]

Page 44: M-017, P-1159 : Mémoire présenté par le SAPSCQ-CSN

44 – Mémoire pour la Commission d’enquête

sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec

commis l’infraction pour laquelle il comparaît, ou s’il est accusé de certaines infractions graves,

comme le meurtre ou le trafic de cocaïne, c’est lui qui doit convaincre le tribunal de le mettre

en liberté pendant les procédures.

La libération peut être assortie de conditions, comme celles de demeurer à une adresse fixe, de

ne pas communiquer avec la victime ou de ne pas consommer d’alcool. Le tribunal peut aussi

exiger de l’accusé qu’il contracte un engagement, avec ou sans dépôt d’argent, pour garantir le

respect des conditions et sa présence au tribunal, lorsque celle-ci sera requise. Cet engagement

peut aussi être exigé d’une tierce personne appelée « caution », par exemple un membre de la

famille de l’accusé ou l’un de ses amis.

Si l’accusé ne respecte pas ces conditions, il s’expose à une nouvelle accusation et à une

révision de sa mise en liberté par le tribunal. Il s’expose aussi, tout comme la caution, s’il y a

lieu, à la confiscation de la somme d’argent correspondant à l’engagement.

L’enquête préliminaire

Pour les actes criminels graves, l’accusé ou la poursuite peuvent demander la tenue d’une

enquête préliminaire avant le procès. Celle-ci vise à déterminer si la preuve de la poursuite est

suffisante pour faire subir un procès à l’accusé.

La partie qui a demandé une enquête préliminaire doit produire une déclaration énonçant les

points sur lesquels elle souhaite présenter des témoignages et le nom des témoins qu’elle veut

faire entendre. Une audience préparatoire peut précéder l’enquête préliminaire en vue d’en

déterminer le contenu et d’en orienter le déroulement.

Avec le consentement du procureur, l’accusé peut renoncer à l’enquête préliminaire, même si

elle est commencée.

Le procureur présente au tribunal les principaux éléments de preuve. L’accusé peut contre-

interroger les témoins présentés par la poursuite et faire entendre ses propres témoins. Si la

preuve n’est pas suffisante, le juge libère l’accusé. Si la preuve est suffisante, il ordonne qu’il

subisse son procès.

Le procès

À la suite de la lecture de l’acte d’accusation, le procureur fait entendre les témoins de la

poursuite et présente les éléments de preuve matériels. Une conférence préparatoire peut

précéder le procès afin d’en orienter le déroulement.

L’accusé est présumé innocent. Ainsi, c’est la poursuite qui doit prouver chacun des éléments

de l’accusation, et ce, hors de tout doute raisonnable. L’accusé n’est pas obligé de témoigner

pour sa défense ni de présenter des témoins. Cependant, après que la poursuite aura présenté

toute sa preuve, il pourra choisir de présenter une défense, s’il l’estime nécessaire pour soulever

un doute raisonnable. Si l’accusé choisit de témoigner pour sa propre défense, il devra se

soumettre au contre-interrogatoire du procureur.

Chacune des parties peut contre-interroger les témoins de l’autre partie. Au cours du procès, le

juge tranche les objections portant sur les questions posées aux témoins et sur l’admissibilité

des éléments de preuve matériels.

Par la suite, l’avocat de la défense et le procureur présentent leurs plaidoiries.

Dans le cas d’un procès devant un juge et un jury, le juge donne des directives au jury avant

qu’il se retire pour délibérer. Le jury doit rendre un verdict unanime sans donner de motifs. S’il

Page 45: M-017, P-1159 : Mémoire présenté par le SAPSCQ-CSN

Mémoire pour la Commission d’enquête

sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec – 45

s’agit d’un procès sans jury, le juge examine d’abord toute la preuve et rend son verdict en

donnant les motifs qui l’appuient.

La peine

La peine peut être prononcée aussitôt que l’accusé a plaidé coupable ou qu’il est déclaré

coupable. Généralement, elle sera prononcée lors d’une séance suivante. Le procureur et

l’avocat de l’accusé peuvent présenter des éléments de preuve pouvant aider à déterminer la

peine, et soumettre des observations au tribunal sur la peine qui devrait être imposée. Même

lorsque le verdict est rendu par un jury, c’est le juge qui détermine la peine.

Avant de prononcer la peine, le juge peut demander à un agent de probation de préparer un

rapport présentenciel. L’agent de probation recueille alors différents renseignements sur

l’accusé : son passé, son histoire familiale, ses antécédents judiciaires et ses perspectives de

réhabilitation. L’agent de probation peut aussi communiquer avec la victime pour connaître la

nature et la gravité des torts qu’elle a subis. La victime peut aussi présenter une déclaration au

tribunal pour exposer les conséquences de l’infraction.

Pour certains crimes graves, la loi impose une peine d’emprisonnement minimale. Lorsqu’il

impose une peine d’emprisonnement à un accusé qui a été détenu pendant son procès, le juge

peut réduire cette peine pour tenir compte du temps déjà passé en détention.