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Mémoire présenté par le
Syndicat des agents de la paix en services correctionnels du Québec
(SAPSCQ-CSN)
à la Commission d’enquête sur les relations entre les Autochtones
et certains services publics au Québec : Écoute, Réconciliation et Progrès
Réalités autochtones
en milieu carcéral québécois :
Un système juste et équitable pour toutes et tous?
10 octobre 2018
M-017P-1159
Syndicat des agents de la paix en services correctionnels du Québec (SAPSCQ-CSN)
4906 boul. Gouin Est
Montréal (Québec) H1G 1A4
Fédération des employées et employés de services publics (FEESP)
Confédération des syndicats nationaux (CSN)
1601, avenue De Lorimier
Montréal (Québec) H2K 4M5
Téléphone : 514 598-2121 www.sapscq.com www.feesp.csn.qc.ca www.csn.qc.ca
Table des matières
Résumé ........................................................................................................................................... 5
Introduction ................................................................................................................................... 7
Parcours et profil des clientèles autochtones ............................................................................ 9
Enjeu 1 : Les infrastructures ...................................................................................................... 13
Des infrastructures gravement inadéquates ............................................................................ 13
Pas mieux pour les femmes ...................................................................................................... 14
Des facteurs systémiques et politiques ..................................................................................... 15
Recommandations .................................................................................................................... 17
Enjeu 2 : Droits fondamentaux et dits résiduels ....................................................................... 19
Discrimination dans l’application des droits ........................................................................... 21
Recommandations .................................................................................................................... 22
Enjeu 3 : L’éloignement et ses impacts sur la santé mentale ................................................... 23
Identité culturelle ...................................................................................................................... 23
Distance et isolement ................................................................................................................ 24
Prévention du suicide ............................................................................................................... 24
Les femmes sont plus vulnérables ............................................................................................ 25
Recommandations .................................................................................................................... 25
Enjeu 4 : Des relations compliquées avec le personnel ............................................................ 27
Barrière linguistique ................................................................................................................ 27
Situation spécifique des femmes .............................................................................................. 28
Diversité socioculturelle ........................................................................................................... 28
Sous-représentation des Autochtones dans le personnel ........................................................ 29
Recommandations .................................................................................................................... 31
Enjeu 5 : Peu de moyens pour la prévention et la réinsertion ................................................. 33
Accompagnement vers la réintégration ................................................................................... 33
Recommandations .................................................................................................................... 34
Conclusion .................................................................................................................................... 35
Entre l’arbre et l’écorce ........................................................................................................... 35
Annexe 1 : Recommandations .................................................................................................... 37
Annexe 2 : Processus judiciaire applicable aux adultes en matière criminelle ...................... 43
Mémoire pour la Commission d’enquête
sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec – 5
Résumé
La Confédération des syndicats nationaux (CSN) regroupe divers syndicats de services publics
visés par la Commission. La CSN a répondu à la Commission en appuyant la contribution du
Syndicat des agents de la paix en services correctionnels du Québec (SAPSCQ-CSN).
Pour recueillir l’information nécessaire à la rédaction du présent mémoire et par souci de
préserver l’anonymat du personnel, le Syndicat a consulté plusieurs de ses membres qui
travaillent dans des établissements où sont incarcérés un nombre significatif d’Autochtones :
Amos, Hull, Leclerc de Laval, New Carlisle, Roberval, Saint-Jérôme, Sept-Îles.
Les diverses nations autochtones (Premières Nations et Inuit) ne se retrouvent pas toutes dans
les mêmes centres de détention. Contrairement à la situation ailleurs au Canada, les Premières
Nations ne sont que légèrement surreprésentées au sein de la population carcérale du Québec,
certaines plus que d’autres. La population inuite, par contre, est particulièrement surreprésentée
selon les données disponibles.
Étant donné ces caractéristiques de la population autochtone en incarcération, une plus grande
part des défis décrits dans ces pages concerne donc les prévenus et détenus inuits et les
installations qui les desservent, bien qu’une aussi grande attention ait été accordée à chacun
des témoignages recueillis par le Syndicat.
Les diverses questions soulevées ont été regroupées par enjeu, lesquels ne sont toutefois pas
présentés par un ordre d’importance, mais d’urgence : Les infrastructures, les droits
fondamentaux et dits résiduels, l’éloignement et la santé mentale, les relations avec le
personnel, et enfin, les stratégies et moyens de prévention et de réintégration.
En matière d’infrastructures, celles-ci sont inadéquates, et ce, particulièrement dans le Nunavik
et dans l’établissement pour femmes Leclerc à Laval. Des facteurs systémiques et politiques
semblent expliquer cet enjeu et nos membres proposent neuf recommandations à ce sujet.
Sur le plan des droits, nos membres observent plusieurs dénis de droit et de cas de
discrimination dans l’application des droits des prévenus et détenus autochtones. Nos membres
formulent dix recommandations pour y remédier.
L’éloignement et l’inadéquation de la justice pénale, incluant les services correctionnels, pour
les populations autochtones induisent une grande détresse psychologique et un risque élevé de
suicide devant lesquels les agents de la paix sont démunis. Dix recommandations sont faites.
L’examen des relations entre Autochtones et agents de la paix a mis au jour plusieurs obstacles,
incluant la barrière linguistique, la méconnaissance des réalités autochtones, le manque de
compétences interculturelles, le peu d’expertise avec la clientèle féminine, ainsi que la sous-
représentation des Autochtones au sein du personnel. Nos membres soumettent ici dix-neuf
recommandations.
Enfin, il est clair que le peu de moyens en place pour la prévention et la réintégration des
détenu-es résulte d’une vision inadéquate, déconnectée des initiatives en milieu autochtone et
sans articulation à une stratégie québécoise d’ensemble. Huit recommandations sont faites.
Toutes les recommandations se retrouvent à l’annexe 1 du document.
Introduction
Le Syndicat des agents de la paix en services correctionnels du Québec (SAPSCQ-CSN) et la
Fédération des employées et employés de services publics (FEESP-CSN), affiliés à la
Confédération des syndicats nationaux (CSN), remercient l’invitation de la Commission
d’enquête sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec à
contribuer à ses travaux.
Le Syndicat des agents de la paix en services correctionnels du Québec (SAPSCQ-CSN) est
un organisme syndical libre et démocratique, fondé en 1982, dont le contrôle est entièrement
assumé par son assemblée générale nationale. Ses membres appartiennent au mouvement
syndical depuis fort longtemps. Ils ont d’abord créé le Syndicat des agents de la paix de la
fonction publique (SAPFP), en 1966, avant de fonder l’Union des agents de la paix en
institutions pénales (UAPIP) au début des années 1980, qui a ensuite fait place au SAPSCQ-
CSN.
À travers toutes ces années, les agentes et agents de la paix ont mené de nombreux débats et
pris plusieurs positions difficiles, toujours avec conviction. Dans sa Déclaration de principes,
ses objectifs et ses méthodes d’action, le Syndicat est guidé par un sens commun d’édification
d’une société humaine solidaire dans la liberté, la dignité, la justice et la fraternité.
Dans cet esprit, le Syndicat se préoccupe des conditions d’incarcération des prévenus et
détenus1, non seulement parce qu’elles peuvent affecter les conditions de travail de ses propres
membres, mais aussi parce qu’il conçoit son rôle comme l’un des rouages d’un système qui se
doit d’être juste et équitable pour toutes et tous. Or, ces dernières années, les membres du
SAPSCQ-CSN ont été témoins d’un certain nombre de dénis de droits fondamentaux ou dits
résiduels, qui affectent particulièrement les Autochtones au sein la population incarcérée.
À cet égard, le Syndicat a bien accueilli le rapport spécial du Protecteur du citoyen2 sur les
conditions de détention, l’administration de la justice et la prévention de la criminalité au
Nunavik, déposé le 18 février 2016. Il a trouvé fort encourageante l’adoption du Plan d’action
du ministère de la Sécurité publique (MSP) qui s’en est suivi3. Par ailleurs, des enjeux pour la
santé et la sécurité au travail des agents ont mené le Syndicat à décider d’entreprendre une
visite au Nunavik en 2017. Devant cette initiative syndicale, le MSP a proposé une mission
conjointe qui s’y est rendue au cours du dernier trimestre de 2017 et qui a permis, par la même
occasion, de constater que très peu d’actions prévues au Plan d’action du MSP avaient été
entreprises.
1 Les prévenus sont des individus en attente de leur procès ou du prononcé de leur sentence; les détenus dont il est
question dans ce mémoire ont été jugés et condamnés à des peines de moins de deux ans de détention dans un
établissement du Québec, et leur surveillance et réinsertion sociale sont assurées par des ASC. Source : Ministère de la
Sécurité publique, [En ligne] [https://www.securitepublique.gouv.qc.ca/services-correctionnels/fonctionnement.html] 2 Raymonde ST-GERMAIN, Claude DUSSAULT et Marie DESPATIS, Rapport spécial du Protecteur du citoyen, Les
conditions de détention, l’administration de la justice et la prévention de la criminalité au Nunavik, Québec, le 18
février 2016. [En ligne] [https://protecteurducitoyen.qc.ca/sites/default/files/pdf/rapports_speciaux/2016-02-
18_conditions-de-detention-Nunavik.pdf] 3 MINISTÈRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE, Plan d’action concernant les conditions de détention,
l’administration de la justice et la prévention de la criminalité au Nunavik, 31 mai 2016. [En ligne]
[www.securitepublique.gouv.qc.ca/services-correctionnels/publications-et-statistiques/plan-daction-nunavik.html]
8 – Mémoire pour la Commission d’enquête
sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec
Peu après, la Commission d’enquête sur les relations entre les Autochtones et certains services
publics au Québec prenait contact avec la CSN qui regroupe des syndicats dans les services
publics visés par l’enquête de la Commission. De plus, elle appuie la Déclaration sur les droits
des peuples autochtones4 et a créé un groupe de travail sur les réalités autochtones « afin de
mieux soutenir et coordonner le travail syndical, en collaboration avec ces communautés, en
vue de combattre l’exclusion, le racisme, le sexisme, la pauvreté, la détérioration de la santé,
le décrochage scolaire, la discrimination en emploi, dans l’accès à l’éducation et dans la société
en général, et ce, dans un contexte où le développement économique ne tient pas toujours
compte des besoins sociaux et des traditions ancestrales des peuples autochtones ».
Dans ce cadre, la CSN a facilité une prise de contact de la Commission avec le SAPSCQ-CSN,
qui a ensuite décidé de préparer le présent mémoire, lequel vise plusieurs objectifs :
• Faire part de notre expérience et rapporter des faits relatifs aux lacunes dans les services
offerts aux populations autochtones, selon les régions ou territoires, dans les services
correctionnels;
• Aider à identifier les causes possibles de la discrimination systémique qui peut exister
à l’égard des Premières Nations dans les services correctionnels;
• Faire des recommandations quant aux actions correctives concrètes, efficaces et
durables à mettre en place par les instances gouvernementales et autochtones dans la
prestation de ces services;
• Identifier des pistes d’amélioration des relations entre les Autochtones et les services
correctionnels au Québec;
• Orienter les réflexions des membres de la Commission dans l’élaboration et la
rédaction des recommandations;
• Cerner les limites et les contraintes auxquelles pourrait faire face le gouvernement du
Québec dans le cadre de la mise en œuvre d’une ou de plusieurs recommandations.
Pour recueillir l’information nécessaire à la rédaction du mémoire et par souci de préserver
l’anonymat du personnel, le Syndicat a consulté plusieurs de ses membres qui travaillent dans
des établissements où sont incarcérés un nombre significatif d’Autochtones : Amos, Hull,
Leclerc de Laval, New Carlisle, Roberval, Saint-Jérôme et Sept-Îles.
Cet échantillon représente donc les agents en services correctionnels (ASC) qui travaillent dans
7 des 23 établissements (quartiers cellulaires, établissements de détention) où sont gardés les
prévenu-es et les détenu-es. Il inclut également des agents qui accompagnent les personnes
incarcérées dans leur transport terrestre et aérien, qui fréquentent certains quartiers cellulaires
situés dans les palais de justice du Québec, ou qui encadrent et accompagnent les personnes en
permission de sortir, en libération conditionnelle, en probation ou en sursis.
Pendant deux jours, à huis clos, ces agents et agentes de la paix ont partagé leurs expériences,
leurs préoccupations, leurs espoirs et quelques pistes d’action. Ce sont leurs témoignages, leurs
réflexions et, à l’annexe 1, leurs recommandations qui sont présentées dans ce mémoire.
4 NATIONS UNIES, Déclaration sur les droits des peuples autochtones, [En ligne] 2007
[www.un.org/esa/socdev/unpfii/documents/DRIPS_fr.pdf]
Mémoire pour la Commission d’enquête
sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec – 9
Parcours et profil des clientèles autochtones
Les agentes et agents de la paix entrent en relation avec la population dans le cadre du processus
judiciaire applicable aux adultes en matière criminelle. Cela n’est pas différent en ce qui
concerne la population autochtone, qu’elle soit inuite ou qu’elle appartienne à l’une des dix
Premières Nations qui vivent sur le territoire québécois.
Ce processus judiciaire est bien établi et encadré par la loi et la réglementation en vigueur, et
s’applique à l’ensemble des citoyennes et citoyens. Il comporte plusieurs étapes5 menant de
l’infraction criminelle présumée à l’intervention policière, puis à la fermeture du dossier ou à
la détention préventive avant le dépôt des accusations – lequel inclut une première comparution
dans les trois jours suivant l’arrestation – suivi du procès avec ou sans enquête préliminaire.
Entre-temps, l’accusé peut être détenu ou libéré avec ou sans condition. Si la preuve est jugée
suffisante, le procès aura lieu devant un juge ou devant un juge et un jury pour déterminer un
verdict d’acquittement ou de culpabilité. Si l’accusé est déclaré coupable, la sentence est
déterminée en tenant compte, le cas échéant, d’un rapport présentenciel, d’une enquête sur la
peine, des observations des parties sur la peine et d’une déclaration de la victime.
La peine peut prendre l’une ou plusieurs des formes suivantes, selon le cas : absolution
conditionnelle ou inconditionnelle, suspension de la peine, imposition d’une amende ou de
travaux compensatoires, ordonnance de dédommagement, ordonnance de probation,
prélèvement d’ADN, inscription au registre des délinquants sexuels, confiscation et
interdiction de possession d’armes, peine d’emprisonnement à purger dans la collectivité, et
enfin, peine d’emprisonnement. Pour certains crimes graves, la loi exige une peine
d’emprisonnement minimale. Le juge peut toutefois réduire cette peine pour tenir compte du
temps déjà passé en détention.
Les peines d’emprisonnement de deux ans moins un jour ainsi que celles des prévenus en
attente de procès doivent être purgées dans une prison provinciale, c’est-à-dire dans l’un des
17 établissements québécois de détention. Les peines de deux ans et plus sont purgées dans les
pénitenciers fédéraux, qui relèvent du gouvernement canadien et qui ne font pas l’objet de ce
mémoire, la Commission ayant le mandat de porter son attention sur les services publics du
Québec. Cette distinction est importante, d’autant plus que la réalité autochtone varie
considérablement à travers le Canada, et comme une étude6 récente le démontre, d’une nation
à l’autre à travers le Québec. C’est aussi ce qui se dégage des témoignages recueillis auprès
des ASC rencontrés.
Par ailleurs, s’il est vrai que les Autochtones sont surreprésentés dans les établissements de
détention au Canada, la situation est différente au Québec, où les Premières Nations ne sont
que légèrement surreprésentées au sein de la population carcérale. Chez certaines des
Premières Nations, il y a même sous-représentation au sein de la population incarcérée.
Toutefois, les Inuits sont clairement surreprésentés comme le montrent les tableaux qui suivent.
5 Voir l’annexe 2 pour une explication plus détaillée des diverses étapes de ce processus. 6 Bernard CHÉNÉ, Profil des Autochtones confiés aux services correctionnels en 2015-2016, Direction générale des
services correctionnels, ministère de la Sécurité publique, Gouvernement du Québec. [En ligne] 2018
[www.securitepublique.gouv.qc.ca/fileadmin/Documents/services_correctionnels/publications/profil_autochtones_2015
-2016/profil_correctionnel_2015-2016_autochtones.pdf]
10 – Mémoire pour la Commission d’enquête
sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec
Tableau 1 Ratio de personnes incarcérées pour 1000 habitants selon la nation (2015-2016)
Inuits Attikameks Algonquins Cris Innus Autres
nations* Non-
autochtones
61 19 16 13 12 3 4
*Autres nations : Micmacs, Naskapis, Mohawks, Hurons-Wendat, Abénaquis, Malécites, hors Québec.
Source : Ministère de la Sécurité publique (2018)
Il n’est pas inexact de dire que dans l’ensemble, toutes nations confondues, les Autochtones
sont surreprésentés dans la population incarcérée. En effet, bien que le poids de la population
autochtone dans la population totale du Québec soit de 2,3 % selon Statistiques Canada (2016),
son poids atteint près du triple dans la population carcérale avec 6,5 % du total de la population
incarcérée au moins une journée au cours de l’année débutant le 1er avril 2015 et se terminant
le 31 mars 2016, selon le ministère de la Sécurité publique (2018).
Tableau 2 Nombre et proportion d’Autochtones et de non-Autochtones incarcérés au moins
un jour au cours de l’année (1er avril 2015 – 31 mars 2016)
Autochtones non-Autochtones Nombre Proportion Nombre Proportion
1 632 5,42 % 28 506 94,58 %
Source : Ministère de la Sécurité publique (2018)
Or, fait troublant, alors que les Inuits ne représentent que 7,6 % de toute la population
autochtone du Québec, toujours selon Statistiques Canada (2016), la population inuite
incarcérée représente 59,4 % de l’ensemble des Autochtones en détention, selon les données
du ministère de la Sécurité publique sur la population moyenne quotidienne en institution
(PMQI).
Population totale du Québec (2016)
Inuits (0.2%)
Autres Autochtones (2.1%)
Non-Autochtones (97.7%)
Source : Statistique Canada (2016), Recensement
Population moyenne quotidienne en institution (2015-2016)
Inuits (3.85%)
Autres Autochtones (2.62%)
Non-Autochtones (93.5%)
Source : Ministère de la Sécurité publique (2018), PMQI
Mémoire pour la Commission d’enquête
sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec – 11
Selon les informations communiquées par les membres du Syndicat, les nations autochtones
ne sont pas réparties également dans les centres de détention (voir tableau 3).
Les Inuits sont très fortement concentrés dans les quartiers cellulaires de Kuujjuaq et de
Puvirnituq et dans les établissements de St-Jérôme, d’Amos, de Leclerc (femmes) et, dans une
moindre mesure, Hull et Rivière-des-Prairies.
Les Cris sont fortement concentrés à Amos, mais aussi à Montréal, Hull, Roberval et St-
Jérôme. Les Algonquins se trouvent principalement à Amos, et quelques-uns sont à Montréal,
Hull et Leclerc (femmes). Les Innus sont concentrés à Sept-Îles, Baie-Comeau, Québec
(hommes et femmes) et Roberval. La majorité des Attikameks sont à Roberval et Trois-
Rivières. Les Micmacs sont, en règle générale, à New Carlisle. Les autres nations autochtones,
en moindre nombre, sont réparties çà et là.
Tableau 3 Population moyenne quotidienne en institution selon la nation autochtone
et selon l’établissement de détention à l’admission (2015-2016)
Établissement Autres
nations Algonquins Attikameks Cris Inuits Innus
Total des
Autochtones
Amos 0 13 1 17 47 0 78
Baie-Comeau 1 0 0 0 0 7 8
Montréal 2 6 2 6 2 0 18
Québec (femmes) 0 0 1 0 0 1 2
Québec (hommes) 2 1 2 1 2 4 12
Leclerc (femmes) 0 2 2 1 27 0 32
Leclerc (hommes) 1 1 0 1 1 0 4
Percé 0 0 0 0 0 0 0
Hull 0 4 1 4 15 0 24
New Carlisle 6 * 0 0 0 0 0 6
Riv. des Prairies 1 0 1 1 6 0 9
Rimouski 0 0 0 0 0 0 0
Roberval 0 1 6 4 1 4 16
Sept-Îles 1 0 0 0 0 9 10
Sherbrooke 0 0 0 0 0 0 0
Sorel 0 0 0 0 0 0 0
St-Jérôme 0 2 1 3 95 0 101
Trois-Rivières 0 0 5 0 0 0 5
Autre (transit) 1 0 0 2 1 2 6
Total par nation 14 30 22 40 196 27 336
* Micmacs. Source : Ministère de la Sécurité publique (2018)
Étant donné ces caractéristiques de la population autochtone en incarcération, on comprendra
qu’une plus grande part des défis décrits dans ces pages concerne donc les prévenu-es et
détenu-es inuits et les installations qui les desservent, bien qu’une aussi grande attention ait été
accordée à chacun des témoignages recueillis par le Syndicat. Les diverses questions soulevées
ont été regroupées par enjeu, lesquels ne sont toutefois pas présentés par un ordre d’importance,
mais d’urgence.
Mémoire pour la Commission d’enquête
sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec – 13
Enjeu 1 : Les infrastructures
Des infrastructures gravement inadéquates
La population inuite est fortement surreprésentée dans la population détenue pour des délits
mineurs et les conditions de sa détention sont inadéquates dans certains lieux, particulièrement
au Nunavik, mais également dans certains autres centres de détention.
Surpopulation, mixité des clientèles, insalubrité, risques pour la santé et la sécurité, distance
excessive, ces déficiences constituent une atteinte à la dignité des personnes incarcérées et de
tous ceux et celles qui y travaillent – en plus d’être en violation flagrante avec plusieurs normes
établies par le gouvernement du Québec, celui du Canada et par la communauté internationale.
À Puvirnituq, faute de pavillon cellulaire adéquat, ce sont les cellules du poste de police qui
servent de lieu de détention pour les prévenus. Et même au poste de police, les cellules sont
tellement remplies par des gens arrêtés et sous garde pour une très courte période (cas d’ivresse
sur la voie publique, délits mineurs), qu’on y a même vu une femme attachée à un barreau de
cellule par une chaîne, avec un matelas par terre.
La mixité des clientèles incarcérées à Puvirnituq – et ailleurs parfois – affecte des individus
qui devraient être maintenus séparés et qui ne le sont pas, malgré les normes les plus
élémentaires : jeunes vs adultes, prévenus vs détenus, femmes vs hommes, personnes
intoxiquées, en état de crise ou à risque suicidaire.
De plus, il n’y a pas de puits de désarmement à Puvirnituq. Le travail des agentes et agents de
la paix n’est donc pas toujours effectué dans des conditions sécuritaires. La fouille à nu des
prévenus avant de les incarcérer se passe dans le même espace d’incarcération que celui où
sont les gens arrêtés par les policiers qui, eux, n’ont pas le droit de fouiller à nu. Cela ouvre la
porte à des possibilités d’échanges d’objets ou autres qui peuvent mettre en péril la sécurité.
Les lieux sont tellement surpeuplés qu’il n’y a jamais personne qui parvient à les nettoyer. Et
les gens mangent assis par terre, faute de sièges pour les personnes incarcérées.
Selon les Règles Nelson Mandela adoptées par l’Assemblée générale des Nations Unies en
décembre 2015, qui constituent un ensemble de 122 normes minimales pour le traitement des
personnes incarcérées7, les cellules ne doivent être occupées que par un seul détenu la nuit.
Presque partout au Québec, la norme actuelle est de respecter un taux d’occupation maximal
de 2 personnes par cellule. Or, à Kuujjuaq et surtout à Puvirnituq, il est courant d’y mettre 6
ou 7 personnes, et ce, même un an après le dépôt du rapport du Protecteur du citoyen qui
rapportait une moyenne de 15 personnes par cellule.
7 NATIONS UNIES (2015), Ensemble de règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus (Règles
Nelson Mandela). [En ligne] [www.unodc.org/documents/justice-and-prison-reform/GA-RESOLUTION/F-book.pdf.]
Voir aussi le Projet de résolution II Ensemble de règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus
(Règles Nelson Mandela), in Prévention du crime et justice pénale, Rapport de la Troisième Commission de
l’Assemblée générale des Nations Unies, 70e session, point 106 de l’ordre du jour, 4 décembre 2015, p.24-59/100 [En
ligne] [www.un.org/ga/search/view_doc.asp?symbol=A/70/490&Lang=F]
14 – Mémoire pour la Commission d’enquête
sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec
Cependant, la surpopulation ne se présente pas qu’au Nunavik. Elle est un enjeu partout, et
représente un risque pour la santé et la sécurité tant pour les agentes et agents que pour les
personnes incarcérées.
Ses effets sont visibles dans de nombreux endroits. À titre d’exemple, à Schefferville, il n’y a
pas de lieu où installer le détenu en attente de voir un juge, ce qui oblige à passer cette attente
de plusieurs heures dans le véhicule de transport.
À Hull, les règles de classement des détenus dans les cellules ne sont pas respectées, faute
d’espace. Les hommes sont séparés des femmes, sans plus. Il n’y a pas de classement entre
prévenu-es et détenu-es. Le prévenu doit signer une autorisation permettant de l’incarcérer avec
un ou des détenus. S’il ne la signe pas, il est mis au trou (un tel cas est survenu dernièrement).
Et quand le « bull pen » est plein, il y a toujours le « truck » pour placer le détenu, comme en
témoigne un de nos membres.
À Amos, les protocoles de classement ne sont pas respectés non plus. Quand la police amène
quelqu’un et qu’il n’y a plus de place, il arrive que la personne soit placée dans le bureau des
avocats. Sept cellules sont régulièrement occupées par trois personnes. Il n’y a qu’une douche
dans le secteur pour 21 personnes. Sur le plan de l’hygiène, il y a eu des cas où des Autochtones
avaient attrapé la gale dans les mines. Ils n’ont pas reçu d’examen médical à l’accueil et cette
situation aurait pu conduire à la contamination d’autres détenus.
À Sept-Îles, un membre du Syndicat a déclaré : « on a de nouveaux problèmes qu’on ne voyait
pas avant : par exemple, le centre reçoit des détenus qui appartiennent à des gangs de rue de
Montréal ». Cela illustre l’ampleur de la question de surpopulation dans les établissements au
Québec.
Pas mieux pour les femmes
Il n’existe aucun endroit distinct pour la détention des femmes en dehors de Montréal et de
Québec. Partout ailleurs au Québec, les Autochtones prévenues sont donc gardées dans les
mêmes postes de police et quartiers cellulaires que les hommes, mais dans des cellules
différentes – en principe.
Jusqu’en 1994-95, la prison connue sous le nom de Maison Tanguay accueillait à Montréal
80 % des femmes incarcérées du Québec, tant pour les sentences fédérales que provinciales.
En 2016, le ministère de la Sécurité publique du Québec est forcé de fermer l’établissement,
pour cause d’insalubrité, et quelque 260 femmes sont alors transférées dans un ancien
pénitencier fédéral à Laval, fermé en 2012 pour des raisons semblables.
L’établissement, récupéré par Québec pour détenir des hommes et femmes prévenus et des
détenus condamnés à des peines inférieures à 2 ans, opère désormais sous le nom de Leclerc.
L’endroit est immédiatement décrié par les détenues elles-mêmes, par des membres de
communautés religieuses, des membres du Barreau, des organismes de défense des droits
humains et des groupes de femmes. Le principal enjeu était alors la trop grande proximité avec
des détenus masculins, également transférés sur les lieux à cause de la surpopulation ailleurs.
Étaient également dénoncés la vétusté des lieux et son caractère extrêmement sécuritaire et
Mémoire pour la Commission d’enquête
sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec – 15
inapproprié pour la clientèle de la Maison Tanguay. Un comité de travail s’est penché sur ces
questions et les hommes ont finalement été transférés hors de l’établissement en juin 2017.
Encore aujourd’hui, l’établissement Leclerc semble poser de sérieux problèmes pour la santé
des prévenues et des détenues qui y sont incarcérées, malgré la disparition des principaux
irritants grâce aux mesures mises en place à la suite des travaux du comité. Nos membres nous
rapportent des problèmes d’insalubrité des lieux, d’installations déficientes comme les
douches, la présence de moisissures, des conduits d’air contaminés, l’absence d’eau potable
jusqu’à tout récemment (février 2018), et le système de traitement des eaux grises qui est non-
fonctionnel depuis le départ du fédéral. Il aura fallu deux ans de multiples pressions de la
société civile, simplement pour avoir accès à de l’eau potable!
Plusieurs détenues présentent des plaques suspectes sur la peau. Et l’hygiène féminine n’est
pas jugée importante, puisqu’on ne leur offre pas d’autre choix que des serviettes hygiéniques
pour leurs règles et leur nombre est rationné. Il y a beaucoup de problèmes de surpoids et les
lieux n’offrent pas d’installations qui correspondent aux besoins spécifiques des femmes.
Non seulement vétuste, cet ancien pénitencier fédéral ultrasécuritaire est également très
austère, ayant été conçu pour l’incarcération d’hommes condamnés à de lourdes peines pour
des crimes graves. Ceci affecte le climat de l’établissement et le moral des prévenues et
détenues qui y sont incarcérées.
Plutôt que de s’installer de façon permanente dans l’établissement, le ministère, les experts, la
clientèle et le personnel s’entendent que la meilleure des hypothèses serait la rénovation de la
vieille Maison Tanguay, située à Montréal, et d’y retourner la clientèle féminine. Cependant,
en ce qui concerne la clientèle inuite, nos membres constatent que beaucoup d’entre elles
aimeraient mieux être gardées au Nunavik, pour maintenir le contact avec leurs enfants. À tout
le moins, elles préféreraient se trouver à Amos ou à Saint-Jérôme, afin de limiter leurs
transferts, notamment pour les comparutions qui doivent être effectuées dans le district
judiciaire où le délit a été commis.
Dans le cadre du Plan québécois des infrastructures 2018-2028, l’agrandissement et le
réaménagement de l’établissement de détention Maison Tanguay sont prévus dans la vague
catégorie « en planification », mais rien ne semble avancer concrètement. Entre-temps, les
femmes demeurent dans des conditions déplorables à Leclerc.
Des facteurs systémiques et politiques
La croissance démographique des populations autochtones au Québec et au Canada ne peut, à
elle seule, expliquer la surpopulation et le pitoyable état des infrastructures du ministère de la
Sécurité publique et de l’Administration régionale Kativik.
Selon la chercheure Lucie Lemonde de l’Université du Québec à Montréal, la population
carcérale québécoise a bondi de 11 % entre 2012 et 2014, sans que soit augmentée d’autant la
capacité d’hébergement des prévenus et détenus dans les établissements. « La hausse du taux
d’incarcération au Canada est l’une des conséquences de l’adoption en 2012 de la Loi fédérale
sur la sécurité des rues et des communautés : augmentation des peines minimales, élimination
des peines avec sursis pour un nombre important de délits, augmentation du temps d’épreuve
16 – Mémoire pour la Commission d’enquête
sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec
avant l’admissibilité aux libérations conditionnelles, durcissement des peines à l’égard des
jeunes contrevenants et augmentation du recours à la détention préventive pour les personnes
en attente de procès8 ». La politique fédérale conservatrice est donc aussi en cause.
Les agentes et agents de la paix s’expliquent la forte présence autochtone parmi la population
carcérale par trois principaux déclencheurs menant au délit et à la détention des Autochtones :
la toxicomanie, la violence domestique et la pauvreté. Selon eux, et cela est confirmé par la
recherche9, des facteurs systémiques tels que l’histoire coloniale et le manque chronique de
ressources dans les domaines de la santé mentale, la santé reproductive, l’emploi, la
toxicomanie, la violence sexuelle et conjugale et le logement, expliquent en grande partie
l’incidence élevée de la criminalité et les chances d’être victime d’un acte criminel chez les
Autochtones – qui sont d’ailleurs considérés par nos membres beaucoup plus paisibles que la
moyenne de la population carcérale.
Toujours selon nos membres, ces facteurs systémiques peuvent expliquer la surreprésentation
autochtone dans la population incarcérée, mais peut-être aussi les conditions déficientes de leur
détention.
Le manque d’investissement dans les infrastructures, dans la formation et l’emploi de
personnel, dédiés principalement à ces clientèles, est flagrant même plus de deux ans après les
recommandations faites par le Protecteur du Citoyen. Selon nos membres, « l’opinion publique
pense que les conditions de détention sont bonnes, les médias colportent ce type de message et
les politiciens ne les détrompent pas ».
Le manque de vols nolisés entre le Nunavik et Montréal, et entre le Nunavik et l’Abitibi,
explique en partie, lui aussi, la surpopulation des infrastructures dans les villages du nord. Mais
même s’il y a maintenant plus de vols en provenance d’Amos pour ramener au Nunavik des
personnes libérées ou aller chercher des personnes venant d’être arrêtées, cela ne suffira pas à
régler les problèmes.
D’une part, parce que l’ouverture du nouvel établissement d’Amos où devaient être regroupés
tous les Inuits incarcérés, hommes et femmes, comme le préconisait le Protecteur du citoyen,
est sans cesse reportée pour d’obscures raisons. D’autre part, parce qu’il semble qu’à la toute
dernière minute, le ministère et les responsables de Kativik ont écarté l’hypothèse de ce
regroupement – apparemment faute d’espace suffisant, encore une fois! – et ont plutôt choisi
de séparer la clientèle inuite pour la garder sur trois sites différents.
Le nouveau scénario serait de regrouper les hommes prévenus ou ayant reçu une courte
sentence dans le futur établissement d’Amos, de garder les hommes ayant reçu une sentence
plus longue à St-Jérôme et de garder les femmes, prévenues et détenues, dans la région
métropolitaine. Ceci impliquerait donc la poursuite d’un va-et-vient important du Nunavut vers
8 Claude GAUVREAU, « Derrière les barreaux », (Entrevue avec la professeure Lucie Lemonde), Actualités UQAM, 4
avril 2017. [En ligne] [//www.actualites.uqam.ca/2017/droits-detenus-reculs-majeurs-selon-lucie-lemonde] 9 Jillian BOYCE, « La victimisation chez les Autochtones au Canada, 2014 », Juristat, Statistiques Canada, no. 85-002-
X au catalogue, [En ligne] 2016 [www150.statcan.gc.ca/n1/pub/85-002-x/2016001/article/14631-fra.htm]
Julia POSCA, « Portrait des inégalités socioéconomiques touchant les Autochtones au Québec », Série Paul-Bernard,
IRIS,. [En ligne] 2017 [https://iris-
recherche.s3.amazonaws.com/uploads/publication/file/Note_Ine_galite_s_4_WEB_02.pdf]
Mémoire pour la Commission d’enquête
sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec – 17
Amos et Dorval (et vice versa), par voie aérienne, et de Dorval à St-Jérôme, ainsi que de St-
Jérôme à Amos (et vice versa), par voie terrestre!
Dans l’hypothèse où ce nouveau scénario est maintenu, le ministère de la Sécurité publique
« voit moins l’intérêt de la mise en place de cette liaison aérienne10 ». De son côté, le Protecteur
du citoyen suspendrait sa recommandation de regrouper tous les Inuits au futur établissement
d’Amos et demanderait plutôt aux partenaires concernés « d’identifier et de mettre en place
des moyens pour réduire au minimum les transports difficiles 11 ».
En attendant, la surpopulation dans les quartiers cellulaires et postes de police du Nunavik se
maintient, à défaut d’un nombre suffisant de liaisons aériennes, et ce, surtout si les
comparutions de la cour itinérante ne sont pas terminées avant que l’avion ne retourne – malgré
toute la bonne volonté possible de la part des pilotes.
De l’avis de nombre d’observateurs, l’organisation des comparutions en cour est déficiente, ce
qui retarde le transfert aérien de certains prévenus vers le sud et contribue à engorger les
infrastructures. Par contre, s’ils pouvaient comparaître plus tôt dans la journée, avant
l’audience de personnes en libération conditionnelle ramenées au Nunavik, les prévenus
pourraient être transférés au sud le jour même plutôt que de demeurer sur place jusqu’au
prochain vol.
Sur la Côte Nord aussi, les policiers ne veulent pas faire d’aller-retour pour les personnes en
liberté conditionnelle. Ils devancent donc la comparution des personnes qu’ils accompagnent
à la cour et les détenu-es de l’établissement carcéral comparaissent en dernier, en fin de journée.
Par ailleurs, il semble aussi manquer d’agents de liaison dans certaines régions : par exemple,
l’horaire de travail d’une agente de liaison peut parfois atteindre 80 ou 100 heures par semaine,
car en fin de journée elle doit remplir tous les papiers et faire les contacts nécessaires selon les
sentences.
Recommandations
1.1 Procéder sans délai à l’agrandissement du quartier cellulaire de Puvirnituq, en
discussion depuis 2014, comme recommandé par le Protecteur du citoyen,
annoncé dans le Plan d’action du ministère de la Sécurité publique et prévu au
Plan québécois des infrastructures;
1.2 Mettre en œuvre des solutions durables aux problèmes d’approvisionnement en
eau, de salubrité, de conciergerie, d’équipements sanitaires et d’entretien de la
cour, particulièrement à Puvirnituq où le va-et-vient continuel exige du personnel
d’entretien à temps plein et des désinfections régulières des lieux de garde et des
cellules;
10 LE PROTECTEUR DU CITOYEN, Appréciation du suivi des recommandations du Rapport spécial du
Protecteur du citoyen, Les conditions de détention, l’administration de la justice et la prévention de la criminalité au
Nunavik (2016), Québec, le 15 juin 2018. [En ligne]
[https://protecteurducitoyen.qc.ca/sites/default/files/pdf/rapports_speciaux/tableau-appreciation-suivis-rapport-
conditions-detention-nunavik.pdf] 11 Idem.
18 – Mémoire pour la Commission d’enquête
sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec
1.3 Procéder à l’ouverture immédiate du nouvel établissement d’Amos de manière à
héberger correctement et dignement les détenus masculins, inuits et autochtones,
et rendre compte publiquement des causes de ce retard;
1.4 Créer rapidement le nombre de places additionnelles requises pour héberger
correctement et dignement les hommes inuits, prévenus ou effectuant de courtes
sentences, préférablement en centre résidentiel communautaire ou en centre de
transition, au Nunavik ou ailleurs, s’il est désormais exclu de les héberger au
nouvel établissement d’Amos;
1.5 Procéder à la rénovation de la Maison Tanguay d’ici le printemps 2020, et
effectuer les travaux et aménagements essentiels à l’établissement Leclerc d’ici
la mise en chantier, incluant le traitement des eaux grises de l’établissement;
1.6 Créer rapidement les places d’hébergement requises pour héberger correctement
et dignement les femmes inuites, prévenues ou détenues, en centre résidentiel
communautaire au Nunavik, en secteur réservé pour elles dans un établissement
de détention pour femmes ou en centre de transition autochtone, selon les cas,
s’il est désormais exclu de les héberger au nouvel établissement d’Amos;
1.7 Mettre en œuvre le Plan d’action concernant les options possibles afin de mieux
distinguer les situations et les types de clientèles prévenues et détenues à
Puvirnituq, mais aussi à Amos, New Carlisle, sur la Côte-Nord, à Hull, à St-
Jérôme;
1.8 Transférer certains détenu-es plus rapidement, en s’assurant que le ministère de
la Justice traite des dossiers différemment, modifie l’ordre des comparutions et
recrute davantage d’agentes et agents de liaison;
1.9 Mettre en œuvre les recommandations du Plan d’action concernant le recours à
la visioconférence à Kuujjuaq et Puvirnituq, au moins pour l’appel du rôle, pour
éviter les transports vers des infrastructures surpeuplées et le manque de place
sur les vols. L’échéance fixée par le ministère de la Sécurité publique était l’hiver
2016.
Mémoire pour la Commission d’enquête
sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec – 19
Enjeu 2 : Droits fondamentaux et dits résiduels
L’incarcération implique, par définition, la suspension du droit fondamental à disposer de soi-
même. Cependant, les autres droits de la personne subsistent sous une forme différente lors
d’une incarcération et ces droits dits résiduels des personnes incarcérées sont tout aussi
fondamentaux que les droits des personnes en liberté.
« En 1980, la Cour suprême du Canada a pris deux décisions importantes en déclarant que les
personnes emprisonnées devaient conserver tous leurs droits civils, à l’exception des
restrictions inhérentes à l’emprisonnement, et que la règle de droit devait régner à l’intérieur
des prisons », rappelle la professeure Lucie Lemonde.12
Dit autrement, les prévenu-es et les détenu-es demeurent protégés par tous les droits humains
internationalement reconnus et figurant dans nos chartes québécoise et canadienne des droits
et libertés, sauf le droit de circuler librement. « La Cour l’a bien dit en 2002, ajoute Lucie
Lemonde, les droits constitutionnels ne sont pas un privilège et ne peuvent être accordés
uniquement aux citoyens vertueux, mais à tous ceux qui appartiennent à la société
canadienne ».
À l’heure actuelle, plusieurs de ces droits dits résiduels ne sont pas respectés dans le cas des
personnes autochtones incarcérées, particulièrement en ce qui concerne la population inuite.
Selon l’information dont disposent nos membres, les droits qui sont en cause concernent les
questions suivantes :
Représentation juridique : Étant donné la distance et les multiples transferts auxquels sont
soumis les Autochtones, ceux-ci n’ont souvent pas accès à la représentation juridique dans les
3 jours suivant leur arrestation, telle que le prescrit la loi. Par la suite, les services de l’aide
juridique semblent inadéquats et difficiles d’accès.
Confidentialité : Faute d’interprètes en inuktitut ou simplement en anglais, le personnel (agents
de la paix, personnel médical, agents de libération, etc.) fait le plus souvent appel à des
codétenus ou des collègues pour agir en tant qu’interprètes, ce qui constitue non seulement un
bris de confidentialité, mais aussi des risques d’erreur, de malentendus ou de malveillance.
Droit à l’information : Faute d’interprètes indépendants et compétents, et faute de documents
traduits vers l’anglais et l’inuktitut, des prévenu-es et des détenu-es sont parfois privés
d’information importante à laquelle ils ont droit.
Plaintes : Faute de formulaires en anglais ou en inuktitut et d’accès à un téléphone
gratuitement, les personnes autochtones ne sont souvent pas en mesure de porter plainte en cas
de violation de leurs droits si tant est qu’elles aient pu se rendre compte de violations, le cas
échéant.
Protecteur du citoyen : De même, ils n’ont pas toujours accès aux services du Protecteur du
citoyen, faute d’accès à un téléphone gratuitement ou même au numéro de téléphone à
12 Claude GAUVREAU, « Derrière les barreaux », (Entrevue avec la professeure Lucie Lemonde), Actualités UQAM,
4 avril 2017. [En ligne] [www.actualites.uqam.ca/2017/droits-detenus-reculs-majeurs-selon-lucie-lemonde]
20 – Mémoire pour la Commission d’enquête
sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec
composer (à Puvirnituq, la feuille l’indiquant est constamment arrachée du mur; à St-Jérôme
les panneaux vissés aux murs n’indiquent pas le bon numéro).
Soins médicaux : Faute de services médicaux disponibles en tout temps et à toute heure, ou
faute de places suffisantes dans les infirmeries sur plusieurs sites d’incarcération, les prévenu-
es et détenu-es sont privés de soins médicaux essentiels auxquels ils ont droit.
Espaces de protection : Dans plusieurs sites, il n’y a pas ou pas assez d’espace de protection,
ce qui met les prévenu-es et détenu-es en danger (personnes qui souffrent de graves troubles
mentaux, pédophiles ou autres personnes susceptibles d’être battues).
Visites des proches : Celles-ci sont autorisées pour les membres de la famille immédiate
(conjoint-e, père, mère, frère, sœur, enfants); dans les faits, elles sont limitées par la distance
et par la définition de la famille, qui exclut les grands-parents (ceux-ci sont pourtant
extrêmement importants dans la culture autochtone).
Sorties extérieures : Celles-ci doivent avoir lieu dans une cour sécurisée au moins une heure
par jour (il n’y a pas de cour à Puvirnituq et celle de Kuujuuaq est non utilisable parce que non
sécurisée).
Biens personnels : Ceux-ci sont parfois mal conservés ou perdus lors de transferts (Puvirnituq
a connu ce genre de problème jusqu’à récemment et près de 6000 détenu-es transitent chaque
année par la prison de Saint-Jérôme).
Réinsertion : De manière générale, pour promouvoir la réinsertion sociale des Autochtones, il
n’y a pas ou très peu de programmes pendant leur incarcération, bien que ce soit officiellement
le but.
Sentences : Selon plusieurs de nos membres, certaines incarcérations constituent des peines
trop lourdes et pourraient être évitées en faisant davantage appel aux rapports présentenciels
requis en vertu de l’arrêt Gladue, lequel a été confirmé par l’arrêt Ipeelee,13 et par conséquent
à des sentences réduites, suspendues, discontinuées, servies dans la communauté ou dans des
centres résidentiels communautaires.
Libération conditionnelle : De plus, la Commission québécoise des libérations conditionnelles
(CQLC) impose souvent des conditions de libération inadaptées au contexte autochtone et nos
membres voient régulièrement les détenu-es autochtones revenir en établissement pour non-
respect des conditions.
13 Dans le cadre des modifications au Code criminel présentées en 1996, le Parlement a adopté une disposition
réparatrice visant à réduire la surreprésentation des peuples autochtones dans la population carcérale au moyen de la
détermination de la peine. En avril 1999, la Cour suprême du Canada a rendu une première décision en ce sens dans
l’arrêt Gladue, l’affaire d’une femme autochtone condamnée à l’emprisonnement pour l’homicide involontaire de son
conjoint de fait. En 2012, la Cour suprême a, dans l’arrêt Ipeelee, réaffirmé son engagement envers les principes
énoncés dans Gladue, affirmant qu’il « faut absolument tenir compte des facteurs systémiques et historiques propres à
un délinquant autochtone pour s’assurer que sa peine est proportionnelle à son degré de responsabilité » et que « L’arrêt
Gladue tient compte du fait que l’emprisonnement n’est pas une bonne façon de favoriser la réinsertion sociale des
Autochtones, puisque les établissements carcéraux sont des milieux inappropriés sur le plan culturel et que les
Autochtones y sont souvent victimes de discrimination raciale ». Source : MINISTÈRE DE LA JUSTICE DU
CANADA, La lumière sur l’arrêt Gladue : défis, expériences et possibilités dans le système de justice pénale canadien,
Division de la recherche et de la statistique, septembre 2017 [En ligne]
[http://publications.gc.ca/collections/collection_2018/jus/J4-46-2017-fra.pdf]
Mémoire pour la Commission d’enquête
sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec – 21
Discrimination dans l’application des droits
Parmi les causes pouvant expliquer ces manquements, nos membres en ont identifié plusieurs,
avant de conclure qu’il y a clairement apparence de discrimination à l’endroit des Autochtones.
Bien sûr, les longues distances, l’absence de routes ou le mauvais temps font que souvent, les
délais ne sont pas respectés pour comparaître à la cour ou pour se rendre dans la prison dans
les délais prescrits. Ces difficultés logistiques ne sont toutefois pas insurmontables et tout
devrait être mis en œuvre en ce sens pour s’assurer du respect des droits de toutes et tous.
De même, les délais interminables dans l’achèvement des travaux d’infrastructure requis
depuis plusieurs années ont certainement eu des impacts négatifs sur les droits des personnes
incarcérées, mais ne peuvent nullement les excuser. Au contraire, leur tolérance constitue une
grave négligence.
Quant au manque chronique d’interprètes et de traducteurs, il est incompréhensible, d’autant
plus que le système a intérêt à éviter le non-respect des conditions et les délais de libération
conditionnelle, compte tenu des problèmes de surpopulation. Or, que fait-on, par exemple, pour
s’assurer que toutes les conditions à respecter pour être libéré sont vraiment comprises lorsque
les documents de la cour ne sont rédigés qu’en français, et qu’il n’y a pas d’interprète?
Lorsqu’un rapport disciplinaire est généré en milieu carcéral, la langue dans laquelle il est
rédigé n’est pas toujours comprise par le détenu autochtone, ce qui peut l’amener à ne pas
respecter une règle, involontairement, et ce faisant, il risque de retarder sa libération
conditionnelle. À la Commission québécoise des libérations conditionnelles (CQLC), le détenu
doit se démêler seul, avec l’agent correctionnel qui rédige le rapport et avec son agent de
probation, pour comprendre quelles sont les possibilités pour réduire sa peine. En Gaspésie, les
Micmacs n’ont pas d’interprète vers l’anglais, souvent le détenu qui comparaît à la CQLC ne
comprend rien, et il renonce à la libération conditionnelle.
D’autre part, s’il est vrai que peu d’avocats acceptent de défendre les Autochtones étant donné
les obstacles (les distances, le suivi, la difficile communication) et la lourdeur de leur tâche, les
services de l’aide juridique devraient, en principe, répondre aux besoins. Le gouvernement
pourrait embaucher davantage d’avocats pour les services d’aide juridique aux communautés
autochtones et améliorer les salaires et les conditions de travail pour assurer leur rétention.
De plus, plusieurs changements au régime de l’aide juridique doivent être apportés. Selon la
Coalition pour l’accès à l’aide juridique, dont la CSN est membre, « Aucune modernisation du
régime [de l’aide juridique] n’a été faite depuis 1996 et il serait temps d’y travailler, cette fois
de concert avec les principaux acteurs et organismes concernés. L’accès à la justice est un
objectif qui semble, sur papier et dans le discours, faire l’unanimité. Tous souhaitent une
amélioration. Il faut maintenant passer à l’action14 ».
Enfin, bien que les juges et les haut-fonctionnaires du ministère de la Sécurité publique
souffrent peut-être d’une simple méconnaissance de la jurisprudence en matière de
14 COALITION POUR L’ACCÈS À L’AIDE JURIDIQUE, Mémoire présenté à la Commission des institutions dans le
cadre de l’étude du projet de loi 168 Loi visant à favoriser l’accès à la justice et à en accroître l’efficacité, 16 avril
2018. [En ligne] 2018 [www.servicesjuridiques.org/wp-content/uploads/m%C3%A9moire-PL168-Coalition-pour-
lacc%C3%A8s-%C3%A0-laide-juridique.pdf]
22 – Mémoire pour la Commission d’enquête
sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec
surreprésentation des Autochtones dans le système judiciaire et carcéral, un jugement rendu
par le juge Richard Grenier de la Cour supérieure du Québec a récemment conclu que les
citoyens du Nunavik sont victimes de discrimination dans l’administration de la justice et que
le ministère de la Sécurité publique fait preuve de négligence (Radio-Canada, 31 août 2018).
Plusieurs des problèmes décrits ci-haut seront examinés plus en détail dans les pages qui
suivent, mais certaines recommandations doivent dès maintenant être formulées.
Recommandations
2.1 Offrir de la formation aux juges, avocats et autres salarié-es des systèmes judiciaire
et carcéral sur la surreprésentation des Autochtones dans le système judiciaire et
carcéral, sur les arrêts Gladue et Ipelee, et sur les enjeux de justice punitive et
réparatrice;
2.2 Faciliter les communications avec les avocats, en employant davantage
d’interprètes auxquels les personnes incarcérées pourraient recourir, en offrant un
accès gratuit aux appels téléphoniques avec tout conseiller juridique, en permettant
des visioconférences avec leurs clients et en réduisant le nombre de transferts que
subissent les prévenu-es et les détenu-es;
2.3 Maintenir l’équité salariale des avocats de l’aide juridique avec ceux des procureurs
de la Couronne et promouvoir ce choix de carrière auprès des étudiants du
secondaire, du collégial et des universités offrant des études de droit;
2.4 Traduire en inuktitut et en anglais tous les formulaires et documents s’adressant
aux personnes incarcérées et assurer leur disponibilité dans tous les lieux de
détention;
2.5 Produire un ou des vidéos d’information en inuktitut pour informer les Inuits
incarcérés et analphabètes de leurs droits, de leurs obligations, des règles de
l’établissement et des ressources externes à leur disposition et en assurer
l’accessibilité et la diffusion dans tous les établissements;
2.6 Fabriquer et visser une plaque au mur de tous les lieux de détention portant le (bon)
numéro de téléphone pour communiquer avec le bureau du Protecteur du citoyen;
2.7 Faire en sorte, de façon urgente, que les quartiers cellulaires de Kuujjuaq et de
Puvirnituq soient tous deux dotés d’une cour extérieure en état d’être utilisée;
2.8 Faciliter l’usage de visioconférences pour les familles résidant trop loin pour rendre
visite aux personnes incarcérées;
2.9 Mettre en œuvre immédiatement les lois, règlements, documents, plans des services
correctionnels du Québec et du ministère de la Justice du Québec visant les droits
dits résiduels des personnes incarcérées et procéder à une réforme de l’aide
juridique pour en améliorer l’accès;
2.10 Appuyer, poursuivre et intensifier la recherche, la réflexion et l’expérimentation
de système de justice alternative autochtone.
Mémoire pour la Commission d’enquête
sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec – 23
Enjeu 3 : L’éloignement et ses impacts sur la santé mentale
Identité culturelle
La détention des Autochtones dans les services correctionnels affecte la perception que les
jeunes autochtones ont d’eux-mêmes et peut contribuer à la perte de leur identité culturelle et
de leur fierté. Elle peut aussi susciter une grande colère, de l’incompréhension et le sentiment
d’avoir été injustement condamné par « la justice des Blancs ». Selon nos membres, les jeunes
Autochtones en incarcération sont coupés des liens avec leurs valeurs ancestrales, mais ils ne
se retrouvent pas davantage dans les valeurs des Blancs.
« L’arrêt Ipeelee reconnaît que les Autochtones et les non-Autochtones affichent
des conceptions extrêmement différentes "à l’égard de questions fondamentales
comme la nature de la justice et la façon de l’administrer", que ces conceptions
diffèrent également d’une collectivité à une autre et qu’un système de justice pénale
efficace tient compte de ces différences15 ».
Dans les prisons fédérales, des mesures ont été introduites pour favoriser la préservation de
l’identité culturelle des détenu-es autochtones, mais cela n’est pas fréquemment le cas dans les
établissements québécois qui accusent un certain retard en ce sens. Par exemple, en transférant
les femmes détenues à la Maison Tanguay au centre Leclerc, les femmes autochtones ont perdu
l’accès à certaines pratiques traditionnelles qui avaient été introduites à l’époque des
programmes fédéraux.
Les Inuits ont de la difficulté à vivre avec la violence ambiante dans les établissements, on les
sent dépassés, impuissants. Dans leur communauté, les Autochtones vivent parfois de la
violence, mais celle-ci est généralement causée par la consommation d’alcool et de drogues,
ou par l’état de manque. Autrement, les Inuits et les Innus, entre autres, sont généralement très
calmes, très respectueux, réservés et silencieux. En détention, certains agents croient que ce
n’est que par le langage de la violence que les détenu-es comprennent, mais ce n’est pas le cas
pour les Autochtones.
La violence entre détenus, et entre détenus et agents, renforce les sentiments d’aliénation, de
frustration et d’oppression. Au fil du temps, à force de côtoyer les criminels en cellule, les
comportements de certains Autochtones se sont transformés. Selon nos membres, éviter la
cohabitation des Inuits avec les Blancs ou avec les membres des « gangs de rue » permet
d’éviter des conflits. Il faut également tenir en considération qu’il y a aussi des conflits entre
nations autochtones.
Mais la détresse précède la détention, selon nos membres, qui croient que la culture des
Autochtones a été détruite au fil de l’histoire. « Leur exclusion dans des réserves, leur
expérience dans les pensionnats pour sortir l’Indien de l’Indien, c’est tout ça qui est en cause »,
explique un autre. En isolant les enfants des parents dans les pensionnats, les enfants devenus
15 MINISTÈRE DE LA JUSTICE DU CANADA, La lumière sur l’arrêt Gladue : défis, expériences et possibilités
dans le système de justice pénale canadien, Division de la recherche et de la statistique, septembre 2017. [En ligne]
[http://publications.gc.ca/collections/collection_2018/jus/J4-46-2017-fra.pdf]
24 – Mémoire pour la Commission d’enquête
sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec
adultes n’ont pas eu de modèle pour être eux-mêmes parents. Ces traumatismes se
transmettent…
Distance et isolement
La distance et l’isolement de leur famille pour les femmes en détention, particulièrement avec
leurs bébés ou jeunes enfants, ne contribuent pas à la réinsertion des détenus et affectent
particulièrement les femmes incarcérées.
Dans certains cas, il peut n’y avoir qu’un détenu autochtone dans un secteur donné. « Pour le
détenu, le fait de ne pas pouvoir communiquer avec d’autres, d’être loin de leur famille, cela
génère de la détresse psychologique », expliquent nos membres, qui constatent la différence
avec les non-Autochtones qui reçoivent des visiteurs.
Or, contrairement aux prisons fédérales, il n’y a ni psychologues ni travailleurs sociaux dans
les services correctionnels québécois. Possiblement parce que les peines sont plus courtes,
croient nos membres, « mais dans les faits, certains Autochtones passent beaucoup de temps
chez nous parce qu’ils reviennent souvent ».
Des ressources autochtones externes existent, mais nos membres ne les connaissent pas, ou
mal, et ne peuvent donc pas adéquatement diriger les détenu-es vers celles-ci. Par exemple, le
programme Justice Crie fournit de l’appui aux détenus autochtones selon leur culture :
travailleurs sociaux, psychologues… mais les agents du centre correctionnel ne sont pas au
courant des approches adoptées et éprouvent de la difficulté à travailler avec eux.
Prévention du suicide
Les tentatives de suicide ne sont pas courantes chez les Autochtones, selon nos membres. La
prison n’est généralement pas un élément précipitant; par contre pour les Inuits, plus ils sont
isolés de leurs pairs, plus ils sont à risque. « Les détenus inuits vivent beaucoup de détresse, il
ne faut pas les laisser seuls sans leurs pairs, car personne ne parle leur langue et ils se retrouvent
alors sans repères ».
Les moyens de prévenir le suicide ne sont pas à la hauteur des besoins et des standards, et ce,
non seulement au Nunavik, comme l’a constaté le Protecteur du citoyen.
Par exemple, alors qu’il existe beaucoup de « kits » préventifs (jaquettes, matelas) au
Saguenay-Lac-Jean, il en manque toujours à St-Jérôme, qui ne dispose d’ailleurs d’aucune
cellule capitonnée. À Hull, ils ont trop de jaquettes de petite taille et ils manquent des larges;
s’il n’y a pas de jaquette qui convient, ils laissent les détenus nus. À Hull, il manque aussi de
cellule dédiée à la surveillance des suicidaires.
Au Nunavik, ils ont enfin reçu des nouveaux « kits » en quantité suffisante. Les mesures
antisuicides ne peuvent toutefois pas être appliquées; dû à la surpopulation des cellules, les
personnes à risque ne peuvent être isolées.
Malheureusement, au Nunavik et ailleurs au Québec, ce ne sont pas tous les nouveaux agents
qui ont suivi la formation pour l’intervention en cas de suicide ou de tentative de suicide.
Mémoire pour la Commission d’enquête
sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec – 25
Les femmes sont plus vulnérables
Le maintien des liens familiaux est un facteur important pour maintenir une bonne santé
mentale en détention. Mais à Montréal (ou à Laval), les femmes autochtones incarcérées sont
très isolées de leurs communautés et ne voient presque jamais leurs familles.
Elles souffrent de l’iniquité du système de carte téléphonique, dont le crédit est insuffisant pour
celles qui doivent faire des appels interurbains, car la famille et les amis sont loin.
Elles ont des difficultés de suivi avec les enfants qui sont sous la protection de la Direction de
la protection de la jeunesse (DPJ). La distance complique aussi les démarches trop longues
pour obtenir des colis (ex. vêtements).
À l’époque de la Maison Tanguay, selon nos membres, les services de psychologues,
travailleurs sociaux, psychiatres, médecins étaient disponibles et en majeure partie payés par
le gouvernement fédéral. Lorsque celui-ci a ouvert le pénitencier de Joliette, ces services ont
été coupés à Tanguay où ne se retrouvaient plus que les prévenues et détenues du provincial.
Maintenant, il n’y a que des visites occasionnelles d’un médecin et d’une travailleuse sociale
du CLSC, mais ce ne sont pas des salarié-es du ministère de la Sécurité publique, et ils n’ont
pas de bureau sur place.
Pourtant, plus vulnérables à la dépression, les femmes ont plus d’idées suicidaires et sont plus
susceptibles de passer à l’acte, particulièrement si elles sont isolées au sein même de
l’établissement. Selon nos membres, il y a eu plus d’incidents suicidaires en trois ans au centre
Leclerc que dans les 25 années précédentes à Tanguay (10 incidents en 3 ans, dont 4 ou 5
Inuits).
L’isolement de certaines femmes autochtones incarcérées est aggravé par le fait que très peu
de codétenues parlent anglais d’une part, alors que nombre d’Autochtones ne parlent pas
français. De plus, chez les femmes inuites, la plupart ne parlent ni l’anglais ni le français.
Incapables de communiquer autrement qu’en inuktitut, elles vivent une solitude immense qui
pèse lourdement sur leur santé mentale.
Recommandations
3.1 Créer un secteur, « comme un petit village », réservé aux Inuits dans les
établissements où ils se trouvent, où ils participeraient aux programmes et où le
centre leur permettrait de structurer leur mode de vie;
3.2 Favoriser l’intégration (et le maintien) de pratiques culturelles traditionnelles dans
les services correctionnels québécois. Par exemple :
- tenir une cérémonie rituelle dans la salle autochtone du centre;
- avoir des visites régulières d’une intervenante de la communauté au centre;
- offrir de la viande de phoque de temps à autre aux détenu-es inuits;
- installer un tipi ou une tente de sudation pour certaines pratiques ancestrales sur
le site du centre;
26 – Mémoire pour la Commission d’enquête
sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec
- donner des permissions de sortie pour permettre d’exercer des coutumes
spirituelles ancestrales à proximité; etc.;
3.3 Utiliser les visioconférences et les courriels pour les contacts familiaux et les
contacts avec les travailleurs sociaux et intervenants communautaires;
3.4 Élargir aux grands-parents le droit de visite de tous les détenu-es;
3.5 Offrir gratuitement des conversations téléphoniques (fixes et cellulaires) aux
détenu-es qui n’ont pas les moyens de communiquer avec leur famille vu le coût
des appels interurbains;
3.6 Favoriser des ententes entre les services correctionnels et les services sociaux et
organismes communautaires qui œuvrent auprès des autochtones, afin qu’ils
offrent des services de soutien aux détenu-es autochtones qui souffrent de
l’isolement;
3.7 Ne pas oublier la réinsertion, valoriser les interactions et appuyer le travail du
personnel en ce sens;
3.8 Utiliser l’expérience du personnel de Tanguay avec la clientèle des femmes pour
concevoir un programme de formation continue pour le personnel masculin et tout
nouveau membre du personnel;
3.9 Créer davantage de places en psychiatrie adaptée pour les clientèles concernées
afin qu’elles ne se retrouvent pas incarcérées n’importe où;
3.10 Renforcer la capacité d’accueil des centres de transition (centres résidentiels
communautaires, détention adaptée aux femmes, etc.).
Mémoire pour la Commission d’enquête
sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec – 27
Enjeu 4 : Des relations compliquées avec le personnel
Barrière linguistique
Les relations avec le personnel des établissements de détention sont compliquées par le fait que
presque personne ne parle anglais, alors que nombre d’Autochtones ne maîtrisent pas bien le
français ni l’anglais. C’est surtout le cas parmi les Anciens qui sont souvent peu alphabétisés
et parmi les Inuits qui n’ont pas eu accès à l’éducation en français jusqu’à récemment.
En fait, la majorité des Inuits ne parlent ni anglais ni français16 et ne peuvent donc
communiquer autrement qu’en inuktitut. Or, la majorité des agents ne parlent que le français
et ceux qui sont bilingues ne sont ni valorisés, ni bien utilisés. Il n’y a pas d’incitatifs pour la
formation linguistique ni de prime au bilinguisme. Et les services correctionnels provinciaux,
contrairement aux fédéraux, ne disposent pas d’interprètes.
Cette complète absence d’interprètes traduit l’indifférence totale du système carcéral à l’égard
des Inuits et des Premières Nations, mais aussi à l’endroit du personnel qui doit travailler avec
une incessante et insurmontable barrière dans la communication avec les Autochtones
incarcérés.
La mauvaise compréhension de ce qui se passe, d’un côté comme de l’autre, génère de la
méfiance, car cela soulève aussi des enjeux sécuritaires. Parfois, l’incompréhension mène à
l’hostilité. Comme il est difficile d’expliquer les règles de fonctionnement du centre à leur
arrivée, les détenu-es autochtones apprennent les règles par imitation ou avec un pair
autochtone. Les agents communiquent par geste, le ton peut monter, surtout après un troisième
avertissement. Les Autochtones semblent ne pas comprendre et des agents se demandent s’ils
veulent vraiment comprendre, souvent sans savoir qu’ils sont véritablement incapables de
comprendre le français.
Une telle situation est inadmissible. Bien sûr, les agents ne peuvent pas être tenus de parler
deux ou trois langues. Mais les Autochtones ont le droit de recevoir des services dans leur
langue, sans quoi leurs droits ne sont pas respectés.
La situation est préoccupante partout sur le territoire du Québec :
- À Saint-Jérôme, il existe des besoins d’interprétation pour recevoir les très nombreux détenus
inuits venant d’Amos, et parfois rien n’est planifié à cet égard pour y répondre sur les lieux;
- À Amos, un détenu inuit en rencontre avec le psychiatre doit faire appel à un autre détenu
pour faire l’interprétation, et pourtant le contenu doit être confidentiel;
16 Selon le recensement de 2016, la grande majorité des Inuits vivant au Nunavik (99,2 %) peuvent soutenir une
conversation en inuktitut : STATISTIQUES CANADA, Les langues autochtones des Premières Nations, des Métis et
des Inuits, no. 98-200-X2016022 au catalogue [En ligne] 2017 [www12.statcan.gc.ca/census-recensement/2016/as-
sa/98-200-x/2016022/98-200-x2016022-fra.pdf]. Selon des statistiques de 2011, la langue le plus souvent parlée à la
maison au Nunavik est l’inuktitut (85,6 %), l’anglais (7,8 %) et le français (5,7 %) : Gérard DUHAIME, Andrée CARON
et Sébastien LÉVESQUE, Le Nunavik en chiffres 2015, version de poche. Programme statistique du Nunavik, Chaire de
recherche du Canada sur la condition autochtone comparée, Université Laval, Québec. [En ligne] 2015
[www.chaireconditionautochtone.fss.ulaval.ca/documents/pdf/Nunavik-en-chiffres-vf-fr.pdf]
28 – Mémoire pour la Commission d’enquête
sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec
- À Sept-Îles, les agents font parfois appel à un interprète au palais de justice faute de ressource
dans les services correctionnels;
- À New Carlisle, des détenus refusent parfois d’être libérés parce qu’ils ont mal compris ce
qui se dit en comparution à la CQLC;
- À Leclerc, les femmes autochtones ont aussi des problèmes de communication avec les
codétenues et le personnel, à cause de la langue qui s’ajoute à d’autres difficultés;
Dans de telles conditions, comment se surprendre de la méfiance, voire de l’hostilité, que les
détenu-es autochtones éprouvent à l’égard du personnel des services correctionnels?
Situation spécifique des femmes
Les relations entre les femmes incarcérées et le personnel de l’établissement Leclerc sont
encore plus difficiles, car plusieurs sont des agents qui ont toujours travaillé avec la clientèle
masculine et qui n’ont pas été formés pour travailler avec des femmes. Et malheureusement,
beaucoup d’agentes de Tanguay n’ont pas suivi quand les détenues ont été déplacées à Leclerc.
L’expertise du personnel de la Maison Tanguay avec la clientèle féminine et avec les femmes
autochtones n’a donc pas été transférée vers le nouveau centre de détention ni vers leurs
nouveaux collègues.
Les interactions des agentes avec les détenues ne sont pas suffisamment valorisées. Pourtant,
lorsqu’elles sont possibles, celles-ci contribuent à mieux connaître les femmes et à faire de la
prévention. La longue expérience de certaines de nos membres qui travaillaient à la Maison
Tanguay peut en témoigner.
À Leclerc, les cultures organisationnelles s’entrechoquent, car les agents de la paix proviennent
de différents lieux de détention et il n’y a pas eu d’accueil, d’accompagnement et d’efforts pour
créer une nouvelle culture organisationnelle. « On ne consulte pas le personnel, on ignore leur
expérience antérieure et on ne valorise pas l’expertise auprès de la clientèle autochtone. Cela
risque fort de se reproduire dans le nouvel établissement d’Amos, quand il ouvrira, si on ne
décide pas de faire autrement ».
Diversité socioculturelle
Les interactions entre agents correctionnels et prévenus ou détenus sont souvent difficiles, mais
elles sont compliquées dans le cas des agents envers les Autochtones par le manque de
connaissances, la présence de préjugés et une perception tronquée de la réalité autochtone.
Le manque de connaissances affecte la qualité de l’interaction de la part d’un agent, ce qui peut
mener à une forte réaction d’un détenu, qui sera ensuite immobilisé, le tout dégénérant en un
conflit à son détriment, pour une durée plus ou moins longue selon le cas.
Voici quelques exemples de méconnaissance des réalités autochtones :
- La méconnaissance des conflits existant entre nations autochtones contribue aux tensions
en détention, quand, au moment de classer les prévenus dans une même cellule ou
séparément, cet aspect n’a pas été pris en compte;
Mémoire pour la Commission d’enquête
sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec – 29
- La méconnaissance des traditions des nations autochtones peut créer des conflits si un aîné
qui est venu avec ses objets sacrés a été fouillé sans égards, ou si un agent veut enlever le
capteur de rêves au-dessus du lit du détenu;
- La méconnaissance des codes culturels les plus simples, comme le fait que les Autochtones
ne regarderont pas un agent dans les yeux, peut mener l’agent à y voir un signe suspect sans
raison;
- La méconnaissance des approches autochtones en matière de justice, dont leur façon
informelle d’intervenir et de témoigner, peut empêcher de comprendre les raisons pour
lesquelles un détenu autochtone agit de manière inadaptée dans le contexte du système
pénal québécois et canadien;
- La méconnaissance du personnel carcéral concernant les causes historiques et systémiques
des réalités autochtones contemporaines, peut limiter leur compréhension des défis aux
seuls facteurs culturels.
Selon nos membres, les agents ne savent pas ce qui est sacré ou sensible, ils l’apprennent quand
leurs collègues les renseignent, souvent après un incident qui aurait pu être évité. La culture
autochtone, les agents l’apprennent « sur le tas ».
Bref, la présence de préjugés et la méconnaissance des réalités et des cultures autochtones au
sein de la population québécoise affectent donc aussi les agents – et pour le moment, rien de
visible n’est fait pour remédier à cette situation.
Très peu d’agents des établissements concernés ont reçu de la formation sur l’histoire et la
culture des communautés autochtones, ou encore sur le traumatisme transgénérationnel des
effets du colonialisme, comme les pensionnats. Ceux qui ont reçu un peu de formation
pertinente l’ont obtenue dans d’autres fonctions. Il existe maintenant de la sensibilisation sur
les différences culturelles dans le programme d’études, mais celui-ci n’aborde pas comment
cela affecte l’intervention.
Il ne semble pas exister de formation sur les ressources et organismes autochtones vers lesquels
les agents pourraient diriger les détenu-es pour obtenir de l’aide ou préparer leur réinsertion
dans la communauté. Rien non plus ne semble offert en matière de communication
interculturelle, encore moins en médiation interculturelle. Pourtant, ce sont nos membres, en
étant constamment en interaction avec les personnes incarcérées, qui devraient être les mieux
outillés en ce sens. La majorité ne sait pas si quoi que ce soit est présentement offert au sein
des services correctionnels dans le but de parfaire leurs compétences.
Enfin, les conditions de travail et salariales peu compétitives en regard du fédéral, et le manque
de valorisation de la profession par le gouvernement, contribuent aux difficultés à rehausser la
qualité des interactions et interventions professionnelles de certains agents.
Sous-représentation des Autochtones dans le personnel
Compte tenu de la surreprésentation des Autochtones dans la population incarcérée, la faible
représentation du personnel autochtone dans les services correctionnels est déplorée, malgré
les bénéfices apparents lorsqu’ils sont présents, selon nos membres. En effet, alors que la
30 – Mémoire pour la Commission d’enquête
sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec
population autochtone du Québec a connu une croissance phénoménale de 66,1 % entre 2006
et 201617 et qu’elle représente 6,5 % de la population carcérale, sa très faible présence au sein
des effectifs des services correctionnels n’a pas augmenté, bien au contraire, passant de 0,9 %
en 2010 à 0,7 % en 201818.
Personnes autochtones dans l’effectif régulier Agents de la paix 2010 2012 2014 2018
nombre % nombre % nombre % nombre %
Autochtones 30 0,9 30 0,9 25 0,7 25 0,7
Non-autochtones 2 732 82,8 2 762 82,5 3 005 83,8 3 190 85,0
Indéterminé 537 16,3 554 16,6 554 15,5 536 14,3
Total 3 299 100 3 346 100 3 440 100 3 751 100
Source : Secrétariat du Conseil du trésor, L’effectif de la fonction publique du Québec, éditions 2013-2014 et 2017-2018
Cela est surprenant quand nous considérons que globalement, la fonction publique a obtenu de
très bons résultats19 en ce qui concerne l’augmentation de la représentation des minorités
culturelles au sein de ses effectifs20 qui a doublé pendant la même période, passant de 5,3 % en
2010 à 10,3 % en 2018 selon les données du Conseil du trésor sur les effectifs de la fonction
publique21.
Cette stagnation dans les effectifs autochtones pourrait se justifier par toutes sortes de raisons,
incluant le taux élevé de décrochage scolaire avant l’obtention du diplôme de secondaire V,
rendant difficile l’accès à une formation collégiale, ou d’autres facteurs.
Il nous semble cependant qu’il existe divers moyens pour susciter un plus grand intérêt pour la
profession auprès des Autochtones, incluant les programmes d’accès à l’égalité en emploi
(PAE), le désir de servir les membres des communautés autochtones, et l’offre de formation.
Combinés aux autres stratégies visant l’amélioration des services linguistiques, des aptitudes
de communication et des connaissances, ces moyens permettraient d’améliorer les relations
entre la clientèle autochtone et le personnel des services correctionnels.
17 STATISTIQUE CANADA, « Population ayant une identité autochtone selon les deux sexes, total – âge, répartition
en % (2016), Canada, provinces et territoires », Recensement, produit no 98-402-X2016009 au catalogue de Statistique
Canada, 25 octobre 2017. [En ligne] [www12.statcan.gc.ca/census-recensement/2016/dp-pd/hlt-fst/abo-
aut/Tableau.cfm?Lang=Fra&T=101&S=99&O=A] 18 SECRÉTARIAT DU CONSEIL DU TRÉSOR, L’effectif de la fonction publique du Québec, éditions 2013-2014 et
2017-2018. [En ligne] [www.tresor.gouv.qc.ca/fileadmin/PDF/effectif_fonction_publique/1718/effectif_1418.pdf] et
[www.tresor.gouv.qc.ca/fileadmin/PDF/effectif_fonction_publique/effectif13_14.pdf] 19 SECRÉTARIAT DU CONSEIL DU TRÉSOR, Accès à l’égalité en emploi au sein de la fonction publique
québécoise, Bilan des programmes et des mesures 2003-2003 à 2011-2012, Gouvernement du Québec, juin 2013. [En
ligne] [www.tresor.gouv.qc.ca/fileadmin/PDF/programmes_mesures/bilan_programmes_mesures_2002-2012.pdf] 20 « Depuis la mise en place du Programme d’accès à l’égalité de la fonction publique en 2004-2005, le taux de personnes
se définissant comme provenant d’une communauté culturelle à l’emploi de la fonction publique est passé de 2,4 % des
effectifs à 9,4 %, démontrant la réussite de ce type d’approche. » Bertrand SHEPPER, Politiques d’inclusion dans la
fonction publique : État de la situation, Fiche socioéconomique de l’IRIS, no.12, mai 2018. [En ligne] [https://cdn.iris-
recherche.qc.ca/uploads/publication/file/2018-fonction-publique-WEB.pdf] 21 Op. cit.
Mémoire pour la Commission d’enquête
sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec – 31
Recommandations
4.1 Reconnaître et valoriser l’importance des langues maternelles dans la construction
d’une identité positive, qu’elle soit autochtone ou québécoise;
4.2 Fournir aux Inuits l’accès à un service d’information basé sur l’expérience crie;
4.3 Traduire un maximum possible de documents destinés aux personnes incarcérées
(ex. : le formulaire de plainte qui a récemment été traduit en inuktitut);
4.4 Produire des vidéos explicatifs pour l’accueil, les règles, le processus judiciaire,
etc. dans chacune des langues autochtones;
4.5 Porter une attention particulière aux services d’interprétation dans les services
d’infirmerie, consultation médicale ou psychiatrique, aide juridique, etc.
4.6 Fournir aux agents de la paix un accès à des interprètes par téléphone, par ex. : les
interprètes en inuktitut qui œuvrent dans les palais de justice et dans certains
établissements (St-Jérôme, Amos) pourraient rendre service ailleurs, à distance;
4.7 Offrir aux agents des primes au bilinguisme et autres incitatifs pour apprendre une
seconde langue;
4.8 Remplacer les agents appelés à quitter leur poste pour agir comme interprètes afin
d’aider des collègues;
4.9 Recruter davantage de personnel autochtone et métis dans les régions où il existe
une forte présence autochtone;
4.10 Encourager le syndicat et ses membres à jouer un rôle actif auprès de l’employeur
en ce qui concerne l’application du Programme d’accès à l’égalité (PAE) et de son
volet autochtone;
4.11 Assurer une meilleure coordination entre les ministères afin d’améliorer l’accès à
l’éducation des jeunes autochtones, dans la communauté et en incarcération, et les
soutenir plus particulièrement pour qu’ils terminent leurs études secondaires;
4.12 Élargir l’offre des attestations d’études collégiales (AEC) et des diplômes d’études
collégiales en Techniques d’intervention en milieu correctionnel (ou carcéral) et
en Techniques d’intervention en délinquance à des cégeps situés dans des régions
habitées par de fortes communautés autochtones, y compris à Montréal et incluant
au moins un collège anglophone;
4.13 Cibler les établissements où il y a une forte population autochtone et, selon la
nation présente, intégrer des contenus sur l’histoire et la culture de cette nation en
particulier dans la formation AEC offerte dans la région, en examinant comment
cela affecte l’intervention;
4.14 Valoriser la profession et rehausser les conditions de travail, les salaires et les
standards attendus en regard des relations avec les Autochtones, les femmes et les
membres d’autres groupes de la diversité;
32 – Mémoire pour la Commission d’enquête
sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec
4.15 Sensibiliser le personnel sur les réalités autochtones de façon générale par divers
moyens (accès à de l’information via internet, jumelages, publicisation des
formations et outils disponibles);
4.16 Introduire et maintenir de la formation continue pour les agentes et agents
(obligatoire dans certains établissements et volontaire ailleurs, avec des incitatifs),
afin de :
- favoriser une meilleure connaissance de l’histoire et des réalités autochtones
et de leurs impacts systémiques;
- développer des compétences de communication interculturelle;
- cultiver une meilleure interaction avec les Autochtones en détention;
- assurer le respect des personnes et des traditions, tout en assurant aussi la
sécurité dans les établissements;
4.17 Favoriser l’apprentissage de l’anglais et de l’inuktitut auprès des agents en poste
dans les établissements les plus concernés;
4.18 Assurer le remplacement obligatoire des agents absents de leur poste pour suivre
une formation, afin de ne pas décourager la participation (comme c’est le cas
pendant le 2e niveau de la prévention du suicide);
4.19 Miser davantage sur l’expérience des agentes et agents métis qu’on ne le fait
actuellement pour faire de la médiation culturelle. Plusieurs travaillent dans le
milieu (y compris certaines des personnes consultées).
Mémoire pour la Commission d’enquête
sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec – 33
Enjeu 5 : Peu de moyens pour la prévention et la réinsertion
Accompagnement vers la réintégration
Les détenu-es autochtones font face à plusieurs difficultés après leur peine, auxquelles les
agents pourraient mieux les aider à se préparer durant leur détention : la compréhension du
système de la justice, les règles à respecter après une libération conditionnelle, les longues
distances à parcourir pour se présenter en cour continuellement, le retour auprès des amis et de
la famille qui représente peut-être un potentiel de récidive, les difficultés à trouver un logement
et du travail s’ils souhaitent demeurer en ville…
Contrairement aux pénitenciers fédéraux, il n’existe pas de suivi psychosocial auprès des
détenu-es autochtones dans les établissements québécois. Les personnes incarcérées se
tournent donc vers les agentes et agents de la paix pour obtenir de l’information. Or, le
personnel est insuffisamment préparé pour les orienter vers les recours qui existent hors des
services correctionnels.
Outre l’absence de formation continue sur l’histoire et la culture autochtone, nos membres nous
ont fait part de leur méconnaissance des ressources au service du milieu autochtone, dans les
communautés ou à proximité, ainsi que des organismes communautaires en milieu urbain.
Il existe pourtant des moyens, selon nos membres, pour tenter d’échapper aux principaux
éléments déclencheurs du retour sur la voie de l’incarcération : la toxicomanie, la violence et
la pauvreté. Selon eux, il existerait une foule de ressources externes, de programmes et de
maisons de transition autochtones : des informations non relayées aux agents. Par le bouche-à-
oreille, on croit savoir qu’un centre accepte les personnes de telle nation, mais pas de telle
autre.
Par exemple, le centre Waseskun22 est une maison de transition adaptée, un centre de guérison,
mais il est méconnu dans le milieu des agents. Un autre centre du même genre dans le Grand
Nord est demeuré fermé pendant de longues années, et croit-on, il peine encore à redémarrer
pleinement. On ne sait pas trop s’il en existe ailleurs, ni où, le cas échéant23.
Il y aurait plusieurs autres services psychosociaux offerts par les organismes autochtones : le
Programme Ungaluk24 qui aide les détenus inuits; le système de justice crie25 qui s’adresse à la
nation crie; et Makituatik26, le seul CRC du Grand Nord. Cependant, il n’y a pas d’échange
d’information avec les agents de la paix qui interagissent quotidiennement avec les détenu-es.
22 Centre de Guérison Waseskun. [En ligne] [www.waseskun.net] 23 Selon le site du Ministère de la Sécurité publique, il existerait 24 centres résidentiels communautaires au Québec.
[En ligne] [www.securitepublique.gouv.qc.ca/services-correctionnels/bottins/centres-residentiels-
communautaires.html] 24 « Le Programme Ungaluk pour des collectivités plus sûres a été créé en février 2007 dans le cadre de l’Entente de
partenariat sur le développement économique et communautaire au Nunavik (Entente Sanarrutik) conclue par le
gouvernement du Québec, la Société Makivik et l’Administration régionale Kativik (ARK). » [En ligne]
[www.makivik.org/fr/actuellement/programme-ungaluk/] 25 Une foule de services, fonds et programmes sont administrés par le Département de la Justice et des Services
correctionnels du Gouvernement de la nation crie. [En ligne] [www.creejustice.ca/index_fr.html] 26 Bien qu’il a été rouvert en 2017, Makitautik ne fonctionne qu’à 50 % de ses capacités : [http://makitautikcrc.ca/]
34 – Mémoire pour la Commission d’enquête
sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec
Ce manque d’information rend presque impossible toute forme de collaboration entre nos
membres et les responsables de ces programmes et services aux Autochtones. La coopération
entre le système carcéral et les réseaux autochtones est très faible, voire inexistante, et les
établissements de détention déprécient souvent leurs pratiques sans même les connaître.
Selon nos membres, ceci contribue au fait que des personnes détenues pour une courte peine
ou libérées sous conditions reviennent souvent rapidement en établissement carcéral, soit parce
qu’elles n’ont pas respecté les conditions, soit parce qu’elles n’ont pas eu accès aux services
leur permettant d’éviter une récidive.
Dans les faits, malgré l’arrêt Gladue de 1999 visant à contrer les conséquences des détentions
dans des milieux carcéraux qui ne parviennent pas à offrir des services adéquats ni à assurer
leur réintégration, les Autochtones continuent d’y être surreprésentés et détenus pendant de
trop nombreuses années.
Recommandations
5.1 Continuer de favoriser la recherche et l’expérimentation de solutions de rechange
spécifiques aux Autochtones, en matière de prévention, suivi et réintégration;
5.2 Accélérer la mise en œuvre de la recommandation du Protecteur du citoyen
concernant la réouverture et la pleine utilisation du seul Centre résidentiel
communautaire (CRC) du Grand Nord, Makitautik.
5.3 Mettre en œuvre rapidement la recommandation du Protecteur du citoyen visant à
produire des capsules vidéo visant à informer les détenu-es de leurs droits et de
toutes les étapes du processus judiciaire – et ce, en français, anglais et inuktitut;
5.4 Tenir dans les établissements des foires de l’emploi et des ressources
communautaires destinées aux détenu-es;
5.5 Organiser des échanges annuels d’information avec le personnel des
établissements sur les programmes autochtones vers lesquels orienter la clientèle
au cours de leur détention et après;
5.6 Inclure des intervenants autochtones dans les programmes de conférences; faire
des projections de films (ex : « Waseksun » de Steve Patry, « Ce silence qui tue »
de Kim O’Bonsawin); organiser des échanges ou autres activités destinés au
personnel du milieu carcéral, offerts par les services professionnels, le syndicat,
etc.;
5.7 Mettre en œuvre le Plan d’action concernant « la possibilité de concevoir une
approche concertée fondée sur les principes de l’arrêt Gladue et tenant compte des
particularités de la réalité autochtone »;
5.8 Accroître la concertation entre les autorités du Nunavik et le gouvernement du
Québec en matière de prévention de la criminalité et de la judiciarisation,
notamment à travers la mise en œuvre immédiate de la recommandation du
Protecteur du citoyen concernant les initiatives Ungaluk et Saqijuq.
Mémoire pour la Commission d’enquête
sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec – 35
Conclusion
Entre l’arbre et l’écorce
Alors que les nations autochtones se font de plus en plus actives dans la défense de leur droit
de se gouverner elles-mêmes et de se doter de leurs propres services, le gouvernement du
Québec est très lent à réagir en ce sens, non seulement en matière de justice, mais aussi de
protection de l’enfance, de lutte contre la violence faite aux femmes, etc.
Les détenu-es et les agents correctionnels sont donc pris entre l’arbre et l’écorce de ces volontés
politiques contradictoires. À preuve :
- Malgré l’Entente Sanarrutik et l’Entente sur le financement global de l’Administration
régionale de Kativik, les Inuits ne sont toujours pas en mesure d’assurer la prestation de
services correctionnels adaptés à leurs besoins et ils continuent d’être ballottés du nord au
sud de la province;
- Malgré les promesses faites concernant la détention des femmes autochtones, il aura fallu
l’intervention de plusieurs organismes extérieurs au milieu pour que des améliorations
concrètes aient lieu, et beaucoup reste encore à faire;
- L’établissement de détention d’Amos qui doit compter des services et programmes adaptés
aux Autochtones et dont le gouvernement a fait l’annonce en 2007, n’est toujours pas ouvert
en septembre 2018, malgré l’annonce du ministre Coiteux en février dernier à l’effet d’une
ouverture en août 2018;
- Plusieurs des recommandations du rapport du Protecteur du Citoyen concernant les
conditions de détention au Nunavik n’ont toujours pas été mises en œuvre plus de deux ans
après la parution de son rapport et un suivi du Plan d’action n’a été amorcé que suite à la
mission conjointe du ministère et du Syndicat des agents en services correctionnels à la fin
de 2017.
On ne peut que supposer les raisons qui pourraient expliquer le manque de vigueur dans l’action
gouvernementale à l’endroit des services de justice et de détention dédiés aux besoins
spécifiques des Autochtones. Certains parlent de racisme systémique, nous préférons parler des
effets combinés des multiples facettes du colonialisme.
S’appuyant sur les travaux d’experts qui ont souligné les solutions disparates bricolées par le
gouvernement du Québec – et du Canada aussi d’ailleurs –, nos membres déplorent l’absence
d’une stratégie au sein des services carcéraux qui soit intégrée à une stratégie socioéconomique
et politique d’ensemble à l’endroit des Autochtones. Selon le Dr Jaccoud, professeure titulaire
à l’École de criminologie de l’Université de Montréal « il est plus facile d’offrir un programme
de spiritualité dans un pénitencier que de décoloniser une société ».
Ainsi, les causes profondes d’un grand nombre de problèmes auxquels sont confrontés les
détenu-es et les agents correctionnels s’expliquent par des raisons historiques et systémiques
qui se trouvent en amont du système de justice, auxquels doivent s’attaquer résolument le
gouvernement du Québec et les autorités autochtones, en tenant compte des traditions
36 – Mémoire pour la Commission d’enquête
sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec
juridiques autochtones27. Quant au débat sur l’instauration d’un système judiciaire inuit, ou
plus largement et plus simplement de tribunaux autochtones (comme en Colombie britannique
ou en Nouvelle Écosse), la recherche et la discussion doivent se poursuivre.
Il n’existe donc pas de recette simple à des enjeux complexes.
Dans le contexte des politiques d’austérité adoptées par les gouvernements au cours des
dernières années, il faut demeurer vigilant à l’endroit des diverses formes de justice
alternatives. S’il importe certes de promouvoir la participation des personnes et des
communautés dans l’administration de la justice, l’État ne doit pas se décharger de ses
responsabilités. Les communautés les plus défavorisées et affectées par les conflits disposent
souvent de peu de ressources humaines, institutionnelles et matérielles aptes à faire face aux
défis que représentent la décentralisation et la sous-traitance de la justice à des organismes
locaux. Dans ce contexte, la protection des personnes et de leurs droits ne peut être garantie
par l’État, dont c’est pourtant l’obligation.
Par ailleurs, si la criminalité autochtone est le fruit d’une marginalisation socioéconomique,
politique et culturelle à laquelle il faut bien sûr mettre fin, cela ne se fera cependant pas du jour
au lendemain. Il vaut donc travailler à transformer le système en attendant, car pour les
détenu-es, la prison ne résout rien. Au contraire, elle nourrit les problèmes sociaux qui les y
mènent.
Les questions des infrastructures et des droits dits résiduels des détenu-es doivent être résolues
de façon urgente pour des raisons évidentes de dignité humaine, de droits de la personne et de
santé publique. Quel que soit le prochain gouvernement à être porté au pouvoir cet automne, il
doit s’y attaquer décisivement et rapidement. Il en va de nos rapports de nation à nation avec
les Autochtones et de notre réputation sur la scène internationale.
De plus, les agents sont d’avis qu’ils pourraient améliorer leurs relations avec les personnes
incarcérées et contribuer à promouvoir les ressources autochtones qui œuvrent à la prévention,
la protection, la guérison et la résolution des problèmes, et à orienter les détenu-es vers celles-
ci.
Pour ce faire de façon efficace, les moyens financiers nécessaires et la formation
professionnelle et continue pertinente doivent y être consacrés, afin d’améliorer la prestation
des agents en milieu carcéral, d’une part, et celle des intervenants autochtones à l’extérieur des
prisons, d’autre part.
Enfin, nous comptons sur la Commission pour aider à promouvoir la reddition de comptes
gouvernementale à l’Assemblée nationale et l’information du public via les grands médias,
dans l’esprit de justice, d’équité et de réconciliation promues par la Déclaration des Nations
Unies sur les droits des peuples autochtones, la Charte des droits et libertés de la personne du
Québec, les Appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation du Canada et les
Règles Nelson Mandela des Nations Unies pour le traitement des détenus.
27 COMMISSION DU DROIT DU CANADA, La justice en soi : les traditions juridiques autochtones, document de
discussion, no. de catalogue JL2-29/2006. [En ligne] 2006
[https://dalspace.library.dal.ca/bitstream/handle/10222/10229/ILT%20Discussion%20Paper%20FR.pdf]
Annexe 1 : Recommandations
1. Infrastructures
1.1 Procéder sans délai à l’agrandissement du quartier cellulaire de Puvirnituq, en
discussion depuis 2014, comme recommandé par le Protecteur du citoyen, annoncé
dans le Plan d’action du ministère de la Sécurité publique et prévu au Plan
québécois des infrastructures;
1.2 Mettre en œuvre des solutions durables aux problèmes d’approvisionnement en
eau, de salubrité, de conciergerie, d’équipements sanitaires et d’entretien de la cour,
particulièrement à Puvirnituq où le va-et-vient continuel exige du personnel
d’entretien à temps plein et des désinfections régulières des lieux de garde et des
cellules;
1.3 Procéder à l’ouverture immédiate du nouvel établissement d’Amos de manière à
héberger correctement et dignement les détenus masculins, inuits et autochtones, et
rendre compte publiquement des causes de ce retard;
1.4 Créer rapidement le nombre de places additionnelles requises pour héberger
correctement et dignement les hommes inuits, prévenus ou effectuant de courtes
sentences, préférablement en centre résidentiel communautaire ou en centre de
transition, au Nunavik ou ailleurs, s’il est désormais exclu de les héberger au nouvel
établissement d’Amos;
1.5 Procéder à la rénovation de la Maison Tanguay d’ici le printemps 2020, et effectuer
les travaux et aménagements essentiels à l’établissement Leclerc d’ici la mise en
chantier, incluant le traitement des eaux grises de l’établissement;
1.6 Créer rapidement les places d’hébergement requises pour héberger correctement et
dignement les femmes inuites, prévenues ou détenues, en centre résidentiel
communautaire au Nunavik, en secteur réservé pour elles dans un établissement de
détention pour femmes ou en centre de transition autochtone, selon les cas, s’il est
désormais exclu de les héberger au nouvel établissement d’Amos;
1.7 Mettre en œuvre le Plan d’action concernant les options possibles afin de mieux
distinguer les situations et les types de clientèles prévenues et détenues à
Puvirnituq, mais aussi à Amos, New Carlisle, sur la Côte-Nord, à Hull, à St-Jérôme;
1.8 Transférer certains détenu-es plus rapidement, en s’assurant que le ministère de la
Justice traite des dossiers différemment, modifie l’ordre des comparutions et
recrute davantage d’agentes et agents de liaison;
1.9 Mettre en œuvre les recommandations du Plan d’action concernant le recours à la
visioconférence à Kuujjuaq et Puvirnituq, au moins pour l’appel du rôle, pour éviter
les transports vers des infrastructures surpeuplées et le manque de place sur les
vols. L’échéance fixée par le ministère de la Sécurité publique était l’hiver 2016.
38 – Mémoire pour la Commission d’enquête
sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec
2. Droits fondamentaux et dits résiduels
2.1. Offrir de la formation aux juges, avocats et autres salarié-es des systèmes judiciaire
et carcéral sur la surreprésentation des Autochtones dans le système judiciaire et
carcéral, sur les arrêts Gladue et Ipelee, et sur les enjeux de justice punitive et
réparatrice;
2.2. Faciliter les communications avec les avocats, en employant davantage d’interprètes
auxquels les personnes incarcérées pourraient recourir, en offrant un accès gratuit
aux appels téléphoniques avec tout conseiller juridique, en permettant des
visioconférences avec leurs clients et en réduisant le nombre de transferts que
subissent les prévenu-es et les détenu-es;
2.3. Maintenir l’équité salariale des avocats de l’aide juridique avec ceux des procureurs
de la Couronne et promouvoir ce choix de carrière auprès des étudiants du
secondaire, du collégial et des universités offrant des études de droit;
2.4. Traduire en inuktitut et en anglais tous les formulaires et documents s’adressant aux
personnes incarcérées et assurer leur disponibilité dans tous les lieux de détention;
2.5. Produire un ou des vidéos d’information en inuktitut pour informer les Inuits
incarcérés et analphabètes de leurs droits, de leurs obligations, des règles de
l’établissement et des ressources externes à leur disposition et en assurer
l’accessibilité et la diffusion dans tous les établissements;
2.6. Fabriquer et visser une plaque au mur de tous les lieux de détention portant le (bon)
numéro de téléphone pour communiquer avec le bureau du Protecteur du citoyen;
2.7. Faire en sorte, de façon urgente, que les quartiers cellulaires de Kuujjuaq et de
Puvirnituq soient tous deux dotés d’une cour extérieure en état d’être utilisée;
2.8. Faciliter l’usage de visioconférences pour les familles résidant trop loin pour rendre
visite aux personnes incarcérées;
2.9. Mettre en œuvre immédiatement les lois, règlements, documents, plans des services
correctionnels du Québec et du ministère de la Justice du Québec visant les droits
dits résiduels des personnes incarcérées et procéder à une réforme de l’aide juridique
pour en améliorer l’accès;
2.10. Appuyer, poursuivre et intensifier la recherche, la réflexion et l’expérimentation
de système de justice alternative autochtone.
3. L’éloignement et la santé mentale
3.1 Créer un secteur, « comme un petit village », réservé aux Inuits dans les
établissements où ils se trouvent, où ils participeraient aux programmes et où le
centre leur permettrait de structurer leur mode de vie;
3.2 Favoriser l’intégration (et le maintien) de pratiques culturelles traditionnelles dans
les services correctionnels québécois. Par exemple :
- tenir une cérémonie rituelle dans la salle autochtone du centre;
- avoir des visites régulières d’une intervenante de la communauté au centre;
Mémoire pour la Commission d’enquête
sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec – 39
- offrir de la viande de phoque de temps à autre aux détenu-es inuits;
- installer un tipi ou une tente de sudation pour certaines pratiques ancestrales sur
le site du centre;
- donner des permissions de sortie pour permettre d’exercer des coutumes
spirituelles ancestrales à proximité; etc.;
3.3 Utiliser les visioconférences et les courriels pour les contacts familiaux et les
contacts avec les travailleurs sociaux et intervenants communautaires;
3.4 Élargir aux grands-parents le droit de visite de tous les détenu-es;
3.5 Offrir gratuitement des conversations téléphoniques (fixes et cellulaires) aux
détenu-es qui n’ont pas les moyens de communiquer avec leur famille vu le coût
des appels interurbains;
3.6 Favoriser des ententes entre les services correctionnels et les services sociaux et
organismes communautaires qui œuvrent auprès des autochtones, afin qu’ils
offrent des services de soutien aux détenu-es autochtones qui souffrent de
l’isolement;
3.7 Ne pas oublier la réinsertion, valoriser les interactions et appuyer le travail du
personnel en ce sens;
3.8 Utiliser l’expérience du personnel de Tanguay avec la clientèle des femmes pour
concevoir un programme de formation continue pour le personnel masculin et tout
nouveau membre du personnel;
3.9 Créer davantage de places en psychiatrie adaptée pour les clientèles concernées
afin qu’elles ne se retrouvent pas incarcérées n’importe où;
3.10 Renforcer la capacité d’accueil des centres de transition (centres résidentiels
communautaires, détention adaptée aux femmes, etc.).
4. Relations avec le personnel
4.1. Reconnaître et valoriser l’importance des langues maternelles dans la construction
d’une identité positive, qu’elle soit autochtone ou québécoise;
4.2. Fournir aux Inuits l’accès à un service d’information basé sur l’expérience crie;
4.3. Traduire un maximum possible de documents destinés aux personnes incarcérées
(ex. : le formulaire de plainte qui a récemment été traduit en inuktitut);
4.4. Produire des vidéos explicatifs pour l’accueil, les règles, le processus judiciaire,
etc. dans chacune des langues autochtones;
4.5. Porter une attention particulière aux services d’interprétation dans les services
d’infirmerie, consultation médicale ou psychiatrique, aide juridique, etc.
4.6. Fournir aux agents de la paix un accès à des interprètes par téléphone, par ex. : les
interprètes en inuktitut qui œuvrent dans les palais de justice et dans certains
établissements (St-Jérôme, Amos) pourraient rendre service ailleurs, à distance;
40 – Mémoire pour la Commission d’enquête
sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec
4.7. Offrir aux agents des primes au bilinguisme et autres incitatifs pour apprendre une
seconde langue;
4.8. Remplacer les agents appelés à quitter leur poste pour agir comme interprètes afin
d’aider des collègues;
4.9. Recruter davantage de personnel autochtone et métis dans les régions où il existe
une forte présence autochtone;
4.10. Encourager le syndicat et ses membres à jouer un rôle actif auprès de l’employeur
en ce qui concerne l’application du Programme d’accès à l’égalité (PAE) et de son
volet autochtone;
4.11. Assurer une meilleure coordination entre les ministères afin d’améliorer l’accès à
l’éducation des jeunes autochtones, dans la communauté et en incarcération, et les
soutenir plus particulièrement pour qu’ils terminent leurs études secondaires;
4.12. Élargir l’offre des attestations d’études collégiales (AEC) et des diplômes d’études
collégiales en Techniques d’intervention en milieu correctionnel (ou carcéral) et
en Techniques d’intervention en délinquance à des cégeps situés dans des régions
habitées par de fortes communautés autochtones, y compris à Montréal et incluant
au moins un collège anglophone;
4.13. Cibler les établissements où il y a une forte population autochtone et, selon la
nation présente, intégrer des contenus sur l’histoire et la culture de cette nation en
particulier dans la formation AEC offerte dans la région, en examinant comment
cela affecte l’intervention;
4.14. Valoriser la profession et rehausser les conditions de travail, les salaires et les
standards attendus en regard des relations avec les Autochtones, les femmes et les
membres d’autres groupes de la diversité;
4.15. Sensibiliser le personnel sur les réalités autochtones de façon générale par divers
moyens (accès à de l’information via internet, jumelages, publicisation des
formations et outils disponibles);
4.16. Introduire et maintenir de la formation continue pour les agentes et agents
(obligatoire dans certains établissements et volontaire ailleurs, avec des incitatifs),
afin de :
- favoriser une meilleure connaissance de l’histoire et des réalités autochtones
et de leurs impacts systémiques;
- développer des compétences de communication interculturelle;
- cultiver une meilleure interaction avec les Autochtones en détention;
- assurer le respect des personnes et des traditions, tout en assurant aussi la
sécurité dans les établissements;
4.17. Favoriser l’apprentissage de l’anglais et de l’inuktitut auprès des agents en poste
dans les établissements les plus concernés;
Mémoire pour la Commission d’enquête
sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec – 41
4.18. Assurer le remplacement obligatoire des agents absents de leur poste pour suivre
une formation, afin de ne pas décourager la participation (comme c’est le cas
pendant le 2e niveau de la prévention du suicide);
4.19. Miser davantage sur l’expérience des agentes et agents métis qu’on ne le fait
actuellement pour faire de la médiation culturelle. Plusieurs travaillent dans le
milieu (y compris certaines des personnes consultées).
5. Stratégies et moyens pour la réinsertion
5.1. Continuer de favoriser la recherche et l’expérimentation de solutions de rechange
spécifiques aux Autochtones, en matière de prévention, suivi et réintégration;
5.2. Accélérer la mise en œuvre de la recommandation du Protecteur du citoyen
concernant la réouverture et la pleine utilisation du seul Centre résidentiel
communautaire (CRC) du Grand Nord, Makitautik.
5.3. Mettre en œuvre rapidement la recommandation du Protecteur du citoyen visant à
produire des capsules vidéo visant à informer les détenu-es de leurs droits et de
toutes les étapes du processus judiciaire – et ce, en français, anglais et inuktitut;
5.4. Tenir dans les établissements des foires de l’emploi et des ressources
communautaires destinées aux détenu-es;
5.5. Organiser des échanges annuels d’information avec le personnel des
établissements sur les programmes autochtones vers lesquels orienter la clientèle
au cours de leur détention et après;
5.6. Inclure des intervenants autochtones dans les programmes de conférences; faire
des projections de films (ex : « Waseksun » de Steve Patry, « Ce silence qui tue »
de Kim O’Bonsawin); organiser des échanges ou autres activités destinés au
personnel du milieu carcéral, offerts par les services professionnels, le syndicat,
etc.;
5.7. Mettre en œuvre le Plan d’action concernant « la possibilité de concevoir une
approche concertée fondée sur les principes de l’arrêt Gladue et tenant compte des
particularités de la réalité autochtone »;
5.8. Accroître la concertation entre les autorités du Nunavik et le gouvernement du
Québec en matière de prévention de la criminalité et de la judiciarisation,
notamment à travers la mise en œuvre immédiate de la recommandation du
Protecteur du citoyen concernant les initiatives Ungaluk et Saqijuq.
Annexe 2 : Processus judiciaire applicable aux adultes en matière
criminelle28
Le début des procédures
À la suite d’une plainte, le service de police décide de mener ou non une enquête. Selon les
conclusions de l’enquête, le service de police soumet un rapport au procureur aux poursuites
criminelles et pénales (ci-après appelé « procureur »), qui évalue si la preuve est suffisante. Si
elle l’est, le procureur détermine les accusations à déposer devant la cour. Si le procureur estime
que la preuve est insuffisante, il peut fermer le dossier ou demander un complément d’enquête.
Lorsque le policier a libéré le suspect sur remise d’une citation à comparaître, d’une promesse
de comparaître ou d’un engagement, il en demande ensuite la confirmation à un juge de paix
lors du dépôt des accusations. Si le policier avait libéré le suspect sans formalités, ou que le
suspect n’avait pas fait l’objet d’une arrestation, le procureur peut demander qu’un juge de paix
délivre un mandat d’arrestation ou une sommation à comparaître. La citation à comparaître, la
promesse de comparaître, l’engagement ou la sommation indiquent où et quand l’accusé devra
se présenter pour comparaître pour la première fois au tribunal.
Si le suspect n’a pas été libéré par le policier, il sera détenu préventivement pour comparaître
devant le tribunal.
La première comparution
Lorsqu’il comparaît, l’accusé est informé de l’accusation portée contre lui. La poursuite a
l’obligation de lui communiquer toute la preuve se rapportant à la cause avant qu’il plaide
coupable ou non coupable.
Lorsqu’il comparaît pour un acte criminel grave, comme des voies de fait graves, l’accusé ne
choisit habituellement pas de plaider coupable ou non coupable lors de sa première
comparution. Il fera ce choix lors d’une prochaine comparution, après que lui-même ou son
avocat auront pris connaissance de toute la preuve communiquée par la poursuite. Pour la
plupart de ces actes criminels, l’accusé peut choisir d’être jugé par un juge ou par un jury.
Généralement, le procès se déroulera sans jury. Pour les crimes les plus sérieux, comme le
meurtre ou le complot pour meurtre, l’accusé doit être jugé par un jury.
S’il s’agit d’une infraction moins grave, d’un vol de moins de 5000 $, par exemple, l’accusé
indique s’il plaide coupable ou non coupable lors de sa première comparution. Le juge lui offre
la possibilité de consulter la preuve avant de répondre à l’accusation. Si l’accusé plaide
coupable, le juge peut prononcer la peine, mais généralement, il reportera l’audition sur la peine
à une autre date. Si l’accusé plaide non coupable, le juge fixe la date du procès.
L’enquête sur la mise en liberté
Si l’accusé est détenu au moment de sa première comparution au tribunal, le juge tient
immédiatement une audition pour déterminer s’il doit être mis en liberté. L’audition peut
cependant être reportée de trois jours, ou plus si l’accusé y consent. L’accusé doit être mis en
liberté à moins que le procureur prouve que sa détention est nécessaire pour assurer sa présence
à la cour ou la sécurité du public, ou pour ne pas miner la confiance du public dans
l’administration de la justice. Si l’accusé faisait déjà l’objet d’accusations au moment où il a
28 MINISTÈRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE, [En ligne] [www.securitepublique.gouv.qc.ca/?id=19022]
44 – Mémoire pour la Commission d’enquête
sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec
commis l’infraction pour laquelle il comparaît, ou s’il est accusé de certaines infractions graves,
comme le meurtre ou le trafic de cocaïne, c’est lui qui doit convaincre le tribunal de le mettre
en liberté pendant les procédures.
La libération peut être assortie de conditions, comme celles de demeurer à une adresse fixe, de
ne pas communiquer avec la victime ou de ne pas consommer d’alcool. Le tribunal peut aussi
exiger de l’accusé qu’il contracte un engagement, avec ou sans dépôt d’argent, pour garantir le
respect des conditions et sa présence au tribunal, lorsque celle-ci sera requise. Cet engagement
peut aussi être exigé d’une tierce personne appelée « caution », par exemple un membre de la
famille de l’accusé ou l’un de ses amis.
Si l’accusé ne respecte pas ces conditions, il s’expose à une nouvelle accusation et à une
révision de sa mise en liberté par le tribunal. Il s’expose aussi, tout comme la caution, s’il y a
lieu, à la confiscation de la somme d’argent correspondant à l’engagement.
L’enquête préliminaire
Pour les actes criminels graves, l’accusé ou la poursuite peuvent demander la tenue d’une
enquête préliminaire avant le procès. Celle-ci vise à déterminer si la preuve de la poursuite est
suffisante pour faire subir un procès à l’accusé.
La partie qui a demandé une enquête préliminaire doit produire une déclaration énonçant les
points sur lesquels elle souhaite présenter des témoignages et le nom des témoins qu’elle veut
faire entendre. Une audience préparatoire peut précéder l’enquête préliminaire en vue d’en
déterminer le contenu et d’en orienter le déroulement.
Avec le consentement du procureur, l’accusé peut renoncer à l’enquête préliminaire, même si
elle est commencée.
Le procureur présente au tribunal les principaux éléments de preuve. L’accusé peut contre-
interroger les témoins présentés par la poursuite et faire entendre ses propres témoins. Si la
preuve n’est pas suffisante, le juge libère l’accusé. Si la preuve est suffisante, il ordonne qu’il
subisse son procès.
Le procès
À la suite de la lecture de l’acte d’accusation, le procureur fait entendre les témoins de la
poursuite et présente les éléments de preuve matériels. Une conférence préparatoire peut
précéder le procès afin d’en orienter le déroulement.
L’accusé est présumé innocent. Ainsi, c’est la poursuite qui doit prouver chacun des éléments
de l’accusation, et ce, hors de tout doute raisonnable. L’accusé n’est pas obligé de témoigner
pour sa défense ni de présenter des témoins. Cependant, après que la poursuite aura présenté
toute sa preuve, il pourra choisir de présenter une défense, s’il l’estime nécessaire pour soulever
un doute raisonnable. Si l’accusé choisit de témoigner pour sa propre défense, il devra se
soumettre au contre-interrogatoire du procureur.
Chacune des parties peut contre-interroger les témoins de l’autre partie. Au cours du procès, le
juge tranche les objections portant sur les questions posées aux témoins et sur l’admissibilité
des éléments de preuve matériels.
Par la suite, l’avocat de la défense et le procureur présentent leurs plaidoiries.
Dans le cas d’un procès devant un juge et un jury, le juge donne des directives au jury avant
qu’il se retire pour délibérer. Le jury doit rendre un verdict unanime sans donner de motifs. S’il
Mémoire pour la Commission d’enquête
sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec – 45
s’agit d’un procès sans jury, le juge examine d’abord toute la preuve et rend son verdict en
donnant les motifs qui l’appuient.
La peine
La peine peut être prononcée aussitôt que l’accusé a plaidé coupable ou qu’il est déclaré
coupable. Généralement, elle sera prononcée lors d’une séance suivante. Le procureur et
l’avocat de l’accusé peuvent présenter des éléments de preuve pouvant aider à déterminer la
peine, et soumettre des observations au tribunal sur la peine qui devrait être imposée. Même
lorsque le verdict est rendu par un jury, c’est le juge qui détermine la peine.
Avant de prononcer la peine, le juge peut demander à un agent de probation de préparer un
rapport présentenciel. L’agent de probation recueille alors différents renseignements sur
l’accusé : son passé, son histoire familiale, ses antécédents judiciaires et ses perspectives de
réhabilitation. L’agent de probation peut aussi communiquer avec la victime pour connaître la
nature et la gravité des torts qu’elle a subis. La victime peut aussi présenter une déclaration au
tribunal pour exposer les conséquences de l’infraction.
Pour certains crimes graves, la loi impose une peine d’emprisonnement minimale. Lorsqu’il
impose une peine d’emprisonnement à un accusé qui a été détenu pendant son procès, le juge
peut réduire cette peine pour tenir compte du temps déjà passé en détention.